Caloil Inc. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le ler novembre; Ottawa, le 9 novem-
bre 1972.
Taxe de vente—Les produits pétroliers importés sont-ils
imposables sur leur prix de vente ou sur leur valeur à
l'acquitté—Interprétation d'une loi fiscale—Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13 (mod. 1970-72, c. 62), art.
26(1) et (3).
L'article 27(1) de la Partie V de la Loi sur la taxe
d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13 tel que modifié par 1970-72,
c. 62, impose une taxe de vente de 12% sur le prix de vente
des marchandises produites ou fabriquées au Canada ou
importées au Canada. L'article 26(1) déclare que, dans le
cas de marchandises importées, le prix de vente est censé
être la valeur à l'acquitté de ces marchandises. L'article
26(3) stipule cependant que, dans certaines circonstances
(présentes en l'espèce), l'importateur de produits pétroliers
est réputé être un fabricant ou producteur des marchandises
au Canada et non un importateur.
La demanderesse, un importateur de produits pétroliers,
s'est vu imposer la taxe de vente sur le prix de vente à ses
clients de ces produits pétroliers importés plutôt que sur la
valeur à l'acquitté de ces produits.
Arrêt: L'action de la demanderesse en recouvrement du
trop-perçu d'impôt est rejetée. Il est évident que le but de
l'article 26(3) était d'imposer les produits pétroliers impor
tés comme s'ils étaient des marchandises fabriquées, même
si l'on n'y trouve pas de déclaration expresse à cet effet.
ACTION en recouvrement de la taxe de
vente payée en trop.
Richard W. Pound et Bruce Verchère pour la
demanderesse.
J. C. Ruelland pour la défenderesse.
LE JUGE WALSH—Les parties à la présente
instance s'accordent sur les faits suivants: la
compagnie demanderesse a été constituée le 28
août 1963 en vertu de la Loi des Compagnies du
Québec et son siège social, de même que le lieu
principal de ses affaires sont à Montréal; son
entreprise consiste à importer des produits
pétroliers qu'elle vend à des grossistes, des
détaillants ou des utilisateurs; elle a des entre-
pôts à Montréal et un service de transport de
ses produits; elle a cherché à payer la taxe
fédérale de vente sur la valeur à l'acquitté des
marchandises qu'elle importe, alors que le
ministre du Revenu national a imposé la taxe de
vente fédérale sur les prix de vente de la
demanderesse à ses clients; celle-ci s'est oppo
sée à ces évaluations, mais a payé une somme
de $11,000 sous réserve; elle a institué la pré-
sente instance pour récupérer cette somme, qui
représente une partie seulement de la différence
entre la somme que réclame le ministre du
Revenu national et celui de la taxe de vente
fédérale que la demanderesse reconnaît devoir;
enfin, la demanderesse n'est pas munie d'une
licence de marchand de gros mais d'une licence
de fabricant, sous le n° S-64005.
L'article 27(1) de la Partie V de la Loi sur la
taxe d'accise, S.R.C. 1970, c. E-13, modifiée
par S.C. 1970-71-72, c. 62, ci-après appelée «la
loi», impose une taxe de vente de 12% sur le
prix de vente, notamment de toutes marchandi-
ses produites ou fabriquées au Canada et de
toutes marchandises importées au Canada.
«Prix de vente» est défini à l'article 26(1)
comme suit:
26. (1) Dans la présente Partie
«prix de vente», en vue de déterminer la taxe de consomma-
tion ou de vente signifie l'ensemble
a) du montant exigé comme prix avant qu'un montant
payable à l'égard de toute autre taxe prévue par la pré-
sente loi y soit ajouté,
b) de tout montant que l'acheteur est tenu de payer au
vendeur en raison ou à l'égard de la vente, en sus de la
somme exigée comme prix (qu'elle soit payable au même
moment ou en quelque autre temps), y compris, sans
restreindre la généralité de ce qui précède, tout montant
prélevé pour la publicité, le financement, le service, la
garantie, la commission ou à quelque autre titre, ou des-
tiné à y pourvoir, et
c) du montant des droits d'accise exigible aux termes de
la Loi sur l'accise, que les marchandises soient vendues
en entrepôt ou non,
et, dans le cas de marchandises importées, le prix de vente
est censé être leur valeur à l'acquitté. (Les italiques sont de
moi.)
L'article 26(1) définit l'expression «valeur à
l'acquitté» comme suit:
26. (1) Dans la présente Partie
«valeur à l'acquitté» signifie la valeur de l'article telle
qu'elle serait déterminée aux fins du calcul d'un droit ad
valorem sur l'importation dudit article au Canada en vertu
de la législation sur les douanes et du Tarif des douanes, que
cet article soit, de fait, sujet ou non à un droit ad valorem
ou autre, plus le montant des droits de douane, s'il en est,
exigible sur ledit article.
La demanderesse soutient que puisque les
produits pétroliers en question sont des mar-
chandises importées, la taxe de vente doit être
payée sur la valeur à l'acquitté seulement. La
défenderesse invoque par ailleurs une modifica
tion apportée en 1963 à cette loi (S.C. 1963, c.
12. art. 3), qui y a ajouté ce qui se trouve être
maintenant le paragraphe 26(3), et qui se lit
comme suit:
26. (3) Lorsqu'une personne a importé au Canada, en
vue de la vente ou pour son propre usage, de l'essence, du
carburéacteur ou du gaz -oil moteur et que l'ensemble de la
valeur à l'acquitté des marchandises qu'elle a ainsi impor-
tées au cours de toute période de douze mois consécutifs
commençant le ler août 1963 ou après cette date, excède
trois mille dollars, elle est réputée, aux fins de la présente
Partie, le fabricant ou le producteur au Canada des mar-
chandises qu'elle a ainsi importées pendant cette période et
non l'importateur desdites marchandises.
La demanderesse soutient que cet article doit
s'interpréter restrictivement et qu'il a pour effet
unique de réputer l'importateur de tels produits
en être le fabricant ou le producteur, mais qu'il
ne modifie pas le caractère des marchandises
elles-mêmes pour en faire des marchandises
fabriquées et non des marchandises importées.
La demanderesse soutient aussi que la taxe de
consommation ou de vente qu'impose la Partie
V de la loi n'est pas une taxe personnelle impo
sée au fabricant ou à l'importateur mais est une
taxe qui porte sur les marchandises elles-
mêmes, bien qu'elle puisse être recouvrée, aux
époques que précisent les divers articles de la
loi, sur l'importateur ou le fabricant suivant le
cas, et qu'en l'absence d'une rédaction précise
de la loi à cet effet, des marchandises importées
ne peuvent être réputées devenir des marchan-
dises fabriquées, même si l'importateur de ces
marchandises peut être réputé fabricant en
vertu des dispositions de l'article 26(3) de la loi.
En vertu de cette interprétation, la demande-
resse prétend que le seul but de l'article 26(3)
est d'exiger d'un importateur de ces produits
pétroliers, réputé en vertu de cet article être le
fabricant ou producteur au Canada de ceux-ci,
qu'il obtienne une licence de fabricant, afin qu'il
y ait un contrôle plus poussé de ses activités,
notamment le dépôt de déclarations mensuelles
qu'exige l'article 50 de la loi, même si aucune
vente taxable n'a été effectuée au cours du mois
précédent. La demanderesse a obtenu cette
licence. Ceci entraîne une deuxième consé-
quence, c'est que le réputé fabricant n'a pas à
payer maintenant la taxe qui doit être par ail-
leurs payée sur ces marchandises en vertu de
l'article 27(1)b) au moment où elles sont impor-
tées ou sorties d'entrepôt pour la consomma-
tion, avant qu'il ne livre les marchandises à
l'acheteur ou que la propriété de celles-ci soit
transmise à l'acheteur, selon le cas, lui permet-
tant ainsi de disposer d'un stock de marchandi-
ses au Canada pendant quelque temps avant de
devoir payer la taxe de vente sur celles-ci. Elle
soutient toutefois que ni le fait qu'elle est répu-
tée être un fabricant ni le délai dont elle jouit
pour effectuer ces versements ne modifie la
somme à payer, qui doit encore être calculée
sur la valeur à l'acquitté de ces marchandises
qui, par leur nature même, demeurent des mar-
chandises importées et ne sont pas réputées être
autre chose que cela en vertu de la loi.
Il y a cependant certaines failles dans ce
raisonnement. L'article 27(1) impose une taxe
de consommation ou de vente de 12% sur le
prix de vente de toutes marchandises
a) produites ou fabriquées au Canada;
b) importées au Canada;
c) vendues par un marchand en gros muni de
licence;
d) retenues par un marchand en gros muni de
licence pour son propre usage ou pour être
par lui louées à d'autres.
Dans chaque cas, la personne assujettie à la
taxe et l'époque du paiement sont bien préci-
sées. Dans le cas de l'alinéa a), qui vise les
marchandises produites ou fabriquées au
Canada elle est:
(i) payable, dans tout autre cas que celui mentionné au
sous-alinéa (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant à
l'époque où les marchandises sont livrées à l'acheteur
ou à l'époque où la propriété des marchandises est
transmise, en choisissant celle de ces dates qui est
antérieure à l'autre.....
(Les sous-alinéas (ii) et (iii) ne nous intéressent
pas ici, le premier visant la vente de marchandi-
ses lorsque le prix doit être payé au fabricant ou
producteur par versements et le deuxième
visant la vente de fourrures apprêtées ou apprê-
tées et teintes.)
Dans le cas de l'alinéa b), qui vise des mar-
chandises importées au Canada, l'impôt est
«payable par l'importateur ou le cessionnaire
qui sort les marchandises d'entrepôt pour la
consommation».
Dans le cas des alinéas c) et d), qui visent des
marchandises vendues par un marchand en gros
muni de licence ou retenues par un marchand
en gros muni de licence pour son propre usage
ou pour être par lui louées à d'autres, la taxe est
payable lors de la livraison à l'acheteur, dans le
premier cas, ou à l'époque où les marchandises
sont employées à son propre usage ou, pour la
première fois, louées à d'autres, dans le
deuxième cas; dans les deux cas, la taxe est
calculée sur la valeur à l'acquitté des marchan-
dises, si elles ont été importées par le marchand
en gros muni de licence, ou sur le prix auquel
les marchandises ont été achetées par lui, s'il ne
les a pas importées, et ce prix doit comprendre
le montant des droits d'accise sur les marchan-
dises vendues en entrepôt.
Bien que la demanderesse soutienne que son
cas entre dans le champ d'application de l'arti-
cle 27(1)b), elle est obligée de reconnaître
qu'elle ne paie pas, en fait, la taxe «à l'époque
où les marchandises sont importées ou sorties
d'entrepôt pour la consommation», mais seule-
ment à l'époque où elle vend ces marchandises
à des tiers. Dans tous les cas, je doute fort que
l'artice 27(1)b) s'applique à elle, puisqu'il vise
l'importateur ou le cessionnaire «qui sort les
marchandises d'entrepôt pour la consomma-
tion» et je ne pense pas que la demanderesse
soit le consommateur de ces marchandises. Elle
soutient que «la consommation» comprend la
revente, mais je pense que c'est là donner une
interprétation peu réaliste au mot «consomma-
tion» et que ce n'est pas l'intention du législa-
teur. Je pense au contraire qu'il doit viser des
marchandises sorties d'entrepôt pour être utili
sées par l'importateur ou le cessionnaire lui-
même (comparer avec l'article 33(2), qui se lit
ainsi:
33. (2) Il peut subséquemment être fait une déduction, si
le fabricant ou marchand en gros muni de licence établit que
cette matière a été utilisée dans la fabrication d'un article
qui est assujetti à la taxe de consommation ou de vente et
sur lequel ladite taxe a été acquittée.)
Puisque, bien que la demanderesse soit en fait
un importateur ou un marchand en gros, elle est
réputée en vertu de l'article 26(3) être un fabri-
cant et détient une licence à ce titre seulement,
elle ne peut entrer dans le champ d'application
de l'article 27(1)c) ou ci). Si l'on devait accepter
la thèse de la demanderesse et la pousser à sa
conclusion logique, celle-ci n'entrerait pas non
plus dans le champ d'application de l'article
27(1)a), parce qu'elle soutient que ces marchan-
dises n'ont pas été «produites ou fabriquées au
Canada» en dépit du fait qu'elle est réputée être
un fabricant ou un producteur et qu'elle recon-
naît payer la taxe à l'époque où les marchandi-
ses sont livrées à l'acheteur ou à l'époque où la
propriété des marchandises est transmise, en
choisissant celles de ces dates qui est antérieure
à l'autre. Ceci aboutit à cette conclusion que la
loi ne fixe aucune époque à laquelle la taxe doit
être payée sur ces marchandises, ce qui est une
absurdité, et la demanderesse elle-même ne
cherche absolument pas à se soustraire au paie-
ment de la taxe, mais simplement à la voir
calculée sur la valeur à l'acquitté des marchan-
dises au moment de leur importation.
A l'appui de sa thèse suivant laquelle la
rédaction de la loi impose une taxe sur les
marchandises et non à l'importateur, au mar-
chand en gros, au producteur ou au fabricant de
celles-ci, selon le cas, et suivant laquelle la
rédaction de l'article 26(3) n'a pas pour effet de
transformer les marchandises importées en mar-
chandises réputées fabriquées, la demanderesse
compare le libellé des autres paragraphes de
l'article 26 avec celui qui est employé dans
l'article 26(3). Dans l'article 26(2), qui vise une
personne qui a placé un mécanisme d'horloge
ou de montre dans un boîtier, ou qui a serti ou
monté des pierres précieuses sur un article de
bijouterie, la rédaction que l'on emploie est la
suivante:
elle est réputée, aux fins de la présente Partie, avoir manu-
facturé ou produit la montre, l'horloge, la bague, la broche
ou autre article de bijouterie au Canada. (Les italiques sont
de moi.)
La demanderesse soutient qu'il est significatif
que les termes employés dans ce paragraphe,
«réputée avoir manufacturé ou produit» soient
différents de ceux que l'on trouve au paragra-
phe (3) «réputée . le fabricant ou le produc-
teur» et que, par suite, les marchandises que
vise le paragraphe (3) ne sont pas réputées être
des marchandises fabriquées. Il convient toute-
fois de remarquer qu'au paragraphe (4), aux
termes duquel le fabricant ou le producteur de
certains éléments de structures et de bâtiments
est réputé ne pas être un fabricant, la rédaction
employée est «elle est réputée ... ne pas en
être le fabricant ou le producteur», et qu'au
paragraphe (5), qui vise le rechapage de pneus,
la rédaction employée est que cette personne
est «réputée le fabricant ou le producteur des
pneus qu'elle a rechapés». Ces deux paragra-
phes emploient donc la rédaction du paragraphe
(3) et non celle du paragraphe (2). Je ne peux
accorder à la différence qui existe entre la
rédaction employée dans ces divers paragraphes
l'importance que lui accorde la demanderesse.
Quant à la jurisprudence, il est un principe
bien établi suivant lequel, dans une loi fiscale,
l'intention d'imposer une taxe doit être expri-
mée en termes non ambigus et selon lequel, en
cas de doute raisonnable, la loi doit s'interpréter
en faveur du contribuable. C'est ce qu'a fort
bien exprimé le président Thorson dans l'arrêt
Succession Fasken c. M.R.N. [1948] C.T.C. 265
où il a déclaré aux pages 275-276:
[TRADUCTION] On a affirmé à de nombreuses reprises qu'une
loi fiscale telle que la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu
doit s'interpréter restrictivement. Ceci ne veut pas dire que
les règles s'appliquant à l'interprétation d'une telle loi sont
différentes dans leur principe de celles qui s'appliquent aux
autres lois. Ceci veut simplement dire que lorsqu'il inter-
prète une loi fiscale, un tribunal ne doit pas supposer qu'il
existe en vertu de cette loi d'autre obligation fiscale que
celle qu'elle a clairement imposée en termes exprès. Ce
principe fondamental d'interprétation d'une loi de ce genre
n'a jamais été mieux exprimé que par Lord Cairns dans
l'arrêt Partingdon c. Le procureur général (1869), 4 E. & I.
App. 100, à la page 122:
Le principe qui gouverne selon moi l'application de toute
loi fiscale est le suivant: si la personne que l'on cherche à
imposer tombe sous le coup de la lettre de la loi, elle doit
l'être, quelque sévère qu'en puisse être le résultat aux
yeux du magistrat. D'autre part, si la Couronne, qui tente
de recouvrer l'impôt, ne peut démontrer que le contribua-
ble est assujetti à la lettre de la loi, celui-ci est exonéré,
même s'il semble évident que, dans l'esprit de la loi, il
pourrait sembler en être autrement. En d'autres termes, si
l'on peut admettre ce que l'on peut appeler une interpréta-
tion raisonnable de n'importe quelle loi, il est certain
qu'une telle interprétation ne peut être admise lorsqu'il
s'agit d'une loi fiscale, où il faut s'en tenir seulement au
texte de la loi.
et par Lord Halsbury dans l'arrêt Tennant c. Smith, [1892]
A.C. 150, à la page 154:
lorsqu'il s'agit d'une loi fiscale, je pense qu'il n'est pas
possible de présumer que la loi reflète une certaine inten
tion ou qu'elle vise un but particulier, ni de faire plus que
lever l'impôt que prévoit cette loi. Divers arrêts citent ce
principe d'interprétation des lois fiscales de différentes
manières, mais je pense qu'on peut tous les ramener à
celui-ci: dans la mesure où l'on n'a pas le droit de présu-
mer qu'une loi fiscale reflète une intention d'obtenir un
résultat autre que celui qu'elle a exprimé en indiquant tels
ou tels objets dont elle entend faire l'objet de l'imposi-
tion, il faut rechercher si un impôt est expressément
prévu.
Les arrêts qui portent sur des lois fiscales se ramènent
donc tous à la question de savoir si les termes de la loi
permettent d'imposer l'impôt en question.
C'est donc la lettre de la loi et non son esprit présumé ou
supposé qui importe. L'intention du législateur de créer un
impôt doit découler uniquement des termes qu'il a expressé-
ment employés et de rien d'autre.
D'autre part, il existe une jurisprudence abon-
dante portant de manière générale sur l'interpré-
tation des lois, d'après laquelle elles doivent
s'interpréter de manière à leur donner un sens,
les textes législatifs ne devant pas être réduits à
ne rien signifier, et selon laquelle, il faut consi-
dérer l'ensemble de la loi pour interpréter le
sens qu'on doit donner à un article en particu-
lier et même les circonstances dans lesquelles la
loi a été édictée et le tort qu'elle entendait
réparer peuvent être pris en considération. Pour
illustrer ces principes je cite le jugement du
vicomte Simon L.C., dans l'arrêt Nokes c. Don-
caster Amalgamated Collieries Ltd. [1940] A.C.
1014, la p. 1022, où il a dit:
[TRADUCTION] ... s'il faut choisir entre deux interprétations,
dont l'une, la plus étroite, empêcherait le texte législatif
d'atteindre son but évident, il faut éviter une telle interpré-
tation qui rendrait une telle législation illusoire et l'on doit
adopter au contraire une interprétation plus hardie, fondée
sur le fait que le Parlement ne légifère que dans le but
d'obtenir un résultat concret.
Comme Lord Davey l'a déclaré dans l'arrêt
Canada Sugar Refining Co. Ltd. c. La Reine
[1898] A.C. 735, à la p. 741:
[TRADUCTION] Chaque article d'une loi doit s'interpréter en
le rapprochant du contexte et des autres articles de la loi de
sorte que, dans la mesure du possible, l'ensemble de la loi
apparaisse comme un tout logique ....
Une loi, encore plus qu'un contrat, doit s'in-
terpréter ut res magis valeat quam pereat, de
sorte que l'intention du législateur soit respec-
tée et ait un résultat tangible (Curtis c. Stovin
(1889) 22 Q.B.D. 513, le Lord juge Bowen, à la
page 517). (Voir aussi le Lord juge Lindley
dans l'arrêt Le duc de Buccleuch, (1889) 15
P.D. 86, à la page 96, où il a déclaré: [TRADUC-
TION] «Il ne faut pas interpréter une loi du
Parlement de manière à la ramener à une pure
absurdité. Il ne faut pas accorder aux termes
généraux qu'a employés le législateur dans le
cas présent, pas plus que dans tout autre cas, un
sens qui ne permettrait pas d'atteindre son but,
mais engendrerait des conséquences qui, pour
une intelligence normale, sont absurdes. Il faut
lui donner une interprétation conforme au but
poursuivi.»)
En 1898, le juge Lindley, Maître du Rôle, a
dit: [TRADUCTION] «Pour interpréter convena-
blement une loi, il est aussi nécessaire mainte-
nant que lorsque Lord Coke rapportait l'affaire
Hayden, d'examiner l'état du droit avant l'adop-
tion de la loi que l'on doit interpréter, quel était
le mal que le droit précédent ne prévoyait pas et
le remède qu'a apporté la loi pour remédier à
cet état de choses»—Re. Mayfair Property Co.
[1898] 2 Ch. 28, la page 35. Le jugement de
Lord Reid dans l'arrêt Gartside c. I.R.C. [1968]'
A.C. 553, la p. 612, dans lequel il affirmait ce
qui suit, va dans le même sens:
[TRADUCTION] Il est toujours bon d'interpréter un mot ou
une expression ambigus en tenant compte du mal que cette
disposition a manifestement pour but de prévenir et à la
lumière du caractère logique des conséquences qui décou-
lent de l'adoption d'une interprétation déterminée.
Pour terminer, je cite le jugement du Conseil
privé dans l'affaire Salmon c. Duncombe (1886)
11 App. Cas. 627 où il est dit à la page 634:
[TRADUCTION] Il serait cependant très grave de juger que
lorsque le but principal d'une loi est clair, il doit être réduit
à néant par la maladresse ou l'ignorance du rédacteur. Il
peut être nécessaire à un tribunal d'en arriver à une telle
conclusion, mais leurs Seigneuries jugent que rien ne peut le
justifier, si ce n'est la nécessité ou l'impossibilité absolue
d'interpréter différemment les termes employés.
Il est vrai que dans la présente affaire, il
aurait été simple, lors de la rédaction de l'article
26(3), d'ajouter à la fin de cet article les mots
«et lesdites marchandises doivent être réputées
des marchandises fabriquées» ou des mots ana
logues, ce qui aurait évité toute interprétation
fausse de l'intention du législateur. Je ne peux
en conclure, toutefois, que l'intention que visait
cette modification était uniquement d'exiger des
importateurs de produits pétroliers qu'ils se
munissent d'une licence de fabricant et de pro-
ducteur plutôt que d'importateur ou de mar-
chand en gros, afin d'exercer un contrôle plus
étroit sur eux, et non pas d'imposer des mar-
chandises sur leur prix de vente lorsqu'elles
sont livrées ou que la propriété en est transmise
au dernier acheteur, suivant le cas. A l'appui de
cette prétention, la demanderesse a cité un avis
qu'a délivré la division de l'Accise du ministère
du Revenu national le 22 août 1963, intitulé
[TRADUCTION] «Note explicative» et qui portait
le sous-titre [TRADUCTION] «Modification de la
Loi sur la taxe d'accise visant les importateurs
d'essence, d'essence pour avions ou d'huile
diésel». Parlant de cette modification, qui se
trouve être maintenant l'article 26(3) de la loi,
on donne l'explication suivante:
[TRADUCTION] En vertu de la modification précitée, les
importateurs des marchandises en question sont tenus d'ex-
ploiter en vertu d'une licence de taxe de vente de fabricant
lorsque leurs importations atteignent un volume qui est
précisé. Toutes les entreprises qui savent, d'après leur expé-
rience passée, qu'elles importeront pour trois mille dollars
ou plus au cours des douze mois suivant le 14 juin 1963
doivent immédiatement faire une demande de licence de
taxe de vente de fabricant. Lorsqu'elles sont munies d'une
licence de fabricant elles peuvent payer la taxe de vente sur
la valeur autorisée, dont le montant leur est fourni sur
demande. Cette demande doit être adressée au directeur de
la vérification des taxes d'accise, ministère du Revenu
national, Division des douanes et de l'accise, à Ottawa
(Canada).
S'il est vrai que ceci fait uniquement ressortir
la nécessité pour ceux qui étaient jusque là
importateur de se procurer maintenant une
licence de taxe de vente de fabricant et ne fait
aucunement allusion au paiement de la taxe de
vente sur les prix de vente du fabricant et non
sur la valeur à l'acquitté, je ne pense pas que la
demanderesse soit fondée à en déduire que dans
l'opinion du sous-ministre, opinion qui ne lie
d'ailleurs pas la Cour, le seul but recherché en
introduisant cet article dans la loi était d'exiger
des importateurs qu'ils obtiennent une licence
de taxe de vente. Cette explication fait état du
paiement de la taxe de vente sur «la valeur
autorisée», expression qui n'est nulle part défi-
nie dans la loi. Il ressort de la manière dont la
taxe a été imposée dans la présente affaire que,
d'après la politique du ministère, elle doit s'ap-
pliquer au prix de revente du fabricant.
La rédaction malheureuse de l'article 26(3)
est à l'origine de ce conflit qui existe entre les
règles fondamentales d'interprétation des lois et
la jurisprudence contradictoire concernant l'in-
terprétation stricte et littérale des lois fiscales.
Il convient cependant de remarquer, comme l'a
fait le président Thorson dans l'arrêt Succession
Fasken c. M.R.N. (précité) en parlant de l'inter-
prétation stricte des lois fiscales, que:
[TRADUCTION] Ceci ne veut pas dire que les règles s'appli-
quant à l'interprétation d'une telle loi sont différentes dans
leur principe de celles qui s'appliquent aux autres lois.
Je pense que le but évident de la modification,
même s'il n'est peut-être pas exprimé en termes
exprès, était d'imposer les marchandises en
question comme si elles avaient été des mar-
chandises fabriquées. Il serait absurde et con-
traire au but qui est d'après moi celui de la loi
lorsqu'on la lit dans son ensemble de réputer
l'importateur fabricant ou producteur et de l'o-
bliger à avoir une licence en tant que tel mais,
compte tenu du fait que la demanderesse recon-
naît n'effectuer absolument aucune opération
de fabrication, le fait d'imposer toutes les mar-
chandises qu'elle vend ainsi en tant que fabri-
cant réputé sur leur valeur à l'acquitté à titre de
marchandises importées et l'explication subsi-
diaire que donne la demanderesse du but possi
ble de l'article 26(3) ne constituent pas à mon
avis des raisons suffisantes pour justifier l'in-
troduction de cette modification.
La demanderesse est donc déboutée de sa
demande avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.