[1997] 2 C.F. 893
T-1096-95
Andersen Consulting (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
Répertorié : Andersen Consulting c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 19 mars 1997.
Juges et tribunaux — En réponse à une question sur le rôle de l’avocat à l’interrogatoire préalable, le protonotaire adjoint a défini des règles générales de procédure — L’art. 46 de la Loi sur la Cour fédérale réserve au Comité des règles le pouvoir d’établir les règles de la Cour, pouvoir qu’il exerce avec l’approbation du gouverneur en conseil et après un processus de consultation prévu par la loi — Aucun juge ou protonotaire de la Cour n’a compétence pour fixer les règles de la Cour.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Interrogatoire préalable — Il échet d’examiner si la personne interrogée a le droit de consulter un avocat — Le témoin était un représentant désigné par la défenderesse (la Couronne) à cet effet — Les points litigieux sont multiples, la quantité de documents « énorme » — Nul ne peut s’opposer à une question posée pour la seule raison qu’elle constitue un contre-interrogatoire — Dans un litige complexe mettant en jeu de nombreux documents, la personne interrogée, en particulier si elle a été désignée à cet effet, doit continuer à s’informer au fur et à mesure du long interrogatoire — Raison d’être de l’interrogatoire préalable — Contre-interrogatoire en cours d’interrogatoire préalable — Adoption de la conclusion du juge Steele dans Kay v. Posluns quant au rôle de l’avocat à l’interrogatoire préalable.
Appel contre des directives du protonotaire adjoint qui prétendent définir des règles générales de procédure applicables aux interrogatoires préalables, en posant que, dans le cas où une personne qui n’est pas partie à l’instance témoigne à l’interrogatoire préalable pour le compte d’une partie, elle peut consulter son avocat durant les suspensions et ajournements afin de réunir les preuves destinées à l’interrogatoire et de rectifier toute inexactitude ou insuffisance dans quelque réponse; que l’avocat de la partie représentée par ce témoin peut répondre lui-même, ou compléter ou rectifier une réponse donnée par le témoin, à moins que celui-ci n’en connaisse le sujet de première main; et que cet avocat n’a pas le droit de donner aide ou conseils au témoin entre le moment où celui-ci se voit poser une question et le moment où il y répond, si ce n’est pour opposer une objection à une question. Il y avait interrogatoire préalable par la demanderesse d’un représentant désigné par la défenderesse à cet effet. Les points litigieux sont multiples en l’espèce, et la quantité de documents ayant un rapport avec l’interrogatoire préalable est « énorme ». Les avocats des deux parties avaient une conception fondamentalement différente du rôle de l’avocat auprès du représentant de la défenderesse durant ce long interrogatoire préalable, que ce soit au cours de l’interrogatoire ou en dehors de la salle.
Il échet d’examiner si le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit dans sa décision.
Jugement : l’appel doit être accueilli en partie.
L’interrogatoire préalable est régi par les Règles 455 à 466.1 des Règles de la Cour fédérale. Aucun juge ou protonotaire de la Cour n’a compétence pour fixer les règles de la Cour. C’est le Comité des règles qui est investi par l’article 46 de la Loi sur la Cour fédérale de cette compétence, qu’il exerce avec l’approbation du gouverneur en conseil et à la suite d’un processus de consultation prévu par la loi. Le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit en faisant de la directive contestée une règle générale de conduite pour l’avocat assistant la personne qui, n’étant pas partie à l’instance, témoigne à l’interrogatoire préalable pour le compte d’une partie, plutôt que des règles de procédure dérivées des Règles de la Cour et applicables au cas d’espèce. À supposer qu’elle ait été convenablement formulée au regard des faits, la directive donnée par le protonotaire adjoint serait conforme à la loi.
Le contre-interrogatoire en cours d’interrogatoire préalable est prévu par les Règles de la Cour fédérale, aux termes desquelles nul ne peut s’opposer à une question posée à la personne interrogée pour la seule raison qu’elle constitue un contre-interrogatoire (Règle 459). Cela ne veut cependant pas dire que le contre-interrogatoire dans le cadre de l’interrogatoire préalable est régi par tous les principes applicables au contre-interrogatoire lors du procès proprement dit. En particulier, le principe généralement reconnu qui interdit les consultations entre l’avocat et le témoin au cours du contre-interrogatoire, ne peut s’étendre sans réserves à l’interrogatoire préalable. Interdire les consultations entre l’avocat et la personne interrogée, en particulier dans le cas où elle n’est que la représentante et non pas la partie soumise à l’interrogatoire elle-même et où les points à élucider sont variés et détaillés, irait à l’encontre des principes applicables en la matière.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 46 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 1992, ch. 1, art. 68).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 319 (mod. par DORS/88-221, art. 4), 327, 455 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 456 (mod., idem), 457 (mod., idem), 458 (mod., idem), 459 (mod., idem), 460 (mod., idem), 461 (mod., idem), 462 (mod., idem), 463 (mod., idem), 464 (mod., idem), 465 (mod., idem), 465.1 (édictée, idem), 465.2 (édictée, idem), 465.3 (édictée, idem), 465.4 (édictée, idem), 465.5 (édictée, idem), 466, 466.1 (mod., idem, art. 16).
Règles de procédure civile, Règl. de l’Ont. 560/84, Règle 34.12.
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, Règle 34.12.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Champion Truck Bodies Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 245 (1986), 6 F.T.R. 63 (1re inst.); Kay v. Posluns (1989), 71 O.R. (2d) 238 (H.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); James River Corp. of Virginia v. Hallmark Cards, Inc., [1997] A.C.F. no 152 (1re inst.) (QL).
DÉCISION EXAMINÉE :
Crestbrook Forest Industries Ltd. c. Canada, [1993] 3 C.F. 251 [1993] 2 C.T.C. 9; (1993), 93 DTC 5186; 153 N.R. 122 (C.A.).
DÉCISION CITÉE :
McLeod et al. v. Canadian Newspapers Co. Ltd. et al. (1987), 58 O.R. (2d) 721; 15 C.P.C. (2d) 151 (C.S.).
DOCTRINE
Holmested and Watson : Ontario Civil Procedure, vol. 3. G. D. Watson and C. Perkins, eds. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.
APPEL contre des directives du protonotaire adjoint quant au rôle de l’avocat à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’était pas partie au litige. Appel accueilli dans la mesure où ces directives entendaient poser des règles générales de procédure.
AVOCATS :
Thomas G. Heintzman, c.r., pour la demanderesse.
Duff Friesen, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS :
McCarthy Tétrault, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Gibson : Par avis de requête introduite le 23 septembre 1996 sous le régime des Règles 319 et 327 des Règles de la Cour fédérale[1], la défenderesse avait demandé des directives
[traduction] … sur la question de savoir si la personne soumise à l’interrogatoire préalable a le droit, en cours d’interrogatoire et sans gêner le déroulement de celui-ci, de consulter son avocat :
a) pour s’informer afin d’être en mesure de répondre à toute question pertinente que l’autre partie lui a posée;
b) pour rectifier toute inexactitude ou insuffisance dans quelque réponse qu’elle aura donnée au cours de l’interrogatoire.
Cette requête a été entendue par le protonotaire adjoint Giles, le 27 septembre 1996 à Ottawa. Le 29 septembre 1996, il a signé une ordonnance « prenant effet à compter du » 27 septembre et comportant les dispositions suivantes :
IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE, dans le cas où une personne qui n’est pas partie à l’instance témoigne à l’interrogatoire préalable pour le compte d’une partie,
1. elle peut consulter son avocat durant les suspensions et ajournements :
a) afin de réunir les preuves destinées à l’interrogatoire;
b) afin de rectifier toute inexactitude ou insuffisance dans quelque réponse qu’elle aura donnée au cours de l’interrogatoire;
2. l’avocat de la partie représentée par ce témoin peut répondre lui-même, ou compléter ou rectifier une réponse donnée par le témoin, à moins que celui-ci n’en connaisse le sujet de première main,
3. cet avocat n’a pas le droit de donner aide ou conseils au témoin entre le moment où celui-ci se voit poser une question et le moment où il y répond, si ce n’est pour opposer une objection à une question.
Les dépens suivront le sort du principal.
Les présents motifs se rapportent à l’appel formé contre cette ordonnance du protonotaire adjoint. Les avocats des parties comparaissant à l’appel sont convenus que la seule question dont il est fait appel est celle de savoir si le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit dans sa décision et que, par conséquent, les principes régissant l’appel formé contre une ordonnance discrétionnaire de protonotaire, tels que les a définis l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.[2], ne s’appliquent pas en l’espèce. Au contraire, comme l’a fait observer le juge MacGuigan, à la page 464 de l’arrêt Aqua-Gem :
(L’erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d’intervention du juge …).
Dans James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc.[3], aux paragraphes 5 à 7, Mme le juge Reed, s’étant penchée sur la question de savoir quelles décisions de protonotaire peuvent être considérées comme des décisions discrétionnaires, a conclu qu’une ordonnance sur les réponses dans un interrogatoire préalable est une ordonnance discrétionnaire. Il se trouve cependant que les faits de cette dernière cause n’ont rien à voir avec le rôle du conseiller juridique à l’interrogatoire préalable. J’examinerai donc le point litigieux en appel sous l’angle de l’erreur de droit et non sous celui de l’erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
Les faits qui ont abouti à la requête soumise au protonotaire adjoint peuvent se résumer comme suit.
Dans cette action, la demanderesse sollicite un jugement déclarant qu’elle a droit à une indemnisation pour le temps consacré et les frais engagés dans le cadre d’une soumission pour l’obtention d’un gros marché de l’État, et un jugement déclarant qu’elle a droit à une indemnisation pour les modifications qu’elle a dû faire pour rester en lice, à des dommages-intérêts pour rupture de contrat et négligence ou, subsidiairement, pour enrichissement indu, à des dommages-intérêts punitifs, à des intérêts avant et après jugement, ainsi qu’aux frais et dépens de l’action. Les sommes réclamées sont fort substantielles.
La demanderesse procède en ce moment à l’interrogatoire préalable de M. H. Bruce Harland, le représentant désigné par la défenderesse à cet effet. Les points litigieux sont multiples en l’espèce. C’est pourquoi la quantité de documents ayant un rapport avec cet interrogatoire préalable est, pour reprendre les termes employés par l’avocat de la défenderesse, « énorme ». Au cours des séances d’interrogatoire préalable, l’avocat de la défenderesse a, avec le consentement de celui de la demanderesse, montré un document à M. Harland pour l’aider dans sa réponse. Il a voulu attirer l’attention de celui-ci sur une stipulation spécifique du marché et, une autre fois, sur des notes, l’avocat de la demanderesse s’y est opposé chaque fois. L’avocat de la défenderesse est intervenu dans l’interrogatoire, pour soulever une objection, pour conseiller au témoin de ne pas répondre aux questions relevant du domaine du contre-interrogatoire, et aussi lorsque l’avocat de la demanderesse ne consentait pas à ce qu’il attire l’attention du témoin sur certains documents avant de répondre. L’avocat de la demanderesse s’est opposé à ce que le témoin communique avec des personnes présentes dans la salle, autres que l’avocat de la défenderesse. Il s’est également opposé à ce que ce dernier donne au témoin des conseils à propos des dépositions que celui-ci avait faites ou était sur le point de faire, lors des suspensions de séance et autres interruptions de l’interrogatoire préalable. L’avocat de la défenderesse reconnaît qu’à ces occasions, il discutait avec le témoin du témoignage que celui-ci avait donné ou allait donner, et qu’il entendait continuer à agir ainsi.
Il appert donc que les avocats des deux parties avaient une conception fondamentalement différente du rôle de l’avocat auprès du représentant de la défenderesse durant ce long interrogatoire préalable, que ce soit au cours de l’interrogatoire ou en dehors de la salle.
En application de l’article 46 de la Loi sur la Cour fédérale[4], le comité des règles de la Cour, avec l’autorisation du gouverneur en conseil et après annonce parue dans la Gazette du Canada, a adopté des règles raisonnablement complètes sur l’interrogatoire préalable, après avoir donné aux parties intéressées suffisamment de temps pour se faire entendre à ce sujet. Il s’agit des Règles 455 à 466.1 [Règles 455 à 465 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 465.1 à 465.5 (édictée, idem), 466.1 (mod., idem, art. 16)].
Le paragraphe 456(3) des Règles prévoit que la Couronne peut désigner un « fonctionnaire … bien renseigné » pour répondre en son nom. Que M. Harland en soit un n’est manifestement pas contesté en l’espèce. Le paragraphe 458(1) des Règles fait au témoin l’obligation de répondre aux questions pertinentes « au mieux de ses connaissances ». Le paragraphe 458(2) des Règles lui fait l’obligation de se renseigner avant l’interrogatoire « en faisant des enquêtes raisonnables auprès de chaque officier, fonctionnaire, agent ou employé actuel ou antérieur … qui serait normalement censé être renseigné au sujet de toute question en litige ». La Règle 459 énumère les questions susceptibles d’objection et celles qui ne le sont pas. En particulier, nul ne peut s’opposer à une question par ce motif qu’« elle relève du domaine du contre-interrogatoire, sauf si elle est posée dans le seul but de vérifier la crédibilité de la personne ». La Règle 460 prévoit la possibilité de corriger par écrit les réponses inexactes ou insuffisantes faites au cours de l’interrogatoire préalable. La Règle 461 prévoit les mesures de redressement au cas où une personne ne se conforme pas aux règles précédentes ou entrave la bonne marche de l’interrogatoire préalable. Le paragraphe 465.2(1) des Règles prévoit que le témoin qui doit se renseigner conformément au paragraphe 458(2) et qui ne le fait pas, peut être sommé de le faire. La Règle 465.3 prévoit que l’avocat du témoin peut répondre à sa place, « à moins que la partie qui l’interroge ne s’y oppose » [soulignement ajouté].
Dans Crestbrook Forest Industries Ltd. c. Canada[5], le juge en chef Isaac a tiré la conclusion suivante à la page 265 :
Dans l’arrêt Leitch v. Grand Trunk R. W. Co. (1890), 13 P.R. 369 (C.A. Ont.), le juge Osler, J.C.A., a fait un historique de l’interrogatoire préalable (y compris la pratique qui consiste à interroger les personnes morales parties à une instance par le biais de leurs dirigeants). Cependant, dans le jugement Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 445 (1re inst.), le juge Collier a succinctement expliqué pourquoi les règles relatives aux interrogatoires préalables avaient été rédigées en termes aussi larges. Le juge a affirmé ce qui suit, à la page 449 :
Nos tribunaux ont eu tendance depuis quelques années à assurer à tous les plaideurs un interrogatoire préalable complet avant l’instruction et à faire obstacle autant que possible à ce qu’on appelait communément les manœuvres « guet-apens » dans le système contradictoire. C’est, à mon avis, le but des Règles de la Cour fédérale.
Pareillement, dans la décision Champion Truck Bodies Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 245 (1re inst.), le juge Strayer a affirmé ce qui suit à la page 247 :
Il est dans l’intérêt de la justice que les interrogatoires préalables soient complets, ce qui veut dire que les questions posées doivent être aussi pertinentes que possible. Le but de l’interrogatoire est d’examiner en profondeur les points soulevés dans les plaidoiries écrites, de comprendre la position de la partie interrogée au préalable et d’obtenir des aveux de celle-ci et ce, dans le but de déterminer les points en litige et de réduire le plus possible le nombre des questions qui devront être tranchées au procès.
On doit conclure de l’extrait ci-dessus de la jurisprudence Champion Truck Bodies Ltd. c. R. [[1986] 3 C.F. 245 (1re inst.)] que, dans une affaire complexe mettant en jeu une grande quantité de preuves documentaires comme en l’espèce, il faut s’assurer que l’interrogatoire préalable est aussi exhaustif que possible; et lorsque, comme en l’espèce, le témoin est un représentant désigné qui ne connaît pas nécessairement de première main tous les sujets sur lesquels il ou elle peut être interrogé(e), le paragraphe 458(2) des Règles et Règle 465.2 doivent être interprétées comme signifiant que, dans le cours d’un long interrogatoire, cette personne doit continuer à s’informer au fur et à mesure. Ce qui soulève naturellement la question soumise au protonotaire adjoint du rôle de l’avocat en la matière.
Point n’est besoin de rappeler qu’aucun juge ou protonotaire de la Cour n’a compétence pour fixer les règles de la Cour. Comme noté supra, c’est le comité des règles qui est investi de cette compétence, avec l’approbation du gouverneur en conseil et à la suite d’un processus de consultation prévu par la loi. Je suis convaincu qu’une directive du genre de celle portée en appel en l’espèce, qui prétend définir des règles générales de procédure applicables aux interrogatoires préalables, plutôt que des règles de procédure dérivées des Règles de la Cour fédérale quand ces Règles s’appliquent à un cas d’espèce particulier, va à l’encontre de ce principe et constitue une erreur de droit. Je conclus donc que le protonotaire adjoint a commis une erreur de droit en faisant de la directive contestée une règle générale de conduite pour l’avocat assistant la personne qui, n’étant pas partie à l’instance, témoigne à l’interrogatoire préalable pour le compte d’une partie. Cependant, cette conclusion soulève la question de savoir si, à supposer qu’elle ait été convenablement formulée au regard des faits, la directive donnée par le protonotaire adjoint serait conforme par ailleurs à la loi. Cette question appelle une réponse affirmative.
Dans Kay v. Posluns[6], qui met en jeu les Règles de procédure civile de l’Ontario[7], lesquelles sont, en ce qui nous concerne, semblables aux Règles de la Cour fédérale en matière d’interrogatoire préalable, le juge Steele a donné, aux pages 240 et 241, un aperçu du contexte de la requête dont il était saisi :
[traduction] Après cinq journées d’interrogatoire préalable de James Kay, l’avocat du Groupe Posluns a refusé de continuer par ce motif que ce dernier ne voulait pas répondre à des questions pertinentes, et que son avocat entravait abusivement la marche de l’interrogatoire. Cette requête … vise à obtenir une ordonnance portant obligation pour James Kay de comparaître de nouveau et de répondre aux questions qui avaient fait l’objet d’objections, et d’être contre-interrogé sur ses affidavits. Elle vise également à obtenir des directives sur la reprise de l’interrogatoire …
…
Les difficultés qui ont ressorti à l’interrogatoire préalable tiennent surtout aux vues opposées des avocats de part et d’autre pour ce qui est de savoir quels témoignages ont un rapport avec le litige, donc quelle doit être l’étendue de l’interrogatoire. Ils étaient aussi en désaccord sur la méthode convenable de conduire l’interrogatoire au regard des règles, en particulier sur le degré possible de contre-interrogatoire, et sur le rôle de l’avocat de la partie soumise à l’interrogatoire.
On voit que certaines des questions soumises au juge Steele s’apparentent à celles qui se posent en l’espèce, sauf la question de la consultation entre le témoin et son avocat durant les suspensions de séance, qu’il n’était pas appelé à trancher. Voici ce qu’on peut lire à la page 243 de son jugement :
[traduction] La communication des pièces et l’interrogatoire préalable visent les trois principaux objectifs suivants, tels que les a dégagés la jurisprudence Modriski v. Arnold, [1947] O.W.N. 483, à la page 484 … :
1. permettre à la partie qui interroge de connaître les points qu’elle aura à réfuter;
2. lui permettre d’arracher des aveux qui la dispenseront de l’obligation de prouver ses propres conclusions; ou
3. d’arracher des aveux qui anéantissent les conclusions de la partie adverse.
Pour atteindre ces objectifs, il est important que tous les documents pertinents soient produits, et que le témoin se soit renseigné au préalable afin d’être en mesure de faire des dépositions intelligentes ayant un rapport avec l’affaire.
Ainsi donc, l’objectif de l’interrogatoire préalable, tel que le conçoit le juge Steele, n’est pas bien différent de celui énoncé par le juge Strayer tel était alors son titre et adopté par le juge en chef Isaac dans le passage cité supra de Crestbrook Forest Industries Ltd. Le juge Steele s’est également penché sur la question du contre-interrogatoire dans le contexte de l’interrogatoire préalable. Il l’explique en ces termes, à la page 244 :
[traduction] Lors du procès proprement dit, le contre-interrogatoire vise à disséquer les dépositions du témoin, à mettre sa crédibilité à l’épreuve, et aussi à faire ressortir des points nouveaux. À l’interrogatoire préalable, le représentant de la partie qui y est soumise ne rend pas témoignage sur les faits de la cause. Le contre-interrogatoire a donc pour but de soulever des points nouveaux.
Il fait état des modifications apportées aux Règles de procédure de l’Ontario en matière d’interrogatoire préalable en citant un long passage tiré à la page 31-64 de l’ouvrage Holmested and Watson : Ontario Civil Procedure[8], vol. 3, dont le paragraphe suivant :
[traduction] En modifiant la règle régissant le contre-interrogatoire, l’autorité de réglementation entendait surtout empêcher qu’on puisse en faire un moyen d’objection, et non pas encourager à transformer l’interrogatoire préalable en contre-interrogatoire en profondeur. C’est ce qui se dégage de la formulation de la règle 31.06(1)b)—elle exclut le contre-interrogatoire à titre de moyen d’objection, au lieu de l’autoriser ou de l’encourager expressément.
On peut en dire de même de la formulation du paragraphe 459(2) des Règles de la Cour fédérale. Le juge Steele conclut à ce sujet en ces termes [à la page 245] :
[traduction] Je partage l’observation faite par Holmested et Watson … que la règle « … exclut le contre-interrogatoire à titre de moyen d’objection, au lieu de l’autoriser ou de l’encourager expressément ». En Ontario, il ne s’agit pas du contre-interrogatoire au sens propre du mot.
Pour ce qui est du comportement des avocats à l’interrogatoire préalable, il fait l’observation suivante, aux pages 246 et 247 :
[traduction] L’interrogatoire préalable n’est pas présidé par un juge ou un protonotaire. Les avocats des parties ont le droit d’y assister, et doivent se comporter en auxiliaires de la justice et faire preuve de respect réciproque. Je partage la conclusion tirée par le protonotaire Sandler dans la cause McLeod … aux pages 726 et 727 :
Il est hors de doute qu’une partie a droit, lors de l’interrogatoire préalable, à ce qu’un avocat soit présent aux fins de consultation. Mais cette assistance consiste pour l’avocat à écouter la question posée et à décider si elle est pertinente ou si elle est déplacée en ce qu’elle n’a aucun rapport avec l’affaire, ou se heurte au secret des communications entre client et avocat, ou est déroutante ou incompréhensible, ou est déplacée à tout autre égard, et le cas échéant, à soulever une objection conformément à la règle 34.12[9].
À cette fin, l’avocat qui interroge doit coopérer avec les autres avocats présents pour que ces derniers (ainsi que la partie soumise à l’interrogatoire) comprennent les questions posées. Cet impératif peut faire obstacle à la manière dont il aimerait conduire l’interrogatoire, mais il s’agit là d’une condition nécessaire.
De leur côté, l’avocat ou les avocats de la ou des parties présentes ne doivent pas intervenir plus que ne l’exige l’exercice légitime de leurs fonctions. Ils ne doivent pas répondre à la place de la partie représentée à moins qu’il n’y ait aucune objection (voir la règle 31.08), même si la réponse donnée par cette partie est erronée[10].
Selon la règle 31.09, c’est à la partie soumise à l’interrogatoire, et non à son avocat, de rectifier les réponses, et ce, après la clôture, non pas dans le cours, de l’interrogatoire préalable. Si elle a donné une réponse incorrecte ou déroutante, son avocat peut essayer de la rectifier ou clarifier lors du nouvel interrogatoire, conformément à la règle 34.11. Dans bien des cas, il est plus souhaitable de rectifier l’erreur dès qu’elle a été faite, mais si l’avocat qui procède à l’interrogatoire s’y oppose, la rectification doit se faire conformément aux règles. Autrement, les interventions de l’avocat de la partie soumise à l’interrogatoire peuvent en entraver la marche. En cas d’objection à une question, il n’y a pas lieu à débats consignés dans le dossier de l’interrogatoire préalable[11].
J’estime que le résumé ci-dessus des règles de conduite à observer lors de l’interrogatoire préalable dans les affaires relevant des tribunaux de l’Ontario s’applique également aux causes soumises à la Cour.
Enfin, le juge Steele est revenu brièvement sur la question du contre-interrogatoire au cours de l’interrogatoire préalable, à la page 254 :
[traduction] Au procès, la partie qui a témoigné sur des faits est censée les connaître à fond quand elle est contre-interrogée sur les mêmes faits. À l’interrogatoire préalable, la partie qui y est soumise se voit poser des questions sur des points nouveaux, et son avocat et elle-même peuvent mettre un certain temps à s’informer sur les documents en question avant de pouvoir répondre. Cependant, ils ne peuvent se servir de ce délai nécessaire comme d’une excuse pour retarder l’interrogatoire préalable, afin d’avoir le temps de fabriquer une réponse.
À ce sujet encore, j’estime qu’il en est de même des interrogatoires préalables dans les causes soumises à la Cour. Le contre-interrogatoire au cours de l’interrogatoire préalable est clairement, encore qu’indirectement, prévu par les Règles de la Cour fédérale, aux termes desquelles nul ne peut s’opposer à une question posée dans le cadre d’un interrogatoire préalable pour la seule raison qu’elle constitue un contre-interrogatoire. Cela ne veut cependant pas dire que le contre-interrogatoire dans le cadre de l’interrogatoire préalable est régi par tous les principes applicables au contre-interrogatoire lors du procès proprement dit. En particulier, le principe généralement reconnu qui interdit les consultations entre l’avocat et le témoin au cours du contre-interrogatoire, ne peut s’étendre sans réserves à l’interrogatoire préalable. Interdire les consultations entre la personne interrogée, en particulier dans le cas où elle n’est que la représentante et non pas la partie soumise à l’interrogatoire elle-même et où les points à élucider sont variés et détaillés, irait à l’encontre des principes applicables en la matière, tels que les a dégagés la décision Crestbrook Forest Industries Ltd., supra.
À la lumière de l’analyse ci-dessus, je ferai droit en partie au présent appel, infirmerai le dispositif de l’ordonnance contestée du protonotaire adjoint, et y substituerai ce qui suit :
Il est par les présentes ordonné que, lors de l’interrogatoire préalable de M. H. Bruce Harland, qui y représente la défenderesse :
1. M. Harland et l’avocat qui l’assiste pourront se consulter durant les suspensions et ajournements :
a) afin de réunir les preuves destinées à l’interrogatoire;
b) afin de rectifier toute inexactitude ou insuffisance dans quelque réponse faite par M. Harland au cours de l’interrogatoire;
2. Conformément à la Règle 465.3 des Règles de la Cour fédérale, l’avocat qui assiste M. Harland lors de l’interrogatoire préalable pourra, pendant l’interrogatoire, répondre à une question à sa place, à moins que la partie qui l’interroge, ou son avocat, ne s’y oppose.
3. Sauf ce qui est prévu au paragraphe 1 ci-dessus, l’avocat qui comparaît aux côtés de M. Harland n’aura pas le droit d’intervenir pour lui donner aide ou conseils entre le moment où celui-ci se voit poser une question et le moment où il y répond, si ce n’est pour opposer une objection à une question ou à moins de consentement de la partie qui interroge M. Harland, ou de l’avocat de cette partie.
Le protonotaire adjoint a décidé que les dépens de la requête dont il était saisi suivraient l’issue de la cause. Les dépens de la requête et de l’appel en instance suivront l’issue de la cause.
[1] C.R.C., ch. 663, Règles 319 (mod. par DORS/88-221, art. 4), 327.
[2] [1993] 2 C.F. 425(C.A.).
[3] [1997] F.C.J. no 152 (1re inst.) (QL).
[4] L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 46 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 1992, ch. 1, art. 68).
[5] [1993] 3 C.F. 251(C.A.).
[6] (1989), 71 O.R. (2d) 238 (H.C.).
[7] R.R.O. 1990, Règl. 194.
[8] Holmested and Watson : Ontario Civil Procedure (Scarborough, Ont. : Carswell, 1993).
[9] McLeod et al. v. Canadian Newspapers Co. Ltd. et al. (1987), 58 O.R. (2d) 721 (C.S.). La Règle 34.12 de l’Ontario, qui y est citée [Règles de procédure civile, Règl. de l’Ont. 560/84], est semblable à la Règle 465.4 des Règles de la Cour fédérale.
[10] Voir la Règle 465.3 des Règles de la Cour fédérale.
[11] Voir les Règles 460 et 465.5 des Règles de la Cour fédérale.