Le Soleil Limitée (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Noël—Québec (Québec), le 23 février;
Ottawa, le 7 avril 1972.
Impôt sur le revenu—Réclamation d'une déduction pour
encouragement à la production—Corporation de fabrication
et de transformation—Compagnie publiant un quotidien—
Revenus provenant des annonces dépassent la moitié des
ventes nettes—Loi de l'impôt sur le revenu, article 40A—
Article non-applicable.
La compagnie appelante publie un quotidien et elle a eu
des ventes brutes supérieures à 8 millions de dollars en
1963. Plus de la moitié provenait des annonceurs pour de
l'espace réservé dans le journal.
Arrêt: la compagnie appelante n'a pas droit à une déduc-
tion aux termes de l'article 40A de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Les ventes nettes provenant de la fabrication et de
la transformation pour 1963 n'atteignaient pas au moins
50% de ses revenus bruts pour l'année.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
Maurice Jacques, c.r. pour l'appelante.
Paul Bowin, c.r. pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOEL—Il s'agit
d'un appel devant cette Cour de la décision
rendue le 2 décembre 1970 par la Commission
d'appel de l'impôt [1971] Tax A.B.C. 94,
approuvant une cotisation afférente à l'année
1963 par laquelle le Ministre avait, le 10 juillet
1968, ajouté au revenu de l'appelante la somme
de $18,514.91 en refusant de lui permettre la
déduction de cette somme qu'elle avait récla-
mée en vertu de l'article 40A de la Loi de
l'impôt sur le revenu comme corporation de
fabrication et de transformation pour encoura
gement à la production.
L'appelante imprime et publie à Québec, le
journal Le Soleil dont le tirage était, au 31
décembre 1963, d'environ 167,000 copies. Ce
journal est préparé en quatre éditions dont la
première est appelée Québec métropolitain, la
deuxième Régionale, celle-ci desservant tous les
endroits en dehors du Québec métropolitain,
comme les comtés de Beauce, Dorchester, etc.,
allant jusqu'à Montmagny, la troisième, Sague-
nay-Lac-St-Jean, comprenant toute cette région,
et la quatrième le bas du fleuve partant de
Montmagny jusqu'à la pointe de Gaspé.
L'appelante se considérant comme une cor
poration de fabrication et de transformation et
dont les ventes de marchandises transformées
et fabriquées au Canada atteignaient au moins
50 pour cent de son revenu annuel brut, s'est
prévalue en 1962 des dispositions de l'article
40A de la Loi relatives à l'encouragement à la
production, a accompli les formalités requises
par la Loi pour ce faire et a été finalement
reconnue par le ministère comme ayant droit
audit dégrèvement. En 1963, l'appelante étant
dans les mêmes conditions que celles qui exis-
taient en 1962 et partageant les mêmes vues
qu'alors, s'est de nouveau prévalue des disposi
tions de l'article 40A de la Loi de la même
manière qu'en 1962.
Le 10 juillet 1968, par cotisation, le Ministre
informa l'appelante qu'il refusait de lui accorder
le droit à la déduction prévue à l'article 40A de
la Loi parce que, selon le Ministre, l'appelante
n'a pas plus de 50 pour cent de ses ventes
provenant de la fabrication. Le Ministre, en
effet, entend faire une distinction entre les
ventes du journal et les ventes provenant des
annonces et, dans ce dernier cas, il ne s'agirait
pas de ventes provenant de la fabrication. L'ap-
pelante soutient d'abord que l'on doit tenir
compte des annonces dans son journal puisque
les imprimeurs de circulaires, feuilles volantes-
publicitaires ou autres choses du même genre
distribuées par l'imprimeur lui-même ou par
l'entremise de tierces personnes jouissent des
dispositions de l'article 40A et presque tous les
jours, sinon fréquemment, l'appelante fait exac-
tement ce que l'imprimeur de circulaires ou
feuilles volantes-publicitaires fait lorsqu'il en
est requis. L'appelante soumet qu'un journal est
un tout et ne peut être divisé en deux sections,
savoir la vente elle-même du journal et les
annonces. Celui qui achète un journal, dit-elle,
désire être renseigné non seulement sur les nou-
velles internationales, nationales ou locales,
mais également sur les produits des différentes
maisons de commerce et les annonces dans
certaines familles, et par certains membres des
familles, sont lues en premier lieu, ce qui
démontre bien qu'il s'agit d'une matière à lire
aussi importante pour les lecteurs que les autres
nouvelles. Il importe peu, ajoute-t-elle, pour un
journal que les nouvelles soient payées par les
annonceurs car autrement le prix de vente serait
prohibitif et un journal sans annonce ne se vend
pas ou a une vie de courte durée. Selon l'appe-
lante, un journal tel quel, comprenant même les
annonces, est une marchandise transformée ou
fabriquée au Canada. Pour ce qui est de la
préparation d'un journal, il n'y a pas plus de
différence, selon l'appelante, entre ce qui peut
être appelé matière à lire ou annonce car il
s'agit dans les deux cas d'un même genre de
fabrication et de transformation. Elle souligne,
pour démontrer que l'intérêt du lecteur comme
celui de l'annonceur est le même, que les
annonces en général, pour ne citer qu'un cas, ne
sont pas les mêmes dans l'édition du Québec
métropolitain que celle du Lac St-Jean. Il en est
de même aussi, ajoute-t-elle, pour certaines
nouvelles qui intéressent une des éditions et
n'intéressent pas les autres. C'est donc dire
qu'un annonceur paye «aux lieu et place moins
quelques sous le prix qu'il en coûterait pour
acheter un journal avec les annonces qu'il
désire y voir». Selon l'appelante, le total des
ventes de produits manufacturés, comparé aux
ventes totales de l'entreprise représente un
pourcentage de 57.126 pour cent, ce qui serait
amplement suffisant puisque la Loi exige 50
pour cent. L'annonceur, selon l'appelante, choi-
sit la grandeur d'annonce qu'il veut, la place
qu'il veut dans le journal, les item et les textes
qu'il veut insérer sans que le journal puisse
exercer aucune influence sauf pour ce qui est
de la morale, l'ordre public et les libelles de
sorte que le journal n'a aucune latitude et doit
se conformer aux instructions reçues. L'appe-
lante serait, par conséquent, selon celle-ci, une
corporation de fabrication au sens des disposi
tions pertinentes de la Loi, ce que d'ailleurs, le
Ministre, dans sa décision, aurait aussi reconnu,
et comme il faut interpréter d'une façon dis-
jonctive et non conjonctive l'expression corpo
ration de fabrication et de transformation, elle
tombe dans les conditions voulues pour bénéfi-
cier de ladite déduction pour l'année 1963.
Le Ministre admet que le revenu provenant
de la vente au public par un imprimeur de
circulaires, feuilles volantes-publicitaires qu'il a
fabriquées, peut bénéficier des dispositions de
l'article 40A, mais il soumet que dans le calcul
du revenu de cet imprimeur, le montant payé
par des publicitaires pour espaces réservés dans
le journal, ne peut entrer en ligne de compte
pour les fins des dispositions de l'article 40A.
Le paiement pour espace réservé par un annon-
ceur dans un journal, est, selon l'intimé, un
paiement pour services rendus et le revenu d'un
imprimeur provenant de cette source, ne peut
être considéré comme revenu provenant de la
vente de marchandises transformées et fabri-
quées au sens de l'article 40A de la Loi. Il
s'ensuit donc que les paiements reçus par l'ap-
pelante pour ces services, ne constitueraient pas
un revenu provenant des produits fabriqués ou
transformés et la vente par l'appelante de ses
produits fabriqués ou transformés, ne représen-
terait donc pas 50 pour cent de son revenu brut
pour l'année 1963.
Le Ministre déclare qu'une analyse des
ventes de l'appelante, pour l'année 1963, a
démontré que du montant global de $8,016,344,
seulement $3,392,340 provenaient de la vente
de biens fabriqués ou transformés. Pour l'année
1963, dit-il, le revenu de l'appelante provenant
de biens transformés ou fabriqués au Canada
n'a pas, par conséquent, atteint au moins 50
pour cent de son revenu brut pour l'année au
sens dudit article. L'appelante n'était pas, selon
le Ministre, une corporation de fabrication et de
transformation au sens de l'article 40A de la
Loi. Disons tout d'abord que la déclaration du
savant commissaire de la Commission d'appel
de l'impôt à l'effet que si l'appelante peut être
considérée comme une corporation de fabrica
tion, elle ne peut être considérée comme une
corporation de transformation, sur laquelle il
semble s'être appuyé, partiellement du moins,
pour rendre sa décision, me paraît mal fondée.
D'abord il me paraît que dans la confection d'un
journal il y a de la fabrication et de la transfor
mation, mais même s'il n'y avait pas de trans
formation, la fabrication suffirait puisque le
paragraphe (2) de l'article 40A utilise les termes
disjonctifs «... de marchandises transformées
ou fabriquées au Canada».
Pour ce qui est des annonces et des nouvel-
les, il est vrai qu'elles entrent toutes deux dans
la confection d'un journal et il s'agit d'une pro
duction continue à partir du moment où l'on
commence à compiler la nouvelle et à la mettre
sous une forme écrite, ou pour ce qui est des
annonces, à partir du moment où l'employé non
seulement obtient un contrat d'annonce mais la
rapporte au bureau où on la met aussi sous
forme écrite. Il est aussi probablement vrai de
dire que les revenus provenant des annonces et
des lecteurs du journal ne proviennent pas de
sources de revenu dont l'une pourrait subsister
sans l'autre. Les deux opérations sont interdé-
pendantes et forment toutes deux partie inté-
grante de la fabrication et de la transformation
qui aboutissent à la création d'un journal et il
est même possible que ce dernier ne pourrait
être réalisé d'une façon rentable ou satisfaisante
sans les revenus provenant des annonces. De
plus, la fabrication d'un journal, pour . la nou-
velle comme pour les annonces, se fait de la
même façon. Elle comprend la cueillette et la
mise en page des nouvelles pour l'information,
l'instruction et le divertissement des lecteurs
qui achètent le journal, mais elle comprend
aussi la cueillette de l'information auprès de
ceux qui veulent payer pour les annonces insé-
rées dans le journal. Cette cueillette des nouvel-
les et des informations fait partie du procédé de
fabrication du journal et s'insère dans la
séquence ininterrompue des opérations à partir
du moment où la nouvelle ou l'annonce est
obtenue et recueillie jusqu'à ce que le journal
soit dans les mains de l'acheteur et sans doute
le revenu résultant de ces deux opérations pro-
vient de marchandises fabriquées et transfor-
mées. Le vendeur de journaux, d'autre part, qui
achète des journaux pour revente aura, dans
son fond de commerce, des marchandises à
vendre fabriquées et transformées au Canada.
Mais malheureusement pour l'appelante, ce ne
sont pas là les seules conditions requises pour
bénéficier de la déduction prévue à l'article
40A. Ce dernier, en effet, ne dit pas qu'une
compagnie de fabrication et de transformation
peut faire certaines déductions de son impôt si
les revenus provenant des marchandises qu'elle
a transformées ou fabriquées au Canada attei-
gnent au moins 50 pour cent de son revenu brut
mais dit bien qu'elle peut faire ces déductions si
les ventes nettes proviennent de la vente de
marchandises transformées ou fabriquées au
Canada. Il faut donc que le revenu provienne de
la vente de marchandises pour l'inclure dans le
revenu du contribuable pour les fins de la
déduction.
Or, bien qu'il soit difficile de distinguer le cas
des circulaires de publicité vendues à un annon-
ceur pour être distribuées aux destinataires et
celui des annonces vendues au même annon-
ceur pour être insérées dans le journal lorsque
les unes et les autres sont préparées selon la
même technique et par les mêmes ouvriers ou
employés utilisant les mêmes matières, il n'en
demeure pas moins que l'on ne peut trouver,
dans le cas d'annonces publiées dans le journal,
une véritable vente «de marchandises transfor-
mées ou fabriquées» comme pour le journal
lui-même vendu au lecteur ou même pour les
circulaires vendues à l'annonceur. Il manque, en
effet, un élément essentiel pour faire entrer
dans le revenu net du contribuable provenant de
la vente de marchandises transformées ou fabri-
quées le prix payé pour les annonces insérées
dans son journal en ce qu'il est payé pour
services rendus et non pas pour marchandises
vendues puisque l'annonceur ne reçoit aucun
bien ou marchandise sauf l'avantage d'utiliser
les facilités du journal pour passer à ses clients
actuels ou éventuels ses communications. Il me
faut, je crois, arriver à cette conclusion même si
en agissant ainsi, l'annonceur, par ce que l'on
pourrait appeler le «subside» des annonces, se
trouve à contribuer au coût du journal et à
permettre ainsi au lecteur de payer un prix
moindre que celui qu'il aurait autrement à payer
s'il fallait qu'il acquitte sa quote-part du coût de
la fabrication du journal.
Il n'est pas possible, en effet, sans faire vio
lence au texte de l'article 40A et sans fausser le
sens des mots «vente de marchandises» de sou-
tenir que le «contrat d'annonces» est une vente
de marchandises. Une vente de marchandises,
en effet, implique nécessairement que la pro-
priété d'une chose mobilière est transmise à un
autre pour une considération en argent et il me
semble difficile d'admettre qu'on retrouve une
telle opération ou transaction lorsqu'un annon-
ceur paye un montant pour l'annonce qu'il veut
qu'on insère dans un journal. Il n'y a pas, dans
ce cas, de propriété mobilière qui change de
mains et l'annonceur n'acquiert aucun droit de
propriété dans l'annonce commanditée par lui et
insérée dans le journal. Il me paraît donc plus
vrai de dire que pour les annonces, le journal ne
s'engage qu'à effectuer certains services pour
l'annonceur soit que lorsque le journal sera
imprimé et vendu, il contiendra l'annonce com-
mandée par le client.
Il m'est donc impossible d'étendre les disposi
tions de l'article 40A de la Loi de façon à les
rendre applicables à l'appelante.
L'appel est donc rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.