[1997] 1 C.F. 79
A-14-94
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Melville Neuman (intimé)
Répertorié : Canada c. Neuman (C.A.)
Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Stone et McDonald, J.C.A.—Winnipeg, 14 décembre 1995; Ottawa, 23 août 1996.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Dividendes — Appel d’un jugement de première instance, confirmant la décision de la Cour de l’impôt qui avait accueilli l’appel du contribuable formé à l’encontre d’une nouvelle cotisation, établie en vertu de l’art. 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, incluant le dividende de la société versé à son épouse dans le revenu de l’intimé — L’art. 56(2) dispose que le paiement ou le transfert de biens fait, avec l’accord du contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable — Le contribuable a constitué une société afin de fractionner son revenu avec son épouse — Le contribuable et son épouse étaient les dirigeants de la société — Alors qu’elle était seule administratrice, l’épouse a déclaré un dividende sur ses actions — Le contribuable a ratifié cette déclaration de dividende — Son épouse n’a pas fourni d’apport à la société et n’a assumé aucun risque — Immédiatement après la déclaration du dividende, l’épouse a prêté cette somme au contribuable — La preuve établit que l’épouse a déclaré le dividende avec l’accord du contribuable — Cet accord se déduit des circonstances, notamment du degré de contrôle que le contribuable est en droit d’exercer sur la société qui confère l’avantage — Les quatre éléments énoncés dans l’arrêt Fraser Companies Ltd. c. La Reine, nécessaires pour entraîner l’application de l’art. 56(2), sont réunis — Le ministre n’est pas tenu de prouver que l’épouse du contribuable n’était pas assujettie à l’impôt sur ce dividende — Le contribuable et son épouse traitaient avec un lien de dépendance — L’art. 56(2) s’applique.
Juges et tribunaux — La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt McClurg c. Canada, a statué que l’art. 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas à la déclaration de dividendes, notamment aux dividendes déclarés en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, mais le juge en chef Dickson a précisé que l’art. 56(2) pouvait s’appliquer à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsqu’un actionnaire ayant un lien de dépendance ne fournit aucun apport à la société — L’applicabilité de l’art. 56(2) aux opérations avec lien de dépendance était une question pertinente, quoique non nécessaire au règlement de l’appel étant donné que l’épouse avait fourni un apport réel à la société — Cette opinion, représentant l’opinion réfléchie de la majorité de la Cour suprême du Canada, lie les tribunaux d’instance inférieure.
Il s’agit d’un appel du jugement de première instance, confirmant une décision de la Cour de l’impôt qui avait accueilli l’appel formé à l’encontre d’une nouvelle cotisation en vertu de laquelle le montant du dividende versé à l’épouse de l’intimé avait été inclus dans son revenu conformément au paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paragraphe 56(2) dispose que tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou transfert avait été fait au contribuable.
L’intimé a constitué en personne morale Melru Ventures Inc. aux fins de partager le revenu d’une autre société avec son épouse. Il a vendu les actions ordinaires qu’il détenait dans cette autre société à Melru en échange d’un nombre égal d’actions de catégorie « G » de Melru. L’intimé a été nommé président et son épouse, secrétaire. Il était titulaire de la seule action ordinaire assortie d’un droit de vote. L’intimé a été élu administrateur jusqu’à la première assemblée annuelle, date à laquelle Mme Neuman a été élue seule administratrice de Melru. L’intimé et son épouse ont continué de faire office de dirigeants de la société. Mme Neuman était titulaire d’actions de catégorie « F ». Le 8 septembre 1982, au cours d’une réunion présidée par l’intimé à titre de président, une résolution a été adoptée à l’unanimité afin que soit déclaré un dividende imposable de 5 000 $ sur les actions de catégorie « G » et un dividende de 14 800 $ sur les actions de catégorie « F ». L’intimé, en sa qualité de dirigeant, a ratifié la déclaration des dividendes. Le même jour, Mme Neuman a prêté à son mari 14 800 $, emprunt garanti au moyen d’un billet à ordre. Elle est décédée en 1988. Aucune demande n’a jamais été faite concernant le billet et aucun intérêt payé sur le prêt. Le juge de première instance a conclu que Mme Neuman n’avait fourni aucun apport à Melru, ni assumé de risques pour le compte de la société. Le montant des dividendes était arbitraire.
Dans l’arrêt McClurg c. Canada, la Cour suprême du Canada a conclu que, en tant que principe général, le paragraphe 56(2) ne s’applique pas à la déclaration de dividendes, y compris aux dividendes déclarés en vertu d’un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, le juge en chef Dickson a ajouté que le paragraphe 56(2) pouvait s’appliquer à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsque l’actionnaire ayant un lien de dépendance n’a fourni aucun apport à la société. La Cour de l’impôt a conclu que les faits de l’espèce n’étaient pas expressément visés au paragraphe 56(2). Le juge de première instance a statué qu’il n’y avait pas lieu d’établir une distinction entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance, et que le paragraphe 56(2) n’avait pas été conçu pour empêcher le type de fractionnement du revenu auquel s’était livré l’intimé. Il a refusé de faire reposer le règlement de l’affaire sur la question de savoir si Mme Neuman avait agi avec l’accord de son époux.
Les questions sont les suivantes : (1) Mme Neuman agissait-elle suivant les instructions ou avec l’accord de l’intimé quand elle a déclaré le dividende de 14 800 $ que la société Melru devait lui verser; (2) la remarque incidente du juge en chef Dickson dans l’arrêt McClurg lie-t-elle les tribunaux d’instance inférieure; (3) l’art. 56(2) autorise-t-il le ministre à inclure dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982 le dividende de 14 800 $ que Mme Neuman a reçu de Melru.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
(1) Le juge de première instance n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve et par conséquent il a commis une erreur de droit. Il y avait suffisamment d’éléments de preuve indiquant que l’intimé avait donné son accord à Mme Neuman pour que celle-ci déclare le dividende de 14 800 $ de la société Melru à son profit, et que Mme Neuman a agi avec cet accord quand elle a déclaré le dividende.
L’accord ou la participation du contribuable relativement à l’octroi de l’avantage ne doit pas nécessairement être actif. Il peut très bien être passif ou implicite et peut s’inférer de toutes les circonstances, notamment du degré de contrôle que le contribuable est en droit d’exercer sur la société qui confère l’avantage.
L’appelante a réussi à établir les quatre éléments énoncés dans la décision Fraser Companies Ltd. c. La Reine nécessaires pour invoquer avec succès le paragraphe 56(2). (i) Il y a eu paiement ou transfert de biens à une personne autre que le contribuable. Le paiement d’un dividende est un transfert de biens. (ii) La preuve, prise dans son ensemble, établit d’après la prépondérance des probabilités que le dividende de 14 800 $ a été déclaré à Mme Neuman avec l’accord de l’intimé. Le paragraphe 56(2) dispose qu’il faut établir que le transfert de biens a été fait suivant les instructions ou avec l’accord du contribuable, mais n’exige pas la preuve de ces deux éléments. (iii) En fractionnant le revenu avec son épouse, l’intimé a réduit le montant de l’impôt qu’il aurait autrement dû payer sur son revenu et il a en outre bénéficié de la totalité du montant du dividende en empruntant cette somme à son épouse. Ce prêt n’a jamais été remboursé. (iv) Par l’application conjointe de l’alinéa 12(1)j) et du paragraphe 82(1), le dividende que Mme Neuman a reçu aurait été inclus dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982 si le versement ne lui en avait pas été fait.
L’application du paragraphe 56(2) ne serait pas contraire à la réalité commerciale de la déclaration du dividende à Mme Neuman, étant donné que cette réalité est inexistante. Le versement du dividende à Mme Neuman ne peut être considéré comme le résultat d’une relation d’affaires normale.
Ni les décisions citées ni le paragraphe 56(2), lu dans le contexte de la Loi dans son ensemble, n’imposent au ministre l’obligation de prouver que l’épouse de l’intimé n’était pas assujettie à l’impôt sur le dividende qu’elle a reçu.
(2) L’intimé et son épouse traitaient avec un lien de dépendance. Étant donné qu’ils étaient les seuls actionnaires de Melru, ils avaient également un lien de dépendance avec cette société. Confrontés à ces faits, les tribunaux d’instance inférieure étaient tenus d’examiner l’opinion du juge en chef Dickson dans l’arrêt McClurg. La question de l’applicabilité du paragraphe 56(2) aux opérations avec lien de dépendance était tout à fait pertinente dans l’arrêt McClurg. Même si elle n’était pas nécessaire au règlement de cet appel, étant donné que Mme McClurg avait fourni un apport réel à la société, l’opinion exprimée par le juge en chef Dickson représentait l’opinion réfléchie de la majorité de la Cour et elle liait par conséquent les tribunaux d’instance inférieure et la présente Cour. Le paragraphe 56(2) était applicable à l’opération.
(3) Le ministre a eu raison d’inclure le dividende que Ruby Neuman a reçu de Melru dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Corporations Act (The), S.M. 1976, ch. 40.
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 12(1), 56(2),(3),(4), 82(1) (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 36), 178(2) (mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 64; 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58; 1984, ch. 45, art. 75), 251.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 324.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Fraser Companies Ltd. c. La Reine, [1981] CTC 61; (1981), 81 DTC 5051 (C.F. 1re inst.); Champ (W) c. La Reine, [1983] CTC 1; (1982), 83 DTC 5029 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; (1990), 76 D.L.R. (4th) 217; [1991] 2 W.W.R. 244; 50 B.L.R. 161; [1991] 1 C.T.C. 169; 91 DTC 5001; 119 N.R. 101; Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585 [1991] 1 C.T.C. 113; (1990), 90 DTC 6681; 127 N.R. 69 (C.A.); McClurg (J.A.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 355; (1986), 86 DTC 6128; 2 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Canada c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356 [1988] 1 C.T.C. 75; (1988), 88 DTC 6047; 84 N.R. 214 (C.A.); Smith (D.N.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 418; (1986), 86 DTC 6196; 2 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES :
Smith (D.N.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 257; (1993), 93 DTC 5351; 156 N.R. 225 (C.A.F.); Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592; (1973), 40 D.L.R. (3d) 371; 11 C.P.R. (2d) 206; Murphy (GA) c. La Reine, [1980] CTC 386; (1980), 80 DTC 6314 (C.F. 1re inst.); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Sellars c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 527; (1980), 110 D.L.R. (3d) 629; 52 C.C.C. (2d) 345; 20 C.R. (3d) 381; 32 N.R. 70.
DOCTRINE
Krishna, Vern and J. Anthony VanDuzer. « Corporate Share Capital Structures and Income Splitting : McClurg v. Canada » (1993), 21 Rev. can. D. comm. 335.
McDonnell, T. E. « Income Splitting : McClurg Obiter Dicta Not Applied » (1992), 40 Rev. fiscale can. 1143.
Welling, B. L. Corporate Law in Canada : The Governing Principles, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1991.
APPEL d’un jugement de première instance, confirmant la décision de la Cour de l’impôt (M.R.N. c. Neuman, [1994] 2 C.F. 154 [1994] 1 C.T.C. 354; (1993), 94 DTC 6094; 72 F.T.R. 17 (1re inst.); Neuman (M.) c. M.R.N., [1992] 2 C.T.C. 2074; (1992), 92 DTC 1652 (C.C.I.)) qui avait accueilli un appel formé à l’encontre d’une nouvelle cotisation aux termes de laquelle, en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre avait inclus dans le revenu du contribuable le montant du dividende d’une société versé à son épouse dans le cadre d’une opération avec lien de dépendance. Appel accueilli.
AVOCATS :
Robert W. McMechan, pour l’appelante.
Joe E. Hershfield, Ralph D. Neuman et Brian D. Sexton, pour l’intimé.
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelante.
Taylor, McCaffrey, Winnipeg, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
La Cour : Il s’agit d’un appel d’une décision de la Section de première instance, [1994] 2 C.F. 154, confirmant une décision de la Cour de l’impôt (citée à [1992] 2 C.T.C. 2074), qui avait accueilli l’appel de l’intimé formé à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie relativement à son revenu pour l’année d’imposition 1982 dans les circonstances décrites ci-dessous.
L’appel soulève la question de savoir si un dividende de 14 800 $, versé à l’épouse de l’intimé sur des actions de catégorie « F » non assorties du droit de vote, a été à bon droit attribué à l’intimé à titre de revenu, au motif que le montant du dividende constituait un paiement ou un transfert de biens fait suivant les instructions ou avec l’accord de l’intimé, au sens du paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] (la Loi).
L’appel exige également que la Cour se penche sur l’affirmation suivante énoncée par le juge en chef du Canada dans les motifs qu’il a exprimés au nom de la majorité dans l’arrêt McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020, à la page 1054 :
À mon avis, si une distinction s’impose dans l’application du par. 56(2) entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance, il faut la faire entre l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsque l’actionnaire ayant un lien de dépendance n’a fourni aucun apport à la société (auquel cas le par. 56(2) peut s’appliquer) et les cas où un apport légitime a été fourni. [Non souligné dans l’original.]
Les faits
L’intimé était, à l’époque pertinente, associé au sein du cabinet d’avocats Newman, MacLean à Winnipeg, au Manitoba. Certains de ses associés et lui-même étaient propriétaires de 1 285,714 actions ordinaires de la société Newmac Services (1973) Ltd. (Newmac). Newmac possédait certains immeubles à usage commercial au centre-ville de Winnipeg, dont l’immeuble occupé par Newman, MacLean. Newmac assurait également la gestion de cet immeuble en vertu d’un contrat signé avec Newman, MacLean.
Le 29 avril 1981, l’intimé a constitué en personne morale Melru Ventures Inc. (Melru), dont il était le seul actionnaire et administrateur. Melru a été constitué à des fins de planification fiscale dans des buts très précis : partager le revenu tiré de Newmac avec son épouse Ruby Neuman et geler l’avoir de l’intimé dans Newmac, laissant toute augmentation échoir à son épouse.
Le capital autorisé de Melru était réparti de la façon suivante[1] :
[traduction] 5 000 actions ordinaires assorties d’un droit de vote,
5 000 actions ordinaires non assorties d’un droit de vote,
10 000 actions de catégorie « A »,
30 000 actions de catégorie « B »,
25 000 actions de catégorie « C »,
25 000 actions de catégorie « D »,
300 000 actions de catégorie « E »,
5 000 actions de catégorie « F » et
1 286 actions de catégorie « G »,
sans valeur nominale, étant entendu que les actions ne peuvent être émises pour une contrepartie supérieure, en montant ou en valeur, à la somme globale de 40 000 $.
Les statuts constitutifs de Melru[2] énoncent les droits, privilèges, restrictions et conditions attachés aux actions de catégories « F » et « G » :
[traduction] a) Les détenteurs d’actions de catégorie « G » ont droit chaque année, à la discrétion des administrateurs, à des dividendes non cumulatifs versables sur tout ou partie des bénéfices ou des surplus disponibles aux fins du versement de dividendes à un taux qui, de temps à autre, peut être déclaré sur ces actions, mais qui ne dépasse pas l’équivalent de 1 pour 100 par année sur le « prix de rachat » en sus du plus élevé des taux bancaires préférentiels, imputés par les banques avec lesquelles la société fait affaire pendant l’année en question.
…
c) En cas de liquidation ou de dissolution de la société, volontaire ou non, les détenteurs d’actions de catégorie « G » ont droit, avant toute distribution sur quelque partie que ce soit de l’actif de la société entre les détenteurs de toute autre catégorie d’actions et à l’exclusion de tout autre montant, à une somme équivalent au prix de rachat de chaque action de catégorie « G » et à tout dividende déclaré à l’égard de ces actions mais non versé.
d) En cas de liquidation ou de dissolution de la société, volontaire ou non, les détenteurs d’actions privilégiées ont droit, avant toute distribution sur quelque partie que ce soit de l’actif de la société entre les détenteurs d’actions de catégorie « F » et d’actions ordinaires et à l’exclusion de tout autre montant, à un montant équivalent à la somme de 1 $ par action et à tout dividende déclaré à l’égard de ces actions mais non versé.
e) Tous les dividendes versés ou déclarés et mis de côté aux fins du versement dans un exercice financier, après le versement des dividendes à l’égard des actions de catégorie « G » et des actions privilégiées, sont en premier versés à l’égard des actions de catégorie « F » jusqu’à ce que des dividendes totalisant 0 01 $ l’action sur les actions de catégorie « F » alors en circulation, aient été versés et, par la suite, tous les dividendes additionnels sont mis de côté en vue d’être versés à l’égard des actions ordinaires jusqu’à ce que 0 01 $ ait été versé pour chaque action ordinaire alors en circulation; tous les dividendes additionnels sont versés sur les actions de catégorie « F » jusqu’à ce qu’elles aient reçu la fraction des bénéfices qui est dûment disponible aux fins du versement de dividendes selon la part que les actions de catégorie « F » alors en circulation représentent du total des actions de catégorie « F » et des actions ordinaires alors en circulation. Le solde est, à la discrétion des administrateurs, versé sur les actions ordinaires ou mis de côté aux fins du versement à une date ultérieure sur les actions ordinaires à la discrétion du conseil d’administration. Toute somme mise de côté aux fins du versement à une date ultérieure sur les actions ordinaires aux termes de la présente clause e) n’entrera plus en ligne de compte dans le calcul des bénéfices futurs à partir desquels des dividendes peuvent dûment être versés dans la mesure où sont visées les actions de catégorie « F »; pour autant, toutefois, qu’aucun dividende ne soit versé sur les actions de catégorie « F » ou sur les actions ordinaires, de façon à faire passer la valeur des actions de catégorie « G » en-dessous du prix de rachat.
f) Sous réserve des droits prioritaires des actions de catégorie « G » et des actions privilégiées, à la dissolution de la société, les détenteurs d’actions de catégorie « F » ont droit à un montant égal à la somme de 1 $ l’action et à tous les dividendes déclarés mais non versés prioritairement à tout versement sur les actions ordinaires; après que les titulaires des actions ordinaires auront reçu une somme semblable pour chaque action et ainsi que tous les dividendes déclarés mais non versés et toutes les sommes mises de côté aux fins du versement des dividendes sur les actions ordinaires, les détenteurs d’actions de catégorie « F » et d’actions ordinaires participeront également au partage du reliquat pour chaque action détenue sans préférence ni priorité.
g) La société peut racheter la totalité ou une partie des actions de catégorie « F » contre paiement, pour chacune des actions à racheter, de la somme qui serait disponible pour cette catégorie si la société était alors en dissolution, divisée par le nombre d’actions de catégorie « F » alors en circulation; pour autant, toutefois, qu’aucun dividende ne soit versé sur les actions de catégorie « F », de façon à faire passer la valeur des actions de catégorie « G » en-dessous du prix de rachat.
h) La société a le droit, à sa discrétion et à n’importe quel moment, d’acheter les actions de catégorie « G » en fonction des offres reçues pour une somme qui ne dépasse pas le prix de rachat majoré des dividendes déclarés et non versés.
…
j) Sous réserve des dispositions de la Loi sur les sociétés par actions, tout détenteur d’actions de catégorie « G » peut exiger que la société rachète la totalité ou une partie de ses actions contre paiement, pour chaque action à racheter, du prix de rachat majoré des dividendes déclarés et non versés.
…
l) Sous réserve de l’alinéa v) et des dispositions de la Loi sur les sociétés par actions, les détenteurs d’actions ordinaires sans droit de vote et les détenteurs d’actions de catégories « D », « E » et « F » n’ont, en cette qualité, aucun droit de vote concernant l’élection des administrateurs ou pour toute autre fin, et n’ont pas non plus le droit de recevoir les avis de convocation ou d’assister aux assemblées des actionnaires. Les détenteurs d’actions ordinaires assorties d’un droit de vote, et les détenteurs d’actions de catégories « A », « B » et « G » ont droit, sous réserve des alinéas m) et n), à un vote pour chacune de ces actions qu’ils détiennent. Les détenteurs d’actions de catégorie « C », sous réserve de l’alinéa o), ont le droit à quatre votes pour chacune de ces actions qu’ils détiennent.
m) Sous réserve de l’alinéa m) [sic] et des dispositions de la Loi sur les sociétés par actions, dès la survenance de l’un ou de plusieurs des événements suivants :
i) le décès de n’importe quel détenteur d’actions de catégorie « G »;
ii) le transfert d’actions de catégorie « G » (en vertu de la loi ou de l’equity);
la totalité des actions de catégorie « G » sont immédiatement privées de tout droit de vote et, par la suite, aucune action de cette catégorie ne donne à son détenteur le droit de voter pour l’élection des administrateurs ou pour toute autre fin, ni de recevoir les avis de convocation ou d’assister aux assemblées des actionnaires. [Non souligné dans l’original.]
Le 29 avril 1981, l’intimé a convenu avec Melru de vendre ses actions ordinaires dans Newmac en échange de 1 285,714 actions de catégorie « G » de la société Melru. Après cette acquisition, Melru a inscrit ces actions à l’actif de son bilan, pour une valeur de 120 000 $.
Le 1er mai 1981, à 10 h, le premier administrateur a tenu une assemblée au cours de laquelle l’intimé a été nommé président, son épouse Ruby, secrétaire, et une action ordinaire de Melru assortie d’un droit de vote a été émise à l’intimé pour la somme de 1 $[3].
Au cours d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui s’est tenue le même jour à 10 h 15, l’intimé a démissionné comme premier administrateur de Melru et a été élu administrateur de cette société jusqu’à la première assemblée générale annuelle de la société ou jusqu’à ce que son successeur soit élu. Ruby Neuman, son épouse, a fait office de secrétaire de l’assemblée.
Le même jour, au cours d’une réunion du conseil d’administration, qui s’est tenue à 10 h 30, l’intimé, en tant que président, a indiqué que son épouse avait souscrit 99 actions de catégorie « F » dans Melru et une résolution a été adoptée pour autoriser l’émission de ces actions à Ruby Neuman au prix de 1 $ l’action[4].
Le procès-verbal de l’assemblée annuelle des actionnaires de Melru qui s’est tenue le 12 août 1982 à 10 h 15, indique en partie ce qui suit[5] :
[traduction] SONT PRÉSENTS :
Melville Neuman
Ruby Neuman
tous actionnaires de la société …
Le président a ensuite déclaré qu’il était temps de procéder à l’élection des administrateurs et a demandé les nominations. La personne suivante a été nommée :
Ruby Neuman
Ruby Neuman a été dûment élue administratrice de Melru avec un mandat valide jusqu’à l’élection ou la nomination de son successeur.
Il est curieux de noter que le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration qui s’est tenue le même jour à 10 h 30 fait état de la résolution suivante[6] :
[traduction] Sur proposition dûment présentée, secondée et adoptée à l’unanimité, les personnes suivantes sont élues ou nommées comme dirigeants de la société au poste qui est indiqué en regard de leur nom respectif pour l’année qui vient ou jusqu’à ce que leur successeur soit nommé ou élu :
Président : Melville Neuman
Secrétaire : Ruby Neuman
[Non souligné dans l’original.]
Étant donné que le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 8 septembre 1982 est essentiel pour régler les questions soulevées dans le présent appel, nous le reproduisons en entier[7] :
[traduction] PROCÈS-VERBAL d’une réunion du conseil d’administration de MELRU VENTURES INC. tenue aux bureaux de la société le 8 septembre 1982, à 10 h.
EST PRÉSENTE :
Ruby Neuman
seule administratrice de la société.
EST ÉGALEMENT PRÉSENT :
Melville Neuman
Le président accepte de présider la réunion et la secrétaire agit comme secrétaire de la réunion.
La seule administratrice étant présente et ayant renoncé à l’avis de convocation de la réunion, celle-ci est déclarée comme ayant été dûment constituée.
Sur proposition dûment présentée, secondée et adoptée à l’unanimité, il est :
« RÉSOLU qu’un dividende imposable de 5 000 $ sur les actions de catégorie « G » en circulation faisant partie du capital-actions de la société est déclaré payable immédiatement et que le président est autorisé par les présentes à prendre toutes les mesures nécessaires pour en effectuer le versement. »
« RÉSOLU que ledit dividende sur les actions de catégorie « G » est imputé sur les avances consenties aux actionnaires. »
Il est ensuite question du versement d’un dividende de 14 800 $ sur les actions ordinaires et de catégorie « F ». L’assemblée est de plus informée que le détenteur des actions ordinaires est disposé à mettre de côté des fonds aux fins du versement qui sera effectué à une date ultérieure à l’égard de ses actions ordinaires.
Sur proposition dûment présentée, secondée et acceptée à l’unanimité, il est :
« RÉSOLU qu’un dividende imposable de 14 800 $ sur les actions de catégorie « F » en circulation de la société est par les présentes déclaré payable immédiatement aux actionnaires inscrits et que tout dirigeant de la société est par les présentes autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder au versement de ces dividendes. »
L’assemblée générale annuelle suivante des actionnaires de Melru s’est tenue le 12 octobre 1983 à 20 h 15. Selon le procès-verbal de cette assemblée[8], Melville Neuman a fait office de président et Ruby Neuman de secrétaire. Ruby Neuman a été élue comme administratrice. Ce procès-verbal renferme également la résolution suivante :
[traduction] Sur proposition dûment présentée, secondée et adoptée à l’unanimité, la résolution suivante est adoptée :
« IL EST RÉSOLU que tous les actes, contrats, règlements, procédures, nominations et paiements conclus, adoptés, intentés ou faits par les administrateurs et les dirigeants de la société, depuis la dernière assemblée annuelle des actionnaires (ou depuis la signature d’une résolution tenant lieu d’assemblée annuelle) comme il est indiqué dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration ou dans les résolutions signées par le conseil d’administration et dans les états financiers remis aux actionnaires pour approbation, sont confirmés. »
Voici un extrait de la déposition de l’intimé expliquant les raisons pour lesquelles son épouse a été élue comme seule administratrice de Melru[9] :
[traduction] Q. Très bien. Maintenant, dans quel but avez-vous élu votre épouse comme seule administratrice?
R. Je pensais que ce serait une bonne idée de nommer ma femme comme seule administratrice pour qu’elle puisse prendre toutes les décisions.
Q. Vous avez indiqué que vous étiez certain, d’après ce que j’ai compris de vos propos, qu’elle suivrait vos recommandations?
R. Si je lui avais dit ce qu’elle devait faire, elle ne l’aurait pas fait. Mais si je lui faisais des recommandations, elle accepterait peut-être de les suivre.
Q. Si je comprends bien, vous avez tenu compte dans votre décision du fait que, si votre épouse était nommée administratrice, vous auriez de meilleurs arguments à faire valoir si un avis de nouvelle cotisation vous était émis?
R. J’ai élu mon … l’argument ne tardera pas à venir. C’est le simple bon sens. J’ai décidé d’élire mon épouse comme administratrice, et il est possible que j’y aie songé auparavant. Je serai tout à fait franc à ce sujet.
Q. Alors, y avez-vous pensé?
R. Probablement, probablement. J’ai probablement recommandé à d’autres … pas nécessairement dans ce cas. Je peux avoir recommandé cette solution à d’autres clients.
Q. Mais l’idée était que vous ne participeriez pas directement à la déclaration du dividende si la responsabilité en était remise à votre épouse?
R. J’ai décidé de la nommer seule administratrice de façon à ce qu’elle puisse exercer tous les pouvoirs légaux. J’avais déjà recommandé à d’autres clients d’élire leur épouse comme administratrice dans des situations semblables. Est-ce que c’est assez franc?
Il a également indiqué dans sa déposition qu’il a expliqué à son épouse quelles étaient les responsabilités d’un administrateur, c’est-à-dire gérer la société, respecter son obligation envers celle-ci et prendre les décisions, y compris les décisions concernant les dividendes pouvant être versés par Melru, au cas où des dividendes seraient déclarés[10].
Pour ce qui a trait à la déclaration des dividendes, l’intimé a témoigné comme suit à l’instruction[11] :
[traduction] Q. Très bien. Bon. Maintenant, sous l’onglet 19, nous avons le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 8 septembre 1982, à 10 h, qui traite de la déclaration des dividendes; est-ce exact?
R. C’est exact.
Q. Et il est résolu qu’un dividende imposable de 5 000 $ sera déclaré sur les actions de catégorie « G », dont vous êtes détenteur?
R. C’est exact.
Q. Et un dividende de 14 800 $ sur des actions de catégorie « F », qui sont détenues par votre épouse?
R. C’est exact.
Q. Maintenant, voici ma question : comment, selon le document 1, les statuts constitutifs ainsi que les droits, privilèges, restrictions et conditions attachées aux actions, ces montants sont-ils calculés?
R. Il n’y avait pas« à ce moment-là, la somme de 5 000 $ ne semblait pas déraisonnable. Elle correspond à 7 500 $ de revenu d’intérêts. Nous n’étions pas certains. À ce moment-là, nous pensions que les actions valaient environ 100 000 $. Au départ, nous avions choisi 120.
Q. Bon. Voici ma question : Est-il possible d’établir un lien quelconque entre les 5 000 $ et les 14 800 $ et les statuts qui nous permettrait de voir comment ces montants ont été calculés?
R. Non. La décision revenait à l’administratrice.
Q. D’accord. Pour nous aider à bien comprendre, sur quelles considérations précises la formulation de ces montants—5 000 $ et 14 800 $—a-t-elle été fondée?
R. Je serais tenté de dire que ces montants semblaient convenir à ce moment-là. Ils n’étaient fondés sur aucune considération particulière.
Q. Très bien. Et il s’agit là des montants que vous avez recommandés à votre épouse?
R. C’est exact.
Q. Et vous êtes persuadé qu’elle a agi conformément à votre recommandation?
R. Sur ma recommandation, mais je ne lui ai pas dit quoi faire. J’ai pensé que la somme de 5 000 $ était un chiffre rond qui pourrait convenir.
Q. Si je comprends bien, pourrait-elle avoir été influencée par le fait qu’à ce moment-là Melru avait reçu 20 000 $ de dividendes de Newmac?
R. C’est exact.
Q. Donc, vous avez déclaré sur cette somme des dividendes de 19 800 $?
R. C’est ça. Nous avons conservé 200 $ pour des dépenses diverses.
Q. Le montant des dividendes déclarés sur les actions de catégorie « F » a-t-il été calculé en tenant compte des conséquences fiscales, c’est-à-dire en tenant compte du crédit d’impôt sur les dividendes?
R. Vous voulez savoir … ce que moi je pensais, en fait ma recommandation était qu’un certain montant devrait être versé sur cette somme. D’après ce que je sais de tous les transferts en franchise d’impôt et des décisions du Ministère, les fonctionnaires ne s’intéressent pas au montant des dividendes tant et aussi longtemps que les actions sont entièrement rachetables au gré du détenteur, mais j’étais personnellement d’avis qu’il fallait verser plus qu’une somme nominale, et j’ai pensé qu’un montant de 5 000 $ serait raisonnable.
Le 8 septembre 1982, soit le même jour où elle a déclaré les dividendes, Ruby Neuman a prêté à son mari la somme de 14 800 $, soit la même somme qu’elle venait de toucher comme dividendes, et cet emprunt a été garanti au moyen d’un billet à ordre rédigé dans les termes suivants[12] :
le 8 septembre 1982
[traduction] CONTRE VALEUR, je promets de payer sur demande à RUBY NEUMAN la somme de QUATORZE MILLE HUIT CENTS DOLLARS (14 800 $). Cette demande peut être faite en totalité ou en partie selon ce que le bénéficiaire juge souhaitable. Aucun intérêt n’est payable avant que cette demande soit faite et, par la suite, l’intérêt est payable au taux préférentiel bancaire sur la somme visée par cette demande.
Ruby Neuman est morte le 2 octobre 1988. Il est connu qu’aucune demande n’a jamais été faite et qu’aucun intérêt n’a jamais été payé sur le prêt.
Le juge de première instance a tiré les conclusions de fait suivantes[13] :
(1) Melru a été constituée en personne morale à des fins de planification fiscale et de fractionnement du revenu. Elle n’avait aucun autre objectif commercial indépendant.
(2) La déclaration de dividendes par Ruby Neuman sur ses propres actions de catégorie « F » et sur les actions de catégorie « G » du défendeur était conforme aux dispositions relatives aux dividendes discrétionnaires énoncées dans les statuts constitutifs de Melru. (Les statuts constitutifs conféraient expressément aux administrateurs un pouvoir discrétionnaire à l’égard du montant des dividendes à verser sur les actions de catégorie « G ». Les détenteurs d’actions de catégorie « F » n’avaient le droit de recevoir de dividendes qu’après le versement de dividendes déclarés sur les actions de catégorie « G ». Les dividendes sur les actions de catégorie « F » étaient déclarés selon une formule plutôt complexe, mais, essentiellement, le montant des dividendes sur les actions de catégorie « F » était également laissé à la discrétion des administrateurs puisque les dividendes sur les actions de catégorie « G », qui relevaient du pouvoir discrétionnaire des administrateurs, devaient être payés en premier.) Les dividendes de 14 800 $ sur ses actions de catégorie « F » et de 5 000 $ sur les actions de catégorie « G » du défendeur étaient des montants arbitraires qui tenaient uniquement compte du fait que Melru avait tiré de Newmac des revenus sous forme de dividendes de 20 000 $, qui pouvaient être distribués. En revanche, la répartition de 14 800 $ aux actions de catégorie « F » et de 5 000 $ aux actions de catégories « G » était arbitraire.
(3) Ruby Neuman n’a fourni aucun apport à Melru, ni assumé de risques pour le compte de la société.
Les décisions des tribunaux d’instance inférieure
a) La Cour de l’impôt
Le 19 mai 1992, le juge de la Cour de l’impôt a accueilli l’appel de l’intimé avec dépens et renvoyé l’avis de cotisation à l’appelante pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que les dividendes touchés par l’épouse de l’intimé sur ses actions de catégorie « F » de la société Melru ne devaient pas être inclus dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982.
Pour parvenir à cette conclusion, le juge de la Cour de l’impôt a noté que, dans l’arrêt McClurg, la Cour suprême du Canada a établi qu’en règle générale le paragraphe 56(2) de la Loi ne s’applique pas à la déclaration de dividendes. Toutefois, il a dû répondre, comme nous devons le faire dans le présent appel, à la prétention de l’appelante selon laquelle la remarque incidente du juge en chef Dickson, citée précédemment, le liait et l’obligeait à rejeter l’appel de l’intimé. Il a conclu[14] que cette remarque n’était ni la ratio decidendi ni une remarque judiciaire formulée par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada et que, par conséquent, il n’était aucunement lié par elle.
Et il poursuit [à la page 2084] :
Quoi qu’il en soit, les opinions exprimées, bien qu’il ne s’agisse pas de remarques judiciaires, sont celles de la Cour suprême et ne peuvent pas simplement être ignorées. Sans décider si le législateur entendait appliquer le paragraphe 56(2) aux transactions avec lien de dépendance ou croyait l’avoir fait et en présumant, pour l’instant, comme le faisait remarquer l’appelant, que la décision majoritaire permettait aux tribunaux de percer le voile corporatif afin d’empêcher les stratagèmes complexes d’évitement fiscal, j’ai conclu que les faits de l’espèce n’appuieraient pas une telle ligne de pensée ni la conclusion demandée par l’intimé.
b) La Section de première instance
Le juge de première instance a rejeté l’appel formé à l’encontre de la décision de la Cour de l’impôt au motif que le paragraphe 56(2) de la Loi n’était pas destiné à empêcher le genre de fractionnement du revenu effectué par l’intimé et son épouse. Il conclut ses motifs par l’affirmation suivante[15] :
… le paragraphe 56(2) n’est à mon avis pas la disposition que le ministre doit invoquer pour contester un fractionnement du revenu dans le contexte d’une relation administrateur-actionnaire et d’une déclaration de dividendes.
Dans les pages précédentes de ses motifs, le juge de première instance a fait des observations sur l’argument présenté par l’avocat de l’appelante selon lequel Ruby Neuman, en déclarant les dividendes contestés dans le présent appel, agissait « suivant les instructions et avec l’accord de » l’intimé au sens où ces expressions sont utilisées au paragraphe 56(2) de la Loi. Après avoir examiné une partie de la preuve et les principes pertinents du droit des sociétés, le juge de première instance déclare ce qui suit[16] :
Pour ces motifs, j’hésiterais à présumer que Ruby Neuman agissait suivant les instructions ou avec l’accord du défendeur lorsqu’à titre d’administratrice, elle a déclaré des dividendes pour le compte de Melru. La conclusion que Ruby Neuman n’agissait pas suivant les instructions ou avec l’accord du défendeur serait déterminante en l’espèce. Toutefois, puisque cette question n’a pas été débattue en profondeur par les avocats, je ne souhaite pas trancher l’affaire sur cette question, et mes commentaires devraient être considérées comme purement incidents. Sans trancher cette question donc, j’analyserai l’arrêt McClurg, précité, et son application à la présente affaire.
Après avoir analysé de façon exhaustive l’arrêt McClurg, le juge de première instance a conclu par les mots cités au début de cette partie des motifs et a rejeté l’appel.
Les dispositions législatives [Paragraphe 82(1) mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 36]
12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, les sommes appropriées suivantes :
…
j) toute somme qui doit, en vertu des dispositions de la sous-section h, être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année à titre de dividende payé par une corporation résidant au Canada sur une action de son capital-actions;
…
56. …
(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribuable.
(3) Aux fins de la présente Partie, tout paiement ou transfert de biens fait, au cours d’une année d’imposition, au contribuable ou à toute autre personne au profit du contribuable et d’autres personnes ou tout bénéfice réalisé conjointement, au cours d’une année d’imposition, par le contribuable et d’autres personnes, est réputé avoir été reçu au cours de l’année par le contribuable jusqu’à concurrence de ce qui lui revient, bien qu’il n’y ait eu ni distribution ni partage de ses biens au cours de cette année.
(4) Lorsqu’un contribuable a, à une date quelconque avant la fin d’une année d’imposition (soit avant, soit après la fin de 1971), transféré ou cédé à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance son droit sur toute somme qui serait, si ce droit n’avait pas été ainsi transféré ou cédé, incluse dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition du fait que cette somme aurait été reçue ou aurait été à recevoir par lui dans ou pour l’année, cette somme doit être incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année d’imposition, à moins que le revenu ne provienne de biens et que le contribuable n’ait également transféré ou cédé ces biens.
…
82. (1) Doivent être incluses dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition
a) toutes les sommes qu’il a reçues dans l’année de corporations résidant au Canada au titre ou en paiement intégral ou partiel de dividendes imposables
plus
b) lorsque le contribuable est un particulier, autre qu’une fiducie qui est un organisme de charité enregistré, ½ du total de toutes les sommes visées à l’alinéa a) qu’il a reçues, dans l’année, de corporations canadiennes imposables.
Les points en litige
Dans la partie II de son exposé des faits et du droit, l’appelante allègue que la décision de la Section de première instance soulève les questions suivantes :
a) Ruby Neuman agissait-elle suivant les instructions ou avec l’accord de l’intimé quand elle a déclaré le dividende de 14 800 $ que la société Melru devait lui verser?
b) La remarque incidente du juge en chef Dickson, dans l’arrêt McClurg, lie-t-elle les tribunaux d’instance inférieure?
c) Le paragraphe 56(2) de la Loi autorise-t-il le ministre à inclure dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982 le dividende de 14 800 $ que Ruby Neuman a reçu de Melru?
La Cour traitera successivement de chacun de ces points.
a) Ruby Neuman agissait-elle suivant les instructions ou avec l’accord de l’intimé quand elle a déclaré le dividende de 14 800 $ que la société Melru devait lui verser?
Sur ce point, l’avocat de l’appelante a présenté plusieurs arguments. Tout d’abord, il prétend que, d’après la preuve, Ruby Neuman a agi suivant les instructions de l’intimé en déclarant le dividende de Melru à son profit. À cet égard, il reprend les conclusions du juge de première instance selon lesquelles l’intimé a constitué la société Melru à des fins de planification fiscale afin de partager le revenu de Newmac avec son épouse, Ruby Neuman; que l’une des raisons motivant la démission de l’intimé en tant qu’administrateur de Melru et la nomination de Ruby Neuman à sa place était de se distancier du processus décisionnel de la société Melru, afin d’avoir un meilleur argument si jamais le ministre contestait l’arrangement visant à fractionner le revenu; et que l’intimé a donné à son épouse des conseils à titre d’expert et lui a fait des recommandations, concernant la déclaration des dividendes, qu’il était persuadé qu’elle allait suivre.
Deuxièmement, l’avocat fait valoir que la recommandation de l’intimé à Ruby Neuman concernant la déclaration des dividendes équivaut, dans les circonstances de l’espèce, à l’accord dont il est question au paragraphe 56(2) de la Loi.
Pour sa part, l’avocat de l’intimé prend comme point de départ que l’administrateur d’une société a la responsabilité de gérer les affaires de la société, notamment la responsabilité de déclarer les dividendes. Selon lui, les dividendes sont une forme de distribution des biens de la société dont la déclaration ou le versement ne nécessite pas les instructions ou l’accord d’un actionnaire ou d’un conseiller de la société. Pour cette raison, soutient-il, il n’est pas pertinent de se demander si les dividendes ont été déclarés suivant les instructions ou avec l’accord de l’intimé puisqu’aucune obligation fiscale visées au paragraphe 56(2) de la Loi ne peut en découler.
La Cour ne peut accepter la prétention de l’intimé, compte tenu de la preuve non contredite dans le présent appel. Le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration en date du 12 août 1982 démontre sans équivoque que l’intimé avait été élu président de Melru et son épouse, secrétaire. Ils étaient donc les dirigeants de Melru. La réunion suivante du conseil a eu lieu le 8 septembre 1992. Le procès-verbal révèle ce qui suit : premièrement, l’intimé a agi en tant que président et son épouse en tant que secrétaire de la réunion; deuxièmement, en sa qualité de président, l’intimé a dirigé la réunion; troisièmement, la résolution en vue du versement du dividende de 5 000 $ sur les actions de catégorie « G » a été adoptée à l’unanimité; et quatrièmement, l’assemblée a discuté du versement d’un dividende de 14 800 $ sur les actions ordinaires et de catégorie « F ». Il faut se rappeler que l’intimé était le seul détenteur d’une action ordinaire avec droit de vote de la société Melru; l’intimé a indiqué qu’il était disposé à mettre de côté des fonds pour le versement ultérieur des dividendes sur ses actions ordinaires; et, enfin, la résolution de verser un dividende imposable de 14 800 $ sur les actions de catégorie « F » détenues par Ruby Neuman a été adoptée à l’unanimité.
En outre, le juge de première instance était saisi d’éléments de preuve indiquant qu’à l’assemblée des actionnaires qui s’est tenue le 12 octobre 1983, l’intimé, en sa qualité de dirigeant de Melru, a ratifié la déclaration des dividendes qui avait été décidée à la réunion du conseil d’administration du 8 septembre 1982. Pour plus de commodité, nous reproduisons ci-dessous cette résolution :
[traduction] Sur proposition dûment présentée, secondée et adoptée à l’unanimité, la résolution suivante est adoptée :
« IL EST RÉSOLU que tous les actes, contrats, règlements intérieurs, procédures, nominations et paiements conclus, adoptés, intentés ou faits par les administrateurs et les dirigeants de la société, depuis la dernière assemblée annuelle des actionnaires (ou depuis la signature d’une résolution signée tenant lieu d’assemblée annuelle) comme il est indiqué dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration ou dans les résolutions signées par le conseil d’administration et dans les états financiers remis aux actionnaires pour approbation, sont confirmés. »
Il apparaît clairement à la Cour que le juge de première instance n’a pas tenu compte de la totalité de cette preuve pour parvenir à sa conclusion et, par conséquent, il a commis une erreur de droit.
Après avoir examiné la preuve, la Cour conclut qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve indiquant que l’intimé avait donné son accord à Ruby Neuman pour que celle-ci déclare le dividende de 14 800 $ de la société Melru à son profit et que Ruby Neuman a agi avec cet accord quand elle a déclaré ce dividende.
Toutefois, l’accord de l’intimé concernant la déclaration du dividende à Ruby Neuman est-il suffisant pour entraîner l’application du paragraphe 56(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu? La réponse à cette question exige un examen du paragraphe lui-même et de l’arrêt McClurg.
Pour plus de commodité, nous répétons le texte du paragraphe 56(2), rédigé dans les termes suivants :
56. …
(2) Tout paiement ou transfert de biens fait, suivant les instructions ou avec l’accord d’un contribuable, à toute autre personne au profit du contribuable ou à titre d’avantage que le contribuable désirait voir accorder à l’autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la mesure où il le serait si ce paiement ou ce transfert avait été fait au contribuable.
Dans l’arrêt Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585(C.A.), le juge Marceau, J.C.A., exprimant l’opinion unanime de la Cour, fait référence à ce paragraphe [à la page 587] dans les termes suivants : « Cette disposition bien connue en matière d’évitement fiscal, qui donne effet au principe des avantages indirects, a une longue histoire législative qui remonte à 1948 ». Il poursuit, à la page 593 :
Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrine de la « recette présumée » et qu’elle vise principalement les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s’arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu’un d’autre, et ce pour son propre bénéfice … ou pour le bénéfice de cette autre personne … Il ne fait aucun doute cependant que le libellé de la disposition ne permet pas d’en limiter l’application à de tels cas patents d’évitement fiscal.
Comme il en sera question plus en détail ci-dessous, la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt McClurg a conclu que, en tant que principe général, le paragraphe 56(2) ne s’applique pas à la déclaration de dividendes, y compris aux dividendes déclarés en vertu d’un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, il y a un élément qui est particulièrement important pour le cas en l’espèce, savoir que la majorité n’a pas écarté la possibilité que cet article s’applique à des cas où les administrateurs peuvent, en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, distribuer des dividendes à un actionnaire lié qui « n’a fourni aucun apport à la société »[17].
Il est bien accepté depuis la décision Fraser Companies Ltd. c. La Reine, [1981] CTC 61 (C.F. 1re inst.), à la page 71 que, pour être en mesure d’invoquer avec succès le paragraphe 56(2), l’appelante doit démontrer que le paiement ou le transfert de biens :
1. a été fait à une personne autre que le contribuable;
2. a été effectué suivant les instructions ou avec l’accord du contribuable;
3. a été effectué au profit du contribuable ou de toute personne que le contribuable désire avantager;
4. aurait été inclus dans le calcul du revenu du contribuable si ce dernier, au lieu de l’autre personne, l’avait reçu.
Voir Smith (D.N.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 257 (C.A.F.), à la page 261 et McClurg, précité, aux pages 1074 et 1075, dans les motifs dissidents du juge La Forest.
Est-il besoin d’ajouter qu’en appliquant le paragraphe 56(2) aux faits particuliers d’une cause, l’accord ou la participation du contribuable relativement à l’octroi de l’avantage ne doit pas nécessairement être actif. Il peut très bien être passif ou implicite et peut s’inférer de toutes les circonstances, dont la moindre n’est pas le degré de contrôle que le contribuable est en droit d’exercer sur la société qui confère l’avantage. Voir Smith (D.N.) c. M.R.N., précité, à la page 261.
Revenant aux circonstances de l’espèce, nous sommes tous d’avis que l’appelante a réussi à établir les quatre éléments énoncés dans la décision Fraser, précitée, et qu’elle a donc démontré que le paragraphe 56(2) s’applique.
Tout d’abord, il a été établi que le paiement d’un dividende est un transfert de biens. Voir Champ (W) c. La Reine, [1983] CTC 1 (C.F. 1re inst.) dans laquelle il a été statué que la déclaration d’un dividende à l’épouse par une société dont les époux étaient les seuls actionnaires, était contraire aux dispositions des statuts constitutifs et constituait un transfert de biens au sens du paragraphe 56(2) de la Loi. La Cour est d’avis que le raisonnement énoncé dans la décision Champ s’applique également au dividende de 14 800 $ qui a été déclaré à Ruby Neuman en l’espèce.
Deuxièmement, comme nous l’avons déjà noté, le juge de première instance a conclu que Melru a été constituée en personne morale pour une seule fin, savoir fractionner le revenu provenant des dividendes reçus de Newmac. En outre, le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de Melru, qui a eu lieu le 8 septembre 1982, démontre clairement, à notre avis, que l’intimé avait consenti à la déclaration du dividende à son épouse, Ruby Neuman, pour les raisons suivantes. En tant que dirigeant de Melru, l’intimé a présidé la réunion au cours de laquelle son épouse, également dirigeante, était présente. Ces deux dirigeants ont discuté du versement d’un dividende sur des actions ordinaires, dont l’intimé était le seul détenteur, et sur 99 actions de catégorie « F » qui étaient détenues par son épouse. Le procès-verbal indique également que l’intimé, à titre de détenteur d’une action ordinaire avec droit de vote de Melru, a déclaré à la réunion qu’il était [traduction] « disposé à mettre de côté des fonds pour le versement ultérieur des dividendes sur son action ordinaire ». Autrement dit, l’intimé a informé son épouse qu’il était disposé à renoncer au droit conféré au détenteur de la seule action ordinaire émise dans Melru afin que la société puisse déclarer un dividende à son épouse pour un montant tout à fait disproportionné par rapport au droit que lui conférait l’alinéa 8e) des statuts constitutifs[18]. Il semble donc qu’en agissant ainsi l’intimé a contrevenu à son obligation fiduciaire envers la société Melru[19]. La résolution concernant le versement du dividende de 14 800 $ à l’épouse de l’intimé a été adoptée à l’unanimité et le procès-verbal a été signé par l’intimé et par son épouse à titre de président et de secrétaire, respectivement, du conseil d’administration de Melru.
La Cour note, d’après le procès-verbal de l’assemblée annuelle des actionnaires de Melru qui s’est tenue le 12 octobre 1983, que l’intimé et son épouse, en tant que seuls actionnaires de cette société, ont ratifié la résolution adoptée le 8 septembre 1982 au cours de laquelle le dividende a été déclaré sur les actions de catégorie « F » détenues par l’épouse de l’intimé. Cet élément de preuve qui, pris isolément, aurait pu n’avoir qu’une pertinence minimale sur la question de l’accord de l’intimé, contredit le témoignage de l’intimé indiquant qu’il n’a eu qu’un rôle de conseiller, quand on tient compte du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration qui s’est tenue le 8 septembre 1982. De l’avis de la Cour, la preuve, prise dans son ensemble, est suffisante pour établir d’après la prépondérance des probabilités que le dividende de 14 800 $ a été déclaré à Ruby Neuman avec l’accord de l’intimé.
Il convient de noter ici que le paragraphe 56(2) n’exige pas qu’il soit établi que le transfert de biens ait été fait suivant les instructions et avec l’accord du contribuable. L’expression utilise une conjonction disjonctive. Il s’ensuit donc que la preuve de l’un des éléments est suffisante. En l’espèce, comme nous l’avons dit, il existe une preuve suffisante pour établir que le dividende a été déclaré avec l’accord de l’intimé.
Troisièmement, l’avantage qu’a retiré l’intimé du fractionnement du revenu avec son épouse est évident. Cela lui a permis de réduire son revenu du montant du dividende transféré à son épouse. Mais l’intimé a reçu un avantage additionnel. Le jour même où sa femme a reçu le dividende de 14 800 $, l’intimé lui a emprunté la totalité de la somme et lui a remis, en garantie, un billet à ordre sur lequel il n’a jamais payé d’intérêt. L’intimé a donc profité de deux façons : en fractionnant le revenu tiré de Newmac comme il l’a fait, il a réduit le montant de l’impôt qu’il aurait autrement dû payer sur son revenu et, en outre, il a bénéficié de la totalité du montant du dividende que son épouse avait reçu.
Le dernier élément que doit prouver l’appelante est que les biens transférés auraient été inclus dans le calcul du revenu du contribuable si ce dernier, au lieu de l’autre personne, les avait reçus. À notre avis, l’appelante a également prouvé cet élément puisque, par l’application conjointe de l’alinéa 12(1)j) et du paragraphe 82(1) de la Loi, le dividende que Ruby Neuman a reçu aurait été inclus dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982, si le versement ne lui en avait pas été fait. Pour en arriver à cette conclusion, nous avons tenu compte des passages suivants tirés des motifs du juge en chef Dickson dans l’arrêt McClurg, précité, aux pages 1052 et 1053 :
Ce dernier [le paragraphe 56(2)] a pour objet d’assurer que les paiements qui auraient autrement été reçus par le contribuable ne soient pas détournés au profit d’un tiers comme technique d’évitement fiscal. Cet objet n’est pas contrecarré parce que, dans le contexte du droit des sociétés, les profits appartiennent à la société en sa qualité de personne juridique tant qu’un dividende n’est pas déclaré : Welling, précité, aux pp. 609 et 610. Si aucun dividende n’avait été déclaré ni versé à un tiers, il n’aurait pas non plus été touché par le contribuable. Ce montant aurait plutôt simplement fait partie des bénéfices non distribués de la société. Par conséquent, en règle générale, le versement d’un dividende ne peut raisonnablement être considéré comme un avantage détourné par un contribuable en faveur d’un tiers au sens du par. 56(2) …
Toutefois, lors de mon analyse de l’utilisation de la clause de dividende discrétionnaire, j’ai déjà conclu que la validité de cette clause découle en partie du fait qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les répartitions effectuées conformément à celle-ci et les répartitions effectuées conformément à une formule mathématique prévue dans l’acte constitutif d’une société. Compte tenu de cette décision, ce serait faire preuve d’un formalisme excessif que de conclure que, sans le versement effectué à un tiers actionnaire, un administrateur actionnaire toucherait une fraction du versement. J’estime plutôt qu’une répartition effectuée conformément à une clause de dividende discrétionnaire ne se distingue pas du versement d’un dividende en général. Dans les deux cas, le dividende continuerait à faire partie des bénéfices non distribués de la société, si ce n’était de la déclaration du dividende (et de sa répartition). On ne peut légitimement considérer que telle était l’intention du législateur au par. 56(2). Si notre Cour devait conclure le contraire, les administrateurs des sociétés pourraient vraisemblablement être tenus responsables des incidences fiscales de toute déclaration de dividendes faite à un tiers. À l’instar des juges Urie et Strayer des tribunaux d’instance inférieure, je conviens qu’il s’agirait alors d’une interprétation irréaliste ne respectant ni l’objet, ni l’esprit de ce paragraphe. Cela violerait les principes fondamentaux du droit des sociétés ainsi que les réalités des pratiques commerciales, et cela irait au-delà de l’intention du législateur.
Toutefois, contrairement à McClurg, l’application du paragraphe 56(2) dans les circonstances de l’espèce ne serait pas contraire à la réalité commerciale de la déclaration du dividende à Ruby Neuman, étant donné que cette réalité est inexistante. Dans l’affaire McClurg, le juge de première instance [McClurg (J. A.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 355] avait conclu que Wilma McClurg avait fourni un apport très réel à la mise sur pied de la société et de l’entreprise; et, dans ses motifs exprimés au nom de la majorité, le juge en chef a indiqué qu’elle avait joué un rôle capital dans la constitution de la société et qu’elle avait fourni des apports très réels quant au financement et à l’exploitation de l’entreprise. Si nous reprenons ses motifs, ce sont ces apports de Wilma McClurg qui ont amené le juge en chef à dire ceci à la page 1054 :
… il ne fait aucun doute, à mon avis, que les versements [de dividendes] effectués à Wilma McClurg représentaient une contrepartie légitime et non simplement une tentative d’éviter le paiement de l’impôt.
Et plus loin, il ajoute :
De plus, les efforts déployés par Wilma McClurg dans l’exploitation de Northland Trucks, même s’ils ne sont pas décisifs quant à la question soulevée dans le présent pourvoi, constituent néanmoins une preuve supplémentaire que le versement de dividendes était le résultat d’une relation d’affaires normale.
Par contraste, en l’espèce, le juge de première instance a conclu que Melru a été constituée en personne morale à des fins de planification fiscale et de fractionnement du revenu et n’avait aucun autre objectif commercial indépendant[20], que le montant des dividendes déclarés était arbitraire et que Ruby Neuman n’a fourni aucun apport à Melru ni assumé de risques pour le compte de la société. Compte tenu de ces faits et d’autres éléments de preuve auxquels nous avons fait référence ci-dessus, nous sommes d’avis que le versement du dividende de 14 800 $ à Ruby Neuman ne peut être considéré comme le résultat d’une relation d’affaires normale.
L’avocat de l’intimé, s’appuyant sur l’opinion incidente du juge Marceau, J.C.A., dans l’arrêt Winter, prétend également que pour être en mesure d’invoquer le paragraphe 56(2), l’appelante doit établir un cinquième élément, savoir que l’épouse de l’intimé n’était pas assujettie à l’impôt sur le dividende qu’elle a reçu. Comme cette opinion incidente a par la suite été approuvée dans l’arrêt Smith, nous estimons qu’il est souhaitable d’en traiter.
Dans l’arrêt Winter, l’actionnaire majoritaire dans une société de portefeuille a demandé à la société de vendre certaines de ses actions à son gendre, lui-même actionnaire de la société. Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour l’actionnaire majoritaire, aux termes du paragraphe 56(2), en ajoutant à son revenu une somme égale à la différence entre le prix que son gendre avait payé pour les actions et le montant auquel le ministre les avait évaluées, c’est-à-dire une somme de quelque 648 368 $. Le ministre prétendait que cette somme était un avantage que l’actionnaire majoritaire avait accordé à son gendre.
Aux pages 592 à 593, le juge Marceau, J.C.A., exprimant les motifs unanimes de la Cour, traite des arguments soulevés par l’avocat du contribuable (l’actionnaire majoritaire) dans les termes suivants :
2. D’autre part, poursuivit l’avocat des appelants, Dick Winter, en sa qualité d’actionnaire, était assujetti à l’impôt à l’égard de l’avantage qu’il avait tiré de l’opération, conformément au paragraphe 15(1). Même en admettant que les conditions d’application de la disposition, interprétée largement, étaient présentes, une cotisation établie sous son régime, dans ces conditions, ne saurait être valide. Voici comment la partie demanderesse a exposé cet argument dans son mémoire :
[traduction] 8. À titre subsidiaire, les appelants plaident qu’en vertu du régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’actionnaire A ne devrait pas être imposé conformément au paragraphe 56(2), à l’égard d’un avantage accordé à l’actionnaire B, lorsque celui-ci peut être imposé conformément au paragraphe 15(1) à l’égard du même avantage. Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu suivent un ordre naturel selon lequel les règles techniques, comme celles prévues au paragraphe 15(1), se situeraient à la base, les règles particulières anti-évitement, comme celles du paragraphe 56(2) se situeraient à un niveau supérieur et la règle générale anti-évitement prévue à l’article 245 se situerait au sommet. Lorsqu’il s’agit d’établir une cotisation en pratique, il faut recourir à une règle particulière anti-évitement seulement lorsqu’une opération donnée n’est pas visée par une règle technique. Pareillement, la règle générale anti-évitement ne devrait être invoquée qu’en l’absence d’une règle particulière anti-évitement.
9. Dans le contexte particulier des avantages accordés à un actionnaire, le paragraphe 52(1) nous éclaire encore davantage sur le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette disposition prévoit qu’un contribuable dont le revenu est majoré relativement à la valeur du bien qu’il acquiert doit ajouter le montant de la majoration au prix de base du bien. Lorsqu’un contribuable est imposé en vertu du paragraphe 15(1) sur des biens acquis d’une société dont il est actionnaire, le paragraphe 52(1) entre en jeu automatiquement pour modifier en conséquence le prix de base rajusté aux fins de calculer le gain en capital, ou la perte de capital, éventuel. Lorsque le paragraphe 56(2) est invoqué, au contraire, le paragraphe 52(1) est sans effet puisque le contribuable assujetti à l’impôt n’a acquis aucun bien lui-même. Si une partie à l’opération en cause devait être assujettie à l’impôt, il aurait dû s’agir de M. Winter, conformément au paragraphe 15(1), et non pas du défunt, en vertu du paragraphe 56(2).
Je serais disposé à souscrire à ce raisonnement. Comme il a été si souvent signalé, notamment par le juge de première instance et la Cour d’appel dans l’arrêt McClurg, le libellé du paragraphe 56(2) ne peut être interprété dans son sens le plus large sans aboutir à des résultats évidemment intenables, particulièrement dans le contexte de la gestion des sociétés. Il faut donc en nuancer le sens à la lumière de l’objet de la règle et du but dans lequel elle a été adoptée pour éviter ces résultats déraisonnables.
Il continue ainsi aux pages 593 et 594 :
Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrine de la « recette présumée » et qu’elle vise principalement les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s’arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu’un d’autre, et ce pour son propre bénéfice (par exemple, pour éteindre une dette) ou pour le bénéfice de cette autre personne (voir les motifs du juge Thurlow dans l’arrêt Miller, précité, et ceux du juge Cattanach dans l’arrêt Murphy, précité). Il ne fait aucun doute cependant que le libellé de la disposition ne permet pas d’en limiter l’application à de tels cas patents d’évitement fiscal. L’arrêt Bronfman, qui a confirmé la cotisation, établie en vertu de la disposition de l’ancienne loi qu’a reprise le paragraphe 56(2), d’un actionnaire d’une société privée, à l’égard de dons que la société avait faits régulièrement pendant plusieurs années à des membres de sa famille, est généralement cité comme autorité pour dire que la disposition s’applique, que la personne imposée ait un droit ou non sur le versement effectué ou sur le bien transféré. Cette jurisprudence ne me semble pas tellement convaincante dans la mesure où les dons faits par une société proviennent des bénéfices sur lesquels les actionnaires ont un droit éventuel. Le fait néanmoins demeure que le libellé même de la disposition n’exige pas, comme condition d’application, que le contribuable ait initialement eu droit au montant versé ou au bien transféré au tiers; mais uniquement que le contribuable ait été lui-même imposable à cet égard si le versement ou le transfert avait été fait à lui. Il me semble cependant que, lorsque la doctrine de la « recette présumée » n’est pas clairement en cause, parce que le contribuable n’avait aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, il n’est que juste d’inférer que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application que si l’avantage accordé n’est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. En effet, selon moi, une disposition en matière d’évitement fiscal revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d’être est d’empêcher l’évitement de l’impôt payable sur une opération donnée, et non de doubler l’impôt normalement payable ni d’accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles. [Renvois omis.]
Au bout du compte, il a rejeté l’argument subsidiaire de l’appelant au motif que le gendre n’était pas imposable et il a rejeté l’appel.
Dans l’arrêt Smith, l’appel était formé à l’encontre d’un jugement de la Section de première instance [Smith (D.N.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 418] et portait sur des fonds ou des biens qui, d’après l’hypothèse du ministre, avaient été transférés d’une société à une autre à l’avantage de l’appelante ou de la deuxième société. Le jugement de première instance, prononcé avant l’arrêt Winter, traitait de la question de savoir si le ministre ne devait prouver que les quatre éléments énoncés dans la décision Fraser. La Cour a conclu que le ministre avait établi chacun de ces éléments.
En appel, le juge Mahoney, J.C.A., exprimant les motifs unanimes de la Cour, différemment constituée, a conclu [à la page 262] que Winter avait « ajouté une autre condition préalable à l’application du paragraphe 56(2) », qui lui semblait pertinente dans les circonstances de l’appel dont il était saisi. Il a accueilli l’appel au motif que le contribuable appelant dans cette affaire n’avait droit à aucun des paiements faits à ou au profit d’une société dans laquelle il avait des intérêts et qui étaient manifestement imposables entre les mains de la deuxième société.
Nous ne croyons pas que les arrêts Winter ou Smith établissent un cinquième élément ou condition préalable applicable dans chaque cas où le paragraphe 56(2) est invoqué. En fait, le juge Marceau, J.C.A., dans son opinion incidente, a reconnu qu’une exception s’applique lorsque la doctrine de la recette présumée est clairement en cause. En outre, dans cette affaire, la Cour pouvait tenir compte de son jugement récent dans l’affaire Canada c. McClurg [[1988] 2 C.F. 356 dans laquelle le juge Urie, J.C.A., pour la majorité, reconnaissait à la page 362, les quatre éléments énoncés dans la décision Fraser et formulés pour la première fois par le juge Cattanach dans la décision Murphy (GA) c. La Reine, [1980] C.T.C. 386 (C.F. 1re inst.). Le juge Marceau, J.C.A., n’a pas jugé que la décision de la Cour dans l’arrêt McClurg le liait, en indiquant à la page 592 qu’il « estime [que l’arrêt McClurg] fait autorité uniquement à l’égard des circonstances particulières qui y étaient traitées ». En outre, même si l’affaire McClurg a été décidée par la Cour suprême après la décision de la présente Cour dans l’arrêt Winter, les motifs énoncés dans McClurg ne font aucunement référence à un cinquième élément ou condition préalable. En fait, le juge La Forest, dans ses motifs dissidents, mentionne expressément les quatre éléments ou conditions préalables énoncés dans la décision Fraser. Finalement, nous ne voyons rien dans le libellé du paragraphe 56(2), lu dans le contexte de la Loi dans son ensemble, qui impose un cinquième élément ou condition préalable dans un cas comme celui en l’espèce où la déclaration de dividendes avait pour unique but de réduire l’impôt payable par l’intimé.
b) La remarque incidente du juge en chef Dickson dans l’arrêt McClurg lie-t-elle les tribunaux d’instance inférieure?
En l’espèce, il ne peut être contesté que l’intimé et Ruby Neuman traitaient avec un lien de dépendance. Ce sont des personnes liées (mari et femme) et, d’après l’article 251 de la Loi, ils sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance. En outre, étant donné qu’ils étaient les seuls actionnaires de Melru, ils avaient également un lien de dépendance avec cette société. Confrontés à ces faits non contestés, les tribunaux d’instance inférieure étaient tenus d’examiner le dernier paragraphe des motifs du juge en chef du Canada dans l’arrêt McClurg, à la page 1054 :
À mon avis, si une distinction s’impose dans l’application du par. 56(2) entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance, il faut la faire entre l’exercice du pouvoir discrétionnaire de répartir des dividendes lorsque l’actionnaire ayant un lien de dépendance n’a fourni aucun apport à la société (auquel cas le par. 56(2) peut s’appliquer) et les cas où un apport légitime a été fourni. Dans ce dernier cas, dont le présent pourvoi constitue un exemple, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que le partage des dividendes ne visait pas un objectif légitime.
Comme nous l’avons déjà dit, le juge de la Cour de l’impôt a considéré que ce paragraphe n’était même pas une remarque judiciaire[21]. Comme il le dit lui-même, il s’agit d’opinions exprimées par la Cour suprême du Canada qui « ne peuvent pas simplement être ignorées ». Néanmoins, il a refusé de décider si le législateur entendait appliquer le paragraphe 56(2) aux opérations avec lien de dépendance. De plus, en supposant que ce soit le cas, il a conclu que les faits de l’espèce n’étaient pas expressément visés par ce paragraphe.
Pour sa part, le juge de première instance, aux prises avec la difficulté de concilier l’opinion exprimée dans ce passage avec les opinions exprimées par le juge en chef du Canada dans les motifs de l’arrêt McClurg, s’est appuyé sur les opinions du juge Urie, J.C.A., dans Canada c. McClurg, [1988] 2 C.F. 356 à la page 362, et sur celles du juge Estey dans Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, pour parvenir à la conclusion suivante, à la page 172[22] :
Compte tenu des décisions de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McClurg et de la Cour suprême dans l’arrêt Stubart, je dois conclure que la question préliminaire de savoir si une distinction s’impose entre les opérations effectuées avec ou sans lien de dépendance dans l’application du paragraphe 56(2) doit être répondue par la négative.
En toute déférence, la question de l’applicabilité du paragraphe 56(2) aux opérations avec lien de dépendance était tout à fait pertinente dans l’arrêt McClurg, devant la présente Cour comme devant la Cour suprême du Canada. C’est pourquoi le juge Urie, J.C.A., a traité de cette question quand la Cour a été saisie de McClurg et que le juge en chef en a aussi traité dans le dernier paragraphe de ses motifs. Il est vrai que, dans l’arrêt McClurg, la Cour suprême a conclu que Wilma McClurg avait fourni un apport réel dans Northland Trucks. Pour cette raison, l’opinion du juge en chef ne pouvait être considérée comme faisant partie de la ratio decidendi de cette affaire. Même si elle n’était pas nécessaire au règlement de cet appel, l’opinion exprimée par le juge en chef représentait l’opinion réfléchie de la majorité de la Cour et elle liait par conséquent les tribunaux d’instance inférieure et la présente Cour. Voir Sellars c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 527.
En l’espèce, la déclaration du dividende à Ruby Neuman a été faite en vertu du pouvoir discrétionnaire permettant de distribuer des dividendes à un actionnaire lié qui, selon la conclusion du juge de première instance, n’a fait aucun apport à la société et n’a assumé aucun risque pour le compte de cette société. Dans ces circonstances, et en tenant compte de l’opinion majoritaire dans McClurg, nous sommes d’avis que le paragraphe 56(2) de la Loi s’applique à l’opération.
c) Le paragraphe 56(2) de la Loi autorise-t-il le ministre à inclure dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982 le dividende de 14 800 $ que Ruby Neuman a reçu de Melru?
Il s’ensuit de ce que nous avons déjà dit que le paragraphe 56(2) s’applique aux faits de l’espèce et que le ministre avait raison d’inclure le dividende que Ruby Neuman a reçu de Melru dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 1982.
Conclusion
Pour les motifs précités, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer les décisions de la Section de première instance et de la Cour de l’impôt et de confirmer la cotisation du ministre.
Dépens
Le paragraphe 65 de l’exposé des faits et du droit déposé au nom de l’intimé est rédigé dans les termes suivants :
[traduction] 65. L’intimé prétend, abstraction faite de la décision de cette honorable Cour dans le présent appel, que les dépens doivent lui être adjugés en vertu du paragraphe 178(2) étant donné que le montant de l’impôt contesté n’excède pas 10 000 $.
Le paragraphe 178(2) [mod. par S.C. 1976-77, ch. 4, art. 64; 1980-81-82-83, ch. 158; 1984, ch. 45, art. 75] est rédigé dans les termes suivants :
178. …
(2) Lorsque, sur un appel interjeté par le Ministre, autrement que par voie de contre-appel, d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, le montant
a) d’impôt, de remboursement ou du montant payable en vertu du paragraphe 196(2) (dans les cas où la cotisation de l’impôt, la détermination du remboursement, ou du montant payable, selon le cas,) qui fait l’objet du litige ne dépasse pas $10,000, ou
b) de la perte (dans le cas d’une détermination de la perte) qui fait l’objet du litige ne dépasse pas $20,000,
la Cour fédérale, en statuant sur l’appel, doit ordonner que le Ministre paie tous les frais raisonnables et justifiés du contribuable afférents à l’appel.
Étant donné qu’aucun argument verbal ne nous a été présenté sur ce point, nous sommes d’avis que les frais du présent appel ne devraient pas être adjugés tant que l’appelante n’aura pas déposé et signifié une requête concernant l’adjudication des dépens de l’appel conformément à la Règle 324 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. L’avocat de l’intimé doit déposer et signifier ses arguments dans les 20 jours de la signification des observations de l’appelante et l’avocat de l’appelante doit déposer et signifier ses observations en réplique, si tant est qu’il souhaite en formuler, dans les dix jours suivant la réception des observations déposées au nom de l’intimé.
[1] Statuts constitutifs de Melru Ventures Inc., D.A., vol. II, à la p. 142.
[2] D.A., vol. II, aux p. 142 à 147.
[3] D.A., vol. II, aux p. 167 et 168.
[4] D.A., vol. II, aux p. 169 et 170.
[5] D.A., vol. II, à la p. 182.
[6] D.A., vol. II, à la p. 186.
[7] D.A., vol. II, aux p. 188 et 189.
[8] D.A., vol. II, à la p. 191.
[9] D.A., vol. I, aux p. 124 et 125.
[10] D.A., vol. I, à la p. 109.
[11] D.A., vol. I, aux p. 126 à 128.
[12] D.A., vol. II, à la p. 228.
[13] M.R.N. c. Neuman, [1994] 2 C.F. 154 aux p. 160 et 161 (1re inst.).
[14] Neuman (M.) c. M.R.N., [1992] 2 C.T.C. 2074 (C.C.I.), aux p. 2084 et 2085.
[15] Précité, note 13, à la p. 175.
[16] Ibid., à la p. 162.
[17] Voir, V. Krishna & J. A. VanDuzer, « Corporate Share Capital Structures and Income Splitting : McClurg v. Canada » dans (1993), 21 Rev. can. D. comm. 335, dans lequel les auteurs écrivent ceci, aux p. 362 et 363 :
[traduction] Les remarques incidentes dans l’arrêt McClurg obligeront les fiscalistes à formuler avec soin leurs opinions concernant l’efficacité de certaines organisations du capital-actions conçues aux fins de la planification fiscale du revenu. Dans les opérations avec lien de dépendance, le versement discrétionnaire de dividendes peut être acceptable uniquement si le bénéficiaire a fourni un « apport légitime » à la société. Ce qui doit être considéré comme un « apport légitime » ou une contrepartie légitime est une question de fait particulière à chaque cause et exige une évaluation des contributions financières, que ce soit sous forme de capitaux propres ou de garanties, ou sous forme de participation active aux affaires de la société …
Les clauses de dividende discrétionnaire sont un moyen valide que peuvent utiliser les administrateurs d’une société pour distribuer des dividendes. La seule restriction vient de ce que le jugement laisse entendre qu’un tribunal peut avoir le droit d’examiner « les réalités commerciales et économiques des opérations du contribuable » même dans une opération sans lien de dépendance. On ne peut dire avec certitude si, par ces propos, la Cour suprême revient en partie sur son rejet antérieur total du critère de l’objet commercial.
Pour résumer, bien que le versement discrétionnaire de dividendes ne soit pas généralement visé par la règle des paiements indirects énoncée au paragraphe 56(2) de la LIR, ce paragraphe peut s’appliquer au versement discrétionnaire dans deux situations : si les « réalités commerciales et économiques » de l’arrangement font en sorte que la structure du capital-actions de la société n’est rien de plus qu’un stratagème d’évitement fiscal, et si les parties traitent, que ce soit en droit ou en fait, avec un lien de dépendance.
[18] À titre de seul détenteur des actions ordinaires avec droit de vote et des actions de catégorie « F », l’intimé a renoncé à ses droits de recevoir des dividendes, énoncés à l’alinéa 8e) des statuts constitutifs de Melru. Il a donc joué plus qu’un rôle de simple conseiller et a participé activement au processus décisionnel de l’administratrice. En outre, l’intimé a autorisé la seule administratrice, son épouse, à contourner la procédure de déclaration des dividendes prévue dans les statuts constitutifs en violation de l’art. 117(2) de The Corporations Act du Manitoba, S.M. 1976, ch. 40, qui, à l’époque pertinente, se lisait ainsi :
[traduction] 117(2) Les administrateurs et les dirigeants doivent observer la présente loi, ses règlements d’application, les statuts, les règlements administratifs, ainsi que les conventions unanimes des actionnaires.
[19] Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592, aux p. 605 à 614; voir également B. Welling, Corporate Law in Canada : The Governing Principles, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1991), aux p. 325 à 328.
[20] Nous comprenons par cette expression qu’il n’y avait pas d’objectif normal au sens où cette expression est employée dans l’arrêt McClurg.
[21] Pour une analyse du refus de la Cour de l’impôt d’appliquer l’opinion incidente dans McClurg à l’espèce, voir T. E. McDonnell, « Income Splitting : McClurg Obiter Dicta Not Applied » (1992), 40 Rev. fiscale can. 1143.
[22] Précité, note 13.