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A-196-92

M. Donald Easton (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine et le ministre du Revenu national (intimés)

A-197-92

Harold Freeman (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Eastonc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Denault, J.C.A. (de droit), Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 4 septembre; Ottawa, 3 octobre 1997.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Les contribuables ont acquis des terrains pour les lotir et y construire des maisons destinées à la reventeLe titre de propriété a été transféré à des sociétés de portefeuilleLes contribuables ont dû fournir des garanties personnelles pour financer le projetIls ont été invités à honorer leurs garantiesLes terrains n'ont pas été acquis comme un investissementExamen de la jurisprudence sur le traitement fiscal des avances et des dépenses faites par des actionnairesLa loi présume que l'acquisition d'actions est faite dans le but de faire un placement et que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capitalLes contribuables ne pouvaient pas réclamer une perte d'entreprise parce qu'ils ne prêtaient pas d'argent ni n'octroyaient de garantiesIls n'ont pas réfuté la présomption que les pertes découlant du paiement effectué à l'occasion de garanties sont des pertes en capital.

Il s'agit d'appels d'une décision de la Section de première instance portant que les pertes subies par des actionnaires à la suite d'avances faites à leurs sociétés de portefeuille ou de dépenses faites au nom de celles-ci étaient imputables au compte de capital. En 1976, les contribuables ont décidé d'acquérir des terrains dans l'intention de les lotir et d'y construire des maisons destinées à la revente. Après avoir obtenu l'approbation du lotissement, les contribuables ont pris le titre de propriété en leur nom respectif et ont ensuite transféré les terrains à leurs sociétés de portefeuille. Pour financer le projet, les personnes morales ont obtenu un prêt bancaire qui obligeait chaque contribuable à fournir une garantie personnelle de 300 000 $. À l'automne 1981, le marché immobilier s'est effondré en Colombie-Britannique et les contribuables ont été invités à honorer leur garantie. Ils ont chacun déclaré une perte autre qu'en capital de 300 000 $. Le ministre du Revenu national a qualifié le paiement de perte en capital subie pendant l'année d'imposition au cours de laquelle les garanties ont été payées. Le juge de première instance a également statué que le paiement de la garantie était imputable au compte de capital et a conclu que si les contribuables avaient finalement vendu le projet d'aménagement immobilier à profit, le montant touché aurait été traité comme un gain en capital. La question que soulevait les appels était de savoir si un paiement effectué par un actionnaire à titre de garant d'un emprunt contracté par la société de cet actionnaire doit être considéré comme une dépense en immobilisations ou comme une perte entièrement déductible du revenu provenant d'autres sources.

Arrêt: les appels doivent être rejetés.

Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les contribuables auraient subi une perte en capital ou réalisé un bénéfice en capital s'ils n'avaient pas transféré le bien-fonds à leurs sociétés de portefeuille. Le projet d'aménagement ne visait pas à procurer aux contribuables un avantage durable qui produirait un revenu continu. Le bien-fonds n'a pas été acquis dans l'intention de faire un placement. Les actions acquises dans l'intention de produire un revenu font partie du compte de capital et celles qui sont acquises dans l'intention de les revendre à profit font partie du compte de revenu. Dans deux arrêts, la Cour suprême a semblé présumer que l'acquisition des actions était imputable au compte de revenu pour la seule raison que les contribuables étaient engagés depuis le début dans une entreprise ou un projet comportant un risque. Une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société; si le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital. La loi présume que l'acquisition d'actions est faite dans le but de faire un placement et que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Il existe deux exceptions reconnues au principe général que des pertes de cette nature sont des pertes en capital. Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. La deuxième exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Les contribuables n'ont pas prouvé que le paiement effectué à l'occasion de la garantie était visé par l'une de ces deux exceptions. Comme ils n'étaient pas dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties, ils ne pouvaient pas réclamer une perte d'entreprise. Ils n'ont pas cherché non plus à démontrer qu'ils ont donné la garantie dans le cours normal de leurs autres activités commerciales ou que les actions qu'ils possédaient dans leurs sociétés de portefeuille respectives étaient un actif commercial. Ils n'ont pas réfuté la présomption que les pertes découlant du paiement effectué à l'occasion de garanties sont des pertes en capital.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 39(1)c) (édicté par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 3; 1979, ch. 5, art. 11; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 16; 1985, ch. 45, art. 14; 1986, ch. 6, art. 17).

jurisprudence

décision non suivie:

Cull (P.J.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 63; (1987), 87 DTC 5322; 14 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Fraser v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.S. 657; (1964), 47 D.L.R. (2d) 98; [1964] CTC 372; 64 DTC 5224; Minister of National Revenue v. Freud, [1969] R.C.S. 75; (1968), 70 D.L.R. (2d) 306; [1968] CTC 438; 68 DTC 5279; K.J. Beamish Construction Ltd. c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2199; (1990), 90 DTC 1584 (C.C.I.); Minister of National Revenue v. Steer, [1967] R.C.S. 34; [1966] CTC 731; (1966), 66 DTC 5481; Berman, L., & Co. Ltd. v. M.N.R., [1961] CTC 237; (1961), 61 DTC 1150 (C. de l'É.); Lachappelle (R.) c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2396; (1990), 90 DTC 1876 (C.C.I.).

décisions citées:

Moluch, Harry v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 158; [1966] CTC 712; (1966), 66 DTC 5463; Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477; Mandryk (O.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 317; (1992), 92 DTC 6329; 141 N.R. 371 (C.A.F.); Becker c. La Reine, [1983] 1 C.F. 459; [1983] CTC 11; (1982), 83 DTC 5032; 46 N.R. 251 (C.A.); Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; [1995] 2 C.T.C. 369; (1995), 95 DTC 5551.

APPELS d'une décision de la Section de première instance ([1992] 1 C.T.C. 334; (1992), 92 DTC 6218) portant que les pertes subies par des actionnaires à la suite d'avances faites à leurs sociétés de portefeuille ou de dépenses faites au nom de celles-ci étaient imputables au compte de capital. Appels rejetés.

avocats:

Werner H. G. Heinrich pour les appelants.

William Mah pour les intimés.

procureurs:

Koffman Birnie & Kalef, Vancouver, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A.: Strictement définie, la question que soulève les présents appels consistent à savoir si un paiement effectué par un actionnaire à titre de garant d'un emprunt contracté par la société de cet actionnaire doit être considéré comme une dépense en immobilisations ou comme une perte entièrement déductible du revenu provenant d'autres sources. Le juge de première instance [Easton (M.D.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 334] a conclu que la perte était une perte en capital, et je souscris à cette conclusion. Cela dit, il existe de toute évidence au moins une décision de la Cour suprême du Canada qui appuie à première vue l'argument invoqué par les contribuables en appel, soit l'arrêt Fraser v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.S. 657. Dans les motifs qui suivent, je conclus que l'arrêt Fraser a été supplanté par un autre arrêt, à savoir Minister of National Revenue v. Freud, [1969] R.C.S. 75. Sur ce point, ma conclusion est incompatible avec l'opinion exprimée par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire K.J. Beamish Construction Ltd. c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2199. Les contribuables invoquent également la décision rendue par la Section de première instance de la Cour dans l'affaire Cull (P.J.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 63. La justesse de cette décision a été mise en doute devant la Cour de l'impôt et, par la suite, devant la présente Cour. À mon avis, les décisions Beamish et Cull ne peuvent plus être considérées comme des sources convaincantes.

Les faits essentiels qui sont à l'origine des présents appels sont simples. En 1976, les contribuables, qui sont des coentrepreneurs, ont décidé d'acquérir des terrains dans l'intention de les lotir et d'y construire des maisons destinées à la revente. La convention d'achat stipulait que le contrat était subordonné à l'approbation du lotissement par les autorités compétentes de la Colombie-Britannique. Après avoir finalement obtenu cette approbation, les contribuables ont pris le titre de propriété en leur nom respectif. Ils ont ensuite transféré les terrains à leur société de portefeuille respective. Ce bien-fonds constituait le seul élément d'actif de chaque société de portefeuille. Afin de financer le projet, les personnes morales ont emprunté 4,1 millions de dollars à une banque locale. La banque a exigé, comme condition préalable à l'octroi du prêt, que chaque contribuable fournisse une garantie personnelle de 300 000 $. La réalisation du projet de construction s'est poursuivie en 1979 et en 1980, et quelques résidences ont été mises en vente. À l'automne 1981, il y a eu un effondrement du marché immobilier en Colombie-Britannique et les contribuables ont été invités à honorer leur garantie. Ils ont chacun déclaré une perte autre qu'en capital de 300 000 $. Le ministre du Revenu national a qualifié le paiement de perte en capital (à titre de "perte déductible au titre d'un placement d'entreprise" par application de l'alinéa 39(1)c ) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (édicté par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 3; 1979, ch. 5, art. 11; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 16; 1985, ch. 45, art. 14; 1986, ch. 6, art. 17)]) subie pendant l'année d'imposition au cours de laquelle les garanties ont été payées.

Outre la conclusion principale que le paiement de la garantie était imputable au compte de capital, le juge de première instance est également arrivé à la conclusion que si les contribuables avaient finalement vendu le projet d'aménagement immobilier à profit, le montant touché aurait été traité comme un gain en capital. On peut inférer de cette conclusion que les contribuables n'exploitaient pas une entreprise ou un projet comportant un risque de nature commerciale (ci-après un projet comportant un risque), mais avaient plutôt fait une opération en capital avant de transférer le bien-fonds à leurs sociétés de portefeuille. Les contribuables contestent cette conclusion parce qu'elle sape l'argument qu'ils invoquent en appel. Cet argument repose sur la thèse qu'ils exploitaient une entreprise commerciale et que le bénéfice qui aurait été réalisé ou la perte qui aurait été subie auraient été imputés au compte de revenu et non au compte de capital. De plus, les contribuables affirment que le fait d'avoir eu recours à des personnes morales pour exercer leurs activités visant la réalisation d'un bénéfice ne modifie pas la qualification du bénéfice ou de la perte qui en résulte. Selon eux, le paiement effectué à l'occasion des garanties constitue une dépense accessoire et, par conséquent, la perte qu'ils ont subie devrait également être considérée comme imputable au compte de revenu. Au soutien de leur argument, les contribuables invoquent les arrêts Fraser et Freud de la Cour suprême et la décision rendue par la Section de première instance de la Cour dans l'affaire Cull.

La voix de la sagesse fiscale classique pourrait amener certains juristes à rejeter d'emblée cet argument parce qu'il s'oppose tout simplement à la théorie de la personnalité morale. Mais comme il existe certaines décisions judiciaires au soutien du point de vue des contribuables et que la jurisprudence n'est pas uniforme, je suis obligé d'approfondir l'affaire. Je vais d'abord examiner la conclusion du juge de première instance selon laquelle les contribuables ont fait une opération en capital.

Je suis prêt à convenir que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les contribuables auraient subi une perte en capital ou réalisé un bénéfice en capital s'ils n'avaient pas transféré le bien-fonds à leurs sociétés de portefeuille. Les contribuables ont acquis le bien-fonds dans l'intention de le lotir, d'y construire des maisons et de vendre chaque lot à profit. Le paragraphe 13 de l'exposé conjoint des faits contient ce que je considère comme des concessions importantes de la part du ministre. Ce paragraphe mérite d'être cité:

[traduction] Au début de 1975, le demandeur et Easton ont conçu l'idée de mettre en valeur un bien-fonds sis à Secret Cove (Colombie-Britannique). Ils avaient ensemble l'intention d'acquérir des terrains adjacents à la Secret Cove Marina mentionnée aux alinéas 11d) et h) ci-dessus, et de lotir le terrain, de le mettre en valeur, de le rendre propre à la construction et d'y construire des maisons. Ils avaient entre autres l'intention d'inclure une partie des terrains de la Secret Cove Marina dans le projet d'aménagement . . . Ils prévoyaient vendre les maisons au grand public au moyen de ventes privées et par l'entremise d'agents immobiliers et d'autres tiers qui pourraient faire connaître le projet aux acheteurs.

Il ne fait absolument aucun doute que le projet d'aménagement ne visait pas à procurer aux contribuables un avantage durable qui produirait un revenu continu. Bref, le bien-fonds n'a pas été acquis dans l'intention de faire un placement. Les contribuables ont fait exactement ce que ferait une personne exploitant une entreprise d'aménagement immobilier. Je suis donc obligé de convenir que le juge de première instance a commis une erreur sur ce point, et si ma conclusion exigeait un appui judiciaire, alors je suis prêt à invoquer la décision Moluch, Harry v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 158. À mon avis, toutefois, cette erreur ne modifie pas l'issue des présents appels. J'en viens maintenant aux arrêts Fraser et Freud de la Cour suprême qui se rapportent à l'argument invoqué par les contribuables.

Dans l'affaire Fraser, le contribuable appelant et un associé avaient acquis des terrains qui ont par la suite été transférés à deux sociétés en échange de toutes les actions de ces sociétés. Deux ans plus tard, les contribuables ont vendu leurs actions et ont ensuite soutenu qu'ils avaient fait un gain en capital. Le ministre a soutenu que le bénéfice était imposable comme un revenu et la Cour suprême du Canada a souscrit à cette affirmation. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Judson a statué que les contribuables étaient deux promoteurs immobiliers chevronnés qui avaient fait un bénéfice dans le cours normal des activités de leur entreprise. Selon lui, le fait que les contribuables avaient constitué des sociétés pour détenir le bien-fonds [traduction] "ne changeait rien" (à la page 661). C'était simplement un autre moyen d'arriver au même résultat, c'est-à-dire vendre les terrains à profit.

On ne saurait nier que l'arrêt Fraser de la Cour suprême appuie l'argument des contribuables. Pris isolément, cet arrêt permet d'affirmer que la personne qui se lance dans une entreprise ou un projet comportant un risque et qui poursuit ensuite l'exploitation de cette entreprise par le truchement d'une société sera imposée comme si la société n'avait jamais existé. Il est important de faire remarquer que la Cour suprême dans l'arrêt Fraser n'a pas examiné la question de savoir si le contribuable avait acquis les actions pour faire un placement ou en tant qu'actif commercial. Selon moi, l'arrêt Fraser offre un exemple évident d'une cour de justice qui ne tient aucun compte de l'axiome qu'une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires. Par ailleurs, il est tout aussi évident que la Cour suprême a vite reconnu l'effet déstabilisateur que l'arrêt Fraser pourrait avoir eu sur la théorie de la personnalité morale. Dans l'arrêt Freud, cette Cour a profité de l'occasion pour revoir le raisonnement qui sous-tend la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Fraser.

S'exprimant au nom de la Cour suprême dans l'arrêt Freud, le juge Pigeon a soutenu que l'arrêt Fraser n'était pas une affaire dans laquelle la Cour suprême n'avait tenu aucun compte du fait que le contribuable avait eu recours à la structure de la personne morale. Il s'agissait plutôt d'une affaire dans laquelle cette Cour a reconnu que si le contribuable avait vendu ses actions, le bénéfice aurait été qualifié de bénéfice commercial et non de gain en capital. En d'autres termes, les actions avaient été acquises comme un actif commercial et non pour faire un placement et, par conséquent, le bénéfice résultant de la vente des actions dans l'affaire Fraser était imposable comme un revenu. (Il convient de noter qu'au moment du prononcé des arrêts Fraser et Freud, les gains en capital étaient exclus de l'assiette fiscale.) C'est aux pages 80 et 81 de ses motifs que le juge Pigeon a reformulé le raisonnement de l'arrêt Fraser:

[traduction] En premier lieu, l'arrêt que cette cour a prononcé dans l'affaire Fraser c. Le ministre du Revenu national semble pertinent. La Cour a jugé dans cette affaire que lorsque deux agents immobiliers avaient constitué des compagnies en corporation pour détenir des biens-fonds, la vente des actions de ces compagnies au lieu de la vente de terrain était simplement un autre moyen de conclure des opérations immobilières et que le bénéfice était donc imposable. J'estime que cet arrêt n'implique pas nécessairement que l'existence de ces compagnies comme entités juridiques distinctes ait été écartée en fixant la cotisation d'impôt sur le revenu. Au contraire, il faut supposer que les compagnies restaient imposables en raison de leurs opérations et que leur titre de propriété sur les terrains restait incontesté. Je dois donc estimer que l'arrêt se fonde sur l'opinion formée quant à la nature de la dépense que comportait l'acquisition des actions des compagnies par les promoteurs.

Il est clair que si l'acquisition d'actions peut être un placement (Le ministre du Revenu national c. Foreign Power Securities Corp. Ltd., [1967] R.C.S. 295; [1967] C.T.C. 116; 67 D.T.C. 5084), elle peut aussi, selon les circonstances, être une opération commerciale (Osler Hammond and Nanton Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1963] R.C.S. 432; [1963] C.T.C. 164, 63 D.T.C. 1119, 38 D.L.R. (2d) 178; Hill-Clarke-Francis Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1963] R.C.S. 452; [1963] C.T.C. 337, 63 D.T.C. 1211). Puisque la définition de l'entreprise comporte une initiative de nature commerciale, il n'est pas nécessaire que l'acquisition d'actions soit une opération commerciale plutôt qu'un placement pour qu'il s'agisse d'un type d'opérations commerciales ordinaires. Dans l'affaire Fraser, l'opération principale était l'acquisition de terrain en vue de réaliser un bénéfice à la revente, de sorte que le terrain devenait un actif commercial. La conclusion de la Cour implique que l'acquisition d'actions de compagnies constituées en corporations afin de posséder des terrains était de la même nature, vu qu'à la vente des actions au lieu de terrains, le bénéfice était un bénéfice commercial et non un bénéfice d'immobilisation à la réalisation d'un placement. [Non souligné dans l'original.]

À mon avis, il ne saurait faire de doute que l'arrêt Freud de la Cour suprême visait à restreindre la portée du jugement qui a été prononcé dans l'affaire Fraser. Il va sans dire que la Cour suprême est libre de reformuler le fondement d'une décision antérieure sans rejeter expressément cette décision. J'irais même jusqu'à dire que l'application du fondement de la décision Fraser sans tenir compte des décisions ultérieures introduirait une [traduction] "incertitude intolérable" dans le droit fiscal et la planification fiscale.

Comme je viens de l'indiquer, les contribuables cherchent à nous convaincre que les arrêts Fraser et Freud appuient la proposition voulant que si, depuis le début, un contribuable est partie à une opération commerciale, alors une dépense ultérieure faite dans le cadre de cette opération fera l'objet du même traitement fiscal. Autrement dit, une perte sera imputable au compte de revenu même si le contribuable a décidé d'exploiter l'entreprise ou le projet comportant un risque par le truchement d'une personne morale. On peut imputer l'erreur commise par les contribuables dans cette partie de leur argumentation au fait que le contribuable dans Freud n'a pas eu gain de cause parce que la dépense était accessoire à une entreprise ou un projet comportant un risque. Il a eu gain de cause parce qu'il a été capable de convaincre la Cour suprême que la dépense (perte) devrait recevoir le même traitement fiscal qu'un bénéfice réalisé ou une perte subie à l'occasion de la vente de ses actions. En d'autres termes, si un actionnaire peut démontrer qu'il a acquis ses actions comme un actif commercial, et non dans l'intention de faire un placement, alors la perte découlant d'une avance faite par un actionnaire à la société ou d'une dépense faite par un actionnaire au nom de la société, y compris des paiements effectués à l'occasion d'une garantie, sera également imposée comme une perte imputable au compte de revenu. À mon avis, telle est la signification véritable de l'arrêt Freud. Le moment est bien choisi pour exposer les faits essentiels de cette affaire.

Dans l'affaire Freud, le contribuable avait constitué une société américaine dans le but de promouvoir et de perfectionner son invention, à savoir un prototype de voiture sport. Il avait l'intention de vendre le concept à un fabricant. Il n'avait pas l'intention de fabriquer ni de vendre des voitures. À un moment donné, la société a eu des ennuis d'argent et le contribuable lui a avancé la somme de 13 840 $. Peu de temps après, le contribuable a abandonné le projet. Il a ensuite tenté de déduire l'avance de son revenu provenant d'autres sources. Le ministre a reconnu que si le contribuable avait réalisé le projet en son nom personnel, la perte aurait été imputable au compte de revenu puisqu'elle aurait été subie dans le cadre d'un projet comportant un risque. Il a toutefois refusé la déduction au motif qu'il s'agissait d'une dépense en immobilisations. Tant la Cour de l'Échiquier que la Cour suprême se sont trouvées en désaccord avec cette qualification.

En supposant que l'avance de 13 840 $ puisse être considérée comme un prêt, le juge Pigeon a fait remarquer [traduction] "qu'un prêt consenti par une personne qui n'est pas dans l'entreprise de prêt d'argent doit habituellement être considéré comme un investissement" (à la page 82). Il a toutefois ajouté que [traduction ] "dans des circonstances exceptionnelles ou inhabituelles", un prêt semblable pourrait être considéré comme une opération commerciale et non comme un investissement. Les faits dans l'affaire Freud ont été jugés [traduction] "tout à fait inhabituels et exceptionnels" (à la page 82). Si je comprends bien les motifs du jugement, les circonstances exceptionnelles étaient que les actions avaient été acquises comme un actif commercial et non comme un investissement, de sorte que l'avance n'avait pas été faite dans le but d'en retirer un revenu continu. Cette compréhension s'appuie sur l'observation du juge Pigeon que si le contribuable avait réussi à vendre le prototype de voiture sport, le bénéfice qu'il aurait fait en vendant ses actions aurait été imputable au compte de revenu et non au compte de capital. Le juge Pigeon a bien précisé ce point à la page 81 de ses motifs:

[traduction] Si le requérant et ses amis avaient réussi à vendre le prototype de voiture sport, ils auraient bien pu le faire en vendant les actions de la compagnie au lieu de faire vendre le prototype par la compagnie, et il ne saurait y avoir de doute que s'ils avaient ainsi réalisé un bénéfice, celui-ci était imposable.

Il serait trompeur de ma part de dire que la Cour suprême dans l'arrêt Freud n'a pas accordé beaucoup d'importance au fait que le contribuable était, depuis le début, engagé dans un projet comportant un risque. Par ailleurs, on ne saurait nier que la Cour suprême n'a pas examiné l'intention du contribuable au moment de l'acquisition des actions avant de déterminer si leur vente aurait été imputable au compte de revenu plutôt qu'au compte de capital. Il est maintenant bien établi en droit que les actions acquises dans l'intention de produire un revenu font partie du compte de capital et que celles qui sont acquises dans l'intention de les revendre à profit font partie du compte de revenu. Dans les arrêts Fraser et Freud, la Cour suprême a semblé présumer que l'acquisition des actions était imputable au compte de revenu pour la seule raison que les contribuables dans ces affaires étaient engagés depuis le début dans une entreprise ou un projet comportant un risque. Enfin, je ne peux pas ne pas faire remarquer que la Cour suprême dans ces deux arrêts paraît sceptique quant à la manipulation de la personne morale pour réaliser des objectifs de planification fiscale.

Malgré l'impression d'imprécision que donne la Cour suprême dans l'arrêt Freud, cet arrêt est important parce qu'il crée une exception au cadre juridique général à appliquer au moment d'établir le traitement fiscal des pertes subies par les actionnaires qui ont fait des avances à leurs sociétés ou des dépenses en leur nom. Le moment est bien choisi pour énoncer à nouveau les préceptes fondamentaux qui sous-tendent le traitement fiscal des avances et des dépenses faites par les actionnaires.

En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Les mêmes considérations s'appliquent aux garanties données par les actionnaires à l'occasion de prêts consentis à des sociétés. Dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Steer, [1967] R.C.S. 34, il a été statué que la garantie donnée à une banque par un contribuable relativement à la dette d'une société en contrepartie d'actions de la société devait être traitée comme un prêt différé consenti à la société et que le paiement effectué pour régler cette dette devait être considéré comme une perte en capital. Cet arrêt n'appuie toutefois pas la proposition que chaque fois qu'une société omet de rembourser un actionnaire relativement à une avance, à une dépense ou à un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, la perte est nécessairement une perte en capital. Il existe simplement une présomption réfutable à cet égard. J'en viens maintenant aux circonstances dans lesquelles cette présomption peut être réfutée.

Il existe deux exceptions reconnues au principe général que des pertes semblables à celles dont il vient d'être question sont des pertes en capital. Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L'exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. Cette exception s'applique toutefois aussi aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à la propre entreprise du contribuable et non à celle de la société dont le contribuable est actionnaire. À titre d'exemple, dans l'affaire Berman, L., & Co. Ltd. v. M.N.R., [1961] CTC 237 (C. de l'É.), la société contribuable avait volontairement effectué des paiements aux fournisseurs de sa filiale afin de protéger sa clientèle. La filiale avait manqué à ses obligations et comme la contribuable avait traité avec les fournisseurs, elle désirait continuer de le faire plus tard. (La Cour suprême a cité et paru approuver la décision Berman dans l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, à la page 479.)

La deuxième exception est exposée dans l'arrêt Freud. Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Cette exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Les personnes qui n'appartiennent pas à cette catégorie devront prouver qu'elles ont acquis les actions dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Selon moi, cette "circonstance exceptionnelle" ne constitue pas une solution pour les contribuables qui cherchent à déduire des pertes. Je dis cela parce qu'il existe une présomption réfutable voulant que les actions soient acquises à titre d'immobilisations: voir l'arrêt Mandryk (O.) c. Canada , [1992] 1 C.T.C. 317 (C.A.F.), aux pages 323 et 324.

Par conséquent, pour avoir gain de cause dans les présents appels, les contribuables devaient prouver que le paiement effectué à l'occasion de la garantie était visé par l'une des exceptions reconnues au principe général. Comme les contribuables n'étaient pas dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties, ils ne pouvaient pas réclamer une perte d'entreprise. Ils n'ont pas cherché non plus à démontrer qu'ils ont donné la garantie dans le cours normal de leurs autres activités commerciales. Subsidiairement, les contribuables auraient pu chercher à démontrer que les actions qu'ils possédaient dans leurs sociétés de portefeuille respectives étaient un actif commercial, de sorte que le gain ou la perte résultant de la vente de ces actions aurait été imputable au compte de revenu et non au compte de capital. Les contribuables n'en ont rien fait, et il est peu probable qu'ils eussent été capables de convaincre le juge de première instance qu'ils avaient l'intention de vendre à profit les actions qu'ils détenaient dans leurs sociétés de portefeuille respectives lorsqu'ils ont donné la garantie. Ce sont les motifs pour lesquels que je suis d'avis que les contribuables doivent être déboutés des présents appels.

Je reconnais que dans la décision K.J. Beamish Construction Ltd. c. M.R.N., supra, la Cour de l'impôt a rejeté l'affirmation qu'une avance ou une dépense, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie par des actionnaires, peut être considérée comme fondée sur un compte courant si l'actionnaire a acquis les actions comme un actif commercial. De l'avis du juge de la Cour de l'impôt, la circonstance exceptionnelle exposée par le juge Pigeon dans l'arrêt Freud est une opinion incidente. Il ne me paraît pas possible d'être d'accord avec lui. Selon moi, l'exception mentionnée dans cet arrêt a fourni le fondement juridique qui a permis au contribuable dans cette affaire d'avoir gain de cause. Bien que la décision Beamish ne puisse plus être considérée comme convaincante en ce qui concerne sa compréhension de l'importance des arrêts Fraser et Freud de la Cour suprême, je ne prétends pas qu'elle est mal fondée. Dans cette affaire, le juge de la Cour de l'impôt a conclu, à partir des faits, que le contribuable avait acquis les actions comme un placement, de sorte que l'exception au principe énoncé dans l'arrêt Freud ne s'appliquait pas de toute façon. Bref, les remarques qui ont été faites sur les arrêts Fraser et Freud dans l'affaire Beamish sont elles-mêmes des remarques incidentes. Ma compréhension de ce qui a été décidé dans l'arrêt Freud est renforcée par une autre décision de la Cour de l'impôt, à savoir Lachappelle (R.) c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2396. Je n'ai pas l'intention d'examiner tout ce qui est clairement exposé dans ces motifs. Pour statuer sur les présents appels, il est suffisant de mentionner que dans la décision Lachappelle, le juge Brulé traite l'arrêt Freud de la manière que je viens de décrire. Notre analyse est conforme à la décision rendue par cette Cour dans Becker c. La Reine, [1983] 1 C.F. 459 (C.A.).

En dernier lieu, les contribuables invoquent la décision Cull (P.J.) c. La Reine, supra, de la Section de première instance de cette Cour à l'appui de leur argument. Dans l'arrêt Mandryk, la Cour a fait remarquer que dans Beamish, la Cour de l'impôt a refusé d'appliquer ou de suivre la décision Cull (le juge MacGuigan, J.C.A., qui a prononcé les motifs de la Cour dans l'arrêt Mandryk, a estimé qu'il était inutile de déterminer si la décision Cull était bien fondée). Dans Lachappelle, le juge de la Cour de l'impôt a fait remarquer que la décision Cull était "difficile à expliquer" (à la page 2403). Il ne fait aucun doute que cette décision pose un problème. En gros, les faits sont les suivants. En 1976, le contribuable avait acquis le tiers des actions d'une société qui mettait en valeur des terrains situés sur deux lotissements et donné une garantie pour le tiers de la dette de la société. En 1981, la société a eu des ennuis d'argent et le contribuable a fini par lui consentir une avance pour lui permettre de faire face à certaines obligations financières envers ses créanciers. Le contribuable a ensuite cherché à déduire diverses pertes de son revenu.

Dans l'affaire Cull, le juge de première instance a accueilli l'appel en prononçant des motifs qui reflètent la tension entre les arrêts Fraser et Freud de la Cour suprême. D'une part, il y a des passages des motifs du jugement qui indiquent que l'existence séparée de la société peut ne pas être prise en considération (aux pages 67 à 69). Le raisonnement fait dans l'arrêt Fraser est invoqué à cet égard. D'autre part, le juge de première instance invoque l'arrêt Freud au soutien de la conclusion que les pertes seront imputables au compte de revenu si les actions ont été acquises dans le but d'être revendues (dans le cadre d'un projet comportant un risque) et non dans l'intention de faire un placement (aux pages 67 et 68). En toute déférence, il faut reconnaître que le raisonnement fait dans la décision Cull n'est pas tout à fait limpide. Ce qui me paraît le plus difficile à accepter, c'est la conclusion que le contribuable dans cette affaire a acquis les actions pour les revendre, alors qu'en réalité il les a conservées pendant une période d'au moins cinq ans. À mon avis, la décision Cull n'est pas utile dans le cadre des présents appels et ne devrait pas être suivie à l'avenir. (Cela étant dit, je n'ignore pas que la décision Cull a été invoquée dans l'arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, à la page 125, au soutien de la proposition qu'un terrain peut constituer un bien figurant dans un inventaire.)

En conclusion, les contribuables n'ont pas réfuté la présomption que les pertes découlant du paiement effectué à l'occasion des garanties sont des pertes en capital. De plus, ils ne peuvent pas se réclamer de l'une des exceptions à ce principe général. Premièrement, ils n'ont pas démontré que les garanties ont été données dans le cadre d'entreprises visant la réalisation d'un bénéfice qui ne se rapportaient pas à l'aménagement immobilier. Deuxièmement, ils n'ont pas démontré que les actions de leurs sociétés de portefeuille respectives étaient détenues comme un actif commercial et, partant, que les paiements effectués à l'occasion des garanties étaient des dépenses accessoires qui ont entraîné des pertes imputables au compte de revenu. Par conséquent, les appels devraient être rejetés avec dépens, et l'intimée a droit à un mémoire d'honoraires d'avocat pour les deux appels.

Le juge Denault, J.C.A. (de droit): Je souscris.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris.

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