Rita Maud Smith (Demanderesse)
c.
La Reine et M. H. Manzer (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Kerr—
Halifax (N. -E.), le 11 avril; Ottawa, le 5 mai
1972.
Indiens—Annulation de l'élection du chef—Élection spé-
ciale du nouveau chef—Durée du mandat—Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 78(4) et 79.
L'élection du chef d'une bande d'Indiens ayant été annu-
lée conformément à l'article 79 de la Loi sur les Indiens, la
demanderesse a été élue chef lors d'une élection spéciale
tenue pour remplir la vacance conformément à l'article
78(4).
Arrêt: la durée du mandat de la demanderesse n'était pas
de deux ans à compter de la date de l'élection spéciale, mais
seulement de la durée restant à courir du mandat de son
prédécesseur.
ACTION.
R. P. Muttart pour la demanderesse.
J. M. Bentley pour les défendeurs.
LE JUGE KERR—Les parties à la présente
action ont déposé devant la Cour un exposé des
faits qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] EXPOSÉ DES FAITS'
ATTENDU QUE la demanderesse a engagé cette action
contre les défendeurs en déposant une déclaration à la Cour
à Halifax le 7 décembre 1971;
ET ATTENDU QUE, ce 7 décembre 1971, la demande-
resse a adressé une demande ex parte en vue d'obtenir une
ordonnance suspensive provisoire interdisant aux défen-
deurs, à leurs employés ou agents de provoquer, de con-
duire, de tenir, de participer ou de favoriser de quelque
façon la conduite ou la tenue d'élections pour le poste de
chef de la bande des Indiens de la vallée d'Annapolis,
jusqu'à la date que le savant juge pourra déterminer pour
l'audition d'une demande d'injonction interlocutoire; et que
ladite demande a été rejetée par une ordonnance rendue par
le juge Kerr le 13 décembre 1971, remettant à plus tard la
question des dépens;
ET ATTENDU QUE, le 12 janvier 1972, une défense a
été versée au dossier au nom des défendeurs;
ET ATTENDU QU'une réponse a été versée au dossier
après la défense susmentionnée;
ET ATTENDU QUE les parties en cause se sont enten-
dues pour soumettre à l'appréciation de la Cour l'exposé des
faits suivants:
1) La demanderesse est mariée et habite Bishopville
Road dans le comté de Kings (Nouvelle-Écosse) et, à tous
les moments qui nous intéressent, était le chef dûment élu
de la bande des Indiens de la vallée d'Annapolis, poste
qu'elle détient toujours.
2) Le défendeur, M. M. H. Manzer, est employé et
agent du -ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien et, à tous les moments qui nous intéressent, était
le fonctionnaire électoral mandaté par le ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien en vertu des
règles édictées en conformité de la Loi sur les Indiens.
3) A tous les moments pertinents, M. M. H. Manzer
agissait dans le cadre des responsabilités qui lui sont
dévolues à titre de préposé de la Couronne.
4) Le 22 octobre 1969, un certain Marshall Smith a été
élu chef de la bande des Indiens de la vallée d'Annapolis.
5) Le 30 juin 1970, ou vers cette date, l'élection de M.
Marshall Smith a été déclarée nulle par décret.
6) Au cours d'une élection spéciale tenue le 29 septem-
bre 1970 en application de l'article 78(4) de la Loi sur les
Indiens, la demanderesse Mme Rita Maud Smith a été élue
chef de la bande des Indiens de la vallée d'Annapolis.
7) Dans une lettre en date du 8 octobre 1971, portant
la signature de M. V. M. Gran, chef de l'administration
des bandes, et sous l'entête du ministère des Affaires
indiennes et du Nord canadien, il était déclaré que le
mandat de la demanderesse Mme Rita Maud Smith était
limité à la partie restant à courir du mandat de M.
Marshall Smith, ledit mandat prenant fin le 29 novembre
1971. Cette lettre a été présentée à la demanderesse par
le défendeur M. M. H. Manzer, qui l'a identifiée comme
étant la notification qu'il a adressée à la demanderesse.
8) Par la suite, le défendeur M. M. H. Manzer a donné
avis d'une élection aux postes de chef et de conseillers de
la bande des Indiens de la vallée d'Annapolis; sur quoi, la
demanderesse a engagé une action contre les défendeurs,
pour obtenir:
a) une ordonnance suspensive provisoire; et
b) une injonction interlocutoire; et
c) une ordonnance déclaratoire de la Cour confirmant
le mandat de deux ans de la demanderesse à compter
de la date de son élection, soit le 29 septembre 1970.
9) L'action n'ayant pas fait l'objet d'une décision avant
l'élection organisée par les défendeurs, la demanderesse a
soumis sa candidature à l'élection tenue le 21 décembre
1971 et a ainsi été élue chef de la bande des Indiens de la
vallée d'Annapolis.
PAR CONSÉQUENT LES PARTIES EN CAUSE sou-
mettent respectueusement les questions suivantes à l'appré-
ciation et au jugement de la Cour:
A. Le mandat de Mme Rita Maud Smith est-il de deux
ans à compter de la date de son élection, le 29 septembre
1970?
B. Si le mandat de Mme Rita Maud Smith n'est pas de
deux ans à compter de la date de son élection, le 29
septembre 1970, est-ce qu'il correspond au mandat res-
tant à courir de M. Marshall Smith?
C. Si les questions A et B reçoivent une réponse néga-
tive, quelle est alors la durée du mandat confié à Mme Rita
Maud Smith en vertu de son élection, le 29 septembre
1970?
LES PARTIES EN CAUSE conviennent que la déci-
sion de la Cour devrait être rendue par voie de jugement
déclaratoire et que les dépens de toute cette action et de
l'exposé devraient être accordés à la partie qui aura gain
de cause.
PAR SUITE, les parties en cause indiquent par les pré-
sentes leur accord à la présentation de l'exposé susdit, ce 22
février 1972.
Nonobstant sa seconde élection, la demande-
resse a continué son action devant cette Cour,
soutenant qu'il existait un véritable litige quant
à la durée de son mandat de chef. A ce sujet,
l'avocat de la demanderesse a fait valoir les
points suivants lors de son plaidoyer:
[TRADUCTION] Nous croyons pertinent d'exposer les
motifs pour lesquels la demanderesse a engagé cette pour-
suite. Comme il ressort à la lecture de l'exposé, la demande-
resse a été élue au poste de chef de la bande des Indiens de
la vallée d'Annapolis pour remplir la vacance occasionnée
par la révocation de l'ancien chef, dont l'élection s'était
révélée illégale et avait été annulée par le Ministre dans
l'exercice de ses prérogatives. La Loi sur les Indiens prévoit
une telle éventualité ainsi que la tenue immédiate d'une
nouvelle élection. Cette élection a été tenue et la demande-
resse dûment élue le 29 septembre 1970. Par suite, la
demanderesse croyait sincèrement que son mandat était de
deux ans comme le prescrit l'article 78 de la Loi sur les
Indiens. Par la suite, évidemment, le défendeur a unilatéra-
lement décidé que ce n'était pas le cas et provoqué la tenue
d'une nouvelle élection contre la volonté de la demande-
resse. Dans le but de mitiger les désavantages de la situation
et de s'assurer que la bande des Indiens de la vallée d'Anna-
polis serait toujours, en droit comme en fait, représentée
par un chef, elle a accepté de se porter candidate à cette
élection. Bien qu'elle contestât toujours la légalité de la
procédure, elle était bien consciente de la nécessité d'assu-
rer à l'électorat que les affaires de la bande seraient bien
administrées quelle que soit la légalité de la procédure. Elle
avait de bonnes raisons de croire qu'elle serait réélue au
cours de cette élection illégale, l'accomplissement de ses
devoirs en tant que chef restant revêtu de légalité jusqu'à
l'expiration de son mandat le 29 septembre 1972, étant
donné son élection antérieure. Après cette date, cependant,
la question de savoir si la poursuite de son administration
serait légale se poserait de façon aiguë. De là, l'importance
de ces procédures.
De plus, se posent ici d'importantes questions de principe,
la question de l'autonomie locale et la question d'intérêt
national suivante, savoir jusqu'où le ministère peut utiliser
unilatéralement et à ses propres fins les dispositions de la
Loi sur les Indiens. Il s'agit là d'une question sur laquelle la
Cour devra se prononcer, et elle dépasse de beaucoup la
question de l'autonomie, qui est d'intérêt purement local.
Nous traitons d'une loi du Parlement du Canada, laquelle
entend régir toutes les personnes appartenant à une race
donnée. Il est de la plus haute importance que ces person-
nes soient assurées que, maintenant et à l'avenir, seuls
prévaudront les termes exprès de cette loi et que des
subtilités techniques et bureaucratiques ne les priveront pas
continuellement de leurs droits.
Les extraits pertinents des articles de cette
Loi traitant d'élections se lisent comme suit:
74. (1) Lorsqu'il le juge utile à la bonne administration
d'une bande, le Ministre peut déclarer par arrêté qu'à comp-
ter d'un jour y désigné le conseil d'une bande, comprenant
un chef et des conseillers, sera formé au moyen d'élections
tenues selon la présente loi.
78. (1) Sous réserve du présent article, les chefs et con-
seillers demeurent en fonction pendant deux années.
(2) Le poste de chef ou de conseiller devient vacant
lorsque
a) le titulaire
(i) est déclaré coupable d'un acte criminel,
(ii) meurt ou démissionne, ou
(iii) est ou devient inhabile à détenir le poste aux
termes de la présente loi; ou
b) le Ministre déclare qu'à son avis le titulaire
(i) est inapte à demeurer en fonction parce qu'il a été
déclaré coupable d'une infraction,
(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil
trois fois consécutives, ou
(iii) à l'occasion d'une élection, s'est rendu coupable de
faits de corruption, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a
accepté des pots-de-vin.
(4) Lorsque le poste de chef ou de conseiller devient
vacant plus de trois mois avant la date de la tenue ordinaire
de nouvelles élections, une élection spéciale peut avoir lieu
en conformité de la présente loi afin de remplir cette
vacance.
79. Le gouverneur en conseil peut rejeter l'élection d'un
chef ou d'un conseiller sur le rapport du Ministre où ce
dernier se dit convaincu
a) qu'il y a eu des faits de corruption à l'égard de cette
élection;
b) qu'il s'est produit une infraction à la présente loi
pouvant influer sur le résultat de l'élection; ou
c) qu'une personne présentée comme candidat à l'élec-
tion ne possédait pas les qualités requises en l'espèce.
L'avocat de la demanderesse a plaidé que
l'article 78(1) est clair et sans équivoque et que
le mandat d'un chef est de deux ans à compter
de la date de son élection, sauf révocation dans
les quelques cas cités à l'article 78(2). Or, aucun
de ces cas ne s'étant manifesté, en autant que la
demanderesse est concernée, il s'ensuit que son
mandat est de deux ans à compter du 29 sep-
tembre 1970.
L'avocat de la demanderesse a cité certaines
lois 2 , applicables aux élections, où la législature
limite expressément le mandat d'une personne
élue pour remplir une vacance à la durée du
mandat en cours de la personne ayant quitté le
poste. Il a prétendu que le Parlement, connais-
sant l'existence de telles dispositions, avait
évité d'en inclure une semblable dans la Loi sur
les Indiens; on ne peut pas dire non plus qu'une
telle disposition est implicite dans la Loi. De
plus, il a cité certaines lois régissant les mandats
des membres de la Chambre des Communes et
des Assemblées législatives.
L'avocat des défendeurs a prétendu que les
mots «vacant» et «vacance», tels qu'utilisés
dans la Loi sur les Indiens, ont, dans le cadre
des lois sur les élections, un sens technique,
c'est-à-dire qu'ils ne se rapportent qu'à la durée
restant à courir d'un mandat. Je ne partage pas
cette opinion. J'estime que les mots sont
employés dans leur sens ordinaire et courant,
c'est-à-dire le fait qu'un poste devienne vacant.
L'avocat des défendeurs a aussi affirmé que
les dispositions pertinentes de la Loi sur les
Indiens prévoyaient des élections générales
pour tout un «conseil ... comprenant un chef et
des conseillers» (article 74(1)), de même . que
des élections spéciales lorsqu'un poste devient
vacant plus de trois mois avant la date de la
tenue ordinaire d'une nouvelle élection (article
78(4)), sans aucune disposition expresse ou
implicite portant qu'un chef ou conseiller élu
lors d'une telle élection spéciale puisse poursui-
vre son mandat au-delà de la prochaine élection
générale; que cela est conforme au système de
gouvernement qui prévaut généralement au
Canada; et qu'une procédure différente pourrait
contribuer à la formation d'un conseil de plu-
sieurs personnes disposant de mandats échelon-
nés se terminant à des dates différentes, ce qui
occasionnerait une série ininterrompue d'élec-
tions pour remplir les vacances et, de là, la
disparition du concept d'élections générales
périodiques.
La disposition de l'article 78(1) selon laquelle
les chefs et conseillers détiennent un mandat de
deux ans est sujette aux autres dispositions de
l'article, y compris le paragraphe (4) qui prévoit
une «élection spéciale» afin de remplir une
vacance lorsque le poste devient vacant plus de
trois mois avant «la date de la tenue ordinaire
de nouvelles élections». J'estime que cette autre
élection qui serait ordinairement tenue signifie
une élection générale pour tout le conseil. A
mon avis, la Loi prévoit qu'il y aura des élec-
tions générales périodiques pour élire un conseil
au complet, en plus d'élections spéciales pour
remplir les vacances qui surviennent plus de
trois mois avant la tenue des prochaines élec-
tions générales, et que le mandat d'une per-
sonne élue lors d'une élection spéciale ne s'é-
tend pas au-delà de la prochaine élection
générale. J'estime aussi que l'objet de l'article
78(2) n'est pas d'ordonner ou de fixer la durée
des mandats des chefs ou des conseillers, mais
de définir les cas où leurs postes deviennent
vacants. A cet égard, ce n'est pas un article
complet puisqu'un poste peut devenir vacant,
comme dans la présente affaire, à la suite d'une
décision du gouverneur en conseil, rendue en
vertu de l'article 79, annulant une élection.
Nous devons examiner d'autres dispositions
afin de déterminer la durée des mandats du chef
et des conseillers dont les postes ne deviennent
pas vacants en vertu de l'article 78(2) ou de
l'article 79.
Le Parlement n'a pas adopté les dispositions
pertinentes de la Loi sur les Indiens relatives
aux élections hors de tout contexte, mais dans
un cadre donné et pour atteindre un but précis.
En vertu de la Loi d'interprétation, c'est une
Loi censée réparatrice et qui doit s'interpréter
de la façon juste, large et libérale la plus propre
à assurer la réalisation de ses objets.
Le fait que le Parlement n'ait pas prévu une
disposition limitant expressément le mandat
d'un chef ou d'un conseiller, élu par une élec-
tion spéciale pour remplir une vacance, à la
durée restant à courir du mandat de la personne
ayant quitté le poste, ne mène pas forcément à
la conclusion que le mandat de la personne
nouvellement élue se poursuivra au-delà de la
prochaine élection générale tenue pour former
le conseil de la bande. Après lecture des articles
dans leur contexte et compte tenu des circons-
tances, j'estime que le Parlement prévoyait, et il
l'a établi par la Loi, élaborer un système d'élec-
tions générales périodiques pour élire un conseil
en entier, ainsi que la tenue d'élections spécia-
les en conformité de l'article 78(4) pour élire
des personnes qui rempliront les vacances.
A mon avis, cette interprétation des disposi
tions en cause cadre aussi bien avec l'autono-
mie des bandes locales que la prétention de la
demanderesse selon laquelle son mandat au
poste de chef est de deux ans à compter de la
date de son élection, le 29 septembre 1970.
Considérant la demande contenue dans l'ex-
posé relativement à une ordonnance déclara-
toire confirmant le mandat de deux ans de la
demanderesse à compter de la date de son élec-
tion, le 29 septembre 1970, et la formulation
des questions de l'exposé qui se rapportent pré-
cisément à son élection à cette date, mes répon-
ses porteront sur le mandat qui lui a été confié
conformément à cette élection. Je réponds par
la négative à la question A de l'exposé et par
l'affirmative à la question B.
Comme l'ont convenu les parties, les dépens
de l'action et de l'exposé sont accordés aux
défendeurs.
Conformément à la Règle 475.
Les références de l'exposé et du plaidoyer renvoient aux
articles de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, qui
sont très près des articles correspondants de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1952, c. 149.
2 Towns Act of Nova Scotia, R.S.N.S. 1967, c. 309;
Municipal Act, R.S.N.S. 1967, c. 192.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.