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[1996] 2 C.F. 839

T-1859-95

Novopharm Ltd. (requérante)

c.

Aktiebolaget Astra, le procureur général du Canada et le registraire des marques de commerce (intimés)

Répertorié : Novopharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Toronto, 19 mars; Ottawa, 4 avril 1996.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire rendue par le registraire des marques de commerceLa compétence de la Cour fédérale aux termes de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale n’est pas limitée à une décision de fond qui tranche une question de façon définitiveL’art. 18.5 de la Loi n’écarte pas la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire relativement à une « décision préliminaire » — Il n’y a pas de circonstances spéciales justifiant la demandeL’appel constitue un autre recours approprié ouvert à la requérante.

Marques de commerce La requérante demande le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire du registraire des marques de commerce sous le régime de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédéraleUne décision préliminaire n’est pas susceptible d’appel sous le régime de l’art. 56(1) de la Loi sur les marques de commerceLa Cour est compétente pour statuer sur la demandeLa réparation accordée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire relève d’un pouvoir discrétionnaireAucune circonstance spéciale justifiant que soit accordée une réparationL’appel prévu à l’art. 56 constitue un recours approprié à l’issue des procédures d’opposition.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire dirigée contre une décision du registraire des marques de commerce accordant une prolongation du délai fixé pour accomplir certains actes dans le cadre des procédures d’opposition dont il est saisi et portant que la demande d’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée n’est pas réputée abandonnée. L’intimée Aktiebolaget Astra a déposé sa demande d’enregistrement de la marque de commerce, Pink Tablet avec dessin, le 18 février 1992. Un an plus tard, la requérante a entrepris des procédures d’opposition. À la suite d’un certain nombre de procédures intentées par chaque partie, le registraire a envoyé à l’intimée une lettre datée du 31 juillet 1995 qui contient la « décision » faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’agissait de savoir si la Cour était compétente pour entendre la demande et si, dans un tel cas, elle devait exercer cette compétence

Jugement : la demande doit être rejetée.

La décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire était de nature interlocutoire. Elle ne disposait en aucun cas des procédures d’opposition dont était saisi le registraire; elle accordait simplement une prolongation du délai fixé pour accomplir certains actes dans le cadre des procédures et elle portait que la demande d’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée n’était pas réputée abandonnée. La compétence de la Cour fédérale aux termes de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale n’est pas limitée à une décision de fond qui tranche de façon définitive la question dont est saisi un tribunal. Selon la jurisprudence, en l’absence de circonstances spéciales, il ne doit pas y avoir d’appel ni de révision judiciaire immédiate d’un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture à un contrôle judiciaire immédiat lorsqu’il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Cela suppose que la Cour fédérale a le pouvoir d’exercer le contrôle judiciaire visé à l’article 18 à l’égard d’un jugement ou d’une décision interlocutoire et que dans des circonstances spéciales, il convient d’exercer ce pouvoir. Une cour n’examinera pas la myriade de décisions ou d’ordonnances habituellement rendues à l’égard de questions normalement soulevées au cours des procédures avant la décision définitive. La « décision préliminaire » en l’espèce n’est pas susceptible d’appel sous le régime du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce et par conséquent, l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale n’écarte pas la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire relativement à cette décision.

Quant à la question de savoir si la Cour devrait exercer cette compétence, il ne faut pas oublier que la réparation accordée dans le cadre d’un contrôle judiciaire relève d’un pouvoir discrétionnaire. Il n’y a pas de « circonstances spéciales » justifiant que soit accordée la présente demande car il existe, au terme des procédures d’opposition, un autre recours approprié, soit l’appel prévu par l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce. La Cour ne devrait pas entendre les demandes de contrôle judiciaire dirigées contre des décisions interlocutoires ou préliminaires rendues dans le cadre de procédures d’opposition lorsque cela risque de conduire au résultat qu’elle a cherché à éviter en adoptant une interprétation stricte plutôt que libérale du mot « décision » au paragraphe 56(1) de la Loi. L’ensemble des facteurs devant être pris en considération pour déterminer s’il y a lieu de procéder au contrôle judiciaire incitent à ne pas l’exercer.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.5 (édicté, idem, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8; 1992, ch. 26, art. 17; ch. 49, art. 128).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 47(1),(2), 56(1).

Règlement sur les marques de commerce, C.R.C., ch. 1559.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1602(2)d) (édictée par DORS/92-43, art. 19), (4) (édictée, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333; 25 Imm. L.R. (2d) 70; 170 N.R. 58 (C.A.F.); Pepper King Ltd. c. Loblaws Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 60 (C.F. 1re inst.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325.

DÉCISION EXAMINÉE :

Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133 (1991), 85 D.L.R. (4th) 110; 15 Imm. L.R. (2d) 303; 137 N.R. 377 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

National Indian Brotherhood c. Juneau (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); Brennan c. La Reine, [1984] 2 C.F. 799 (1985), 85 CLLC 17,006; 57 N.R. 116 (C.A.); infirmée sub nom. Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Limited, [1983] 2 C.F. 71 (1982), 142 D.L.R. (3d) 548; 69 C.P.R. (2d) 136; 45 N.R. 126 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du registraire des marques de commerce en application de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale. Demande rejetée.

AVOCATS :

Keri Johnston et Alexandra Scott pour la requérante.

Gunars A. Gaikis et Sheldon Hamilton pour l’intimée Aktiebolaget Astra.

Personne n’a comparu pour le procureur général du Canada et le registraire des marques de commerce, intimés.

PROCUREURS :

Malcolm Johnston & Associates, Toronto, pour la requérante.

Smart & Biggar, Toronto, pour l’intimée Aktiebolaget Astra.

Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada et le registraire des marques de commerce, intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson : La requérante sollicite le contrôle judiciaire d’une décision que l’avocat de l’intimée Aktiebolaget Astra a qualifiée de « directive interlocutoire » et qui a été rendue le 31 juillet 1995 par Myer Herzig, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (le registraire). L’essentiel de la décision tient en ces termes :

[traduction] Après examen des observations présentées par la requérante à l’égard de la question mentionnée en (1) ci-dessus, la Commission proroge rétroactivement jusqu’au 14 juillet 1995 le délai imparti à la requérante pour produire une déclaration portant qu’elle ne désire alléguer aucune preuve en conformité avec la Règle 44. Comme la requérante a déjà transmis une copie de sa lettre du 14 juillet à l’opposante, aucune autre mesure n’est nécessaire. Par conséquent, la demande de la requérante ne sera pas réputée abandonnée. En outre, après examen des observations des parties à l’égard de la question mentionnée en (2) ci-dessus, la Commission autorise la requérante à produire l’affidavit de Stephen Wilton à titre de preuve supplémentaire en application de la Règle 46(1). Comme la preuve a déjà été signifiée et produite, aucune autre mesure n’est requise.

Ni le procureur général du Canada ni le registraire des marques de commerce, à titre d’intimés désignés, n’ont pris part à la présente demande de contrôle judiciaire. Pour l’essentiel, aucune réparation n’est demandée à leur égard. Par conséquent, dans les présents motifs, le mot « intimée » renvoie à l’intimée Aktiebolaget Astra.

CONTEXTE

Le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire peut être résumé comme suit.

L’intimée a déposé sa demande d’enregistrement de la marque de commerce Pink Tablet avec dessin le 18 février 1992. La demande a été annoncée le 16 décembre 1992. La requérante a intenté des procédures d’opposition le 16 février 1993. L’intimée a produit sa contre-déclaration le 12 mai 1993.

Le 14 février 1994, après avoir obtenu une prorogation du délai de production, la requérante a déposé et signifié sa preuve, composée de trois affidavits, dans le cadre des procédures d’opposition. Le 30 mars 1994, l’intimée a demandé une prolongation du délai fixé pour produire sa preuve et a obtenu jusqu’au 14 septembre 1994 pour ce faire. Aucune preuve par voie d’affidavit n’a été produite par l’intimée dans le délai prorogé.

Le 11 août 1994, l’intimée a demandé une ordonnance autorisant le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits présentés par la requérante. La demande a été accueillie et l’intimée devait procéder au contre-interrogatoire et déposer les transcriptions avant le 16 janvier 1995. Ce délai a été prorogé jusqu’au 16 mars 1995. Deux des auteurs d’affidavit ont été contre-interrogés et les transcriptions ont été déposées au plus tard le 10 mars 1995.

Le 15 mai 1995, l’intimée a demandé l’autorisation de produire d’autres preuves, notamment l’affidavit de Stephen Wilton, en vertu des paragraphes 47(1) et (2) de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13]. Des observations écrites portant sur la demande d’autorisation ont été déposées auprès du registraire et échangées entre les avocats. Par une lettre en date du 30 juin 1995, le registraire a répondu à la demande de l’intimée en ces termes :

[traduction] Le délai fixé pour produire et signifier la preuve de la requérante ou une déclaration portant qu’elle ne désire alléguer aucune preuve a expiré le 14 septembre 1994, et la requérante ne s’est pas conformée à l’article 44 du Règlement sur les marques de commerce.

Compte tenu des dispositions du paragraphe 38(7.2) de la Loi sur les marques de commerce, la demande de la requérante sera réputée abandonnée en temps voulu.

Dans une lettre datée du 14 juillet 1995 et adressée au registraire, l’intimée soutient notamment que [traduction] « comme la demande n’est pas encore réputée abandonnée, nous demandons qu’aucune autre mesure en ce sens ne soit prise ». Apparemment en réponse à cette lettre, le registraire a écrit à l’intimée, avec copie à la requérante. C’est cette lettre du registraire qui contient la « décision » faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTIONS EN LITIGE ET RÉPARATION DEMANDÉE

Dans un dossier supplémentaire déposé à l’ouverture de l’audience, la requérante a défini succinctement la question dont est saisie la Cour :

[traduction] À la suite de la décision rendue en application du paragraphe 38(7.2) de la Loi sur les marques de commerce … [la communication du registraire en date du 30 juin 1995 dont l’essentiel est reproduit ci-dessus dans les présents motifs] le registraire est-il dessaisi et donc dans l’impossibilité d’entendre quelqu’autre argument sur la question de l’opposition formée sous le régime de la Loi?

Dans le même document, la requérante énonce les réparations demandées :

[traduction] Que soit annulée la décision du 31 juillet 1995 par laquelle le registraire, à la demande d’Astra, a prorogé rétroactivement jusqu’au 14 juillet 1995 le délai pour produire sa déclaration en application de l’article 44 du Règlement.

Que soit maintenue la décision du 30 juin 1995 par laquelle le registraire a prononcé l’abandon de la demande d’enregistrement d’une marque de commerce présentée par Astra en application du paragraphe 38(7.2) de la Loi.

Un jugement déclarant que la demande a été abandonnée au titre du paragraphe 38(7.2).

L’avocat de l’intimée a décrit les questions dont est saisie la Cour en des termes quelque peu plus complexes. En résumé, il a avancé les arguments suivants : premièrement, il n’y a pas ouverture au contrôle judiciaire dans la présente affaire pour des motifs ayant trait tant à la procédure qu’au fond; deuxièmement, si le contrôle judiciaire peut être exercé, la requérante ne peut obtenir les réparations qu’elle demande parce que, depuis que le registraire a rendu la décision qui nous occupe, la requérante a fait de nouvelles démarches dans les procédures d’opposition; troisièmement, la réparation pouvant être accordée dans le cadre d’un contrôle judiciaire relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour qui ne devrait pas l’exercer dans les circonstances de la présente affaire; enfin, la demande d’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée n’est pas réputée abandonnée en droit, l’abandon de la demande n’a pas été prononcée dans la communication du registraire en date du 30 juin 1995 et la décision du registraire d’accorder rétroactivement à l’intimée une prorogation du délai fixé pour produire des éléments de preuve était une décision qu’il pouvait raisonnablement rendre.

ANALYSE ET CONCLUSION

J’examinerai d’abord la question de la compétence de la Cour pour entendre la présente demande.

Je suis convaincu que le passage précité de la communication du registraire datée du 31 juillet 1995 constitue une décision au sens ordinaire donné à ce mot. Aux termes de cette communication, le registraire [traduction] « proroge rétroactivement jusqu’au 14 juillet 1995 le délai imparti à la requérante pour produire une déclaration portant qu’elle ne désire alléguer aucune preuve en conformité avec la Règle 44 ». Le registraire précise plus loin que « la demande de la requérante ne sera pas réputée abandonnée » et enfin, il « autorise la requérante à produire l’affidavit de Steven Wilton à titre de preuve supplémentaire en application de la Règle 46(1) ».

L’avocat de l’intimée a soutenu que l’avis de requête introductif d’instance de la requérante n’était pas conforme à l’alinéa 1602(2)d) [édicté par DORS/92-43, art. 19] des Règles de la Cour fédérale[1] parce qu’il n’énonçait pas avec suffisamment de détails les motifs invoqués au soutien de la demande. Je ne suis pas insensible à cet argument. L’avis de requête introductif d’instance présenté par la requérante est remarquablement laconique. Cependant, je ne suis pas disposé à rejeter la présente demande de contrôle judiciaire pour ce motif ni pour l’autre motif qui a été avancé et avec lequel je suis en désaccord, à savoir que la demande tend à obtenir le contrôle judiciaire de plus d’une décision du registraire, contrairement au paragraphe 1602(4) [édicté, idem] des Règles.

Il ne fait aucun doute que la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire est de nature interlocutoire. Elle ne saurait en aucun cas disposer des procédures d’opposition dont est saisi le registraire; elle accorde simplement une prolongation du délai fixé pour accomplir certains actes dans le cadre des procédures et elle porte que la demande d’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée n’est pas réputée abandonnée.

Cependant, la compétence de la Cour aux termes de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] n’est pas limitée à la décision de fond qui tranche de façon définitive la question dont est saisi un tribunal. Il se peut que l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale[2] ait reçu cette interprétation par le passé, mais ce n’est plus le cas[3].

Dans l’arrêt Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[4], le juge Létourneau, J.C.A. déclare ce qui suit :

Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d’appel ou de révision judiciaire immédiate d’un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu’il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. [Non soulignés dans l’original.]

Mais le juge Létourneau nuance plus loin [à la page 335] ses propos en ce qui concerne le contrôle judiciaire exercé sous le régime de l’article 28 [mod. idem, art. 8; 1992, ch. 26, art. 17; ch. 49, art. 128] de la Loi sur la Cour fédérale :

En matière de contrôle judiciaire sous l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, ce dont nous sommes saisis dans la présente cause, l’interprétation jurisprudentielle qui est faite de cet article est encore plus stricte : voir par exemple l’arrêt Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)….

Il justifie ainsi cette interprétation plus stricte [à la page 336] :

En effet, la décision de la Section du statut sur l’objection à l’admissibilité de la preuve documentaire constitue une décision de nature interlocutoire et non une décision définitive qui adjuge sur le mérite de la cause. En outre, la requérante dispose d’un droit d’appel de la décision qui sera éventuellement rendue au mérite sur sa demande de statut de réfugié. À cette occasion, elle peut faire réviser toute erreur sur l’admissibilité de la preuve et tout déni de justice naturelle dont elle peut avoir été victime, que ceux-ci résultent du jugement final ou d’une décision interlocutoire. Il existe donc un recours approprié à une étape ultérieure des procédures.

Selon moi, les mots soulignés du premier extrait de l’arrêt Szczecka supposent en premier lieu que la Cour a le pouvoir d’exercer le contrôle judiciaire visé à l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à l’égard d’un jugement ou d’une décision interlocutoire, et en second lieu, que dans des circonstances spéciales, il convient d’exercer ce pouvoir. En toute autre circonstance, l’exercice de ce pouvoir risque d’entraîner « une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer ».

Je conclus que l’article 18.5 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale[5] ne fait pas obstacle à la présente demande. Dans l’affaire Pepper King Ltd. c. Loblaws Inc.[6], le juge Dubé de cette Cour était saisi d’un appel formé sous le régime du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, disposition clairement visée par l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale. Le juge Dubé a dit ceci :

Au début de l’audience, j’ai soulevé la question de savoir si une telle « décision » préliminaire du registraire est susceptible d’appel sous le régime de l’art. 56 de la Loi.

Citant ensuite l’arrêt Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Limited[7], il a écrit à propos de cet arrêt [à la page 63] :

Après avoir examiné la jurisprudence en la matière, le juge Heald a conclu que la Division de première instance n’avait pas compétence pour connaître de l’appel. « Cette jurisprudence », a-t-il dit (à la p. 140), « précise que la cour n’examinera pas la myriade de décisions ou ordonnances habituellement rendues à l’égard de questions normalement soulevées au cours d’une période antérieure à cette décision finale ».

Le juge Dubé a ensuite répondu par la négative à la question qu’il avait soulevée et qui est citée ci-dessus. Donc, une « décision préliminaire » comme celle dont je suis saisi n’est pas susceptible d’appel sous le régime du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce et par conséquent, l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale n’écarte pas la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire relativement à une telle « décision préliminaire ».

Je conclus que la Cour est compétente pour statuer sur la présente demande.

J’en viens à la question de savoir si la Cour, qui est compétente pour entendre la présente demande, devrait exercer cette compétence. En d’autres termes, des « circonstances spéciales » justifient-elles en l’espèce que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire, car je suis convaincu que la réparation accordée dans le cadre d’un contrôle judiciaire relève indéniablement d’un pouvoir discrétionnaire. Cette proposition s’appuie sur la jurisprudence suivante.

Je reviens d’abord à la décision du juge Létourneau dans l’arrêt Szczecka. En l’espèce, pour reprendre les termes du premier extrait de cet arrêt, je conclus qu’il n’y a pas de « circonstances spéciales » justifiant que soit accordée une réparation dans le cadre de la présente demande et qu’il existe, « au terme des procédures [d’opposition], un autre recours approprié », soit l’appel prévu par l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce.

Je reviens également à la décision Pepper King (précitée) dont un passage est reproduit ci-dessus. Le juge Dubé y a décidé qu’un appel interjeté sous le régime de la Loi sur les marques de commerce à l’encontre d’une décision préliminaire du registraire dans le cadre d’une opposition était prématuré en raison du principe voulant que la Cour n’examinera pas, en appel, la myriade de décisions ou d’ordonnances habituellement rendues à l’égard de questions normalement soulevées au cours des procédures d’opposition avant la décision définitive, compte tenu de l’économie de la Loi sur les marques de commerce. Autrement dit, si cette Cour devait se prononcer en appel sur toutes les décisions préliminaires rendues au cours des procédures d’opposition, chacune de ces décisions, si elle a une incidence sur la décision définitive du registraire, pouvant faire l’objet d’une révision dans le cadre de l’appel interjeté à l’encontre de la décision définitive, les procédures d’opposition pourraient être pratiquement paralysées par une série d’appels. À l’évidence, ce résultat ne serait pas conforme à l’économie de la Loi sur les marques de commerce.

La Cour devrait-elle donc entendre les demandes de contrôle judiciaire dirigées contre des décisions interlocutoires ou préliminaires rendues dans le cadre de procédures d’opposition alors que cela risque de conduire au résultat qu’elle a cherché à éviter en adoptant une [traduction] « interprétation stricte plutôt que libérale » du mot « décision » au paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce? Je ne le pense pas.

Dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée. c. Bande indienne de Matsqui[8], le juge en chef Lamer a dit ceci, aux pages 28 à 30 :

Les intimées avaient le droit de demander le contrôle judiciaire à la Section de première instance de la Cour fédérale. Cela ne comportait toutefois pas le droit d’exiger que la cour procède effectivement à ce contrôle. Il existe depuis longtemps un principe général selon lequel la réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires. La nature extraordinaire et discrétionnaire de ces brefs a été subsumée dans les dispositions relatives au contrôle judiciaire de l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Plus particulièrement, le par. 18.1(3) de la Loi dispose :

18.1

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Le fait que le par. 18.1(3) crée une faculté plutôt qu’une obligation conserve la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. En conséquence, les juges de la Section de première instance de la Cour fédérale, dont fait partie le juge Joyal, jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a lieu à contrôle judiciaire.

En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le juge Joyal s’est fondé sur le principe de l’existence d’un autre recours approprié. Selon lui, les procédures de contestation établies en vertu de la loi offraient aux intimées des possibilités adéquates de poursuivre leur contestation en matière de compétence et d’obtenir un redressement. Il a décidé en conséquence de ne pas procéder au contrôle judiciaire.

Le principe de l’autre recours approprié a été examiné en profondeur dans l’arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la p. 586, où le juge Beetz a conclu au nom de la majorité, à la p. 576, que « même dans les cas d’absence de compétence », les brefs de prérogative conservent leur nature discrétionnaire. Le juge Dickson, dissident (plus tard Juge en chef), a adopté une vue plus étroite du pouvoir discrétionnaire dans le cas d’une erreur de compétence (pp. 608 et 609). Il a néanmoins conclu, à la p. 610, que si l’erreur de compétence « découle d’une mauvaise interprétation d’une loi, un droit d’appel prévu par la loi peut très bien être approprié ».

Le juge en chef Lamer poursuit à la page 31 :

Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.

Au vu des faits devant moi, je conclus qu’il existe un autre recours approprié ouvert à la requérante, savoir un appel à l’issue des procédures d’opposition, dans l’hypothèse où la requérante n’aurait pas gain de cause, appel au cours duquel la décision du registraire qui nous occupe pourrait être contestée. La nature de l’erreur qu’aurait commise le registraire selon la requérante résulte en effet de l’interprétation, correcte ou erronée, de la Loi sur les marques de commerce et de son Règlement d’application [Règlement sur les marques de commerce, C.R.C., ch. 1559]. Comme la Loi sur les marques de commerce prévoit un appel à la Cour, c’est-à-dire la juridiction saisie de la demande de contrôle judiciaire, l’on ne saurait prétendre que le droit d’appel pourrait être quelque peu affaibli sur le plan qualitatif. Donc, je conclus que l’ensemble des facteurs devant être pris en considération pour déterminer s’il y a lieu de procéder au contrôle judiciaire en l’espèce incitent à ne pas l’exercer.

Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire dont je suis saisi, je conclus qu’il y a lieu de refuser d’exercer le contrôle judiciaire demandé au nom de la requérante.

À l’issue de l’audience, j’ai dit aux avocats que même si je concluais qu’il me fallait rejeter la demande de contrôle judiciaire, je leur ferais part de ce qu’aurait été ma décision si j’avais accepté de procéder au contrôle judiciaire. J’en viens maintenant à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de poursuivre mon analyse. Agir autrement reviendrait dans les faits à effectuer une analyse qu’un autre juge de la Cour pourrait ultérieurement être obligé de faire dans le cadre d’un appel formé contre la décision définitive du registraire dans les procédures d’opposition. À mon avis, il serait tout à fait inconséquent d’effectuer une analyse dont j’ai dit qu’elle ressortissait davantage à une procédure d’appel.

Compte tenu de l’analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.



[1] C.R.C., ch. 663.

[2] Voir les arrêts National Indian Brotherhood c. Juneau (no 2), [1971] C.F. 73 (C.A.), aux p. 78 et 79 et Brennan c. La Reine, [1984] 2 C.F. 799(C.A.), infirmé pour d’autres motifs [sub nom. Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor)] [1987] 2 R.C.S. 84.

[3] Voir l’arrêt Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133(C.A.), ou le juge Mahoney a conclu ce qui suit [à la p. 140] :

Une décision est susceptible de révision aux termes de l’article 28 non seulement, comme la jurisprudence antérieure l’a énoncé, s’il s’agit d’une décision que, par ordre du Parlement, le tribunal est tenu de rendre, mais aussi s’il s’agit d’une décision définitive qui tranche une question fondamentale soumise au tribunal. Celui-ci peut être saisi de plus d’une question fondamentale et, à l’instar de l’affaire Brennan, il peut instruire une affaire de façon à ne trancher que l’une d’elles à l’exclusion d’une ou de plusieurs autres.

[4] (1994), 116 D.L.R. (4th) 333 (C.A.F.) [à la p. 335] (non citée devant moi).

[5] L’art. 18.5 est ainsi conçu :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet d’un contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

[6] (1995), 64 C.P.R. (3d) 60 (C.F. 1re inst.) [à la p. 61].

[7] [1983] 2 C.F. 71(C.A.).

[8] [1995] 1 R.C.S. 3.

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