Karleton Lewis Armstrong (Requérant)
c.
L'État du Wisconsin et les États-Unis d'Amérique
(Intimés)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup
pléants Cameron et Sweet —Toronto, les 5 et 6
septembre 1972.
Examen judiciaire—Extradition—Mandat d'incarcération
en vue d'une extradition—La décision d'un juge d'extradition
peut-elle être examinée en vertu de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale?
Le juge Thurlow et le juge suppléant Cameron (le juge
suppléant Sweet étant dissident): La décision d'un juge
d'extradition d'incarcérer une personne en vue de son extra
dition et un mandat d'incarcération en vue d'une extradition
constituent respectivement une «décision» et une «ordon-
nance» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
et peuvent donc être examinés en vertu de celui-ci.
Arrêts non applicables: É.-U.A. c. Link et Green [1955]
R.C.S. 183; État portoricain c. Hernandez [1972] C.F.
1076; arrêts cités: Re Milbury (1972) 25 D.L.R. (3e)
499; Lavell c. Proc. gén. du Can. [1971] C.F. 348.
Per curiam: Un juge exerçant un pouvoir conféré par la
Loi sur l'extradition agit comme persona designata même
s'il exerce une fonction judiciaire en vertu de l'article 96 de
1'A.A.N.B. La décision qu'il rend à titre de juge d'extradi-
tion peut dès lors être examinée en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale comme toute décision d'un office,
d'une commission ou d'un autre tribunal fédéral au sens de
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
REQUÊTE en examen judiciaire.
Edward L. Greenspan pour le requérant.
Austin M. Cooper, c.r., pour les intimés.
LE JUGE THURLOw—Le requérant, Karleton
Lewis Armstrong, a été incarcéré le 30 juin
1972 conformément à la Loi sur l'extradition
jusqu'à son extradition aux États-Unis pour
qu'il y réponde d'une accusation de meurtre et
de quatre accusations d'incendie volontaire. Le
6 juillet 1972, il a demandé à cette Cour, en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, d'examiner la décision du juge d'extra-
dition de l'incarcérer. Par la suite, le requérant
fut requis par une ordonnance de cette Cour
d'exposer les motifs pour lesquels sa requête ne
pouvait être déclarée irrecevable, en vertu de la
Règle 1100, à raison de l'incompétence de la
Cour en la matière. A la date fixée par l'ordon-
nance, l'avocat du requérant et l'avocat de
l'État du Wisconsin ont comparu et plaidé, le
premier soutenant que la Cour avait compé-
tence et le second la position contraire. Deux
questions qui furent discutées au cours des
débats doivent être examinées ici.
Il s'agissait d'abord de savoir si la décision du
juge d'extradition d'émettre un mandat ou le
mandat qu'il a émis constituait «une décision ou
une ordonnance» au sens de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale. Cet article attribue à
cette Cour compétence «nonobstant l'article 18
ou les dispositions de toute autre loi,» pour
entendre et juger une demande d'examen et
d'annulation «d'une décision ou ordonnance,
autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire,
rendue par un office, une commission ou un
autre tribunal fédéral», pour les motifs énumé-
rés dans ce texte.
Je rappellerai ensuite le texte de la Loi sur
l'extradition, dont l'article 18 stipule:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé-
rer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée,
afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État
étranger ou élargi conformément à la loi,
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant
l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après
la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente
Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime
avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge
ordonne qu'il soit élargi.
Cet article dispose donc que lorsqu'un fugitif
comparaît devant un juge d'extradition, ce der-
nier, s'il est convaincu que les preuves qu'on lui
fournit justifieraient l'incarcération préventive
en vertu du droit canadien, etc., lance un
mandat ordonnant l'incarcération de ce fugitif
jusqu'à son extradition, mais s'il n'en est pas
convaincu, il ne lance pas le mandat et le fugitif
est alors élargi. Dans l'arrêt É.-U.A. c. Link et
Green [1955] R.C.S. 183, la Cour suprême du
Canada a décidé que le refus d'un juge d'extra-
dition d'incarcérer un fugitif ne constituait pas
un «jugement» au sens des articles 2d) et 41 de
la Loi sur la Cour suprême. La définition du
mot «jugement» à l'article 2d) de cette loi com-
prenait notamment une «décision» et une
«ordonnance». Il y a quelques semaines, dans
l'arrêt État portoricain c. Hernandez [1972]
C.F. 1076, la Cour fédérale s'est conformée à
l'arrêt Link et Green et a jugé que le refus
d'émettre un mandat d'incarcération ne consti-
tuait pas «une décision ou une ordonnance» au
sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédé-
rale; elle a par conséquent refusé d'examiner le
refus du juge d'extradition d'incarcérer le fugi-
tif. Un tel refus ne constitue pas d'après moi
une décision ou une ordonnance car il ne décide
rien. Le fugitif est tout simplement relâché et
ses droits ne sont ni modifiés ni lésés. D'autre
part, rien n'est non plus décidé contre la pour-
suite, en ce sens que rien ne prend de ce fait
valeur de chose jugée: dans l'éventualité où la
requête serait renouvelée, on ne pourrait invo-
quer le refus du juge pour empêcher la pour-
suite de faire valoir son droit d'obtenir l'extradi-
tion du fugitif.
Ainsi, dans l'arrêt Regina c. Morton (1868) 19
U.C.C.P. 9, le juge en chef Hagarty observait à
la page 14:
[TRADUCTION] On a d'abord objecté devant nous que, les
prisonniers ayant déjà été arrêtés en vertu d'un mandat du
magistrat de police de Toronto, qui a entendu l'accusation et
élargi les prisonniers, on ne pouvait les arrêter à nouveau
pour le même motif.
Je m'explique mal que le dossier de cette procédure nous
ait été formellement soumis à l'appui de ces requêtes en
habeas corpus et en certiorari; même en supposant que
nous devions en prendre connaissance, j'estime qu'il ne
peut en aucune manière influer sur notre décision. Le refus,
erroné ou non, d'un magistrat d'incarcérer une personne
dont on demande l'extradition ne saurait, selon moi, inter-
dire à un autre magistrat compétent d'instruire l'affaire à
partir des mêmes éléments ou d'éléments nouveaux: ou bien
il constitue un empêchement radical à toute nouvelle action
ou bien il n'a aucun effet.
Dans le même arrêt, le juge Wilson disait à la
page 23:
[TRADUCTION] A la suite de cette audience plusieurs fois
remise, les défendeurs furent incarcérés en vue de leur
extradition. Ils comparaissent aujourd'hui devant nous en
vertu d'un bref d'habeas corpus, tandis que cette procédure
est attaquée par voie de certiorari.
Les défendeurs demandent à être élargis: (1) parce qu'ils
avaient déjà été élargis par Alexander McNabb, devant qui
ils avaient comparu il y a quelque temps, accusés de la
même infraction; (2) parce qu'ils prétendent que les actes de
Gilbert McMicken, aussi bien à Toronto qu'à Sandwich,
constituaient un excès de pouvoir; et (3) parce que les
procédures engagées dans l'État de New York devant le
magistrat Ferris l'ont été après l'arrestation des prévenus
ici, dans le but d'utiliser le procès-verbal de ces procédures
pour établir un délit et obtenir l'incarcération et l'extradition
des défendeurs. Ils affirment que la reprise des mêmes
poursuites contre eux aurait un caractère vexatoire.
Ils n'ont pas été jugés et acquittés au sens de la maxime
«nemo bis vexari debet». Ils ont été élargis à la discrétion du
magistrat de police McNabb, pour des motifs qui, je le
présume, lui ont paru suffisants. La présence devant nous
du dossier de ces procédures est irrégulière, mais même si
on lui accorde sa pleine signification, il ne nous contraint à
décider la présente affaire ni dans un sens ni dans l'autre, de
même que le rejet d'une accusation par un magistrat n'em-
pêche pas un autre magistrat d'instruire la même accusation.
Et le juge Gwynne, à la page 26, exposait en
ces termes le premier motif invoqué à l'appui de
la requête en habeas corpus:
[TRADUCTION] (1) parce que, soutient-on, les prisonniers
ont déjà été accusés du même chef devant le magistrat de
police de la cité de Toronto et élargis; à l'appui de cette
objection, on prétend que la loi fédérale mettant en vigueur
le traité d'extradition n'autorise qu'une seule arrestation
pour la même accusation.
Il poursuivait ensuite:
[TRADUCTION] On n'a cité aucun arrêt à l'appui de la
première objection, et je ne vois aucune justification de
principe ni aucun motif raisonnable permettant d'affirmer
que la loi mettant en vigueur les dispositions du traité doit
comporter une interprétation restrictive de la compétence
des magistrats chargés de l'appliquer, compétence qui serait
alors moins étendue que celle des juges de paix à l'égard des
infractions commises dans les limites du comté sur lequel
s'exerce leur autorité.
Qu'une personne accusée d'une infraction criminelle com-
mise sur le territoire de la province soit remise en liberté à
l'issue de sa comparution devant le juge de paix, soit par
suite d'une erreur dans la décision de ce juge, soit en raison
de l'insuffisance des preuves qu'on lui avait apportées: nul
n'a jamais prétendu voir là un empêchement à ce que cette
personne soit de nouveau traduite devant un autre juge et
incarcérée à raison de la même accusation, que les preuves
apportées soient les mêmes ou soient différentes.
Appliquer sur ce point lorsque la Cour est saisie en vertu
du traité d'extradition une règle différente de celle qui régit
notre procédure à l'égard d'une infraction criminelle com-
mise sur le territoire de la province serait incompatible avec
les principes fondamentaux de la raison et de la justice; à
mon avis, cette loi ne fournit, ni en termes exprès, ni de
manière implicite, la moindre justification ou le moindre
fondement à une telle prétention.
Voir aussi les arrêts É.-U.A. c. Ford et Frary
(1916) 29 D.L.R. 80', Ex parte Seitz (No 2)
(1899) 3 C.C.C. 127 et Re Harsha (1906) 11
O.L.R. 457. Dans ces deux derniers arrêts, on a
rouvert l'instance après que le fugitif eut été
élargi à la suite d'une requête en habeas corpus
dirigée contre une ordonnance d'incarcération
rendue par le juge d'extradition. Le refus d'un
juge d'extradition d'incarcérer un fugitif ne
constitue selon moi qu'un refus d'exercer son
pouvoir et ne modifie ni ne lèse les droits des
parties à cette instance.
Selon moi, cependant, il en va différemment
lorsque le juge d'extradition est convaincu que
les preuves justifient l'incarcération et émet un
mandat. Dans ce cas les droits du fugitif sont
modifiés dans la mesure où il est privé de sa
liberté et court un plus grand risque d'être
extradé.
Il a toujours eu et conserve encore le droit
d'attaquer la validité de son incarcération au
moyen d'une requête en habeas corpus devant
les tribunaux de la province; là où prévaut
l'usage anglais, cette procédure permet éven-
tuellement d'examiner la valeur, sur le plan du
droit, des preuves sur lesquelles l'incarcération
a été ordonnée. Voir Schtraks c. Gouvernement
d'Israël [1964] A.C. 556. L'arrêt Regina c.
Morton, que j'ai déjà cité, permet de penser que
jusqu'au ler juin 1971, un fugitif pouvait intro-
duire une requête en certiorari devant les tribu-
naux de la province pour obtenir l'examen de
l'ordonnance d'incarcération rendue par le juge
d'extradition); mais depuis cette date, la compé-
tence exclusive à l'égard des requêtes en certio-
rari contre tout office, toute commission ou
tout autre tribunal fédéral a été dévolue par
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à la
Division de première instance de la Cour fédé-
rale. Voir Re Milbury et la Reine [1972] 25
D.L.R. (3e) 455. Toutefois, en ce qui concerne
les décisions ou ordonnances rendues après le
ler juin 1971, la compétence en matière de
certiorari est retirée à la Division de première
instance par l'article 28(3) de la Loi sur la Cour
fédérale et accordée par l'article 28(1) à la Cour
d'appel, chargée d'entendre et de juger toute
demande d'examen d'une décision ou ordon-
nance rendue par un office, une commission ou
un autre tribunal fédéral, à l'exception des déci-
sions ou ordonnances de nature administrative
qui ne sont pas légalement soumises à un pro-
cessus judiciaire. Voir Creative Shoes Ltd. c.
S.-M.R.N. [1972] C.F. 993 et Biais c. Basford
[1972] C.F. 151.
Le texte du mandat d'incarcération montre
bien qu'il ne s'agit pas d'une simple autorisation
de détenir le fugitif mais d'un ordre donné au
nom de Sa Majesté à un gardien de la paix de
remettre le requérant à la garde du gardien de la
prison et également d'un ordre donné au nom de
Sa Majesté au gardien de la prison de recevoir
le fugitif sous sa garde et de le détenir en sûreté
jusqu'à ce qu'il en soit élargi conformément à la
loi. Selon moi, ce mandat constitue bien une
«ordonnance» et l'acte du juge d'extradition
lorsqu'il l'émet est bien une «décision» au sens
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et
peut être contrôlé pour les motifs prévus par cet
article, sous la seule réserve de la question de
savoir si le juge d'extradition est un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral tel que
défini à l'article 2, ce qui nous amène à la
deuxième et dernière question qu'il nous faut
examiner.
Sur cette question, je souscris respectueuse-
ment à l'opinion exprimée par la Cour d'appel
du Nouveau-Brunswick dans l'arrêt Re Milbury
et la Reine (précité): un juge d'une Cour de
comté exerçant un pouvoir judiciaire conféré
par la Loi sur l'extradition agit alors en tant que
persona designata. Je pense d'ailleurs qu'il n'y a
pas lieu de distinguer sous ce rapport entre le
cas d'un juge d'extradition nommé conformé-
ment à l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique et le cas considéré par la Cour
fédérale dans l'arrêt Lavell c. Procureur général
du Canada [1971] C.F. 347: l'on avait alors
estimé qu'un juge d'une Cour de comté exer-
çant les pouvoirs que lui conférait nommément
la Loi sur les Indiens constituait un office, une
commission ou un tribunal fédéral au sens de la
définition contenue à l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale.
Je conclus à la compétence de la Cour pour
entendre et trancher cette demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON a souscrit à
l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET (dissident en
partie)—Cette affaire se rapporte à une
demande d'extradition de l'appelant présentée
en vertu de la Loi sur l'extradition et entendue
par M. le juge H. Waisberg.
Dans les motifs de son jugement, datés du 30
juin 1972, le juge a déclaré:
[TRADUCTION] Je conclus que les infractions à propos des-
quelles on a intenté cette procédure ne sont pas de nature
politique et que l'on n'a pas intenté cette procédure dans le
but de poursuivre ou de punir l'opposant pour une infrac
tion de nature politique. L'opposant sera incarcéré à la
prison de la Don à Toronto, et y restera jusqu'à ce qu'il soit
livré à l'État du Wisconsin ou élargi conformément à la loi.
Le mandat d'incarcération lancé par le juge
Waisberg porte la même date.
La demande officielle «d'examen et d'annula-
tion» énonce:
[TRADUCTION] AVIS EST DONNÉ qu'une demande est faite
à la Cour au nom de Karleton Lewis Armstrong en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour faire exami
ner et annuler la décision rendue le 30 juin 1972 par M. le
juge H. Waisberg en vertu de la Loi sur l'extradition,
chapitre E-21 des Statuts révisés du Canada de 1970.
Le 14 août 1972, le juge en chef de la Cour a
rendu l'ordonnance suivante:
[TRADUCTION] Le requérant est par la présente requis d'ex-
poser à la Cour, à Toronto, le mardi 5 septembre 1972 à
compter de 10h30, les motifs pour lesquels sa demande
d'examen et d'annulation ne peut être déclarée irrecevable
en vertu de la Règle 1100, à raison de l'incompétence de la
Cour en la matière.
Les textes législatifs qui nous intéressent
comprennent:
a) L'article 18(1) et (2) de la Loi sur l'extradi-
tion, à savoir:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé-
rer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée,
afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État
étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été
convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est
produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous
réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con-
vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant
l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après
la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente
Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime
avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge
ordonne qu'il soit élargi.
b) L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédé-
rale, dont voici un extrait:
Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre
loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une commis
sion ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la
commission ou le tribunal....
Ce passage est suivi d'une liste de motifs
pouvant justifier l'intervention de la Cour
d'appel.
c) La définition du mot «jugement» dans l'ar-
ticle 2 de la Loi sur la Cour suprême qui se
lit:
«jugement», relativement à la cour dont l'appel est inter-
jeté, comprend tout jugement, règle, ordre, ordonnance,
décision, décret, arrêt ou sentence de cette cour, et,
relativement à la Cour suprême, comprend tout jugement
ou ordre de cette dernière Cour;
La question de la compétence de la Cour, à la
lumière de l'article 18(1), à l'égard d'une
demande d'examen et d'annulation du refus
d'un juge d'extradition d'émettre un mandat
d'incarcération s'est posée à la Cour dans l'af-
faire concernant la demande d'extradition
d'Humberto Pagan Hernandez par l'État porto-
ricain, le 2 août 1972. Le juge en chef a pro-
noncé le jugement de la Cour et a notamment
déclaré:
La question qui se pose est donc de savoir si un tel refus
est «une décision ou une ordonnance» au sens de l'article
28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
A notre avis, la question est réglée par l'arrêt É.- U.A. c.
Link [1955] R.C.S. 183. Dans cette affaire, il s'agissait
d'une demande de permission d'appeler d'un refus sembla-
ble d'un juge d'extradition; la question se posait de savoir si
le refus était un «jugement» tel que défini à l'article 2d) de
la Loi sur la Cour suprême du Canada, S.R.C. 1952, c. 259,
qui définit «jugement» comme comprenant, notamment, une
«décision» et une «ordonnance».
On trouve le jugement de la Cour (les neuf juges étant du
même avis) dans le prononcé du juge en chef. Voici un
extrait de ce prononcé:
Sans avoir appelé l'avocat des intimés, le juge en chef a
annoncé que les membres de la Cour avaient décidé à
l'unanimité que la Cour n'était pas compétente, le refus
du juge en chef Scott n'étant pas un jugement tel que
défini à l'article 2d), au sens de l'article 41 de la Loi sur la
Cour suprême.
Nous ne trouvons aucune justification pour adopter un
sens du mot décision ou du mot ordonnance, contenus à
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, qui serait différent
ou plus large que celui que l'on trouvait à l'article 2d) de la
Loi sur la Cour suprême du Canada en 1955. Nous sommes
donc d'avis que la Cour est tenue de suivre la décision
rendue en 1955 par la Cour suprême du Canada et de
décider en conséquence qu'elle n'est pas compétente en
l'espèce.
Bien que l'appelant n'en ait pas fait mention
dans son exposé, son avocat, au cours de sa
plaidoirie de vive voix, a voulu distinguer l'arrêt
Hernandez de la présente espèce au motif que
l'on avait alors refusé d'émettre un mandat d'in-
carcération et que dans le cas présent, on a
lancé un mandat d'incarcération.
L'une des thèses soutenues par l'appelant
consiste à dire, si j'ai bien compris, que le refus
de la part du juge d'extradition de lancer un
mandat d'incarcération n'opère rien—aucune
décision n'est rendue et aucune ordonnance
n'est émise au sens de l'article 28(1) de la Loi
sur la Cour fédérale, et par conséquent, en
l'absence de décision ou d'ordonnance dont on
pourrait appeler, la Cour n'est pas compétente.
Toutefois, il me semble tout à fait clair que si
l'on donne aux mots «décision» et «ordon-
nance» figurant à l'article 28(1) leur sens usuel,
ordinaire et normal, un refus implique nécessai-
rement une décision et une ordonnance. Ainsi,
en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'extradi-
tion, il se peut qu'un juge, avant de refuser
l'incarcération, soit amené, dans le cas d'un
fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un
crime entraînant l'extradition, à décider que les
preuves qu'on lui présente ne permettent pas de
conclure qu'il a été trouvé coupable d'un tel
crime, ou, dans le cas d'un fugitif accusé d'un
crime entraînant l'extradition, que les preuves
ne justifieraient pas, en droit canadien, son
incarcération préventive si le crime avait été
commis au Canada. S'il décide en ce sens, il est
obligé par l'article 18(2) de l'élargir. La mesure
prise par le juge doit être le résultat d'une
«décision», si l'on prend le mot «décision» dans
son sens ordinaire et familier. Cette décision, en
supposant que c'en soit une, qui entraîne auto-
matiquement le refus est nécessairement suivie
de ce qu'on appelle couramment une ordon-
nance, terme qu'emploie d'ailleurs l'article
18(2).
En admettant qu'une décision ne saurait con-
sister en un simple processus intellectuel, et
qu'elle doit plutôt s'entendre de la manifestation
de ce processus ou du fait qu'en termes exprès
l'on tranche une question de droit ou conclut à
l'existence de certains faits, il reste qu'on peut
alors normalement s'attendre à ce que le juge
rende ainsi sa décision et la fasse connnaître
aux parties en cause.
En dépit de tout cela, dans l'arrêt É.-U.A. c.
Link (précité), la Cour suprême du Canada a
décidé que le refus «n'était pas un jugement tel
que défini à l'article 2d), au sens de l'art. 41 de
la Loi sur la Cour suprême», telle qu'elle se
lisait à l'époque, et ceci, bien que selon cette
définition, le mot «jugement» comprenait une
«ordonnance» et une «décision».
Dans l'arrêt Hernandez (précité), la présente
Cour a suivi l'arrêt Link et Green ce qui, à mon
humble avis, était inévitable.
C'est pourquoi, m'appuyant sur l'arrêt Link,
appliqué dans l'arrêt Hernandez, je ne peux que
conclure que le sens des mots «décision» et
«ordonnance», selon leur emploi habituel et
courant, ne s'applique pas dans le contexte de
l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale et
de l'article 18(1) et (2) de la Loi sur
l'extradition.
Il est évident que pour émettre un mandat
d'incarcération, il doit y avoir à la fois une
décision et une ordonnance, au sens courant de
ces termes, de même qu'il doit y avoir, dans le
même sens, une décision et une ordonnance
dans le cas d'un refus. Bien sûr les décisions et
ordonnances diffèrent nécessairement mais,
dans les deux cas, une décision doit être prise,
décision que l'on s'attend normalement à voir
prononcer et dans les deux cas, une ordonnance
doit être rendue.
Si l'acte d'un juge refusant le mandat n'est ni
une décision ni une ordonnance au sens de
l'article 28(1) (et selon moi c'est ce qui résulte
directement de l'arrêt Link et Green), il s'ensuit
à mon avis que l'acte du juge émettant le
mandat d'incarcération n'est pas davantage une
décision ou une ordonnance au sens de l'article
28(1). Si donc il ne s'agit pas d'une telle déci-
sion ou ordonnance, et en toute déférence je ne
pense pas que l'on puisse soutenir le contraire
en l'espèce, il s'ensuit que la Cour n'a pas
compétence dans cette instance.
Avec la même déférence, je ne crois pas
devoir tenir compte ici du fait qu'en cas de
refus, on conserve, au moins dans certaines
circonstances, le droit de faire une ou plusieurs
nouvelles demandes d'extradition. Ou bien
l'acte du juge d'extradition qui refuse le mandat
constitue une décision ou une ordonnance au
sens de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale ou bien il n'en est pas une.
Toujours avec déférence, j'irais jusqu'à con-
tester qu'on puisse dire que la situation du
requérant n'est pas modifiée par un refus. Si
aucune des procédures engagées n'aboutit à
l'extradition, le requérant ne peut, étant donné
la procédure au terme de laquelle le juge a
refusé le mandat, exercer son droit de punir le
fugitif s'il a déjà été convaincu ou de lui faire
subir son procès pour les accusations qui pèsent
contre lui, droit qu'il pourrait exercer si le fugi-
tif se trouvait sur son territoire.
Je conclus que la Cour n'a aucune compé-
tence pour instruire cette affaire.
Je me permets d'ajouter que je souscris à
l'opinion de mes collègues suivant laquelle M. le
juge Waisberg n'agissait pas en tant que juge
nommé en vertu de l'article 96 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. La mention à
l'article 9(1) de la Loi sur l'extradition des juges
des cours de comté d'une province (et le juge
Waisberg possède cette qualité) ne fait qu'indi-
quer et désigner certaines personnes qui sont
autorisées à exercer le pouvoir judiciaire en
matière d'extradition. Cet article n'attribue
aucune compétence à la Cour de comté en tant
que telle.
LE JUGE THURLOW:
1 Voir aussi l'affaire Regina c. Lewes Justices [1971] 2 All
E.R. 1126, où l'on a utilisé avec succès le bref de certiorari
pour attaquer la sommation à comparaître d'un témoin.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.