[1994] 3 .C.F 425
T-375-94
CIBA-Geigy Canada Ltée (requérante)
c.
Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (intimé)
Répertorié : CIBA-Geigy Canada Ltée c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés) (1re inst.)
Section de première instance, juge McKeown—Toronto, 18 avril; Ottawa, 3 mai 1994.
Contrôle judiciaire — Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés — Ordonnance rejetant la demande de divulgation des fruits de l’enquête — La requérante se fondait sur un arrêt rendu par la C.S.C. dans une cause criminelle — Examen du régime légal en vertu duquel le Conseil a été créé — Distinction établie avec une décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario concernant la législation sur les droits de la personne — Le principal mandat du Conseil est la réglementation économique — Les tribunaux administratifs chargés de réglementer l’activité économique ne sont pas assujettis à des normes aussi élevées que celles des tribunaux administratifs qui statuent sur les droits des individus — Le refus de divulguer des documents doit être respecté, en vertu du principe de la déférence judiciaire, à moins que l’équité ou la justice naturelle s’y oppose — Le Conseil est censé agir efficacement et protéger les intérêts du public — Il faut éviter de prolonger indûment les audiences — La requérante avait le droit de connaître les arguments présentés contre elle, mais non toute la preuve que le Conseil avait obtenue — Le Conseil a trouvé un juste milieu entre son obligation envers la requérante et ses responsabilités envers le public — Il serait inutile que le législateur crée un office si celui-ci devait être traité comme une cour criminelle — Le droit et des questions de principe exigent qu’une certaine latitude soit accordée à un tribunal administratif exerçant des fonctions de réglementation économique s’il est obligé de recevoir des renseignements confidentiels — La procédure devant ces tribunaux ne revêt pas un caractère aussi contradictoire que la procédure devant un tribunal judiciaire — L’obligation de divulguer tous les renseignements entraverait indûment le Conseil dans l’exercice de ses fonctions de réglementation — L’équité est une question d’équilibre entre divers intérêts — La requérante n’a subi aucun préjudice ou effet défavorable du fait qu’elle n’a pas reçu tous les documents en la possession du Conseil.
Brevets — Pratique — Demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance par laquelle le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a rejeté la demande de la requérante visant à obtenir la divulgation et la production de tous les documents relatifs aux questions en litige devant faire l’objet d’une audience visant à déterminer si le médicament « Habitrol » était vendu à un prix excessif — Le Conseil s’est engagé à faire la divulgation préalable complète, à la requérante, des allégations de faits, de la preuve sous forme d’opinion et à de tous les documents qui seront utilisés pour contre-interroger les témoins de la requérante — Le conseil a fourni des détails sur les allégations, telles qu’il les comprenait — Les règles proposées obligent le Conseil à déposer des affidavits de tous les témoins experts sur lesquels il s’appuiera; les parties doivent déposer au préalable un sommaire du témoignage que donnera chaque témoin (autre qu’un expert) qu’elles entendent citer; Conseil doit déposer au préalable des copies de tous les documents sur lesquels il s’appuiera — La demande est rejetée — Le mandat du Conseil est la réglementation économique — Les renseignements fournis conformément à la Loi à des fins de réglementation économique sont, de prime abord, confidentiels — L’art. 97 de la Loi sur les brevets exige qu’on évite de prolonger indûment les audiences — La requérante a le droit de connaître les arguments présentés contre elle, mais non toute la preuve que le Conseil a obtenue.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance par laquelle le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a rejeté la demande de la requérante visant à obtenir la divulgation et la production de tous les documents relatifs aux questions en litige devant prochainement faire l’objet d’une audience dans le but de déterminer si le médicament « Habitrol », commercialisé au Canada par CIBA, était vendu à un prix excessif.
Le Conseil s’est engagé à faire la divulgation préalable complète, à CIBA, des allégations de faits et de la preuve sous forme d’opinion qu’elle devra réfuter. Il s’est aussi engagé à fournir tous les documents qui seront utilisés pour contre-interroger les témoins de la requérante. En refusant la demande de divulgation complète, le Conseil a statué qu’il devait maintenir l’équilibre entre l’obligation qui lui est faite de donner à l’intimé la possibilité de présenter des observations et celle qu’il a de veiller à ce que ses ordonnances n’aient pas pour effet de limiter sa capacité de s’acquitter de façon constante de ses responsabilités. En vertu de la Loi sur les brevets, le Conseil est chargé d’obtenir des renseignements sur le prix demandé, au Canada, pour des médicaments brevetés et de veiller à ce que ces prix ne soient pas excessifs. Le personnel du Conseil surveille le prix des médicaments brevetés, en se fondant sur les renseignements fournis par le breveté et sur les recommandations du « Groupe consultatif sur les médicaments pour usage humain » (GCMUH), un groupe indépendant d’experts scientifiques qui recommande la catégorie dans laquelle un médicament doit être classé à des fins de comparaison des prix. Il communique en outre avec d’autres experts dans le domaine pour obtenir leurs avis sur le médicament breveté en cause et pour obtenir d’autres renseignements pertinents. Ces renseignements sont fournis à titre confidentiel et peuvent éventuellement être mis de côté par le personnel du Conseil. Les rapports confidentiels que le personnel du Conseil entretient avec les tiers sont très importants pour qu’il puisse s’acquitter de ses responsabilités légales. Lorsque le personnel a terminé son enquête, il rédige un rapport confidentiel à l’intention du président du Conseil qui décide s’il y a ou non une preuve suffisante pour émettre un avis d’audience. Le paragraphe 83(6) de la Loi oblige le Conseil à donner au breveté la possibilité de répondre à l’avis d’audience avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe 83(2).
Après la présentation d’arguments et la tenue de débats sur les questions de savoir comment Habitrol devait être classé, quels médicaments devaient servir de critère pour établir une fourchette de prix appropriée pour Habitrol, pourquoi le prix du Habitrol n’était pas excessif et sur celle de savoir si Habitrol était une invention relative à un médicament, si bien qu’il relevait de la compétence du Conseil, le personnel du Conseil a préparé une analyse confidentielle sur le prix du médicament Habitrol. Le président a examiné ce rapport, puis il a décidé de signifier un avis d’audience énonçant les faits importants sur lesquels il s’appuyait et déclarant que le prix du Habitrol était excessif. L’avis faisait aussi état des ordonnances proposées : une réduction du prix et l’imposition d’une amende payable à la Couronne. Le personnel du Conseil a fourni à CIBA des détails sur les allégations, telles qu’il les comprenait, et a exposé son point de vue sur toutes les questions de fond devant être soulevées à l’audience. Conformément aux règles proposées sur la procédure devant le Conseil, le personnel du Conseil doit déposer des affidavits de tous les témoins experts sur lesquels il s’appuiera. Les parties déposeront aussi préalablement un sommaire du témoignage que donnera chaque témoin (autre qu’un expert) qu’elles entendent citer. De plus, le personnel du Conseil déposera préalablement des copies de tous les documents sur lesquels il s’appuiera à l’audience. Le personnel du Conseil a également suggéré que les parties commencent à faire des interrogatoires écrits afin de clarifier la preuve de chaque partie par des demandes de renseignements supplémentaires, avant le début de l’audience.
À l’appui de sa prétention portant qu’elle a droit à tous « les fruits de l’enquête », la requérante a invoqué l’arrêt R. c. Stinchcombe, dans lequel il a été décidé que tous les renseignements pertinents doivent être divulgués à la défense, sous réserve du pouvoir discrétionnaire, susceptible de contrôle, de la Couronne. Doivent être divulgués non seulement les renseignements que le ministère public entend produire en preuve, mais aussi ceux qu’il n’a pas l’intention de produire.
Les questions à trancher étaient celles de savoir si CIBA n’avait droit qu’aux documents sur lesquels le Conseil avait l’intention de s’appuyer à l’audience, ou si CIBA avait droit à tous « les fruits de l’enquête » du personnel du Conseil. Si CIBA n’avait pas droit aux « fruits de l’enquête », il s’agissait alors de savoir si CIBA avait droit à tous les documents en la possession du président ou des membres du Conseil.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Distinction établie avec l’arrêt Stinchcombe qui concernait des actes criminels. Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés est un office de réglementation. Il serait inutile que le législateur crée un tel office si celui-ci devait être traité comme une cour criminelle. Le droit et des questions de principe exigent qu’une certaine latitude soit accordée à un tribunal administratif exerçant des fonctions de réglementation économique si, dans l’exercice de son mandat, le tribunal est obligé de recevoir des renseignements confidentiels. La procédure devant ces tribunaux n’est pas censée revêtir un caractère aussi contradictoire que la procédure suivie devant un tribunal judiciaire. Le fait d’exiger du Conseil qu’il divulgue tous les renseignements susceptibles d’être pertinents, parmi ceux qu’il recueille dans l’exercice de ses fonctions de réglementation, entraverait indûment son travail d’un point de vue administratif.
La requérante a le droit de connaître les arguments présentés contre elle, mais non celui d’obtenir tous les fruits de l’enquête. L’opinion selon laquelle le principal mandat du Conseil est la réglementation économique est corroborée par un examen de l’évolution historique des lois en matière de brevets. Le Conseil et son personnel reçoivent constamment des renseignements sur les prix des médicaments. Les renseignements fournis conformément à la Loi à des fins de réglementation économique sont, de prime abord, confidentiels. Le paragraphe 97(1) de la Loi sur les brevets prévoit que, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, le Conseil agit sans formalisme, en procédure expéditive. En d’autres termes, le Conseil est censé agir efficacement et protéger les intérêts du public. Il faut donc, entre autres, éviter de prolonger indûment les audiences. En vertu du principe de la déférence judiciaire, il faut respecter la décision du Conseil de refuser la divulgation des documents demandés à moins que l’équité ou la justice naturelle s’y oppose. L’équité est une question d’équilibre entre divers intérêts. Les obligations de divulgation imposées par le principe de l’équité et de la justice naturelle sont remplies si le sujet de l’enquête est informé des arguments qu’il doit réfuter et si on lui fournit tous les documents sur lesquels on s’appuiera. CIBA a eu beaucoup plus que le minimum de renseignements qui devait lui être divulgué pour lui permettre de réfuter les arguments avancés contre elle.
Quant à la question de savoir si la requérante a le droit d’obtenir tous les documents présentés au président ou aux autres membres du Conseil, le critère consiste à se demander si le Conseil a agi à partir d’une preuve qui a été préjudiciable à la requérante ou qui a eu un effet défavorable sur elle. Le rapport du Conseil a été rédigé pour le président, et il n’a été utilisé que pour décider s’il y avait lieu de signifier un avis d’audience. Il ne se distinguait en rien des autres documents présentés au Conseil. Les documents ne deviennent pertinents que si le Conseil s’apprête à les invoquer. La requérante n’a subi aucun préjudice ou effet défavorable du fait qu’elle n’a pas reçu tous les documents en la possession du Conseil.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 39.18 (édicté par L.R.C. (1985), (3e suppl.), ch. 33, art. 15), 79 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7), 80 (édicté, idem), 81 (édicté, idem), 82 (édicté, idem), 83 (édicté, idem), 84 (édicté, idem), 85 (édicté, idem), 86 (édicté, idem), 87 (édicté, idem), 88 (édicté, idem), 89 (édicté, idem), 90 (édicté, idem), 91 (édicté, idem), 92 (édicté, idem), 93 (édicté, idem), 94 (édicté, idem), 95 (édicté, idem), 96 (édicté, idem), 97 (édicté, idem), 98 (édicté, idem), 99 (édicté, idem), 100 (édicté, idem), 101 (édicté, idem), 102 (édicté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada Inc., [1991] 3 C.F. 626; (1991), 81 D.L.R. (4th) 376; 4 Admin. L.R. (2d) 61; 36 C.P.R. (3d) 455; 129 N.R. 296 (C.A.); Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485; 70 Man. R. (2d) 141; 35 C.P.R. (3d) 66 (B.R.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 93; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161; Human Rights Commission (Ont.) v. House et al. (1993), 67 O.A.C. 72 (C. div.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de l’ordonnance par laquelle le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a rejeté la demande de la requérante visant la divulgation et la production de tous les documents relatifs aux questions en litige devant prochainement faire l’objet d’une audience dans le but de déterminer si le médicament « Habitrol » était vendu à un prix excessif. Demande rejetée.
AVOCATS :
Daniel V. Macdonald et David W. Kent pour la requérante.
Guy J. Pratte et P. Andrée Wylie pour l’intimé.
PROCUREURS :
McMillan, Binch, Toronto, pour la requérante.
Scott & Aylen, Ottawa, et Blake, Cassels & Graydon, Ottawa, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge McKeown : CIBA-Geigy Canada Limitée (CIBA) demande le contrôle judiciaire de l’ordonnance du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil), datée du 1er février 1994. Dans son ordonnance, le Conseil a rejeté la demande de CIBA visant à obtenir la divulgation et la production de tous les documents relatifs aux questions en litige qui vont prochainement faire l’objet d’une audience devant le Conseil. Cette audience a pour objet de savoir si le médicament Habitrol, commercialisé au Canada par CIBA, est vendu à un prix excessif. La requérante demande une ordonnance pour :
1. annuler la décision du Conseil, datée du 1er février 1994, portant la désignation PMPRB-94-1/HABITROL/CPA, dans le no de dossier PMPRB-94-D1/HABITROL;
2. obliger le Conseil et son personnel à divulguer et à produire tous les documents qu’ils ont en leur possession, ou qui relèvent de leur pouvoir ou contrôle, et qui se rapportent aux questions en litige dans l’instance intentée par le Conseil contre CIBA par avis d’audience daté du 24 novembre 1993.
Il est avéré que les principes de l’équité et de la justice naturelle s’appliquent en l’espèce. Il s’agit de savoir si, compte tenu des circonstances de l’affaire, CIBA n’a droit qu’aux documents sur lesquels le Conseil a l’intention de s’appuyer à l’audience, ou si CIBA a droit à tous « les fruits de l’enquête » du personnel du Conseil, comme il a été jugé dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326 (l’arrêt Stinchcombe). Si CIBA n’a pas droit aux « fruits de l’enquête », il s’agit alors de savoir si CIBA a droit à tous les documents en la possession du président ou des membres du Conseil. Conformément à l’avis d’audience signifié le 24 novembre 1993 et à la décision préliminaire du Conseil, c’est-à-dire celle qui fait l’objet du présent litige, l’intimé s’est engagé à faire la divulgation préalable complète, à la requérante, des allégations de faits et de la preuve sous forme d’opinion qu’elle devra réfuter. En outre, l’intimé s’est engagé à fournir à CIBA tous les documents qui seront utilisés pour contre-interroger les témoins de la requérante.
Le Conseil a refusé la demande de CIBA, visant à obtenir la divulgation complète, pour les motifs suivants, entre autres :
Le Conseil est d’avis que, dans le cadre des audiences qu’il tient, il faut divulguer et produire, selon le cas, suffisamment de renseignements et de documents à la partie visée pour qu’elle soit parfaitement au fait des arguments qui seront avancés contre elle. De plus, dans le cadre de la procédure appliquée par le Conseil, la partie visée par l’Audience doit avoir la possibilité et de présenter ses propres arguments à l’encontre de ceux invoqués contre elle, et de corriger et contredire les déclarations ou autres éléments de preuve se rapportant à l’affaire et qui lui sont préjudiciables.
Le Conseil est d’avis que, en ce qui concerne la divulgation et la production de renseignements et de documents dans le cadre d’une audience publique, il doit maintenir l’équilibre entre l’obligation qui lui est faite de donner à l’intimé la possibilité de présenter des observations et celle qu’il a de veiller à ce que ses ordonnances n’aient pas pour effet de limiter sa capacité de s’acquitter de façon constante de ses responsabilités dans l’intérêt du public. Pour être en mesure de s’acquitter de ces responsabilités, le Conseil doit être convaincu que son personnel lui donne des avis francs, objectifs et complets. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les avis préliminaires qui lui sont donnés sur la question de savoir s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la convocation d’une audience sur la question en jeu. Le maintien de cet équilibre ne devrait pas avoir quelque incidence que ce soit sur l’obligation qu’a, en droit, le Conseil de prendre ses décisions à la lumière des éléments de preuve qui sont présentés et débattus à l’Audience.
Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés
Le Conseil a été créé en 1987, conformément à L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 15, qui a modifié la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 39 (la Loi). En vertu de la Loi, le Conseil est chargé, entre autres, d’obtenir des renseignements sur le prix demandé, au Canada, pour des médicaments brevetés et de veiller à ce que ces prix ne soient pas excessifs, à son avis. Pour remplir son mandat légal, le Conseil fait appel à son personnel, dont le rôle est de surveiller le prix des médicaments brevetés. Cette fonction de surveillance, exercée par le personnel du Conseil, commence lorsqu’un médicament breveté est vendu pour la première fois. Elle est fondée en partie sur les renseignements que le breveté dépose auprès du Conseil. Les renseignements déposés comprennent des renseignements sur le contexte, l’identité du médicament, ainsi que son prix et sa posologie, lorsqu’il est vendu pour la première fois, et à des intervalles de six mois, par la suite. Le personnel du Conseil relève directement du président du Conseil, qui est le premier dirigeant de celui-ci, conformément au paragraphe 93(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 7] de la Loi. C’est au président qu’incombe la responsabilité absolue de surveiller et de diriger le travail du personnel du Conseil. Par conséquent, en vertu de la Loi, le président est chargé d’enquêter et de rendre une décision sur la question de savoir si un médicament breveté est vendu à un prix excessif.
En vertu du paragraphe 85(1) [édicté, idem] de la Loi, pour décider si le prix d’un médicament vendu est excessif, le Conseil doit tenir compte des facteurs suivants :
85. (1) …
a) le prix de vente du médicament sur un tel marché;
b) le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;
c) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;
d) les variations de l’indice des prix à la consommation.
Le Conseil a également adopté des directives pour amener les brevetés à se conformer à la Loi. Entre autres choses, ces directives établissent trois catégories de médicaments. Chaque nouveau médicament breveté est classé dans l’une de ces catégories, d’après la recommandation d’un groupe d’experts scientifiques appelé Groupe consultatif sur les médicaments pour usage humain (GCMUH). La catégorie dans laquelle un médicament est classé détermine quels autres médicaments sont employés dans les comparaisons de prix faites par le personnel du Conseil. Pour donner une idée de l’ampleur du travail du Conseil, signalons qu’au 31 décembre 1992, celui-ci avait surveillé les prix de 738 médicaments brevetés différents sur le marché canadien, ce qui représentait un chiffre d’affaires total de 2,1 milliards de dollars.
Dans ses enquêtes, le personnel du Conseil s’appuie en grande partie sur la recommandation du GCMUH et les renseignements fournis par le breveté. Cependant, le personnel du Conseil communiquera en outre avec d’autres experts dans le domaine pour obtenir leurs avis sur le médicament breveté en cause et pour obtenir d’autres renseignements pertinents qui pourraient être utiles à l’enquête. Généralement, ces renseignements sont fournis à titre confidentiel et peuvent éventuellement être mis de côté par le personnel du Conseil. Les rapports confidentiels que le personnel du Conseil entretient avec les tiers sont très importants pour qu’il puisse s’acquitter de ses responsabilités légales. Le personnel du Conseil communique au breveté l’essentiel de la preuve sur laquelle il s’est appuyé pour statuer sur le caractère excessif d’un prix. Si l’enquête indique que le prix excède ce qui est prévu par les directives, le breveté est informé du fondement de la conclusion du personnel du Conseil, et il est prié de conclure un engagement de conformité volontaire (ECV) pour rajuster son prix. Indépendamment de la réponse du breveté à la requête du personnel du Conseil, lorsque le personnel a terminé son enquête, il rédige un rapport confidentiel qui est transmis au président du Conseil. C’est après avoir examiné ce rapport que le président décide s’il y a ou non une preuve suffisante pour émettre un avis d’audience. L’avis d’audience énonce les motifs pour lesquels le président croit qu’une ordonnance remédiatrice peut être rendue—c’est-à-dire qu’il y a apparence de droit »et les faits importants qui ont amené le président à tirer cette conclusion.
Le paragraphe 83(6) [édicté, idem] de la Loi oblige le Conseil à donner au breveté la possibilité de répondre à l’avis d’audience. Si le Conseil conclut, par la suite, que le médicament a été vendu à un prix excessif, il peut rendre une ordonnance, en application du paragraphe 83(2) [édicté, idem], pour :
[traduction] a) enjoindre au breveté de baisser, au Canada, le prix de vente du médicament ou d’un autre médicament breveté à un niveau qui compenserait l’excédent qu’aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif;
b) enjoindre au breveté de payer à Sa Majesté le montant précisé dans l’ordonnance;
c) dans les cas où il estime que le breveté s’est livré à une politique de vente du médicament à un prix excessif, enjoindre au breveté de prendre l’une ou plusieurs des mesures visées par les alinéas a) et b) ci-dessus, de façon à réduire suffisamment les recettes pour compenser, selon lui, au plus le double de l’excédent procuré par la vente au prix excessif.
Les faits
CIBA vend de nombreux produits médicamenteux au Canada, dont environ dix-neuf relevaient de la compétence du Conseil au 31 décembre 1992. CIBA dépose régulièrement auprès du Conseil les renseignements requis sur ces produits. Le personnel du Conseil continue à avoir des rapports réguliers et fréquents avec le personnel de CIBA relativement aux exigences légales ayant trait aux médicaments brevetés de CIBA. Le 8 juillet 1992, CIBA a informé le personnel du Conseil de son intention de commercialiser Habitrol, un timbre transdermique à la nicotine employé dans les thérapies anti-tabagiques et a déposé des renseignements auprès du Conseil pour justifier le prix demandé pour le nouveau produit. Il y a eu de longs et nombreux entretiens et échanges de documents entre le personnel du Conseil et CIBA tout au long de l’enquête sur Habitrol. Le personnel du Conseil a également eu des entretiens avec le GCMUH, de qui il a reçu des avis; il a, en outre, obtenu et examiné d’importants renseignements provenant de tiers. CIBA soutient que, même si elle dépose des renseignements conformément à la Loi, le Conseil n’a pas compétence sur l’établissement des prix de Habitrol puisque CIBA, en ce qui a trait à Habitrol, n’est pas un breveté au sens de la Loi.
La question de savoir comment Habitrol serait classé par le Conseil a été soulevée pour la première fois par CIBA dans une lettre datée du 13 novembre 1992. CIBA a présenté des arguments supplémentaires qui ont été fournis au GCMUH, et elle s’est vue remettre un résumé de la discussion tenue par le GCMUH concernant la catégorisation de Habitrol. Enfin, la recommandation du GCMUH, selon laquelle Habitrol devait être considéré comme un nouveau médicament de la catégorie III, et les motifs de cette recommandation, ont fait l’objet d’une réunion tenue le 11 janvier 1993 entre le personnel du Conseil et CIBA. Cette réunion a duré plus de deux heures.
Le personnel du Conseil et CIBA ont également eu de longs entretiens sur la question de savoir quels médicaments, s’il en est, et selon quelles posologies, devaient servir de critère pour établir une fourchette de prix appropriée pour Habitrol. Des réunions ont été tenues pour traiter cette question le 30 novembre 1992 et le 11 janvier 1993. À la suite de ces deux réunions, CIBA a envoyé au personnel du Conseil des lettres, en date du 18 décembre 1992 et du 12 janvier 1993, contenant des renseignements que la compagnie jugeait pertinents relativement aux préoccupations exprimées par le personnel du Conseil aux réunions. En réponse, dans une lettre datée du 17 juin 1993, le personnel du Conseil a donné à CIBA les motifs pour lesquels il n’acceptait pas les allégations de CIBA et la base des calculs qui ont amené le personnel du Conseil à croire que le prix du Habitrol était excessif. Le personnel du Conseil a informé CIBA que si elle ne choisissait pas de soumettre un ECV au président du Conseil pour qu’il l’examine, le personnel du Conseil signalerait le cas au président qui allait peut-être signifier un avis d’audience. Le 24 juin 1993, CIBA a informé le personnel du Conseil qu’elle ne fournirait pas de ECV comme celui que le personnel du Conseil lui avait demandé et a présenté encore une fois des arguments visant à démontrer pourquoi le prix du Habitrol n’était pas excessif.
La question de savoir si Habitrol était une invention relative à un médicament, si bien qu’il relevait de la compétence du Conseil, a été soulevée pour la première fois par le personnel du Conseil le 8 juillet 1992 (avant même que le Habitrol soit sur le marché) et a également fait l’objet de discussions au cours de réunions entre le personnel du Conseil et CIBA tenues le 30 novembre 1992, le 22 janvier 1993, le 20 mai 1993 et le 20 septembre 1993. En outre, dans une lettre à CIBA en date du 26 janvier 1993, le personnel du Conseil a demandé des éclaircissements sur l’état du brevet. CIBA a répondu à cette lettre le 3 février 1993.
L’analyse qu’a faite le personnel du Conseil relativement au prix du Habitrol a été transmise au président dans un rapport confidentiel. Après avoir examiné ce rapport, le président a décidé de signifier l’avis d’audience le 23 novembre 1993. Les faits importants sur lesquels le président s’est appuyé pour signifier l’avis d’audience étaient clairement énoncés dans l’avis. Dans cet avis, il est affirmé que le prix du Habitrol excédait ce qui était prévu dans les directives du Conseil; l’avis proposait également des ordonnances visant, entre autres, à baisser le prix auquel CIBA vend le Habitrol et à enjoindre à CIBA de payer à Sa Majesté du chef du Canada un montant donné d’argent. Les avocats de CIBA ont demandé des détails supplémentaires sur les allégations énoncées dans l’avis d’audience. Le 2 décembre 1993, le personnel du Conseil a fourni à CIBA des détails sur les allégations, telles qu’il les comprenait. Ces détails ont été fournis pour permettre à CIBA de répondre à l’avis au plus tard le 13 décembre 1993, comme l’exigeaient les règles de pratique du Conseil. CIBA a également informé le Conseil et son personnel de son intention de contester la validité constitutionnelle de la Loi en ce qui a trait au pouvoir du Conseil de réglementer les prix.
Dans un mémoire daté du 10 janvier 1994, le personnel du Conseil a exposé son point de vue sur toutes les questions de fond qui seront soulevées à l’audience à venir. Conformément aux règles proposées sur la procédure devant le Conseil, le personnel du Conseil aura à déposer, au plus tard le 13 mai 1994, des affidavits de tous les témoins experts sur lesquels il s’appuiera. En outre, comme l’a suggéré le personnel du Conseil, les parties déposeront préalablement, à la même date, un sommaire du témoignage que donnera chaque témoin (autre qu’un expert) qu’elles entendent citer à l’audience. De plus, le personnel du Conseil déposera préalablement des copies de tous les documents sur lesquels il s’appuiera à l’audience.
Dans son mémoire du 10 janvier 1994, le personnel du Conseil a également suggéré que les parties commencent à faire des interrogatoires écrits, après la production de la preuve d’expert et des sommaires des témoignages autres que ceux des experts. Ces interrogatoires auraient pour objet de clarifier la preuve de chaque partie par des demandes de renseignements supplémentaires, avant le début de l’audience. Les avocats de CIBA se sont opposés à cette suggestion.
À la conférence préparatoire à l’audience, tenue le 18 janvier 1994, CIBA a demandé au Conseil de rendre une ordonnance enjoignant au Conseil et à son personnel de produire des copies de tous les documents qui se rapportaient aux questions en litige et qui avaient déjà été en la possession du Conseil ou de son personnel, ou qui avaient déjà relevé de leur pouvoir ou de leur contrôle. Cette requête visait tous les documents pertinents—favorables ou non à la thèse de CIBA—que le personnel du Conseil prévoyât ou non s’appuyer sur le document pertinent pour faire valoir sa cause. Rien dans la preuve ne dit si le personnel du Conseil a des documents qui ne sont pas en la possession du Conseil. Le président du Conseil a fait savoir que le Conseil n’avait aucun document qui n’était pas en la possession de son personnel.
Analyse
La question fondamentale en l’espèce est de savoir si, à la lumière du mandat légal du Conseil, le principe de l’équité donne à la requérante droit à une divulgation plus importante que celle qui lui aura été autorisée avant le début de l’audience prévue pour le 24 mai 1994. Si je décide que CIBA n’a pas droit aux fruits de l’enquête, c’est-à-dire à des documents qui lui sont favorables et à d’autres qui lui sont défavorables, il s’agit alors de se demander si la requérante a le droit d’obtenir des documents qui ont été fournis au président ou à des membres du Conseil qui siégeront à l’audience. En l’espèce, les cinq membres du Conseil, y compris le président, siégeront à l’audience.
La première question découle de l’arrêt Stinchcombe, précité. Dans cette affaire, le prévenu avait été accusé d’abus de confiance, de vol et de fraude. Pendant l’enquête de la GRC, un témoin a été interrogé par un agent de police et une déclaration écrite a été prise. L’avocat de la défense a été informé de l’existence, mais non du contenu de la déclaration. Sa demande de divulgation a été refusée. Le ministère public a décidé de ne pas citer le témoin. L’avocat de la défense a demandé une ordonnance pour que le témoin soit cité ou que le ministère public divulgue le contenu de la déclaration. Le juge du procès a rejeté la demande. Le procès a eu lieu et le prévenu a été déclaré coupable d’abus de confiance et de fraude. La Cour d’appel a maintenu les déclarations de culpabilité sans fournir de motifs, mais la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi et a ordonné un nouveau procès. La Cour suprême a conclu que le ministère public a, en droit, l’obligation de divulguer à la défense tous les renseignements pertinents. Le juge Sopinka a rédigé l’arrêt unanime de la Cour. Il affirme ce qui suit à la page 332 des motifs :
À l’époque où le système accusatoire en était encore à ses débuts, la production et la communication de la preuve lui étaient étrangères et la surprise constituait alors une arme acceptée dans l’arsenal des parties au litige. C’était le cas en matière tant criminelle que civile. Fait révélateur, dans les instances civiles, cet aspect du système accusatoire est depuis longtemps disparu, si bien que la communication intégrale des documents et l’interrogatoire oral des parties, et même des témoins, sont des éléments familiers de la pratique. Ce changement a résulté de l’acceptation du principe selon lequel il vaut mieux, dans l’intérêt de la justice, que l’élément de surprise soit éliminé du procès et que les parties soient prêtes à débattre les questions litigieuses sur le fondement de renseignements complets concernant la preuve à réfuter.
Il examine ensuite les arguments pour et contre la divulgation des fruits d’une enquête, à la page 333, où il affirme :
Il est difficile de justifier le point de vue de ceux qui s’accrochent à l’idée que le ministère public n’a en droit aucune obligation de divulguer tous les renseignements pertinents. Les arguments avancés pour nier l’existence d’une telle obligation sont sans fondement tandis que ceux militant en sa faveur s’avèrent, à mon sens, accablants. L’assertion que cette obligation devrait être réciproque peut mériter que notre Cour s’y arrête à une autre occasion, mais ne constitue pas un motif valable de libérer le ministère public de son obligation. L’argument contraire ne tient pas compte de la différence fondamentale entre les rôles respectifs de la poursuite et de la défense. Dans l’arrêt Boucher v. The Queen, [1955] R.C.S. 16, le juge Rand affirme, aux pp. 23 et 24 :
[traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés; ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. Le poursuivant doit s’acquitter de sa tâche d’une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciaires.
J’ajouterais que les fruits de l’enquête qui se trouvent en la possession du substitut du procureur général n’appartiennent pas au ministère public pour qu’il s’en serve afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, mais sont plutôt la propriété du public qui doit être utilisée de manière à s’assurer que justice soit rendue. La défense, par contre, n’est nullement tenue d’aider la poursuite et il lui est loisible de jouer purement et simplement un rôle d’adversaire à l’égard de cette dernière. L’absence d’une obligation de divulguer peut donc se justifier comme étant compatible avec ce rôle.
À mon avis, en l’espèce, je dois examiner le régime légal en vertu duquel le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés a été créé, et l’interpréter dans son ensemble pour déterminer à quel point le législateur fédéral voulait que le principe d’équité s’applique. Avant d’examiner davantage les dispositions pertinentes de la Loi, je vais continuer à citer les commentaires du juge Sopinka, tirés de l’arrêt Stinchcombe, qui se rapportent aux questions dont je suis saisi. Le juge Sopinka traite l’allégation selon laquelle la divulgation peut compromettre la sécurité des personnes qui fournissent des renseignements à la poursuite. À la page 335, il affirme :
Sans doute des mesures doivent-elles être prises à l’occasion pour protéger l’identité de témoins et d’indicateurs. La protection de l’identité des indicateurs est régie par les règles concernant le privilège relatif aux indicateurs et par les exceptions à ces règles …
En l’espèce, je dois examiner la common law relative à la communication de renseignements confidentiels. Le juge Sopinka affirme ensuite, aux pages 335 et 336 :
La question est donc de savoir quand, plutôt que si, il devrait y avoir divulgation. Il faut que le poursuivant conserve un certain pouvoir discrétionnaire en la matière. Ce pouvoir discrétionnaire, qui est d’ailleurs susceptible de contrôle, devrait s’étendre notamment à l’exclusion des éléments qui ne sont manifestement pas pertinents, à la non-divulgation de l’identité de certaines personnes afin de les protéger contre le harcèlement ou des lésions corporelles, ou à l’application du privilège relatif aux indicateurs. Le pouvoir discrétionnaire s’exercerait en outre pour décider du moment de la divulgation afin que l’enquête puisse être menée à bonne fin. C’est là un sujet sur lequel je reviendrai plus loin dans ces motifs.
Il affirme ensuite ce qui suit, à la page 339 :
Comme je l’ai déjà indiqué, toutefois, cette obligation de divulguer n’est pas absolue. Elle est assujettie au pouvoir discrétionnaire du substitut du procureur général, lequel pouvoir s’exerce tant pour refuser la divulgation de renseignements que pour décider du moment de cette divulgation. Par exemple, il incombe au substitut du procureur général de respecter les règles en matière de secret. En ce qui concerne les indicateurs, le ministère public a l’obligation de taire leur identité. Dans certains cas, la personne qui a fourni des éléments de preuve ou des renseignements dans le cadre de l’enquête peut subir, en conséquence, un préjudice grave et même des lésions corporelles. La dure réalité de la justice veut que toute personne disposant d’éléments de preuve pertinents finisse par comparaître pour témoigner, mais le pouvoir discrétionnaire s’exerce en pareil cas pour déterminer le moment et la forme de la divulgation. Un pouvoir discrétionnaire doit être également exercé relativement à la pertinence de renseignements. Si le ministère public pèche, ce doit être par inclusion. Il n’est toutefois pas tenu de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence.
Il résume ensuite les principes généraux ayant trait à la divulgation lorsqu’il affirme, à la page 343 :
… le principe général précédemment évoqué exige la divulgation de tous les renseignements pertinents, sous réserve de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public, lequel pouvoir est susceptible de contrôle judiciaire. Doivent être divulgués non seulement les renseignements que le ministère public entend produire en preuve, mais aussi ceux qu’il n’a pas l’intention de produire. Aucune distinction ne devrait être faite entre preuve inculpatoire et preuve disculpatoire.
Il applique ensuite ce principe à l’affaire dont il est saisi et affirme, aux pages 345 et 346 :
Selon moi, sous réserve du pouvoir discrétionnaire dont j’ai traité précédemment, toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n’a pas l’intention de citer ces personnes comme témoins à charge. Lorsqu’il n’existe pas de déclarations, il faut produire d’autres renseignements tels que des notes et, en l’absence de notes, il faut divulguer, outre les nom, adresse et occupation du témoin, tous les renseignements que possède la poursuite au sujet de tous les éléments de preuve pertinents pouvant être fournis par la personne en question. Je tiens pour peu convaincantes les observations faites par la Commission dans son rapport de 1984. En effet, si les renseignements sont inutiles, on peut supposer qu’ils n’ont aucune pertinence et qu’ils seront en conséquence écartés par le ministère public dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si les renseignements présentent une certaine utilité, alors ils sont pertinents et c’est à la défense et non à la poursuite de décider s’il s’agit d’une utilité suffisante pour qu’ils soient produits en preuve.
Cependant, le juge Sopinka note que ce même principe général de divulgation ne s’applique peut-être pas dans toutes les affaires criminelles. Il affirme ce qui suit, à la page 342 :
Les principes généraux mentionnés ici sont formulés dans le contexte des actes criminels. Bien que l’on puisse soutenir que l’obligation de divulguer s’applique à toutes les infractions, il se peut que plusieurs des facteurs que j’ai examinés à fond ne s’appliquent pas du tout ou que leur effet soit moindre dans le cas des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité. De plus, le contenu du droit de présenter une défense pleine et entière, qui est consacré à l’art. 7 de la Charte, peut être de nature plus limitée. Il conviendra de statuer sur la mesure dans laquelle les principes généraux de la communication de la preuve s’appliquent aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité, dans une affaire où cette question sera soulevée.
Dans l’arrêt Stinchcombe, la Cour suprême ne traite pas des principes de la divulgation et des affaires en instance devant les tribunaux administratifs. Cependant, dans le jugement Human Rights Commission (Ont.) v. House et al. (1993), 67 O.A.C. 72 (C. div.), autorisation d’en appeler refusée le 31 janvier 1994 (C.A. Ont.), (l’affaire House), la Cour divisionnaire a appliqué l’arrêt Stinchcombe. Dans l’affaire House, la Commission d’enquête agissant sous le régime du Code des droits de la personne [L.R.O. 1990, ch. H.19] de l’Ontario avait ordonné la production de déclarations de témoins et d’autres documents relatifs à l’enquête sur certaines plaintes faites conformément aux dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario. Il ne s’agit pas de la même situation qu’en l’espèce, où le Conseil a refusé d’ordonner la production d’un vaste ensemble de documents, comme l’a demandé CIBA. Je dois également garder à l’esprit que la déférence judiciaire est un principe fondamental en matière de contrôle judiciaire.
En outre, dans l’affaire House, à la page 13 de ses motifs, la Commission énonce l’un des facteurs dont elle a tenu compte pour décider du degré de divulgation nécessaire dans cette affaire :
[traduction] … il me semble que les allégations sont effectivement très graves et peuvent, si elles sont portées, détruire la réputation des intéressés et compromettre les perspectives de carrière de quiconque est jugé avoir commis cette discrimination.
CIBA allègue que si le Conseil concluait qu’elle avait demandé un prix excessif pour le Habitrol, il pourrait en coûter environ 20 millions de dollars à CIBA. Il est également allégué que l’éventualité d’une conclusion selon laquelle CIBA avait eu pour politique de demander des prix excessifs aurait des conséquences sur la réputation publique et commerciale de CIBA et sur les réputations personnelles et les carrières de ses dirigeants, administrateurs et employés. Cependant, la réglementation économique peut toujours avoir ce résultat. À mon avis, la conclusion selon laquelle CIBA avait eu pour politique de demander des prix excessifs n’aurait pas de conséquences plus néfastes sur sa réputation publique et commerciale, ou sur les réputations personnelles et les carrières de ses dirigeants, administrateurs et employés, qu’une conclusion selon laquelle des prix excessifs avaient été demandés.
Comme je l’ai déjà mentionné, je dois examiner comment fonctionne le régime légal dans son ensemble. Dans l’affaire House, la Cour affirme ce qui suit, à la page 75 :
[traduction] En rejetant le moyen fondé sur le secret, la Commission d’enquête a fait une distinction entre l’étape de l’enquête, l’étape subséquente, soit celle de la conciliation, et la troisième étape, soit celle de la « poursuite ».
Dans l’affaire House, la Cour a appliqué le raisonnement de l’arrêt Stinchcombe aux instances régies par le Code des droits de la personne de l’Ontario; cependant, elle a fait une distinction entre le secret à l’étape de l’enquête et le secret à l’étape du litige. La partie pertinente de la Loi sur les brevets, c’est-à-dire la partie qui porte sur les médicaments brevetés, soit les articles 79 à 102 [édictés, idem], intéresse la réglementation économique. Le Conseil surveille les prix de tous les médicaments produits sous brevet. Le président du Conseil exerce des fonctions administratives et juridictionnelles à titre de personne chargée de la réglementation. La requérante admet qu’en vertu de la Loi, il existe un parti pris institutionnel et que ce parti pris ne peut être contesté, d’après la jurisprudence.
Il y a une autre différence entre la loi en cause en l’espèce et la loi en matière de droits de la personne; dans le premier cas, il n’y a pas deux parties en cause. Le personnel du Conseil n’est pas une partie au même titre que le personnel enquêteur sous le régime de la loi en matière de droits de la personne. Cette loi fait une distinction très nette entre les enquêteurs et ceux qui sont appelés à rendre une décision. En outre, l’article 33 du Code des droits de la personne de l’Ontario accorde des pouvoirs de perquisition et de saisie, ce qui rapproche les pouvoirs des enquêteurs de ceux exercés pendant une enquête policière. Enfin, les droits que le Code des droits de la personne de l’Ontario est censé protéger portent sur des caractéristiques individuelles très personnelles. Les tribunaux administratifs chargés de réglementer l’activité économique ne se sont pas vu imposer des normes aussi élevées que celles des tribunaux administratifs qui statuent sur les droits des individus.
Après avoir cité le passage dans lequel le juge Sopinka affirmait qu’il valait mieux, dans l’intérêt de la justice, que l’élément de surprise soit éliminé du procès, la Cour divisionnaire a conclu ce qui suit [à la page 77] :
[traduction] … dans les cas appropriés, il vaudra mieux, dans l’intérêt de la justice, dans les instances régies par le Code des droits de la personne, que tous les renseignements soient mis à la disposition des intimés.
Il est intéressant de noter que la Cour divisionnaire a reconnu que tous les renseignements ne devaient être mis à la disposition d’une partie que dans les cas appropriés seulement. La décision relative à la divulgation doit toujours être prise d’après le contexte de l’affaire dont il s’agit.
La Cour divisionnaire était également d’avis que le rôle de l’avocat de la Commission était analogue à celui du ministère public en matière criminelle. Dans le régime légal en l’espèce, le Conseil a pour rôle de surveiller les prix et de les réglementer, au besoin, pour éviter les prix excessifs.
À la page 78 du jugement House, la Cour divisionnaire a répété le principe bien connu selon lequel :
[traduction] dans un cas donné, les exigences de la « justice naturelle » dépendront des circonstances particulières de l’affaire.
Mon opinion selon laquelle le principal mandat du Conseil est la réglementation économique est corroborée par un examen de l’évolution historique des lois en matière de brevets. Le juge Dureault a examiné cette évolution dans l’affaire Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485 (B.R. Man.) une contestation de la validité constitutionnelle du contrôle des prix dans l’industrie pharmaceutique. Le juge affirme ce qui suit, aux pages 487 à 489 :
[traduction] La Loi sur les brevets, S.C. 1923, ch. 23, art. 17 autorisait la concession de licences obligatoires pour la fabrication, l’utilisation et la vente de procédés brevetés. Jusqu’en 1969, lorsque la Loi de 1923 a été modifiée (S.C. 1968-69, ch. 49) pour autoriser les licences obligatoires d’importation de produits pharmaceutiques brevetés, il y avait eu peu de demandes de licences obligatoires. Cependant, après la modification de 1969, on a enregistré 559 demandes de licences d’importation et de vente; 306 de ces demandes ont été accueillies, 15 ont été rejetées ou annulées, 96 ont été abandonnées ou retirées et 142 étaient encore pendantes au 31 janvier 1985 …
À cause de la modification de 1969, des produits brevetés de marque ont fait l’objet de licences accordées à des firmes génériques qui produisaient et commercialisaient ensuite leurs propres marques ou copies des médicaments brevetés. La concession de licences obligatoires pour importer des médicaments a permis aux firmes génériques de livrer une concurrence accrue aux firmes titulaires de brevets. Cette concurrence a été favorisée davantage par la politique des provinces à l’égard des substituts génériques dans leurs régimes respectifs d’assurance-médicaments. On vit alors apparaître de grandes sociétés pharmaceutiques canadiennes rentables, qui fabriquaient des médicaments génériques, ce qui a entraîné une baisse des prix. Il va sans dire que cet aspect de la concession de licences obligatoires, qui permettait à un concurrent (la firme de médicaments génériques) d’importer et de produire une copie du produit (de marque) du titulaire du brevet a fait l’objet de lobbying politique intense par les firmes titulaires de brevets. Il n’y avait pas d’exclusivité de brevet pour l’invention d’un médicament. En effet, un requérant pouvait demander une licence obligatoire dès la concession du brevet.
Les firmes titulaires de brevets avaient, depuis un certain temps, tenté, sans succès, d’obtenir le rétablissement de l’exclusivité des brevets et l’abolition du régime des licences obligatoires pour les médicaments brevetés. En réponse au lobby pharmaceutique, le gouvernement a nommé le docteur H.C. Eastman à titre de commissaire chargé d’enquêter sur la situation qui existait dans l’industrie pharmaceutique au Canada à l’époque et de présenter un rapport à ce sujet. Le rapport du commissaire a été présenté le 28 février 1985.
À la suite du rapport Eastman, le gouvernement a présenté au Parlement le projet de loi C-22, intitulé « Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes », 33e Parl., 2e sess. (1986). La première lecture de ce projet de loi a eu lieu le 7 novembre 1986. Après avoir suivi le cours législatif normal, y compris plusieurs renvois au Comité législatif de la Chambre des communes et au Comité spécial du Sénat, le projet de loi a fini par être adopté par le Parlement et a reçu la sanction royale le 19 novembre 1987 (voir L.C. 1987, ch. 41, voir également L.R.C. (1985), ch. 33 (3e suppl.)).
Il est couramment admis que l’art. 14 du projet de loi C-22 a créé un nouveau régime d’exclusivité de brevet applicable aux médicaments. Les dispositions modificatrices étaient destinées à redonner une certaine mesure d’exclusivité de brevet aux firmes qui fabriquent les médicaments de marque. Bien que le régime de licences obligatoires ait été maintenu, il emportait une interdiction d’exercer les droits obtenus en vertu de la licence obligatoire pour des périodes variant généralement de sept à dix ans.
Les brevets relatifs aux médicaments, comme tout autre brevet, sont décernés pour des périodes de dix-sept ou vingt ans. Le caractère exceptionnel de ces brevets est, toutefois, qu’ils peuvent immédiatement faire l’objet de licences obligatoires. Le nouveau régime ne modifie pas cette disposition unique. Il ne fait qu’interdire au titulaire d’une licence l’exercice des droits accordés par celle-ci pendant une période donnée. Autrement dit, un monopole est créé pour le titulaire du brevet pour la période pendant laquelle il est interdit au titulaire de la licence d’exploiter le brevet.
Sous ce régime de monopole limité, on a reconnu que les prix des nouveaux médicaments seraient fixés et maintenus à des niveaux plus élevés que ce qui aurait autrement été le cas dans un contexte de concurrence sous le régime des licences obligatoires. On s’attendait à ce que le rendement accru dont bénéficieraient les firmes qui fabriquent les médicaments de marque encourage la recherche et le développement dans le domaine pharmaceutique au Canada. Le gouvernement considérait que l’expansion de cette industrie, et l’augmentation de l’emploi qui en découlerait, étaient des objectifs souhaitables. Par ailleurs, on s’inquiétait légitimement d’une éventuelle hausse des prix pour le consommateur, qui pourrait atteindre un niveau inacceptable pendant la période d’exclusivité. Pour contrecarrer ce problème, les dispositions modificatrices contestées ont également été liées à un régime réglementaire qui devait être administré par le Conseil mentionné précédemment.
Le régime prévu dans cette partie de la Loi sur les brevets est semblable à d’autres régimes légaux destinés à réglementer les monopoles, par exemple, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l’Office national de l’énergie. Le Conseil et son personnel reçoivent constamment des renseignements sur les prix des médicaments. À mon avis, les renseignements fournis conformément à la Loi à des fins de réglementation économique sont, de prime abord, confidentiels.
En l’espèce, de nombreux renseignements ont été divulgués à CIBA, comme nous l’avons brièvement noté dans l’exposé des faits. Dans une déclaration sous serment présentée à cette Cour, le gestionnaire de la conformité et de la mise en application a attesté ce qui suit :
[traduction] S’il ressort de l’enquête que le prix excède ce qui est prévu dans les directives, on avise le breveté, on l’informe des motifs des conclusions du personnel du Conseil et on lui donne la possibilité de présenter un ECV pour rajuster son prix. Que le breveté présente un ECV ou qu’il refuse de le faire, l’affaire est renvoyée au président du Conseil qui peut, soit accepter l’ECV, soit signifier un avis d’audience. À cet égard, le personnel du Conseil rédige un rapport confidentiel qui est transmis au président.
Le gestionnaire n’a pas été contre-interrogé sur le besoin de respecter le caractère confidentiel.
L’article 96 de la Loi permet au Conseil, avec l’agrément du gouverneur en conseil, d’établir des règles régissant sa pratique et sa procédure. Le Conseil suit actuellement des règles proposées. Le paragraphe 97(1) dispose :
97. (1) Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, le Conseil agit sans formalisme, en procédure expéditive.
Le Conseil a décidé de refuser la divulgation des documents demandés et je dois, en vertu du principe de la déférence judiciaire, respecter cette décision à moins que l’équité ou la justice naturelle s’y oppose. Une décision quant à la divulgation ne peut être prise de façon abstraite. Le Conseil est censé agir efficacement et protéger les intérêts du public. Il faut donc, entre autres, éviter de prolonger indûment les audiences. Celui qui fait l’objet d’une audience en matière de prix excessif a certainement le droit de connaître les arguments présentés contre lui; cependant, il ne devrait pas être autorisé à obtenir toute la preuve que le Conseil a obtenue dans l’exercice de ses fonctions de réglementation, dans l’intérêt du public, du seul fait qu’elle pourrait avoir un rapport avec la question en litige. Le Conseil n’a pas pour fonction d’obtenir des renseignements uniquement à des fins d’enquête; son rôle principal est de surveiller les prix. Dans sa décision, le Conseil a reconnu la nécessité de trouver le juste milieu entre son obligation envers la requérante et le fait de limiter sa capacité de s’acquitter en permanence de ses responsabilités dans l’intérêt du public. Le Conseil a correctement exercé sa fonction en l’espèce.
Pour savoir si la décision du Conseil de refuser la divulgation en l’espèce est valide, je dois également examiner la question à la lumière de la divulgation qu’a faite le Conseil jusqu’à maintenant. J’ai déjà mentionné le grand nombre de renseignements divulgués par le Conseil au cours de nombreuses réunions et autrement. Je note également les divulgations que le Conseil a accepté de faire à l’avenir.
En somme, lorsque l’on examine le régime légal dans lequel ce Conseil agit, on constate qu’il s’agit d’un office de réglementation. Il serait inutile que le législateur crée un tel office si celui-ci devait être traité comme une cour criminelle. Les obligations de divulgation imposées par le principe de l’équité et de la justice naturelle sont remplies si le sujet de l’enquête est informé des arguments qu’il doit réfuter et si on lui fournit tous les documents sur lesquels on s’appuiera. CIBA a eu beaucoup plus que le minimum de renseignements qui doit lui être divulgué pour lui permettre de réfuter les arguments avancés contre elle. Le droit et des questions de principe exigent qu’une certaine latitude soit accordée à un tribunal administratif exerçant des fonctions de réglementation économique si, dans l’exercice de son mandat, le tribunal est obligé de recevoir des renseignements confidentiels. La procédure devant ces tribunaux n’est pas censée revêtir un caractère aussi contradictoire que la procédure suivie devant un tribunal judiciaire. Le fait d’exiger du Conseil qu’il divulgue tous les renseignements susceptibles d’être pertinents, parmi ceux qu’il recueille dans l’exercice de ses fonctions de réglementation, entraverait indûment son travail d’un point de vue administratif. L’équité est toujours une question d’équilibre entre divers intérêts. Je conclus que l’équité n’exige pas la divulgation des fruits de l’enquête en l’espèce.
Puisque j’ai conclu que la requérante n’a pas droit aux fruits de l’enquête, je dois me demander si la requérante a droit à tous les documents présentés au président ou autres membres du Conseil. Encore une fois, je dois examiner ce problème à la lumière du régime légal dans lequel ce Conseil agit.
À mon avis, le raisonnement suivi dans l’arrêt Assoc. canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.) demeure valable, même si cet arrêt a été rendu avant l’affaire Stinchcombe. Dans cette affaire, la Commission du droit d’auteur exerçait des fonctions d’enquête et des fonctions juridictionnelles, à l’instar du Conseil en l’espèce. La requérante dans cette affaire avait présenté le même argument que celui qui m’a été présenté en l’espèce. Cette requérante avait prétendu avoir :
… subi, dans les circonstances, un préjudice attribuable non pas à un effet défavorable, mais plutôt au fait qu’on ne lui avait pas donné l’occasion de faire jouer en sa faveur la preuve reçue.
Dans ses motifs, le commissaire dissident avait fait mention de renseignements qui n’avaient pas été présentés à la Commission à l’audience. La majorité n’avait pas mentionné ces renseignements. La Cour a rejeté l’argument de la requérante, en affirmant, à la page 650, qu’il n’y avait pas
la moindre preuve que les renseignements obtenus par [le commissaire dissident] ont eu une influence quelconque sur la décision de la Commission, c’est-à-dire sur la décision des commissaires majoritaires.
Le critère consiste à se demander si le Conseil a agi à partir d’une preuve qui a été préjudiciable à la requérante ou qui a eu un effet défavorable sur elle. Le juge MacGuigan, J.C.A., a commenté cette question, à la page 650 :
À mon sens, cet examen de la jurisprudence fait ressortir le caractère erroné de l’argument de la requérante. Celle-ci a prétendu qu’un tribunal ne se penchera pas sur la question du préjudice; or, il ressort de toutes les décisions qui traitent de la question que la possibilité qu’il existe un préjudice est déterminante : Kane, Consolidated-Bathurst, Cardinal Insurance, Civic Employees’ Union, et Hecla Mining.
… En outre, le terme « préjudiciable » a reçu le sens d’« effet défavorable » dans ces décisions.
Plusieurs questions résolues ci-dessus ont également rapport à la seconde question en litige, c’est-à-dire, la question de savoir si la requérante a le droit d’obtenir tous les documents présentés au président ou aux autres membres du Conseil. Je n’y reviendrai pas. En l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas où des droits individuels sont en cause, mais d’un cas de réglementation économique, qui n’est pas une matière pénale, ni sur la forme ni sur le fond, et qui n’intéresse pas les garanties procédurales auxquelles l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] accorde la protection constitutionnelle.
CIBA a demandé en particulier la divulgation du rapport du Conseil. Ce rapport a été rédigé pour le président, et il n’a été utilisé que pour décider s’il y avait lieu de signifier un avis d’audience. Il ne se distingue en rien des autres documents présentés au Conseil. Les documents ne deviennent pertinents que si le Conseil s’apprête à les invoquer.
Le président a affirmé qu’en droit, le Conseil a l’obligation :
[traduction] … de prendre sa décision à la lumière des éléments de preuve qui sont présentés et débattus à l’audience.
Par conséquent, la requérante ne subit aucun préjudice ou effet défavorable si elle ne reçoit pas tous les documents en la possession du Conseil. Si le Conseil s’appuie sur une preuve qui ne lui a pas été présentée à l’audience, il serait alors loisible à la requérante de présenter une autre requête.
La requête est rejetée.