[1994] 2 .C.F. 574
T-675-92
Edwina Slattery (requérante)
c.
La Commission canadienne des droits de la personne (intimée)
Répertorié : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1re inst.)
Section de première instance, juge Nadon—Ottawa, 6 octobre 1993 et 14 février 1994.
Droits de la personne — Demande de contrôle judiciaire d’une décision de la CCDP rejetant, sans la constitution d’un tribunal, des plaintes déposées contre le MDN parce que non fondées — La requérante, employée du Centre de la sécurité des télécommunications, se plaint de discrimination fondée sur le sexe et l’âge — Poste supprimé, contrainte à signer une entente de congé d’études pour actualiser ses connaissances, cessation d’emploi par déclaration d’abandon — Prétend avoir été obligée à travailler plus fort que ses collègues masculins — Acceptation par la CCDP du rapport de l’enquêteuse — Dans sa réponse, la requérante prétend avoir été victime de discrimination systémique, et qu’une partie de la preuve nécessaire pour appuyer ses allégations est protégée par le secret entourant le CST — (1) Teneur de l’obligation d’équité — L’enquêteuse doit examiner toutes les questions fondamentales de la plainte — L’allégation de discrimination systémique n’est pas fondamentale puisqu’elle n’a été soulevée qu’au moment de la réponse — L’adoption de la conclusion de l’enquêteuse a suffi à fournir à la requérante les « motifs généraux » de la preuve produite contre elle — (2) L’art. 44(3) confère à la CCDP un vaste pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu de constituer un tribunal — La cour ne doit pas s’ingérer uniquement parce qu’elle aurait exercé différemment le pouvoir discrétionnaire — (3) La conclusion portant que l’allégation de discrimination n’était pas fondée est une conclusion de droit — On ne pouvait prétendre qu’il s’agissait d’une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.
Contrôle judiciaire — Acceptation par la CCDP de la conclusion de l’enquêteuse portant que l’allégation de discrimination n’est pas fondée — L’obligation d’équité procédurale exige qu’on informe les parties de la substance du rapport de l’enquêteur et qu’on leur donne l’occasion d’y répondre, à tout le moins par écrit — À la base, présomption de l’existence d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour « justifier » la constitution d’un tribunal sous le régime de l’art. 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne — La neutralité et la rigueur sont deux conditions à l’établissement d’un fondement juste — Si la CCDP a adopté un rapport défectueux sans motiver sa décision, la décision est, elle aussi, défectueuse — Pour déterminer le degré de rigueur nécessaire pour satisfaire aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte de l’intérêt de la requérante et de la nécessité de maintenir un système efficace sur le plan administratif — Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve — Le contrôle judiciaire ne devrait se justifier que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger des omissions par des observations supplémentaires, notamment dans les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ou dans les cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information — Aucune de ces situations n’a été établie en l’espèce — L’allégation de discrimination systémique n’est pas un élément fondamental des plaintes puisqu’elle n’a été soulevée qu’au moment de la réponse.
Demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne, qui avait rejeté deux plaintes déposées contre le ministère de la Défense nationale parce que les allégations de discrimination portées par la requérante n’étaient pas fondées. Cette décision a été rendue sous le régime du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui habilite la Commission à rejeter la plainte si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié. La requérante était employée à la division du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), du ministère de la Défense nationale, de 1956 jusqu’à son renvoi en 1988. Le CST est un milieu de travail à prédominance masculine, où la majorité des employés sont d’anciens militaires. Avant les événements qui sont à l’origine de ses plaintes, la requérante travaillait à titre de décrypteur. Elle faisait activement et ouvertement la promotion de la condition féminine, et avait recommandé qu’on augmente la représentation féminine aux échelons intermédiaires et supérieurs du CST. La requérante estimait que son attitude proactive avait engendré du ressentiment. Après son échec à un concours pour la nomination au poste de chef de section, ses évaluations de rendement se sont dégradées de 1982 à 1984, jusqu’à ce qu’on lui suggère de se trouver un emploi à l’extérieur du CST. En 1985, le poste de la requérante a été supprimé lorsque les fonctions de son unité furent fusionnées à celles d’une autre unité. La requérante était la seule de son unité à ne pas se voir offrir une mutation vers la nouvelle unité. Elle a été affectée temporairement à un poste de niveau inférieur, mais a continué à être rémunérée selon son niveau antérieur jusqu’à la date de son congé d’études. En 1987, la requérante a signé une entente de congé d’études qui rétroagissait au mois de septembre 1986. Elle a dit avoir été « contrainte » à signer cette entente. Après qu’elle eut omis de fournir une liste des cours qu’elle entendait suivre, la requérante fut avisée qu’elle n’avait pas respecté l’entente et qu’elle devait reprendre son emploi. La plainte déposée par la requérante contre le CST découlait en outre d’un certain nombre d’événements qui se sont produits pendant son congé d’études : elle a ainsi été privée de sa prime au bilinguisme, elle a perdu l’accès aux locaux du CST, on lui a demandé de déménager les biens qu’elle avait au CST en raison d’un manque d’espace et elle a été notifiée qu’elle ne pouvait « reporter » ses congés. Comme la requérante n’avait pas obtempéré à l’ordre de se présenter au travail, on a déclaré qu’elle avait abandonné son poste; elle n’a donc pas eu droit à une indemnité de départ mais uniquement au remboursement des cotisations qu’elle avait versées au régime de pension de retraite. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que l’employeur avait agi de mauvaise foi en renvoyant la plaignante, et elle a accordé à la requérante deux ans de salaire ainsi qu’une indemnité de départ. La requérante a fait valoir qu’elle n’a pas soulevé la question de discrimination devant la CRTFP. La requérante a déposé devant la CCDP deux plaintes dans lesquelles elle prétendait qu’il y avait eu discrimination fondée sur l’âge et le sexe lorsqu’on avait supprimé son poste et que, en étant forcée de signer une entente de congé d’études afin de se perfectionner, elle avait été obligée de travailler plus fort que ses collègues masculins, privée de l’occasion d’actualiser sa connaissance de l’analyse cryptographique et du renseignement sur les transmissions, et désavantagée à l’égard de sa pension et de son droit de prendre une retraite anticipée. Elle a aussi fait valoir qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur son sexe et son âge lorsqu’on avait mis fin à son emploi en déclarant qu’elle avait abandonné son poste. Un agent des droits de la personne a recommandé le rejet des plaintes, faute de fondement. La requérante a répondu que l’enquête s’était limitée de façon très étroite à des incidents isolés plutôt que de s’attaquer au contexte qui a conduit à la signature de l’entente et aux allégations d’abandon de poste. Elle a fait valoir que le CST avait comme politique d’engager d’anciens militaires et de jeunes hommes, et que les quelques femmes qui étaient employées par le CST étaient victimes d’un milieu de travail partagé en fonction du sexe, où les emplois des femmes étaient perçus comme moins importants. La requérante a prétendu que les militaires étaient parachutés à des postes supérieurs, bloquant ainsi la progression normale des femmes vers ces postes. Elle a aussi prétendu que la classification des emplois était discriminatoire et qu’il faudrait faire appel aux services de témoins experts pour pouvoir identifier au sein du CST le parti-pris qui, par sa nature, était insidieux. Elle a fait état de la difficulté d’établir la discrimination systémique, et prétendu qu’une partie importante de la preuve dont elle avait besoin pour appuyer sa plainte était protégée par le « secret entourant le CST ». Après avoir examiné les plaintes, le rapport de l’enquêteuse et la réponse de la requérante, la CCDP a rejeté les plaintes de la requérante sans ordonner la constitution d’un tribunal, au motif que l’allégation de discrimination n’était pas fondée.
Les points en litige étaient les suivants : (1) quelle est la teneur de l’obligation d’équité procédurale applicable à l’égard d’une décision de la CCDP de rejeter une plainte à la suite d’une enquête, et cette norme a-t-elle été respectée? (2) La CCDP a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu’on n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que la plainte de la requérante soit portée à l’étape du tribunal? (3) La conclusion de la CCDP portant que l’allégation de discrimination de la requérante n’était pas fondée était-elle une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la CCDP disposait et, partant, susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale?
Jugement : la demande doit être rejetée.
(1) Il n’existait aucun motif susceptible de fonder le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP pour des raisons de violation des règles d’équité procédurale. L’équité procédurale exige que la CCDP informe les parties de la substance de la preuve obtenue par l’enquêteur et produite devant elle, et qu’elle donne aux parties l’occasion de répondre à cette preuve et de faire toutes les observations pertinentes, à tout le moins par écrit. Il semblerait à première vue qu’en remettant à la requérante une copie du rapport de l’enquêteuse et en lui permettant de répondre au rapport, la CCDP se soit conformée aux exigences susmentionnées. À la base de ces exigences, se trouve la présomption de l’existence d’un autre aspect de l’équité procédurale—que la CCDP disposait d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la constitution d’un tribunal. Pour que soit établi un fondement juste, l’enquête doit satisfaire à deux conditions : la neutralité et la rigueur.
En ce qui a trait à la neutralité, si le rapport que la CCDP a adopté dans le cadre de sa décision est défectueux, il s’ensuit que la décision est, elle aussi, défectueuse.
Il n’existe essentiellement aucune directive d’origine législative régissant la conduite des enquêtes. Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête nécessaire pour satisfaire aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : l’équité procédurale et le maintien d’un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Lorsque les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme ce fut le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ou (2) les cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.
Les plaintes en cause ont toutes deux été formulées exclusivement en termes de discrimination que la requérante aurait subie personnellement. Aucun élément de ces plaintes ne constitue une allégation portant sur la discrimination systémique ou sur l’absence de parité salariale pour fonctions équivalentes au CST en général. L’attention portée à la nature systémique de la discrimination au CST n’a commencé à figurer que dans les observations de la réponse de la requérante. Il ne s’agit donc pas d’un élément de preuve « fondamental » des plaintes. La requérante n’a pas réussi à établir qu’en raison du secret qui entoure le CST, elle était assujettie à de sérieuses limites quant aux renseignements qu’elle pouvait divulguer avant la constitution officielle d’un tribunal, et que seul un tribunal des droits de la personne pouvait avoir accès à certains renseignements confidentiels susceptibles d’appuyer ses allégations. La requérante n’a pas réussi à démontrer quel aspect, s’il en est, de ces éléments de preuve qui n’ont pas été obtenus par l’enquêteuse et qui, partant, n’étaient pas devant la CCDP, est fondamental pour l’issue de sa cause. Toutes les questions fondamentales de la plainte de la requérante, y compris le traitement que le chef de l’unité réservait à la requérante, ont été examinés par l’enquêteuse. Le fait qu’aucune analyse de certaines allégations précises ne figure dans le rapport écrit de l’enquêteuse ou dans les motifs invoqués par la CCDP pour rejeter la plainte n’indique pas que ces allégations n’ont pas été examinées par l’enquêteuse, et ne constitue pas un motif donnant ouverture au contrôle judiciaire. Il n’existe en common law aucune obligation en vertu de laquelle les organismes administratifs seraient tenus de motiver leurs décisions, et la Loi est muette sur la question de la nécessité des motifs écrits. L’adoption de la conclusion de l’enquêteuse par la Commission a suffi amplement à fournir à la requérante les « motifs généraux » de la preuve produite contre elle, étant donné la description détaillée des éléments de preuve de l’affaire qui figure dans le rapport. Le fait que l’enquêteuse n’ait pas interrogé chacun des témoins et le fait que la conclusion ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue, tout particulièrement lorsque la requérante a eu l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente. L’enquêteuse n’a pas omis d’examiner l’un ou l’autre des aspects fondamentaux de la plainte de la requérante, et il n’y avait aucun autre point, moins important mais néanmoins pertinent, qui ait été traité de façon insatisfaisante et qui n’ait pu être repris dans les observations présentées en réponse par la requérante.
(2) La CCDP n’a pas commis d’erreur de droit en concluant qu’on n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que la plainte de la requérante soit portée à l’étape du tribunal. En supposant l’existence d’une enquête suffisamment rigoureuse et neutre, la CCDP doit, dans un deuxième temps, évaluer s’il y a lieu de constituer un tribunal, conformément au paragraphe 44(3) de la Loi. Le paragraphe 44(3) de la Loi ne permet pas à la CCDP de rendre des décisions en ne tenant absolument pas compte du bien-fondé de la plainte. Si l’on permettait que des considérations purement administratives (comme les coûts, le temps) soient déterminantes, on pourrait concevoir des situations où le droit d’une personne à un recours sous le régime d’une loi relative aux droits de la personne dépendrait de la facilité avec laquelle l’on peut prouver qu’il y a eu violation des droits de la personne. Une telle façon de faire serait clairement en contradiction avec l’objectif de justice visé par la Loi, de donner effet au principe de l’égalité des chances. Les organismes administratifs doivent, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, poursuivre des objectifs qui ne contredisent d’aucune façon l’esprit de leur loi constitutive. D’autre part, la prétention de la requérante selon laquelle il y a lieu d’exercer un contrôle judiciaire à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la CCDP chaque fois que, de l’avis de la Cour saisie de la demande de contrôle, le plaignant a réussi à faire porter ses arguments au delà du domaine de la conjecture, va beaucoup trop loin dans l’autre sens. Il faut privilégier la retenue plutôt que l’interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d’appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l’égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire, comme lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3). Comme le pouvoir conféré à la CCDP par le paragraphe 44(3) est de nature discrétionnaire, une cour ne doit pas s’ingérer uniquement parce qu’elle aurait exercé différemment ce pouvoir discrétionnaire.
La CCDP n’a pas omis d’examiner les éléments compris dans les observations présentées par la requérante et la décision qu’elle a prise de rejeter la plainte n’était pas le résultat de la mauvaise foi, de considérations dépourvues de pertinence ou de motifs injustifiés. La décision de la CCDP n’était pas déraisonnable eu égard à tous les éléments dont elle disposait. La CCDP a tout simplement exercé son pouvoir discrétionnaire et pris une décision qu’il lui était loisible d’arrêter en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait.
(3) La conclusion de la CCDP portant que l’allégation de discrimination de la requérante n’était pas fondée était une question de droit et on ne pouvait prétendre qu’il s’agissait d’une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 11, 13.1 (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 143, art. 7), 33, 36(3)b).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2, 3(1), 7, 10, 41e), 42(1), 43(1), (2),(2.1) (mod. par L.R.C. (1985), (1er suppl.) ch. 31, art. 63), (4), 44 (mod. idem, art. 64).
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 7, 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.
Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 45.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879; (1989), 62 D.L.R. (4th) 385; 100 N.R. 241; Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471; (1993), 93 CLLC 12,104; Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne, T-1578-91, juge Noël, jugement en date du 15-12-93, C.F. 1re inst., encore inédit; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687; (1979), 105 D.L.R. (3d) 609; 79 CLLC 14,223; 28 N.R. 494 (C.A.); Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407; (1984), 14 D.L.R. (4th) 78; 9 Admin. L.R. 261; 9 C.C.E.L. 6; 6 C.H.R.R. D/2831; 84 CLLC 17,029; 55 N.R. 384; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 149 N.R. 1; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.); N.S. Forest Industries v. N.S. Pulpwood Marketing Board (1975), 12 N.S.R. (2d) 91 (C.S.); Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne) (1991), 7 Admin. L.R. (2d) 58; 51 F.T.R. 205 (C.F. 1re inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
Onischak v. British Columbia (Council of Human Rights) (1989), 10 C.H.R.R. D/6290 (C.S.C.-B.); Cook v. B.C. Council of Human Rights (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 52; 9 C.H.R.R. D/4967 (C.S.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DÉCISIONS CITÉES :
R v Gaming Board for Great Britain, ex parte Benaim, [1970] 2 All ER 528 (C.A.); Re Glendenning Motorways, Inc. and Royal Transportation Ltd. et al. (1975), 59 D.L.R. (3d) 89 (C.A. Man); Re Multi-Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49; 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] 1 All E.R. 694 (H.L.); Associated Provincial Picture Houses, Ld. v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.); Hall& Co. Ltd. v. Shoreham-by-Sea Urban District Council, [1964] 1 W.L.R. 240 (C.A.).
DOCTRINE
Dussault, René et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, vol. III, 2e éd., Québec : Presses de l’Université Laval, 1989.
Méndez, Miguel Angel. « Presumptions of Discriminatory Motive in Title VII Disparate Treatment Cases » (1980), 32 Stan. L. Rev. 1129.
Tarnopolsky, Walter Surma. Discrimination and the Law, revised by William F. Pentney, Don Mills (Ont.) : Richard De Boo, 1985.
Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed., Oxford : Clarendon Press, 1988.
DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision de la CCDP de rejeter, sans la constitution d’un tribunal, deux plaintes portées contre le ministère de la Défense nationale parce que les allégations de discrimination n’étaient pas fondées. Demande rejetée.
AVOCATS :
Andrew J. Raven pour la requérante.
William F. Pentney pour l’intimée.
PROCUREURS :
Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour la requérante.
William F. Pentney, avocat général, Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Nadon : Il s’agit d’une requête par laquelle Mme Edwina Slattery (la « requérante ») demande, sous le régime de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)], le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») datée du 21 février 1992. La décision, rendue sous le régime du sous-alinéa 44(3)b)(i) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 64] de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »), modifiée, rejetait deux plaintes (numéros H30995 et H31558) déposées contre le ministère de la Défense nationale parce que les allégations de discrimination portées par la requérante n’étaient pas fondées. La requérante vise à obtenir une ordonnance qui casserait la décision rendue par la CCDP le 21 février 1992 et renverrait l’affaire à la CCDP avec instruction de la soumettre au tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne ou, subsidiairement, de reprendre l’enquête sur l’affaire.
FAITS
La requérante était employée à la division du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), du ministère de la Défense nationale, de 1956 jusqu’à son renvoi, le 4 mai 1988. Le CST est un milieu de travail à prédominance masculine, où la majorité des employés sont d’anciens militaires.
Avant les événements précis qui sont à l’origine de sa plainte devant la CCDP, la requérante a travaillé à titre de décrypteur, au niveau CO-4.
Pendant son emploi au CST, la requérante faisait activement et ouvertement la promotion de la condition féminine. Elle a élaboré et lancé le projet d’égalité d’accès à l’emploi au CST. En février 1977, la requérante est devenue conseillère spéciale du programme d’égalité d’accès à l’emploi pour la femme au CST. Ce poste lui a donné l’occasion de rédiger en 1978 un rapport qui a examiné la situation des femmes au sein du CST et qui a proposé huit recommandations précises visant en particulier à augmenter la représentation féminine aux échelons intermédiaires et supérieurs du CST.
La requérante a déposé un certain nombre de plaintes de discrimination auprès de la CCDP. La première plainte (1982) a apparemment été rejetée par la CCDP pour des raisons de maintien de la sécurité du CST. La deuxième (1985), qui visait une présentation didactique audiovisuelle utilisée au CST et intitulée « The Human Touch Performance Appraisal », a été examinée par la CCDP. Le 25 août 1986, la CCDP a expédié au CST une lettre dans laquelle elle signalait entre autres choses que [traduction] « la présentation vidéo donne une représentation négative des femmes tout en valorisant la compétence et les connaissances des hommes en matière de gestion ». Si la CCDP a souligné que le film n’était pas un moyen didactique approprié, elle a aussi conclu qu’[traduction] « il serait difficile de déterminer qu’il existe un motif raisonnable de croire que l’utilisation de cette présentation vidéo est discriminatoire ».
La requérante estime que son attitude proactive a engendré du ressentiment. Elle fait valoir qu’une grande partie de la discrimination dont elle aurait été victime au CST peut s’expliquer par du ressentiment à l’égard du rôle actif qu’elle a joué dans la promotion de la condition de la femme.
En 1981, la requérante a accédé au poste de chef de l’unité 01B. Elle a par la suite, au cours de la même année, participé avec M. Tom Johnston, alors chef de l’unité 01A, à un concours pour la nomination au poste de chef de la section 01, de qui relevaient les groupes 01A et 01B. Elle n’a pas été choisie à ce poste.
Les années subséquentes ont donné lieu à plusieurs accrochages entre la requérante et ses pairs au CST. Au cours d’une entrevue, M. Johnston a parlé d’un [traduction] « comportement de résistance qu’il continue à observer chez E. Slattery—constante remise en question de ses décisions » La requérante estimait pour sa part que son autorité était minée par M. Johnston et qu’il y avait un manque généralisé de respect à son égard en tant que personne et à l’égard de son poste. Il ressort plus particulièrement de la preuve documentaire produite par la requérante qu’on lui a refusé à trois reprises de suivre des cours de décryptage en Angleterre, en 1981, en 1982 et en 1983. L’explication avancée pour ce refus était qu’il s’agissait d’une formation « de base » et que, partant, à titre de chef d’unité, elle n’y avait pas droit.
La requérante croit aussi qu’elle n’a pas obtenu toute la reconnaissance à laquelle elle avait droit pour les efforts qu’elle a consacrés à la cause de l’égalité des chances. Plus particulièrement, Mme Patricia Badiet a été nommée au poste de coordonnatrice de l’action positive pour le CST, même si la requérante était celle qui avait eu le plus de formation syndicale. En outre, la requérante n’a pas été invitée à faire partie du groupe chargé de la planification d’une conférence sur la promotion de la femme, qui s’est tenue le 22 octobre 1985 et qui fut organisée par un comité présidé par Mme Badiet. En outre, un questionnaire diffusé par Mme Badiet en mai 1985 ne comportait aucune mention du travail de pionnière accompli par la requérante. Selon la requérante, [traduction] « elle [Mme Badiet] a semblé faire abstraction de mon travail en nous ramenant à 1976 ».
Lors de l’examen de ces allégations par la CCDP, on a appris que la requérante avait effectivement obtenu une certaine reconnaissance pour son travail, dans une lettre d’appréciation de l’ancien chef du CST en 1978, et une autre du directeur général de l’administration, en 1981.
Avant 1982, les rapports d’évaluation du rendement de la requérante établis par ses supérieurs portaient la mention « exceptionnel », « excellent », etc.; de 1982 à 1984 toutefois, ces évaluations passèrent de la cote « entièrement satisfaisante » à celle de simplement « satisfaisante ». Après avoir reçu cette dernière évaluation, la requérante est entrée dans le bureau de M. Johnston accompagnée d’un représentant syndical et a demandé à discuter de l’évaluation. M. Johnston a admis avoir dit à la requérante qu’une telle façon de procéder rendait difficile le maintien de bonnes relations de travail et lui avoir suggéré de se trouver un emploi à l’extérieur du CST.
Les événements particuliers à l’origine des plaintes visées en l’espèce découlent d’une réorganisation du groupe de la requérante entreprise en 1984. En 1985, on a mis fin au travail de la requérante lorsque les fonctions de son unité, 01B, furent fusionnées à celles d’une autre unité, M4B10 (celle-ci faisant apparemment partie du groupe M). Le poste de la requérante a été très sérieusement touché par cette réorganisation, puisqu’elle était la seule de son unité à ne pas se voir offrir une mutation vers le groupe M, apparemment affecté à l’analyse cryptographique. Selon la requérante, son poste a été supprimé parce que M. Johnston voulait se débarrasser d’elle. L’explication donnée par le CST est tout autre. Selon la soumission présentée à la CCDP par S. P. Hunter, coordonnateur des droits de la personne au sein du ministère de la Défense nationale, au cours de la même période, le groupe M a obtenu un ordinateur Cray, dont l’exploitation exigeait des connaissances en mathématique ou en sciences informatiques. Or la requérante n’avait pas la formation universitaire ni les connaissances mathématiques nécessaires à l’exploitation d’un ordinateur Cray.
Avant que son poste ne soit supprimé, le directeur du personnel a offert à la requérante un poste de coordonnatrice de la formation, au niveau CO-4. Après la suppression, un autre poste de coordonnatrice de la formation, au même niveau, lui a été offert. À ces deux occasions, la requérante a rejeté les offres, réitérant qu’elle voulait continuer à travailler en analyse cryptographique. Elle a par conséquent été affectée temporairement à un poste du groupe V, à deux niveaux sous le groupe CO-4, mais avec rémunération selon le niveau CO-4 jusqu’à la date de son congé d’études.
Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la demande de congé d’études a été engagée par la requérante ou par son employeur. Quoi qu’il en soit, au printemps de 1986, les deux parties ont entrepris des négociations afin de conclure une entente sur un congé d’études pour la requérante. Au cours de cette période, la requérante a demandé et obtenu un congé spécial avec solde, ce qui, a-t-elle fait valoir, était essentiel compte tenu du stress qu’elle vivait au sein du CST. Même si une entente avait apparemment été conclue en août 1986 entre le CST et l’avocat qui agissait pour le compte de la requérante, cette dernière a refusé d’en accepter les termes, et s’est inscrite à des cours de son choix, à l’université d’Ottawa.
Une entente a finalement été conclue entre les parties le 26 février 1987. Selon les modalités de l’entente :
1. Le congé devait rétroagir au 8 septembre 1986 et pouvait durer quatre ans.
2. Au cours de la période de l’entente, la requérante devait recevoir son plein salaire et tous ses avantages sociaux, y compris le remboursement des frais d’études et des dépenses liées aux cours.
3. Au terme du congé, la requérante devait reprendre son emploi au sein du CST au moins jusqu’en 1994.
4. La requérante devait s’inscrire comme étudiante à temps plein et suivre onze cours identifiés. À la fin de chaque semestre, la requérante devait remettre à son employeur une copie de ses notes de même qu’une liste des nouveaux cours.
5. Le CST avait le droit de mettre fin à l’entente si, en se fondant sur les notes de la requérante et sur l’avis de l’université, il estimait qu’elle n’était pas en mesure de compléter son cours dans le délai imparti de quatre ans. Aucun remboursement n’était prévu si le congé prenait fin.
6. À la fin du congé couronné de succès, il serait loisible à la requérante de revenir au CST, au niveau CO-4.
Au dire de la requérante, elle aurait été [traduction] « contrainte » à signer cette entente, et, en vertu de l’entente, obligée de travailler deux fois plus fort que ses pairs masculins pour pouvoir « recommencer ». Elle soutient en outre que les modalités de l’entente l’ont privée de l’occasion d’actualiser sa connaissance de l’analyse cryptographique et du renseignement sur les transmissions, et ont nui à sa pension et à son droit de prendre une retraite anticipée. Le CST a pour sa part fait valoir au sujet de l’entente que [traduction] « non seulement celle-ci n’a pas nui à la carrière de Mme Slattery, mais elle lui a clairement donné l’occasion de travailler comme analyste cryptographique active ».
La preuve montre qu’à au moins cinq occasions distinctes, entre le 31 août 1987 et le 19 octobre 1987, le CST a demandé par écrit une liste des cours que la requérante entendait suivre. Il n’a reçu aucune réponse. Par conséquent, dans la dernière lettre, on a avisé la requérante qu’elle n’avait pas respecté l’entente et qu’elle devait reprendre son emploi. La requérante a déclaré à la CCDP qu’elle avait fourni au CST l’« information » sur le programme qu’elle suivait, de même que le calendrier des cours le 3 octobre 1986. Elle prétend avoir décidé de ne pas communiquer les renseignements demandés parce qu’elle doutait de l’intention du CST de respecter l’entente.
La plainte déposée par la requérante contre le CST semble en outre découler d’un certain nombre d’événements qui se sont produits pendant son congé d’études. Elle a d’abord perdu sa prime au bilinguisme peu de temps après le début de son congé d’études, conformément à une politique du CST. Il convient toutefois de souligner que la requérante avait été avisée de cette politique avant même que ne débute son congé d’études, et qu’elle avait même entrepris, mais sans succès, de contester cette politique dans une procédure de grief, le 6 mai 1987.
La requérante a en outre, conformément à la politique du CST, perdu l’accès aux locaux du CST au cours de son congé d’études. Il semble que d’autres employés dans une situation semblable (c’est-à-dire en congé pour une période de plus de trois mois) n’aient pas perdu ce privilège. Le CST met cette disparité sur le compte d’une « erreur administrative ».
De plus, la requérante aurait apparemment été notifiée par l’agent de sécurité du CST, au cours de son congé d’études, du fait que ses biens au CST devaient être déménagés en raison d’un manque de place. En l’absence de toute réponse de la requérante, le CST a procédé à l’inventaire et à l’emballage de ses biens, puis tenté à plusieurs reprises d’entrer en contact avec la requérante pour convenir avec elle des modalités de livraison. Les biens furent expédiés au domicile de la requérante le 18 juin 1987 ou après cette date. La requérante prétend ne jamais avoir été avisée du déménagement de ses biens et avoir été « renversée » de les trouver dans son entrée de garage.
La requérante avait apparemment l’habitude de « reporter » ses congés, sans que le CST ne s’y oppose. Le 12 mai 1987, toutefois, le sous-chef a notifié par écrit à la requérante qu’elle ne pouvait « reporter » sa banque de trente-six jours de congés et lui a recommandé de prévoir des congés, à défaut de quoi il lui faudrait le faire à sa place. L’avocat de la requérante a répondu à cet avis le 4 juin 1987, en soulignant la tradition jusqu’alors incontestée de la requérante de « reporter » ses congés. Le sous-chef a répondu qu’il était autorisé à refuser aux directeurs tout report des congés en vertu de la convention collective. Au moment du différend, le sous-chef a fait circuler, le 28 mai 1987, une note de service annonçant à tous les directeurs l’application stricte de cette politique.
Après avoir été avisée de la résiliation de l’entente et avoir reçu l’ordre de reprendre le travail, la requérante a déposé une plainte écrite au sous-ministre de la Défense nationale. Lorsque celui-ci a décidé de clore le dossier sur cette question, le sous-chef du CST a expédié à la requérante deux lettres lui intimant de reprendre son poste, en date du 25 avril 1988 et du 2 mai 1988 respectivement. Comme la requérante ne s’était pas présentée au CST, le sous-chef lui a, le 4 mai 1988, expédié une lettre déclarant qu’elle avait abandonné son poste. Vu la nature de la cessation de son emploi, la requérante n’a pas eu droit à une indemnité de départ et a dû se contenter du remboursement des cotisations qu’elle avait versées au régime de pension de retraite de la fonction publique.
La requérante a tenté, le 26 octobre 1987, de déposer une plainte devant la CCDP au sujet des événements qui sont à l’origine des plaintes visées en l’espèce. La requérante n’a réussi à déposer des plaintes devant la CCDP que le 19 février 1988 et le 6 octobre 1989; ces plaintes portent respectivement les numéros H30995 et H31558. Dans l’intervalle, la requérante a appris que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) était l’autorité compétente pour entendre sa cause. La CRTFP a tenu des audiences, même si la requérante fait maintenant valoir qu’elle n’y a pas soulevé des questions de discrimination puisque la CCDP constitue l’autorité compétente pour ces questions. La CRTFP a consacré plus de 25 jours à délibérer sur cette affaire, du 30 novembre 1988 au 19 octobre 1989, et rendu sa décision le 12 mars 1990. Dans cette décision, la Commission a conclu que l’intimé avait agi de mauvaise foi en renvoyant la plaignante, et que les actes de l’intimé équivalaient à un renvoi de facto de la requérante. La requérante a obtenu des dommages-intérêts correspondant à deux ans de salaire, ainsi qu’une indemnité de départ.
La plainte H30995 a été déposée sous le régime de l’article 7 de la Loi et de l’article 13.1 [édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 143, art. 7] de la Loi canadienne sur les droits de la personne S.C 1976-77, ch. 33, modifiée. Dans cette plainte, la requérante prétendait qu’il y avait eu discrimination fondée sur l’âge et le sexe lorsqu’on avait supprimé son poste et qu’elle avait été forcée de signer une entente de congé d’études afin de se perfectionner. Selon la requérante, cette entente l’obligeait à travailler plus fort que ses collègues masculins, la privait de l’occasion d’actualiser sa connaissance de l’analyse cryptographique et du renseignement sur les transmissions, et nuisait à sa pension et à son droit de prendre une retraite anticipée. Elle prétendait en outre que le CST n’avait pas respecté les modalités de l’entente et qu’il l’avait harcelée à ce sujet.
Dans sa plainte numéro H31558, qui a été déposée sous le régime de l’article 7 de la Loi, la requérante a fait valoir qu’elle avait été victime de discrimination fondée sur son sexe et son âge lorsque son sous-chef avait mis fin à son emploi, le 4 mai 1988, en déclarant qu’elle avait abandonné son poste. Selon la requérante, l’entente sur le congé d’études l’autorisait à ne pas travailler jusqu’en 1990.
Le 2 mai 1988, la CCDP a chargé un agent des droits de la personne de conduire une enquête au sujet de la première plainte. Cet agent fut remplacé le 28 septembre 1990 par Lisa Quiring, qui fut chargée d’enquêter sur les deux plaintes. La plupart des activités d’enquête semblent s’être concentrées sur une période de trois jours (du 30 octobre au 1er novembre), et la requérante a déploré qu’un certain nombre des personnes qu’elle avait proposées comme ses témoins éventuels sur la liste des noms qu’elle avait remise à l’enquêteuse n’aient pas été interrogées ou ne l’aient été que partiellement. Dans son rapport, daté du 13 décembre 1991, Mme Quiring a recommandé le rejet des deux plaintes, puisque les allégations de discrimination ne pouvaient être appuyées par les éléments de preuve.
La requérante a obtenu copie du rapport de l’enquêteuse et a pu y répondre. Elle a fourni sa réponse le 6 février 1992.
La requérante a établi clairement dès le début de sa réponse qu’elle n’était pas satisfaite de la façon dont l’enquête avait été conduite :
[traduction] Il semblerait que l’enquête se soit limitée de façon très étroite à des incidents isolés plutôt que de s’attaquer au contexte qui a conduit à la signature de l’entente et aux allégations d’abandon de poste. Ces événements ne constituent que l’aboutissement d’un problème de longue date au sein du CST. Il faut en l’espèce déterminer non seulement si ces événements étaient discriminatoires en eux-mêmes, mais aussi s’ils ont été précipités par des actes antérieurs de discrimination de la part de l’employeur.
La requérante a fait valoir que le CST avait comme politique d’engager d’anciens militaires et de jeunes hommes. Selon elle, les quelques femmes qui étaient employées par le CST étaient victimes d’un milieu de travail partagé en fonction du sexe, où les emplois des femmes étaient perçus comme moins exigeants au plan des connaissances et moins importants. La requérante a prétendu que les militaires étaient « parachutés » à des postes supérieurs, bloquant ainsi la progression normale des femmes vers ces postes.
La requérante a fait valoir qu’il existait une ségrégation professionnelle entre les groupes 01A (à prédominance masculine) et 01B (à prédominance féminine), puisque les emplois du groupe 01B étaient sous-estimés. Le chef du groupe 01B était un CO-4 et les membres étaient des CO-3, tandis que le chef du groupe 01A était un CO-5 et les membres étaient des CO-4. En soi, la classification des emplois au CST était discriminatoire et il faudrait faire appel aux services de témoins experts pour pouvoir identifier au sein du CST le parti-pris qui, par sa nature, était insidieux.
Dans sa présentation, la requérante a souligné d’autres incidents de prétendue discrimination isolée. Elle y décrit en particulier comment M. Tom Johnston a signifié à la requérante qu’il n’était pas d’accord pour engager Christina Sattler parce qu’elle élevait seule deux enfants, et que si les enfants tombaient malades, elle ne se présenterait pas au travail. Mme Sattler a toutefois été engagée, mais elle n’a pas reçu la même formation que ses collègues masculins du groupe 01A.
En ce qui a trait à la preuve de discrimination, la requérante a fait valoir qu’il y avait [traduction] « amplement d’éléments de preuve pour convaincre une commission raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, de l’existence de suffisamment d’éléments pour passer à l’étape suivante ». Cela serait d’autant plus vrai en l’espèce, étant donné que la nature de la discrimination dont elle prétendait avoir été victime au CST était particulièrement difficile à prouver. En ce qui a trait à la difficulté d’établir la discrimination, notamment la discrimination systémique, elle a fait remarquer :
[traduction] La discrimination est rarement franche. On risque plus de trouver des cas où l’élément discriminatoire est dissimulé que le contraire. Par exemple, plutôt que d’admettre qu’ils refusent d’engager ou d’encourager des noirs ou des femmes, les intimés peuvent prétendre que les candidats n’ont pas les qualifications ou l’expérience requises, qu’ils montrent des signes d’une personnalité difficile ou d’une incapacité à s’entendre avec leurs collègues, etc[1].
De plus, selon la requérante, une partie importante de la preuve dont la requérante avait besoin pour appuyer sa plainte était protégée par le secret. Elle a décrit ainsi la situation :
[traduction] Non seulement avons-nous davantage de renseignements en notre possession, mais nous attendons d’autres réponses à des demandes présentées en vertu de la protection de la vie privée; et en raison du secret entourant le CST et de son manque de responsabilité, il est des renseignements qui ne peuvent être obtenus qu’au moyen d’un subpoena d’un tribunal.
Certains des documents que nous avons reçus ont été censurés à un point tel qu’il faut se demander si le matériel qui a été exclus mais qui a été retenu est réellement secret.
DÉCISION DE LA COMMISSION
La décision prise par la CCDP de rejeter l’une et l’autre des plaintes de la requérante sans ordonner la tenue d’une pleine audience du tribunal était datée du 21 février 1992, et portait :
[traduction] Madame Slattery,
La Commission canadienne des droits de la personne a examiné le rapport d’enquête sur vos plaintes (H30995) et (H31558) déposées contre le ministère de la Défense nationale et datées respectivement du 19 février 1988 et du 6 octobre 1989, et faisant état de discrimination dans l’emploi fondée sur les motifs de l’âge et du sexe. La Commission a aussi examiné les observations signées par Lucie Laliberté et datées du 6 février 1992.
La Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter les plaintes parce que, selon la preuve, l’allégation de discrimination n’est pas fondée.
Comme la décision de la Commission est finale, nous avons fermé nos dossiers en ce qui a trait à ces plaintes.
Les documents sur lesquels la Commission affirme s’être fondée pour en arriver à sa décision sont énumérés dans l’affidavit de Lucie Veillette, secrétaire de la CCDP. Les documents produits devant la Commission et portant sur la plainte H30995 comprenaient :
1. Le rapport d’enquête, daté du 13 décembre 1991;
2. La formule de plainte de la requérante, datée du 19 février 1988;
3. Une chronologie du processus de la CCDP portant sur la plainte de la requérante;
4. Une lettre et les observations de l’avocate de la requérante, présentées en réponse au rapport de l’enquêteuse et datées du 6 février 1992;
5. Deux lettres de Reagan Walker à Charles Théroux, datées du 22 janvier 1992 et du 9 janvier 1992.
Les documents produits devant la CCDP et portant sur la plainte H31558 comprenaient :
1. Le rapport d’enquête, daté du 13 décembre l991;
2. La formule de plainte de la requérante, datée du 6 octobre 1989;
3. Une chronologie du processus de la CCDP portant sur la plainte de la requérante.
Même si l’affidavit de Mme Veillette n’indique pas que les observations de la requérante produites le 6 février 1992 en réponse au rapport étaient devant la CCDP au moment où elle a rendu sa décision, je dois présumer, à partir du libellé même des observations, [traduction] « Réponses aux rapports d’enquête portant sur les plaintes H30995 et H31558 », et du fait que les deux plaintes ont été rejetées dans la même décision, que les observations ont été examinées par la CCDP à l’égard des deux dossiers.
DÉCISION
I. Dispositions législatives pertinentes
Un certain nombre de dispositions de la Loi sont pertinentes en l’espèce [art. 2, 3(1), 7(a),(b), 10(a),(b), 43(1),(2),(2.1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44(1), (2)(a),(b), 3(a)(i),(ii), (b)(i),(ii) (mod., idem, art. 64), (4)(a),(b)] :
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.
3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.
…
7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :
a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
b) de le défavoriser en cours d’emploi.
…
10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :
a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;
b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.
…
43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.
(2) L’enquêteur doit respecter la procédure d’enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).
(2.1) Sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer dans l’intérêt de la défense nationale ou de la sécurité, l’enquêteur muni du mandat visé au paragraphe (2.2) peut, à toute heure convenable, pénétrer dans tous locaux et y perquisitionner, pour y procéder aux investigations justifiées par l’enquête.
…
44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.
(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :
a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.
(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :
a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l’article 49, un tribunal des droits de la personne chargé d’examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :
(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,
(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);
b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,
(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).
(4) Après réception du rapport, la Commission :
a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphe (2) ou (3);
b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).
II. Le droit
La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois points de droit :
i) Quelle est la teneur de l’obligation d’équité procédurale applicable à une enquête sur une plainte et à la décision de la CCDP de rejeter une plainte, et cette norme a-t-elle été respectée en l’espèce?
ii) La CCDP a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu’on n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que la plainte de la requérante soit portée à l’étape du tribunal?
iii) La conclusion de la CCDP portant que l’allégation de discrimination de la requérante n’est pas fondée est-elle une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la CCDP disposait, et partant, susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale?
i) Quelle est la teneur de l’obligation d’équité procédurale applicable à une enquête sur une plainte et à la décision de la CCDP de rejeter une plainte, et cette norme a-t-elle été respectée en l’espèce?
À la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, la distinction entre les tribunaux exerçant leurs fonctions de façon dite « administrative », par opposition à une façon « judiciaire » ou « quasi judiciaire », qu’il fallait établir pour déterminer si les règles de justice naturelle s’appliquent n’est plus fondamentale. C’est plutôt une obligation générale d’« équité procédurale » qu’il faut appliquer à tous les processus décisionnels administratifs, dont le contenu varie selon les circonstances de chaque espèce. Pour reprendre les mots du juge Sopinka dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) , [1989] 2 R.C.S. 879, aux pages 895 et 896 [ci-après appelé S.E.P.Q.A.] :
Aussi bien les règles de justice naturelle que l’obligation d’agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s’estompe donc lorsqu’on approche du bas de l’échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l’échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C’est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie du tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question.
Depuis la modification des articles 18 et 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale, il n’est plus nécessaire non plus dans les actions intentées devant la Cour fédérale de qualifier d’« administratifs » ou de « judiciaires » les processus décisionnels en cause. (Voir notamment l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration , [1985] 1 R.C.S. 177, où, avant que la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] ne soit modifiée, le juge en chef Dickson et les juges Wilson et Lamer [alors juge puîné] ont appliqué cette distinction en concluant que la décision du ministre sous le régime de l’article 45 de la Loi sur l’immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] n’était pas susceptible de révision en vertu de l’article 28.)
Quelle est la teneur de l’obligation d’équité dans le contexte d’une décision de la Commission de rejeter une plainte à la suite d’une enquête? Cette question a été examinée à plusieurs occasions, notamment dans les arrêts Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.); Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407 et S.E.P.Q.A., précité.
L’arrêt Latif portait sur le refus de la CCDP d’exercer sa compétence à l’égard d’actes prétendument discriminatoires qui se seraient produits contre le plaignant lorsqu’il a été renvoyé par le ministère du Revenu national, Douanes et accise. L’incident a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la Loi, et l’audience devant la CCDP et la demande de révision judiciaire ont précédé les modifications qui furent apportées aux articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Il convient aussi de noter que la décision de la CCDP de ne pas connaître de la plainte était justifiée parce que cette plainte semblait excéder sa compétence. Par conséquent, en principe, la plainte a été rejetée sous le régime de l’article 33 de la Loi (maintenant l’article 41) par opposition à celui de l’article 36 (maintenant l’article 44). Toutefois, les principes du contrôle judiciaire énoncés par la Cour d’appel fédérale—puisque l’effet de la décision entraîne une détermination finale des droits du plaignant, celui-ci doit avoir l’occasion de se faire entendre, même si cela ne se faisait que par écrit—sont tout aussi applicables à la présente espèce.
Dans Radulesco, la CCDP avait procédé à une enquête et la plainte devait finalement être rejetée parce que non fondée en vertu de l’alinéa 36(3)b) (la disposition équivalente de l’actuel alinéa 44(3)b)) de la Loi. Même si la plaignante dans cette affaire avait été invitée à envoyer des observations avant que la CCDP ne rende sa décision finale, on ne lui avait pas dit beaucoup sur les faits qui ont fondé les recommandations de l’enquêteur. En outre, lorsque la plaignante a demandé une copie du rapport de l’enquêteur et d’autres renseignements sur les motifs l’appuyant, on lui a répondu que ces éléments ne seraient disponibles qu’une fois approuvés par la CCDP. La plaignante n’avait pas reçu les rapports de l’enquêteur avant que la CCDP ne rende sa décision finale. Le juge Lamer (maintenant juge en chef) a conclu que l’équité procédurale exige qu’un plaignant ait la possibilité de présenter des arguments, du moins par écrit, avant qu’on donne suite au rapport de l’enquêteur et, particulièrement, que la CCDP, avant de rendre sa décision, doit, pour s’assurer que ces arguments sont produits en connaissance de cause, révéler au plaignant les éléments essentiels de la preuve produite contre lui.
Dans l’affaire S.E.P.Q.A. enfin, il s’agissait d’une plainte, fondée sur les dispositions de salaire égal pour des fonctions équivalentes prévues dans la Loi (à l’article 11), qui avait été déposée contre la Société Radio-Canada. La CCDP a alors nommé un enquêteur qui a tenu les deux parties au courant de l’évolution de l’enquête qui s’est poursuivie pendant environ quatre ans. L’enquêteur semble avoir procédé à une enquête rigoureuse, dans laquelle il a comparé des niveaux de classification chez Radio-Canada aux niveaux de classification que les experts de la CCDP avaient établis en se servant d’abord de l’ancien plan de Radio-Canada, puis d’un plan du Conseil du Trésor, appelé le plan Aiken.
Dans l’arrêt S.E.P.Q.A., l’enquêteur a conclu que même s’il existait certaines anomalies dans les niveaux de salaires, celles-ci résultaient d’une classification erronée et étaient insignifiantes compte tenu de la cohérence globale des évaluations de classification. À la lumière de ces constatations, l’enquêteur a recommandé que la CCDP rejette la plainte parce qu’elle était mal fondée.
Dans l’arrêt S.E.P.Q.A., le plaignant a reçu une copie du rapport de l’enquêteur expliquant la méthode retenue par celui-ci, et il a été invité à présenter ses observations écrites en réponse au rapport avant que la CCDP ne rende sa décision finale. La CCDP a examiné les observations du plaignant de même que le rapport de l’enquêteur et décidé de rejeter la plainte parce qu’elle était mal fondée en vertu du paragraphe 36(3) de la Loi.
Le juge Sopinka a conclu que pour s’acquitter de l’obligation d’agir équitablement, la CCDP devait informer les parties de la substance de la preuve obtenue par l’enquêteur et produite devant la CCDP. En outre, la CCDP devait donner aux parties l’occasion de répondre à cette preuve et de faire toutes les observations pertinentes. Lorsqu’elle a pris la décision de rejeter la plainte sans procéder à une audition devant le tribunal [à la page 902] :
La [CCDP] pouvait prendre en considération le rapport de l’enquêteur, les autres données de base qu’elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu’elle a fait.
Il semblerait à première vue qu’en remettant à la requérante une copie du rapport de l’enquêteuse et en lui permettant de répondre au rapport, la CCDP se soit conformée à la lettre des exigences établies dans les arrêts susmentionnés. Toutefois, à la base de ces exigences se trouve la présomption de l’existence d’un autre aspect de l’équité procédurale—que la CCDP disposait d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la constitution d’un tribunal.
Pour qu’il existe un fondement juste pour que la CCDP estime qu’il y a lieu de constituer un tribunal en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi, je crois que l’enquête menée avant cette décision doit satisfaire à au moins deux conditions : la neutralité et la rigueur.
En ce qui a trait à la neutralité, on a déjà conclu que si la CCDP adopte simplement les conclusions de l’enquêteur sans donner ses motifs, et que ces conclusions sont rendues d’une façon qui peut être décrite comme partiale, il y a erreur susceptible de révision. Dans l’affaire Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne (numéro du greffe T-1578-91), décision rendue par le juge Noël, le 15 décembre 1993) [encore inédite], une enquêteuse, à la suggestion d’un directeur régional de la CCDP, avait ajouté un motif supplémentaire de discrimination sexuelle à une plainte déposée contre Radio-Canada sans avoir au préalable obtenu une décision formelle en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi en ce qui a trait à la question de savoir si la nouvelle plainte pouvait être entendue par la CCDP. Radio-Canada a finalement demandé que soit rendue une décision en vertu de l’alinéa 41e). Radio-Canada a fait valoir que la CCDP de devrait pas pouvoir procéder à l’enquête sur la plainte modifiée puisque celle-ci soulevait de nouveaux motifs et que les événements à l’origine de cette allégation s’étaient produits plus d’un an avant la modification et que, partant, l’allégation était prescrite.
L’agent d’accueil dans cette affaire a été invité à rédiger un « rapport préalable à l’enquête », pour lequel l’enquêteuse a réuni la preuve documentaire. Comme le note le juge Noël, plusieurs faits pertinents, qui auraient dû jouer contre l’examen de la plainte prescrite, et qui étaient par conséquent pertinents à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la CCDP en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi, ont été omis du rapport. Ces faits comprenaient le fait que la requérante avait présenté puis repris sa démission à l’époque des événements invoqués.
Selon le juge Noël, la participation du directeur régional et de l’enquêteuse, qui avait préétabli la question et invité la requérante à agir à l’intérieur de ce cadre, dans le « rapport préalable à l’enquête », était de nature à entraîner un parti-pris. Même si le juge Noël a reconnu que l’arrêt S.E.P.Q.A. permettait à la CCDP de rendre une décision non motivée, en adoptant les conclusions du rapport de l’enquêteuse, le juge Noël a raffiné cette analyse en disant [à la page 20] que « si le rapport que [la CCDP] a adopté dans le cadre de sa décision est défectueux, il s’ensuit que la décision est, elle aussi, défectueuse ».
L’exigence de la rigueur de l’enquête découle du rôle essentiel que les enquêteurs sont appelés à jouer lorsqu’il s’agit de déterminer le bien-fondé de chaque plainte. Ce rôle essentiel a été reconnu par la Cour suprême dans l’arrêt S.E.P.Q.A. Pour reprendre les mots du juge Sopinka (à la page 898) :
D’une manière générale, les plaignants comptent sur la Commission pour produire des preuves devant un tribunal constitué en vertu de [l’article 49]. Une enquête sur la plainte est donc indispensable pour permettre à la [CCDP] de remplir ce rôle …
Je remarque que les enquêteurs, la CCDP et les tribunaux d’appel ne disposent essentiellement d’aucune directive d’origine législative régissant la conduite des enquêtes. L’article 43 de la Loi habilite les enquêteurs à procéder à des perquisitions et à des saisies, mais il n’établit aucune obligation minimale en matière d’enquête. En outre, sauf en ce qui a trait aux domaines circonscrits des enquêtes portant sur des questions d’immigration et de droits de douane et d’accise, aucun règlement visant les enquêtes n’a encore été pris malgré la disposition du paragraphe 43(4) de la Loi qui habilite le gouverneur en conseil à fixer par règlement, entre autres choses, la procédure à suivre par les enquêteurs.
Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête qui doit correspondre aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l’intimé à l’égard de l’équité procédurale, et l’intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. En réalité, l’extrait suivant de l’ouvrage Discrimination and the Law du juge Tarnopolsky (Don Mills : De Boo, 1985), à la page 131, semble aussi s’appliquer à la détermination du degré de rigueur nécessaire pour l’enquête :
[traduction] Avec la lourde charge de travail qui est imposée aux Commissions et la complexité croissante des questions de droit et de fait en cause dans bon nombre des plaintes, ce serait se condamner à un cauchemar administratif que de tenir une pleine audience orale avant de rejeter une plainte que l’enquête a estimée ne pas être fondée. D’autre part, la Commission ne devrait pas évaluer la crédibilité lorsqu’elle prend ces décisions, et elle devrait être consciente du simple fait que le rejet de la plupart des plaintes entraîne la perte de tous les autres moyens de réparation légale pour le préjudice que la personne invoque.
Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.
Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.
Dans la décision Société Radio-Canada, par exemple, le juge Noël a noté qu’on se serait attendu à ce que, dans ses observations, Radio-Canada, souligne les lacunes du rapport de l’enquêteuse. Toutefois, à la page 16 de son jugement, le juge Noël note :
À l’époque, cependant, Radio-Canada ne savait pas le rôle qu’avaient joué le directeur régional et l’enquêteuse en invitant Mad. Paul à maintenir la plainte tardivement déposée, et ce malgré les exigences de l’alinéa 41e). Ajoutons que Radio-Canada avait, à tort, été portée à croire que Mad. Paul n’avait décidé de poursuivre qu’après avoir appris que sa nouvelle plainte était irrecevable pour cause de prescription. Bien que Radio-Canada ait fait part de la surprise que lui inspirait la recommandation contenue dans le rapport, elle n’était pas en mesure de porter à l’attention de la Commission le manque d’objectivité qui caractérisait cette recommandation. [Souligné par mes soins.]
Cette façon de procéder est aussi confirmée par l’arrêt de la Cour suprême Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471. L’affaire Larocque portait sur le contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre d’accueillir une objection à l’admission d’un élément de preuve. L’élément de preuve en question dans l’arrêt Larocque aurait appuyé la prétention de l’université qu’un manque de fonds, qui était le motif du renvoi de deux auxiliaires de recherche, était attribuable au travail des auxiliaires elles-mêmes. Avec une telle preuve, il aurait été possible de justifier le renvoi comme attribuable à une cause qui dépendait des employées. La Cour suprême du Canada a maintenu la décision de la Cour supérieure du Québec de réviser la décision par laquelle l’arbitre avait accueilli l’objection à l’admissibilité de la preuve. Dans ses motifs, le juge en chef Lamer a souligné que l’arbitre n’avait pas nécessairement violé les principes de la justice naturelle en excluant erronément l’élément de preuve pertinent; toutefois, lorsqu’une telle preuve est importante pour l’issue de l’affaire (c’est-à-dire que, dans ce sens, elle est fondamentale), la décision donne ouverture au contrôle judiciaire. Le juge en chef dit (à la page 491) :
L’arbitre de griefs est dans une situation privilégiée pour évaluer la pertinence des preuves qui lui sont soumises et je ne crois pas qu’il soit souhaitable que les tribunaux supérieurs, sous prétexte d’assurer le droit des parties d’être entendues, substituent à cet égard leur appréciation à celle de l’arbitre de griefs. Il pourra toutefois arriver que le rejet d’une preuve pertinente ait un impact tel sur l’équité du processus, que l’on ne pourra que conclure à une violation de la justice naturelle.
L’on peut déduire que dans l’arrêt S.E.P.Q.A., la Cour suprême était convaincue de la rigueur de l’enquête et du niveau d’interaction entre l’enquêteur et les parties au cours de l’enquête. Le rapport de l’enquêteur, qui a été décrit comme « très poussé » par le juge Sopinka (à la page 903), comprenait des explications à la fois sur la méthode de l’enquêteur et sur les résultats obtenus.
Peut-on affirmer qu’il y avait suffisamment de rigueur en l’espèce et, dans la négative, que les lacunes du rapport de l’enquêteuse pouvaient être corrigées par les observations produites en réponse par la requérante?
Je note en premier lieu que les plaintes H30995 et H31558 ont toutes deux été formulées exclusivement en termes de discrimination que la requérante aurait subie personnellement. Aucun élément de ces plaintes ne constitue une allégation portant sur la discrimination systémique ou sur un salaire inégal pour un travail de valeur équivalente au CST en général. En fait, la plus grande partie des craintes relatives à la nature systémique de la discrimination au CST n’a commencé à figurer que dans les observations de la réponse de la requérante, qui ont été préparées par Mme Laliberté et produites le 6 février 1992. Je ne puis qualifier une telle preuve de « fondamentale » pour les plaintes de la requérante.
La requérante a aussi souligné à la CCDP comme à la Cour qu’en raison du secret qui entoure le CST, elle estimait être assujettie à de sérieuses limites quant aux renseignements qu’elle pouvait divulguer avant la constitution officielle d’un tribunal, et que seul un tribunal des droits de la personne pouvait avoir accès à certains renseignements confidentiels susceptibles d’appuyer ses allégations. La requérante n’a tout simplement pas réussi à me persuader à l’égard de l’un ou de l’autre de ces arguments.
Il ressort clairement de la preuve documentaire qui accompagnait le dossier de la requérante, tout particulièrement de l’annexe qui décrivait brièvement les documents produits à l’audience de la CRTFP, que la requérante avait accumulé un ensemble impressionnant d’éléments de preuve portant sur la classifications des postes, etc., certains par suite d’une divulgation volontaire du CST, d’autres par suite de demandes en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21] et de la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1]. Même si la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information excluent toutes deux la communication de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada et aux efforts du Canada en matière de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives, il n’existe aucune preuve portant que certaines de ses demandes d’accès aux renseignements sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l’accès à l’information aient été refusées. Fait plus important encore, la requérante n’a pas réussi à me démontrer quel aspect, s’il en est, de ces éléments de preuve qui n’ont pas été obtenus par l’enquêteuse (et qui, partant, n’étaient pas devant la CCDP lorsqu’elle a rejeté les plaintes de la requérante) est fondamental pour l’issue de sa cause.
Quant à la prétention de la requérante selon laquelle le fait pour l’enquêteuse de conclure que [traduction] « les allégations dans les plaintes sur les droits de la personne ont été entendues par la CRTFP » représente une conclusion suffisamment déficiente pour constituer une erreur de droit, je conclus que ces commentaires étaient tout simplement une autre façon de dire que « les allégations figurant dans les plaintes sur les droits de la personne peuvent donner lieu à une poursuite pour licenciement abusif mais ne constituent pas de la discrimination ». Même si la formulation de cet énoncé était maladroite, elle n’entraîne certainement pas une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire.
En dernier lieu, la requérante prétend que l’enquête a manqué de rigueur puisque certains des témoins dont elle avait fourni les noms à l’appui de sa plainte n’ont pas été interrogés par l’enquêteuse. La requérante prétend en outre que le rapport de l’enquêteuse ne comportait aucune analyse du rôle qu’a joué le chef de l’unité 01 dans le harcèlement de la requérante et la suppression de son poste.
Même si l’enquête semble n’avoir duré que trois jours, il ressort du rapport que toutes les questions fondamentales de la plainte de la requérante, y compris le traitement que le chef de l’unité réservait à la requérante, ont été examinés par l’enquêteuse. Le fait qu’[traduction] « aucune analyse » de certaines allégations précises ne figure dans le rapport écrit de l’enquêteuse (le rapport de l’enquêteuse ne contient que le sommaire des versions de chaque partie) ou dans les motifs invoqués par la CCDP pour rejeter la plainte n’indique pas que ces allégations n’ont pas été examinées par l’enquêteuse, et ne constitue pas un motif donnant ouverture au contrôle judiciaire. J’estime que cette conclusion est appuyée par le fait qu’il n’existe en common law aucune obligation forçant les organismes administratifs à motiver leurs décisions (voir notamment R v Gaming Board for Great Britain, ex parte Benaim , [1970] 2 All ER 528 (C.A.); Re Glendenning Motorways, Inc. and Royal Transportation Ltd. et al. (1975), 59 D.L.R. (3d) 89 (C.A. Man.)) et par le fait que la Loi est muette sur la question de la nécessité des motifs écrits, par contraste avec le paragraphe 42(1), qui s’applique aux cas où la Commission décide qu’une plainte est inadmissible pour l’un des motifs énumérés à l’article 41. Comme en a conclu le juge Pinard dans l’arrêt Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne) (1991), 7 Admin. L.R. (2d) 58 (C.F. 1re inst.), à la page 65 : « l’absence de motifs de la décision ne viole pas plus l’équité procédurale qu’elle ne viole la Loi ».
Les règles d’équité procédurale exigent simplement que le plaignant connaisse l’essentiel de la preuve constituée contre lui. Pour reprendre les mots de lord Denning, M.R., dans l’arrêt Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All ER 12 (C.A.), à la page 19, cité par le juge Sopinka dans l’arrêt S.E.P.Q.A. (à la page 900) :
[traduction] La règle fondamentale est que, dès qu’on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu’on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l’enquête et du rapport, il faut l’informer de la nature de la plainte et lui permettre d’y répondre. Cependant, l’organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n’est pas nécessaire qu’il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n’est pas tenu de permettre la présence d’avocats. Il n’est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s’en tenir à l’essentiel.
La conclusion de l’enquêteuse en l’espèce portait :
[traduction] La preuve montre que le poste de la plaignante a été supprimé par suite d’une réorganisation, et qu’elle a refusé deux offres de postes à son niveau de CO-4 parce qu’elle voulait continuer à travailler en analyse cryptographique. Afin d’accroître ses connaissances en analyse cryptographique, la plaignante a signé une entente de congé d’études. Un différend est né au sujet des modalités de l’entente, et la plaignante a reçu de l’intimé l’ordre de reprendre son travail. Comme la plaignante a refusé d’obtempérer, elle a été congédiée.
Aucune preuve ne montre que la plaignante a été traitée différemment ou harcelée en raison de son âge ou de son sexe.
Il est donc recommandé que la Commission rejette la plainte parce que, à la lumière de la preuve, l’allégation de discrimination n’est pas fondée.
L’adoption de cette conclusion par la Commission a suffi amplement à fournir à la requérante les « motifs généraux » de la preuve produite contre elle, étant donné la description détaillée des éléments de preuve de l’affaire qui figure dans le rapport.
Le fait que l’enquêteuse n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente. En l’espèce, je constate que l’enquêteuse n’a pas omis d’examiner l’un ou l’autre des aspects fondamentaux de la plainte de la requérante, telle qu’elle était formulée, et qu’il n’y avait aucun autre point, moins important mais néanmoins pertinent, qui ait été traité de façon insatisfaisante et qui n’ait pu être repris dans les observations présentées en réponse par la requérante.
Ainsi, je ne trouve aucun motif qui justifierait de réviser la décision prise par la CCDP de rejeter la plainte de la requérante, pour manque de rigueur de l’enquête ou quelque autre violation des règles d’équité procédurale.
ii) La CCDP a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu’on n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que la plainte de la requérante soit portée à l’étape du tribunal?
En supposant l’existence d’une enquête suffisamment rigoureuse et neutre, la CCDP doit, dans un deuxième temps, évaluer s’il y a lieu de constituer un tribunal, conformément au paragraphe 44(3) de la Loi.
À l’époque où les décisions S.E.P.Q.A., Latif et Radulesco ont été rendues, le paragraphe 36(3) de la Loi [S.C. 1976-77, ch. 33] obligeait la CCDP à rejeter les plaintes dans les cas où elle était convaincue qu’elles n’étaient pas « fondées ». Dans l’arrêt S.E.P.Q.A. , le juge Sopinka a établi clairement que la décision de rejeter la plainte ou de poursuivre était liée de près à la perception qu’a la Commission du bien-fondé de l’affaire (à la page 899) :
Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante. L’intention n’était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l’opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l’enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu’est rempli le critère énoncé [dans la Loi].
Un tel lien doit-il exister sous le régime de la Loi actuelle, qui pose comme norme applicable la conclusion de la CCDP que « l’examen » d’une plainte « est justifié », par opposition à la conclusion « que la plainte est fondée »?
Il semble à tout le moins que le pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi à la CCDP de décider s’il y a lieu de rejeter une plainte est plus vaste sous le régime du paragraphe 44(3) qu’il ne l’était sous celui de l’ancien paragraphe 36(3); toutefois, cela ne signifie pas qu’il est illimité. Dans ses observations, l’avocat de l’intimée a donné à entendre que l’intention du législateur lorsqu’il a adopté cette modification était d’habiliter la CCDP à rejeter des plaintes en se fondant sur des facteurs indépendants du bien-fondé de l’espèce ou de la compétence du juge. Cet argument semble appuyé par l’énoncé suivant, fait en passant, sur l’emploi du mot « fondée » par opposition au mot « justifié », dans les motifs de dissidence de Madame le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt S.E.P.Q.A. (à la page 920) :
… le législateur ne pouvait exprimer plus clairement dans cette formulation son intention de donner à la Commission toute la latitude voulue pour statuer sur une plainte sans se prononcer sur le bien-fondé de celle-ci.
Je ne puis conclure que le paragraphe 44(3) de la Loi permet à la CCDP de rendre des décisions en ne tenant absolument pas compte du bien-fondé de la plainte. Si l’on permettait que des considérations purement administratives (comme les coûts, le temps) soient déterminantes, on pourrait concevoir des situations où le droit d’une personne à un recours sous le régime d’une loi relative aux droits de la personne dépendrait de la facilité avec laquelle l’on peut prouver qu’il y a eu violation des droits de la personne. Une telle façon de faire serait clairement en contradiction avec l’objectif de justice visé par la Loi, tel qu’il est énoncé à l’article 2, de donner effet au principe de l’égalité des chances. Il existe au Canada une abondante jurisprudence qui reconnaît que les organismes administratifs doivent, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, poursuivre des objectifs qui ne contredisent d’aucune façon l’esprit de leur loi constitutive. (Voir Re Multi-Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49 (C.A.); Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] 1 All E.R. 694 (H.L.); pour un examen des principes généraux, voir Dussault& Borgeat, Traité de droit administratif, Tome III (Québec : Presses de l’Université Laval, 1989), aux pages 482 et suivantes.)
D’autre part, la prétention de la requérante selon laquelle il y lieu d’exercer un contrôle judiciaire à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la CCDP chaque fois que, de l’avis de la cour saisie de la demande de contrôle, le plaignant a réussi à faire porter ses arguments au delà du domaine de la conjecture, va beaucoup trop loin dans l’autre sens. L’avocate de la requérante m’a cité la décision Onischak v. British Columbia (Council of Human Rights) (1989), 10 C.H.R.R. D/6290 (C.S.C.-B.) à l’appui de cette prétention. Dans la décision Onischak, le juge Huddart a repris les critères établis par le juge Wood dans l’affaire Cook v. B.C. Council of Human Rights (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 52 (C.S.), pour rejeter une plainte de discrimination fondée sur un prétendu refus d’étudier la candidature du plaignant à un poste d’agent de probation parce qu’il était malvoyant et qu’il n’était pas titulaire d’un permis de conduire valide. Selon le juge Huddart (à la page D/6293) :
[traduction] En raison des dispositions de l’article 12, tout examen de la question de savoir si une enquête a été « complétée » ou non implique nécessairement l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du conseil. Le législateur a confié le pouvoir de trancher des questions relatives aux droits de la personne au Conseil, organisme spécialisé et particulièrement qualifié pour déterminer s’il y a lieu de mettre fin aux procédures, de recommander un règlement, de remettre un rapport au ministre ou de désigner l’un de ses membres pour l’audition de présentations écrites ou orales, à la satisfaction de ce membre, après l’enquête dont il détermine la nature et la portée en fonction des circonstances. Dans de telles circonstances, la seule question qui se pose est celle de savoir si le Conseil a agi de façon manifestement déraisonnable dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
Le caractère manifestement déraisonnable doit être apprécié en fonction des circonstances de chaque espèce. La preuve établie par l’enquête ne suffisait pas à soulever l’inférence de discrimination fondée sur la déficience physique. Des éléments de preuve montrent que la décision de ne pas admettre Mme Onischak au concours pour le poste était fondée uniquement sur des faits sans aucun lien avec la déficience physique. Dans ces circonstances, il n’était pas manifestement déraisonnable que le conseil termine l’enquête et ordonne la fin des procédures sans enquête supplémentaire ni autre réponse au plaignant.
Il convient en premier lieu de relever que les décisions Onischak et Cook portaient toutes deux sur des plaintes déposées en vertu de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique (S.C.-B. 1984, ch. 22). Aucune disposition de cette Loi n’habilite le Conseil des droits de la personne à rejeter une plainte s’il estime qu’une enquête supplémentaire n’est pas fondée. L’alinéa 14(1)a) [mod. par S.C.-B. 1989, ch. 53, art. 5] de la Human Rights Act de la Colombie- Britannique ne prévoit au contraire aucune directive en ce qui a trait à la norme que le Conseil doit appliquer pour déterminer s’il y a lieu de mettre fin à une procédure. Cette disposition porte simplement :
[traduction] 14. (1) À la fin d’une enquête, le président
a) renvoit la plainte au conseil pour qu’il détermine s’il y a lieu de mettre fin à la procédure.
Il était donc loisible aux cours saisies des demandes de contrôle d’invoquer, entre autres, les dispositions de l’alinéa 14(1)d) qui prévoient que la décision d’un membre du conseil de rejeter ou non une plainte est conditionnelle au fait que la plainte soit justifiée ou non (en d’autres termes, conditionnelle au bien-fondé de l’affaire) pour interpréter l’alinéa 14(1)a). C’est exactement ce que la Cour suprême de la Colombie-Britannique semble avoir fait dans la décision Cook (aux pages 61 et 62) :
[traduction] Lorsqu’il est appelé à déterminer s’il y a lieu ou non de mettre fin aux procédures en vertu de l’alinéa 14(1)a), le conseil doit, selon moi, avoir recours à une norme objective. Celle qui vient d’abord à l’esprit est celle que la common law emploie fréquemment, à savoir une norme qui fait appel au critère du caractère raisonnable. Je conclus que lorsqu’il examine une plainte, le conseil doit déterminer s’il existe des éléments de preuve sur lesquels une commission d’enquête établie en vertu de l’article 16 ou un membre du conseil désigné en vertu de l’alinéa 14(1)d), agissant de façon raisonnable, pourrait conclure que la plainte est prouvée selon la prépondérance des probabilités. Le cas échéant, il ne devrait pas ordonner la fin des procédures en vertu de l’alinéa 14(1)a), mais il devrait plutôt considérer les trois autres possibilités mentionnées dans ce paragraphe.
En outre, la proposition du juge Huddart portant que le contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire n’est justifié que dans des circonstances où l’exercice de ce pouvoir s’est fait de façon « manifestement déraisonnable » ne peut s’harmoniser facilement avec une norme qui permettrait un contrôle chaque fois que la cour conclut que la preuve produite au cours d’une enquête soulève une inférence de discrimination. Selon l’esprit de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mossop, il faut privilégier la retenue plutôt que l’interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d’appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l’égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d’un vaste pourvoir discrétionnaire, comme lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3).
Compte tenu du fait que le pouvoir conféré à la CCDP par le paragraphe 44(3) est de nature discrétionnaire, je dois accepter la ligne directrice suivante énoncée par le juge McIntyre dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :
C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
Les cours canadiennes peuvent aussi contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsque celui-ci a été exercé de manière discriminatoire, injuste, arbitraire ou déraisonnable. (Voir Associated Provincial Picture Houses, Ld. v. Wednesbury Corporation, [1948] 1 K.B. 223 (C.A.); Hall & Co. Ltd. v. Shoreham-by-Sea Urban District Council, [1964] 1 W.L.R. 240 (C.A.)). Comme l’a écrit le juge Coffin, J.C.A., dans la décision N.S. Forest Industries v. N.S. Pulpwood Marketing Board (1975), 12 N.S.R. (2d) 91 (C.S.), à la page 115 :
[traduction] Les exemples de caractère déraisonnable comprennent l’omission d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour « s’orienter justement selon le droit », pour « faire porter son attention sur les questions qu’il faut examiner » …
On ne m’a présenté aucune preuve qui me montre que la CCDP a omis d’examiner les éléments compris dans les observations présentées par la requérante le 6 février 1992, et je ne suis pas non plus convaincu que la décision de la CCDP de rejeter la plainte soit le résultat de la mauvaise foi, de considérations dépourvues de pertinence ou de motifs injustifiés. Je ne suis pas non plus convaincu que la décision soit déraisonnable eu égard à tous les éléments dont disposait la CCDP. La CCDP a tout simplement exercé son pouvoir discrétionnaire et pris une décision qu’il lui était loisible d’arrêter en se fondant sur les éléments de preuve dont elle disposait.
iii) La conclusion de la CCDP portant que l’allégation de discrimination de la requérante n’est pas fondée est-elle une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la CCDP disposait, et partant, susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale?
Sur cette question, je dois exprimer mon désaccord avec la proposition de la requérante selon laquelle la conclusion relative au bien-fondé de l’allégation de discrimination de la requérante est une question de fait, par opposition à une question de droit. Comme l’a écrit le professeur Wade (Administrative Law. 6e éd., aux pages 938 et 939) :
[traduction] Les questions de droit doivent être distinguées des questions de fait, mais c’est là un domaine où les règles ont pris diverses formes sous l’effet de l’interprétation judiciaire …
La doctrine la plus simple et la plus logique a été reconnue dans nombre de jugements. Elle veut que les questions de fait soient les principaux faits de l’espèce qui doivent être établis avant que le droit ne puisse s’appliquer, les « faits qui sont observés par les témoins et prouvés par témoignage », auxquels il faudrait ajouter tout fait de notoriété publique, dont la cour peut prendre connaissance d’office sans que preuve doive en être faite. La question de savoir si ces faits, dès qu’ils ont été établis, satisfont à une définition ou à un critère légal doit constituer une question de droit, puisqu’il s’agit alors de se demander comment interpréter la loi et l’appliquer à ces faits établis.
Il n’est donc pas loisible à la requérante de prétendre que la conclusion de la CCDP portant que l’allégation de discrimination de la requérante n’est pas fondée est une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la CCDP disposait, et partant, susceptible de contrôle judiciaire en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.
III. CONCLUSION
Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[1] Voir Méndez, « Presumptions of Discriminatory Motive in Title VII Disparate Treatment Cases » (1980), 32 Stan. L. Rev. 1129, à la p. 1130.