Herbert Page, Kenneth Charman, L. A. Wort -
man, Gerald Pugh, John Dohaney, Ronald
Chase, John Watson, J. T. M. Malanson et
Symond Byram (Appelants)
c.
Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited
et Atlantic Aviation of Canada Limited
(Intimées)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Heald—Toronto, le 16 juin 1972.
Pratique Prescription des actions—La déclaration
révèle-t-elle une cause d'action—Est-ce que la loi provinciale
sur la prescription peut empêcher d'intenter l'action—Le lieu
de naissance de la cause d'action ne ressort pas clairement
des plaidoiries—L'application de la loi sur la prescription ne
ressort pas clairement des plaidoiries.
Les demanderesses (intimées) ont intenté une action
contre les employés du ministère des Transports qui four-
nissent des renseignements météorologiques et qui contrô-
lent la navigation aérienne au Nouveau-Brunswick et à
Terre-Neuve. Elles prétendent qu'ils ont été coupables de
négligence dans l'exécution de leur devoir, ce qui a engen-
dré un accident d'avion à Terre-Neuve. Les défendeurs
(appelants) n'ont pas déposé de défense, mais ils ont
demandé à la Division de première instance de radier la
déclaration au motif que l'action n'avait pas été intentée
dans les six mois qui ont suivi l'accident comme l'exige
l'article 19 de la Justices and Other Public Authorities
(Protection) Act, 1955, (T.-N.), c. 16. Les demanderesses
(intimées) ont aussi intenté contre la Couronne une action
fondée sur le même accident. Le procureur général du
Canada a présenté la défense dans les deux cas.
Arrêt: la décision de la Division de première instance est
confirmée; la demande visant à obtenir une ordonnance
radiant la déclaration est rejetée. Il ne ressort pas claire-
ment des allégations de la déclaration (1) que la cause
d'action a uniquement pris naissance à Terre-Neuve, de
sorte qu'on puisse appliquer la loi de Terre-Neuve confor-
mément à l'article 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale, ou
(2) que l'action portait sur [TRADUCTION] «tout acte accom-
pli dans l'exercice, ou le prétendu exercice, de tout pouvoir
ou devoir statutaires ou de tout autre devoir public, ou à
propos de toute prétendue négligence ou omission dans
l'exercice de tels pouvoir ou devoir», conformément à l'arti-
cle 19 de la loi de Terre-Neuve.
Arrêt mentionné: Drummond -Jackson c. British Medical
Ass'n [1970] 1 W.L.R. 688.
APPEL d'une décision de la Division de pre-
mière instance.
S. M. Froomkin pour les appelants.
E. M. Lane pour les intimées.
Le jugement de la Cour a été prononcé par
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Le présent
appel porte sur une décision de la Division de
première instance qui a rejeté avec dépens une
demande formulée par les appelants en vue
d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration
relative à une action intentée devant elle, au
motif qu'elle ne l'a pas été dans les six mois qui
ont suivi l'acte, la négligence ou l'omission
objet de la plainte figurant à la déclaration
[TRADUCTION] «conformément à l'article 19 de
la Justices and Other Public Authorities (Protec-
tion) Act, c. 16 des Statuts de Terre-Neuve de
1955».
Les appelants sont fonctionnaires ou
employés de la section du ministère des Trans
ports qui fournit des renseignements météorolo-
giques aux avions et contrôle l'usage des voies
aériennes par les avions. L'action qui nous inté-
resse a trait à un accident d'avion qui s'est
produit à Terre-Neuve. Dans une autre action
intentée devant la Division de première ins
tance, les mêmes demanderesses, intimées au
présent appel, réclament un redressement à la
Couronne pour ce même accident. Les appe-
lants, défendeurs à l'action en cause, sont fonc-
tionnaires ou employés du ministère des Trans
ports et l'action contre la Couronne s'appuie sur
leur prétendue négligence. Dans l'action inten-
tée contre les appelants, je suppose qu'on leur
réclame le même redressement, au motif que
leur prétendue négligence implique leur respon-
sabilité personnelle.
L'un des appelants a été, déclare-t-on, coupa-
ble de la négligence qui a engendré l'accident
d'avion, en ce sens qu'à titre de contrôleur de la
circulation aérienne à Moncton (Nouveau-
Brunswick), il a envoyé par radio un message
(une «autorisation») à l'avion, qui survolait
Terre-Neuve, lequel message a entraîné l'acci-
dent soit en vertu des renseignements trom-
peurs relatifs à la navigation qu'il contenait, soit
en vertu de la non-transmission de renseigne-
ments précis sur celle-ci. On prétend que d'au-
tres appelants du Nouveau-Brunswick ont, par
leur négligence qui a conduit à cet acte ou à
cette omission, causé ou favorisé l'accident. On
prétend en outre que d'autres appelants de
Terre-Neuve ont été coupables de n'avoir pas
transmis à l'avion les derniers renseignements
météorologiques qu'ils avaient, ou auraient dû
avoir, et dont le défaut a causé ou favorisé
l'accident.I
L'article 19 de la Justices and Other Public
Authorities (Protection) Act de 1955 (Terre-
Neuve) se lit comme suit:
[TRADUCTION] 19. On ne pourra intenter une action contre
un juge ou toute autre personne au sujet de tout acte
accompli dans l'exercice, ou le prétendu exercice, de tout
pouvoir ou devoir statutaires ou de tout autre devoir public,
ou à propos de toute prétendue négligence ou omission dans
l'exercice de tels pouvoir ou devoir avant
a) qu'un avis écrit de l'action envisagée, exposant claire-
ment et explicitement la cause d'action, nommant le tribu
nal devant lequel on a l'intention de l'intenter et conte-
nant les nom et adresse de la partie ayant l'intention de
poursuivre ainsi que ceux de son avocat, le cas échéant,
ait été remis au juge ou à toute autre personne ou déposé
à son domicile habituel par la personne ayant l'intention
d'intenter l'action, ou par son avocat ou son représentant;
b) l'expiration d'un délai d'au moins trente jours francs à
compter de la date de signification de l'avis, et
c) à moins que l'action ne soit intentée dans les six mois
qui suivent l'acte, la négligence ou l'omission qui fait
l'objet de la plainte ou, si le préjudice ou les dommages
ont duré un certain temps, dans les six mois qui en
suivent la cessation.
Il faut ajouter à cet article l'article 20 de la
même loi, dont voici le texte:
[TRADUCTION] 20. Si une action est intentée alors que la
présente loi interdit de le faire ou avant que ne soit remplies
toutes les conditions préalables que cette loi impose, un
juge du tribunal devant lequel l'action est intentée peut, à la
demande du défendeur et après le dépôt d'un affidavit
portant sur les faits, rejeter les procédures de l'action avec
ou sans dépens, comme il lui semblera convenable.
Aucune défense n'a été produite et les appe-
lants n'ont donc pas invoqué la disposition que
je viens de citer. Je doute que, lorsqu'une décla-
ration révèle une cause d'action, il convienne
d'en demander la radiation au motif qu'une loi
de prescription à caractère général, à la diffé-
rence d'une loi de prescription ne visant que les
biens, peut être invoquée à titre de défense. Si
elle est ainsi invoquée, je doute qu'elle puisse
constituer une défense. Comparer avec l'arrêt
Jacques c. Ellis [1925] 4 D.L.R. 782. Il me
semblerait que la procédure à suivre consiste-
rait à produire une défense et à demander que
soit discutée, avant le procès, la question de
droit suivante: la défense fondée sur la loi géné-
rale de prescription est-elle un obstacle total à
l'action, en supposant que toutes les allégations
de la déclaration soient vraies? Comparer avec
l'arrêt Gunn c. La Reine [1966] R.C.É. 118.
Étant donné ma conclusion sur les autres
aspects du problème, il n'est pas nécessaire que
je réponde à cette question.
Il est évident qu'il n'est pas toujours appro-
prié de faire trancher une question de droit
relative à la situation juridique comme une
question préalable, même si elle s'appuie sur la
présomption que les allégations aux plaidoiries
sont vraies. Comparer avec l'arrêt Drummond -
Jackson c. British Medical Association [19701 1
W.L.R. 688. A mon avis, il n'est pas possible de
formuler une règle générale quant à l'opportu-
nité de recourir à une telle procédure. Dans
chaque cas, cela doit être tranché compte tenu
de toutes les circonstances de l'affaire 2
L'un des facteurs qui amène généralement à
trancher une question de droit comme une ques
tion préalable est le fait que, s'il en résulte le
rejet de l'action du demandeur, cela évite les
frais d'un procès. Cette considération ne joue
pas en l'espèce, la défense des appelants étant
assurée par le procureur général du Canada en
leur nom. Il s'ensuit que, si l'action contre eux
est recevable, elle sera jugée en même temps
que l'action intentée à la Couronne.
L'un des motifs qui pousse à ne pas trancher
une question de droit sur les allégations conte-
nues dans les plaidoiries peut être que les faits
de l'affaire ne sont pas allégués de façon à
permettre qu'on puisse la trancher, même après
une longue et minutieuse discussion. A la tenta
tive de faire trancher comme une question de
droit préalable le fait qu'une loi générale de
prescription est un obstacle à l'action, on peut
opposer cet argument
a) si la déclaration ne révèle pas de façon
précise la cause d'action et si le défendeur n'a
pris aucune mesure obligeant le demandeur à
la présenter de façon sérieuse avant de
demander qu'on tranche la question de la
prescription de l'action, ou
b) si, compte tenu des circonstances, le
demandeur a présenté sa cause d'action d'une
façon aussi précise et complète que celle à
laquelle on pouvait s'attendre avant l'interro-
gatoire préalable et que, néanmoins, on ne
peut avoir les renseignements sur la cause
d'action qui permettraient de déterminer si la
loi s'applique.
Je suis d'avis que la présente affaire entre dans
cette dernière catégorie et je vais m'expliquer à
ce sujet.
Les appelants fondent leur demande sur l'ar-
ticle 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale, dont
voici le texte:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à la prescription des actions en
vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute
procédure devant la Cour relativement à une cause d'action
qui prend naissance dans cette province et une procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance ailleurs que dans une province doit être engagée
au plus tard six ans après que la cause d'action a pris
naissance.
Si on lit l'article 38(1) en regard de l'article 19
de la Justices and Other Public Authorities (Pro-
tection) Act de Terre-Neuve, l'appel ne peut
réussir que si
a) la cause d'action 3 plaidée dans la déclara-
tion a pris naissance à Terre-Neuve, de sorte
que l'article 38(1) de la Loi sur la Cour fédé-
rale peut être interprété comme exigeant que
les lois relatives à la prescription des actions
et en vigueur à Terre-Neuve s'appliquent à
l'égard de cette cause d'action; et si
b) l'action intentée à l'aide de la déclaration
porte sur «tout acte accompli dans l'exercice,
ou le prétendu exercice de tout pouvoir ou
devoir statutaires ou de tout autre devoir
public, ou à propos de toute prétendue négli-
gence ou omission dans l'exercice de tels
pouvoir ou devoir».
Selon moi, il est impossible de répondre affir-
mativement à aucune de ces questions, du
moins d'après les renseignements contenus dans
la déclaration . 4
Aucune des parties n'a invoqué de loi impo-
sant aux défendeurs un devoir, dont le non-
accomplissement constitue le fondement de la
cause d'action mentionnée dans la déclaration.
Par ailleurs, en ce qui concerne la question de
savoir si tout prétendu devoir est un «devoir
public», les devoirs mentionnés dans la déclara-
tion le sont en termes très généraux et ne s'ap-
puient sur aucun fait. Il se peut fort bien que,
jusqu'après l'interrogatoire préalable, les inti-
mées ne puissent exposer de façon plus précise
les faits, qui peuvent n'être connus que de la
Couronne et des appelants. Toutefois, jusqu'à
ce qu'on ait l'essentiel de ces renseignements, il
est prématuré d'essayer de décider si tout
devoir semblable est un «devoir public» au sens
qu'ont ces mots dans la loi de Terre-Neuve et,
puisque le «devoir» constitue le premier élé-
ment de la cause d'action que les intimées fon-
dent sur la négligence des appelants, jusqu'à ce
qu'il soit établi et précisé il est prématuré d'es-
sayer de déterminer, pour les besoins de l'arti-
cle 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la
«province» dans laquelle, le cas échéant, cette
cause d'action a pris naissance. Il s'ensuit que
je suis d'accord avec le savant juge de première
instance lorsqu'il déclare:
[TRADUCTION] D'après les documents dont dispose la Cour,
il est impossible de dire clairement si la cause d'action en
l'espèce a pris naissance uniquement à Terre-Neuve et nulle
part ailleurs.
Avant d'en terminer avec cette affaire, je
crois qu'il est important de prendre note des
arguments très intéressants qu'a avancés l'avo-
cat des appelants au sujet de l'effet de l'article
38(1) de la Loi sur la Cour fédérale et dans
lesquels il a examiné à fond la récente décision
du Conseil privé dans l'affaire Distillers Co
(Bio -Chemicals) Ltd c. Thompson [1971] 1 All
E.R. 694. Il semble ressortir de cette décision
qu'à des époques diverses des sens différents
ont été donnés aux mots qui traitent de la
naissance d'une cause d'action lorsqu'ils ser-
vent à conférer une compétence aux tribunaux,
et qu'un sens différent doit également leur être
donné lorsqu'ils servent à fixer le moment où la
période de prescription commence à courir rela-
tivement aux actions en justice. Toutefois, l'ar-
ticle 38(1) nous pose aussi un autre problème.
La loi y formule une règle plus ou moins arbi-
traire afin de choisir une loi de prescription
provinciale applicable à une action intentée
devant la Cour fédérale. Bien qu'on puisse être
tenté de prendre pour guide la récente décision
du Conseil privé susmentionnée, je suis loin
d'être sûr qu'elle pourrait nous conduire à l'in-
terprétation la plus rationnelle de l'article 38. II
n'y a pas lieu de trancher cette question en ce
moment et il se peut qu'une méthode correcte
d'interprétation de l'article 38 s'impose avant
que le problème nous soit soumis à nouveau.
A mon avis, il y a lieu de rejeter l'appel avec
dépens.
,' Cette description des allégations de la déclaration n'est
ni précise ni exacte; toutefois, je pense qu'elle donne une
idée suffisante des diverses causes d'action exposées pour
permettre d'apprécier les problèmes soulevés par la
demande en radiation.
2 On trouve un résumé très utile de cette question aux
pages 695 et 696 des motifs de Lord Pearson dans l'affaire
Drummond -Jackson:
[TRADUCTION] Depuis de nombreuses années, il est fer-
mement établi par nombre d'arrêts de principe que le
pouvoir de radier une déclaration parce qu'elle ne révèle
aucune cause raisonnable d'action est un pouvoir som-
maire qui ne doit être exercé que dans des cas clairs et
évidents. ... On a cité quatre arrêts récents: Rondel c.
Worsley [1969] 1 A.C. 191; Wiseman c. Borneman [1969]
3 W.L.R. 706; Roy c. Prior [1970] 1 Q.B. 283 et Schmidt
c. Home Office [1969] 2 Ch. 149. Chacune de ces affaires
posait une question de principe importante et l'audition de
la demande ... a été beaucoup plus longue et minutieuse
que d'habitude, mais il a été en définitive décidé que la
prétendue cause d'action était clairement insoutenable,
que la déclaration ne révélait aucune cause raisonnable
d'action et qu'il y avait donc lieu d'en ordonner la radia
tion. Il n'y a eu aucune dérogation au principe qui veut
qu'on ne rende une ordonnance en radiation que s'il est
clair et évident que la demande ou la défense ne peut
réussir, mais la procédure a été exceptionnelle en ce sens
que l'audition a été relativement longue et compliquée
plutôt que brève et sommaire. Les tribunaux doivent
avoir le pouvoir discrétionnaire d'adopter cette procédure
exceptionnelle dans des affaires particulières, lorsque
cela parait comporter des avantages. Toutefois, je ne
pense pas qu'il y a eu, ou qu'il devrait y avoir, un
changement général dans la procédure qui régit les
demandes présentées en vertu de cette règle.
3 J'utilise dorénavant l'expression «cause d'action»
comme comprenant les termes «causes d'action».
4 Même si l'article 20 de la loi de Terre-Neuve s'applique
devant la présente Cour, en vertu de l'article 38 de la Loi
sur la Cour fédérale, ce dont je doute, les appelants ne se
sont pas prévalus de cet article pour présenter d'autres faits
à la Cour.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.