Robert Maxwell Lingley (Demandeur)
c.
H. W. Hickman (Défendeur)
Division de première instance, le juge Heald —
St-Jean (Nouveau-Brunswick) le 11 janvier;
Ottawa le 9 février 1972.
Examen judiciaire—Compétence—Procédure—Jugement
déclaratoire—Aliéné placé sous garde par ordonnance du
lieutenant-gouverneur par suite d'un procès pour meurtre—
Commission d'examen nommée par le lieutenant-gouverneur
conformément au Code criminel—Décision portant que le
prisonnier n'est pas «rétabli» au sens du Code criminel, art.
547(5)d)—Qui, de la Division de première instance ou de la
Cour d'appel, peut examiner la décision—Est-ce que la
commission d'examen est un «office, commission ou tribu
nal fédéral»—Conseil judiciaire ou représentant ad litem—
Procédure du Nouveau-Brunswick concernant les aliénés—
Action irrégulièrement instituée—Soulève des questions de
fond—Rejet de la requête visant à rejeter l'action du deman-
deur—Loi sur la Cour fédérale, art. 2g), 18, 28—Règle 1700
de la Cour fédérale.
Par suite d'un procès pour meurtre qui a eu lieu au
Nouveau-Brunswick, le demandeur fut jugé non coupable
pour cause d'aliénation mentale et, sur ordonnance du lieu-
tenant-gouverneur en conseil, fut placé sous garde confor-
mément au Code criminel (art. 543 et 545). Le 4 décembre
1970, une commission nommée par le lieutenant-gouverneur
réexamina son cas conformément à l'art. 547 du Code
criminel. Dans son rapport du 7 décembre 1970, la commis
sion déclara que le demandeur n'était pas rétabli au sens de
l'art. 547. De son propre chef, le demandeur institua une
action visant à obtenir un jugement déclaratoire contre le
président de la commission. Le défendeur présenta une
requête demandant que l'action soit rejetée pour plusieurs
motifs.
Arrêt: rejet de la requête-
1. En application de son pouvoir d'accorder un jugement
déclaratoire en vertu de l'art. 18, la Division de première
instance de cette Cour est compétente pour examiner l'in-
terprétation que donne la commission d'examen du mot
«rétabli» de l'art. 547(5)d) du Code criminel. Arrêts men-
tionnés: Barnard c. National Dock Labour Board [1953] 2
Q.B. 18; Pyx Granite Co. c. Ministry of Housing & Local
Gov't [1958] 1 Q.B. 554.
2. La commission d'examen nommée par le lieutenant-
gouverneur conformément à l'art. 547 du Code criminel
était un «office, commission ou tribunal fédéral» au sens de
l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale et non pas un
«organisme constitué ou établi par une loi d'une province ou
sous le régime d'une telle loi» au sens de l'art. 2g).
3. Bien qu'il soit possible que l'action ait été irrégulière-
ment instituée et qu'il faille modifier la déclaration, l'action
a soulevé des problèmes de fond et ne doit donc pas être
radiée. Arrêts mentionnés: Joyce c. Le proc. gén. de l'Ont.
[1957] O.W.N. 146; Gilbert c. Horner [1960] O.W.N. 289.
4. Aucune preuve n'a été soumise à la Cour portant que
le demandeur était un «aliéné, un faible d'esprit ou une
personne n'ayant pas pleine capacité» au sens de la Règle
1700 de la Cour fédérale, de sorte qu'il faille, pour intenter
l'action, l'intervention d'un conseil judiciaire ou d'un repré-
sentant ad litem conformément à la procédure de la Cour
suprême du Nouveau-Brunswick (Order 16, Rule 17) qui,
dans un tel cas, est applicable par suite de la Règle 1700 de
la Cour fédérale.
5. Puisque le rapport de la commission d'examen fut
déposé avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la' Cour
fédérale le 1" juin 1971, la Cour d'appel fédérale n'est pas
compétente en la matière en vertu de l'art. 28. Par contre, la
Division de première instance a compétence en vertu de
l'art. 18.
REQUÊTE.
David C. R. Olmstead pour le demandeur.
John E. Warner pour le défendeur.
S. F. Sommerfeld, c.r. pour le sous-procureur
général du Canada.
LE JUGE HEALD—La demande en l'espèce,
introduite par avis de requête, fut présentée au
nom du défendeur dans le but d'obtenir une
ordonnance rejetant l'action du demandeur
contre le défendeur.
Les faits ne sont pas contestés. Le 15 avril
1963, le demandeur fut inculpé d'un meurtre à
St-Jean (Nouveau-Brunswick). Au procès, il fut
jugé non coupable pour cause d'aliénation men-
tale. Conformément aux dispositions des arti
cles 523 (l'actuel article 542) et 526 (l'actuel
article 545) du Code criminel et sur ordonnance
du lieutenant-gouverneur en conseil de la pro
vince du Nouveau-Brunswick en date du 22
avril 1963, le demandeur fut placé sous garde et
il l'est encore, conformément aux dispositions
de ladite ordonnance. Le demandeur se trouve
actuellement à l'Hôpital provincial de St-Jean.
Ce qui constitue l'actuel article 547 du Code
criminel fut promulgué par les Statuts du
Canada 1968-69, pour assurer l'examen des
internements dans ces circonstances.
Voici les extraits pertinents de l'article 547:
547. (1) Le lieutenant-gouverneur d'une province peut
nommer une commission pour examiner le cas de chaque
personne qui est sous garde dans un lieu de ladite province
en vertu d'une ordonnance rendue en conformité de l'article
545 ....
(2) La commission mentionnée au paragraphe (1) doit
comprendre au moins trois et au plus cinq membres.
(3) Au moins deux membres de la commission doivent
être des psychiatres dûment qualifiés et autorisés à exercer
la médecine en conformité des lois de la province pour
laquelle la commission est nommée et un membre au moins
de la commission doit appartenir au barreau de la province.
(4) Trois membres de la commission d'examen, dont au
moins un psychiatre visé au paragraphe (3) et un membre du
barreau de la province, constituent un quorum de la
commission.
(5) La commission doit examiner le cas de chaque per-
sonne mentionnée au paragraphe (1),
a) au plus tard six mois après qu'a été rendue l'ordon-
nance visée dans ce paragraphe relativement à cette per-
sonne, et
b) au moins une fois au cours de chaque période de six
mois qui suit la date où le cas a été antérieurement
examiné, aussi longtemps que cette personne reste sous
garde en vertu de l'ordonnance,
et la commission doit, immédiatement après chaque
examen, faire un rapport au lieutenant-gouverneur énonçant
en détail les résultats de cet examen et indiquant,
d) lorsque la personne sous garde a été trouvée non
coupable, pour cause d'aliénation mentale, si, de l'avis de
la commission, cette personne est rétablie et, dans l'affir-
mative, si à son avis, il est dans l'intérêt du public et dans
l'intérêt de cette personne que le lieutenant-gouverneur
ordonne qu'elle soit libérée absolument ou sous réserve
des conditions que le lieutenant-gouverneur peut
prescrire,
Conformément aux dispositions dudit article,
le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Bruns-
wick nomma une telle commission d'examen.
Suivant les exigences de cet article, le cas du
demandeur fut examiné en mai 1970, puis le 30
octobre 1970. Par suite d'une demande spéciale
de ce dernier, la commission reconsidéra son
cas le 4 décembre 1970. Sous l'autorité de son
président, le défendeur en l'espèce, la commis
sion d'examen soumit son rapport au lieutenant-
gouverneur du Nouveau-Brunswick à la date du
7 décembre 1970. Le rapport précise tout d'a-
bord que quatre membres de la commission
étaient présents à l'examen et ensuite: [TRADUC-
TION] «A l'unanimité, nous estimons qu'il n'y a
eu aucun changement dans l'état de cet homme
et qu'il n'est pas rétabli au sens de l'article 527A
du Code criminel.»
Je me dois d'expliquer qu'il est fait mention
de l'article 527A parce qu'actuellement, c'est
cet article qui porte le numéro 547. La rédac-
tion desdits articles est identique.
Le demandeur intenta cette action pour con-
tester l'examen du 4 décembre 1970 et le rap
port subséquent de la commission au lieutenant-
gouverneur en date du 7 décembre 1970. Par sa
requête, le demandeur cherche à obtenir les
réparations suivantes:
[TRADUCTION] (1) «Un jugement déclaratoire contre la
décision de la commission d'examen et toute décision que la
Cour jugera bon de substituer à la décision de la commis
sion pour assurer la justice.»
(2) «Que cette honorable Cour établisse les règles de
libération conditionnelle qu'elle jugera conforme aux exi-
gences de libération énoncées à l'article 547, paragraphe
(5)D).»
(3) «Que cette honorable Cour émette un bref de manda-
mus contre M. Hickman, en sa qualité de président de la
commission d'examen du Nouveau-Brunswick (Article 547
du Code criminel du Canada) lui enjoignant d'appliquer la
décision judiciaire rendue par cette honorable Cour en vertu
de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.»
A l'audition de la requête qui m'est présentée,
M. Olmstead, avocat nommé comme amicus
curiae par le procureur général du Canada pour
représenter le demandeur, admit que ce dernier
n'avait pas droit à la réparation qu'il demandait
dans sa requête. Toutefois, il prétendit au nom
du demandeur que ce dernier avait droit de faire
déclarer par la Cour que la commission d'exa-
men avait mal interprété le mot «rétabli» de
l'article 547(5)d) du Code criminel. En effet, à
l'instruction de cette cause, si l'on en autorise la
poursuite, le demandeur demandera à la Cour
de donner des directives à la commission d'exa-
men portant que le mot «rétabli» de l'article 547
doit être limité à la définition de l'aliénation
mentale de l'article 16 du Code criminel et se
rattacher seulement à cette dernière. M. Olms-
tead déclara que le demandeur veut obtenir un
jugement déclaratoire [TRADUCTION] «pour
guider la commission».
Pour faire un examen valable des questions
soulevées par cette requête, il est nécessaire
d'étudier la nature de la commission d'examen
établie par l'article 547 du Code criminel et la
situation historique antérieure à l'adoption de ce
dernier.
Le juge Ruttan de la Cour suprême de la
Colombie-Britannique exposa succinctement la
situation dans une affaire de ce genre, Ex parte
Kleinys [1965] 3 C.C.C. 102. Dans cette affaire,
il a été jugé que le Parlement du Canada, dans
l'exercice de ses pouvoirs relatifs à une pour-
suite au criminel impliquant une personne qui,
par la suite, est déclarée aliénée, peut valable-
ment, comme il l'a fait dans le Code criminel,
article 523 (542 actuel) et article 526 (545
actuel), conférer à un magistrat ou à un juge le
pouvoir d'ordonner la détention de l'accusé
dans une prison provinciale à la discrétion du
lieutenant-gouverneur de la province, qui a le
pouvoir de rendre une ordonnance pour la
bonne garde de l'accusé. Le Parlement peut
déléguer cette responsabilité au lieutenant-gou-
verneur qui agit dans ce cas en qualité de repré-
sentant du Gouvernement fédéral dans un
domaine où ce dernier a le pouvoir inhérent de
décider de l'opportunité de relâcher un accusé
condamné à la détention préventive.
L'adoption de l'article 527A, devenu l'actuel
article 547, permit à chaque province de créer
une commission pour examiner les cas de toutes
les personnes détenues dans des circonstances
semblables à celles de M. Lingléy, ainsi que
ceux d'une catégorie plus générale qui n'a pas
d'application en l'espèce. L'article prévoit en
outre le nombre de membres de cette commis
sion, donne des directives quant à sa composi
tion, son quorum, etc., et précise ensuite que la
commission doit examiner tous les six mois le
cas de chaque personne appartenant aux catégo-
ries visées.
Ensuite, l'article décrit en détail certaines
particularités du fonctionnement de la commis
sion d'examen. La commission doit, immédiate-
ment après chaque examen, faire un rapport au
lieutenant-gouverneur énonçant en détail les
résultats de cet examen et indiquant si, de l'avis
de la commission, cette personne est rétablie et,
dans l'affirmative, si à son avis il est dans
l'intérêt du public et dans celui de cette per-
sonne que le lieutenant-gouverneur ordonne
qu'elle soit totalement libérée ou seulement
sous réserve des conditions que ce dernier peut
prescrire.
En l'espèce, personne ne suggère que la com
position de la commission n'est pas conforme à
l'article 547, ni que l'examen n'a pas eu lieu
comme prescrit, ni que le rapport requis n'a pas
été transmis au lieutenant-gouverneur.
Si la Division de première instance est com-
pétente pour traiter d'une question de ce genre,
ce ne peut être qu'en vertu de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale que voici:
18. La Division de première instance a compétence
exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un
bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de
quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire,
contre tout office, toute commission ou tout autre tribu
nal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement
de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment
toute procédure engagée contre le procureur général du
Canada aux fins d'obtenir le redressement 'contre un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral.
Le premier argument de l'avocat du défen-
deur contre la compétence de cette Cour porte
que les fonctions de la commission d'examen
sont administratives plutôt que judiciaires ou
quasi judiciaires. L'avocat soutient que la com
mission n'a que des fonctions d'information et
d'enquête, qu'elle n'a pas le pouvoir de fixer les
droits d'une personne dans la situation de M.
Lingley, que la décision de relâcher M. Lingley
ou de le garder en détention appartient au lieu-
tenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, que
le rapport de la commission qui doit suivre
l'examen de cette dernière n'est qu'un docu
ment remis au lieutenant-gouverneur pour l'ai-
der à prendre une décision. L'avocat s'appuie
sur la jurisprudence portant que les fonctions
d'enquête ne sont pas soumises aux règles de la
justice naturelle. Viennent à l'appui de cette
opinion un arrêt anglais faisant jurisprudence,
R. c. Statutory Visitors à l'hôpital St. Lawrence
[1953] 2 All E.R. 766 et, dans le même sens,
deux arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario, R.
c. Ontario Labour Relations Board 57 D.L.R.
(2 e ) 521 et La Reine c. Bureau des gouverneurs
de la radiodiffusion 33 D.L.R. (2 e ) 449.
En l'espèce, nous sommes en présence d'une
commission d'enquête qui ne décide pas mais
qui présente un rapport à une autre personne
qui décide. Au cours de l'examen et dans le
rapport, la commission doit interpréter le mot
«rétabli». Si le rapport de la commission se
fonde sur ce qui peut être une mauvaise inter-
prétation de la Loi et si les mesures consécuti-
ves au rapport privent une personne de ses
droits ou de sa liberté, il me semble qu'elle
devrait avoir le droit élémentaire d'obtenir une
décision portant sur le droit sur lequel le rap
port se fonde, avant que la mesure administra
tive n'enfreigne ou ne détruise irrémédiable-
ment ses droits ou sa liberté.
Dans ces circonstances, la commission d'exa-
men a été créée pour aider le lieutenant-gouver-
neur à prendre une décision appropriée. La Loi
prévoit qu'au moins deux membres de la com
mission doivent être des psychiatres dûment
qualifiés et qu'au moins un membre de la com
mission doit être un avocat dûment qualifié. A
mon avis, on est en droit de supposer que le
lieutenant-gouverneur, agissant avec prudence
et sagesse, accorde beaucoup de valeur à l'opi-
nion motivée d'une commission de ce genre,
celle-ci étant bien appuyée par un personnel
très au fait des questions soulevées dans les
affaires de cette sorte. Si mes hypothèses sont
fondées, il est alors certain que les délibérations
et conclusions d'une telle commission sont très
importantes pour la personne en cause, dont la
liberté peut être en jeu. Dans ces circonstances,
il est certainement vital qu'une commission de
cette sorte observe les principes de la justice
naturelle.
Si une telle commission n'observe pas les
principes de la justice naturelle et si, en se
fondant sur des principes erronés, elle présente
un rapport erroné au lieutenant-gouverneur, une
telle injustice pourra-t-elle jamais être corrigée
par la suite? Je ne le pense pas, étant donné que
le moment critique de l'ensemble de la procé-
dure se situe probablement à l'étape de la com
mission d'examen.
Il peut être presque inutile que la Cour exerce
son contrôle sur les procédures ultérieures qui
conduisent à la décision si on permet à un
rapport inexact fondé sur des principes inexacts
d'influencer fortement l'organisme qui prend la
décision.
En d'autres termes, le rapport et les recom-
mandations de la commission d'examen au lieu-
tenant-gouverneur déclenchent une série d'évé-
nements conduisant à la détermination de droits
relatifs à la liberté de la personne en question.
En me fondant sur la jurisprudence, je pense
qu'il est juste de dire qu'au mieux, il est dou-
teux qu'un certiorari ou tout autre bref de pré-
rogative soit recevable dans ces circonstances,
Toutefois, cette Cour est aussi compétente en
vertu de l'article 18 pour rendre un jugement
déclaratoire et, à mon avis, le doute et l'incerti-
tude qui entourent les brefs de prérogative ne se
reflètent absolument pas sur la compétence de
cette Cour pour rendre un jugement déclara-
toire en l'espèce.
Le professeur I. Zamir, dans son manuel de
1962 intitulé The Declaratory Judgment, déclare
à la page 119:
[TRADUCTION] En tant que moyen de contrôle, le jugement
déclaratoire s'applique à la fois aux organismes statutaires
et aux autres; on peut l'utiliser aussi bien contre la Cou-
ronne que contre les autres autorités; et il s'applique de la
même façon aux actes législatifs, judiciaires et administra-
tifs. Aucun autre moyen de contrôle n'est aussi général. En
particulier, le domaine des brefs de prérogative est limité
par des principes et des problèmes techniques qui sont
reliés à l'histoire, leurs buts au départ ayant été fort diffé-
rents de leurs buts actuels. Par contre, le jugement déclara-
toire de droit, étant un recours relativement récent, n'est
pas entravé par des règles semblables.
On trouve à l'appui de ce point de vue l'ex-
posé du juge Lord Denning, dans l'arrêt Bar-
nard c. National Dock Labour Board [1953] 2
Q.B. 18 la p. 41 où il déclarait:
[TRADUCTION] Il est évident que, lorsqu'un tribunal créé
par une loi rend la justice, il doit agir selon le droit. C'est
l'intention claire du Parlement. Si le tribunal n'observe pas
le droit, que peut-on faire? Le recours au certiorari est très
difficile d'accès et risque d'être inutilisable. Pourquoi la
Cour n'interviendrait-elle pas alors au moyen d'un jugement
déclaratoire et d'une injonction? Si elle ne peut pas interve-
nir ainsi, cela voudrait dire que le tribunal pourrait ignorer
le droit, chose que personne ne peut faire dans ce pays.
Le juge Lord Denning exprimait un point de
vue semblable dans l'arrêt Pyx Granite Co. c.
Ministry of Housing and Local Government
[1958] 1 Q.B. 554à la p. 571 lorsqu'il disait:
[TRADUCTION] L'un des défauts du certiorari est que trop
souvent il implique qu'on doive distinguer les actes judiciai-
res des actes administratifs, ce que personne n'a été capable
de .faire de manière satisfaisante. Le recours au jugement
déclaratoire ne soulève pas de difficulté semblable; en effet,
il est suffisamment général pour parer à ce défaut ... Il
s'applique aux actes administratifs comme aux actes judi-
ciaires chaque fois que leur validité est contestée en raison
d'un déni de justice ou pour toute autre raison valable.
Un autre arrêt anglais, Worthington Corp. c.
Southern Rly. [1942] Ch. 178, est particulière-
ment intéressant en l'espèce parce qu'il décidait
qu'un jugement déclaratoire peut être utile spé-
cialement quand la solution de la question en
litige dépend de l'interprétation de dispositions
législatives.
En l'espèce, le demandeur s'adressera à la
Cour pour qu'elle définisse à l'audience le mot
«rétabli», dans le contexte de l'article 547(5)d)
du Code criminel. La présente requête ne m'o-
blige pas à décider si l'interprétation avancée
par le demandeur est correcte ou si l'interpréta-
tion plus générale présentée par le défendeur
est la bonne. Tout ce qu'on me demande de
faire en l'espèce c'est de décider si la Cour est
compétente pour connaître de cette question et
de me prononcer en conséquence au moyen
d'un jugement déclaratoire. Pour les motifs sus-
mentionnés, je suis d'avis que la Cour a en fait
cette compétence.
Le deuxième argument du défendeur à l'en-
contre de la compétence de cette Cour est que
l'article 18 la restreint à «tout office, toute
commission ou tout autre tribunal fédéral» et
que, d'après la définition de ces termes énoncée
à l'article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, la
commission d'examen du Nouveau-Brunswick
en l'espèce n'est pas un office fédéral selon la
définition de l'article 2g).
L'article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale est
rédigé de la manière suivante:
2. Dans la présente loi,
g) «office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne
un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exer-
çant ou prétendant exercer une compétence ou des pou-
voirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou
sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes
de ce genre constitués ou établis par une loi d'une pro
vince ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des
personnes nommées en vertu ou en conformité du droit
d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867;
Le défendeur déclare que, s'il s'agit d'un
office fédéral, la commission tombe dans le
cadre de l'exclusion prévue à l'article 2g): «à
l'exclusion des organismes de ce genre consti-
tués ou établis par une loi d'une province ou
sous le régime d'une telle loi ainsi que des
personnes nommées en vertu ou en conformité
du droit d'une province ...».
Le défendeur prétend que cette commission
du Nouveau-Brunswick est en réalité établie en
vertu d'une ordonnance du gouvernement du
Nouveau-Brunswick et que les membres de la
commission sont nommés par une ordonnance
en conseil du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire
[TRADUCTION] «une loi du Nouveau-Bruns-
wick». Elle entrerait ainsi dans le cadre de
l'exception indiquée ci-dessus.
Je ne peux pas accepter cette prétention. On
trouve l'ordonnance nommant la commission
dans The Royal Gazette du Nouveau-Bruns-
wick, du 11 mars 1970; elle est rédigée ainsi:
[TRADUCTION] Conformément à l'article 527A du Code
criminel, le lieutenant-gouverneur en conseil nomme les
personnes suivantes membres de la commission d'examen:
a) M. H. W. Hickman, président;
b) M. A. J. Losier;
c) Dr J. C. Thériault;
d) Dr J. E. McLean; et
e) Dr Raymond Boulay.
En outre, le rapport de la commission au
lieutenant-gouverneur, en date du 7 décembre
1970, débute de la façon suivante:
[TRADUCTION] Monsieur,
J'ai l'honneur de vous présenter le rapport suivant de la
commission d'examen nommée aux termes de l'article
527A du Code criminel du Canada.
Le rapport est signé parle défendeur, M. Hick-
man, qui se présente lui-même de la manière
suivante: [TRADUCTION] «Président de la com
mission d'examen, article 527A, Code criminel
du Canada.»
Il semble donc que dès le début le gouverne-
ment du Nouveau-Brunswick et plus tard le
président de la commission ont considéré cel-
le-ci comme émanant d'une loi fédérale et non
pas provinciale, savoir le Code criminel du
Canada.
Le pouvoir de nommer la commission d'exa-
men découle d'une loi fédérale et non pas d'une
loi du Nouveau-Brunswick. L'avocat n'a pas pu
citer de loi du Nouveau-Brunswick autorisant le
lieutenant-gouverneur en conseil de cette pro
vince à nommer une telle commission. J'estime
que l'exception de l'article 2g) viserait, dans un
cas de cette espèce, une loi du Nouveau-Bruns-
wick autorisant la création d'une telle commis
sion. Or, à toutes les époques en cause, il n'e-
xistait pas de telle loi au Nouveau-Brunswick.
Je ne pense pas que l'ordonnance du Nou-
veau-Brunswick obéisse à la définition utilisée
pour l'exception à l'article 2g) parce que l'or-
donnance tire nettement son pouvoir d'une loi
fédérale et qu'elle le déclare dans le corps
même de son texte.
Je juge donc qu'en l'espèce, la commission
d'examen relève de la compétence de cette
Cour en vertu des articles 18 et 2g) de la Loi
sur la Cour fédérale.
Le défendeur avance un autre argument
contre l'action du demandeur: selon lui, la
déclaration est tellement entachée d'irrégulari-
tés et de vices qu'elle en est nulle, que la Cour
devrait la radier et que, peut-être, le demandeur
devrait reprendre toute • la procédure avec les
parties et plaidoiries appropriées.
Dans l'affaire présente, c'est seulement très
peu de jours avant l'audience de cette requête
que le demandeur, un profane, fut représenté
par un avocat. Le demandeur prépara lui-même
sa déclaration et fit de son mieux en se fondant
sur sa connaissance limitée du droit. Par suite
d'une ordonnance du juge en chef adjoint de
cette Cour, un amicus curiae fut nommé pour
représenter le demandeur à l'audience de la
requête tenue devant moi. L' amicus curiae, M.
Olmstead, n'eut que peu de temps pour se
mettre au courant des questions assez comple
xes que comportait cette action. Il reconnut
facilement que l'action n'aurait pas dû être
intentée contre M. Hickman personnellement et
qu'il fallait modifier la demande ainsi que l'en-
semble de la déclaration. Toutefois, la Cour
refuse de radier une déclaration qui soulève des
problèmes de fond. (Voir Joyce et autres c. Le
procureur général de l'Ontario [1957] O.W.N.
146). La Cour refuse aussi de radier une décla-
ration qui, à ce stade du procès, ne lui permet
pas de conclure que le demandeur ne pourrait
obtenir gain de cause et que, sans aucun doute
possible, aucune cause raisonnable d'action n'a
été démontrée. (Voir Gilbert Surgical Supply
Co. c. F. W. Homer Ltd. [1960] O.W.N. 289).
En l'espèce, le défendeur n'a pas encore
répondu à la déclaration. En vertu de la Règle
421 de la Cour fédérale, le demandeur peut,
même sans permission, amender sa déclaration
à tout moment avant que le défendeur ne
dépose sa défense. Dans cette action, le deman-
deur a soulevé des questions de fond que la
Cour devra trancher au procès. Il est convenu
que le demandeur devra amender ses plaidoiries
de manière importante et probablement ajouter
des parties à son action. Or, il peut le faire dans
le cadre des Règles de cette Cour. En admettant
qu'il agisse dans le cadre des Règles, ainsi que
M. Olmstead a indiqué qu'il en avait l'intention,
je ne peux conclure qu'il lui est réellement
impossible d'avoir gain de cause.
Étant donné toutes les circonstances de cette
espèce, j'ai trop de réserves à faire pour
accueillir la requête du défendeur pour ce motif.
Le paragraphe 4 de l'avis de requête contient
un autre argument du défendeur, qui se lit
comme suit:
[TRADUCTION] 4. L'action n'a pas été correctement enga
gée par le demandeur, un incapable, sans «conseil judi-
ciaire» ni représentant ad litem (Ordonnance 16, Règle 17,
New Brunswick Rules of Court; Règle 1700, Règles de la
Cour fédérale du Canada).
Le défendeur se rapporte à la Règle 1700 de
la Cour fédérale qui précise:
Règle 1700. (1) Une procédure engagée par ou contre un
mineur, un aliéné, un faible d'esprit ou une autre personne
n'ayant pas pleine capacité ou n'ayant pas le libre exercice
de ses droits (ci-après désignés sous le nom de «incapable»)
peut être engagée et conduite devant la Cour et la défense
peut y être assumée,
a) si l'incapable réside dans une province du Canada, de
la façon dont une telle procédure serait engagée et con-
duite et dont la défense serait assumée devant une cour
supérieure de la province où l'incapable réside (comme si
une mention de cette cour supérieure dans les disposi
tions du droit ou les règles de pratique judiciaire de cette
province réglementant cette procédure devant cette cour
supérieure ou réglementant toute mesure spéciale à pren-
dre au sujet d'un incapable relativement à une telle procé-
dure s'entendait, avec les modifications qui s'imposent,
d'une mention à la Cour fédérale du Canada), ou
b) si l'incapable ne réside pas dans une province du
Canada, de la façon dont la procédure serait engagée et
conduite et dont la défense serait assumée aux termes de
l'alinéa a) si l'incapable était résident de l'Ontario ou du
Québec, selon que le choix de l'une ou l'autre de ces
provinces convient le mieux de l'avis de la Cour compte
tenu du lieu où, le cas échéant, l'incapable réside, cet avis
de la Courpouvant être obtenu au moyen d'une demande
ex parte faite soit avant, soit après, le début de la
procédure.
(2) Il peut être remédié, à tout stade de la procédure ou
d'un appel, avec effet rétroactif à compter du moment où la
procédure a été engagée, à toute omission de se conformer
aux prescriptions du paragraphe (1).
Il prétend que la Règle 1700 s'applique en l'es-
pèce et que, par suite, les règles du Nouveau-
Brunswick s'appliquent et en particulier l'Or-
donnance 16, Règle 17 qui est rédigée ainsi:
[TRADUCTION] 17. Lorsque des aliénés ou des faibles d'es-
prit qui n'ont pas été déclarés tels à la suite d'une enquête
pouvaient, avant l'adoption de cette loi, soit intenter une
action en qualité de demandeurs, soit être poursuivis en
qualité de défendeurs dans toute action ou procès, ils peu-
vent soit poursuivre en qualité de demandeurs dans toute
action par l'intermédiaire de leur «conseil judiciaire» ou de
leur représentant ad litem conformément à la pratique de la
Cour suprême à la date de l'entrée en vigueur de ces Règles,
soit de la même manière être défendeurs dans toute action
par l'intermédiaire de leur «conseil judiciaire» ou de leur
curateur nommé à cette fin.
Le défendeur avance que, bien qu'il soit
exact que le demandeur en l'espèce n'ait pas été
déclaré aliéné ou faible d'esprit par décision
judiciaire ou quasi judiciaire, il est néanmoins
visé par les termes [TRADUCTION] «qui n'ont
pas été déclarés tels à la suite d'une enquête».
Je n'accepte pas cette prétention. Pour pouvoir
relever des règles du Nouveau-Brunswick dans
cette action, le défendeur doit tout d'abord rem-
plir les conditions de la Règle 1700 de la Cour
fédérale et je ne pense pas qu'il l'ait fait. La
date critique aux fins de cette prétention est
celle à laquelle le demandeur a institué cette
action, savoir le 23 juillet 1971. Aucune preuve
en ma possession ne me permet de conclure que
le demandeur était alors un «aliéné, un faible
d'esprit ou une autre personne n'ayant pas
pleine capacité ou n'ayant pas le libre exercice
de ses droits», comme l'énonce la Règle 1700
de la Cour fédérale.
Le défendeur a admis que jamais il n'a été
institué de procédures contre le demandeur aux
termes du Mental Incompetency Act du Nou-
veau-Brunswick ou en vertu de toute autre loi
du Nouveau-Brunswick. Le défendeur me
demande de conclure que, puisqu'un jury avait,
en 1963, jugé le demandeur non coupable pour
cause d'aliénation mentale, il est toujours inca
pable en 1971 au sens de la Règle 1700. Je ne
peux pas approuver cette prétention et je juge
donc que le défendeur n'est pas en droit d'invo-
quer la Règle 1700 de la Cour fédérale et les
règles pertinentes du Nouveau-Brunswick.
Dans son avis de requête, le défendeur a
aussi contesté la compétence de cette Division
au motif que, si une action de ce genre est
recevable, le procès devrait se dérouler devant
la Division d'appel en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale et qu'en,, vertu :du
paragraphe (3) de l'article 28, lorsque - la Cour
d'appel est compétente, la compétence de la
Division de première instance est exclue. Toute-
fois, vu la décision prise à la majorité par la
Cour d'appel fédérale dans l'affaire In re une
demande de l'Association canadienne des radio-
diffuseurs [1971] C.F. 170, dans laquelle la
Cour a jugé qu'elle n'était pas compétente selon
l'article 28 en matière de décisions ou d'ordon-
nances rendues ou prises avant le l eC , juin 1971,
ét le fait que le rapport de la commission d'exa-
men en l'espèce datait dé décembre 1970; il me
semble que rien dans l'article 28 n'empêche
cette Division d'exercer sa compétence en vertu
de l'article 18, Toutefois, cette compétence sera
exercée que si les " conclusions du demandeur
sont amendées pour inclure les parties appro-
priées et à la condition d'être limitée à ce qui
peut à proprement parler faire l'objet d'une
décision dans un jugement déclaratoire, en l'oc-
currence, savoir si le mot «rétabli», à l'article
547 du Code criminel, doit être limité pour ne se
rapporter qu'à la définition de l'aliénation men-
tale de l'article 16 du Code criminel.
En conclusion, j'estime qu'aucun des motifs
avancés par le défendeur à l'appui de la requête
n'est recevable. En conséquence, la requête est
rejetée. Dépens de cette requête à suivre la
cause.
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