[1994] 2 .C.F. 647
T-24-93
Sa Majesté la Reine (demanderesse)
c.
Seaboard Lumber Sales Company Ltd. (défenderesse)
Répertorié : Canada c. Seaboard Lumber Sales Co. (1re inst.)
Section de première instance, juge Dubé—Vancouver, 25 janvier; Ottawa, 3 février 1994.
Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — L’art. 4 de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre impose des droits sur les produits exportés aux « États-Unis » — Il s’agit de savoir si Porto Rico fait partie des États-Unis — Le terme « États-Unis » n’est pas défini dans la Loi, mais il est défini dans le Mémorandum d’entente signé par le Canada et les États-Unis auquel la Loi est censée correspondre — L’absence de définition crée une ambiguïté, compte tenu des différentes définitions que l’on trouve dans les lois douanières, commerciales et fiscales — Le fait que l’art. 2(3) de la Loi permette expressément de recourir au Mémorandum pour interpréter l’annexe n’empêche pas d’y recourir pour lever les ambiguïtés que comporte la Loi — Compte tenu de la présomption de compatibilité qui existe entre les accords internationaux et les lois destinées à les mettre en œuvre, Porto Rico fait partie des États-Unis.
Interprétation des lois — Il s’agit de savoir si Porto Rico fait partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé dans la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre — Le terme « États-Unis » n’est pas défini dans la Loi, mais il est défini dans le Mémorandum d’entente entre le Canada et les États-Unis — Il est raisonnable de se référer dès le début à un accord international sous-jacent pour déterminer si la loi interne comporte une ambiguïté, même latente — L’absence de définition crée une ambiguïté, compte tenu des différentes définitions que l’on trouve dans les lois douanières, commerciales et fiscales — Le Mémorandum constitue un accord international sous-jacent — Le fait que l’art. 2(3) de la Loi permette expressément de recourir au Mémorandum pour interpréter l’annexe n’empêche pas d’y recourir pour lever les ambiguïtés que comporte la Loi — Il existe une présomption de compatibilité entre les accords internationaux et les lois destinées à les mettre en œuvre — Porto Rico fait partie des États-Unis.
Il s’agit d’un appel d’une décision par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur a jugé que Porto Rico ne faisait pas partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé au paragraphe 4(1) de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre. La défenderesse a exporté des produits de bois d’œuvre à Porto Rico en 1987 et a acquitté les droits imposés par la Loi sur les produits en question exportés aux États-Unis. Elle a par la suite demandé à être remboursée au motif que le Commonwealth de Porto Rico ne faisait pas partie des « États-Unis » au sens de la Loi. La demande a été rejetée et le ministre a confirmé sa décision. La Loi ne définit pas les « États-Unis », mais le Mémorandum d’entente signé entre le Canada et les États-Unis, auquel la Loi est censée correspondre, définit dans les termes suivants les « États-Unis d’Amérique » : « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique et les zones franches situées sur le territoire des États-Unis d’Amérique ». Le paragraphe 2(3) de la Loi prévoit que le Mémorandum peut servir à l’interprétation de l’annexe. Il s’agit de savoir (1) si l’arrêt Old HW-GW Ltd. c. Canada, dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué que Porto Rico était distinct des États-Unis, s’applique; (2) si le recours à un accord international pour interpréter une loi interne, comme la Cour suprême du Canada l’a jugé acceptable dans l’arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), est justifié; (3) si le Mémorandum est un accord international auquel cette décision est applicable; (4) si le paragraphe 2(3) empêche de recourir au Mémorandum.
Jugement : l’appel doit être accueilli.
Porto Rico fait partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé au paragraphe 4(1).
L’arrêt Old HW-GW Ltd. portait sur l’interprétation de l’expression « stimulant fiscal » employée dans le Règlement de l’impôt sur le revenu. Le contexte législatif de l’affaire Old HW-GW Ltd. était très différent du présent contexte et cet arrêt se limitait expressément à l’application du règlement en litige.
Dans l’arrêt National Corn Growers, la majorité a conclu que, non seulement il était raisonnable de se référer à une convention internationale sous-jacente pour lever toute équivoque dans la loi interne, mais qu’il était raisonnable de se référer à la convention internationale dès le début pour déterminer si la loi interne comportait une ambiguïté, fût-elle latente. La loi qui nous occupe en l’espèce comporte une ambiguïté latente en ce qui concerne la portée du terme « États-Unis » à l’article 4. Cette ambiguïté découle du fait que différentes coutumes, lois et conventions douanières, commerciales et fiscales ont défini différemment ce terme, de sorte que l’absence de définition dans une loi connexe exige que l’on donne des éclaircissements.
Le Mémorandum constitue un accord international sous-jacent au sens de l’arrêt National Corn Growers, et il est donc approprié d’avoir recours à son libellé pour lever l’ambiguïté que comporte la Loi.
Le fait qu’il soit expressément mentionné au paragraphe 2(3) que le Mémorandum peut servir à l’interprétation de l’annexe se rapporte aux distinctions qui existent effectivement entre les deux textes qui peuvent avoir une incidence sur la décision de savoir quels sont précisément les produits qui sont visés par l’annexe aux fins de l’imposition du droit. Le fait qu’il soit expressément permis de recourir au Mémorandum pour interpréter ou compléter le texte de l’annexe moins exhaustive n’empêche pas d’avoir recours au Mémorandum pour lever les ambiguïtés latentes que l’on décèle dans la Loi. Les deux recours ne s’excluent pas l’un l’autre. Compte tenu de la présomption de compatibilité entre les accords internationaux et les lois destinées à les mettre en œuvre, le législateur voulait que le terme « États-Unis » contenu dans la Loi ait la même portée que celle qu’il avait dans le Mémorandum.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] Can T.S. no 31.
Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20.
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 19(5)e) (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 133).
Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1).
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 81.24 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 81.28 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52).
Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 12, art. 2(3) 4, 18.
Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 2 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 66).
Loi sur l’immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, art. 14(1)b).
Loi sur l’importation de la viande, L.R.C. (1985), ch. M-3, art. 4.1 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 140).
Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 5907(10).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE :
National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81.
DISTINCTION FAITE AVEC :
Old HW-GW Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 363; (1993), 93 DTC 5199 (C.A.F.); inf. [1991] 1 C.T.C. 460; (1991), 91 DTC 5327 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES :
Cie des chemins de fer nationaux du Canada et Canadien Pacifique Ltée c. Canada (1993), 62 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.); Bloxam v. Favre (1883), 8 P.D. 101 (H.C.J.); conf. par (1884), 9 P.D. 130 (C.A.); Salomon v. Comrs. of Customs and Excise, [1967] 2 Q.B. 116 (C.A.); Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655; [1991] 2 C.T.C. 352; (1991), 91 DTC 5626 (C.A.); British Columbia Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 26; (1992), 92 DTC 6129 (C.A.F.); Extendicare Health Services Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1987] 3 C.F. 622; (1987), 14 C.E.R. 282 (1re inst.); Stafford Allen & Sons, Ltd. v. Pacific Steam Navigation Co., [1956] 2 All E.R. 716 (C.A.); Income Tax Special Purposes Commissioners v. Pemsel, [1891-1894] All E.R. Rep. 28 (H.L.); Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264; Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46; (1985), 21 D.L.R. (4th) 210; [1985] 2 CTC 111; 85 DTC 5373; 60 N.R. 244; Downes v. Bidwell, 182 U.S. 244 (1901); Balzac v. People of Porto Rico, 258 U.S. 298 (1922); Tahsis Company Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 269; [1979] CTC 410 (1re inst.).
DOCTRINE
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Instruments de base et documents divers, 16e suppl. Genève, 1969.
Digest of International Law, Vol. 14. Prepared by Marjorie M. Whiteman, Washington : U.S. G.P.O., 1970.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Encyclopedia of Public International Law, Vol. 12. The Netherlands : Elsevier Science Publishers B.V., 1990.
Houghton Mifflin Canadian Dictionary of the English Language. Markham, Ont. : Houghton Mifflin Canada, 1980 Puerto Rico .
Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12th ed. par P. St. J. Langan. London : Sweet & Maxwell, 1969.
Random House Dictionary of the English Language, 2nd ed. New York : Random House, 1987 Puerto Rico .
APPEL d’une décision (Seaboard Lumber Sales Company Ltd. c. M.R.N. (1992), 5 CTC 1378 (T.C.C.E.)) par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur a jugé que Porto Rico ne faisait pas partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé au paragraphe 4(1) de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre . Appel accueilli.
AVOCATS :
John B. Edmond pour la demanderesse.
Werner H. G. Heinrich pour la défenderesse.
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Koffman Birnie & Kalef, Vancouver, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Dubé : La demanderesse interjette appel, au nom du ministre du Revenu national (le ministre), d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal)[1], en vertu de l’article 18 de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre[2] (la Loi), qui incorpore par renvoi les articles 81.24 et 81.28 de la Loi sur la taxe d’accise[3].
1—Les faits
Le 30 décembre 1986, le Canada et les États-Unis ont signé un Mémorandum d’entente (le Mémorandum) portant sur l’exportation de certains produits de bois d’œuvre aux États-Unis. La Loi que le législateur fédéral a adoptée pour donner effet à ce Mémorandum a été sanctionnée le 28 mai 1987. À deux reprises au cours de l’année 1987, la défenderesse (Seaboard), une compagnie de la Colombie-Britannique, a exporté de la Colombie-Britannique au Commonwealth de Porto Rico des produits de bois d’œuvre qui faisaient partie d’une des catégories de produits figurant à la partie II de l’annexe de la Loi. Seaboard a payé au Receveur général du Canada des sommes de 263 290,36 $ et de 246 674,52 $ respectivement à titre de droits imposés par la Loi sur les produits de bois d’œuvre exportés aux États-Unis.
En 1989, Seaboard a demandé le remboursement des sommes susmentionnées au motif que le Commonwealth de Porto Rico ne faisait pas partie des « États-Unis » au sens de la Loi. Les demandes ont été rejetées. Seaboard s’est alors opposée [par avis d’opposition] au ministre et, par avis de décision daté du 28 février 1991, le ministre a confirmé ses décisions. L’appel interjeté par Seaboard devant le Tribunal a été accueilli le 8 septembre 1992 au motif que Porto Rico ne fait pas partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé au paragraphe 4(1) de la Loi.
2—La question en litige
Le ministre interjette appel de cette décision par voie de déclaration, conformément à la procédure prévue par les deux lois susmentionnées. L’instance—un nouveau procès[4]—a été entendue sur le fondement d’un exposé conjoint des faits. Le seul point litigieux se résume à la question de savoir si le Commonwealth de Porto Rico fait partie des « États-Unis » au sens où ce terme est employé au paragraphe 4(1) de la Loi.
3—Dispositions législatives
Voici quelques-unes des dispositions pertinentes de la Loi :
4. (1) Les produits de bois d’œuvre figurant à la partie II de l’annexe et exportés aux États-Unis après le 7 janvier 1987 sont assujettis à un droit calculé conformément à la présente loi.
…
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux produits de bois d’œuvre :
a) qui ne font que transiter aux États-Unis;
La Loi ne définit pas les « États-Unis ». Cependant, le Mémorandum définit dans les termes suivants les « États-Unis d’Amérique » : « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique et les zones franches situées sur le territoire des États-Unis d’Amérique ».
La dernière disposition dont il nous faut tenir compte est le paragraphe 2(3) de la Loi, qui dispose :
2. …
(3) Peut servir à l’interprétation de l’annexe le Mémorandum d’entente concernant le commerce de certains produits de bois d’œuvre résineux, signé par les gouvernements du Canada et des États-Unis le 30 décembre 1986.
4—Thèse du ministre
Le ministre prétend que Porto Rico fait partie des États-Unis pour l’application de la Loi. Il invoque principalement deux moyens à l’appui de sa thèse. Son premier moyen est fondé sur l’application des principes fondamentaux du droit international et son second, sur les principes d’interprétation de la Loi et sur la pertinence du Mémorandum en ce qui concerne la Loi.
Sur le premier moyen, le ministre fait valoir que les lois doivent être interprétées d’une manière qui ne soit pas incompatible avec la courtoisie internationale ou avec les règles établies du droit international. Les tribunaux devraient éviter de donner une interprétation qui donne lieu à une telle incompatibilité, à moins d’être forcés de le faire en raison du libellé clair et non ambigu de la loi[5]. Des textes obligatoires comme le Mémorandum peuvent être utilisés pour aider à lever des ambiguïtés, que ces textes soient ou non mentionnés dans la loi que l’on interprète[6]. Les traités ratifiés par les États-Unis s’appliquent à tous les territoires dont les relations extérieures relèvent du gouvernement des États-Unis, à moins que le traité ne prévoie expressément le contraire[7]. Or, il est acquis au débat que les États-Unis sont chargés des relations extérieures de Porto Rico[8].
Le ministre prétend en outre que l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31], auquel le Canada et les États-Unis sont des parties contractantes, renferme une définition qui prévoit que Porto Rico fait partie des États-Unis d’Amérique[9]. En outre, la zone économique exclusive revendiquée par les États-Unis comprend les 200 milles marins contigus à Porto Rico[10]. Les États-Unis ont compétence exclusive pour fixer des tarifs douaniers pour Porto Rico, et les contrôles frontaliers et douaniers sont effectués par des agents des États-Unis. Finalement, des textes obligatoires en droit international reconnaissent que Porto Rico fait partie des États-Unis sur le plan du commerce et des relations extérieures. En conséquence, le principe de conformité au droit international exige que l’on interprète la Loi de cette façon.
Sur le second moyen qu’il invoque au sujet du recours au Mémorandum, le ministre prétend que la Loi a été édictée pour donner effet au Mémorandum, qui renferme une définition qui prévoit que l’expression « territoire des « États-Unis d’Amérique » désigne « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique ». Aux termes des lois douanières des États-Unis, « le territoire douanier des États-Unis » comprend Porto Rico[11]. Ce fait est reconnu dans la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis (L.C. 1988, ch. 65) qui définit notamment comme suit le terme « territoire » :
b) dans le cas des États-Unis d’Amérique,
(i) le territoire douanier des États-Unis d’Amérique, lequel comprend les cinquante États, le District de Columbia et Porto Rico.
Suivant le ministre, comme le terme « États-Unis » n’est défini nulle part dans la Loi elle-même, on ne sait pas avec certitude de prime abord si le législateur voulait, en employant ce terme au paragraphe 4(1), que Porto Rico soit compris dans les États-Unis. Lorsque la législation interne n’est pas claire, on devrait examiner tout accord international sous-jacent pour lever toute équivoque. Il n’est pas nécessaire que la loi comporte une ambiguïté manifeste avant de pouvoir se référer au traité; l’existence de toute équivoque suffit[12]. En l’absence de disposition expresse dans la Loi qui permette de recourir au Mémorandum pour interpréter la Loi, il faut néanmoins recourir au Mémorandum pour lever toute équivoque au sujet de la portée du terme « États-Unis » au paragraphe 4(1) de la Loi. Or, le Mémorandum avait de toute évidence pour but que Porto Rico fasse partie des États-Unis pour l’application de l’accord sur l’exportation des produits de bois d’œuvre.
5—Thèse de Seaboard
Pour sa part, Seaboard soutient que le terme « États-Unis » n’est pas défini par la Loi qui, en tant que loi interne fédérale, est soumise à la Loi d’interprétation fédérale[13]. On trouve la définition suivante au paragraphe 35(1) de cette Loi : « « États-Unis » Les États-Unis d’Amérique ». Faute de définition dans la loi elle-même, il faut donner aux mots de la loi leur sens ordinaire et courant[14]. Selon les dictionnaires généraux, le terme « États-Unis » désigne normalement une entité politique comprenant uniquement les 50 États et le District de Columbia, alors que « Porto Rico » est défini comme étant un territoire des États-Unis qui est un commonwealth autonome[15].
Seaboard prétend que, suivant la définition que les tribunaux anglais lui ont donné, le terme « États-Unis » désigne le territoire continental des États-Unis d’Amérique qui comprend les 48 (maintenant 50) États[16]. En outre, dans une décision canadienne récente, à savoir l’arrêt Old HW-GW Ltd. c. Canada[17], la Cour d’appel fédérale a conclu que Porto Rico ne fait pas partie des « États-Unis », faute de définition législative à cet effet.
Seaboard prétend que les règles d’interprétation des lois empêchent de conclure que Porto Rico fait partie des États-Unis pour l’application du paragraphe 4(1) de la Loi. Lorsque le législateur fédéral a voulu étendre le sens ordinaire du terme « États-Unis » pour préciser que Porto Rico fait partie des États-Unis, il l’a fait. Plusieurs lois et traités fiscaux démontrent l’empressement du législateur fédéral à prévoir une définition élargie du terme « États-Unis » lorsqu’il juge opportun de le faire[18]. Le fait qu’une telle définition élargie n’ait pas été retenue dans la Loi amène à conclure que l’interprétation soutenue par la Couronne n’est pas justifiée[19].
En outre, selon un principe d’interprétation des lois, on ne peut enlever à un citoyen ses droits de propriété faute de texte législatif clair[20]. Si, en interprétant le terme « États-Unis », on conclut que la portée de ce terme est incertaine, le principe d’interprétation applicable prévoit que l’équivoque ou l’ambiguïté doit être levée en faveur du contribuable[21].
Seaboard prétend également qu’en droit américain, Porto Rico ne fait pas partie des États-Unis. Dans une décision de 1901, la Cour suprême des États-Unis a statué que le traité par lequel l’Espagne avait cédé Porto Rico et d’autres territoires aux États-Unis n’avait pas eu pour effet d’incorporer Porto Rico dans les États-Unis[22]. La Cour suprême des États-Unis a également conclu, en 1922, que le droit constitutionnel à un procès avec jury ne s’étendait pas aux résidents de Porto Rico[23].
Quant au Mémorandum, Seaboard prétend que la définition élargie de l’expression « États-Unis d’Amérique » qu’il contient ne s’applique pas au terme « États-Unis » que l’on trouve au paragraphe 4(1) de la Loi. Le paragraphe 2(3) de la Loi restreint expressément à l’interprétation de l’annexe de la Loi le recours au Mémorandum comme aide à l’interprétation, et l’annexe précise simplement les produits de bois d’œuvre qui sont assujettis au droit prévu par la Loi. Une comparaison des produits énumérés à l’annexe et de ceux qui figurent dans le Mémorandum démontre que l’annexe a une portée moins large que le Mémorandum. Le renvoi que le paragraphe 2(3) fait au Mémorandum a donc pour but de permettre au ministre de se reporter à la définition plus large des produits exportés qui y sont énumérés, dans le but d’imposer une taxe. Si le législateur fédéral avait voulu incorporer la définition que le Mémorandum donne de l’expression « États-Unis d’Amérique », il l’aurait fait, et il aurait employé les mots « pour interpréter la Loi et l’annexe[24].
Finalement, Seaboard fait valoir que le Mémorandum n’a été ratifié ni par le Parlement du Canada ni par le Sénat des États-Unis. Il ne remplit donc pas les conditions requises pour être considéré comme un traité, au libellé duquel on peut recourir pour interpréter une loi interne. Quant aux autres accords internationaux qui lient le Canada, et qui prévoient que Porto Rico fait partie des « États-Unis », ils ne sont pas pertinents à l’interprétation de la Loi.
6—Analyse
À mon avis, pour trancher la présente affaire, il faut se prononcer en premier lieu sur la pertinence de l’arrêt Old HW-GW susmentionné, en deuxième lieu sur le degré d’ambiguïté requis pour justifier le recours à un accord international pour interpréter une loi interne selon l’arrêt National Corn Growers de la Cour suprême du Canada[25], en troisième lieu, sur la question connexe de savoir si le Mémorandum est un accord international auquel cette décision est applicable et, finalement, sur l’incidence du paragraphe 2(3) de la Loi sur le recours au Mémorandum.
a) L’arrêt Old HW-GW
Après avoir procédé à un examen minutieux, j’en suis venu à la conclusion que cet arrêt de la Cour d’appel fédérale nous est de peu de secours pour trancher le présent appel. Cette affaire portait sur l’interprétation de l’expression « stimulant à l’exportation » employée dans le Règlement de l’impôt sur le revenu [C.R.C., ch. 945]. Dans la décision frappée d’appel[26], le juge Strayer a examiné le statut de Porto Rico vis-à-vis des États-Unis pour déterminer si une exemption d’impôt accordée en vertu de la loi de Porto Rico constituait une exemption visant à encourager les placements au sens du paragraphe 5907(10) du Règlement de l’impôt sur le revenu—auquel cas le revenu imposable de la compagnie appelante serait diminué—ou si elle constituait un « stimulant à l’exportation »—auquel cas la demanderesse ne bénéficierait pas d’une déduction.
L’arrêt infirmant la décision du juge Strayer[27] reposait exclusivement sur des moyens qui n’avaient pas été invoqués devant lui et qui ne concernaient que l’interprétation du Règlement de l’impôt sur le revenu lui-même et non d’autres textes. La Cour d’appel fédérale a conclu que Porto Rico était distinct des États-Unis pour l’application du règlement en litige.
Ayant tiré cette conclusion, la Cour a examiné la valeur probante du certificat délivré en vertu de la Loi sur l’immunité des États[28]. Ce certificat, qui avait été produit devant le juge Strayer, attestait que Porto Rico est une subdivision politique des États-Unis. La Cour a conclu qu’il était douteux qu’un tel certificat « puisse être interprété comme touchant des questions telles que celles de l’espèce qui sont de nature fiscale plutôt que de nature politique » et elle a fait remarquer (à la page 369) :
… que la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en vigueur à cette époque, ainsi que celle de 1980, prévoyait expressément que l’expression « États-Unis » ne comprenait pas Porto Rico.
Dans une affaire parallèle, le Tribunal canadien du commerce extérieur a, dans sa décision Seaboard Lumber Sales Co. v. M.N.R. (1992), 5 T.C.T. 1378, statué que les mots « exportés aux États-Unis » figurant [dans la Loi] … ne comprenait pas Porto Rico, et il a souligné que des textes de loi connexes définissent explicitement les « États-Unis » comme comprenant Porto Rico.
Je n’interprète pas le fait que la Cour ait mentionné la décision du Tribunal présentement frappée d’appel comme signifiant que la Cour considérait de ce fait cette décision comme un précédent appuyant un principe général d’interprétation. La Cour n’a pas fondé sa conclusion sur cette décision ou analysé ou retenu sa conclusion, mais en a simplement fait mention à titre de remarque incidente. Il est évident que le contexte législatif de l’affaire Old HW-GW était très différent du présent contexte. On ne demandait pas à la Cour de se prononcer sur des questions analogues à celles qui me sont soumises, comme celle de savoir si l’on peut recourir à des accords internationaux, et la Cour ne s’est pas penchée sur de telles questions.
b) L’arrêt National Corn Growers
Dans cet arrêt de la Cour suprême, il y avait un lien entre la loi interne en question et la convention internationale à laquelle le Tribunal canadien des importations s’était référé. La question soumise à la Cour suprême portait sur la mesure précise dans laquelle on pouvait avoir recours à cette convention pour interpréter la loi.
Le juge Gonthier, qui s’exprimait au nom de la majorité, a fait remarquer (aux pages 1371 et 1372) que non seulement il était raisonnable de se référer à une convention internationale sous-jacente pour lever toute équivoque dans la loi nationale, mais que
… il est raisonnable de se référer à une convention internationale dès l’ouverture de l’enquête pour déterminer si la loi nationale renferme une ambiguïté, fût-elle latente … Comme le dit I. Brownlie, à la p. 51 de Principles of Public International Law (3e éd. 1979) :
[traduction] S’il est permis d’avoir recours à la convention conformément au principe correct suivant lequel la loi est destinée à assurer l’application de cette convention, alors il s’ensuit que celle-ci devient une aide légitime à l’interprétation et, plus particulièrement, qu’elle peut faire ressortir une ambiguïté latente dans le texte de la loi, même si cette dernière est « claire en soi ». D’autre part, le principe ou la présomption voulant que Sa Majesté n’ait pas l’intention de violer un traité international doit comporter comme corollaire que le texte de l’instrument international représente une source principale du sens ou de « l’interprétation ». [C’est moi qui souligne.]
La majorité a conclu (à la page 1372) que :
… il n’est pas nécessaire de trouver une ambiguïté manifeste avant de pouvoir se référer à la convention. Comme l’ambiguïté latente doit découler de facteurs extrinsèques au texte à interpréter, on peut, ainsi que je viens de l’indiquer, se servir d’une telle convention internationale au stade préliminaire où il s’agit de déterminer s’il existe une ambiguïté.
En l’espèce, je suis convaincu que la Loi comporte une ambiguïté latente en ce qui concerne la portée du terme « États-Unis » à l’article 4. À mon avis, cette ambiguïté découle du fait que différentes coutumes, lois et conventions commerciales et fiscales ont défini différemment ce terme, de sorte que l’absence de définition dans une loi connexe, comme la Loi qui nous occupe en l’espèce, exige que l’on donne des éclaircissements.
c) Application au Mémorandum
Dans l’affaire National Corn Growers, tout comme dans la présente affaire, il n’était pas contesté que la loi interne avait été édictée pour mettre en œuvre l’accord international. Il n’est pas utile dans le cadre du présent débat d’analyser où le Mémorandum se situe dans la hiérarchie des accords internationaux. Il constitue incontestablement, selon moi, un accord international sous-jacent mis en œuvre par une loi fédérale au sens de l’arrêt National Corn Growers. Il s’ensuit qu’il est raisonnable et approprié d’avoir recours au libellé du Mémorandum pour lever l’ambiguïté que comporte la Loi.
d) Incidence du paragraphe 2(3) de la Loi
Malgré sa conclusion que l’arrêt National Corn Growers s’appliquait à l’affaire dont il était saisi, le Tribunal s’est néanmoins dit d’avis en l’espèce que [à la page 1382] [traduction] « le libellé du paragraphe 2(3) est clair et sans ambiguïté quant au fait que [le Mémorandum] peut servir à l’interprétation de l’annexe, et non de la Loi toute entière ».
Après un examen minutieux, je suis convaincu que le libellé du paragraphe 2(3) n’a pas l’effet limitatif que lui a attribué le Tribunal. Ainsi que Seaboard elle-même le laisse entendre, le fait que la disposition mentionne expressément que le Mémorandum peut servir à l’interprétation de la Loi semble se rapporter aux distinctions qui existent effectivement entre les deux textes qui peuvent avoir une incidence sur la décision de savoir quels sont précisément les produits qui sont visés par l’annexe aux fins de l’imposition du droit.
Le simple fait que le paragraphe 2(3) de la Loi permette expressément de recourir au Mémorandum pour interpréter ou compléter le texte de l’annexe moins exhaustive n’empêche pas d’avoir recours au Mémorandum pour lever les ambiguïtés latentes que l’on décèle dans la Loi. En d’autres termes, je ne crois pas que les deux recours s’excluent l’un l’autre. Bien qu’il eût été préférable que le législateur fédéral définisse les « États-Unis » dans la Loi, compte tenu de la présomption de compatibilité entre les accords internationaux et les lois destinées à les mettre en œuvre, il est incontestable que le législateur voulait que le terme « États-Unis » contenu dans la Loi ait la même portée que celle qu’il avait dans la définition du Mémorandum.
En conséquence, l’appel est accueilli, et la Cour conclut que Porto Rico fait partie des « États-Unis », au sens du paragraphe 4(1) de la Loi.
L’appel de la demanderesse est accueilli, avec dépens, et les décisions du ministre du Revenu national sont rétablies.
[1] [Seaboard Lumber Sales Company Ltd. c. M.R.N.] (1992), 5 TCT 1378.
[2] L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 12.
[3] L.R.C. (1985), ch. E-15 [art. 81.24 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 81.28 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52)].
[4] Cie des chemins de fer nationaux du Canada et Canadien Pacifique Ltée c. Canada (1993), 62 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.).
[5] Maxwell on the Interpretation of Statutes (12e éd., 1969), à la p. 183; Bloxam v. Favre (1883), 8 P.D. 101 (H.C.J.); confirmé par (1884), 9 P.D. 130 (C.A.).
[6] Salomon v. Comrs. of Customs and Excise, [1967] 2 Q.B. 116 (C.A.), à la p. 141.
[7] Digest of International Law, Vol. 14, U.S. G.P.O. (1970), à la p. 49.
[8] Ibid., à la p. 397.
[9] Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Instruments de base et documents divers, 16e suppl. (1969), à la p. 6.
[10] Encyclopedia of Public International Law, Vol. 12 (1990), à la p. 389.
[11] Par ex. General Note 2, Harmonized Tariff Schedule of the United States (1991), Supplement 1.
[12] National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, aux p. 1371 et 1372.
[13] L.R.C. (1985), ch. I-21.
[14] Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (1983), à la p. 3; Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655 (C.A.), à la p. 662; British Columbia Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 26 (C.A.F.), à la p. 31; Extendicare Health Services Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1987] 3 C.F. 622 (1re inst.), aux p. 628 et 629.
[15] Houghton Mifflin Canadian Dictionary of the English Language (1980); Random House Dictionary of the English Language (2e éd., 1987).
[16] Stafford Allen & Sons, Ltd. v. Pacific Steam Navigation Co., [1956] 2 All E.R. 716 (C.A.).
[17] [1993] 1 C.T.C. 363 (C.A.F.); infirmant [1991] 1 C.T.C. 460 (C.F. 1re inst.).
[18] Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 19(5)(e) [édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 133]; Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 2 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 66); Loi sur l’importation de la viande, L.R.C. (1985), ch. M-3, art. 4.1 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 140); Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce; Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, S.C. 1984, ch. 20; Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65.
[19] Income Tax Special Purposes Commissioners v. Pemsel, [1891-1894] All E.R. Rep. 28 (H.L.), à la p. 39, Driedger, précité, note 14, à la p. 119; Old HW-GW Ltd. c. Canada, précité, note 17.
[20] Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493.
[21] Johns-Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46, à la p. 72.
[22] Downes v. Bidwell, 182 U.S. 244 (1901).
[23] Balzac v. People of Porto Rico, 258 U.S. 298 (1922).
[24] Tahsis Company Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 269 (1re inst.), à la p. 273.
[25] Précité, note 12.
[26] Précitée, note 17.
[27] Précité, note 17.
[28] L.R.C. (1985), ch. S-18, art. 14(1)b).