Geraldine I. Winram et The Royal Trust Com
pany (Appelantes)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Gibson—
Toronto, les 23 et 24 février; Ottawa, le 14 avril
1972.
Impôt sur les biens transmis par décès—Évaluation des
actions d'une compagnie privée—Droits des actionnaires.
Le de cujus et son épouse étaient les seuls actionnaires et
administrateurs d'une compagnie constituée au moyen de
statuts en Colombie-Britannique. Le de cujus détenait 9 des
10 actions classe «A» émises, assorties d'un droit de vote,
et son épouse détenait 1 action classe «A», assortie d'un
droit de vote, et la totalité des 900 actions classe «B»
émises, sans droit de vote. Les actions de la compagnie ne
pouvaient être transférées qu'avec le consentement du con-
seil d'administration et le président (le de cujus) avait un
vote prépondérant en cas d'égalité des voix.
Arrêt: la cotisation d'impôt sur les biens transmis par
décès est confirmée: (1) aux termes des statuts de la compa-
gnie, le de cujus aurait pu transférer ses 9 actions classe
«A», assorties d'un droit de vote, sans le consentement de
son épouse; et (2) immédiatement avant le décès du de
cujus, les surplus de la compagnie auraient pu être distri-
bués, sous forme de dividendes, exclusivement aux déten-
teurs des actions classe «A», sans le consentement de
l'épouse du de cujus.
APPEL en matière d'impôt sur les biens
transmis par décès.
David A. Ward et Peter T. Banwell pour les
appelantes.
Ian Pitfield pour l'intimé.
LE JUGE GIBSON—Le présent appel porte sur
une cotisation relative à l'impôt sur les biens
transmis par décès portant sur neuf actions
ordinaires classe «A», assorties d'un droit de
vote, du capital social de la T. Winram Co. Ltd.,
lesquelles constituent une partie des biens
transmis au décès de feu Théodore James
Winram. La valeur desdites actions a été esti-
mée à la somme globale de $177,972.30. Dans
la déclaration de renseignements déposée en
vertu de la Loi sur les biens transmis par décès,
les exécuteurs testamentaires ont déclaré que la
valeur desdites actions était $1,627.06 (il a été
convenu que cette somme aurait dû être de
$1,780.61).
La T. Winram Co. Ltd., est une compagnie
constituée en vertu des lois de la Colombie-Bri-
tannique, selon des statuts en date du 17 sep-
tembre 1957.
Au moment du décès du de cujus et à toutes
les époques qui nous intéressent, le capital
souscrit de la compagnie se composait de 990
actions classe «B», sans droit de vote, lesquel-
les étaient toutes détenues et possédées par
Geraldine I. Winram, la veuve du défunt, et de
10 actions classe «A», avec droit de vote, dont
une seule était détenue et possédée par Geral-
dine I. Winram, les neuf autres étant détenues
et possédées par le de cujus.
L'objet du présent appel est le montant de
l'évaluation desdites neuf actions aux fins de
l'impôt sur les biens transmis par décès.
Toutes les actions émises de la compagnie
étaient libérées. Le fait que le montant du capi
tal autorisé de la compagnie permettait d'émet-
tre d'autres actions est sans importance aux fins
du présent appel.
Jusqu'au décès du de cujus et à toutes les
époques antérieures qui nous intéressent,
celui-ci et Geraldine I. Winram étaient les seuls
administrateurs de la compagnie et le de cujus
était président de la compagnie et président du
conseil d'administration, Geraldine I. Winram
étant secrétaire de la compagnie.
Jusqu'au décès du de cujus et à toutes les
époques antérieures qui nous intéressent, l'arti-
cle 3 des statuts de la compagnie prévoyait que
nul transfert d'actions ne pourrait être effectué
sans le consentement du conseil d'administra-
tion [TRADUCTION] «qui ... à sa seule et entière
discrétion, peut accepter ou refuser d'enregis-
trer le transfert de toute action»; l'article 6
prévoyait que les détenteurs d'actions sans droit
de vote n'avaient pas le droit de voter; l'article
17 modifié portait qu'en cas d'égalité des voix,
le président avait une seconde voix ou voix
prépondérante; l'article 18 stipulait que [TRA-
DUCTION] «lorsque le conseil d'administration
étudie un contrat ou une convention dans lequel
ou laquelle un administrateur a un intérêt, la
présence de ce dernier peut être comptée aux
fins du quorum mais il doit s'abstenir de voter»;
l'article 20 énonce que des dividendes peuvent
être déclarés par voie de résolution ordinaire et
que [TRADUCTION] «les dividendes ainsi décla-
rés peuvent être égaux pour chaque classe d'ac-
tions ou être différents et des dividendes peu-
vent être déclarés pour une classe d'actions
sans l'être pour une autre».
Les parties ont convenu de soumettre à la
Cour les questions suivantes:
a) En droit, le de cujus aurait-il pu transférer les 9 actions
classe «A» assorties d'un droit de vote sans le consente-
ment de Geraldine Winram?
b) La totalité des surplus de la compagnie auraient-ils pu,
immédiatement avant le décès du de cujus, être versés à
titre de dividendes aux détenteurs des actions classe «A»,
à l'exclusion des détenteurs des actions classe «B», sans
le consentement de Geraldine Winram?
Si la réponse à ces deux questions est affir
mative, la cotisation à l'impôt sur les biens
transmis par décès doit être maintenue.
Par contre, si la réponse à l'une ou l'autre de
ces questions est négative, il y aura lieu d'ac-
cueillir l'appel en partie et la cotisation devra
être renvoyée au Ministre pour nouvel examen
et nouvelle cotisation, en partant du principe
que la valeur globale des neuf actions classe
«A» avec droit de vote était $1,780.61.
Il s'agit donc de savoir ce que les administra-
teurs auraient pu faire, en droit et in equity.
Par conséquent, il faut examiner les devoirs
et les obligations des administrateurs des com-
pagnies, en droit et in equity.
M. Wegenast, dans son ouvrage intitulé The
Law of Canadian Companies 1931, indique aux
pages 364 365 que [TRADUCTION] «La façon
la plus simple de décrire d'une manière exacte
la fonction d'administrateur est de dire qu'elle
est une fonction fiduciaire, c'est-à-dire une
fonction basée sur la confiance, eu égard aux
objets pour lesquels les administrateurs sont
nommés et eu égard aux dispositions légales en
vertu desquelles ils sont nommés.» Dans l'ou-
vrage de R. E. Megarry et P. V. Baker, intitulé
Snell's Principles of Equity, 26e éd., il est écrit,
aux pages 262-263, que [TRADUCTION] «bien
que la fonction des administrateurs d'une com-
pagnie soit d'ordre fiduciaire, ils ne sont pas les
fiduciaires des actionnaires considérés indivi-
duellement, ...».
Dans l'affaire Securities and Exchange Com
mission c. Chenery Corporation 318 U.S. 80
aux pp. 85-86, le juge Frankfurter a déclaré:
[TRADUCTION] ... dire qu'une personne est un fiduciaire ne
constitue que le début de l'analyse et fournit des indications
permettant de la pousser plus loin. Par rapport à qui est-il
fiduciaire? Quelles sont ses obligations? A quel point de vue
a-t-il omis de s'acquitter de ses obligations?
L'opportunité de définir ainsi la fonction
d'administrateur découle du fait que dans les
affaires portant sur des relations fiduciaires,
une cour in equity peut déclarer qu'une fiducie
par détermination de la loi existe.
Dans les relations qui existent entre un admi-
nistrateur et un actionnaire, toutefois, le fait
que l'un et l'autre possèdent des actions dans
une compagnie ne doit pas être confondu avec
une obligation et les relations qui existent entre
un administrateur et un actionnaire ne doivent
pas être interprétées comme des relations entre
un fiduciaire et le bénéficiaire, à moins que les
faits particuliers d'une affaire ne justifient une
telle déduction.
En droit corporatif, il faut apporter à la
notion de fiducie au sens strict, par exemple, la
notion de fiduciaire et de bénéficiaire, les rajus-
tements d'ordre conceptuel qui s'imposent. Ces
rajustements sont rendus nécessaires en raison
du fait que la distinction entre la notion de
fiducie au sens strict (par exemple, les relations
de fiduciaire à bénéficiaire) et la notion d'admi-
nistrateur fiduciaire est très réelle. Un adminis-
trateur-actionnaire, même s'il est actionnaire
majoritaire, est, du fait qu'il est actionnaire,
bénéficiaire autant que fiduciaire de la compa-
gnie fiduciaire, alors qu'un fiduciaire au sens
strict n'est pas, classiquement, un bénéficiaire
des biens qu'il administre en fiducie. Plus exac-
tement, les relations qui existent entre les divers
actionnaires d'une compagnie sont essentielle-
ment celles de co-investisseurs dans une entre-
prise commerciale. Les relations sont d'une
nature commerciale authentique et elles sont
axées sur les bénéfices; elles sont libres des
fiducies par détermination de la loi qui caracté-
risent les relations de fiduciaire à bénéficiaire
au sens strict.
Dans l'affaire en cause, si une réunion du
conseil d'administration a été dûment convo-
guée, même si, d'après les statuts, il n'y avait
que deux administrateurs, la présence des deux
étant requise pour qu'il y ait le quorum et l'un
des deux administrateurs étant Geraldine I.
Winram et l'autre étant le de cujus, Geraldine I.
Winram ne pouvait pas refuser délibérément
d'assister `à la réunion pour empêcher le de
cujus de transférer les neuf actions classe «A»
avec droit de vote dont il était le propriétaire
inscrit. (In re Copal Varnish Co. [1917] 2 Ch.
349, appliqué dans Hofer c. Hofer (1968) 65
D.L.R. (2d) 607 (Man. C.A.) par le juge
Freedman.)
Si Geraldine I. Winram a assisté à cette réu-
nion, dûment convoquée, du conseil d'adminis-
tration, comme dans ce cas, le de cujus avait, en
sa qualité de président, une seconde voix ou
voix prépondérante, il pouvait obtenir l'autori-
sation de transférer légalement lesdites actions.'
(Companies Act, (loi sur les compagnies)
R.S.B.C. 1960, c. 67, art. 170.) L'article 3 des
statuts donnait au de cujus le droit d'obliger la
compagnie à enregistrer le transfert des actions.
En pareil cas (c'est-à-dire le cas où Geraldine
I. Winram a refusé d'assister à une réunion
dûment convoquée du conseil d'administration
ou le cas où elle y a assisté) le de cujus pouvait
faire en sorte que le conseil d'administration
déclare un dividende que la compagnie verserait
à concurrence des neuf dixièmes de tous les
surplus audit de cujus en sa qualité de proprié-
taire de neuf actions classe «A» avec droit de
vote, et d'un dixième seulement à Geraldine I.
Winram, propriétaire d'une action classe «A»
avec droit de vote, à l'exclusion du détenteur
(Geraldine I. Winram) des actions classe «B»
sans droit de vote. La déclaration d'un tel divi-
dende par le de cujus n'aurait pas constitué un
exercice abusif de ce droit par rapport aux
détenteurs des actions classe «B». Une certaine
jurisprudence a décidé que la Cour doit interve-
nir pour protéger les droits des actionnaires
minoritaires lorsque la majorité des actionnaires
d'une compagnie essaie de s'enrichir aux
dépens des actionnaires minoritaires, mais elle
n'est pas applicable ici parce qu'elle porte sur
des cas dans lesquels les actionnaires majoritai-
res et minoritaires détenaient des actions d'une
même classe.
L'article 20 (tableau A, clause 78 modifiée
par l'article 20) des statuts prévoit expressé-
ment que:
[TRADUCTION] La compagnie peut déclarer des dividendes
par voie de résolution ordinaire, avec ou sans préavis, mais
nul dividende ne peut dépasser le montant proposé par les
administrateurs. Les dividendes ainsi déclarés peuvent être
les mêmes pour chaque classe d'actions ou être différents et
des dividendes peuvent être déclarés pour une classe d'ac-
tions sans l'être pour une autre.
Le de cujus, en qualité d'administrateur de la
compagnie, en déclarant un tel dividende, ne
manquerait pas aux obligations qui découlent
des fonctions fiduciaires attachées à son poste
d'administrateur. En le faisant, il agirait en sa
qualité d'actionnaire, de bénéficiaire de la com-
pagnie fiduciaire et non en qualité de fiduciaire
de la compagnie fiduciaire et par conséquent, il
serait libre de toute fiducie par détermination de
la loi.
De plus, les droits des détenteurs d'actions
classe «B» sont limités par les dispositions
applicables à ses actions des statuts de la com-
pagnie. Ces détenteurs d'actions classe «B»
n'ont aucun droit absolu à une partie quelcon-
que des dividendes, ni en vertu des statuts, ni in
equity, ni en droit (et notamment pas en vertu
du Companies Act, R.S.B.C. 1960, c. 67).
En outre, la déclaration en bonne et due
forme de tous dividendes exclusivement sur les
actions classe «A» avec droit de vote, à une
réunion dûment convoquée des administrateurs
de la compagnie, ne constitue pas un exercice
abusif des droits des détenteurs majoritaires
d'actions classe «A» par rapport aux droits des
détenteurs minoritaires des actions classe «A».
(Dimbula Valley (Ceylon) Tea Co. c. Laurie
[1961] 1 Ch. 353.)
L'appel est rejeté avec dépens.
I Avant ladite réunion du conseil d'administration, le de
cujus pouvait transférer in equity les intérêts qu'il possédait
dans lesdites actions avant d'en obtenir le transfert légal,
même si les statuts de cette compagnie privée contenaient
une restriction au transfert des actions et même s'ils stipu-
laient que la compagnie ne reconnaîtrait que le propriétaire
inscrit des actions. Voir le jugement du juge Eve dans
l'affaire In re Copal Varnish Co. (précitée) aux pages
353-354.
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