Ville de Montréal (Appelante)
c.
La Commission canadienne des transports
(Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
suppléants Perrier et Choquette —Montréal, les
22 et 23 novembre 1972.
Chemins de fer—Coût d'un croisement de voies superpo-
sées—Construction d'un nouveau passage supérieur pour
décongestionner le passage inférieur existant—S'agit-il de
travaux exécutés «à l'égard d'une reconstruction et d'une
améliora tion»—Compétence de la Commission canadienne
des transports pour affecter des fonds au financement des
travaux—Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2,
art. 202(1)b).
La ville de Montréal a construit à Montréal, avec l'autori-
sation de la Commission canadienne des transports, un
viaduc pour servir au passage d'une route est-ouest au-des-
sus des voies du CP, à l'intersection de cette route et d'une
autre orientée nord-sud et franchissant les voies du CP au
moyen d'un passage inférieur construit en 1909. L'objet du
nouvel ouvrage était de décongestionner le passage infé-
rieur, qu'empruntait une circulation automobile très dense
et qu'il aurait été très coûteux et techniquement difficile de
reconstruire.
Arrêt: la décision de la Commission canadienne des trans
ports est infirmée, la construction du viaduc constituant des
«travaux . .. exécutés à l'égard de la reconstruction et de
l'amélioration» d'un croisement de voies superposées exis-
tant, au sens de l'article 202(1)b) de la Loi sur les chemins
de fer, S.R.C. 1970, c. R-2; la Commission canadienne des
transports avait donc compétence pour affecter au finance-
ment des travaux des fonds prélevés sur la Caisse des
passages à niveau de chemin de fer.
Arrêts examinés: In re la Caisse des passages à niveau
de chemin de fer [1933] R.C.S. 81; Le ministre de la
Voirie v. C.N. (1950) 66 C.R.T.C. 1; P. G. du Québec v.
C.P. [1965] R.C.S. 729.
APPEL et requête en examen judiciaire d'une
décision de la Commission canadienne des
transports.
E. Jurisic, c.r., pour l'appelante.
D. J. Murphy et G. W. Nadeau pour la Com
mission canadienne des transports.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—I1
s'agit en l'espèce d'un appel interjeté en vertu
de l'article 64(2) de la Loi nationale sur les
transports, S.R.C. 1970, c. N-17 et c. 10 (2e
Supp.) et d'une demande présentée en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, qui
ont été joints conformément à la Règle 1314
des règles de la Cour fédérale. L'appel porte sur
une décision du Comité des transports par
chemin de fer de la Commission canadienne des
transports qui, en vertu de l'article 24(3) de la
Loi nationale sur les transports, a le même effet
que si la Commission l'avait rendue et la
demande concerne l'examen et l'annulation de
cette décision.
Aux termes de la décision en question, le
Comité, en fait, rejette une demande de paie-
ment sur la Caisse des passages à niveau de
chemin de fer qu'a présentée la ville de Mon-
tréal, en vertu de l'article 202 de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2 dont voici
une partie:
202. (1) Les sommes jusqu'à présent ou dorénavant
affectées et réservées pour aider aux travaux réels de
construction en vue de la protection, de la sécurité et de la
commodité du public aux passages doivent être placées au
crédit d'un compte spécial appelé Caisse des passages à
niveau de chemin de fer, et, dans la mesure où elles ne sont
pas déjà appliquées, elles doivent être affectées par la
Commission, à sa discrétion, sauf les restrictions énoncées
dans le présent article, uniquement au coût (non compris
celui de l'entretien et du service)
a) de travaux réellement exécutés pour la protection, la
sécurité et la commodité du public aux passages à niveau
existants,
b) de travaux réellement exécutés à l'égard de la recons
truction et de l'amélioration de croisements de voies
superposées se trouvant à des passages le 28 juin 1955, et
qui, de l'avis de la Commission, ne répondent pas, à cause
de leur emplacement, de leur plan ou de leurs dimensions,
aux besoins de la circulation routière les utilisant, et
c) de l'apposition de marques réfléchissantes sur les
côtés des wagons de chemin de fer.
L'ordonnance de la Commission (no R-8772)
en date du 11 mai 1970 avait autorisé la ville de
Montréal à construire un passage supérieur ou
viaduc pour permettre à un chemin de raccorde-
ment entre le boulevard Rosemont et l'avenue
Van Horne de franchir l'emprise et les voies du
Pacifique-Canadien.
La demande de paiement sur la Caisse con-
cernait le coût de ce passage. Les faits que le
Comité semble apparemment avoir acceptés
aux fins de régler cette demande sont exposés
dans l'extrait qui suit du texte de la décision du
Comité:
Il a été allégué devant le Comité que le passage existant
au boulevard Saint-Laurent, qui est un étagement de voies
réalisé par un passage inférieur construit en 1909, à la suite
de l'ordonnance no 8839 de la Commission, permet la circu-
lation sur une voie dans chaque sens à la vitesse routière
normale de 20 à 25 milles à l'heure et sur deux voies dans
chaque sens à une vitesse de 5 à 10 milles à l'heure lorsque
les voies d'accès sont encombrées; que le trafic routier
actuel est d'environ 50,000 automobiles par jour et le trafic
ferroviaire consiste en 20 changements de voie ou manoeu
vres d'aiguillage à la vitesse de gare. Il a été allégué que
ledit passage inférieur chargé de l'écoulement de la circula
tion en direction nord-sud sur le boulevard Saint-Laurent
est inadéquat; que sur une distance d'un mille et demi,
aucune rue ne traverse la voie ferrée dans la direction
est-ouest entre la rue Jean-Talon et le boulevard Saint-
Joseph; qu'environ 40% de la circulation empruntant
actuellement le passage inférieur existant sont constituées
par la circulation en direction est-ouest et qu'au lieu de
reconstruire le passage inférieur du boulevard Saint-Lau-
rent, solution qui serait très coûteuse et présenterait des
difficultés dans les conditions actuelles de circulation, un
passage supérieur serait construit pour permettre à un
chemin de raccordement entre le boulevard Rosemont et
l'avenue Van Horne de franchir la voie ferrée en direction
est-ouest, ce qui permettrait de réduire le problème de la
circulation dans le passage inférieur actuel du boulevard
Saint-Laurent.
La demande de paiement sur la Caisse des
passages à niveau de chemin de fer s'appuie sur
l'argument selon lequel le nouveau viaduc a été
construit pour améliorer la situation résultant
du fait que le passage inférieur du boulevard
Saint-Laurent, construit sous la voie ferrée en
1909, était le seul passage permettant à la circu
lation de franchir la voie ferrée sur une distance
d'un mille et demi et qu'il était devenu très
insuffisant pour la circulation qu'il devait
écouler.
Voici la partie du texte de la décision du
Comité où l'on trouve les motifs du refus de
paiement sur la Caisse:
Le Comité des transports par chemin de fer a examiné le
cas et il estime que la reconstruction proposée porte sur un
nouveau passage et non sur des travaux réellement exécutés
relativement à la reconstruction et à l'amélioration des
croisements de voies superposées existants et que l'objectif
principal de la reconstruction est de décongestionner la
circulation sur les artères de la ville plutôt que la protection,
la sécurité et la commodité du public. Le Comité estime
donc que la construction proposée consiste en fait en un
nouveau passage supérieur franchissant l'emprise de Cana-
dien Pacifique limitée, au point milliaire 4.95 de sa subdivi
sion Avenue du Parc et que dès lors, les travaux ne sont pas
réellement exécutés relativement à un passage à niveau
existant au moins trois ans avant la date de ladite ordon-
nance et ne concernent pas la reconstruction et l'améliora-
tion d'un croisement de voies superposées se trouvant à un
passage le 28 juin 1955 et qui, de l'avis de la Commission,
ne répond pas, à cause de son emplacement, de son plan, ou
de ses dimensions, aux besoins de la circulation qui l'utilise.
La construction n'est pas admissible au bénéfice de l'article
202 de la Loi sur les chemins de fer et la requête de la ville
de Montréal est par les présentes rejetée.
La requête présentée par la ville de Montréal en vertu de
l'article 202 de la Loi sur les chemins de fer en vue
d'obtenir une contribution de la Caisse des passages à
niveau pour la construction d'un passage supérieur permet-
tant au raccordement Rosemont/Van Horne de franchir
l'emprise et les voies de Canadien Pacifique Limitée dans la
ville de Montréal, comté de l'Isle de Montréal, province de
Québec, au point milliaire 4.95 de la subdivision Avenue du
Parc est par les présentes rejetée ... .
Il me paraît en fait ressortir de cette décision
que cette requête en paiement sur la Caisse des
passages à niveau de chemin de fer est rejetée
parce que, d'après les faits, la Commission n'é-
tait pas compétente pour l'accueillir.
Il existe trois décisions de la Cour suprême
du Canada qui portent sur les limites du pouvoir
d'effectuer des paiements sur la Caisse des pas
sages à niveau de chemin de fer en vertu des
diverses lois applicables à cette Caisse.
Dans l'arrêt In re Caisse des passages à
niveau de chemin de fer [1933] R.C.S. 81, la
Commission des chemins de fer, conformément
à son pouvoir statutaire de poser des questions
de droit à la Cour suprême du Canada, a posé à
la Cour la question suivante:
[TRADUCTION] La Commission est-elle compétente, en
vertu de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer,
modifié par le c. 43 des Statuts du Canada de 1928, pour
autoriser des contributions de la Caisse des passages à
niveau de chemin de fer dans le cas de déviations de voies
publiques, lorsque les passages à niveau qui ne sont pas
supprimés sont déchargés d'une partie importante de la
circulation routière?
Voici une partie du texte de l'article 262 de la
Loi sur les chemins de fer dont la question fait
état:
(Les sommes de) . .. «La Caisse des passages à niveau du
chemin de fer» ... seront affectées par la Commission ...
uniquement au coût ... de la construction réelle des ouvra-
ges destinés à la protection, la sûreté et la commodité du
public aux passages à niveau . .. existants le premier jour
d'avril mil neuf cent neuf . .
C'est le juge Rinfret (alors juge puîné) qui a
prononcé en 1932 le jugement de la Cour
suprême du Canada et les motifs qui ont poussé
à donner une réponse négative à la question
qu'avait soulevée la Commission figurent à la
partie suivante de ce jugement [à la page 84]:
[TRADUCTION] Il ne nous semble pas qu'en adoptant la
législation en question, le Parlement ait eu l'intention de
conférer à la Commission un pouvoir spécial, distinct et
indépendant de sa compétence normale en matière de che-
mins de fer. Le Parlement a affecté les fonds de la Caisse
aux travaux réels de construction destinés à assurer la
protection, la sûreté et la commodité du public aux passages
à niveau du chemin de fer et la Commission ne devait pas
accorder de contributions sur cette Caisse, sauf pour des
ouvrages sur lesquels elle était compétente et qui relevaient
de l'exercice de ses pouvoirs ordinaires en matière de
chemins de fer. La loi ne prévoit pas la possibilité de faire à
la Commission des demandes directes de paiements sur la
Caisse pour aider le financement de travaux n'entrant pas
dans sa sphère de compétence habituelle. Elle a pour objet
de permettre à la Commission, lorsqu'elle est régulièrement
saisie d'une demande concernant un passage à niveau exis-
tant (croisement d'une voie publique par le chemin de fer ou
croisement du chemin de fer par une voie publique), d'or-
donner par ailleurs, en accueillant la demande et sous
réserve de certaines conditions et limites, d'allouer certaines
sommes sur la Caisse des passages à niveau pour aider le
financement de travaux réels de construction qu'elle avait
ordonnés.
En outre, la question soumise à notre examen suppose
que le passage à niveau ne sera pas supprimé. Il s'ensuit
qu'il n'y aura aucune déviation de voie publique au passage.
La voie publique continuera à traverser la voie ferrée. La
nouvelle voie qui, prétend-on, déchargera le passage d'une
partie importante de la circulation a été ou sera construite
par les soins des administrations provinciale ou municipale
entièrement de leur propre initiative, sans aucune interven
tion de la Commission et, en fait, sans que celle-ci ait le
droit d'intervenir. La définition du mot «passage» figurant à
l'article 262 ne s'applique donc pas, car il s'agit
d'un ouvrage * * * relativement à un ou plusieurs
chemins de fer qui comptent autant de voies croisant
ou croisées, que la Commission fixe à sa discrétion;
de même que ne s'applique pas davantage la classification
des travaux de construction qu'ordonne ou autorise la
Commission «relativement aux croisements à niveau de
chemins de fer par la voie publique».
Nous concluons qu'il y a lieu de répondre par la négative
à la question soumise.
L'arrêt Le ministre de la Voirie du Québec c.
Le C.N. (1950) 66 C.R.T.C. 1, portait sur l'ap-
pel d'une décision par laquelle la Commission
des transports a refusé d'autoriser une contribu
tion de la Caisse des passages à niveau de
chemin de fer. Dans cette affaire, une route
provinciale traversait la voie ferrée au moyen
d'un passage à niveau. Le tracé de la route a été
modifié de sorte qu'elle traversait la voie ferrée
à un point différent grâce à un viaduc. L'ancien
passage à niveau devait être maintenu pour être
utilisé comme passage privé et non comme croi-
sement par la voie publique. La Commission a
refusé d'autoriser un paiement sur la Caisse au
motif que les fonds de celle-ci ne devaient être
affectés qu'à la protection, l'amélioration ou
l'élimination des croisements par la voie publi-
que existants et que la Commission n'avait pas
le pouvoir d'autoriser une contribution du
Fonds dans le cas d'une déviation de voie publi-
que, à moins que le croisement par la voie
publique existant ne soit supprimé. En adoptant
ce point de vue, la Commission s'est appuyée
sur l'arrêt que la Cour suprême avait rendu
précédemment au sujet de la Caisse. C'était la
même disposition statutaire qui était applicable
aux deux cas. L'autorisation d'interjeter appel
de la décision de la Commission a été accordée
sur la question de droit suivante:
[TRADUCTION] Compte tenu de la preuve présentée en
l'espèce et si l'on suppose que le passage actuel continuera
d'exister dans le seul intérêt des frères Price, propriétaires
des terrains situés de chaque côté de l'emprise, la Commis
sion a-t-elle commis une erreur en décidant ... qu'elle n'a-
vait aucun pouvoir d'affecter des fonds de la Caisse des
passages à niveau de chemin de fer au financement de la
construction des ouvrages ... ?
Le juge en chef du Canada Rinfret a fait remar-
quer, en rendant le jugement de la Cour
suprême du Canada, que l'ancien passage avait
cessé d'exister en tant que croisement par une
voie publique et d'être le genre de passage
qu'envisageait l'article 262 et a traité la ques
tion de la façon suivante [aux pages 5, 6]:
[TRADUCTION] Il est également évident que le jugement de
cette Cour dans l'arrêt Re Caisse des passages à niveau de
chemin de fer, précité, ne traite pas du même sujet. Voici
quelle était la question en l'espèce: «La Commission est-elle
compétente, en vertu de l'art. 262 de la Loi sur les chemins
de fer, modifié par le c. 43 des Statuts du Canada de 1928,
pour autoriser des contributions de «la Caisse des passages
à niveau de chemin de fer» dans le cas de déviations de
voies publiques, lorsque les passages à niveau qui ne sont
pas supprimés sont déchargés d'une partie importante de la
circulation routière?»
Voici les faits de cette affaire: l'ancien croisement par
une voie publique n'avait pas été modifié et conservait cette
qualité; la nouvelle voie publique, qui déchargeait, pré-
tend-on, le passage d'une partie importante de la circulation,
devait être construite par les soins des administrations pro-
vinciale ou municipale entièrement de leur propre initiative,
sans aucune intervention de la Commission et, en fait, sans
que celle-ci ait le droit d'intervenir. Il est indiscutable que
cette nouvelle voie publique devait longer la voie de chemin
de fer, mais non la traverser, et on a fait remarquer que la
compétence de la Commission se limitait à la partie de la
voie publique qui se trouve juste au passage proprement dit.
Comme l'a déclaré l'arrêt Re la fermeture des voies publi-
ques aux passages à niveau (1913), 12 D.L.R. 389, 15
C.R.C. 305: «Elle (la compétence de la Commission) se
limite uniquement à l'extinction du droit qu'a le public de
franchir l'emprise de la compagnie de chemin de fer.»
La compétence de la Commission à l'égard de la voie
publique n'existe que dans la mesure où le passage est en
cause. Pour le reste, la voie publique reste soumise au
contrôle des administrations provinciale ou municipale et,
selon les termes du commissaire en chef Carvell, «[la]
Commission n'a à s'en occuper en aucune manière». (Voir
la note du commissaire en chef Carvell, en date du 9 juin
1921, dont il est question à [1933], 1 D.L.R. à la p. 663,
[1933] R.C.S., à la p. 83, et 40 C.R.C., à la p. 113.)
Dans l'arrêt Re Caisse des passages à niveau de chemin de
fer, cette Cour a décidé, compte tenu des circonstances
exposées ci-dessus, que la Commission n'était pas compé-
tente pour connaître d'une nouvelle voie publique lorsqu'au-
cun croisement du chemin de fer par la voie publique n'était
prévu.
En l'espèce présente, il est évident que le viaduc franchit
la voie de chemin de fer. Il fait partie de la voie publique et,
en conséquence, nous avons un croisement du chemin de
fer par une voie publique, ou, en d'autres termes, une voie
publique, un chemin de fer et un croisement. Dans l'affaire
précédente dont cette Cour a eu à connaître, il ne devait pas
y avoir de nouveau croisement. En conséquence, il est
évident qu'il faut établir une distinction entre les deux cas.
Dans l'arrêt Le procureur général du Québec
c. Le C.P. [1965] R.C.S. 729, la Commission
des transports a décidé qu'elle n'était nullement
compétente pour autoriser une contribution de
la Caisse des passages à niveau de chemin de
fer lorsque, au lieu d'agrandir un passage infé-
rieur inadapté à la circulation routière, on avait
dévié la voie publique pour la faire passer sous
un pont de chemin de fer existant situé près de
là. La question a été soulevée en vertu de
l'article 265 de la Loi sur les chemins de fer,
dans sa rédaction de l'époque qui est, en ce qui
nous concerne, la même que celle de l'article
202 de l'actuelle Loi sur les chemins de fer, dont
la partie qui nous intéresse a déjà été citée.
L'appel de la décision de la Commission a été
autorisé sur la question de savoir si cette der-
nière avait commis une erreur en décidant
qu'elle n'avait jamais eu ni le pouvoir ni la
compétence en vertu de l'article 265(1)b), iden-
tique à l'article 202(1)b) de la loi actuelle, de
permettre qu'on prélève des fonds de la Caisse
pour les affecter au financement des travaux en
question. Le juge Abbott a prononcé le juge-
ment de la Cour suprême du Canada, dont voici
une partie du texte [à la page 733]:
[TRADUCTION] La seule question en litige dans le présent
appel est de savoir si la déviation de la voie publique dont il
est question constituait une amélioration du croisement de
voies superposées existant, au sens de l'article 265(1)b) de
la Loi sur les chemins de fer.
En vertu des dispositions des articles 39 et 266 de ladite
loi, la Commission est investie du pouvoir exclusif d'autori-
ser des modifications aux passages à niveau et de répartir
les frais de leur réalisation.
La «Caisse des passages à niveau de chemin de fer»
détient des fonds que lui affecte de temps à autre un vote
du Parlement. La Caisse a été fondée pour fournir une aide
financière aux chemins de fer et aux administrations locales
afin de défrayer le coût de construction, de reconstruction
et d'amélioration de passages à niveau qui sont nécessaires
à la protection, à la sécurité et à la commodité du public et
qui sont rendus indispensables par une modification des
conditions de la circulation. Dans le cadre des limites éta-
blies par la loi, c'est la Commission qui fixe la contribution
éventuelle à prélever sur la Caisse, pour l'affecter au coût
d'un ouvrage en particulier.
En l'espèce présente, il est reconnu que les installations
existantes du passage inférieur au Pont Rouge sont deve-
nues insuffisantes. La déviation qu'envisageait la compa-
gnie de chemin de fer était plus efficace et moins coûteuse
que ne l'aurait été l'élargissement du passage inférieur exis-
tant. A mon avis, cette déviation constitue une amélioration
du croisement de voies superposées existant, au sens de
l'article 265(1)b) et, en conséquence, la Commission a le
pouvoir de permettre qu'une subvention de la Caisse des
passages à niveau de chemin de fer soit affectée au finance-
ment des travaux autorisés par son ordonnance no 111583.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel et de donner une réponse
affirmative à la question posée.
La consultation d'un des plans produits en
preuve dans l'affaire de 1965 révèle que les
faits de cette dernière ressemblaient beaucoup à
ceux de l'affaire de 1950. Il y avait eu une
légère déviation de la voie publique pour la faire
franchir la voie ferrée à un endroit où il pouvait
être plus économique de construire le passage
et il y avait eu apparemment une désaffectation
de l'ancien passage inadapté aux besoins. La
déclaration suivante du juge Abbott: «A mon
avis, cette déviation constitue une amélioration
du croisement de voies superposées existant, au
sens de l'art. 265(1)b), et, en conséquence, la
Commission a le pouvoir de permettre qu'une
subvention de la Caisse des passages à niveau
de chemin de fer soit affectée au financement
des travaux ...» doit s'interpréter à la lumière
de ce fait et à la lumière de la déclaration qu'il
avait précédemment faite dans son jugement et
que voici: «La seule question en litige dans le
présent appel est de savoir si la déviation de la
voie publique dont il est question constituait
une amélioration du croisement de voies super-
posées existant, au sens de l'art. 265(1)b) de la
Loi sur les chemins de fer». Il semble évident
que les parties reconnaissaient d'un commun
accord que le croisement avait été «reconstruit»
en ce sens que l'ancien avait été désaffecté et
qu'on en avait construit un nouveau à la place
et que cette exigence de l'art. 265(1)b) ne faisait
donc pas l'objet d'un litige devant la Cour
suprême du Canada.
Je vais maintenant examiner la question de
droit soulevée dans la présente espèce, question
qui, telle que je la conçois, consiste à savoir si
le Comité a commis une erreur de droit en
décidant, comme il l'a fait, que l'ouvrage en
question n'était pas visé par l'article 202 de la
Loi sur les chemins de fer.
Il convient de dire d'abord que le Comité,
dans sa décision en la présente espèce, n'a pas
indiqué s'il avait obtenu sur les faits des rensei-
gnements autres que ceux que la ville de Mon-
tréal lui avait donnés. Il s'ensuit à mon avis qu'il
y a lieu de considérer que le Comité a résolu la
question en s'appuyant sur le motif que, si l'on
suppose que ces faits sont exacts, il n'a nulle-
ment le pouvoir d'octroyer une subvention en
vertu de l'article 202 de la Loi sur les chemins
de fer. Je dis cela parce qu'à mon avis, si le
Comité avait pris connaissance de renseigne-
ments supplémentaires qui, selon lui, modi-
fiaient de façon importante l'affaire telle que la
présentait la Ville, cela aurait donné à cette
dernière l'occasion de répondre à ces renseigne-
ments supplémentaires, et il semble évident que
tel n'a pas été le cas. Comparez avec l'arrêt Le
ministre du Revenu national c. Wrights' Canadi-
an Ropes Ltd. [1947] A.C. 109, Lord Greene,
M.R., aux pages 124 et 125.
Dans la mesure où il s'applique, l'article
202(1) de la Loi sur les chemins de fer peut se
lire de la façon suivante:
(1) (Les sommes de la) ... Caisse des passages à niveau
de chemin de fer ... doivent être affectées par la Commis
sion, à sa discrétion, ... uniquement au coût .. .
a) de travaux réellement exécutés pour la protection, la
sécurité et la commodité du public aux passages à niveau
existants,
b) de travaux réellement exécutés à l'égard de la recons
truction et de l'amélioration de croisements de voies
superposées se trouvant à des passages le 28 juin 1955, et
qui, de l'avis de la Commission, ne répondent pas, à cause
de leur emplacement, de leur plan ou de leurs dimensions,
aux besoins de la circulation routière les utilisant, et
c) de l'apposition de marques réfléchissantes sur les
côtés des wagons de chemin de fer.
Si, d'après les faits sur lesquels la Ville a
fondé sa demande, la Commission a le pouvoir
d'autoriser une contribution de la Caisse, ce
doit être en vertu de l'article 202(1)b), les tra-
vaux en question n'étant nettement pas des
travaux exécutés «aux passages à niveau exis-
tants» au sens de l'article 202(1)a). Je vais donc
me pencher sur l'article 202(1)b).
Avant que l'article 202(1)b) ne puisse s'appli-
quer à des «travaux», ceux-ci doivent satisfaire
à deux exigences. Il doit s'agir de «travaux»
exécutés à l'égard de la «reconstruction» d'un
croisement de voies superposées du genre de
celui que vise l'article 202(1)b) et également de
«travaux» exécutés à l'égard de l'«améliora-
tion» de ce croisement de voies superposées.
J'examinerai d'abord si les «travaux» en ques
tion dans l'espèce constituent, en droit, une
«amélioration» de l'ancien croisement de voies
superposées du boulevard Saint-Laurent.
D'après les faits tels que les présente la Ville,
une grande partie de la circulation routière
devait, avant la réalisation des «travaux» de
construction, objet de la demande, emprunter le
passage inférieur du boulevard Saint-Laurent
pour franchir l'emprise du Pacifique-Canadien.
La circulation dépassait la capacité d'absorption
de ce passage inférieur. De plus, en raison du
tracé des rues qui menaient à ce passage infé-
rieur, le fait d'obliger tous les véhicules à
emprunter ce passage créait une situation dan-
gereuse. Les «travaux» en question ont
détourné une partie de la circulation qui
empruntait le passage inférieur et ont en grande
partie supprimé le caractère dangereux du
réseau de circulation en question. La Cour
suprême du Canada a décidé, dans l'arrêt de
1965 déjà cité, que le remplacement d'un croi-
sement de voies superposées par un autre plus
perfectionné constituait une «amélioration» de
l'ancien croisement, au sens qu'avaient ces
mots dans le texte de loi de l'époque. Il s'ensuit,
selon moi, que des «travaux», comme ceux de
l'espèce, qui ont permis de détourner d'un
ancien croisement de voies superposées et de
ses voies d'accès une partie de la circulation
suffisante pour améliorer considérablement le
flot de celle-ci à travers cet ancien croisement
et pour en réduire considérablement les dan
gers, constituent une «amélioration» de ce croi-
sement de voies superposées. Je ne peux voir
comment le maintien en service de l'ancien croi-
sement est en contradiction de façon quelcon-
que avec cette conclusion. Je suis donc d'avis
que, si l'on suppose que les faits qu'a avancés la
Ville sont exacts, les travaux en question dans
l'espèce correspondent à ceux que visent les
termes de l'article 202(1)b), savoir «exécutés à
l'égard de ... l'amélioration de» l'ancien croise-
ment de voies superposées du boulevard
Saint-Laurent.
J'en arrive maintenant à la véritable difficulté
en l'espèce, telle que j'envisage l'affaire. Il
s'agit de la question de savoir si les travaux en
question sont visés par les mots «travaux .. .
exécutés à l'égard de la reconstruction ... de
croisements de voies superposées ...».
En traitant cette question, dans le contexte de
cette affaire, il est particulièrement important
d'avoir à l'esprit le principe fondamental selon
lequel, une fois les faits essentiels prouvés, la
question de savoir s'ils entrent dans le cadre
d'une disposition statutaire est une question de
droit et non de fait. (Comparez avec l'arrêt
Edwards c. Bairstow [1955] 3 All E.R. 48 (ch.
L.).) L'arrêt de 1965 de la Cour suprême du
Canada, déjà cité, dans lequel il a été décidé
que la question de savoir si des «travaux» ont
été exécutés à l'égard de l'«amélioration» d'un
croisement de voies superposées est une ques
tion de droit, illustre ce principe.
Quand on étudie la partie du texte de la
décision du Comité où celui-ci expose les motifs
qui l'ont poussé à refuser une contribution de la
Caisse et quand on en élimine ce qui concerne
seulement les termes de l'article 202(1)a), on
constate que les motifs avancés pour décider
que les travaux de la présente espèce ne sont
pas visés par l'article 202(1)b) se lisent comme
suit:
Le Comité des transports par chemin de fer a examiné le
cas et il estime que la reconstruction proposée porte sur un
nouveau passage et non sur des travaux réellement exécutés
relativement à la reconstruction et à l'amélioration des
croisements de voies superposées existants ... Le Comité
estime donc que la construction proposée consiste en fait en
un nouveau passage supérieur franchissant l'emprise de
Canadien Pacifique Limitée ... et que dès lors, les tra-
vaux ... ne concernent pas la reconstruction et l'améliora-
tion d'un croisement de voies superposées se trouvant à un
passage le 28 juin 1955 et qui, de l'avis de la Commission,
ne répond pas, à cause de son emplacement, de son plan, ou
de ses dimensions, aux besoins de la circulation qui l'utilise.
Il me paraît ressortir de ce qu'a déclaré le
Comité que, puisque les travaux, envisagés en
eux-mêmes, consistent en un «nouveau passage
supérieur», il ne peut s'agir de travaux concer-
nant la reconstruction et l'amélioration de croi-
sements de voies superposées existants ni, en
conséquence, de travaux concernant la recons
truction et l'amélioration de croisements de
voies superposées entrant dans la catégorie
limitée que prévoit l'article 202(1)b).
Je suis d'avis qu'en arrivant à cette conclu
sion, le Comité a commis une erreur de droit,
comme le révèle l'arrêt de 1965 de la Cour
suprême du Canada, dans lequel il a été jugé
qu'un nouveau croisement de voies superposées
situé sur la déviation d'une voie publique cons-
tituait une amélioration du croisement de voies
superposées situé sur la partie désaffectée de
cette voie et dans lequel les parties avaient dû
reconnaître d'un commun accord qu'il s'agissait
d'une reconstruction de cet autre croisement de
voies superposées.
Toutefois, la question n'est pas épuisée car il
faut également examiner si, d'après les faits de
la présente espèce, cette erreur de droit a con
duit le Comité à formuler une conclusion
erronée.
La différence essentielle entre les faits de
l'affaire présente et ceux dont la Cour suprême
a eu à connaître dans l'affaire de 1965 réside
dans le fait que, dans cette dernière affaire, le
nouveau croisement de voies superposées a
complètement remplacé l'ancien, ce qui n'est
pas le cas dans l'espèce présente. Si l'on admet
que, lorsqu'une voie publique est déviée de telle
façon qu'il faut construire un croisement de
voies superposées à un endroit différent de la
voie ferrée, la construction de ce nouveau croi-
sement de voies superposées constitue une
«reconstruction» de celui qui a été désaffecté, il
ne s'ensuit pas que la construction d'un nou-
veau croisement de voies superposées, destiné à
améliorer l'état de la circulation dans un ancien
croisement de voies superposées qui continue à
exister, constitue une «reconstruction» de ce
dernier. En conséquence, il devient nécessaire
d'examiner les faits de l'espèce présente avec
soin et de les étudier au regard des termes
applicables de l'article 202(1)b).
Les faits que le Comité a accueillis aux fins
de sa décision révèlent que l'ancien croisement
de voies superposées écoulait en fait deux cou-
rants de circulation. Il s'agissait de la circulation
nord/sud du boulevard Saint-Laurent et de la
circulation est/ouest qui s'engageait sur le
boulevard Saint-Laurent afin d'utiliser l'ancien
croisement de voies superposées à la sortie
duquel elle quittait le boulevard pour suivre sa
direction est ou ouest. Ce qu'a fait la Ville a
consisté à ériger un «pont» qui faisait franchir
la voie ferrée à la circulation est/ouest, de sorte
qu'au lieu d'avoir pour toute la circulation une
seule voie qui franchissait la voie ferrée à cet
endroit, il y avait un ensemble composé d'un
passage inférieur pour un courant et d'un
viaduc pour l'autre. Les deux éléments réunis
absorbent désormais toute la circulation qui
passait auparavant par l'ancien croisement. De
plus, cette circulation franchit la voie ferrée, à
toutes fins utiles, à l'endroit de celle-ci où elle le
faisait antérieurement, tout comme la
circulation, dans l'affaire dont la Cour suprême
a eu à en connaître en 1965, franchissait, à
toutes fins utiles, la voie ferrée à l'endroit où
elle le faisait antérieurement.
La question est donc de savoir si, dans ces
conditions, les «travaux» de construction du
viaduc sont visés par les termes de l'article
202(1)b) «travaux ... exécutés à l'égard de la
reconstruction ... de croisements de voies
superposées se trouvant à des passages ...».
Eu égard à l'arrêt de 1965 de la Cour
suprême du Canada, il semble ne faire aucun
doute que, si l'on avait conçu le viaduc en
question pour faire franchir la voie ferrée aux
deux courants de circulation et si l'on avait
désaffecté l'ancien passage inférieur, cela aurait
constitué des travaux réalisés à l'égard de la
reconstruction de ce croisement de voies super-
posées. En outre, me semble-t-il, si les «tra-
vaux» avaient simplement consisté à doubler la
largeur de l'ancien passage inférieur tout en le
conservant comme élément du nouveau passage
inférieur agrandi, il ne ferait également aucun
doute que cela aurait constitué une «reconstruc-
tion» du passage inférieur existant auparavant.
Cela étant, il me semble difficile d'établir une
distinction à propos d'une affaire où l'on a
adopté une combinaison des deux méthodes,
car il s'agissait de la façon la plus économique
d'aboutir au même résultat.
Ma conclusion sur cette question est donc,
même si j'y suis arrivé avec beaucoup de
doutes, que les «travaux» de l'espèce en ques
tion sont des «travaux ... réalisés à l'égard de
la reconstruction» du croisement de voies
superposées existant auparavant.
Il s'ensuit que, si l'on suppose exacts les
principaux faits exposés dans la décision du
Comité, lorsqu'on les interprète en fonction des
documents constitutifs de l'affaire suivant la
constatation qu'en a faite l'ordonnance de cette
Cour du 13 octobre 1972, et si l'on suppose
que, de l'avis de la Commission, le croisement
de voies superposées existant auparavant sur le
boulevard Saint-Laurent ne répondait plus, en
raison de sa situation, de sa conception ou de sa
taille, à la circulation routière qui, en fait, l'utili-
sait avant la réalisation des «travaux» en ques
tion, il s'agit alors de travaux visés par l'article
202(1)b). Je suis donc d'avis qu'il y a lieu d'an-
nuler la décision en question et de renvoyer
l'affaire à la Commission en lui ordonnant d'e-
xaminer la demande qu'a présentée la Ville de
Montréal pour obtenir une contribution de la
Caisse des passages à niveau de chemin de fer
de la manière prévue par l'article 202, sauf si
elle constate que ces faits ne sont pas exacts sur
quelque point important ou si elle en arrive à la
conclusion que le croisement de voies superpo-
sées du boulevard Saint-Laurent existant avant
la réalisation des travaux en question n'est pas
visé par l'article 202(1).
* * *
Les juges suppléants Perrier et Choquette ont
souscrit à l'avis.
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