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[1997] 2 C.F. 878

A-514-96

AGT Limited (appelante)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : AGT Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Desjardins et Linden, J.C.A.—Ottawa, 11, 12, 13 mars et 7 avril 1997.

Impôt sur le revenu — SaisiesAppel d’une ordonnance par laquelle la C.F. 1re inst. a rejeté une demande de contrôle judiciaire contestant la validité et l’applicabilité d’avis de demande de production envoyés en vertu de l’art. 231.2(1) de la Loi — L’AGT a déposé des documents auprès du CRTC dans le cadre d’un processus de fixation de tarifs — Le CRTC a ordonné que ces documents soient considérés comme confidentiels — Le M.R.N. a envoyé à l’AGT des avis lui demandant de produire les documentsLe ministre est incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d’avoir eu la possibilité de les examiner — Le fait que les documents aient été préparés pour un autre organisme et qu’ils aient été déclarés confidentiels par le CRTC n’empêchent pas le ministre d’en obtenir la communication, étant donné qu’ils sont utiles à l’établissement de la dette fiscale éventuelle et que le ministre applique la Loi — L’art. 231.2 s’applique lorsque les renseignements réclamés par le M.R.N. sont utiles pour établir la dette fiscale d’une ou de plusieurs personnes et que la dette fiscale de cette ou de ces personnes fait l’objet d’une enquête véritable et sérieuse.

Il s’agit de l’appel d’une décision par laquelle la Section de première instance a rejeté une demande de contrôle judiciaire contestant la validité et l’applicabilité d’avis de demandes de production envoyés en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette disposition permet au ministre, pour l’application et l’exécution de la Loi, d’exiger de toute personne qu’elle fournisse, dans un délai raisonnable, tout renseignement. L’appelante a déposé certains documents auprès du CRTC dans le cadre d’un processus de fixation de tarifs. Ces documents ont fait l’objet d’une ordonnance de confidentialité en vertu des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications et de la Loi sur les chemins de fer. Après que le CRTC eut refusé de communiquer les documents confidentiels, le ministre du Revenu national a envoyé des avis demandant à l’appelante de produire les documents en question. L’appelante affirmait que les avis de demande de production étaient invalides parce qu’ils ne remplissaient pas les conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., à savoir que les documents doivent être utiles au dépôt des déclarations d’impôt sur le revenu et que la saisie ne doit pas être « abusive » au sens de l’article 8 de la Charte. Pour ce qui est du critère de l’utilité, l’appelante soutenait que le ministre devait démontrer que les avis de demande de production visaient uniquement à obtenir la production des documents qui pouvaient être utiles à sa fonction de vérification de l’observation de la loi. Selon l’appelante, le ministre effectuait une recherche à l’aveuglette. L’appelante soutenait en outre que la saisie était abusive parce que le droit de l’appelante de protéger le caractère confidentiel des documents réclamés l’emportait sur le droit de l’État à ces documents, ainsi qu’en faisaient foi l’ordonnance de confidentialité du CRTC et le fait que les documents avaient été créés en raison d’une disposition impérative de la loi pour permettre au CRTC de s’acquitter des obligations que lui imposait la loi.

La question en litige est celle de savoir si les avis de demande de production étaient autorisés par le paragraphe 231.2(1).

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., la Cour suprême du Canada a conclu que le paragraphe 231(3), maintenant le paragraphe 231.2(1), constitue une saisie valide au sens de l’article 8 de la Charte. Elle a également jugé que le sens du terme « abusive » à l’article 8 serait moins strict dans un contexte administratif et réglementaire.

Sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le rôle du ministre consiste à vérifier la dette fiscale du contribuable qui est d’abord révélée par la déclaration de revenus du contribuable. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Le recours à des mécanismes d’enquête qui forcent les sociétés et d’autres entreprises à divulguer ce qu’elles et elles seules peuvent connaître au sujet de leurs affaires internes fait partie des droits qu’a l’État de veiller au respect de la Loi. Bien que l’on reconnaisse le droit d’une personne physique ou d’une personne morale de garder confidentielles ses stratégies commerciales, la mise en balance des intérêts en jeu favorise incontestablement l’État. Le ministre est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d’avoir eu la possibilité de les examiner.

Le fait que les documents aient été préparés dans le but de porter à la connaissance du CRTC les renseignements nécessaires pour lui permettre de fixer un tarif et le fait que les documents aient été déclarés confidentiels aux termes d’une ordonnance du CRTC n’empêchent pas le ministre d’en obtenir la communication, étant donné qu’ils sont utiles à l’établissement de la dette fiscale éventuelle de la contribuable et que le ministre appliquait la Loi.

La portée du paragraphe 231.2(1) a été restreinte par application des règles d’interprétation aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d’une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou de ces personnes fait l’objet d’une enquête véritable et sérieuse. Compte tenu de ces critères, le juge des requêtes n’a commis aucune erreur.

Avec le consentement des parties, il est sursis à l’exécution du jugement pour une période de 90 jours pour permettre à l’appelante de demander l’autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Alberta Government Telephones Reorganization Act, S.A. 1990, ch. A-23.5.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231(3).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.2(1).

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 350, 358.

Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications, DORS/79-554, art. 18, 19 (mod. par DORS/86-832, art. 3).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 68 D.L.R. (4th) 568; 55 C.C.C. (3d) 530; [1990] 2 C.T.C. 103; 76 C.R. (3d) 283; 47 C.R.R. 151; 90 DTC 6243; 106 N.R. 385; 39 O.A.C. 385.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; [1991] 6 W.W.R. 673; (1991), 67 C.C.C. (3d) 289; 8 C.R. (4th) 368; 7 C.R.R. (2d) 108; 75 Man. R. (2d) 112; 130 N.R. 161; 6 W.A.C. 112; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 67 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161; James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614; (1984), 9 D.L.R. (4th) 1; [1984] 4 W.W.R. 577; 7 Admin. L.R. 302; [1984] CTC 345; (1984), 84 DTC 6325; 54 N.R. 241.

DOCTRINE

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law. McNaughton Revision, vol. 8. Boston : Little, Brown & Co., 1961.

APPEL d’une ordonnance par laquelle la Section de première instance ([1996] 3 C.F. 505 [1996] 3 C.T.C. 143; (1996), 96 DTC 6388; 115 F.T.R. 1 (1re inst.)) a rejeté une demande de contrôle judiciaire contestant la validité et l’applicabilité d’avis de demande de production envoyés en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel rejeté.

AVOCATS :

Al Meghji et John E. E. Lowe pour l’appelante.

Naomi Goldstein pour l’intimé.

PROCUREURS :

Bennett Jones Verchere, Calgary, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : Le présent appel porte sur la validité et l’applicabilité de trois avis de demande de production que le ministre du Revenu national (le ministre) a fait parvenir à l’appelante AGT Limited (AGT) en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1].

Voici les extraits essentiels des avis en question[2] :

[traduction] Pour l’application et l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu et en conformité avec les dispositions du paragraphe 231.2(1) de ladite loi, j’exige par les présentes que, dans les 30 jours de la date de la signification du présent avis, vous fournissiez des copies des lettres, contrats, rapports, notes de service, annexes, documents de travail, procès-verbaux de réunions, notes jointes aux dossiers, télex, télécopies et autres documents qui se trouvent en votre possession ou sous votre contrôle, selon leur mode de conservation original, et qui se rapportent directement ou indirectement à ce qui suit :

(i) les documents et les renseignements qui ont été déposés auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour les années allant de 1990 à juillet 1995.

Cette énumération de catégories de documents et de renseignements ne se veut nullement exhaustive et il est possible que les fonctionnaires du présent ministère souhaitent examiner d’autres documents ou renseignements, auquel cas ils pourront réclamer d’autres catégories de documents ou de renseignements ou d’autres documents ou renseignements déterminés qui doivent être communiqués conformément à la présente entente.

À défaut par vous de donner suite au présent avis de production, vous serez passible de poursuites sans autre avis aux termes du paragraphe 238(1).

Les documents et les renseignements réclamés par le ministre en vertu des avis de demande de production sont les documents que l’appelante a déposés auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) pour les années allant de 1990 à juillet 1995. Ces documents bénéficient maintenant du statut de documents confidentiels en vertu d’une décision que le CRTC a rendue en vertu des articles 350 et 358 de la Loi sur les chemins de fer[3] et des articles 18 et 19 des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications[4].

Les faits

L’appelante est une compagnie de téléphone dont les activités sont réglementées par le CRTC depuis le 4 octobre 1990. Avant le 4 octobre 1990, le service téléphonique en Alberta était assuré par l’Alberta Government Telephones Commission. Comme elle était une société d’État, la Commission n’était tenue de verser aucun impôt fédéral ou provincial et elle ne s’est jamais prévalue de la déduction pour amortissement. Cependant, sur le plan comptable, elle calculait chaque année un amortissement qu’elle incluait dans le calcul de ses besoins en revenu. En vertu de la loi intitulée Alberta Government Telephones Reorganization Act[5], la Commission a été restructurée en date du 4 octobre 1990 en prévision de sa privatisation. Telus Corporation a été constituée en vue de servir de société de portefeuille pour faciliter la privatisation de la société d’État provinciale. La majeure partie des activités et des éléments d’actif téléphoniques ont été transférés à l’appelante, qui était une filiale de Telus. L’appelante AGT est alors devenue une entreprise réglementée relevant de la compétence du CRTC et elle est devenue au même moment une entité imposable.

Dans le cadre des préparatifs faits en vue de l’organisation et de la privatisation de l’Alberta Telephones Government Telephones Commission, on a demandé au ministre de rendre une décision fiscale préliminaire sur la question de savoir si les biens amortissables devaient sur le plan fiscal être évalués à leur coût original, soit environ 4 000 000 000 $, ou à leur valeur comptable nette, c’est-à-dire au coût original moins l’amortissement, qui se chiffrait à environ 2 200 000 000 $. Dans sa décision, le ministre a permis l’utilisation du coût original à titre de fraction non amortie du coût en capital.

En octobre 1991, l’appelante a demandé au CRTC d’établir les revenus dont elle avait besoin, d’abord pour 1992. La procédure d’établissement des besoins en revenu est censée couvrir les dépenses d’AGT, le coût en capital et d’autres éléments; toutefois, ce qui est important pour le présent litige, c’est que les revenus autorisés sont également censés couvrir la dette fiscale d’AGT.

Devant le CRTC, AGT a présenté une perspective plus prudente en ce qui a trait à sa dette fiscale qu’elle ne l’avait fait dans les déclarations de revenus qu’elle avait remises au ministre. Devant le CRTC, la société contribuable a produit certains documents dont elle a réclamé et obtenu la confidentialité en vertu des articles 18 et 19 des Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications.

Le ministre du Revenu national, qui avait procédé à une vérification générale d’AGT impliquant l’examen et la vérification des états financiers et des déclarations de revenus déposés par l’appelante en 1990 et 1991[6], a été mis au courant de l’existence des documents confidentiels que l’appelante avait déposés auprès du CRTC. Par suite de l’envoi d’une note de service interne, trois représentants du ministre se sont rendus aux bureaux du CRTC le 22 juin 1995 pour obtenir les documents en question. Le CRTC a toutefois refusé de leur remettre les documents confidentiels.

En juillet 1995, après avoir tenté sans succès d’obtenir directement du CRTC les documents confidentiels en litige, le ministre a envoyé en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi des avis demandant au CRTC de produire les documents en question.

La contribuable a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de notre Cour en vue de contester la validité et l’applicabilité des avis de demande de production. La demande a été rejetée dans une décision qui est maintenant publiée[7].

Prétentions et moyens des parties

L’appelante invoque devant nous deux moyens clés. En premier lieu, elle affirme que les avis de demande de production n’étaient pas autorisés par le paragraphe 231.2(1). En second lieu, elle soutient que les documents dont la saisie était réclamée étaient privilégiés en vertu des « règles Wigmore » [Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, para. 2285] qui sont définis notamment dans l’arrêt R. c. Gruenke[8]. Nous avons choisi de ne pas entendre l’intimé sur cette seconde question, étant donné que nous sommes convaincus que le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur dans la façon dont il a tranché ce moyen.

En ce qui concerne la première question, l’appelante affirme que les avis de demande de production sont invalides étant donné qu’ils ne remplissent pas les conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd.[9], à savoir que les documents doivent « être utiles au dépôt des déclarations d’impôt sur le revenu » et que la saisie ne doit pas être « abusive » au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés[10].

Pour ce qui est du critère préliminaire de l’utilité, l’appelante soutient que, bien que l’arrêt McKinlay appuie la proposition que les saisies pratiquées en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu donnent lieu à l’application d’un critère préliminaire moins sévère que le critère des « motifs raisonnables » qui s’applique aux saisies dans le contexte du droit pénal, il incombe malgré tout au ministre de démontrer au tribunal, par affidavit ou autrement, que les avis de demande de production visent à obtenir uniquement la production des documents qui peuvent être utiles à sa fonction de vérification de l’observation de la loi. Le fait d’envoyer un avis de demande de production qui ne tient délibérément pas compte de l’utilité potentielle d’un document déborde de toute évidence le cadre de cet article.

En l’espèce, il y a des questions en litige entre le ministre et AGT en ce qui concerne la classification de certains éléments d’actif sur le plan fiscal[11]. L’appelante soutient que le ministre a reconnu que les avis de demande de production visent la production de renseignements qui ne sont pas utiles à ces questions. Au cours de son contre-interrogatoire, Mme Sharon Marlene White, une représentante de l’intimée, a concédé qu’AGT ne pouvait être forcée à donner son avis sur l’évaluation du risque de ces éléments d’actif[12]. Elle a toutefois bien précisé que le ministre était intéressé par les faits sous-jacents à l’évaluation du risque. L’échange suivant a alors eu lieu[13] :

[traduction]

Q. Vous venez tout juste d’envoyer l’avis de demande sachant que vous pouviez vous retrouver en possession de renseignements que vous n’aviez pas le droit d’obtenir?

R. J’ai envoyé un avis dans lequel j’ai réclamé tous les documents déposés auprès du CRTC, quels qu’ils soient. [Non souligné dans l’original.]

Il ressort de cet aveu, selon l’appelante, que le ministre effectue une recherche à l’aveuglette alors que cette façon de procéder est interdite. Le ministre, affirme-t-elle, a le droit d’obtenir les documents comptables que tout contribuable est obligé de tenir, mais pas les documents renfermant des avis et les stratégies commerciales.

L’appelante soutient en outre que la saisie est abusive parce que le droit de l’appelante de protéger le caractère confidentiel des documents qu’on cherche à saisir l’emporte sur le droit de l’État à ces documents. L’appelante affirme qu’elle possède un droit primordial de protéger le caractère confidentiel des documents en question parce que, au moment où les avis de demande de production ont été envoyés, les documents réclamés bénéficiaient du statut de documents confidentiels en vertu de la décision par laquelle le CRTC avait jugé qu’il était dans l’intérêt du public que les documents demeurent confidentiels. Le fait que l’appelante ne soit pas tenue par la Loi de conserver le type de documents en litige démontre encore plus que le droit de l’État d’obtenir les documents en question ne l’emporte pas sur le droit à la confidentialité de l’appelante. Le juge des requêtes aurait dû tenir compte du fait que les documents en litige avaient été créés en raison d’une disposition impérative de la loi dans un but très précis, étant donné que les renseignements avaient été recueillis et fournis au CRTC pour lui permettre de s’acquitter des obligations que lui impose la loi. La saisie que le ministre cherche à pratiquer est, en conséquence, abusive.

L’appelante allègue finalement que les moyens non prévus par la loi auxquels recourt le ministre pour chercher à obtenir la communication des renseignements en cause va manifestement à l’encontre du principe de la primauté du droit et des valeurs incarnées par l’article 8 de la Charte. Les tentatives qu’il fait pour obtenir les documents par le biais du CRTC font partie intégrante de la saisie en litige et concernent la question de savoir si la saisie était abusive ou non.

L’intimé maintient que les avis de demande de production satisfont aux exigences juridiques énoncées dans l’arrêt McKinlay. Le ministre a le droit d’obtenir des documents qui sont susceptibles non seulement de contenir des faits, mais aussi de révéler la route qu’a suivie le contribuable pour établir sa cotisation. Le ministre a le droit d’obtenir la communication de documents qui pourraient aider à mettre au jour des situations qui sont susceptibles de l’aider à faire respecter la Loi.

Analyse

La décision de principe en la matière est l’arrêt McKinlay, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que le paragraphe 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, c. 63], maintenant le paragraphe 231.2(1), constitue une saisie valide au sens de l’article 8 de la Charte. La Cour a confirmé la demande sans mandat qu’avait formulée le ministre en vue d’obtenir des documents et renseignements privés d’un contribuable pour l’application de la Loi, au motif que la production de ces documents était assujettie à une norme moins élevée en ce qui concerne son caractère raisonnable.

Le juge Wilson, qui s’exprimait pour son propre compte et au nom du juge en chef Lamer[14], a souligné que la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale était une loi de réglementation et que le sens à attribuer au terme « abusive » que l’on trouve à l’article 8 de la Charte serait moins strict dans un contexte administratif et de réglementation[15] :

J’estime qu’il est conforme à cette interprétation de faire une distinction entre, d’une part, les saisies en matière criminelle ou quasi criminelle auxquelles s’appliquent dans toute leur rigueur les critères énoncés dans l’arrêt Hunter et, d’autre part, les saisies en matière administrative et de réglementation, auxquelles peuvent s’appliquer des normes moins strictes selon le texte législatif examiné. Je ne crois pas que lorsque le Juge en chef a affirmé, à la p. 527 de l’arrêt Simmons, que les dérogations aux critères énoncés dans l’arrêt Hunter seraient rares, il songeait aux fouilles, aux perquisitions ou aux saisies effectuées en application d’un texte de réglementation. Je crois plutôt qu’il visait, comme c’était le cas dans les affaires Hunter et Simmons, les fouilles, les perquisitions ou les saisies en matière criminelle ou quasi-criminelle. C’est donc dans cette optique que je vais examiner le caractère raisonnable du par. 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Elle a poursuivi en déclarant[16] :

Au début de mon analyse, j’ai souligné que la Loi de l’impôt sur le revenu se fondait sur le principe de l’auto-déclaration et de l’auto-cotisation. La Loi aurait pu prévoir que chaque contribuable doit remettre tous ses documents au Ministre et à ses fonctionnaires pour qu’ils puissent faire les calculs nécessaires pour déterminer le revenu imposable de chacun. La Loi n’exige pas cela, sûrement parce qu’un tel système serait extrêmement coûteux et peu commode. Cependant, un régime d’auto-déclaration a ses désavantages, dont le principal est que son succès dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable dans la préparation de sa déclaration. Bien qu’il ne fasse pas de doute que la plupart des contribuables respectent le régime et s’y conforment, c’est un fait que certaines personnes tentent d’en tirer profit et d’échapper en partie au fisc.

Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal. Si tel est le cas, et je crois qu’il en est ainsi, il est évident que les critères de l’arrêt Hunter ne conviennent pas pour déterminer le caractère raisonnable d’une saisie effectuée en vertu du par. 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La nature réglementaire du texte législatif et son intention générale ne s’y prêtent pas. La nécessité d’un contrôle au hasard est incompatible avec l’exigence, énoncée dans l’arrêt Hunter, que la personne qui demande l’autorisation ait des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu’une infraction a été commise. Si ce critère énoncé dans l’arrêt Hunter est inapplicable, il doit en être de même pour les autres critères établis dans cet arrêt puisque leur validité repose sur la nécessité d’établir l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’avoir un arbitre impartial en mesure d’agir de façon judiciaire puisque son rôle principal, selon l’arrêt Hunter, consiste à s’assurer que la personne qui demande l’autorisation a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction précise a été commise, qu’il existe des motifs raisonnables et probables de croire que l’autorisation permettra de découvrir quelque chose ayant trait à cette infraction précise, et que l’autorisation ne vise qu’à permettre la saisie de documents se rapportant à l’infraction précise.

Il ne faut pas conclure que toutes les formes de perquisitions et de saisies effectuées sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu sont valides. L’intérêt qu’a l’État à contrôler le respect de la Loi doit être soupesé en fonction du droit des particuliers à la protection de leur vie privée. Plus grande est l’atteinte aux droits à la vie privée des particuliers, plus il est probable que des garanties semblables à celles que l’on trouve dans l’arrêt Hunter seront nécessaires. Ainsi, le fait pour les agents du fisc de pénétrer dans la propriété d’un particulier pour y faire une perquisition et une saisie constitue une immixtion beaucoup plus grande que la simple demande de production de documents. La raison en est que même s’il est possible que le contribuable s’attende peu à ce que son droit à la protection de sa vie privée soit respecté relativement à ses documents commerciaux utiles pour établir son assujettissement à l’impôt, il n’en attache pas moins d’importance au respect de l’inviolabilité de son domicile.

À mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle n’entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d’impôt sur le revenu. Le droit du contribuable à la protection de sa vie privée à l’égard de ces documents est relativement faible vis-à-vis le Ministre. Ce dernier est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d’avoir eu la possibilité de les examiner. En même temps, le droit du contribuable à la protection de sa vie privée est garanti autant qu’il est possible de le faire puisque l’art. 241 de la Loi interdit la communication de ses documents et des renseignements qu’ils contiennent à d’autres personnes ou organismes.

L’appelante soutient essentiellement qu’indépendamment du fait que le paragraphe 231.2(1) de la Loi a été déclaré constitutionnellement valide, chaque avis de demande de production qui est envoyé en vertu de cette disposition doit satisfaire au critère de l’utilité et du caractère raisonnable.

Pour répondre à cet argument, il suffit de dire que, dès qu’une disposition législative est déclarée valide, comme c’était le cas du paragraphe 231.2(1) de la Loi dans l’arrêt McKinlay, l’analyse constitutionnelle prend fin. Seule une analyse législative est ensuite nécessaire. C’est dans le cadre de cette dernière analyse que j’examine maintenant les moyens invoqués par l’appelante au sujet de l’utilité et du caractère raisonnable.

Sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le rôle du ministre consiste à vérifier la dette fiscale du contribuable qui est d’abord révélée dans la déclaration de revenus du contribuable. Il est souvent « impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière »[17]. En raison de la nature de la conduite qui est réglementée par la Loi de l’impôt sur le revenu, il est souvent impossible de déterminer si le contribuable a commis des actes proscrits, à moins d’étudier les moyens que la société ou l’entreprise soupçonnée a utilisés pour prendre sa décision ou pour la mettre en œuvre[18]. Le recours à des mécanismes d’enquête qui forcent les sociétés et d’autres entreprises à divulguer ce qu’elles et elles seules peuvent connaître au sujet de leurs affaires internes fait partie des droits qu’a l’État de veiller au respect de la Loi[19].

Bien que l’on reconnaisse le droit d’une personne physique ou d’une personne morale à garder confidentielles ses stratégies commerciales[20], la mise en balance des intérêts en jeu favorise incontestablement l’État. Dans l’arrêt McKinlay, le juge Wilson reconnaît que le ministre « est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d’avoir eu la possibilité de les examiner »[21]. Il existe un dernier mécanisme de protection. Ce ne sont pas tous ces documents qui sont nécessairement admissibles et qui peuvent être opposés au contribuable devant un tribunal judiciaire ou dans le cadre d’une autre instance. Ne sont admissibles que les documents qui sont conformes aux règles de la preuve.

Le fait que les documents en litige aient été préparés dans le cadre d’une autre instance dans le but de porter à la connaissance du CRTC les renseignements nécessaires pour lui permettre de fixer un tarif n’empêche pas le ministre d’en obtenir la communication, étant donné qu’ils sont utiles à l’établissement de la dette fiscale éventuelle de la contribuable. Qui plus est, le fait qu’ils aient été déclarés confidentiels aux termes d’une ordonnance du CRTC n’empêche pas le ministre d’en obtenir la communication lorsqu’il applique la Loi. Ces propositions découlent de l’arrêt McKinlay.

Les avis de demande de production constituent la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi[22]. Le fait que le ministre ait employé des moyens qui ne sont pas prévus par la loi pour obtenir les documents est une considération non pertinente pour ce qui est de la validité des avis de demande de production. Le fait est que ces documents n’ont pas été obtenus du CRTC.

Le paragraphe 231.2(1) est libellé en des termes larges, mais sa portée a été restreinte, par application des règles d’interprétation[23], aux situations dans lesquelles les renseignements réclamés par le ministre sont utiles pour établir la dette fiscale d’une ou de plusieurs personnes déterminées, et lorsque la dette fiscale de cette ou ces personnes fait l’objet d’une enquête véritable et sérieuse. Compte tenu de ces critères, je conclus que le juge des requêtes n’a commis aucune erreur.

Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

L’appelante a demandé, pour le cas où l’appel serait rejeté, qu’il soit sursis à l’exécution de l’arrêt de notre Cour pour une période de quatre-vingt-dix jours de manière à permettre à l’appelante de soumettre une demande d’autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. L’intimé était d’accord avec cette demande. Avec le consentement des parties, je suis d’avis de surseoir à l’exécution du présent jugement pour une période de quatre-vingt-dix jours. Si une demande d’autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada est présentée avant l’expiration de ce délai, le sursis serait maintenu jusqu’à ce que la Cour suprême ait tranché la demande.

Le juge Stone, J.C.A. : Je suis du même avis.

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis du même avis.



[1] Voici le libellé de l’art. 231.2(1), L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

[2] D.A., aux p. 320 et 321.

[3] L.R.C. (1985), ch. R-3, mod.

[4] DORS/79-554, 27 juillet 1979, Gazette du Canada, Partie II, vol. 133, no 15, art. 19 (mod. par DORS/86-832, art. 3).

[5] S.A. 1990, ch. A-23.5.

[6] Affidavit de Sharon Marlene White, annexe commune I, vol. III, à la p. 295.

[7] AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 505(1re inst.).

[8] [1991] 3 R.C.S. 263.

[9] [1990] 1 R.C.S. 627.

[10] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[11] D.A., à la p. 442.

[12] D.A., aux p. 444 à 446.

[13] D.A., aux p. 450 à 453.

[14] Le juge La Forest et le juge L’Heureux-Dubé ont tous les deux souscrit aux motifs du juge Wilson, sous réserve de ce qu’ils avaient dit dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, qui avait été rendu en même temps que l’arrêt McKinlay. Le juge Sopinka a souscrit au dispositif suggéré par le juge Wilson, mais pour des motifs différents.

[15] R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux p. 647 et 648.

[16] Ibid., aux p. 648 à 650.

[17] Supra, note 15, à la p. 648 (le juge Wilson).

[18] Voir le juge La Forest dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S 425, aux p. 525 et 526.

[19] Ibid., à la p. 526.

[20] Voir le juge Wilson dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 492.

[21] Supra, note 15, à la p. 650.

[22] Ibid., à la p. 649.

[23] James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national et autres, [1984] 1 R.C.S. 614, à la p. 625, qui, comme l’affaire McKinlay, portait sur l’art. 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, mod. (qui comporte maintenant des différences qui sont sans conséquences sur la présente affaire et qui correspond à l’art. 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu actuelle).

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