T-1604-95
Illva Saronno S.p.A. (demanderesse)
c.
Privilegiata Fabbrica Maraschino "Excelsior", Girolamo Luxardo S.p.A., Girolamo Luxardo Maraschino Canada Ltd., Saverio Schiralli Agencies Limited et Vanrick Corporation Limited (défenderesses)
Répertorié: Illva Saronno S.p.A.c. Privilegiata Fabbrica Maraschino "Excelsior"(1 re inst.)
Section de première instance, juge Evans-Toronto, 5 octobre; Ottawa, 19 octobre 1998.
Pratique — Renvois — Appel du rejet d'une requête visant à faire trancher les questions de dommages-intérêts et de profits par renvoi — Le protonotaire adjoint a statué que les défenderesses n'avaient pas présenté d'éléments de preuve tendant à montrer que la disjonction des questions de responsabilité et de redressement entraînerait inévitablement une économie de temps et d'argent — Appel rejeté — La règle 107 permet à la Cour, à tout moment, d'ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément — L'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 107 est assujetti aux principes s'appliquant en vertu de la Règle 480 des anciennes Règles, compte tenu de deux modifications apportées par les Règles de 1998: 1) la Cour a plus de latitude étant donné qu'elle peut maintenant ordonner la disjonction des questions même s'il ne s'agit pas de questions qu'il convient de régler par renvoi parce qu'elles soulèvent à la fois des questions de fait et des questions de droit; 2) la règle 107 doit être appliqué compte tenu de l'art. 3, de façon à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible — Dans le cadre d'une requête présentée en vertu de la règle 107 des Règles, la Cour peut ordonner l'ajournement des interrogatoires préalables et de la détermination des questions de redressement tant que les interrogatoires préalables et l'instruction concernant la question de la responsabilité n'auront pas eu lieu, si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que, compte tenu de la preuve et de toutes les circonstances de l'affaire (y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance, les questions en litige et les redressements demandés), la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible — Les défenderesses ne se sont pas acquittées de cette obligation — La Cour s'est arrêtée en particulier à la faible quantité de renseignements figurant dans l'affidavit des défenderesses; au fait que les interrogatoires préalables étaient en cours; au fait qu'il était contestable que des profits aient été réalisés; au fait que si l'on tardait à régler l'affaire d'une façon définitive, la demanderesse subirait probablement un préjudice et au fait qu'il était difficile de démêler complètement les questions de droit se rapportant à la responsabilité et celles se rapportant au redressement.
Il s'agissait d'un appel interjeté contre l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint avait rejeté une requête que les défenderesses avaient présentée en vue de faire trancher la question du montant des dommages-intérêts et des profits dans le cadre d'un renvoi.
Dans la déclaration, la violation d'une marque de commerce était alléguée. Dans le cas d'une défenderesse, il était allégué que la violation avait été commise sur une période de près de 30 ans, alors que les violations qui auraient censément été commises par les autres défenderesses n'avaient commencé qu'à la fin des années 1980. Le protonotaire adjoint Giles a rejeté la requête pour le motif que les défenderesses n'avaient pas présenté d'éléments de preuve tendant à montrer qu'il y aurait inévitablement économie de temps et d'argent si les interrogatoires préalables et l'instruction, en ce qui concerne la question du redressement, avaient lieu après les interrogatoires préalables et l'instruction se rapportant à la question de la responsabilité. Il s'est fondé sur la décision VISX Inc. c. Nidek Co., dans laquelle le juge Hugessen avait statué que les principes régissant la disjonction des questions en vertu de la Règle 480 des anciennes Règles s'appliquaient à la règle 107 des Règles actuelles. Le protonotaire adjoint a inféré des motifs du juge Hugessen que la jurisprudence établit que ces principes continuent à s'appliquer obligatoirement. Il a résumé le critère comme exigeant que les parties qui cherchent à faire juger des questions séparément montrent que si les interrogatoires préalables et l'instruction de la question des dommages-intérêts ou des profits sont ajournés tant que la question de la responsabilité n'aura pas été réglée, il en résultera nécessairement une économie de temps et d'argent. La règle 107 permet à la Cour, à tout moment, d'ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément. L'ancienne Règle 480 permettait à une partie qui désirait procéder à l'instruction sans présenter de preuve sur une question de fait, notamment sur un point relatif aux dommages découlant d'une atteinte à un droit ou aux profits tirés d'une atteinte à un droit, de demander une décision portant que cette question fera, après l'instruction, l'objet d'un renvoi.
Il s'agissait de savoir: 1) si la règle 107 s'applique par rapport aux principes et à la jurisprudence régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'ancienne Règle 480; et 2) si le critère formulé, lorsqu'il s'agit de déterminer dans quelles circonstances le pouvoir discrétionnaire d'ajourner l'instruction des questions de redressement doit être exercé en vertu de la règle 107, est trop rigoureux.
Jugement: l'appel doit être rejeté.
1) L'exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la règle 107, à savoir ordonner une instruction distincte ou le renvoi des questions de redressement, est assujetti aux principes qui s'appliquent en vertu de l'ancienne Règle 480. Toutefois, ces principes, et la jurisprudence qui les a établis, doivent être interprétés compte tenu de deux modifications apportées par les Règles de 1998. En premier lieu, en vertu de la règle 107, la Cour a plus de latitude en ce sens que, contrairement à l'ancienne Règle 480, elle peut maintenant ordonner la disjonction des questions même s'il ne s'agit peut-être pas de questions qu'il convient de régler au moyen d'un renvoi parce qu'elles soulèvent à la fois des questions de fait et des questions de droit. En second lieu, comme toutes les dispositions des nouvelles Règles, la règle 107 doit être interprété compte tenu de la règle 3 et il doit donc être "appliqué de façon à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible". Toutefois, étant donné qu'il était également entendu que l'économie de temps et d'argent constituait le fondement de l'ancienne Règle 480, il ne faudrait pas accorder trop d'importance à ce point dans le présent contexte.
2) Le critère formulé par le protonotaire adjoint Giles, lorsqu'il s'agit de déterminer dans quelles circonstances le pouvoir discrétionnaire d'ajourner l'instruction des questions de redressement doit être exercé en vertu de la règle 107, est trop rigoureux. Compte tenu des décisions qui ont été rendues et des modifications qui ont été apportées par les Règles de 1998, dans le cadre d'une requête présentée en vertu de la règle 107, la Cour peut ordonner l'ajournement des interrogatoires préalables et de la détermination des questions de redressement tant que les interrogatoires préalables et l'instruction concernant la question de la responsabilité n'auront pas eu lieu, si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que, compte tenu de la preuve et de toutes les circonstances de l'affaire (y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance, les questions en litige et les redressements demandés), la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.
Afin d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 107 en reprenant l'affaire depuis le début, la Cour a commencé par la prémisse selon laquelle il sera normalement plus efficace d'exiger que toutes les questions en litige dans une instance soient réglées ensemble plutôt que séparément, compte tenu du fait que la partie qui présente la requête a la charge de la preuve et doit convaincre la Cour qu'une dérogation à la règle générale est justifiée. Les défenderesses ne s'étaient pas acquittées de cette obligation. En arrivant à cette conclusion, la Cour s'est arrêtée en particulier à la faible quantité de renseignements figurant dans l'affidavit des défenderesses; au fait que les interrogatoires préalables étaient déjà en cours; au fait qu'il était contestable que des profits aient été réalisés; au fait que si l'on tardait à régler l'affaire d'une façon définitive, la demanderesse subirait probablement un préjudice et au fait qu'il était difficile de démêler complètement les questions de droit qui se rapportent à la responsabilité et celles qui se rapportent au redressement à accorder le cas échéant.
lois et règlements
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 476, 480, 500.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, Règles 3, 51, 107, 153.
jurisprudence
décision appliquée:
Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; (1993), 93 DTC 5080 (C.A.).
décisions examinées:
VISX, Inc. c. Nidek Co., [1998] F.C.J. no 811 (1re inst.) (QL); Depuy (Canada) Ltd. c. Joint Medical Products Corp. (1996), 67 C.P.R. (3d) 145 (C.A.F.); Brouwer Turf Equipment Ltd. c. A and M Sod Supply Ltd., [1977] 1 C.F. 51; (1976), 13 N.R. 83 (C.A.); Canamerican Auto Lease & Rental Limited c. La Reine, [1985] 1 C.F. 638 (1re inst.).
APPEL du rejet de la requête des défenderesses visant à faire trancher les questions de dommages-intérêts et de profits par renvoi (Illva Saronno S.p.A. c. Privilegiata Fabbrica Maraschino —Excelsior—, [1998] F.C.J. no 1282 (1re inst.) (QL)). Appel rejeté.
ont comparu:
B. D. Edmonds pour la demanderesse.
Newton Wong pour les défenderesses.
avocats inscrits au dossier:
McCarthy Tétrault, Toronto, pour la demanderesse.
Newton Wong & Associates, Toronto, pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus par
Le juge Evans: Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], contre l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint Giles a rejeté, le 8 septembre 1998 [[1998] F.C.J. no 1282 (1re inst.) (QL)], une requête que les défenderesses avaient présentée dans l'instance en vertu de la règle 107 en vue de faire ajourner les interrogatoires préalables et l'instruction de la question du montant des dommages-intérêts ou des profits qui devraient être payés à la demanderesse tant que leur responsabilité envers cette dernière n'aurait pas été déterminée à l'instruction.
Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que les défenderesses ont violé les droits qu'elle possède en vertu de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] en fabricant, important, commercialisant et distribuant au Canada une liqueur dont le nom et la présentation sont semblables à ceux d'un de ses produits au point de créer de la confusion. Dans le cas de la défenderesse Saverio Schiralli Agencies Limited, il est allégué que la violation a été commise sur une période de près de 30 ans, alors que les violations qui auraient censément été commises par les autres défenderesses n'ont commencé qu'à la fin des années 1980.
La demanderesse est une société italienne, comme l'est également la défenderesse Luxardo qui fabrique la liqueur. La demanderesse n'a pas encore décidé si elle allait demander des dommages-intérêts pour la perte subie, ou une reddition de comptes de la part des défenderesses, par suite de la violation alléguée des droits qu'elle possède en vertu de la Loi sur les marques de commerce.
Jusqu'à maintenant, l'interrogatoire préalable du défendeur Saverio Schiralli a duré six jours, et une journée a été consacrée à la question du redressement; l'avocat prévoit qu'il faudra consacrer encore trois jours à cette question. Les interrogatoires préalables des deux autres défenderesses ne sont pas encore commencés, mais il se peut qu'ils ne prennent pas autant de temps que celui de Saverio Schiralli étant donné que les violations alléguées ne remontent qu'à une dizaine d'années. Le fait que les défenderesses auraient un certain nombre de lignes de produits vient compliquer les choses en ce qui concerne les interrogatoires préalables visant à permettre de déterminer le montant des profits illégaux qu'elles peuvent être tenues de remettre à la demanderesse. L'avocat des défenderesses, qui a présenté la requête dont je suis ici saisi, estimait qu'à l'instruction, il faudrait probablement consacrer cinq jours à la question du redressement.
Le protonotaire adjoint Giles a rejeté la requête pour le motif que les défenderesses n'avaient pas présenté d'éléments de preuve tendant à montrer que la disjonction des questions de responsabilité et de redressement entraînerait inévitablement une économie de temps et d'argent si les interrogatoires préalables et l'instruction, en ce qui concerne la question du redressement, avaient lieu après les interrogatoires préalables et l'instruction se rapportant à la question de la responsabilité.
M. Giles s'est fondé sur la décision VISX Inc. c. Nidek Co., [1998] F.C.J. no 811 (1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Hugessen a statué que les principes régissant la disjonction des questions en vertu de la Règle 480 des anciennes Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] s'appliquaient à la règle 107 actuelle. Le protonotaire adjoint a inféré des motifs énoncés par le juge Hugessen que la jurisprudence établit que ces principes continuent à s'appliquer obligatoirement. M. Giles a résumé le critère pertinent comme suit [au paragraphe 2]:
[traduction] À mon avis, cela montre qu'il faut que les parties qui cherchent à faire juger des questions séparément montrent que si les interrogatoires préalables et l'instruction de la question des dommages-intérêts ou des profits sont ajournés tant que la question de la responsabilité n'aura pas été réglée, il en résultera nécessairement une économie de temps et d'argent. Le fait que moins de temps serait consacré aux interrogatoires préalables et à l'instruction, si le défendeur avait gain de cause à l'instruction, n'est pas suffisant [. . .] [Souligné dans l'original.]
Les parties reconnaissent que dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de la règle 51, la Cour ne peut intervenir que si, dans la décision rendue à l'égard de la requête, le protonotaire a mal apprécié les faits ou s'il s'est fondé sur un mauvais principe, ou encore si l'ordonnance porte sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause; toutefois, si l'existence de pareille erreur est constatée, la Cour peut exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début, et elle peut statuer sur la requête au fond: Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.). Il s'agit donc avant tout de savoir si le protonotaire adjoint Giles a eu raison de conclure que la règle 107 s'applique par rapport aux principes et à la jurisprudence régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'ancienne Règle 480.
Avec une économie de mots et une simplicité caractéristiques des Règles de 1998, la règle 107 est ainsi libellé:
107. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner l'instruction d'une question soulevée ou ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément.
Comme le juge Hugessen l'a souligné dans la décision VISX, le prononcé d'une ordonnance fondée sur la règle 107 n'exclut pas la possibilité de prononcer, en temps utile, une autre ordonnance en vertu de la règle 153 afin de trancher la question des dommages-intérêts ou des profits dans le cadre d'un renvoi, dans la mesure où seules des questions de fait sont soulevées.
L'ancienne Règle 480 permettait à une partie qui désirait procéder à l'instruction sans présenter de preuve sur une question de fait, notamment sur un point relatif aux dommages découlant d'une atteinte à un droit ou aux profits tirés d'une atteinte à un droit, de demander une décision portant que cette question fera, après l'instruction, l'objet d'un renvoi en vertu de la Règle 500 et suivantes. La Règle 476 des anciennes autorisait également la Cour à ordonner qu'une question soit réglée à l'instruction avant la tenue d'un interrogatoire préalable se rapportant à une question qui dépendait de la détermination de cette question.
Le protonotaire adjoint Giles a certainement eu raison de statuer que dans la décision VISX, où des questions fort semblables à celles qui se posent en l'espèce étaient soulevées, le juge Hugessen avait dit [au paragraphe 3] qu'il lui semblait que les principes qui s'appliquaient auparavant aux requêtes visant à faire ajourner l'interrogatoire préalable et l'instruction se rapportant à la question du redressement tant que la question de la responsabilité n'aurait pas été instruite s'appliquaient en l'espèce.
Le juge Hugessen a cité l'arrêt Depuy (Canada) Ltd. c. Joint Medical Products Corp. (1996), 67 C.P.R. (3d) 145 (C.A.F.), pour illustrer ces principes. Dans cette affaire-là, le juge Hugessen (alors juge de la Cour d'appel), qui rendait jugement au nom de la Cour, a statué [à la page 146] que le juge des requêtes avait commis une erreur de droit lorsqu'il avait exigé que la demanderesse démontre l'existence "de circonstances vraiment exceptionnelles et de points extraordinairement complexes" avant d'ordonner la disjonction des questions de responsabilité et de redressement. Comme il l'a dit (à la page 146): "Ce critère fixe un seuil beaucoup trop élevé." Toutefois, le juge Hugessen a également cité en l'approuvant la remarque que le juge en chef Jackett avait faite dans la décision Brouwer Turf Equipment Ltd. c. A and M Sod Supply Ltd. , [1977] 1 C.F. 51 (C.A.), à la page 54:
[. . .] le principe général veut que le demandeur prouve l'ensemble de sa cause en première instance; et, en l'absence de consentement ou de "raisons influant sur la conduite de l'action dans son ensemble", la Règle 480 ne peut servir à mettre en échec ce principe.
Je conclus que le protonotaire adjoint Giles avait tout à fait raison de dire que l'exercice par la Cour du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la règle 107, à savoir ordonner une instruction distincte ou le renvoi des questions de redressement, est assujetti aux principes qui s'appliquent en vertu de l'ancienne Règle 480. Toutefois, ces principes, et la jurisprudence qui les a établis, doivent être interprétés compte tenu de deux modifications apportées par les Règles de 1998. En premier lieu, en vertu de la règle 107 des nouvelles Règles, la Cour a plus de latitude en ce sens que, contrairement à l'ancienne Règle 480, elle peut maintenant ordonner la disjonction des questions même s'il ne s'agit peut-être pas de questions qu'il convient de régler au moyen d'un renvoi parce que, par exemple, elles soulèvent à la fois des questions de fait et des questions de droit. En second lieu, comme toutes les dispositions des nouvelles Règles, la règle 107 doit être interprétée compte tenu de la règle 3, et, elle doit donc être "appliquée de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible". Toutefois, étant donné qu'il était également entendu que l'économie de temps et d'argent constituait le fondement de l'ancienne Règle 480 (voir Brouwer Turf , loc. cit.), il ne faudrait pas accorder trop d'importance à ce point dans le présent contexte.
Cela m'amène à conclure en outre que le critère formulé par le protonotaire adjoint Giles, lorsqu'il s'agit de déterminer dans quelles circonstances le pouvoir discrétionnaire d'ajourner l'instruction des questions de redressement doit être exercé en vertu de la règle 107, est trop rigoureux. Je ne puis constater dans l'arrêt Depuy, ou dans les autres décisions qui y sont citées, l'existence d'une exigence voulant qu'on présente une preuve tendant à montrer que pareille ordonnance entraînera nécessairement une économie de temps et d'argent, même si dans la décision Canamerican Auto Lease & Rental Limited c. La Reine, [1985] 1 C.F. 638 (1re inst.), le juge Dubé a presque appliqué cette norme lorsqu'il a dit qu'il convient de procéder par renvoi s'il paraît raisonnablement certain que la disjonction permettrait d'épargner du temps et de l'argent. Toutefois, à mon avis, le critère énoncé par le protonotaire adjoint Giles est trop semblable à celui qui a été rejeté dans la décision Depuy qui a récemment été rendue et est encore plus restrictif que celui qui a été formulé dans la décision Canamerican.
Par conséquent, compte tenu des décisions qui ont été rendues et des modifications qui ont été apportées par les Règles de 1998, je formulerais le critère à appliquer en vertu de la règle 107 comme suit: dans le cadre d'une requête présentée en vertu de la règle 107, la Cour peut ordonner l'ajournement des interrogatoires préalables et de la détermination des questions de redressement tant que les interrogatoires préalables et l'instruction concernant la question de la responsabilité n'auront pas eu lieu, si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que, compte tenu de la preuve et de toutes les circonstances de l'affaire (y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance, les questions en litige et les redressements demandés), la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.
Puisque j'ai conclu que le protonotaire adjoint Giles a commis une erreur en formulant le critère pertinent, je dois maintenant exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 107 en reprenant l'affaire depuis le début. La tâche n'est pas facile. Toutefois, je commence par la prémisse sur laquelle la remarque que le juge en chef Jackett a faite dans la décision Brouwer Turf est fondée, à savoir qu'il sera normalement plus efficace d'exiger que toutes les questions en litige dans une instance soient réglées ensemble plutôt que séparément. De plus, je tiens compte du fait que la partie qui présente la requête a la charge de la preuve et doit convaincre la Cour qu'une dérogation à la règle générale est justifiée.
Quant aux faits de la présente espèce, je remarque que, même si l'on a déjà consacré une journée à l'interrogatoire préalable d'un défendeur en ce qui concerne la question du redressement, on estime qu'il faudra encore trois jours pour achever l'interrogatoire et que l'interrogatoire préalable des autres parties n'est pas encore commencé. Les interrogatoires préalables nécessaires en ce qui concerne la question de la remise des profits prendront probablement beaucoup plus de temps et seront beaucoup plus coûteux pour les défenderesses qui ont un certain nombre de lignes de produits, comme c'est ici le cas. Étant donné que deux parties sont des sociétés italiennes, il faudra peut-être également encore plus de temps et d'argent, par exemple lorsqu'il s'agira de traduire des documents et de faire comparaître les témoins. La durée des violations alléguées (près de 30 ans dans le cas d'une défenderesse, et 10 ans dans le cas des autres) milite également en faveur de la disjonction.
D'autre part, comme l'avocat de la demanderesse, Me Edmonds, l'a souligné en répondant à cette requête, si les interrogatoires préalables et l'instruction des questions de redressement sont ajournés jusqu'après l'instruction de la question de la responsabilité, cela occasionnera peut-être des frais et un retard additionnels inutiles. Ainsi, si les défenderesses étaient tenues responsables, les interrogatoires préalables, les instructions et les appels possibles auront peut-être lieu à deux reprises. En outre, l'avocat a soutenu que lorsque les parties seront en possession de tous les renseignements pertinents après que des interrogatoires préalables complets auront été tenus sur toutes les questions en litige, il sera peut-être plus facile d'en arriver à un règlement de l'instance, ou d'envisager à ce stade l'opportunité de séparer les questions en litige.
Me Edmonds s'est également fondé sur le fait que dans l'ensemble les interrogatoires préalables sont terminés; que les défenderesses avaient soulevé la possibilité de séparer les questions le quatrième jour seulement; qu'il n'a pas été vraiment nécessaire de traduire des documents; et qu'on ne savait pas encore si les défenderesses avaient réalisé des profits qu'elles pourraient être tenues de remettre. L'avocat se préoccupait également de l'âge avancé des personnes qui étaient en possession de l'information financière relative à l'entreprise d'une des défenderesses, et du fait que, si le jugement final était retardé, la somme accordée ne puisse pas être recouvrée.
Me Edmonds a également mis l'accent sur un point que le protonotaire adjoint Giles avait soulevé dans les motifs de son ordonnance, à savoir que la disjonction des questions n'aurait pour effet d'abréger la durée de l'instruction que si les défenderesses avaient gain de cause à l'égard de la question de la responsabilité, soit une chose dont les défenderesses n'avaient pas traité en montrant que la demande n'était pas bien fondée. D'autre part, il serait également à bon droit possible de dire que si la demanderesse avait gain de cause à l'instruction, les défenderesses seraient peut-être davantage prêtes à convenir d'un montant à payer en vue de régler la question de la responsabilité.
Somme toute, j'ai décidé que les défenderesses ne se sont pas acquittées de l'obligation qui leur incombait d'établir selon la prépondérance des probabilités que la possibilité d'effectuer des économies de temps et d'argent et d'apporter une solution juste au litige est telle qu'est justifiée une dérogation au principe général voulant que toutes les questions qui se posent dans une instance soient examinées ensemble. En arrivant à cette conclusion, je me suis arrêté en particulier aux considérations suivantes: la faible quantité de renseignements figurant dans l'affidavit des défenderesses; le fait que les interrogatoires préalables sont déjà en cours; le fait qu'il est contestable que des profits aient été réalisés; le fait que si l'on tarde à régler l'affaire d'une façon définitive, la demanderesse subira probablement un préjudice et le fait qu'il est difficile de démêler complètement les questions de droit qui se rapportent à la responsabilité et celles qui se rapportent au redressement à accorder le cas échéant.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel interjeté contre l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles, mais puisque j'ai conclu que le protonotaire adjoint a appliqué le mauvais critère en ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à la règle 107, je n'adjuge pas de dépens.
ORDONNANCE
La requête visant à faire annuler l'ordonnance par laquelle le protonotaire adjoint a rejeté, le 8 septembre 1998, la requête des défenderesses visant à faire juger par renvoi les questions de dommages-intérêts et de profits est par les présentes rejetée. Aucuns dépens ne sont pas adjugés.