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[1994] 2 .C.F 680

A-362-93

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

William R. Phillips (intimé)

Répertorié : M.R.N. c. Phillips (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Linden et Robertson, J.C.A.—Winnipeg, 9 février; Ottawa, 14 mars 1994.

Impôt sur le revenu — Calcul de l’impôt — Appel à l’encontre d’une décision d’un juge de la Section de première instance, qui a rejeté l’appel interjeté à l’encontre d’une décision de la C.C.I. qui avait conclu que n’était pas imposable le montant de 10 000 $ que le contribuable, en déménageant de Moncton à Winnipeg, avait reçu de son employeur en compensation du prix plus élevé du logement à Winnipeg — Paiement effectué conformément à une entente entre l’employeur et les syndicats après l’annonce de la fermeture des ateliers du CN à Moncton — L’art. 6(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu inclut la valeur des autres avantages de quelque nature que ce soit qu’il a reçus en vertu d’un emploi — Le juge de première instance a conclu que le paiement n’était pas un avantage, mais un remboursement de dépenses attribuables à un emploi — Puisque l’entente exige du contribuable qu’il continue à travailler pour le CN, le paiement a été reçu à titre d’employé — Revue de la jurisprudence sur l’imposition des avantages, des allocations — Paiement conférant un avantage économique puisqu’il permet au contribuable d’acquérir un bien d’une plus grande valeur.

Il s’agit d’un appel d’une décision d’un juge de la Section de première instance, qui a rejeté l’appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui avait conclu que n’était pas imposable le montant de 10 000 $ que l’employé, en déménageant de Moncton à Winnipeg, avait reçu de son employeur en compensation du prix plus élevé du logement à Winnipeg. L’intimé était employé par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) dans les ateliers de Moncton lorsque le CN a annoncé qu’ils fermeraient au cours de 1987. Une entente a été conclue entre le CN et les divers syndicats concernés en vertu de laquelle soixante nouveaux postes étaient créés à Winnipeg et prévoyait un paiement de réinstallation de 10 000 $ pour les employés qui : a) possédaient une maison à Moncton; b) étaient mutés de Moncton à Winnipeg; c) vendaient leur maison à Moncton; d) achetaient une maison à Winnipeg; et e) se présentaient au travail à Winnipeg. L’intimé a vendu sa maison à Moncton et la même année, il s’est porté acquéreur d’une maison à Winnipeg pour 28 000 $ de plus. L’intimé avait satisfait aux conditions de l’entente et il a reçu la somme de 10 000 $. L’alinéa 6(1)a) inclut dans le revenu d’emploi « la valeur … [des] autres avantages de quelque nature que ce soit qu’il a reçus ou dont il a joui … dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi ». L’alinéa 6(1)b) inclut toutes les sommes reçues à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance. Le juge de première instance a conclu que ce montant de 10 000 $ n’était pas imposable en vertu des alinéas 6(1)a) ou 6(1)b). Il a rejeté l’argument qu’il s’agissait d’une allocation imposable et a qualifié le paiement de dédommagement partiel par rapport aux dépenses attribuables à un emploi.

La question principale est de savoir si un employé qui a fait l’objet d’une réinstallation est tenu d’inclure, à titre de « revenu tiré d’un emploi », une somme que son employeur lui a versée pour compenser le prix plus élevé d’un logement au nouveau lieu de travail. Pour y répondre, il faut déterminer si l’intimé a reçu la somme à titre d’employé, et si ce paiement de 10 000 $ constituait un remboursement non imposable de dépenses attribuables au travail et s’il conférait un avantage économique à l’intimé.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Le juge Robertson, J.C.A. (Le juge Stone, J.C.A., souscrivant à ces motifs) : L’intimé a reçu la somme de 10 000 $ à titre d’employé. Un avantage économique reçu par un employé de son employeur sera réputé un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a), sauf si l’employé peut établir que le paiement n’était pas un avantage en vertu d’un emploi, mais un paiement sur une base personnelle. Compte tenu du libellé de l’entente conclue entre le CN et l’intimé, le paiement de 10 000 $ ne peut de toute évidence être qualifié de don ou de prêt. On doit examiner un contrat accessoire dans le contexte d’une relation d’emploi pour déterminer si une personne a reçu un paiement sur une base personnelle ou à titre d’employé. Le fait que les parties ont choisi après la conclusion de l’entente de procéder à une modification, assortie d’une contrepartie, ne porte aucunement atteinte à la relation d’emploi, mais facilite l’emploi permanent des employés. Puisque l’entente conclue entre le CN et l’intimé prévoyait notamment que l’intimé continuait de travailler pour le CN, l’intimé a reçu cette somme à titre d’employé. Bien que l’on puisse examiner par rapport à l’intention de l’employeur ou à l’objet du paiement si un paiement constitue un don, un prêt ou résulte de considérations n’ayant rien à voir avec la relation d’emploi, la motivation du CN lorsqu’il a effectué le paiement n’était pas le facteur déterminant. Le CN, en concluant l’entente en question avec l’intimé, avait comme motif un désir de fournir une solution mutuellement acceptable à un conflit de travail. Les négociations ouvrières et les régimes de versement d’indemnité de réinstallation font, de nos jours, partie intégrante des relations employeur-employé, notamment dans les conditions économiques actuelles où la réduction des effectifs est devenue monnaie courante.

L’arrêt Ransom v. Minister of National Revenue établit ce qui suit : lorsqu’un employeur rembourse un employé de la perte qu’il subit en vendant sa maison à la suite d’une mutation, le montant en cause n’est pas imposable s’il représente la perte réelle. Les programmes d’indemnité de réinstallation ont pour but de compenser deux types de répercussions financières découlant de la réinstallation d’employés : premièrement, la perte subie par l’employé au titre de la vente de sa maison et deuxièmement, les dépenses engagées pour l’achat d’une nouvelle propriété. Un employé peut subir deux types de perte lorsqu’il vend sa maison : une perte en capital et une perte au titre de la libération d’une hypothèque dont le taux d’intérêt est inférieur au taux en vigueur. Il est nécessaire d’établir une distinction entre ces pertes et les dépenses liées à la conclusion d’un nouveau contrat hypothécaire, assorti d’un taux d’intérêt plus élevé qu’auparavant et dont le principal reflète le prix plus élevé d’un logement au nouveau lieu de travail. C’est l’affaire La Reine c. Splane qui régit les principes du traitement fiscal de l’indemnité versée seulement lorsqu’il y a perte d’un taux hypothécaire favorable par suite de la vente d’une maison. Il est raisonnable de déduire que la Cour, dans l’arrêt Splane, devait se prononcer sur une perte en capital comme celle dont il est question dans l’affaire Ransom, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

La règle établie dans Ransom n’est pas applicable dans un dossier portant sur une dépense pour l’achat d’une nouvelle maison par opposition à une perte en capital. Cette interprétation s’impose en raison de l’arrêt Savage de la Cour suprême du Canada, du concept de l’équité fiscale sous-jacent de l’article 6 et de l’économie de la Loi dans son ensemble. L’article 6 de la Loi cherche à restreindre l’évitement fiscal dans le cas de l’octroi d’indemnités monétaires ou autre, non incluses dans le traitement ou salaire. Il assure aussi que les employés qui reçoivent une indemnité en espèces soient sur un pied d’égalité avec ceux dont l’indemnité en espèces ne représente qu’une partie de ce qui est reçu. Deux employés qui accomplissent le même travail pour le même employeur devraient recevoir le même traitement fiscal pour ce qui est de leur emploi. C’est le véritable fondement de la décision Ransom et la raison pour laquelle ne devrait pas être imposable l’indemnité de réinstallation destinée à compenser la perte au titre de la vente de la maison du contribuable, alors que l’indemnité destinée à compenser les dépenses engagées aux fins de l’achat de la nouvelle maison l’est. L’indemnité représentait un accroissement salarial provisoire non offert à tous les employés. L’intimé a obtenu un avantage par rapport à ses collègues qui habitent dans la collectivité où les prix du logement sont plus élevés.

Dans l’arrêt R. c. Savage, la Cour suprême a reconnu qu’un avantage imposable doit être conféré au contribuable à titre d’employé. Elle a toutefois rejeté l’affirmation portant qu’une personne ne reçoit un paiement en sa qualité d’employé que lorsqu’il s’agit d’une rémunération pour des services rendus. L’arrêt R. c. Savage n’a pas en soi écarté la règle formulée dans Ransom. En effet, la Cour suprême a seulement écarté l’application de la décision Ransom relativement à sa conclusion que des avantages imposables doivent avoir été reçus en contrepartie de services fournis par l’employé. Bien que la Loi ait subi d’importantes révisions depuis la décision Ransom, aucune de ces révisions ne vient contredire l’application de la règle formulée dans Ransom. Par ailleurs, la Cour d’appel a appliqué la décision Ransom à plusieurs reprises. Cette décision est devenue tellement associée à notre conception des avantages imposables qu’il appartient à la Cour suprême ou au législateur d’en écarter la logique.

L’élargissement du principe formulé dans Ransom comme mécanisme intérimaire de péréquation au titre du coût de la vie pourrait également contrecarrer l’effet d’autres dispositions de la Loi; cependant, le motif peut-être le plus convaincant pour ne pas élargir l’application de la règle formulée dans Ransom est le suivant : l’élargissement de cette règle aurait pour effet de rendre non imposables toute une série de dépenses, comme par exemple celle de nouvelles voitures ou de nouveaux appareils, effectuées dans des provinces où le coût de la vie est plus élevé. Le paiement de 10 000 $ est un avantage imposable, sauf si l’intimé peut convaincre notre Cour que ce paiement ne lui a pas conféré un avantage économique. L’« avantage économique » ne peut être évalué en fonction de critères subjectifs et l’imposition des avantages ne peut être établie en fonction de la perception de chaque contribuable. Le paiement de 10 000 $ a permis à l’intimé d’acquérir un bien d’une plus grande valeur, il s’agissait d’un avantage économique.

Le juge Linden, J.C.A. : Il n’est pas nécessaire en l’espèce de chercher à circonscrire la portée de l’arrêt La Reine c. Splane. Il n’est pas nécessaire pour trancher le présent appel de soutenir qu’il devrait y avoir une différence entre le traitement des paiements d’intérêts accrus en raison d’un accroissement des taux d’intérêt et des paiements d’intérêts accrus en raison d’un accroissement du principal du prêt hypothécaire. Cette question précise n’a pas été soulevée devant notre Cour, ni d’ailleurs dans l’arrêt Splane. Ce domaine du droit est si confus que les tribunaux devraient faire preuve de circonspection à cet égard, et ne prendre des décisions que dans les affaires dont ils sont saisis. Ils doivent se garder d’imposer l’uniformité absolue là où elle n’existe pas. En matière d’avantages et d’allocations, la loi paraît favoriser certains types de dépenses par rapport à d’autres. En dépit de cela, il est préférable que ce soit le législateur qui prenne les décisions en matière de politique fiscale, plutôt que les tribunaux.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 5(1), 6(1)a) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1), b), (3)c), 62 (mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 27; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 31; 1984, ch. 45, art. 21; 1985, ch. 45, art. 26), 80.4 (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 35; mod. par 1980-81-82-83, ch. 140, art. 44; 1984, ch. 45, art. 25; 1985, ch. 45, art. 38; 1986, ch. 6, art. 40), 110(1)j) (édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 55; mod. par 1987, ch. 46, art. 38), 110.7 (édicté par S.C. 1986, ch. 55, art. 33).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; [1983] CTC 393; (1983), 83 DTC 5409; 50 N.R. 321; Greisinger (E.) c. M.R.N., [1986] 2 C.T.C. 2441; (1986), 86 DTC 1802 (C.C.I.); Cutmore (R. H.) et autres c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2230; (1986), 86 DTC 1146 (C.C.I.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

McNeill c. Canada, [1987] 1 C.F. 119; [1986] 2 C.T.C. 352; (1986), 86 DTC 6477; 5 F.T.R. 133 (1re inst.); Segall (S.) c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 364; (1986), 86 DTC 6486 (C.F. 1re inst.); Ransom, Cyril John v. Minister of National Revenue, [1968] 1 R.C.É. 293; [1967] CTC 346; (1967), 67 DTC 5235; La Reine c. Splane, R. O. J. (1991), 92 DTC 6021 (C.A.F.); conf. (1990), 90 DTC 6442 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

La Reine c. Lao, V. (1993), 93 DTC 5251 (C.F. 1re inst.); conf. (1990), 91 DTC 330 (C.C.I.); La succession Phaneuf c. R., [1978] 2 C.F. 564; [1978] CTC 21; (1977), 78 DTC 6001 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d) 389; 9 C.C.C. (2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329 (C.A.); Blanchard (E. J.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 403; (1992), 92 DTC 6585 (C.F. 1re inst.); Sheldon, G. K. c. Ministre du Revenu national (1988), 88 DTC 1392 (C.C.I.); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; [1984] CTC 294; (1984), 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); Huffman (G. R.) c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 132; (1990), 90 DTC 6405 (C.A.F.); conf. [1989] 1 C.T.C. 32; (1988), 89 DTC 5006 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Bradley, J. D. « Measuring Employee Benefits » in Canadian Tax Foundation. Report of Proceedings of the Forty-Third Tax Conference. Canadian Tax Foundation, 1991.

Canada. Groupe de travail sur l’indemnisation fiscale des localités isolées et du Nord. Rapport du Groupe de travail sur l’indemnisation fiscale des localités isolées et du Nord. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1989.

Canada. Royal Commission on Taxation. Specific Types of Personal Income (Study No. 16) by Sherbaniuk, D. Ottawa : Queen’s Printer, 1967.

Hansen, B. G. « The Taxation of Employees » in Hansen, B. G. et al. eds. Canadian Taxation. Toronto : De Boo, 1981.

Krishna, V. « Employee Benefits » (1984), 1 :2 Can. Curr. Tax C 7.

Krishna, V. « Taxation of Employee Benefits » (1986), 1 :35 Can. Curr. Tax C 173.

Thomas, R. B. « Some Benefit! » (1988), 36 Can. Tax J. 398.

Thomas, R. B. and T. E. McDonnell. « A Hole That You Could Drive a Moving Van Through » (1990), 38 Can. Tax J. 937.

APPEL contre une décision de la Section de première instance (La Reine c. Phillips, W. R. (1993), 93 DTC 5247 (C.F. 1re inst.); conf. Phillips, W. R. c. Ministre du Revenu national (1990), 90 DTC 1274 (C.C.I.)) qui avait rejeté l’appel de l’appelant contre une décision de la Cour canadienne de l’impôt. Appel accueilli.

AVOCATS :

Donald G. Gibson et Henry A. Gluch pour l’appelante.

Joel A. Weinstein et Anita R. Wortzman pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winnipeg, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis d’accord avec la décision à laquelle arrive mon collègue le juge Robertson ainsi qu’avec la majeure partie de son raisonnement. Toutefois, il y a quelques points sur lesquels je ne suis pas d’accord et, j’estime nécessaire de faire des commentaires sur quelques-uns de ceux-ci.

Tout particulièrement, en tant que juge ayant siégé dans l’arrêt La Reine c. Splane R. O. J.[1], j’estime qu’il m’appartient d’affirmer qu’il n’existe aucun motif en l’espèce, à titre d’exemple hypothétique, de chercher à en circonscrire la portée. Il s’agit ici d’un paiement de réinstallation, au comptant, de l’ordre de 10 000 $ qui a servi à l’achat d’une maison, alors que dans l’arrêt Splane la question touchait le remboursement de paiements d’intérêts hypothécaires auxquels avait donné lieu la réinstallation. Il n’est pas nécessaire pour trancher le présent appel de soutenir qu’il devrait y avoir une différence entre le traitement des paiements d’intérêts accrus en raison d’un accroissement des taux d’intérêt et des paiements d’intérêts accrus en raison d’un accroissement du principal du prêt hypothécaire. Cette question précise n’a pas été soulevée devant notre Cour, ni d’ailleurs dans l’arrêt Splane. Puisque cette question pourrait bien nous être soumise dans l’avenir, j’estime qu’il ne convient pas d’essayer de trancher prématurément cette question.

Ce domaine du droit, tant la loi que la jurisprudence, est si confus et si contradictoire que les tribunaux devraient faire preuve de circonspection à cet égard, et ne prendre des décisions que dans les affaires dont ils sont saisis. Bien que j’appuie certainement tous les efforts déployés pour uniformiser la jurisprudence dans ce domaine, nous devons nous garder d’imposer l’uniformité absolue là où elle n’existe pas et là où elle ne peut être réalisée, tout au moins par les tribunaux. La raison de ces contradictions n’est pas attribuable à une défaillance des tribunaux; c’est plutôt le législateur qui n’apporte pas une solution uniforme à ces questions complexes et subtiles d’avantages et d’allocations. La loi paraît favoriser certains types de dépenses par rapport à d’autres, et certains groupes, comme les législateurs et les diplomates, par rapport à d’autres, comme les travailleurs des chemins de fer et les employés de sociétés. En dépit de cela, il est préférable que ce soit le législateur qui prenne les décisions en matière de politique fiscale, plutôt que les tribunaux, sauf dans les cas où ceux-ci sont tenus de le faire.

En outre, à mon avis, il n’y a rien de mal à « mettre sur pied des programmes de versement d’indemnités non imposables à l’intention des employés qui doivent être mutés dans des villes où le coût de la vie est de beaucoup plus élevé », dans la mesure où le tout est fait légalement.

Il y a deux points à signaler. Premièrement, la planification fiscale est un sujet qui intéresse certains des meilleurs juristes au pays. Bien qu’on puisse souhaiter que chaque dollar reçu par un contribuable soit imposable, ce n’est pas le propre de notre régime fiscal (ou du moins pas encore). Une personne peut encore au Canada recevoir quelque chose, sans devoir payer un impôt sur sa valeur. Alors, si un employeur est en mesure d’aider à la réinstallation d’un employé et à structurer légalement cette aide de façon à éviter ou à minimiser l’imposition, cela est parfaitement acceptable.

Deuxièmement, il faut encourager et non restreindre la mobilité des employés, notamment vers les régions où des débouchés existent. C’est pourquoi la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] prévoit des exemptions spécifiques de certains des coûts de réinstallation. Malheureusement, la Loi renferme certaines lacunes et ses dispositions, compte tenu de leur généralité, sont de peu d’utilité dans des cas comme en l’espèce. Il appartient aux tribunaux de combler ces lacunes, d’une façon compatible avec la loi et avec nos décisions antérieures, mais seulement dans les cas où nous sommes tenus de le faire. Notre mandat n’englobe pas l’établissement de politiques fiscales. En conséquence, nous devrions éviter de trancher des questions qui n’ont pas besoin de l’être; nous devrions laisser au législateur le soin de les résoudre.

J’aimerais également soulever l’évasive question de ce qui est la « valeur de l’avantage » imposée en l’espèce. Les avocats des deux parties reconnaissent que c’est le montant de 8 500 $ qui figure sur le feuillet de renseignements T4 préparé par le CN qui est contesté en l’espèce. En réfléchissant à ce dossier, je n’ai pu m’empêcher de me demander pourquoi l’on n’impose pas le plein montant de 10 000 $. L’impôt devrait-il porter sur la valeur accrue de la propriété compte tenu de la contribution de 10 000 $ versée lors de la signature de l’acte de vente (peut-être un autre chiffre)? Ou encore faudrait-il imposer la valeur proportionnelle accrue à la fin de l’année? Qu’arrive-t-il si la valeur de la propriété est inférieure à la fin de l’année, ce qui est fort probable de nos jours? Le chiffre de 8 500 $ établi par le CN représente-t-il une évaluation honnête de la valeur réduite des 10 000 $ par rapport au prix d’achat à la fin de l’année? Est-ce seulement un chiffre arbitraire? En fait, quel montant le CN a-t-il déduit de son revenu : 8 500 $, 10 000 $ ou un autre montant? Ce sont toutes des questions qui, quoique difficiles à résoudre, devront être examinées dans d’autres dossiers, puisqu’en vertu de l’alinéa 6(1)a) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1] ce n’est pas le montant qui est imposé (comme dans l’alinéa 6(1)b)), mais la « valeur de l’avantage », ce qui peut être assez différent. Nous ne pouvons ni ne devons trancher ces questions maintenant; il appartiendra au législateur de le faire ou aux tribunaux dans des dossiers futurs; cependant, on ne peut faire autrement que se demander si l’on doit laisser aux employeurs la tâche de fixer unilatéralement le chiffre avec le consentement des parties, comme cela paraît être le cas en l’espèce.

Enfin, il me semble que le législateur a décidé d’accorder un traitement différent aux frais de subsistance et aux frais de logement et de repas dans les cas suivants : lorsque l’employé travaille à un endroit, lorsqu’il doit se déplacer pour son travail ou lorsqu’il doit déménager pour son travail. Le législateur a mis sur pied un régime complexe, mais non exhaustif, qui prévoit certaines choses, mais pas d’autres. Il serait préférable que le législateur prévoie spécifiquement dans la Loi ce qui se passe dans des situations comme en l’espèce ou dans d’autres cas non prévus, ou qu’il les en exclue spécifiquement pour que les tribunaux n’aient pas à deviner l’intention du législateur à partir de généralités qui ne sont pas d’une très grande utilité.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’une décision d’un juge de la Section de première instance [(1993), 93 DTC 5247], qui a rejeté l’appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt. La question principale est de savoir si un employé qui a fait l’objet d’une réinstallation est tenu d’inclure, à titre de « revenu tiré d’un emploi », une somme que son employeur lui a versée pour compenser le prix plus élevé d’un logement au nouveau lieu de travail.

Dans une décision en date du 25 janvier 1990, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que n’était pas imposable le montant de 10 000 $ que l’employé, en déménageant de Moncton à Winnipeg, avait reçu de son employeur en compensation du prix plus élevé du logement à Winnipeg ((1990), 90 DTC 1274). En appel, dans le cadre d’un procès de novo, le juge de la Section de première instance est arrivé à la même conclusion en qualifiant le paiement de remboursement non imposable de dépenses attribuables au travail de l’employé ((1993), 93 DTC 5247). Devant notre Cour, l’appelante a fait valoir que cette somme de 10 000 $ correspond à un subside à l’habitation ou à une allocation pour le coût de la vie et qu’elle est en conséquence imposable à titre d’« avantage » ou d’« allocation » en vertu des alinéas 6(1)a ) ou 6(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, et modifications (la Loi).

Avec égards pour le juge de la Section de première instance, je ne peux souscrire à la façon dont il qualifie en droit la somme en question. À mon avis, le paiement de cette somme de 10 000 $ n’a pas rétabli l’intimé dans sa situation financière antérieure, mais a plutôt accru sa valeur nette de 10 000 $. Dans l’analyse qui suit, j’arrive à la conclusion que la somme en question ne satisfait pas aux paramètres juridiques applicables aux avantages non imposables, qui ont été formulés dans les arrêts suivants : R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; Ransom, Cyril John v. Minister of National Revenue, [1968] 1 R.C.É. 293; et La Reine c. Splane, R. O. J. (1991), 92 DTC 6021 (C.A.F.), conf. (1990), 90 DTC 6442 (C.F. 1re inst.).

I

Le contribuable intimé était employé par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) à titre de wagonnier dans les ateliers de Moncton lorsque le CN a annoncé qu’ils fermeraient au cours de 1987. La fermeture des ateliers de Moncton allait toucher 1 200 employés, et a eu l’effet d’une bombe dans la collectivité. Après un certain nombre de protestations et de manifestations chargées d’émotion et d’appels à une intervention politique, une entente a été conclue entre le CN et les divers syndicats concernés. L’intimé était membre de l’un des syndicats qui ont ratifié l’entente.

Cette entente créait 60 nouveaux postes de wagonniers à Winnipeg et prévoyait un paiement de réinstallation de 10 000 $ pour les employés qui : a) possédaient une maison à Moncton; b) étaient mutés de Moncton à Winnipeg; c) vendaient leur maison à Moncton; d) achetaient une maison à Winnipeg; et e) se présentaient au travail à Winnipeg. Aucune restriction n’était mise quant à l’usage du montant de 10 000 $.

Le juge de première instance a examiné les motifs pour lesquels l’intimé avait refusé d’être muté dans un autre endroit à Moncton, portant le nom de gare Gordon, au lieu de déménager à Winnipeg. Premièrement, l’intimé n’aurait pas accompli à la gare Gordon le même travail qu’auparavant. Deuxièmement, s’il restait à Moncton, il allait devoir travailler par équipes, ce qui n’était pas le cas à Winnipeg. Enfin, l’intimé croyait que Winnipeg allait lui offrir une meilleure sécurité d’emploi à long terme. On ne s’est pas demandé si le CN a « exigé » de l’intimé qu’il déménage. Dans ces circonstances, il est évident que la notion du choix personnel n’est pas pertinente.

Le juge de première instance a conclu que le CN avait deux motifs de payer la somme de 10 000 $ à chacun des wagonniers de Moncton : premièrement, le versement de cette somme réduisait l’ensemble des frais d’exploitation du CN en facilitant la fermeture des ateliers de Moncton; deuxièmement, cette somme devait compenser le prix plus élevé d’un logement à Winnipeg. On a convenu qu’un bungalow isolé à Winnipeg en 1987 coûtait en moyenne au moins 23 000 $ de plus qu’un bungalow isolé à Moncton.

L’intimé a vendu sa maison à Moncton, au prix de 63 000 $. Il est important de signaler pour les fins de l’analyse qu’il n’a pas subi une perte. La même année, il s’est porté acquéreur d’une maison à Winnipeg, au prix de 91 000 $ (une différence de 28 000 $). L’intimé avait satisfait aux conditions de l’entente et il a reçu la somme de 10 000 $.

Compte tenu de l’ensemble des faits, le juge de première instance a conclu que ce montant de 10 000 $ n’était pas imposable en vertu des alinéas 6(1)a) ou 6(1)b) de la Loi. En rejetant la qualification du paiement comme un avantage imposable, le juge de première instance affirme, à la page 5251 :

Il n’existe en l’espèce aucun élément de preuve étayant la conclusion selon laquelle le paiement en question satisfait aux critères d’un avantage. L’argument de la Couronne selon lequel M. Phillips n’était pas obligé de déménager à Winnipeg et, ayant déménagé, n’était pas tenu d’acheter une maison, est sans fondement. Pour conserver l’emploi qu’il exerçait auprès du CN, qui consistait à travailler comme wagonnier et qui était un travail sûr et à long terme, M. Phillips était tenu de quitter Moncton pour Winnipeg. En le faisant, il a encouru des dépenses, surtout en termes d’une augmentation des prix du logement. Comme ces dépenses étaient attribuables à son travail, son employeur a décidé de l’en dédommager en partie. Je ne vois pas comment M. Phillips a pu tirer un profit quelconque du remboursement de ces dépenses. Comme dans l’affaire Splane, M. Phillips a été tout simplement rétabli, encore que ce ne soit qu’en partie, dans la situation financière dans laquelle il se trouvait avant son déménagement.

Bref, le juge de première instance a qualifié le paiement de dédommagement partiel par rapport aux dépenses attribuables à son emploi. Pour les mêmes motifs, il a rejeté l’argument qu’il s’agissait d’une allocation imposable.

Je constate que le juge de première instance a appliqué le même raisonnement à une affaire connexe, La Reine c. Lao, V. (1993), 93 DTC 5251 (C.F. 1re inst.); conf. (1990), 91 DTC 330 (C.C.I.). Les faits dans cette affaire ressemblent à ceux en l’espèce, sauf que l’employé, dans l’affaire Lao, avait été engagé à la condition de déménager, faisant entrer en jeu l’alinéa 6(3)c) de la Loi. Comme dans l’affaire Phillips, on a conclu que le paiement n’était pas imposable. L’affaire Lao fait aussi l’objet d’un appel.

II

L’objet de la Loi à l’égard du revenu imposable est faussement simple. En vertu du paragraphe 5(1), le contribuable doit inclure dans son revenu d’emploi la rémunération conventionnelle, comme le « traitement » et le « salaire », qu’il a reçue au cours d’une année d’imposition. L’article 6 vise à inclure dans le revenu d’emploi divers avantages accessoires ou « sociaux », qu’ils soient ou non de nature purement monétaire. Les alinéas 6(1)a) et 6(1)b) sont pertinents en l’espèce :

6. (1) Doivent être inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments appropriés suivants :

a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit qu’il a reçus ou dont il a joui dans l’année au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi, à l’exception des avantages … 

b) toutes les sommes qu’il a reçues dans l’année à titre d’allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à titre d’allocations pour toute autre fin, sauf

Chacun sait qu’aucune de ces exceptions n’est pertinente en l’espèce.

III

L’alinéa 6(1)a) inclut dans le revenu d’emploi « la valeur … [des] autres avantages de quelque nature que ce soit qu’il a reçus ou dont il a joui … dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi ». Les premières décisions sur le sujet ont conclu que cette disposition s’appliquait seulement aux avantages reçus en contrepartie des services d’emploi. Ainsi, dans l’arrêt La succession Phaneuf c. R., [1978] 2 C.F. 564 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) affirme, à la page 572 :

Malgré la différence de libellé des lois, le critère formulé par le vicomte Cave, lord Chancelier … exprime, de la meilleure façon possible, l’essentiel des dispositions fiscales de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le paiement a-t-il été fait « à titre de rémunération pour ses services » ou « sur une base personnelle et non comme rétribution de ses services »? On peut faire un versement à un employé, mais celui-ci le reçoit-il à titre d’employé ou comme simple particulier? On peut aussi se demander s’il l’a reçu en sa qualité d’employé, mais le critère est le même. Il ne le reçoit en sa qualité d’employé que lorsqu’il s’agit de rémunération pour des services rendus. Tel est bien, à mon avis, le sens des expressions « au titre, dans l’occupation ou en vertu de la charge ou de l’emploi » utilisées dans l’alinéa 6(1)a).

Dans l’arrêt Savage, précité, la Cour suprême a reconnu qu’un avantage imposable doit avoir être conféré au contribuable à titre d’employé. Elle a toutefois rejeté l’affirmation portant qu’une personne ne reçoit un paiement en sa qualité d’employé que lorsqu’il s’agit d’une rémunération pour des services rendus. S’exprimant au nom de la Cour à la majorité, le juge Dickson (alors juge puîné) a affirmé, à la page 440 :

Toutefois, avec grands égards, je ne suis pas d’accord avec la dernière partie du passage que je viens de citer et, en particulier, avec l’affirmation portant qu’une personne ne reçoit un paiement en sa qualité d’employé que lorsqu’il s’agit d’une rémunération pour des servies rendus. Voilà la conclusion des décisions anglaises, mais elle est fondée sur des termes beaucoup moins généraux. Notre loi renferme la stipulation « avantages de quelque nature que ce soit … au titre, dans l’occupation ou en vertu de la charge ou de l’emploi », qui ne se trouve pas dans les lois anglaises mentionnées. Les mots « avantages de quelque nature que ce soit » ont nettement un sens très large; en l’espèce, le paiement de la somme de 300 $ tombe facilement dans la catégorie des « avantages ». De plus, notre loi parle d’un avantage « au titre » de la charge ou de l’emploi. Dans l’arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, cette Cour affirme ce qui suit, à la p. 39 :

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant », « relativement à » ou « par rapport à ». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c’est probablement l’expression « quant à » qui a la portée la plus large.

Selon ces passages, l’alinéa 6(1)a) devrait recevoir une interprétation libérale. Néanmoins, le raisonnement dans l’arrêt Savage laisse place à certaines exceptions, toutes reposant sur la dichotomie employé-particulier. Se fondant sur l’arrêt R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727 (C.A.), le juge Dickson conclut, à la page 441 :

Je partage l’avis du juge Evans de la Cour d’appel de l’Ontario qui, à la p. 738 de l’arrêt R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727, affirme au sujet des avantages qu’une personne a reçus ou dont elle a joui au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi :

[traduction] Je ne crois pas que ces termes ne visent que les avantages liés à la charge ou à l’emploi en ce sens qu’ils représentent une forme de rémunération pour des services rendus. S’il s’agit d’une acquisition importante qui confère au contribuable un avantage économique et qui ne fait pas l’objet d’une exemption comme, par exemple, un prêt ou un cadeau, elle est alors visée par la définition compréhensive de l’art. 3.

Et, il poursuit à la même page :

[I]l n’est pas question ici d’un cadeau, d’un don personnel ou de considérations qui n’ont rien à voir avec l’emploi de Mme Savage.

Un avantage économique reçu par un employé de son employeur sera réputé un avantage au sens de l’alinéa 6(1)a), sauf si l’employé peut établir que le paiement n’était pas un avantage en vertu d’un emploi, mais un paiement sur une base personnelle. Ainsi formulé, le critère peut facilement englober les dons, les prêts et autres ententes contractuelles.

C’est souvent par rapport à l’intention de l’employeur que l’on examine la question de savoir si un paiement constitue un don, un prêt ou résulte de considérations n’ayant rien à voir avec la relation d’emploi. Compte tenu du libellé de l’entente conclue entre le CN et l’intimé, le paiement de 10 000 $ ne peut de toute évidence être qualifié de don ou de prêt. À mon avis, il est également évident que si un employé reçoit un paiement à la condition de continuer à travailler pour l’employeur, comme c’est le cas en l’espèce, on peut difficilement dire que le paiement résulte de considérations n’ayant rien à voir avec la relation d’emploi.

Les contrats accessoires, à l’instar de tous les contrats, ne constituent qu’une façon de fournir une preuve objective d’une intention subjective. En soi, un contrat accessoire ne permet pas de conclure qu’une personne a reçu un paiement sur une base personnelle ou à titre d’employé. En mettant l’accent sur l’existence même du contrat accessoire à l’exclusion de son contexte—la relation d’emploi, on se trouve à faire prévaloir la forme du document sur son fond.

En l’espèce, le fait que les parties ont choisi après la conclusion de l’entente de procéder à une modification, assortie d’une contrepartie, ne porte aucunement atteinte à la relation d’emploi. Au contraire, on s’est trouvé à faciliter l’emploi permanent des employés. Puisque l’entente conclue entre le CN et l’intimé prévoyait notamment que l’intimé continuait de travailler pour le CN, je n’arrive pas à comprendre comment on peut soutenir que l’intimé a reçu cette somme autrement qu’à titre d’employé. Cela ne veut pas dire pour autant que la « théorie du contrat accessoire » ne sera nécessairement jamais applicable; voir les décisions Blanchard (E. J.) c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 403 (C.F. 1re inst.); McNeill c. Canada, [1987] 1 C.F. 119 (1re inst.); Segall (S.) c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 364 (C.F. 1re inst.); toutefois, comparer avec Sheldon, G. K. c. Ministre du Revenu national (1988), 88 DTC 1392 (C.C.I.).

Mettant de côté la question de la forme et du fond, l’intimé a cherché à nous persuader que les motifs que le CN avait d’effectuer le paiement en question étaient pertinents en l’espèce—motifs qui dégageaient une considération n’ayant rien à voir avec la relation d’emploi. Cette analyse serait possible si, d’après les faits, le paiement de 10 000 $ avait été versé à un employé dont la maison non assurée aurait été détruite par un incendie. Tous, à l’exception des plus grands sceptiques, s’entendraient vraisemblablement pour reconnaître que l’employeur a principalement agi par altruisme. Il est difficile de dire que la motivation pourrait être le facteur déterminant compte tenu des faits en l’espèce.

Il va sans dire que le CN, en concluant l’entente en question avec l’intimé, avait comme motif principal un désir de protéger et de favoriser les intérêts économiques des deux parties puisque cette entente constituait une solution mutuellement acceptable à un conflit de travail. Les motifs secondaires de l’entente ne sont pas pertinents. La réalité demeure que les négociations ouvrières et les régimes de versement d’indemnité de réinstallation font, de nos jours, partie intégrante des relations employeur-employés. Ceci est d’autant plus vrai dans les conditions économiques actuelles où la réduction des effectifs est devenue monnaie courante. La fermeture des ateliers de Moncton, quoique tragique pour ses employés, est loin de constituer un événement isolé.

Si je me fonde sur les principes de droit formulés dans l’arrêt Savage, j’arrive inévitablement à la conclusion que l’intimé a reçu la somme de 10 000 $ à titre d’employé. Cependant, cette décision ne suffit pas à trancher le présent appel. L’appelante devait déterminer si ce paiement de 10 000 $ constituait un remboursement non imposable de dépenses attribuables au travail et s’il conférait un avantage économique à l’intimé. En ce qui concerne la première question, l’intimé et le juge de première instance sont convaincus que ce paiement de 10 000 $ se trouvait visé par la règle reconnue dans l’affaire Ransom, précitée.

IV

Dans l’affaire Ransom, le contribuable avait été muté de Sarnia à Montréal. L’employeur, conformément à sa politique, avait remboursé au contribuable la somme de 2 809 $ au titre de la perte qu’il avait subie lors de la vente de sa maison. Le juge Noël a conclu que ce remboursement ne constituait pas un avantage économique pour le contribuable, mais qu’il l’avait simplement remis dans la situation où il aurait été s’il n’avait pas subi la perte en vertu de son emploi. Le juge a conclu que le paiement en question ne constituait ni un « avantage », ni une « allocation » et de ce fait n’était pas imposable.

La règle formulée dans l’affaire Ransom est simple. Lorsqu’un employé est remboursé de la perte qu’il subit en vendant sa maison à la suite d’une mutation, le montant en cause n’est pas imposable s’il représente la perte réelle; voir aussi l’affaire Greisinger (E.) c. M.R.N., [1986] 2 C.T.C. 2441 (C.C.I.). Je tiens à faire remarquer qu’on doit, aux fins du calcul de la « perte réelle », appliquer l’affaire Ransom en tenant compte de l’article 62 [mod. par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 27; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 31; 1984, ch. 45, art. 21; 1985, ch. 45, art. 26] de la Loi (« Frais de déménagement »).

L’application systématique de la décision Ransom à toutes les affaires de réinstallation d’employés fait ressortir comment il peut être risqué d’appliquer une règle de droit abstraite à une myriade de circonstances. D’après la jurisprudence, les programmes d’indemnité de réinstallation ont pour but de compenser deux types de répercussions financières découlant de la réinstallation d’employés : premièrement, la perte subie par l’employé au titre de la vente de sa maison et deuxièmement, les dépenses engagées pour l’achat d’une nouvelle propriété. Le présent appel porte sur le paiement effectué pour compenser le prix plus élevé d’un nouveau logement. J’examinerai maintenant quels sont les types de pertes qui, selon la jurisprudence, font partie de chaque catégorie.

La perte subie lors de la vente d’une maison

En règle générale, ne sont pas imposables les paiements de réinstallation dont l’objet est de rembourser l’employé d’un montant égal à la perte réelle qu’il a subie lors de la vente de sa maison. C’est le fondement de la règle de droit formulée dans l’affaire Ransom et, comme je l’expliquerai, dans l’arrêt Splane, précité.

Un employé peut subir deux types de perte lorsqu’il vend sa maison : une perte en capital et une perte au titre de la libération d’une hypothèque dont le taux d’intérêt est inférieur au taux en vigueur. Il est nécessaire d’établir une distinction entre ces pertes et les dépenses liées à la conclusion d’un nouveau contrat hypothécaire, assorti d’un taux d’intérêt plus élevé qu’auparavant et dont le principal reflète le prix plus élevé d’un logement au nouveau lieu de travail.

Par exemple, si un employé avait un prêt hypothécaire de 50 000 $ à rembourser, assorti d’un taux d’intérêt de 10 pour 100 et s’il doit à son nouveau lieu de travail acheter une maison pour laquelle il devra assumer une hypothèque de 70 000 $, avec un taux d’intérêt de 15 pour 100, seul le montant calculé sur le prêt de 50 000 $ par rapport à l’écart de 5 pour 100 du taux d’intérêt pourrait être vraiment considéré comme une perte. Si l’on suppose que la différence de 20 000 $ quant au montant du principal du prêt hypothécaire est attribuable seulement au prix plus élevé du logement au nouveau lieu de travail (question remplie d’incertitude), l’indemnité versée relativement au taux d’intérêt hypothécaire doit être considérée comme une dépense engagée aux fins de l’achat d’une nouvelle maison.

À mon avis, c’est l’affaire Splane qui régit les principes du traitement fiscal de l’indemnité versée seulement lorsqu’il y a perte d’un taux hypothécaire favorable par suite de la vente d’une maison. Malheureusement, dans cette affaire, le juge de première instance n’a pas fait un récit complet des faits. Notre Cour a confirmé la décision du juge de première instance dans des motifs succincts prononcés à l’audience.

Cependant, nous savons que, dans l’arrêt Splane, le contribuable avait reçu la somme de 63 000 $ pour la vente de sa maison d’Ottawa et qu’il en avait acheté une autre à Edmonton pour 65 000 $. Nous savons également que son employeur lui a remboursé les coûts engagés puisque le taux d’intérêt hypothécaire était de 1,75 pour 100 plus élevé pour la nouvelle maison. Toutefois, les faits n’indiquent pas si le principal du nouveau prêt était supérieur à celui du prêt hypothécaire initial. Le juge de première instance s’est fondé sur l’affaire Ransom comme décision de principe pour conclure que les paiements en question n’étaient pas imposables (à la page 6446) :

Le contribuable n’a pas ainsi fait d’argent supplémentaire. En effet, les paiements lui ont simplement permis de maintenir la situation dans laquelle il se trouvait avant sa mutation et l’ont empêché d’essuyer une perte en acceptant la mutation latérale.

Compte tenu de ces commentaires, j’estime qu’il est raisonnable de déduire que la Cour, dans l’arrêt Splane, devait se prononcer sur une perte en capital comme celle dont il est question dans l’affaire Ransom. Toutefois, je reconnais aussi qu’il est possible que l’indemnité en question dans l’affaire Splane ait visé à compenser les coûts d’acquisition de la nouvelle résidence. Quoi qu’il en soit, notre Cour n’a pas à examiner les circonstances de l’arrêt Splane. Heureusement, les faits en l’espèce ne sont pas aussi ambigus.

Les dépenses engagées pour l’achat d’une nouvelle maison

Une indemnité peut être versée relativement à deux types de dépenses engagées dans le cadre de l’acquisition d’une nouvelle maison. Premièrement, les débours en capital de l’employé peuvent être plus élevés à cause du prix moyen plus élevé d’un logement au nouveau lieu de travail. Deuxièmement, les frais de financement peuvent être plus élevés relativement à la partie du principal du prêt hypothécaire correspondant au prix plus élevé d’un logement, comme je l’ai déjà expliqué. L’alinéa 62(3)f) de la Loi porte explicitement sur le traitement fiscal de certaines dépenses d’acquisitionles frais pour les services juridiques et pour tout impôt sur le transfert de la nouvelle résidence; cependant, la Loi ne va pas plus loin.

Les affaires connexes McNeill et Segall, précitées, illustrent bien les types de dépenses comprises dans cette catégorie. Dans ces affaires, les contribuables étaient des contrôleurs aériens qui vivaient au Québec au cours d’une période de crise entre les contrôleurs francophones et anglophones. L’employeur avait offert aux contribuables « une indemnité de logement » d’une durée limitée s’ils étaient mutés à Ottawa. Il est exact que l’on peut établir une distinction entre les affaires McNeill et Segall et le présent appel puisque dans ces dossiers les paiements avaient été faits aux employés sur une base personnelle et non à titre d’employés. Cependant, il est intéressant de constater que les employés n’ont été compensés que relativement à la perte résultant de l’écart du taux hypothécaire entre l’estimation de la propriété à l’ancien lieu de travail et l’estimation d’un logement similaire au nouveau lieu de travail.

V

Le présent appel se distingue de l’affaire Ransom à un important point de vue : le programme d’indemnité du CN ne prévoyait pas le cas où un employé comme l’intimé subirait une perte en vendant sa maison. C’est une chose d’établir une distinction factuelle par rapport à l’affaire Ransom, mais c’est une toute autre question de déterminer si cette distinction est valide en droit. Selon l’appelante, s’il n’existe pas de distinction valide en droit, on doit considérer que la décision Ransom est mal fondée.

Sur quoi peut-on se fonder en droit pour affirmer que n’est pas imposable l’indemnité de réinstallation destinée à compenser la perte au titre de la vente de la maison du contribuable, et que l’indemnité destinée à compenser les dépenses engagées aux fins de l’achat de la nouvelle maison le sera? Pour répondre à cette question, il faut examiner le raisonnement juridique à la base de la décision Ransom. De toute évidence, ce raisonnement n’est aucunement applicable à l’indemnité de réinstallation destinée à compenser le prix plus élevé du logement au nouveau lieu de travail.

Réexamen de la décision Ransom

On ne peut contester que le bien-fondé de la décision Ransom a été mis en doute non seulement par l’appelante, mais aussi par au moins un commentateur; voir B. G. Hansen, « The Taxation of Employees » dans B. G. Hansen, V. Krisha & J. A. Rendall, eds. Canadian Taxation (Toronto : De Boo, 1981) 117, aux pages 133 à 135. D’autres commentateurs se sont demandés si les décisions McNeill et Segall n’ont pas trop élargi la portée de la décision Ransom en invitant les contribuables à considérer comme non imposables leurs frais personnels de subsistance; voir R. B. Thomas, « Some Benefit! » (1988), 36 Can. Tax J. 398, à la page 400; et R. B. Thomas et T. E. McDonnell, « A Hole That You Could Drive a Moving Van Through » (1990), 38 Can. Tax J. 937, à la page 938. Il n’est donc pas étonnant que l’appelante soutienne que le paiement de 10 000 $ ne constitue en fait qu’une subvention au titre d’une dépense personnelle de subsistance.

L’argument de l’appelante repose sans aucun doute sur l’extrait suivant des motifs du juge Noël dans la décision Ransom, dans laquelle il fait une analogie entre les frais de déplacement et une perte en capital résultant de la vente d’une maison, à la page 310 :

[traduction] Si, comme en l’espèce, l’employé risque d’être déplacé d’un endroit à un autre, les montants qu’il doit lui-même payer à cause de ces déplacements doivent être traités exactement comme des frais de déplacement ordinaires. L’employé est désavantagé au point de vue financier à cause de cet aspect particulier de son contrat de travail. Quand son employeur lui rembourse la perte ainsi subie, le montant versé ne peut être considéré comme une rémunération, car si l’employé ne recevait rien d’autre en vertu de son contrat de travail, il n’aurait rien reçu pour ses services. Au point de vue économique, il n’aurait reçu que le montant qu’il a dû payer à cause de son emploi.

L’analogie du juge Noël semble combiner tous les types de frais de déplacement engagés à cause d’un emploi et laisser entendre que toute indemnité au titre de tous les frais réellement déboursés n’est pas imposable. Il existe cependant au moins deux types de « frais de déplacement ». Par exemple, il y a les frais de déplacement pour se rendre au travail et les frais engagés lorsqu’un employeur envoie un employé en voyage d’affaires.

On pourrait soutenir pour le compte du ministre qu’une perte en capital découlant de la vente d’une maison doit être considérée comme des frais personnels ou de subsistance. Comme les frais de transport pour se rendre au travail, ces dépenses sont des questions de choix personnel n’ayant aucun rapport avec l’emploi. On pourrait aussi soutenir avec la même vigueur que l’on ne devrait pas accorder un traitement fiscal spécial aux pertes découlant d’une baisse généralisée du prix des maisons ou découlant de l’extravagance d’un employé qui paie « trop » pour « bien peu ». Cet argument perd de la force si la perte en capital résulte de la vente forcée et hâtive d’une maison.

Le contribuable pourrait lui de son côté soutenir que la perte en capital découlant de la vente d’une maison est semblable aux frais de déplacement engagés par un employé envoyé en voyage d’affaires par son employeur. Dans ce cas, l’employé n’a pas de choix et doit engager une dépense. C’est pourquoi le remboursement de ces dépenses n’est pas considéré comme un avantage, mais plutôt comme le redressement d’une injustice possible. Ce remboursement est compatible avec le principe de restitutio in integrum reconnu en equity. De même, une baisse généralisée du prix des maisons entraîne seulement une perte non matérialisée pour l’employé. Ce n’est qu’au moment où l’employeur exige la réinstallation de l’employé que celui-ci subit une perte en capital. En conséquence, tout remboursement reçu de l’employeur relativement à une perte en capital devrait être un avantage non imposable.

Le bien-fondé de ces arguments contraires ne peut être adéquatement examiné que par rapport à l’objet et au but de l’article 6, conformément aux principes d’interprétation législative des « termes dans leur contexte » : voir les arrêts Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, le juge Estey, aux pages 575 à 578; et Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), le juge MacGuigan, J.C.A., à la page 352.

Il est bien reconnu que toute décision visant à inclure ou à exclure des avantages d’un revenu d’emploi a une grande incidence sur la capacité du gouvernement de percevoir des revenus : voir Royal Commission on Taxation, Specific Types of Personal Income (étude no 16), par D. Sherbaniuk (Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1967), à la page 32; et V. Krishna, « Employee Benefits » (1984), 1 :2 Can. Curr. Tax C 7. De toute évidence, l’article 6 de la Loi cherche à restreindre l’évitement fiscal dans le cas de l’octroi d’indemnités monétaires ou autre, non incluses dans le traitement ou salaire.

Un autre objectif important et dominant de l’article 6 est d’assurer que [traduction] « les employés qui reçoivent une indemnité en espèces soient sur un pied d’égalité avec ceux dont l’indemnité en espèces ne représente qu’une partie de ce qui est reçu »; voir B. G. Hansen, précité, à la page 127; et V. Krishna, « Taxation of Employee Benefits » (1986), 1 :35 Can. Curr. Tax C 173. Deux employés qui accomplissent le même travail pour le même employeur devraient recevoir le même traitement fiscal pour ce qui est de leur emploi. Il s’agit tout simplement d’un exemple de notre conception de l’équité fiscale; à mon avis, c’est le véritable fondement de la décision Ransom. Je ne suis pas le premier à arriver à cette conclusion. Dans la décision Greisinger (E.) c. M.R.N., précitée, le juge Brulé de la C.C.I. a astucieusement fait le raisonnement suivant, à la page 2444 :

Le montant ainsi remboursé n’est pas imposable parce qu’il faut maintenir l’unité et l’équilibre entre l’employé qui est muté dans une autre ville et celui qui ne l’est pas. De fait, le premier risque de subir des pertes tandis que la situation du second est stable. Pour rendre les mutations plus invitantes au point de vue économique, une société accepte d’indemniser son employé. Ainsi, un équilibre économique est réalisé et, pour cette raison, le montant remboursé ne doit pas être assujetti à l’impôt.

Cette explication cadre avec l’intention du législateur que les employés doivent bénéficier d’un traitement fiscal égal relativement à leur revenu d’emploi. Tout employé engage des dépenses pour se rendre au travail. C’est un coût nécessaire lié à l’emploi. Toutefois, tous les employés ne sont pas tenus de se déplacer ou d’être réinstallés pour accomplir leur travail. Il n’est tout simplement pas juste qu’un employé, dans une entreprise en comprenant deux, assume cette perte en capital; voir aussi l’arrêt Huffman (G. R.) c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 132 (C.A.F.); conf. [1989] 1 C.T.C. 32 (C.F. 1re inst.).

Si l’on avance l’existence de considérations de principe, il y a alors lieu de se demander s’il appartient au législateur seulement de décider si un type particulier de « remboursement » doit être imposable ou non. Je réponds en faisant ressortir que l’arrêt Savage de la Cour suprême du Canada n’indique pas que la règle formulée dans Ransom a été écartée. En effet, la Cour suprême a cité la décision Ransom, mais en a seulement écarté l’application relativement à sa conclusion que des avantages imposables doivent avoir été reçus en contrepartie de services fournis par l’employé.

Au cours des 27 années qui se sont écoulées depuis la décision Ransom, la Loi a subi d’importantes révisions à l’égard des questions soulevées en l’espèce. Cependant, aucune de ces révisions ne vient contredire l’application de la règle formulée dans Ransom. Certaines révisions viennent même compléter cette règle : voir par exemple l’alinéa 62(3)d) de la Loi, qui porte sur la perte subie par un locataire-employé à la suite de la résiliation d’un bail. Par ailleurs, notre Cour a appliqué la décision Ransom à plusieurs reprises. À mon avis, cette décision est devenue tellement associée à notre conception des avantages imposables qu’il appartient à la Cour suprême ou au législateur d’en écarter la logique.

Les limites de la décision Ransom

De même que l’appelante a cherché à nous convaincre que la décision Ransom devrait être réputée mal fondée, l’intimé a cherché à faire élargir la règle formulée dans Ransom pour inclure le paiement de 10 000 $ que lui a versé le CN. Bien que j’appuie la règle établie dans Ransom, elle n’est pas applicable dans un dossier portant sur une dépense par opposition à une perte en capital. Cette interprétation s’impose en raison de l’arrêt Savage de la Cour suprême du Canada, du concept de l’équité fiscale et de l’économie de la Loi dans son ensemble.

Les faits en l’espèce indiquent de toute évidence que la valeur nette de l’intimé, en tant qu’employé, s’est accrue. Même si ce paiement de 10 000 $ était imposable, l’employé dispose d’un revenu disponible beaucoup plus élevé. L’indemnité représente en fait un accroissement salarial provisoire non offert à tous les employés. Deuxièmement, l’intimé a obtenu un avantage par rapport à ses collègues qui habitent dans la collectivité où les prix du logement sont plus élevés. Je peux difficilement accepter que l’intimé peut validement demander un avantage non imposable de 10 000 $ aux fins de l’achat d’une maison, alors que les autres employés de Winnipeg sont contraints d’utiliser leurs revenus, après impôt, pour le faire.

L’élargissement du principe formulé dans Ransom comme mécanisme intérimaire de péréquation au titre du coût de la vie pourrait également contrecarrer l’effet d’autres dispositions de la Loi. Le Parlement a explicitement reconnu et examiné les injustices possibles découlant des variations importantes du coût de la vie entre les diverses régions au Canada : voir le Rapport du Groupe de travail sur l’indemnisation fiscale des localités isolées et du Nord (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1989). Par exemple, l’article 110.7 [édicté par S.C. 1986, ch. 55, art. 33] de la Loi permet à des contribuables dans des régions données du Canada de faire, dans le calcul de leur revenu imposable, des déductions spéciales au titre des frais d’hébergement et de déplacement. De même, l’article 80.4 [édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 35; mod. par 1980-81-82-83, ch. 140, art. 44; 1984, ch. 45, art. 25; 1985, ch. 45, art. 38; 1986, ch. 6, art. 40] inclut dans le revenu l’avantage obtenu lorsqu’un employeur consent à un employé un prêt dont le taux d’intérêt est inférieur à celui en vigueur, sous réserve d’une déduction prévue à l’alinéa 110(1)j) [édicté par S.C. 1986, ch. 6, art. 55; mod. par 1987, ch. 46, art. 38]. Compte tenu des répercussions que peut entraîner un élargissement de la règle formulée dans Ransom, un commentateur a jugé utile de se demander si ce ne serait pas un moyen de contourner la politique sous-jacente des règles en matière de taux d’intérêt théorique, formulées à l’article 80.4 de la Loi : voir V. Krishna, « Taxation of Employee Benefits », précité, à la page C 175. Après tout, un paiement de 10 000 $ peut facilement servir à payer les frais d’intérêt par anticipation de façon à réduire le principal du prêt hypothécaire.

Le motif peut-être le plus convaincant pour ne pas élargir l’application de la règle formulée dans Ransom est le suivant : l’élargissement de cette règle aurait pour effet de rendre non imposables toute une série de dépenses. L’intimé soutient en fait que tout paiement reçu d’un employeur pour compenser le prix plus élevé du logement à un nouveau lieu de travail ne vise qu’à empêcher qu’un employé subisse un préjudice. Comme nous l’avons vu, ce raisonnement est erroné. Par ailleurs, rien n’empêche d’appliquer ce raisonnement fautif à d’autres achats, comme par exemple celui de nouvelles voitures ou de nouveaux appareils, effectués dans des provinces où le coût de la vie est plus élevé.

Je tiens aussi à faire remarquer que le problème de l’indemnisation aux fins de la péréquation fiscale intéresse apparemment les fiscalistes qui connaissent la pratique que les multinationales américaines ont de « majorer » les salaires des dirigeants mutés au Canada : J. D. Bradley « Measuring Employee Benefits », Report of Proceedings of the Forty-Third Tax Conference (Canadian Tax Foundation, 1991) 8 :56, à la page 8 :59; et R. B. Thomas et T. E. McDonnell, précité, aux pages 941 et 942. Qu’en est-il de la situation des employés qui déménagent dans une province où le taux marginal d’impôt est plus élevé? Pourquoi ne devrait-il pas être en mesure de réclamer également un avantage non imposable, si son employeur est disposé à lui verser une indemnité? À mon avis, il est évident que la décision du tribunal de première instance permettrait à ceux qui le veulent de mettre sur pied des programmes de versement d’indemnités non imposables à l’intention des employés qui doivent être mutés dans des villes où le coût de la vie est de beaucoup plus élevé.

Si l’on examine les préoccupations qui viennent d’être soulevées par rapport au libellé de l’alinéa 6(1)a) de la Loi, au raisonnement dans l’arrêt Savage et à l’intention du législateur, il semble évident que le paiement de 10 000 $ est un avantage imposable, sauf si l’intimé peut convaincre notre Cour que ce paiement ne lui a pas conféré un avantage économique. Ceci marque le dernier effort que l’intimé déploie pour obtenir un avantage non imposable de 10 000 $, et c’est là en fait le véritable objet de sa demande.

VI

L’intimé se fonde sur la décision du juge de la Cour canadienne de l’impôt qui a affirmé que la maison de Winnipeg est de catégorie inférieure à celle de Moncton, et il soutient avoir subi une perte parce qu’il est tenu de payer 28 000 $ de « plus » pour une maison « moindre ». Si l’on ignore le fait qu’une telle conclusion n’est aucunement pertinente dans un appel contre une décision rendue lors d’un procès de novo, je fais remarquer que le juge de première instance n’a tiré aucune conclusion similaire, vraisemblablement pour des motifs impératifs.

C’est poser un jugement de valeur que de procéder à une analyse comparative de la superficie d’une maison et de ses commodités. En fait, lorsque l’on compare une maison d’un étage et demi à Moncton à un bungalow à Winnipeg en fonction des coûts moyens « approximatifs » du logement, on procède à un exercice utile pour le consommateur, mais inacceptable en droit aux fins de la détermination de la perte réelle. Il existe un motif évident pour lequel un employeur compense seulement une partie du prix plus élevé du logement de l’employé. En effet, le choix d’une maison est tout autant affaire de goût personnel et de style de vie que de coût. Après tout, la localisation d’une propriété est la pierre angulaire en matière d’évaluation immobilière.

Les critiques qui précèdent ne visent pas à diminuer la conviction de l’intimé qu’il a reçu une maison « moindre » pour une contrepartie « supérieure ». Ce qui est important pour l’intimé et les autres employés du CN qui attendent l’issue du présent appel est de reconnaître d’une part, que l’« avantage économique » ne peut être évalué en fonction de critères subjectifs et d’autre part, que l’imposition des avantages ne peut être établie en fonction de la perception de chaque contribuable. La décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Cutmore (R. H.) et autres c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 2230 (C.C.I.) est tout particulièrement intéressante sur ce point.

Dans cette affaire, l’employeur du contribuable avait décidé que tous les cadres dirigeants devaient faire préparer, aux frais de l’employeur, leur déclaration de revenus par des fiscalistes. L’employeur voulait éviter tout risque d’embarras et de perte de réputation résultant de déclarations mal préparées. Le contribuable soutenait que ce service gratuit ne devait pas être réputé un avantage imposable puisqu’il était tout à fait capable de faire lui-même sa déclaration d’impôt. Le paiement a néanmoins été imposé.

Une fois rejeté l’argument fondé sur la valeur subjective, il est bien évident que le paiement de 10 000 $ a permis à l’intimé d’acquérir un bien d’une plus grande valeur. Le CN a fait plus que de le faire économiser, il lui a donné de l’argent. Certes, l’intimé subira à court terme les difficultés qui accompagnent inévitablement la réinstallation. Cependant, chercher un avantage non imposable ne constitue ni un moyen approprié ni utile de reconnaître les véritables coûts de la réinstallation d’employés.

VII

Puisque j’ai décidé que le paiement de 10 000 $ versé à l’intimé constitue un avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi, je n’ai pas à examiner si ce paiement constitue aussi une allocation imposable en vertu de l’alinéa 6(1)b). L’appel est accueilli, la décision de la Section de première instance, en date du 6 mai 1993, est annulée et la nouvelle cotisation du ministre est rétablie. Comme proposé par l’appelante, le ministre paiera tous les frais raisonnables et appropriés de l’intimé.

Le juge Stone, J.C.A. : Je suis d’accord.



[1] (1991), 92 DTC 6021 (C.A.F.).

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