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[1994] 3 .C.F 376

T-1069-92

La bande indienne de Norway House (requérante)

c.

George N. Bass, c.r., et Florence Jean Duncan (intimés)

et

Assembly of Manitoba Chiefs—Secretariat Inc. (intervenante)

Répertorié : Bande indienne de Norway House c. Canada (Arbitre, Code du travail) (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon—Winnipeg, 14 décembre 1992; Ottawa, 16 mars 1994.

Relations du travail — Demande d’annulation de la décision par laquelle un arbitre avait statué qu’une employée de la bande indienne avait injustement été congédiée — L’arbitre a compétence — Le champ des relations de travail, en ce qui concerne les Indiens, indique l’existence de la compétence fédérale ainsi que la primauté fédérale — La création des bandes et conseils ainsi que leur fonctionnement constituent une entreprise fédérale — Sens du mot « entreprise » — La bande est assujettie au Code canadien du travail — L’arbitre a excédé sa compétence en conduisant l’audience d’une manière manifestement déraisonnable, notamment en n’informant pas la plaignante des conséquences de son omission de témoigner, en n’appliquant pas les conséquences à son cas, en manifestant de l’indifférence en ce qui concerne la perte de possibilité de contre-interroger la plaignante, de sorte qu’il a tiré des conclusions erronées, en semblant faire preuve de partialité lorsqu’il a fait toutes les déductions défavorables à l’employeur — Il a également commis une erreur en tenant compte des coutumes de la bande, sans tenir compte de la jurisprudence en matière de congédiement injustifié.

Contrôle judiciaire — Demande d’annulation de la décision par laquelle un arbitre avait statué qu’une employée de la bande indienne avait injustement été congédiée — L’art. 243 du Code canadien du travail prévoit que les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu de l’art. 242 sont définitives et non susceptibles de recours judiciaire — Examen de la jurisprudence sur le contrôle judiciaire de pareilles décisions « protégées » — La Cour passe outre à l’art. 243 uniquement si l’arbitre a excédé sa compétence d’une façon si manifestement déraisonnable qu’il a abusé de la volonté du législateur, qu’il s’y est soustrait, qu’il l’a esquivée ou qu’il l’a contrariée — Lorsque le litige porte sur la compétence du tribunal, la norme qui régit le contrôle judiciaire est celle de la justesse — L’arbitre ne doit pas commettre d’erreur en exerçant ses pouvoirs — L’arbitre a conduit l’audience d’une façon manifestement déraisonnable — Bien que la décision ait été annulée, l’affaire demeure non réglée puisqu’il n’y a personne à qui la renvoyer, et que la Cour n’a pas compétence pour enjoindre au ministre de désigner un nouvel arbitre ou d’ordonner à l’arbitre de rejeter la plainte puisque l’issue est incertaine — La décision est annulée à cause de la façon dont l’arbitre a conduit l’audience.

Preuve — Règlement d’une plainte déposée en vertu du Code canadien du travail selon laquelle une employée de la bande indienne avait illicitement été suspendue sans rémunération pendant une période indéterminée — La plaignante n’a pas témoigné — L’arbitre a critiqué l’employeur pour ne pas avoir présenté certains éléments de preuve sans toutefois critiquer la plaignante — Il ne s’agit pas d’un procès au criminel dans lequel il est interdit au juge d’informer l’accusé qu’il doit témoigner — La plaignante n’était pas tenue de témoigner, mais cela donnerait lieu à des déductions défavorables de la part de l’arbitre — L’arbitre aurait dû encourager la plaignante à témoigner — Il aurait dû faire toutes les déductions défavorables qu’il pouvait faire — Examen des arrêts et de la doctrine sur l’omission de présenter une preuve convaincante — Les affaires de droit pénal sur la perte de possibilité de contre-interroger un témoin s’appliquent en l’espèce.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les relations de travail, en ce qui concerne les Indiens, relèvent de la compétence et de la primauté fédérale — La création des bandes et conseils ainsi que leur fonctionnement constituent une entreprise fédérale.

Fin de non-recevoir — Demande d’annulation de la décision par laquelle un arbitre avait statué qu’une employée de la bande indienne avait injustement été congédiée — Devant l’arbitre, les parties avaient convenu que l’emploi était exercé dans le cadre d’une entreprise fédérale — La requérante peut contester la compétence de l’arbitre — Si l’arbitre n’a pas compétence, il n’a jamais eu compétence et le fait qu’on a consenti à ce qu’il soit compétent n’est pas pertinent.

Autochtones — La bande est assujettie au Code canadien du travail — Les relations de travail, en ce qui concerne les Indiens, relèvent de la compétence et de la primauté fédérales — La création des bandes et conseils ainsi que leur fonctionnement constituent une entreprise fédérale.

Il s’agissait d’une demande d’annulation de la décision par laquelle un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail avait statué qu’une employée de la bande avait injustement été congédiée. L’article 242 figure dans la section XIV de la partie III du Code, qui porte sur le congédiement injuste. La partie III s’applique à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale. Les motifs de la demande étaient : (1) que la bande n’était pas visée par la loi en question parce qu’elle n’était pas une « entreprise fédérale », ou (2) que l’arbitre avait perdu compétence à cause de la façon dont il avait conduit l’audience.

En février 1991, l’intimée Duncan, qui était la plaignante dans les procédures engagées devant l’arbitre, a été suspendue sans rémunération pendant une période indéterminée parce qu’elle avait apparemment participé à certaines activités visant à miner et à discréditer l’autorité du chef et du conseil de la bande et en particulier, parce qu’elle avait apparemment participé à une bousculade qui avait eu lieu à la station radiophonique lorsque le chef et certains conseillers étaient arrivés pour faire une annonce. L’arbitre a résumé la déposition de plusieurs témoins; il a qualifié de ouï-dire le fondement des conclusions tirées par un témoin oculaire au sujet du fait que la plaignante manquait de respect envers les chefs élus et essayait de leur faire perdre leur pouvoir, et n’y a pas accordé beaucoup d’importance. La plaignante n’a pas témoigné pour donner sa version des faits. Il n’existait aucune preuve probante que la plaignante avait signé une lettre dans laquelle on demandait que le paiement de certaines sommes soit suspendu tant que les membres de la bande n’auraient pas donné leur consentement; par conséquent, l’arbitre a conclu que ce n’était pas une justification valable permettant d’assujettir un employé à des mesures disciplinaires. L’arbitre a dit qu’en arrivant à sa décision, il avait tenu compte des coutumes de la bande, qu’il a décrites comme prônant la paix, l’harmonie, l’entraide et l’amour du prochain, le respect de tous et l’absence de calomnie. Il a [traduction] « accordé peu d’importance aux arrêts … se rapportant uniquement au congédiement injustifié ». Il a interprété le Code comme développant la common law en tant que loi concernant le congédiement injuste, et comme visant une gamme plus étendue de problèmes que ceux qui seraient visés si l’on interprétait le « congédiement injuste » comme incorporant le critère de fond relatif à la cause, comme l’ont proposé les tribunaux dans les affaires de congédiement injustifié. Le requérant a allégué que l’arbitre semblait partial en n’obligeant pas la plaignante à témoigner au sujet de questions sur lesquelles il s’était fondé pour faire des déductions défavorables à l’employeur. La bande a soutenu que la procédure et la décision en résultant étaient inéquitables parce que l’employeur n’avait pas eu la possibilité de contre-interroger la plaignante, et parce que l’arbitre n’avait même pas envisagé de faire des déductions défavorables à la plaignante, comme il aurait dû le faire, puisqu’elle avait omis de témoigner. L’intimée a allégué que la requérante ne pouvait pas soutenir que l’arbitre n’avait pas compétence étant donné qu’elle avait consenti en tout premier lieu à ce que l’arbitre soit compétent. Devant l’arbitre, les parties avaient convenu que la plaignante exerçait son emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale.

L’article 243 du Code prévoit que les ordonnances rendues par un arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives, et non susceptibles de recours judiciaire.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La requérante pouvait contester la compétence de l’arbitre. Si l’arbitre n’avait pas compétence, il n’a jamais eu compétence, et le fait qu’on a consenti à ce qu’il soit compétent ne serait pas pertinent.

La Cour passe outre aux dispositions protectrices de l’article 243 uniquement s’il est démontré que l’arbitre a excédé d’une façon si manifestement déraisonnable la compétence que le législateur lui a conférée qu’il peut clairement être considéré qu’il a abusé de la volonté du législateur, qu’il s’y est soustrait, qu’il l’a esquivée ou qu’il l’a contrariée. Lorsque le litige porte sur la compétence du tribunal, la norme qui régit le contrôle judiciaire de pareilles décisions protégées est celle de la justesse, en ce sens que l’arbitre ne doit pas avoir commis d’erreur en exerçant les pouvoirs conférés par la section XIV.

L’arbitre avait compétence. Habituellement, les relations de travail relèvent de la compétence provinciale, à titre de question de propriété et de droit civil, mais en l’espèce, l’employeur a été créé par le Parlement et l’emploi était visé par la Loi sur les Indiens, tout cela, en vertu de la compétence du Parlement du Canada. La jurisprudence a établi que le champ des relations de travail, en ce qui concerne « les Indiens et les terres réservées aux Indiens », indique non seulement l’existence de la compétence fédérale, mais aussi de la primauté fédérale. Pour conclure à la compétence fédérale, il est en outre nécessaire de conclure que la création des bandes et conseils indiens et leur fonctionnement constituent une entreprise fédérale. Dans ce contexte, le mot « entreprise » est ce que le gouvernement doit faire, les pouvoirs qu’il peut posséder en vertu de la Constitution. L’entreprise ne donne pas à entendre une entreprise commerciale à but lucratif, mais toute la gamme constitutionnelle des matières législatives légitimes relevant du Parlement et des assemblées législatives, et les activités qui en découlent. La création et les activités de la requérante, et le travail pour lequel cette dernière à employé Mme Duncan, constituaient une « entreprise fédérale » au sens de l’alinéa 2i) du Code canadien du travail.

Si la question de droit en litige relève de la compétence du tribunal, celui-ci n’excède sa compétence que s’il commet une erreur manifestement déraisonnable. L’ordonnance de l’arbitre en l’espèce devait être annulée parce que c’était le résultat de procédures, de considérations et de conclusions manifestement déraisonnables. Le compte rendu du témoin oculaire au sujet de l’agitation qui régnait à la station radiophonique n’était pas du ouï-dire. La version de la plaignante n’a pas été présentée dans le cadre d’un témoignage, de sorte que l’avocat de l’employeur n’a pas eu la possibilité de contre-interroger celle-ci. En s’attaquant à la crédibilité des témoins de l’employeur, tout en retenant aveuglément le témoignage dans lequel on alléguait la malveillance du chef, et en ne disant rien au sujet de certaines inconséquences figurant dans cet élément de preuve, l’arbitre a agi de façon à susciter à une crainte raisonnable de partialité. Dans ses motifs, l’arbitre a cité des questions sur lesquelles la plaignante aurait dû témoigner, et l’employeur avoir la possibilité de contre-interroger celle-ci. En l’absence du témoignage en chef de la plaignante, qu’un contre-interrogatoire aurait permis d’apprécier, l’arbitre a été amené à tirer une conclusion erronée. Il a rejeté l’une des principales prétentions de l’employeur, sans entendre le témoignage de la plaignante au sujet de la question de savoir si la signature figurant sur la lettre était la sienne. Cette décision constituait une grave erreur de fait et elle était manifestement déraisonnable. L’arbitre a également manifesté un manque d’objectivité en critiquant l’omission de l’employeur de présenter une preuve, sans jamais critiquer l’omission de la plaignante de témoigner sur de nombreuses questions primordiales ou secondaires.

À moins qu’elle ne soit citée comme témoin au moyen d’un subpoena, rien en droit ne contraint la plaignante à témoigner, mais elle doit alors faire face aux conséquences, à savoir les déductions défavorables que l’arbitre fait. L’arbitre n’a fait aucune déduction défavorable au sujet de la plaignante, mais uniquement au sujet de l’employeur (le chef et les conseillers), qui a en fait témoigné. L’arbitre a mentionné les éléments de preuve auxquels la plaignante devait répondre, sous peine de faire l’objet de déductions défavorables. Il aurait dû informer la plaignante des conséquences de son omission de témoigner et l’encourager à témoigner. Il a ainsi consenti à refuser à l’employeur la possibilité de contre-interroger la plaignante. Étant donné que cette dernière a refusé de témoigner sur des questions de fond, l’arbitre aurait dû faire toutes les déductions défavorables qu’il pouvait faire, et cela aurait pu entraîner le rejet de la plainte. L’omission de l’arbitre à cet égard donne l’apparence de partialité. Son omission d’avertir la plaignante, son omission de tenir compte de la notion juridique des déductions défavorables dans le cas de la plaignante, son indifférence en ce qui concerne la perte de possibilité de l’employeur de contre-interroger la plaignante, son omission d’établir un rapport entre cette perte et la signature au sujet de laquelle il est arrivé à une conclusion douteuse et erronée sans que la plaignante ne témoigne sur ce point, de sorte qu’il a conclu qu’il n’existait aucune justification permettant la prise de mesures disciplinaires, sa partialité apparente lorsqu’il a fait toutes, ou presque toutes, les déductions défavorables à l’employeur, montrent qu’il a conduit l’enquête d’une façon manifestement déraisonnable. Tout cela permettait de croire que le résultat aurait favorisé l’employeur, si l’arbitre ne s’était pas trompé en ce qui concerne les questions susmentionnées.

Les conclusions que l’arbitre a tirées sur le congédiement injuste, par opposition au congédiement illégal, ainsi que le fait qu’il n’a pas tenu compte de la jurisprudence sur le congédiement injustifié, constituaient une directive erronée qu’il s’était imposée et une grave erreur de droit. L’arbitre a également commis une erreur de droit lorsqu’il a tenu compte des coutumes de la bande en formulant des conclusions de droit. L’arbitre désigné par les autorités laïques doit appliquer uniquement le droit séculier.

Tout en confirmant les allégations qui ont été faites dans l’avis de requête introductive d’instance, la Cour n’a pas pu proclamer que l’arbitre était certainement partial. Il y avait apparence de partialité, mais ce n’était pas une certitude. L’arbitre n’était pas un office professionnel à plein temps, mais une personne spécialement choisie uniquement afin de rendre une seule décision, sans avoir d’expertise ou de collégialité institutionnelle. Il n’était pas membre d’un office auquel l’affaire pouvait être renvoyée pour réexamen par un autre membre. La Cour ne pouvait pas enjoindre au ministre de désigner un nouvel arbitre ou, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, rendre la décision ou l’ordonnance que l’arbitre aurait dû rendre. Elle ne pouvait pas ordonner à l’arbitre de rejeter la plainte étant donné qu’elle n’était pas certaine que celui-ci aurait dû la rejeter. Elle était uniquement certaine que l’arbitre avait abordé sa tâche et qu’il s’en était acquitté d’une façon manifestement déraisonnable et qu’il avait tiré une conclusion fortement entachée de vice, qui pouvait être considérée comme manifestement déraisonnable. Par conséquent, bien que la décision de l’arbitre doive être annulée, la plainte demeure non réglée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Assessment Act (The), R.S.O. 1914, ch. 195.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 2, 18, 166, 167(1)a),b),c),(3), 168(1), 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 241(3), 242 (mod., idem, art. 16), 243, 244.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 643 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 93, art. 76).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 57 (mod. idem, art. 19).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 301.1 (édictée par DORS/92-43, art. 2), 1101, 1611 (édictée, idem, art. 19), 1618 (édictée, idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437; (1987), 13 F.T.R. 52 (1re inst.); Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; (1993), 108 D.L.R. (4th) 1; 160 N.R. 321; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72; (1982), 139 D.L.R. (3d) 9; 82 CLLC 14,208; [1982] 4 C.N.L.R. 94; 44 N.R. 136; Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1981] 1 C.F. 225; (1980), 80 CLLC 14,048; 33 N.R. 56 (C.A.); Qu’Appelle Indian Residential School Council c. Canada (Tribunal canadien des droits de la personne), [1988] 2 C.F. 226; (1987), 10 C.H.R.R. D/5476; [1989] 2 C.N.L.R. 99; 14 F.T.R. 31 (1re inst.); Conseil de la bande Tobique c. Sappier (1988), 22 C.C.E.L. 170; 87 N.R. 1 (C.A.F.); Keelan et al. v. Norray Distributing Ltd. et al. (1967), 62 D.L.R. (2d) 466; [1967] 60 W.W.R. 129 (B.R. Man.); Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. ACPLA (1989), 59 D.L.R. (4th) 384; 95 N.R. 255 (C.A.F.); Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729; (1977), 76 D.L.R. (3d) 85; 77 CLLC 14,073; 14 N.R. 72; R. v. Paul Indian Band and Attorney General of Alberta and Attorney General of Canada (1983), 50 A.R. 190; [1984] 2 W.W.R. 540; 29 Alta. L.R. (2d) 310; [1984] 1 C.N.L.R. 87 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Township of Cornwall v. Ottawa and New York Railway Co. et al. (1916), 52 R.C.S. 466; 30 D.L.R. 664.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,209; 26 N.R. 341; Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte et autre, [1982] 1 R.C.S. 710; (1982), 134 D.L.R. (3d) 385; 82 CLLC 14,196; 44 N.R. 340; Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437; [1989] 6 W.W.R. 673; 40 Admin. L.R. 181; 40 B.C.L.R. (2d) 1; 89 CLLC 14,050; 102 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 150 N.R. 161; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 152 N.R. 1; Whitebear Band Council and Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al., Re (1982), 135 D.L.R. (3d) 128; [1982] 3 W.W.R. 554; 15 Sask. R. 37 (C.A. Sask.); Lount Corporation c. Procureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 332; (1983), 2 D.L.R. (4th) 723; [1984] 2 W.W.R. 152; 77 C.P.R. (2d) 35 (1re inst.); conf. par [1985] 2 C.F. 185; (1985), 19 D.L.R. (4th) 304; [1986] 6 W.W.R. 385; 6 C.P.R. (3d) 145; 59 N.R. 212 (C.A.); Barnes v. Union SS. Ltd., [1954] 4 D.L.R. 267; (1954), 13 W.W.R.(N.S.) 72; 71 C.R.T.C. 334 (C.S.C.-B.); conf. par [1955] 2 D.L.R. 564; (1955), 14 W.W.R. 673; 72 C.R.T.C. 280 (C.A.C.-B.); Pick (Otto) & Sons Seeds Ltd. c. Thomson (W.D.) Enterprises Ltd. et Thomson (1989), 100 N.B.R. (2d) 136; 252 A.P.R. 136 (B.R.); Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277; Bond c. New Brunswick (Board of Management) (1992), 122 R.N.-B. (2e) 351 (B.R.); Trizec Equities Ltd. and Area Assessor Burnaby-New Westminster, Re (1983), 147 D.L.R. (3d) 637; 45 B.C.L.R. 258; 22 M.P.L.R. 318 (C.S.C.-B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Toronto Newspaper Guild v. Globe Publishing Co., [1953] 2 R.C.S. 18; [1953] 3 D.L.R. 561; 106 C.C.C. 225; Jarvis v. Associated Medical Services Inc. et al., [1964] R.C.S. 497; (1964), 44 D.L.R. (2d) 407; 67 CLLC 15,511; Union international des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; (1973), 41 D.L.R. (3d) 6; [1974] 1 W.W.R. 653; Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor et Econosult Inc. (1988), 13 Décisions de la C.R.T.F.P. 6; Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549; (1986), 69 N.B.R. (2d) 271; 27 D.L.R. (4th) 406; 177 A.P.R. 271; 66 N.R. 173; R. v. Davidson (1988), 42 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.); Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499; (1951), 4 W.W.R.(N.S.) 234 (C.A. Sask.).

DOCTRINE

Canadian Abridgment, second edition, vol. R15. Evidence, Toronto : Carswell, 1991.

Cross, Rupert Sir. Cross on Evidence, 7th Ed. by Rupert Cross and Colin Taper. London : Butterworths, 1990.

Sopinka, John and Sidney N. Lederman. The Law of Evidence in Civil Cases. Toronto : Butterworths, 1974.

DEMANDE d’annulation de la décision par laquelle un arbitre avait statué qu’une employée d’une bande indienne avait injustement été congédiée. Demande accueillie.

AVOCATS :

Sidney Green, c.r., pour la requérante et l’intervenante.

Martin J. Pollock pour l’intimé Florence Jean Duncan.

PROCUREURS :

Sidney Green, c.r., Winnipeg, pour la requérante et l’intervenante.

Pollock & Company, Winnipeg, pour l’intimée Florence Jean Duncan.

A COMPARU :

George N. Bass, c.r., Brandon, Manitoba, pour son propre compte.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Muldoon : L’Assembly of Manitoba ChiefsSecretariat Inc. a obtenu l’autorisation d’intervenir dans l’audition de la demande de contrôle judiciaire, conformément à l’ordonnance rendue par Madame le juge McGillis le 29 septembre 1992. L’Assemblée appuie la requérante, et les deux organisations sont représentées par le même avocat, Sidney Green, c.r.

La requérante sollicite l’annulation de la décision rendue le 21 avril 1992 par un arbitre désigné conformément à la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2.

La requérante conteste la compétence de l’arbitre, George N. Bass, c.r., en l’espèce pour deux motifs. Elle allègue en premier lieu que la bande, en sa qualité d’intimée, que ce soit par l’entremise de son conseil ou de ses membres individuels dans leur ensemble, n’est pas visée par les dispositions pertinentes du Code, lesquelles [traduction] « ne s’appliquent qu’aux entreprises fédérales, la bande indienne de Norway House n’étant pas une entreprise fédérale ». Cette remarque se rapporte de toute évidence à l’article 167, figurant dans la partie III du Code, dans laquelle se trouve la section XIV. Cette question se rapporte à la compétence légale. Subsidiairement, la requérante allègue que l’arbitre a perdu sa compétence parce qu’en conduisant l’audience et en formulant sa décision, il [traduction] « a commis une erreur de droit à maints égards [soit pour douze motifs expressément énoncés] » et qu’il a rendu une « décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments dont il disposait, comme il en est ici … fait mention ». Cette question subsidiaire se rapporte à la perte de compétence de l’arbitre en raison de sa conduite.

FIN DE NON-RECEVOIR

Les questions susmentionnées constituent réellement le nœud du litige en l’espèce. Toutefois, l’intimée Duncan, parmi les [traduction] « points à débattre », dans le dossier de demande qu’elle a déposée, soulève la question de la fin de non-recevoir, à savoir que la requérante ne pourrait apparemment pas [traduction] « soutenir devant la Cour que l’arbitre n’avait pas compétence, étant donné que l’appelante [sic], en sa qualité de partie au litige, a consenti en tout premier lieu à ce que l’arbitre soit compétent ». De fait, dans la partie II de sa décision écrite, intitulée Compétence, l’arbitre a dit que les parties, par l’entremise de leurs avocats, avaient convenu que [traduction] « Mme Duncan exerçait son emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale : paragraphe 167(1) du Code », parmi les autres points se rapportant à des dispositions légales précises. La requérante soutient qu’elle n’est pas assujettie à la fin de non-recevoir.

À l’appui de la prétention selon laquelle la requérante ne peut pas exercer un recours en contrôle judiciaire, l’intimée cite l’arrêt Township of Cornwall v. Ottawa and New York Railway Co. et al. (1916), 52 R.C.S. 466, dans lequel le juge Idington, qui était dissident, à dit ceci (à la page 476) : [traduction] « L’appel qui a été porté devant nous est fondé sur des circonstances quelque peu particulières ». C’était bien le cas, mais la ratio du juge a réellement fort peu à voir avec la fin de non-recevoir. L’arrêt Township of Cornwall v. Ottawa and New York Railway Co. et al. concernait une procédure d’appel de l’évaluation municipale, fondée sur la prétendue imposition par le canton d’un pont ferroviaire sur le Saint-Laurent. L’Assessment Act de l’Ontario, R.S.O. 1914, ch. 195, prévoyait une série d’appels de l’évaluation donnant lieu à une imposition devant : 1) la Cour de révision du canton; 2) le juge de la Cour de comté; 3) le Railway and Municipal Board de l’Ontario; et 4) la Cour divisionnaire. Les parties à l’appel, de gré à gré, avaient sauté par-dessus le deuxième palier d’appel devant le juge de la cour de comté et avaient porté l’appel devant la Commission [traduction] « comme s’il [l’appel] avait été porté devant le juge de la cour de comté, de sorte qu[‘elles] interjet[aient] appel contre une décision défavorable du juge de la cour de comté ». Dès le début, la Commission a dit [à la page 468] qu’elle n’avait pas [traduction] « compétence pour entendre un appel de la Cour de révision; la Commission [pouvait] uniquement entendre un appel de la décision du juge de la cour de comté ». Toutefois, elle s’est finalement pliée aux volontés des parties.

Le juge en chef, Sir Charles Fitzpatrick, et le juge Idington ne souscrivaient pas à la ratio du jugement de la majorité, à savoir que, lorsque le tribunal ne possède aucune compétence ab initio pour trancher une affaire particulière, toute la volonté du monde ne saurait lui conférer cette compétence, qui ne lui a jamais été dévolue de la façon appropriée par la loi. De fait, le bien-fondé de cette position est évident en soi, car autrement un tribunal créé à une certaine fin (à savoir pour connaître des appels des décisions du juge de la cour de comté) pourrait, si la chose se savait, être transformé en un tribunal différent saisi d’affaires différentes de celles que le législateur prévoyait. Le consentement des parties ne peut pas l’emporter sur la volonté du législateur provincial ou fédéral.

La ratio de l’arrêt Township of Cornwall v. Ottawa and New York Railway Co. et al. semble être fondée sur ce que la Cour s’est strictement appuyée sur le fait que, à première vue, le dossier de la Commission ne renfermait aucun aveu selon lequel cette dernière avait agi sans avoir compétence de sorte que, selon les juges Davies, Duff et Anglin (qui sont tous devenus juges en chef du Canada), les appels devant la Cour divisionnaire ou contre une décision de la Cour divisionnaire semblaient avoir été régulièrement introduits. Le juge Davies a fait la brève remarque suivante, aux pages 472 et 473 :

[traduction] Quant à la question de la compétence, j’ai conclu que la Cour divisionnaire d’appel avait compétence pour accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision du Railway Board et pour trancher la question de droit soulevée, et que l’appel porté devant la Cour contre cette décision est recevable.

Le juge Duff s’est contenté de faire la remarque suivante, à la page 493 :

[traduction] Il ne m’est pas difficile de statuer que l’appel peut être formé. Le jugement de la Cour d’appel a ex facie été prononcé dans le cadre d’un appel régulièrement porté devant la Cour après qu’une autorisation eut été accordée en vertu de l’article 80 de l’« Assessment Act ». On ne laisse pas entendre, dans le jugement officiel, dans les motifs du jugement, dans l’ordonnance accordant l’autorisation d’appel, que la Cour agissait autrement que dans l’exercice de ses fonctions. Par conséquent, en l’absence d’une preuve contraire, et il n’existe aucune preuve de ce genre, il faut considérer l’appel comme ayant été entendu et le jugement prononcé dans l’exercice ordinaire de la compétence de la Cour.

Le juge Anglin est arrivé, de son chef, à la même conclusion, comme il en est fait mention aux pages 509-510.

Il s’agit d’un contrôle judiciaire en première instance de la décision que l’arbitre a rendue en l’espèce; la Cour ne tranchera pas la question de la compétence en se fondant sur le consentement préalable des parties, ou sur le fait que la requérante ne peut pas, en vertu de la fin de non-recevoir, soulever la question qui est ici en litige. Un énoncé clair et ferme du principe figure, aux pages 449 et 450 de la décision du juge McNair, dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437 (1re inst.). Si l’arbitre n’avait pas compétence, comme la requérante l’affirme maintenant, il n’a jamais eu compétence et le consentement ne serait pas pertinent, sauf peut-être en ce qui concerne les frais. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire comme celui-ci, les frais ne doivent pas être adjugés « à moins que la Cour n’en ordonne autrement pour des raisons spéciales », conformément à la Règle 1618 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/92-43, art. 19)]. La Cour conclut que la requérante peut contester la compétence de l’arbitre en la matière.

LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE LÉGALE

Les dispositions pertinentes du Code constituent de toute évidence le point de départ de l’enquête sur ce point. Les définitions pertinentes sont énoncées à l’article 2 de la Loi :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

i) les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales.

En l’espèce, l’arbitre a été désigné et autorisé à agir, et sa compétence a été limitée, conformément à l’article 242 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16] du Code du travail. Cette disposition se trouve dans la section XIV de la partie III de la Loi, intitulée « Congédiement injuste ».

La partie III renferme ses propres définitions pertinentes :

166. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« employeur » Personne employant un ou plusieurs employés.

167. (1) La présente partie s’applique :

a) à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale, à l’exception d’une entreprise de nature locale ou privée dans le territoire du Yukon ou les Territoires du Nord-Ouest;

b) aux employés qui travaillent dans une telle entreprise;

c) aux employeurs qui engagent ces employés;

(3) La section XIV ne s’applique pas aux employés qui occupent le poste de directeur.

168. (1) La présente partie, règlements d’application compris, l’emporte sur les règles de droit, usages, contrats ou arrangements incompatibles mais n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.

Dans la section XIV se trouvent les dispositions pertinentes suivantes :

242. (1) … [désignation de l’arbitre]

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1) [aucune décision lorsque le plaignant a été mis à pied], l’arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

Il peut sembler étrange que ce litige soit entendu par la Cour, étant donné que cela semble contraire à la volonté du législateur, compte tenu des dispositions suivantes, qui figurent dans la section XIV :

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire— notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

Enfin, l’article 244 prévoit qu’une copie du dispositif de l’ordonnance de l’arbitre peut être déposée à la Cour, et être enregistrée de façon à avoir valeur de jugement.

Le rôle indéniable et exclusif de la magistrature canadienne n’est pas d’usurper les fonctions du législateur, mais plutôt d’interpréter officiellement la loi que ce dernier édicte.

La Cour se permet de passer outre aux dispositions protectrices de l’article 243 uniquement s’il est démontré que l’arbitre a excédé d’une façon si manifestement déraisonnable la compétence que le législateur lui a conférée qu’il peut clairement être considéré qu’il a abusé de la volonté du législateur, qu’il s’y est soustrait, qu’il l’a esquivée ou qu’il l’a contrariée. Somme toute, la Haute Cour du Parlement peut difficilement être convoquée dans pareilles affaires qui, en ce qui concerne les cours supérieures, amènent de l’eau au moulin. En protégeant les sentences et les décisions des arbitres, le législateur veut simplement pardonner une multitude de [traduction] « péchés » commis par les arbitres, tant que la façon dont ceux-ci rendent leur décision et que le résultat obtenu ne sont pas manifestement déraisonnables.

Les propositions susmentionnées sont de droit constant, comme la jurisprudence le montre : Toronto Newspaper Guild v. Globe Publishing Co., [1953] 2 R.C.S. 18; Jarvis v. Associated Medical Services Inc. et al., [1964] R.C.S. 497; Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et autres, [1975] 1 R.C.S. 382; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, dans lequel le juge Dickson [tel était alors son titre] a tenu compte de la disposition privative de la loi, à la page 237 :

Autrement dit, l’interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente et d’exiger une intervention judiciaire? [Non souligné dans le texte original.]

Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte et autre, [1982] 1 R.C.S. 710, dans lequel le juge en chef Laskin a dit ceci, au nom de la Cour, à la page 719 :

Je ne vois rien dans ces extraits [de l’arrêt Nipawin précité] qui puisse justifier la mise en question de la compétence exercée en l’espèce par le Conseil canadien des relations du travail. Essentiellement, cette Cour prévient qu’il ne doit pas y avoir de manquement à la justice naturelle (et il n’y en pas en l’espèce) et que le Conseil doit examiner une question qui relève de la loi qu’il est chargé d’appliquer. Si c’est ce qu’il a fait (comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu, à bon droit selon moi), il ne peut y avoir de vice de compétence puisque les décisions du Conseil sont protégées par une clause privative. Il peut commettre une erreur de droit en interprétant l’étendue des pouvoirs qui lui sont conférés, mais ses décisions sont néanmoins exemptées du contrôle judiciaire.

Dans l’arrêt Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, on constate que trois ensembles de motifs de jugement ont été prononcés par les six juges qui ont tranché l’affaire, à raison d’un ensemble pour deux juges, les juges Sopinka et Lamer souscrivant, à quelques exceptions près, à l’avis du juge La Forest et du juge en chef Dickson. Voici un passage crucial du jugement rendu par le juge La Forest, aux pages 1003 et 1004 :

Lorsque, comme en l’espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, notre Cour a déclaré qu’elle n’examinera la décision du tribunal que si celui-ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s’il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l’exercice de sa fonction; voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu’il n’agisse pas de façon « déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente et d’exiger une intervention judiciaire » (p. 237). Le critère de contrôle constitue un « test sévère » : voir Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493. Cette portée restreinte du contrôle oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l’égard des décisions du tribunal administratif. La retenue judiciaire est plus qu’une fiction invoquée par les cours de justice lorsque celles-ci sont d’accord avec les décisions du tribunal. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat « manifestement déraisonnable ». Les cours de justice doivent prendre soin de vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d’accord avec celle-ci. L’accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivé le tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivé à ce résultat. Les clauses privatives comme celles contenues aux art. 31 à 34 du Code constituent des exercices permis du pouvoir du législateur et, dans la mesure où elles restreignent la portée du contrôle judiciaire dans le cadre des pouvoirs constitutionnels, la Cour devrait respecter cette restriction et s’en remettre à la décision de la Commission. [Non souligné dans le texte original.]

Voici l’aspect légèrement différent, mais « important », sur lequel le juge Sopinka ne partage pas l’avis de son collègue, aux pages 1017 et 1018 :

Bien que je sois généralement d’accord avec le juge La Forest sur les principes qui sous-tendent la portée et la norme de contrôle des décisions d’une commission des relations du travail, je ne puis accepter qu’il est toujours nécessaire que le tribunal d’examen ne tienne aucun compte de sa propre opinion sur le fond de la décision faisant l’objet du contrôle. Toute décision sur le caractère raisonnable d’une décision doit comporter une appréciation du fond. Le caractère raisonnable n’existe pas dans l’absolu. Quand un tribunal judiciaire dit que la décision faisant l’objet d’un examen est « raisonnable » ou « manifestement déraisonnable », il fait une affirmation au sujet de la relation logique qui existe entre les motifs de la décision et les prémisses qu’il a estimées exactes. Sans le point de référence que constitue une opinion (sinon une conclusion) sur le fond, on ne peut faire pareille affirmation relative.

Je partage l’opinion du juge La Forest quant à l’importance que revêt la retenue judiciaire dans un contrôle des décisions de tribunaux spécialisés. À mon avis cependant, la retenue judiciaire n’entre en jeu que si la cour de justice est en désaccord avec le tribunal administratif. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il est nécessaire de se demander si l’erreur (ainsi découverte) est raisonnable ou déraisonnable. Comme l’affirme le juge La Forest en citant l’arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, le critère constitue un « test sévère ». Mais même ici une appréciation du fond n’est pas sans pertinence. S’exprimant en son propre nom et en celui du juge McIntyre, le juge Lamer affirme dans l’arrêt Blanchard, à la p. 495 :

… si toutes les erreurs n’aboutissent pas à des déterminations déraisonnables, toute détermination déraisonnable résulte d’une erreur (de droit, de fait, et d’une combinaison des deux, peu importe) qui, elle, est déraisonnable.

Du moment que la cour de justice est convaincue de la justesse de la décision du tribunal administratif, toute mention du caractère raisonnable est superflue.

Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, l’avis des juges était partagé à six contre un, le juge Sopinka, au nom de la majorité, disant ceci, aux pages 629 et 630 :

Pour déterminer s’il y a eu une simple erreur d’interprétation d’une disposition qui confère ou limite la compétence, tout comme pour déterminer s’il y a eu excès de compétence en raison d’une erreur manifestement déraisonnable, il faut avoir recours à une méthode pragmatique et fonctionnelle. C’est ce qui ressort de l’énoncé suivant du juge Beetz tiré de l’arrêt Bibeault [[1988] 2 R.C.S. 1048] (aux pp. 1088 et 1089) :

À cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres et la nature du problème soumis au tribunal. L’analyse pragmatique ou fonctionnelle, à cette première étape, convient tout aussi bien pour le cas où l’on allègue une erreur dans l’interprétation d’une disposition qui circonscrit la compétence du tribunal administratif : dans le cas où l’on allègue une erreur manifestement déraisonnable sur une question qui relève de la compétence du tribunal comme dans le cas où l’on allègue une simple erreur sur une disposition qui circonscrit cette compétence, la première étape consiste à déterminer la compétence du tribunal. (Je souligne.)

Ayant adopté une approche pragmatique et fonctionnelle pour interpréter ces dispositions, j’arrive à la conclusion que le Parlement n’a pas eu l’intention d’attribuer à la Commission la compétence sur les relations de travail des employés qui ne sont pas membres de la Fonction publique. La Commission s’est attribué, par une erreur de droit, une compétence qu’on ne voulait pas qu’elle ait. En conséquence, sa décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. [C’est moi qui souligne.]

Dans cet arrêt, le juge Sopinka, au nom de la majorité, a expliqué d’une façon tout à fait claire, aux pages 630 et 631, la raison pour laquelle celle-ci ne s’en remettait pas à la décision rendue par la CRTFP [Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor et Econosult Inc. (1988), 13 Décisions de la C.R.T.F.P. 6] :

À mon avis, la formulation de l’art. 33 lui-même, conjuguée à la définition du mot « employé » qu’on trouve à l’art. 2, est pratiquement déterminante en l’espèce. L’article 33 vise à habiliter la Commission à décider si un employé ou une catégorie d’employés appartient à l’unité de négociation. S’il n’y avait pas de définition du mot « employé », on pourrait soutenir que la Commission peut décider si quelqu’un est un employé en vertu des critères généralement utilisés dans les affaires de relations de travail. Ces critères servent ordinairement à déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. La définition expresse du mot « employé » montre cependant que le Parlement a clairement eu l’intention de déterminer lui-même la catégorie d’employés sur lesquels la Commission aurait compétence. Cette catégorie se limite aux personnes employées dans la Fonction publique et qui ne sont pas assujetties au Code canadien du travail. D’après le texte même de l’art. 33, le rôle de la Commission consiste non pas à déterminer qui est employé, mais plutôt à déterminer si les employés qui répondent à cette définition appartiennent à une unité particulière de négociation.

Toutefois, si l’on tient compte de la conduite de la CRTFP dans cette affaire, il est tout à fait évident que celle-ci a outrepassé la compétence que le législateur avait l’intention de lui conférer.

Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, le juge Cory a dit, à la page 957, qu’en ce qui concerne la question de sa compétence pour entendre la plainte dont il était saisi, du moment qu’il commettait une simple erreur, le CCRT excédait sa compétence. En ce qui concerne les décisions rendues par un tribunal agissant dans les limites de sa compétence, la cour de révision doit veiller à ce que la décision du tribunal ne soit pas manifestement déraisonnable. Si la question de droit en litige relève de la compétence du tribunal, celui-ci n’excède sa compétence que s’il commet une erreur manifestement déraisonnable.

La Cour suprême a continué à raffiner la jurisprudence, même après avoir rendu son jugement en 1991, dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique. L’évolution notée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique (précité), suivi par l’arrêt Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230, montre une majorité solide de cinq juges, le juge en chef Lamer et le juge Cory exprimant des opinions légèrement différentes; il s’agit d’un jugement unanime quant au résultat, à savoir que l’appel interjeté par l’employeur ainsi que l’appel incident du syndicat, lequel n’était pas fondé et n’avait pas été débattu, devaient être rejetés. La compétence de l’arbitre a été examinée dans cette affaire. Le juge La Forest, qui a dit ceci (aux pages 250 et 251), a exprimé l’avis de la majorité :

La Cour n’a pas été invitée à examiner l’interprétation que l’arbitre a donnée à la convention [collective] en cause. Si cette question avait été régulièrement soumise à notre Cour, je ne doute pas que la portée de notre examen de cet aspect de la sentence arbitrale aurait été limitée—nous nous serions lancés dans un examen fondé sur le caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, compte tenu du plan plus général sur lequel le débat relatif à la compétence a été engagé devant notre Cour, je suis d’avis qu’il convient d’examiner la décision de l’arbitre en fonction de la norme de l’absence d’erreur. J’exposerai plus loin les motifs de ma décision, mais il y a peut-être lieu, à ce moment-ci, de formuler des observations sur cette analyse stratifiée des questions découlant de la sentence arbitrale.

En premier lieu, je ne voudrais pas que l’on considère mes conclusions sur la norme de contrôle en l’espèce comme un recul par rapport à la retenue dont il faut faire preuve en abordant le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs depuis l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. Les conclusions en l’espèce ne sont pas non plus incompatibles avec les affirmations antérieures de notre Cour concernant la portée adéquate du contrôle judiciaire des sentences arbitrales rendues conformément à l’art. 44 de la Loi. Notre Cour a affirmé dans des arrêts antérieurs que les tribunaux doivent, en principe, s’en remettre à l’expertise de l’arbitre pour ce qui est des questions concernant l’interprétation des conventions collectives; … Il est clair qu’un arbitre a compétence stricto sensu pour interpréter les dispositions d’une convention collective lorsqu’il s’agit de décider si des questions sont arbitrables sous le régime de cette convention. Dans ce cas, l’arbitre agit dans son domaine d’expertise et le contrôle judiciaire de cette interprétation ne doit se faire que selon la norme du caractère manifestement déraisonnable. Mais le présent cas est différent. En l’espèce, ce sont la viabilité et la survie de la convention collective qui sont mises en doute. La société allègue que, indépendamment de l’interprétation donnée à la convention, celle-ci ne saurait survivre de manière à justifier le présent arbitrage. La convention collective est le fondement de la compétence de l’arbitre et celui-ci ne doit pas commettre d’erreur en décidant qu’elle existe ou qu’elle subsiste.

En ce qui concerne l’appel principal, le juge La Forest a conclu ceci, à la page 305 :

En résumé, je suis d’avis que les droits accordés aux retraités peuvent, si les conditions d’une convention collective le stipulent, survivre à cette convention. De plus, quoiqu’il ne soit pas strictement nécessaire de statuer sur ce point dans le présent pourvoi, je conclurais que ces droits subsistants deviennent acquis à la date où l’employé prend sa retraite et qu’ils survivraient à toutes négociations collectives subséquentes qui auraient pour objet de les faire cesser. J’ai conclu ainsi que les propositions générales de l’arbitre à cet égard étaient exemptes d’erreur et que l’arbitre était compétent pour entendre le grief du syndicat. Bien entendu, je ne ferai aucune observation sur la question de savoir si les conditions de la convention conclue entre la société et le syndicat créent effectivement un tel droit acquis. C’est à l’arbitre qu’il appartient de trancher cette question au moment où l’audience d’arbitrage porte sur le fond.

Peu de temps après l’arrêt Dayco, il y a eu l’arrêt Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, de la Cour suprême, dans lequel les juges étaient divisés à quatre contre un, le juge Gonthier ayant prononcé les motifs au nom de la majorité. Il s’agissait d’une affaire concernant les pouvoirs du Conseil canadien des relations du travail d’ordonner la production de documents avant le début de l’audience, laquelle avait été portée en appel par suite de la décision de la Cour d’appel fédérale [(1989), 59 D.L.R. (4th) 384]. Le principe s’appliquant à la révision des questions relevant de la compétence administrative, même [traduction] « protégée », par les critères ordinaires a évolué à un point tel qu’il suffit de citer la brève analyse préliminaire que le juge Gonthier a faite, à la page 735 :

L’analyse du pouvoir que confère au Conseil l’al. 118a) du Code passe d’abord par l’examen du texte de cette disposition. Comme le litige porte sur la compétence du Conseil, la norme qui régit le contrôle judiciaire de l’ordonnance du Conseil est celle de la justesse ou de l’absence d’erreur : U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et, plus récemment, Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230.

La norme de la justesse ou de l’absence d’erreur sur laquelle est fondée la compétence de l’arbitre signifie simplement que ce dernier ne doit pas commettre d’erreur en exerçant les pouvoirs conférés par la section XIV ou en vertu de cette section. Il est à supposer que le législateur ne veut pas que les pouvoirs (et limitations) minutieusement prévus soient excédés et que les clauses privatives qu’il a adoptées visent à protéger pareils excès.

L’arbitre a exercé sa compétence; la plainte formulée par la requérante à ce sujet se rapporte essentiellement, en fin de compte, à l’interprétation des dispositions légales. L’arbitre a-t-il agi d’une façon conforme à ces interprétations? La plaignante allègue que l’arbitre n’avait pas compétence, parce que la bande indienne requérante n’était tout simplement pas « une entreprise fédérale » au sens de l’article 167 précité du Code.

À cet égard, l’avocat de la requérante reconnaît ce qui suit :

[traduction] Nous ne nions pas que nous sommes l’employeur. La chose n’est pas [contestée]; nous ne disons pas que nous ne sommes pas l’employeur. N’y songeons plus. Nous sommes l’employeur. [Transcription : page 155, lignes 5 à 7]

L’avocat a ajouté ceci :

[traduction] … nous concédons que les activités du conseil de la bande relèvent de la compétence législative du gouvernement fédéral [sic] [du Parlement?], de sorte qu’il [l’avocat des intimés] n’a pas à le prouver. Nous convenons de la chose. [Transcription : page 160, lignes 14 à 17]

L’avocat de la requérante a résumé la question comme suit :

[traduction] Elle [Mme Duncan] est l’employée de la bande, et non du Ministre. La bande se livre à ses activités en vertu de la Loi sur les Indiens…. [La Cour :—La plaignante agissait-elle donc en vertu de la Loi sur les Indiens , quelle que soit la tâche que la bande lui déléguait?] C’est exact. Cela ne pose pas de problème…. Tout cela, en vertu de la loi, de la compétence du Parlement du Canada. Cela ne pose aucun problème. [Transcription : page 167, lignes 1 à 10]

Voici donc la question à trancher en l’espèce, compte tenu de l’aveu de l’avocat de la requérante, à savoir que la bande, ou le conseil de la bande, était, pendant toute la période pertinente, l’employeur de Mme Duncan : cette dernière exerçait-elle son emploi « dans le cadre d’une entreprise fédérale » au sens des alinéas 167(1)a) et b)? Dans l’affirmative, la compétence légale de l’arbitre est confirmée; dans la négative, sa compétence légale est niée. Les tribunaux interprètent la loi d’une façon qui fait autorité. Les jugements qui font le plus autorité le confirment.

Dans l’arrêt Whitebear Band Council and Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al., Re (1982), 135 D.L.R. (3d) 128 (C.A. Sask.), la commission provinciale a, semble-t-il, cherché à accréditer le syndicat des menuisiers comme représentant la majorité des employés membres de l’unité des menuisiers employés par le conseil de la bande, et, l’a obligé à négocier collectivement. Le conseil de la bande a demandé l’annulation des ordonnances de la Commission, principalement pour le motif que [à la page 130] [traduction] « la réglementation des relations de travail en question relève de la compétence fédérale, et non de la compétence provinciale, et ne relève donc pas de la commission provinciale ». Le jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan a été rédigé par le juge Cameron. Ce dernier a présumé que le conseil de la bande était l’employeur des menuisiers, ce que l’avocat de la requérante reconnaît en l’espèce.

Habituellement, compte tenu du partage distinct des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux qui existe au Canada, les relations de travail, puisqu’elles sont considérées comme une question de « propriété et [de] droits civils », relèvent de la compétence provinciale. En l’espèce, l’employeur a été créé par le Parlement, et l’emploi est visé par la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5], comme l’avocat de la requérante l’a dit : tout cela, en vertu de la compétence du Parlement du Canada. Telle est l’essence de l’arrêt Whitebear. Il est vrai que la tâche de la Cour consistait à décider si la commission provinciale pouvait exercer sa compétence, mais la Cour a, en fin de compte, conclu qu’il s’agissait d’une compétence fédérale, ce qu’elle devait conclure, à l’exclusion de la compétence provinciale. La conclusion selon laquelle l’emploi des membres de la bande en tant que menuisiers relevait de la compétence fédérale était une conclusion essentielle, parce que seule pareille conclusion pouvait exclure le pouvoir de la commission des relations de travail provinciale.

Le juge Cameron, J.C.A., a cité les dispositions légales qui correspondaient alors aux paragraphes 167(1) et (2) actuels, et il a mentionné l’arrêt Conseil canadien des relations du travail et autre c. Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, de la Cour suprême du Canada, dans lequel le juge Pigeon, au nom de la majorité, a dit ceci [à la page 738] :

À mon avis, il ne faut pas chercher à donner un sens restreint à l’un quelconque des termes « ouvrage, entreprise ou affaire » tels qu’ils sont utilisés dans le Code du travail, de façon à exclure de leur domaine toutes les activités des corporations municipales. Certaines d’entre elles, tels les systèmes d’adduction d’eau et d’égouts, relèvent indubitablement du concept d’« ouvrage ». D’autres, tels les services de sûreté ou sanitaires, ne peuvent pas être exclus du domaine de l’« entreprise » sans dénaturer l’expression, et le terme « affaire » a été défini comme [traduction] « presque tout ce qui est une occupation, par opposition à un Plaisir—n’importe quel devoir ou occupation qui exige de l’attention … » (le lord juge Lindley, dans Rolls v. Miller (1884), 27 Ch.D. 71, à la p. 88). Il va sans dire que le terme « affaire » est souvent appliqué à des activités poursuivies sans but lucratif. À mon avis, essayer d’établir une distinction dépendant du fait qu’un employeur est une compagnie privée ou une administration publique, serait contraire à tout le concept de classification des employés, à des fins de compétence, en fonction du caractère de l’entreprise.

Puis, le juge Cameron, J.C.A., a terminé ainsi ses motifs de jugement [aux pages 411 et 412] :

[traduction] Compte tenu de ces observations, je crois que, dans le contexte du Code canadien du travail, les activités du conseil de la bande Whitebear peuvent être considérées comme « une entreprise fédérale », et que les relations de travail en question sont donc assujetties à cette Loi.

Conclusion

Pour ces motifs, j’estime que la Trade Union Act de la Saskatchewan ne s’applique pas en l’espèce, étant donné que le pouvoir de réglementer les relations de travail en question fait partie intégrante de la compétence fédérale primordiale sur les « Indiens » et les « terres réservées aux Indiens », et que pareilles relations de travail sont assujetties au Code canadien du travail. Il s’ensuit que la Labour Relations Board de la Saskatchewan a outrepassé sa compétence en cherchant à rendre les ordonnances qu’elle a rendues et j’annulerais donc ces ordonnances, les dépens de la demande étant adjugés à l’appelant.

Le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72, est complexe en ce sens qu’il peut montrer que les conclusions tirées dans l’arrêt Whitebear avaient en fait été confirmées par la Cour d’appel fédérale en l’espèce [Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail] [1981] 1 C.F. 225. Le juge Martland, au nom de la Cour suprême, a dit ceci, à la page 74 :

Jusqu’à l’audience en Cour d’appel fédérale, le principal moyen des intimés à l’encontre des ordonnances du Conseil était que les relations de travail en question ne relèvent pas de la compétence législative fédérale, que le Code ne s’y applique pas et que, par conséquent, le Conseil n’a pas compétence pour rendre les ordonnances en litige. La Cour d’appel fédérale n’a pas accepté ce moyen. Les juges Heald et Le Dain ont conclu que le Code s’applique aux relations de travail en question.

Cette conclusion, qui a apparemment été adoptée par la Cour suprême du Canada, lie la Cour puisque l’un ou l’autre arrêt, ou les deux arrêts, de ces cours d’appel font autorité.

Dans les affaires de droit public comme celle-ci, les tribunaux ne devraient réellement pas se fonder sur les aveux des parties, comme ils peuvent le faire dans les affaires de droit privé, où le litige [traduction] « appartient » uniquement aux particuliers. Par conséquent, afin d’atténuer l’anxiété qui existe au sujet du statut reconnu d’employeur de la requérante (ce qui, hélas, n’abrégera pas ces motifs), la Cour citera les passages figurant à la page 78 de l’arrêt Alliance de la Fonction publique c. Francis et autres :

Le conseil de bande a été créé par la Loi sur les Indiens. Il a reçu le pouvoir d’établir des statuts et doit employer du personnel pour en assurer l’application. De fait, le conseil embauche des employés qui travaillent pour lui et qu’il paie. Dans ces circonstances, pour les fins du Code, je suis d’avis qu’on peut valablement dire que le conseil est un employeur au sens de cette loi. Ma conclusion trouve appui dans le par. 27(7) de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, qui dispose que les mots écrits au singulier comprennent le pluriel. Le mot « personne » dans le Code comprend par conséquent « personnes ». Le conseil de bande est un groupe de personnes désigné auquel les dispositions de la Loi sur les Indiens attribuent un rôle particulier.

Les intimés ont fait valoir devant cette Cour que le Conseil aurait dû accréditer la bande et non le conseil de bande. Cependant, comme le souligne le juge Le Dain, si le conseil de bande ne peut être considéré comme l’employeur parce qu’il n’a pas la personnalité morale, il en est de même pour la bande. Si l’absence de personnalité morale empêche un organisme d’être un employeur au sens du Code, on serait alors dans une situation où des employés indiens travaillant pour le conseil de bande ou la bande ne pourraient bénéficier des droits qu’accorde le Code.

Ainsi le Conseil avait compétence pour décider, en vertu de l’al. 118p) du Code, précité, si le conseil de bande ou la bande peut être considéré comme l’employeur. Il appartenait au Conseil de décider qui était l’employeur, et il l’a fait.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. L’appelante a droit à ses dépens en cette Cour et en Cour d’appel fédérale.

Ce qui est infirmé n’est pas ce qui a été adopté ou reconnu, à la page 74, mais plutôt la décision rendue par la majorité de la Cour d’appel, à savoir que le conseil de la bande Saint-Regis n’était pas une « personne » et, par conséquent, un « employeur ». La Cour suprême a infirmé cette conclusion et a statué que le conseil ou la bande était une « personne » capable d’être un « employeur » reconnu par la loi.

Une affaire similaire a été tranchée par la Cour d’appel de l’Alberta, au nom de laquelle le juge Belzil a rendu jugement dans R. v. Paul Indian Band and Attorney General of Alberta and Attorney General of Canada (1983), 50 A.R. 190. Trois passages relativement brefs suffiront pour résumer la ratio de ce savant jugement, aux pages 191, 196 et 197 :

[traduction] L’appelante, la bande Paul, est une bande légalement constituée en vertu de la Loi sur les Indiens … Elle a été accusée, en vertu de l’Alberta Labour Act … d’avoir omis de verser à deux employés les salaires que ceux-ci avaient gagnés pendant qu’ils travaillaient pour elle, à titre d’agents spéciaux, dans la réserve indienne 133 Wabamun.

La bande a été reconnue coupable à la suite de procédures sommaires engagées devant la Cour provinciale [publié à [1982] 4 C.N.L.R. 120] : on lui a infligé une amende, et des jugements ont été rendus contre elle à l’égard des salaires qui étaient dus. La déclaration de culpabilité et les jugements ont été confirmés en appel par la Cour du Banc de la Reine. L’appel qui a été porté devant nous soulève des points de droit.

La principale question soulevée dans cet appel est de savoir si l’Alberta Labour Act s’applique aux relations de travail de la « bande » et à ses agents spéciaux. C’est à l’égard de cette question constitutionnelle que les intervenants ont comparu et que les principaux arguments ont été présentés devant nous, et c’est donc sur ce point que je me propose de trancher l’appel.

Les conseils de bandes sont créés en vertu de la Loi sur les Indiens, et le pouvoir qu’ils possèdent de se livrer à leurs activités en leur qualité de conseils de bande leur sont exclusivement dévolus par cette Loi. Dans l’exercice de leurs fonctions, ils s’occupent de l’administration des affaires de la bande dans leurs réserves respectives, que ce soit sous l’autorité directe du Parlement ou à titre d’organes administratifs du ministre. Leurs pouvoirs ne proviennent d’aucune autre source. Les conseils de bande relèvent donc de la compétence législative exclusive que possède le Parlement du Canada sur les « Indiens et les terres réservées aux Indiens », en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, et pareils conseils ne sont donc pas assujettis à la loi provinciale…

Il ne peut donc y avoir aucun doute que les activités normales du conseil de la bande Paul étaient celles auxquelles ce dernier se livrait en vertu de la Loi sur les Indiens et qu’elles constituaient donc une entreprise fédérale. Le fait que les agents spéciaux en question appliquaient peut-être les lois provinciales dans la réserve n’est pas pertinent.

On a demandé à la Cour d’adopter le raisonnement qui a été fait par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Whitebear Band Council, précité. Dans cette affaire-là, les activités du conseil de la bande en cause étaient visées par une entente intervenue entre le conseil et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, selon laquelle le conseil s’engageait à gérer un programme de dépenses d’investissement dans le domaine de la construction d’habitations, etc. dans la réserve, lequel était financé par le Ministère. Je ne suis pas en désaccord avec cette décision, mais je ne me suis pas fondé sur elle parce que des considérations différentes peuvent s’appliquer.

Si des considérations différentes s’appliquent, elles sembleraient découler de la distinction entre la question soulevée dans l’arrêt Paul Band, qui se rapportait à une infraction provinciale, et celle qui était soulevée dans l’arrêt Whitebear, à savoir le recrutement, la représentation syndicale et l’accréditation provinciale.

Dans les deux arrêts précités des cours d’appel, il faut noter que l’exception à la norme de l’hégémonie provinciale en matière de relations de travail (« la propriété et les droits civils dans la province », paragraphe 13 de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]), devait être fondée non sur un vide impalpable relativement à la compétence, car cela aurait ipso facto confirmé la norme, mais sur une conclusion formelle selon laquelle le champ des relations de travail, en ce qui concerne « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » (paragraphe 24 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ), indiquait non seulement l’existence de la compétence fédérale, mais aussi de la primauté fédérale. C’est ce qu’a jugé le juge Pinard dans l’arrêt Qu’Appelle Indian Residential School Council c. Canada (Tribunal canadien des droits de la personne), [1988] 2 C.F. 226 (1re inst.), à la page 242. Cette conclusion reconnaissant la compétence législative fédérale était, et est, tout à fait nécessaire aux fins de l’exclusion de la compétence provinciale. Le droit constitutionnel, comme la nature, a horreur du vide. En outre, pour conclure à la compétence fédérale, il était, et il est, en outre nécessaire de conclure que la création des bandes et des conseils indiens et leur fonctionnement constituent une entreprise fédérale.

On ne force pas le sens du mot « entreprise » en affirmant que l’entreprise de chaque palier de gouvernement, dans l’État fédéral, est composée de ce qu’il doit faire, des pouvoirs qu’il peut posséder en vertu de la Constitution. L’entreprise, en ce sens, ne donne pas à entendre une entreprise commerciale à but lucratif, mais toute la gamme constitutionnelle des matières législatives légitimes relevant du Parlement et des assemblées législatives, et les activités qui en découlent.

De même, une entreprise gouvernementale ou législative n’est pas nécessairement une entreprise commerciale au sens où ces mots peuvent être compris dans certaines lois réglementant les entreprises et le commerce, où ils peuvent avoir pareille connotation. L’affidavit que Margaret Jane Balfour a déposé est instructif et convaincant à cet égard. La distinction a été notée par la Cour dans l’arrêt Lount Corporation c. Procureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 332, aux pages 357 et 358 :

Telle est certainement l’essence de l’« entreprise » visée par les deux lois [de nature réglementaire]. Elle comporte l’aspect de responsabilité pour défaut de satisfaire une obligation commerciale et doit par conséquent être distinguée des entreprises visées dans la Constitution en matière de répartition des pouvoirs législatifs.

Cette question de l’« entreprise » a, entre autres choses, été examinée en appel. La Cour d’appel ne l’a pas expressément mentionnée et l’appel a été rejeté, [1985] 2 C.F. 185, aux pages 198 et 199.

La même conclusion relative à la compétence, en ce qui concerne l’« entreprise », a été tirée par Madame le juge Desjardins en son nom personnel ainsi qu’au nom du juge Mahoney dans l’arrêt Conseil de la bande Tobique c. Sappier (1988), 22 C.C.E.L. 170 (C.A.F.), aux pages 177 et 178 :

Après avoir conclu qu’il s’agit en l’espèce d’un cas de compétence législative fédérale, j’estime également que le Code canadien du travail occupe ce champ.

Dans l’arrêt Yellowknife c. C.R.T. (Can.), [1977] 2 R.C.S. 729, à la p. 738, 14 N.R. 72 … le juge Pigeon, s’exprimant au nom de la Cour, a accepté la définition suivante du terme « affaire » donnée par le lord juge Lindley dans Rolls v. Miller (1884), 27 Ch. D. 71, à la p. 88 (C.A.), comme [traduction] « presque tout ce qui est une occupation, par opposition à un plaisirn’importe quel devoir ou occupation qui exige de l’attention ». Le juge Pigeon a ajouté que le terme « affaire » est souvent appliqué à des activités poursuivies sans but lucratif. À mon avis, l’organisme correspond à la réalité décrite par l’expression « affaire de compétence fédérale ». La bande est un employeur en vertu du Code (L’Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis, [1982] 2 R.C.S. 72 (C.S.C.)). Je conclus donc que l’arbitre était compétent en vertu du Code canadien du travail.

Par conséquent, la Cour conclut également que la création et les activités de la requérante, et le travail pour lequel cette dernière a employé Mme Duncan, constituent toutes une « entreprise fédérale » au sens de l’alinéa 2i) du Code canadien du travail. Conformément à la logique et compte tenu de la jurisprudence, juger autrement serait abusif. L’objection que l’appelante a formulée à la compétence de M. Bass en sa qualité d’arbitre est rejetée.

Il ne semble pas que les procureurs généraux provinciaux aient été avisés qu’une question constitutionnelle serait débattue. L’appelante doit remédier à cette omission, si un appel est interjeté sur ce point. Dans l’ordonnance par laquelle elle a accordé le statut d’intervenante, Madame le juge McGillis n’a pas conféré le droit d’appel à l’intervenante, parce que, sans doute, la future intervenante n’avait pas invoqué la Règle 1611(3) [édictée par DORS/92-43, art. 19], et ce, bien que, dans son avis de demande, la Règle 1611(1) [édictée, idem] soit mentionnée. L’intervenante devrait obtenir l’opinion d’un avocat sur ce point : il ne serait peut-être même pas trop tard pour présenter une demande, si l’avocat lui conseille de le faire, dans la mesure où elle démontre l’existence de motifs valables. L’arrêt Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et autre c. Association of Parents for Fairness in Education et autres, [1986] 1 R.C.S. 549, de la Cour suprême, se rapporte aux droits d’appel des intervenants.

La notification d’une question constitutionnelle qui doit être donnée aux procureurs généraux fédéral et provinciaux est prévue à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19)], ainsi qu’aux Règles 301.1 [édictée par DORS/92-43, art. 2] et 1101.

QUESTION DE LA PERTE DE COMPÉTENCE FONDÉE SUR LE CARACTÈRE APPAREMMENT MANIFESTEMENT DÉRAISONNABLE

Le pouvoir que possède la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire de la façon dont l’arbitre est arrivé à sa décision a souvent été confirmé par des arrêts qui font autorité, et ce, malgré les dispositions de l’article 243 du Code canadien du travail. Comme la déclaration que le juge La Forest a faite dans l’arrêt Dayco (page 250), précité, permet de le constater, si l’examen de l’interprétation que l’arbitre a donnée à tous les éléments de preuve qui ont été admis devant lui était sollicitée, sa portée serait limitée. En pareil cas, la Cour doit se lancer dans « un examen fondé sur le caractère manifestement déraisonnable ». Qu’il en soit ainsi. C’est ce que la requérante sollicite. Si l’enquête s’avère positive, la décision de l’arbitre doit de toute évidence être infirmée, ou annulée, compte tenu du critère qui s’applique à l’enquête : on ne saurait maintenir une décision manifestement déraisonnable. Le Parlement ne voulait certainement pas exempter pareille décision du contrôle, si l’examen montre qu’elle est manifestement déraisonnable.

Si, d’autre part, la conduite de l’enquête par l’arbitre, y compris le résultat, n’est pas « manifestement déraisonnable », la Cour doit rejeter la demande de contrôle judiciaire. Dans le raisonnement que l’arbitre a fait et dans la décision qu’il a rendue en l’espèce, il existe plusieurs incohérences et inconséquences au sujet des éléments de preuve qu’il faut retenir et de ceux qu’il faut rejeter, ainsi que des déductions qui peuvent être faites à ce sujet. Pareils vices sont clairement protégés par l’application de l’article 243 du Code, bien que l’avocat de la requérante en ait fait mention dans son exposé.

Le principal vice, parmi ceux qui étaient visés par les critiques de l’avocat de la requérante, se rapportait à la tranquillité d’esprit apparente de l’arbitre en ce qui concerne le fait que la plaignante n’avait pas témoigné au sujet de questions sur lesquelles celui-ci s’était fondé pour faire des déductions et tirer des conclusions défavorables à l’employeur, de sorte que, au fond, il semblait partial. L’employeur, par l’entremise de l’avocat, n’avait donc pas eu la possibilité de contre-interroger la plaignante et, est-il allégué, la décision en résultant et la procédure étaient inéquitables parce que l’employeur n’avait pas eu la possibilité de contre-interroger la plaignante et parce que l’arbitre n’avait même pas envisagé de faire des déductions défavorables à la plaignante, comme il aurait dû le faire, puisqu’elle avait omis de présenter personnellement une preuve.

LES MOTIFS ET L’ORDONNANCE DE L’ARBITRE

L’intimée Duncan, qui était la plaignante dans les procédures engagées devant l’arbitre, travaillait comme superviseure d’un programme [de bien-être] : elle était administratrice en matière de bien-être. L’arbitre a conclu qu’elle n’occupait pas un poste de direction et que la plainte qu’elle avait présentée relevait donc de sa compétence. La plaignante avait été suspendue en février 1990, un an avant la période qui nous intéresse. Le conseil de la bande avait par la suite été en désaccord avec cette suspension et avait réintégré Mme Duncan.

La plaignante a également été suspendue, sans rémunération, le 13 février 1991, la suspension devant prendre effet immédiatement et pendant une période indéterminée. La lettre par laquelle le conseil avait informé la plaignante de la mesure qui avait été prise a été versée à titre de pièce 8 à l’audience qui a eu lieu devant l’arbitre; il y était fait mention des fautes de conduite que la plaignante avait apparemment commises, et dont l’arbitre a parlé comme suit :

[traduction] 1. Le fait d’avoir participé à certaines activités visant à saper et à discréditer l’autorité du chef et du conseil de la bande indienne de Norway House.

2. Le fait de ne pas avoir continuer à mériter la confiance et d’avoir manqué de loyauté, ce qui constituait une condition nécessaire relativement au poste de responsabilité et de direction qu’elle occupait au sein de l’administration de la bande indienne de Norway House.

3. Le fait de ne pas être satisfaite de l’administration courante des programmes de la bande indienne de Norway House.

La lettre disait également ceci, en ce qui concerne une section du Manuel sur les politiques et lignes directrices procédurales :

« Sous la rubrique Cessation d’emploi, le paragraphe 3.21.1 dit ceci : “Il peut être mis fin à l’emploi d’un employé sans préavis pour juste cause” tel que cela est défini en c) Insubordination. » [page 21 du dossier, page 7 des motifs]

Plus loin, l’arbitre a dit ceci :

[traduction] Au début de la soirée, le 13 février 1991, M. Hart [qui, plus tôt ce jour-là, avait rédigé la lettre (pièce 8) à l’intention de la plaignante] a accompagné le chef Ross et certains conseillers aux locaux de la station radiophonique. Le chef Ross voulait faire une annonce au sujet de certains renseignements financiers qui avaient été diffusés au sein de la collectivité, par d’autres personnes que le conseil ou lui-même. Il y avait un certain nombre de personnes, dont la plaignante, dans les locaux de la station radiophonique. Selon certains éléments de preuve, le groupe qui était dans les locaux de la station radiophonique se bousculait et criait lorsque le chef et son groupe sont arrivés. Cet incident a duré une trentaine de minutes. La plaignante était l’une des personnes que M. Hart avait vue bloquer la porte lorsque certains membres du groupe du chef Ross ont essayé de quitter l’immeuble. M. Hart a vu la plaignante parler à tous les conseillers. Elle ne criait pas.

M. Hart [directeur de l’exploitation de la requérante] n’était pas au courant de l’existence d’un problème qu’on aurait eu avec la plaignante du 12 février 1991 au 21 mars 1991. Le 22 mars 1991, M. Hart a écrit à la plaignante (pièce 13) pour lui faire savoir que le chef Ross et le conseil avaient examiné la demande qu’elle avait présentée en vue d’en appeler de la suspension du 13 février 1991, et qu’ils croyaient qu’un examen de la suspension n’était pas justifié. Selon la preuve présentée par M. Hart, la plaignante n’avait pas encore été congédiée et il n’avait pas été décidé de mettre fin à son emploi. La position de l’employeur est que, compte tenu de la lettre du 22 mars 1991, il avait été mis fin à l’emploi de la plaignante. Le 21 mars 1991, M. Hart avait été chargé de rédiger cette lettre afin d’informer la plaignante que son appel était refusé et qu’elle était congédiée. Le chef et son conseil avaient pris cette décision en se fondant sur la conduite de la plaignante le 13 février 1991, ce qui s’était produit après que la lettre versée au dossier à titre de pièce 8 eut été envoyée à celle-ci. M. Hart ne connaissait pas l’existence d’autres événements dont le chef et le conseil auraient tenu compte. [pages 21 et 22 du dossier, pages 7 et 8 des motifs]

Lorsqu’on a insisté sur ce point pendant le contre-interrogatoire, M. Hart a fait savoir que la plaignante avait été suspendue, le 13 février 1991, parce que le chef et le conseil avaient dit qu’elle devait l’être, en alléguant qu’elle les discréditait.

Ni M. Folster ni lui n’ont fait enquête ou n’ont demandé à la plaignante de donner sa version des faits.

M. [Sandy] Cromarty [qui était conseiller depuis 20 ans] a confirmé que, le 13 février 1991, un certain nombre de personnes étaient déjà dans les locaux de la station [radiophonique] lorsqu’il est arrivé avec le chef Ross et d’autres personnes. Il a vu la plaignante et il a dit qu’elle parlait passablement fort. On élevait beaucoup la voix et on se bousculait beaucoup. [page 23 du dossier, page 9 des motifs; non souligné dans le texte original.]

Puis, l’arbitre a parlé du témoignage de Peter Albert, qui était conseiller de la bande de Norway House depuis le mois de novembre 1990 seulement :

[traduction] M. P. Albert faisait partie du groupe qui, avec le chef Ross, s’était présenté dans les locaux de la station radiophonique au début de la soirée, le 13 février 1991. Il a confirmé qu’il y avait un certain nombre de personnes à l’intérieur des locaux de la station, dont la plaignante. On criait et on se bousculait. Il a vu la plaignante à la sortie, empêchant certaines personnes de partir. Selon lui, la plaignante était en colère. Elle proférait des injures, mais à son avis, aucune des injures ne s’adressait à lui. Selon lui, la plaignante faisait la même chose que toutes les autres personnes qui étaient dans les locaux de la station, c.-à-d. qu’elle manifestait son opposition au chef Ross et au conseil.

Avant les événements qui se sont produits dans les locaux de la station radiophonique, M. P. Albert avait été informé de la conduite de la plaignante lors d’une séance du conseil, et avait participé à la décision de suspendre celle-ci pour une période indéfinie jusqu’à ce qu’on fasse enquête. Par la suite, il a participé à la décision du conseil de mettre fin à l’emploi de la plaignante.

Il estimait que la plaignante manquait de respect envers les chefs élus en nuisant aux membres élus de la direction, en les critiquant le plus souvent possible et en essayant de leur faire perdre leur pouvoir. [pages 24 et 25 du dossier, pages 10 et 11 des motifs; non souligné dans le texte original.]

Sa décision [soit celle de P. Albert] au sujet de la suspension indéfinie de la plaignante était fondée sur l’insubordination de cette dernière. Il fondait sa conviction sur des renseignements que d’autres personnes lui avaient donnés. Il ne disposait d’aucune preuve directe de la participation de la plaignante à quelque groupe dissident. Il n’avait pas cherché à obtenir d’explications de la part de cette dernière. Il reconnaissait qu’il était normal que les membres de la bande discutent de la façon dont le chef et le conseil travaillaient. La notion de liberté de parole garantie par la Charte des droits est conforme à la coutume de la bande. Il avait cru que la plaignante participait aux activités du groupe politique dissident, mais il reconnaissait qu’il avait pu se tromper.

Le fondement des conclusions que M. P. Albert a tirées en ce qui concerne le fait que la plaignante manquait de respect envers les chefs élus et essayait de leur faire perdre leur pouvoir constitue du ouï-dire et je n’y accorde donc pas beaucoup d’importance. [pages 26 du dossier, page 12 des motifs; non souligné dans le texte original.]

Il faut se rendre compte que, dans le dernier passage cité, l’arbitre parlait du témoignage de Peter Albert au sujet de la suspension imposée par le conseil, dont la plaignante avait été avisée avant le soir où se sont produits les événements dans les locaux de la station radiophonique, le 13 février 1991. Le témoignage de M. Albert au sujet de l’agitation qui régnait constituait une preuve de première main, présentée par un témoin oculaire, et non du ouï-dire. La version que la plaignante a donnée au sujet des événements n’a pas été présentée dans le cadre d’un témoignage, de sorte que l’avocat de l’employeur n’a pas eu la possibilité de contre-interroger cette dernière.

Voici un passage des motifs de l’arbitre concernant le témoignage de Mme Maggie (alias Myrna) Gamblin :

[traduction] Elle a témoigné au sujet de l’existence d’un groupe précis de personnes qui s’opposait sur le plan politique au chef Ross et au conseil. Elle a témoigné au sujet de certaines activités du groupe, notamment pendant certaines assemblées publiques de la bande. Selon l’employeur, la plaignante était membre de ce groupe et participait à ces activités. Mme Gamblin n’a présenté aucune preuve selon laquelle la plaignante était membre du groupe et participait à ces activités.

Mme Gamblin était dans les locaux de la station radiophonique lors des événements qui se sont produits au début de la soirée, le 13 février 1991. Il y avait un certain nombre de personnes dans les locaux de la station, dont Mme Gamblin, lorsque le chef et certains conseillers sont arrivés. La plaignante était également là, mais Mme Gamblin ne savait pas pourquoi. Il y avait des cris et de la confusion. Mme Gamblin n’a pas témoigné au sujet d’une annonce qui aurait été diffusée à la radio le 13 février, après cet événement.

Selon certains éléments de preuve, la plaignante a accompagné Mme Gamblin lorsque cette dernière se déplaçait pour faire elle-même signer une pétition. Aucune preuve n’a été présentée au sujet du libellé de la pétition, mais celle-ci visait à faire destituer le chef Ross et le conseil. On avait commencé à faire signer cette pétition avant le 13 février 1991. Mme Gamblin a fait savoir que la plaignante n’a accompagné M. Gamblin pour faire signer la pétition qu’après le 13 février 1991. [Pages 26 et 27 du dossier, pages 12 et 13 des motifs; non souligné dans le texte original.]

Le témoignage de M. J. J. Muswagon impliquait la plaignante dans les activités du groupe dissident, dans la réserve Norway House. Ils étaient tous deux membres du comité des communications, et il a témoigné que la plaignante avait parlé d’une façon défavorable de la façon dont le chef Ross exerçait ses fonctions.

L’arbitre a en partie examiné le témoignage de M. Alphius Wilson comme suit :

[traduction] Il croyait que la plaignante en faisait partie [du groupe dissident] parce qu’elle lui [l’adjoint exécutif du chef et du conseil] posait toujours des questions au sujet de ce que faisait le chef Ross. Le fait qu’elle posait un certain nombre de questions au sujet de ce qui arrivait au sein du conseil le mettait également mal à l’aise. M. Wilson pensait que la plaignante essayait de se tenir au courant des activités du chef Ross. Elle posait des questions en communiquant avec lui tous les jours. Pendant le contre-interrogatoire, le témoin a reconnu qu’il exagérait peut-être lorsqu’il disait que la plaignante l’appelait tous les jours. C’était à l’époque où Mme Duncan travaillait comme administratrice du programme de bien-être auprès de l’employeur. M. Wilson croyait que la plaignante faisait partie de ce groupe de citoyens intéressés parce qu’elle « se tenait » avec les membres du groupe. Il croyait que si une personne se tient avec un groupe aussi longtemps, la seule conclusion possible est qu’elle est partisane de celui-ci. Il croyait que le groupe voulait nuire au chef et au conseil. Je ne suis pas prêt à reconnaître qu’une personne est membre d’un groupe simplement par suite d’une association comme celle que M. Wilson a décrite.

L’arbitre a résumé la déposition de plusieurs autres témoins, dont celle du chef Ross, qu’il a citée au complet dans ses motifs. En témoignant, le chef Ross a donné à l’avocat de la plaignante la possibilité de le contre-interroger. (Les passages que j’ai soulignés, ci-dessus, montrent les points sur lesquels la plaignante aurait pu être contre-interrogée.) L’importance cruciale de cette possibilité est démontrée dans le long résumé du témoignage du chef Ross que l’arbitre a fait :

[traduction] Dans le procès-verbal de l’assemblée du conseil de la bande qui a eu lieu le 12 février 1991, il est déclaré que M. Hubert Folster participait également fortement aux activités du groupe qui essayait de destituer le chef et le conseil. Dans le procès-verbal, il est mentionné que son « action » ou sa « déclaration » a été enregistrée sur bande lors de l’assemblée de la bande, le 9 janvier 1991. Le chef Ross a déclaré que, malgré tout, M. Folster n’avait pas été assujetti à des mesures disciplinaires, qu’il n’avait pas été suspendu ou qu’il n’avait pas été mis fin à son emploi. Dans son témoignage, M. Folster a dit que l’allégation qui figurait dans le procès-verbal n’était pas exacte. [Page 46 du dossier, page 32 des motifs; non souligné dans le texte original.]

Les mots que j’ai soulignés montrent jusqu’à quel point il est important de témoigner au sujet de la conduite personnelle reprochée, de sorte que le tribunal puisse avoir à sa disposition les versions des deux parties au litige. Il va sans dire que la décision à l’étude se rapportait entièrement à la conduite personnelle de la plaignante ainsi qu’à celle du chef et du conseil. Cependant, l’arbitre n’a jamais entendu le témoignage de la plaignante et l’avocat de l’employeur n’a jamais eu l’occasion de contre-interroger celle-ci. L’avocat de la plaignante avait peut-être décidé d’agir ainsi, mais si c’est le cas, cette décision est loin de mettre un terme à l’affaire.

ANALYSE

Il est à noter que l’arbitre ne fait aucune remarque défavorable au sujet de la crédibilité du témoin Ron Evans, même s’il retient aveuglément l’allégation apparemment non fondée que celui-ci a faite, à savoir que le chef Ross avait agi avec malveillance en jugeant que les événements du 12 [sic] février 1991 justifiaient le congédiement de la plaignante, alors que le témoin estimait lui-même que c’était une bonne raison de la congédier.

[traduction] M. Evans était présent lors des événements qui se sont produits dans les locaux de la station radiophonique le 13 février 1991. Il a confirmé qu’il y avait beaucoup de gens, dont la plaignante. Il a été le premier à partir et a pu sortir en passant à côté de la plaignante. Il n’a pas eu à « la pousser ». À ce moment-là, et le lendemain, les événements qui s’étaient produits dans les locaux de la station radiophonique, c’est-à-dire le fait qu’il [Qui? Le chef Ross] n’avait pas pu passer sur les ondes, l’avaient bouleversé. Il était encore bouleversé le lendemain et, à ce moment-là, il était d’accord pour qu’on congédie la plaignante. Il n’a pas été décidé de la congédier immédiatement. Le 14 février 1991, on ne l’avait pas encore congédiée. [Pages 52 et 53 du dossier, pages 38 et 39 des motifs.]

L’arbitre semble retenir ce témoignage. Par conséquent, M. Evans faisait-il lui aussi preuve de malveillance, ou existait-il une véritable cause objective permettant de congédier la plaignante? Le fait que l’arbitre s’attaque à la crédibilité des témoins de l’employeur, sans rien dire au sujet de ce genre d’inconséquence, justifie une appréhension raisonnable de partialité de la part du lecteur. D’autres exemples de ce genre, dans les motifs de l’arbitre, ont été mentionnés par l’avocat de l’employeur, lors de l’audition de la demande.

À la page 45 de ses motifs (page 59 du dossier), l’arbitre dit ceci : [traduction] « La plaignante n’a pas témoigné, sauf sur le point initial concernant la compétence. »

Dans ses motifs, l’arbitre a cité des questions sur lesquelles la plaignante aurait dû témoigner, et l’employeur avait la possibilité de contre-interroger celle-ci. Dans les extraits précités, où la Cour a souligné certains passages, figurent des allégations au sujet desquelles la plaignante aurait dû témoigner. En voici une autre, dont l’arbitre a fait mention dans ses motifs, soit la première de trois circonstances sur lesquelles, selon l’arbitre, l’employeur s’est fondé pour justifier le fait qu’il avait mis fin à l’emploi de la plaignante :

[traduction] a) Le fait que la plaignante a signé la lettre versée au dossier à titre de pièce 15. La pièce 15 est une lettre adressée à Vic Savino, avocat de l’employeur, qu’un certain nombre de gens ont signée et dans laquelle on demandait que le paiement de toute somme devant être avancée en vertu de l’accord Northern Flood soit suspendu tant que les membres de la bande n’auraient pas donné leur consentement. Le chef Ross a témoigné que cette lettre avait pour effet de lui nuire ainsi qu’au conseil dans les négociations relatives à l’accord Northern Flood. Sur cette lettre figure une signature qui serait apparemment celle de la plaignante. La position de l’employeur est que la plaignante n’aurait pas dû signer la lettre. Toutefois, on n’a présenté aucune preuve probante montrant que la plaignante avait de fait signé cette lettre. Par conséquent, je conclus que cette circonstance ne constituait pas une justification valable permettant d’assujettir l’employée à des mesures disciplinaires (ce que j’interprète en l’espèce comme comprenant le congédiement). [Page 72 du dossier, page 58 des motifs); non souligné dans le texte original.]

L’arbitre a tiré une conclusion importante.

En l’absence du témoignage en chef de la plaignante, qu’un contre-interrogatoire aurait permis d’apprécier, l’arbitre a été amené à tirer une conclusion tout à fait erronée. Il a rejeté l’une des principales prétentions de l’employeur, sans entendre le témoignage de la plaignante au sujet de la question de savoir s’il s’agissait de sa signature. En l’absence d’une dénégation convaincante faite sous serment, la prépondérance des probabilités donne fortement à penser qu’il s’agissait de fait de la signature de la plaignante. Cependant, l’arbitre, qui a conclu à l’inexistence d’une preuve probante selon laquelle la signature en question était celle de la plaignante, et en l’absence du témoignage de cette dernière réfutant la chose, a donc conclu [traduction] « que cette circonstance ne constituait pas une justification valable permettant de … prendre une mesure disciplinaire ». (Page 72 du dossier, page 58 des motifs.) Cela laisse entendre qu’il y aurait eu une justification valable si la plaignante avait signé la lettre de protestation. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités—en l’absence d’une dénégation faite sous serment—la preuve montrait qu’il s’agissait de sa signature. Cette décision de l’arbitre constitue une énorme erreur de fait, et est manifestement déraisonnable.

Le raisonnement que l’arbitre a fait au sujet des points b) et c) soulevés par l’employeur, et en particulier du point c), est faible. En ce qui concerne le point c), l’arbitre fait de la suite des événements un facteur crucial. La façon dont la plaignante a accepté la décision de l’employeur (grossièretés et accusation de vol) est certes pertinente aux fins de l’évaluation de son comportement. La décision qui lui a été transmise était de la retirer du comité des communications, et non de la congédier, ce qui a eu lieu plus tard.

À la page 60 de ses motifs (page 74 du dossier), l’arbitre démontre son manque d’objectivité à un point tel qu’il critique l’omission de l’employeur de présenter une preuve, sans jamais critiquer l’omission de la plaignante de témoigner sur de nombreuses questions primordiales ou secondaires. À la page 61 (page 75 du dossier), l’arbitre fait remarquer qu’[traduction] « aucun témoin n’a été cité par l’employeur en vue de réfuter la preuve présentée par M. Evans ». M. Evans était celui qui avait accusé le chef d’avoir fait preuve de malveillance sans que cette allégation soit étayée; il a même témoigné que la lettre du chef et du conseil, datée du 13 février 1991, avant les événements qui se sont produits dans les locaux de la station radiophonique, visait réellement à congédier la plaignante, bien qu’il y ait été fait mention d’une [traduction] « suspension indéfinie ». L’arbitre l’a reconnu. La plaignante estimait non qu’elle avait été congédiée, mais qu’elle avait été suspendue, même après le 13 février 1991, comme l’arbitre le fait remarquer lorsqu’il examine la pièce 9.

OMISSION DE TÉMOIGNER

L’arbitre a conduit l’audience comme s’il s’agissait du procès d’une accusée, auquel lui, le juge, ne pouvait pas, en vertu de la loi, informer l’« accusée » qu’elle devait témoigner. Subsidiairement, l’arbitre a commis une erreur en concluant apparemment qu’il n’existait aucune preuve obligeant la plaignante à répondre en témoignant. L’arbitre a ainsi consenti à refuser à l’employeur la possibilité de contre-interroger la plaignante.

À moins qu’elle ne soit citée comme témoin au moyen d’un subpoena, rien en droit ne contraint la plaignante à témoigner, mais elle doit alors faire face aux conséquences. Il s’agit des déductions défavorables que l’arbitre fait. Or, l’arbitre n’a fait aucune déduction défavorable au sujet de la plaignante, mais uniquement au sujet de l’employeur (le chef et les conseillers), qui a en fait témoigné. L’arbitre lui-même a mentionné les éléments de preuve auxquels la plaignante devait répondre, sous peine de faire l’objet de déductions défavorables. Il s’agissait difficilement d’un genre de [traduction] « défaut de poursuite ». Que la plaignante ait omis de présenter une preuve, comme elle était tenue de le faire, afin d’éviter de faire l’objet de déductions défavorables, par suite des conseils de son avocat ou non, l’arbitre aurait dû l’informer de la situation et l’encourager à témoigner. Il a ainsi consenti à refuser à l’employeur la possibilité de contre-interroger la plaignante. Étant donné que cette dernière a refusé de témoigner sur des questions de fond, l’arbitre aurait dû faire toutes les déductions défavorables qu’il pouvait faire, et cela aurait bien pu entraîner le rejet de la plainte. L’omission de l’arbitre à cet égard donne l’apparence de partialité.

Il existe de nombreux arrêts se rapportant à la question de la non-production d’un élément de preuve, ainsi que d’une erreur de droit ou de fait entraînant une décision probablement—ou du moins peut-être—différente. En ce qui concerne l’omission de présenter une preuve convaincante, il y a les arrêts suivants :

Barnes v. Union SS. Ltd., [1954] 4 D.L.R. 267, dans lequel le juge Wilson, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans une affaire de lésions corporelles résultant d’une négligence, a dit ceci, à la page 270 :

[traduction] L’absence mystérieuse de la salle d’audience de tout membre d’équipage du navire, sauf le steward me renforce dans cette conclusion. Le steward dit qu’il est allé chercher le premier maître d’hôtel. Où est le premier maître d’hôtel? Le steward dit que trois personnes ont aidé Barnes à monter sur l’échelle. Aucune d’elles n’a témoigné, bien qu’on sache qu’au moins une d’entre elles est membre des forces aériennes et peut donc facilement être trouvée. Aucun des hommes qui avaient été les derniers à travailler dans la cale, aucun des officiers responsables de ces hommes, n’a comparu pour me dire quelle était la position des panneaux d’écoutilles. Aucun des officiers qui ont sans doute dû enquêter sur cet incident très grave n’a été cité comme témoin. Parmi les nombreux membres d’équipage, la défenderesse ne cite qu’un homme.

Le juge en chef Martin examine ce genre de situation dans l’arrêt Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499 et à la p. 506, il cite en l’approuvant ce passage de Wigmore on Evidence, 3e éd., vol. II, p. 162 : « L’omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi éclaircis, sert à montrer, ce qui est la déduction la plus naturelle, que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d’une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s’ils avaient été présentés, auraient exposé des faits défavorables à la partie. De toute évidence, ces déductions ne peuvent être à juste titre faites qu’à certaines conditions; de plus, elles peuvent toujours s’expliquer par des circonstances qui rendent plus naturelle une hypothèse autre que le fait que la partie craignait la divulgation. Cependant, le bien-fondé de pareille déduction en général n’est pas remis en question ».

Compte tenu de l’absence des témoins qui auraient dû être disponibles pour m’aider, je fais des déductions défavorables à la défenderesse.

Un appel et un appel incident de cette décision ont été interjetés devant la Cour d’appel, et ils ont été rejetés [traduction] « à trois reprises » par tous les juges d’appel, qui ont chacun rédigé leurs propres motifs, [1955] 2 D.L.R. 564.

Pick (Otto) & Sons Seeds Ltd. c. Thomson (W.D.) Enterprises Ltd. et Thomson (1989), 100 R.N.-B. (2e) 136 est un jugement de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans lequel il est démontré que le signataire allégué a témoigné (contrairement à ce qui s’est produit en l’espèce). Le juge Creaghan a dit ceci, à la page 143 :

Il reste que la garantie produite en preuve est censée avoir été signée par M. Thomson. Il a lui-même admis que cela ressemble à sa signature. Il a catégoriquement affirmé qu’il n’avait pas signé de garantie personnelle. Toutefois, il a pris soin d’expliquer, dans son témoignage, qu’il était certain que ce n’était pas sa signature en raison de la nature du document, c’est-à-dire parce qu’il n’aurait pas signé une garantie personnelle. Il soutient qu’il n’accorde de garantie personnelle qu’aux banques.

Il faut également se demander pourquoi le défendeur n’a pas cité un expert pour se prononcer sur l’authenticité de sa signature sur la garantie, alors qu’il était certainement mieux placé pour pouvoir le faire. Par ailleurs, en ce qui concerne la question de la présence du défendeur à Saint John le 17 mars 1987, on peut se demander pourquoi il n’a pas fait corroborer ce fait par un témoin. Il est certain que, si, à la date en question, il se trouvait à Saint John plutôt qu’à Richmond Hill, il aurait put trouver quelqu’un pour en témoigner, plutôt que de se fonder sur des reçus de factures de services publics qui peuvent avoir été payées par n’importe qui.

Le juge Creaghan a ensuite cité les passages suivants [aux pages 143 et 144] de Sopinka et Lederman [The Law of Evidence in Civil Cases. Toronto : Butterworths, 1974] :

« Il est bien connu que le défaut d’une partie ou d’un témoin de présenter une preuve, qu’il est en son pouvoir de produire et qui aurait pu élucider les faits, justifie le tribunal d’en déduire que cette preuve aurait été défavorable à la partie ou au témoin à qui l’on peut reprocher cette omission.

« L’application de cette règle ne se limite pas au demandeur ni à la partie qui a le fardeau de persuasion. Un défendeur qui ne témoigne pas ou qui ne cite pas de témoin après que le demandeur a présenté une preuve suffisante à première vue contre lui, risque de faire l’objet d’une conclusion défavorable. Bien que cette absence de témoignage ne puisse, en elle-même, combler les lacunes de la preuve de la partie à laquelle le fardeau incombe, lorsque cette partie a présenté une preuve suffisante pour créer un fardeau de présentation pour la partie adverse, cette dernière consolide la preuve produite contre elle si elle ne témoigne pas ou si elle n’appelle pas de témoins. » [Sopinka et Lederman, précité, p. 535, 536, 537]

En l’espèce, on a produit une lettre qui, selon le témoignage de l’employeur, portait la signature de la plaignante. Cette dernière n’a même pas témoigné, mais l’arbitre a rejeté la preuve parce qu’il n’était pas certain que c’était sa signature, et que [traduction] « par conséquent, [il] conclu[ait] que cette circonstance ne constituait pas une justification valable ». (Page 72 du dossier, page 58 des motifs.) Cela ne montre-t-il pas la probabilité d’un résultat tout à fait différent? Pourquoi l’arbitre n’a-t-il pas retenu la preuve, étant donné qu’on n’a pas entendu la plaignante la réfuter? C’était, ou ce n’était pas, sa signature. La question à trancher était simple. En l’absence du témoignage de la plaignante, qui aurait permis de réfuter la preuve—s’il avait survécu au contre-interrogatoire—l’arbitre donne l’impression de partialité en tirant la conclusion qu’il a tirée sur ce point crucial.

Le jugement que le juge en chef Tritschler a rendu dans Keelan et al. v. Norray Distributing Ltd. et al. (1967), 62 D.L.R. (2d) 466 (B.R. Man.), se rapporte à cette question et étaye l’opinion de la Cour. Aux pages 481 et 482, le juge en chef Tritschler, de la Cour du Banc de la Reine, a dit ceci :

[traduction] … Platt devait fort bien savoir que ces hommes ne connaissaient pas plus les machines que lui. Il est probable que Traders ait été dessaisi de son argent tout comme Keelan, Mooney, Ritchie et Langdon avaient été amenés à se dessaisir de leurs 6 000 $. Le fait que Platt participait à l’opération constitue un facteur crucial. Lui seul savait pourquoi l’argent de Traders avait été avancé. Il aurait pu éclaircir les faits. Dans ces conditions, je crois qu’il aurait dû être cité et que l’omission de le faire laisse planer une impression défavorable.

Le juge en chef a ensuite cité le passage précité des motifs écrits du juge en chef Martin figurant dans l’arrêt Murray v. Saskatoon [[1952] 2 D.L.R. 499 (C.A. Sask.)]. L’absence de preuve convaincante sur laquelle le tribunal pouvait fonder sa décision est examinée dans l’arrêt Bond c. New Brunswick (Board of Management) (1992), 122 R.N.-B. (2e) 351 (B.R.), cité au nom de l’appelante, et est utile à la Cour à cet égard.

La question de l’omission de présenter une preuve est décrite plus à fond dans l’ouvrage de Sopinka et Lederman intitulé The Law of Evidence in Civil Cases, précité, et dans le Canadian Abridgment (2e édition), vol. R15, Evidence, aux pages 50 et 51, ainsi que dans Cross on Evidence (7e édition), Butterworths, London, 1990, ch. 1, section 3, « Failure to Give Evidence or Call a Witness : civil cases », en particulier à la page 37. À cet égard, on est porté à se demander pourquoi la plaignante n’a jamais nié—qu’on ne l’a jamais entendue nier—qu’elle était elle-même passée sur les ondes le 13 février 1991 au soir.

Aurait-il été approprié de délivrer un subpoena visant à contraindre la plaignante à témoigner? Probablement pas. Somme toute, il s’agissait de la preuve de la plaignante, et cette dernière a pris ce risque lorsqu’elle était représentée par un avocat. L’arbitre a commis une grave erreur en n’avertissant pas la plaignante du risque d’une décision défavorable, et en ne tenant pas compte de ce risque dans sa décision et dans le libellé de sa décision, ce qui aurait probablement entraîné une conclusion selon laquelle il existait une juste cause de congédiement ainsi que le rejet de la plainte.

PERTE DE POSSIBILITÉ DE CONTRE-INTERROGER

La perte de possibilité de contre-interroger est habituellement prise en considération dans les affaires pénales, où l’on cherche à présenter au procès la transcription des témoignages qui a été faite à l’enquête préliminaire. Le locus classicus contemporain du traitement judiciaire de cette question, en liaison avec l’article 643 du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 93, art. 76)] qui était alors en vigueur, maintenant l’article 715, et qui l’est encore, est reconnu comme étant le jugement rendu par le juge G. Arthur Martin au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. v. Davidson (1988), 42 C.C.C. (3d) 289. La possibilité de contre-interroger constitue l’aspect primordial du droit de confronter son adversaire, et est essentiel pour des procédures équitables. Le fait qu’on accorde beaucoup d’importance à cette possibilité dans les affaires pénales ne permet pas pour autant de lui enlever de son importance en l’espèce.

Sans avoir donné d’avertissement à la plaignante au sujet de son omission de témoigner, sans avoir appliqué la conséquence découlant du risque qu’elle prenait, l’arbitre a apparemment accepté le fait que l’employeur n’avait pas eu la possibilité de contre-interroger celle-ci. L’omission de l’arbitre d’avertir la plaignante, son omission de tenir compte de la notion juridique des déductions défavorables dans le cas de la plaignante, son indifférence en ce qui concerne la perte de possibilité de l’employeur de contre-interroger la plaignante, son omission d’établir un rapport entre cette perte et la signature au sujet de laquelle il est arrivé à une conclusion douteuse et erronée sans que la plaignante ne témoigne sur ce point, de sorte, qu’il a conclu qu’il n’existait aucune justification permettant la prise de mesures disciplinaires, sa partialité apparente lorsqu’il a fait toutes, ou presque toutes, les déductions défavorables à l’employeur, montrent d’une façon manifeste qu’il a conduit l’enquête d’une façon déraisonnable. Tout cela crée une probabilité réelle que le résultat aurait favorisé l’employeur, si l’arbitre ne s’était pas trompé en ce qui concerne les questions susmentionnées. L’alinéa 2b) de l’avis introductif d’instance est confirmé.

ERREURS DE DROIT

Les conclusions que l’arbitre a tirées au sujet du congédiement injuste—par opposition au congédiement illégal—constituaient une directive erronée qu’il s’était imposée et une erreur de droit. L’erreur a été aggravée par le fait que l’arbitre a tenté de mêler les coutumes de la bande au droit séculier. Comme la plupart des grandes religions du monde et des philosophies bénignes, les coutumes de la bande ont été décrites comme prônant la paix, l’harmonie, l’entraide et l’amour du prochain, le respect de tous et l’absence de calomnie, en fait, la paix sur la terre et la bonne volonté envers tous. Il ressort clairement de la preuve présentée en l’espèce que les membres de la bande de Norway House sont aussi bons, mais non meilleurs, lorsqu’il s’agit d’adhérer aux vertus des coutumes de la bande et de les mettre en pratique, que les millions de Juifs, de Chrétiens, de Musulmans, d’Hindous, de Bouddhistes, etc. qui adhèrent aux vertus respectives, mais presque identiques, de leur religion et qui les mettent en pratique. Cela montre bien l’humanité commune, mais on commet une erreur de droit lorsqu’on tient compte de ces coutumes, comme l’arbitre dit l’avoir fait, en formulant des conclusions de droit. Ces coutumes de la bande ne sont pas plus pertinentes dans ce cas-ci que ne le sont les convictions religieuses, le cas échéant, de la plaignante, des avocats, de l’arbitre et du présent juge. Dans l’État laïque qu’est le Canada (qui protège tout le monde), l’arbitre, qui est désigné par les autorités laïques, doit appliquer uniquement le droit séculier. On commet une erreur de droit en affirmant le contraire. La liberté de religion, une valeur fort estimée au Canada, ne fait pas de l’État laïque la théocratie souhaitée par quiconque.

AUTRES ERREURS

La section XIV de la partie III du Code est intitulée « Congédiement injuste » et, dans toute cette section, par exemple à l’alinéa 242(3)a) ainsi qu’aux paragraphes 240(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] et 242(4), le législateur parle du fait que le congédiement est injuste, ou qu’une personne a injustement été congédiée. Il est certes facile de comprendre qu’un congédiement injustifié, ou même illégal, serait et, de fait, est également injuste. De toute évidence, l’idée selon laquelle un congédiement peut être injuste, même s’il n’est pas injustifié (pages 62 et 63 du dossier, pages 48 et 49 des motifs) pourrait donner lieu à l’application stricte qu’on peut imaginer, mais le fait que l’arbitre a lui-même annoncé qu’il avait [traduction] « accordé peu d’importance aux arrêts cités se rapportant uniquement au congédiement injustifié » constitue clairement une directive erronée en droit, et une grave erreur susceptible de contrôle. Le fait que l’arbitre a interprété le Code comme développant la common law en tant que loi concernant le congédiement injuste, et comme visant une gamme plus étendue de problèmes que ceux qui seraient visés si l’on interprétait le « congédiement injuste » comme incorporant le critère de fond relatif à la cause, comme l’ont proposé les tribunaux dans les affaires de congédiement injustifié (page 64 du dossier, page 50 des motifs), l’éloigne du Code et le rapproche de la coutume de la bande. La coutume de la bande est un code savant de subtilités éthiques comme les autres codes éthiques et religieux, mais le législateur n’incorpore pas pareils renvois dans cette loi, dans l’État laïque particulièrement convenable qu’est le nôtre. La requérante a établi sa plainte à l’alinéa 2a) de son avis de requête.

Selon l’affidavit qu’il a produit, le chef Alan Ross avait été élu et réélu par les électeurs de la bande de Norway House en 1986, en 1988, en 1990 et en 1992. La dernière fois, il a été réélu après qu’on eut fait circuler les pétitions, que certaines personnes (dont peut-être la plaignante, selon la preuve) eurent manifesté de l’amertume envers le chef ou le conseil, et plusieurs mois après les événements qui se sont produits dans les locaux de la station radiophonique, lesquels ont amené le conseil de la bande (dont le chef) à congédier la plaignante. De nombreux éléments de preuve ont été présentés devant l’arbitre en vue d’établir l’existence d’un petit groupe qui était bien décidé à ne pas accepter la volonté des gens. La question de l’appartenance de la plaignante à ce groupe aurait été tranchée d’une façon plus utile si cette dernière avait elle-même témoigné sous serment et avait pu être assujettie à un contre-interrogatoire. Le chef Ross, qui a eu la fortitude morale de témoigner et de se soumettre à un contre-interrogatoire, a déclaré, au paragraphe 5 de son affidavit du 6 juillet 1992, que [traduction] « Florence J. Duncan a[vait] personnellement participé à cette activité politique, comme le confirme la décision ». Les conclusions tirées par l’arbitre sont passablement incompatibles avec le fait que les événements s’étaient déroulés dans le calme, dans les locaux de la station radiophonique, la plaignante étant présente, bloquant l’entrée et parlant [traduction] « au chef et aux conseillers passablement fort, mais sans crier ». Mme Duncan ne parlait pas calmement non plus. La requérante a prouvé les allégations qui sont faites aux alinéas 2e), k) et l).

Bref, après avoir minutieusement examiné et souvent cité les motifs et la décision de l’arbitre, la Cour conclut que les autres allégations figurant aux alinéas 2c), d), f), g), h), i) et j) ont toutes été établies. La Cour confirme donc les alinéas 2a) à l) au complet. De fait, cet examen des motifs et de la décision de l’arbitre étaye pleinement la confirmation des paragraphes 3 et 4 de l’avis de requête introductive d’instance de la requérante, aussi remarquable que cela semble être, sauf sur un point. La Cour ne saurait proclamer avec certitude que l’arbitre était certainement partial. Les motifs et la décision de ce dernier indiquent de fait l’existence d’une apparence impressionnante de partialité, mais l’apparence, aussi sérieuse soit-elle, ne constitue pas une certitude. Il se peut que l’arbitre ait fait son possible pour être, et demeurer, indifférent à l’égard des parties. Quoi qu’il en soit, l’ordonnance de l’arbitre—qu’il appelle une « décision »—doit donc être infirmée ou annulée, parce que c’est le résultat de procédures, de considérations et de conclusions manifestement déraisonnables, comme il en est ici fait mention.

DISPOSITIF

La requérante a simplement demandé que la « décision » de l’arbitre soit infirmée. Dans le dossier de demande de l’intimée, il n’y a pas de conclusions ou de suggestions au sujet de ce que la Cour devrait faire si la requérante avait gain de cause. Pour les motifs susmentionnés, il est clair que l’ordonnance de l’arbitre doit être annulée.

Est-ce tout? Dans ces procédures de contrôle judiciaire, la requérante a demandé à la Cour de lui accorder une réparation de la nature d’un certiorari, comme le prévoit l’alinéa 18(1)b) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale. Selon le paragraphe 18(3) [mod., idem] de cette Loi, pareil recours est exercé par présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 [édicté, idem, art. 5]. Ces dispositions ne sont pas expressément mentionnées dans l’avis introductif d’instance de la requérante, mais cela est loin d’être fatal, bien qu’il eût été préférable de les mentionner, car la Cour connaît l’étendue de sa compétence et la reconnaît lorsqu’elle est invoquée. Le paragraphe 18.1(3) est ainsi libellé :

18.1

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Il est à noter qu’en l’espèce, la Cour, comme il convient de le faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire, n’a pas substitué l’avis du présent juge au sujet de ce qu’aurait dû être l’issue de la décision, si l’arbitre avait conduit l’enquête en se fondant sur une application régulière de la loi et sur une appréciation juste des faits. Dans ces conditions, il serait présomptueux, sinon arrogant, de le faire. Il ne s’agit pas ici d’un appel sur dossier, et aucune disposition n’est prise à cette fin. La seule conclusion que permet de tirer la section XIV de la partie III du Code est qu’une fois que les motifs ont été prononcés et l’ordonnance rendue, l’arbitre est functus officio. Quoi qu’il en soit, la plainte présentée par la plaignante peut difficilement être renvoyée au même arbitre étant donné que la Cour a conclu à l’apparence de partialité, qui entache de nullité les procédures et conclusions de l’arbitre. Le renvoi de l’affaire, bien qu’il soit mentionné au paragraphe 18.1(3) de la loi constitutive de la Cour, pose d’autres problèmes qui seront ci-après mentionnés.

Il est vrai que la Cour suprême du Canada, qui a amené la magistrature à réviser des décisions protégées par la loi, et ce, pour un motif valable (mais, ce qui est encore plus important, un motif irréfutable, à moins que le législateur ne se remue) a demandé à la magistrature de faire preuve de souplesse. Dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, le juge Sopinka, qui parlait au nom de la majorité, a dit ceci [aux pages 860 à 862] :

Dans Grillas c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1972] R.C.S. 577, le juge Martland [qui était dissident] s’exprimant en son propre nom et en celui du juge Laskin, s’est dit d’avis que le même raisonnement [que dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp. [1934] R.C.S. 186] ne s’appliquait pas à la Commission d’appel de l’immigration dont les décisions ne pouvaient faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Même s’il s’agissait d’une opinion dissidente, seul le juge Pigeon, parmi les cinq juges ayant entendu l’affaire, n’y a pas souscrit.

Je ne crois pas que le juge Martland ait voulu affirmer que le principe functus officio ne s’applique aucunement aux tribunaux administratifs. Si l’on fait abstraction de la pratique suivie en Angleterre, selon laquelle on doit hésiter à modifier ou à rouvrir des jugements officiels, la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe. En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C’était le cas dans l’affaire Grillas, précitée.

De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires. Voir Huneault c. Société centrale d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.).

À la page 863, le juge Sopinka cite Madame le juge McLachlin, qui était alors juge à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Trizec Equities Ltd. and Area Assessor Burnaby-New Westminster, Re (1983), 147 D.L.R. (3d) 637. Cette remarque incidente semblerait montrer que le principe du functus officio n’existe plus, et que la notion du caractère définitif est abolie, même si cela ne semble réellement pas être ce que le juge Sopinka lui-même est allé jusqu’à dire. Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt Chandler, la majorité a conclu que la commission n’avait pas épuisé sa compétence légale et, qu’étant donné qu’il s’agissait d’une institution, il était possible de lui rappeler de s’acquitter de toutes ses obligations légales.

En l’espèce, l’arbitre n’est pas un office professionnel à plein temps, mais une personne spécialement choisie uniquement afin de rendre une seule décision, sans avoir d’expertise ou de collégialité institutionnelle. Il n’est pas membre d’un office collégial auquel la décision peut être renvoyée pour réexamen par un autre membre. En fait, les dispositions privatives fermes des paragraphes 243(1) et (2) nous font croire que le législateur a de fait envisagé pareil renvoi à un arbitre, et a rejeté cette possibilité entièrement et délibérément. Quoi qu’il en soit, seules de longues directives, encore plus longues que ces motifs, suffiraient aux fins d’une nouvelle décision, et qui rendrait cette nouvelle décision?

En ce qui concerne le paragraphe 242(1) du Code, le ministre a depuis longtemps reçu le rapport prévu au paragraphe 241(3) d’un inspecteur qui est, selon toute apparence, functus. La Cour doit-elle supposer que pareil rapport est éternel et qu’il est possible de le ranimer n’importe quand afin de permettre la nomination d’un nouvel arbitre, de nouveaux arbitres, lorsque l’ancien arbitre « a perdu la boule » pour ainsi dire? La force de la clause privative adoptée par le législateur, à laquelle, comme la Cour suprême l’a statué, il est possible de passer outre dans les cas où la décision est « manifestement déraisonnable » peut être apprécié comparativement à l’article 18 figurant dans la section II (Conseil canadien des relations du travail) de la partie I du Code. Contrairement à toute disposition de la section XIV de la partie III, cet article confère les pouvoirs suivants au Conseil :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. [Non souligné dans le texte original.]

Cet article ne ressemble absolument pas aux dispositions de la section XIV de la partie III.

Par conséquent, en l’espèce, la Cour devrait-elle prétendre que le rapport de l’inspecteur s’applique ad vitam aeternam, et que le ministre a maintenant reçu sa dernière version? La Cour devrait-elle chercher à enjoindre au ministre de désigner un nouvel arbitre pour entendre et trancher la plainte? La Cour pourrait-elle légalement le faire? Nous ne le croyons pas.

Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour n’est pas autorisée à rendre la décision ou l’ordonnance que l’arbitre aurait dû rendre. La Cour devrait-elle donc chercher à invoquer l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale pour ordonner à l’arbitre de rejeter la plainte parce qu’il a illicitement omis de le faire? Il n’est pas certain qu’il aurait dû la rejeter, mais il est certain qu’il a abordé sa tâche et qu’il s’en est acquitté d’une façon manifestement déraisonnable et qu’il a donc tiré une conclusion fortement entaché de vice, qui peut également être considérée comme manifestement déraisonnable. Si la Cour ordonnait à l’arbitre de rejeter la plainte, en quoi cela différerait-il de l’annulation de l’ordonnance par la Cour? Cependant, une fois que l’ordonnance de l’arbitre a été annulée, la plainte demeure, dans ces conditions, non réglée.

Cet état de choses est peut-être simplement la conséquence naturelle et inévitable du mélange de droit statutaire (absence de contrôle judiciaire) et de jurisprudence (intervention judiciaire dans les cas où la décision est manifestement déraisonnable), lequel, au lieu d’avoir une consistance, un but et une intégrité internes réfléchis, est plein d’inconséquences, de buts opposés et de contradictions. Les tribunaux, menés par la Cour suprême du Canada, peuvent supplanter les dispositions légales privatives existantes, mais la Cour suprême elle-même ne peut pas ainsi usurper la fonction du Parlement de façon à édicter de nouvelles dispositions légales concordantes. Le pouvoir judiciaire peut anéantir le but de la loi, mais il ne peut pas créer un nouveau but pour remplacer celui qui a été annulé.

Pour les motifs susmentionnés, la décision et l’ordonnance de l’arbitre sont infirmées, ou annulées, un point c’est tout. Les sommes consignées à la Cour conformément à l’ordonnance de saisie-arrêt (T-1127-92) ne seront versées qu’à l’expiration du délai d’appel et, si un appel est interjeté, la question du paiement des sommes et la question de savoir à qui celles-ci doivent être versées seront réglées par une ordonnance ou une instruction de la Cour d’appel, conformément à l’issue de l’appel.

Comme il en a ci-dessus été fait mention, ni les parties ni l’intervenante n’auront droit aux dépens.

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