T-1399-96
VIA Rail Canada Inc. (requérante)
c.
Commission canadienne des droits de la personne et John Mills (intimés)
Répertorié: VIA Rail Canada Inc.c. Canada (Commission des droits de la personne)(1re inst.)
Section de première instance, juge Teitelbaum" Montréal, 12 mai; Ottawa, 19 août 1997.
Droits de la personne — Contrôle judiciaire d'une décision du TCDP selon laquelle la requérante a commis à l'endroit d'un employé un acte discriminatoire fondé sur la déficience, contrairement à l'art. 7 de la LCDP — L'employé travaillait pour VIA Rail en tant que chef, cuisinier et préposé aux services — Il a souffert de maux de dos récidivants, pendant toute sa période d'emploi, et son état s'est aggravé du fait qu'il devait se pencher et soulever des charges lourdes — Il a reçu un congé d'invalidité — On a refusé de le réintégrer bien que son médecin de famille ait autorisé son retour au travail — La manière dont le Tribunal a apprécié son invalidité est conforme à la loi — Les conclusions touchant le constat médical sont des conclusions de fait et ne comportent aucune erreur — Le Tribunal ne s'est pas arrêté aux distinctions entre la discrimination directe et la discrimination indirecte — Les moyens de défense et d'analyse sont différents selon le type de discrimination — En omettant de préciser le type de discrimination, le TCDP a renoncé à sa responsabilité.
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne, selon laquelle la requérante, VIA Rail Canada Inc., a commis à l'endroit de l'employé intimé un acte discriminatoire fondé sur la déficience, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'employé avait été engagé par VIA en 1970 et avait travaillé comme chef, cuisinier et préposé aux services, ce dernier poste l'obligeant à soulever de lourdes charges, tels les bagages des passagers. Il a souffert de maux de dos récidivants pendant tout le temps où il a travaillé pour VIA. Il a obtenu un congé d'invalidité de brève durée après s'être grièvement blessé au dos en août 1991, dans l'exercice de ses fonctions. Environ trois mois après cet incident, l'employé a été jugé apte à retourner travailler par son médecin de famille. Il voulait retourner travailler mais VIA a hésité à le réintégrer dans son ancien poste, estimant qu'il était tout à fait incapable d'exercer ses fonctions. Après un bref retour au travail en 1993, l'employé a pris un congé prolongé d'invalidité pour cause de stress, puis a été congédié en octobre 1994. Le Tribunal a estimé que VIA avait omis d'évaluer minutieusement les divers éléments de la preuve médicale donnant des détails sur les maux de dos de l'employé, et avait donc une perception erronée des aptitudes de celui-ci. Le Tribunal a également jugé que VIA ne pouvait pas offrir de justifications pour son comportement discriminatoire. Trois grandes questions se posaient, 1) le Tribunal a-t-il tiré une conclusion paradoxale et déraisonnable sur la question de l'invalidité? 2) le Tribunal a-t-il commis un erreur en préférant l'avis médical postérieur à la preuve contemporaine? et 3) le Tribunal a-t-il pleinement examiné les moyens que VIA pouvait invoquer contre une conclusion prima facie de discrimination.
Jugement: la demande est accueillie.
À titre préliminaire, la Commission canadienne des droits de la personne soutenait que les paragraphes 36 et 37 de l'affidavit d'un cadre de VIA devraient être radiés parce qu'ils renfermaient des faits et des éléments de preuve dont le Tribunal ne disposait pas. Selon cet affidavit, la réintégration de l'employé exigerait le renvoi d'un autre chef qui avait accepté son poste de bonne foi. VIA ne pouvait pas invoquer l'alinéa 54(2)a) de la LCDP puisqu'elle n'a présenté au Tribunal aucune preuve au sujet de l'autre chef. Les Règles de la Cour fédérale ne prévoient pas la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. Les paragraphes litigieux doivent être radiés en vertu du paragraphe 1603(1) des Règles parce qu'ils présentent des faits dont le Tribunal n'était pas saisi.
1) La façon dont le Tribunal a évalué la déficience est conforme au droit. VIA a omis de reconnaître comment une perception selon laquelle une personne est atteinte d'une déficience peut en soi constituer un acte discriminatoire prohibé par la LCDP. La définition légale de la déficience est non limitative et formulée en termes généraux. Le fait que le Tribunal ait qualifié de "mal de dos" la déficience de l'employé n'empêche pas ce dernier de demander un redressement sur la base d'une déficience. La déficience est une question de degré et doit être appréciée dans divers contextes et dans diverses situations. La conclusion du Tribunal au sujet de la déficience est moins axée sur l'état physique réel de l'employé que sur la façon dont VIA a perçu le mal dont celui-ci était atteint. Il est nécessaire d'insister sur la question de la perception parce que la législation en matière de droits de la personne vise à empêcher les effets d'un comportement discriminatoire.
2) Les conclusions tirées par le Tribunal à l'égard de la preuve médicale sont des conclusions de fait. Le Tribunal n'a pas tiré de conclusion erronée en décidant que la décision selon laquelle l'employé était invalide au point de ne pas pouvoir remplir ses fonctions de chef, voire celles de tout autre poste à bord d'un train, n'avait pas été prise après un examen approprié de son rendement au travail. Le Tribunal n'a pas tiré sa conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Il a minutieusement examiné les antécédents médicaux plutôt complexes de l'employé et n'a pas limité son analyse des diverses consultations et opinions médicales à l'événement déterminant du mois d'août 1991. La conclusion du Tribunal selon laquelle VIA n'a pas effectué une enquête adéquate et exhaustive de la preuve médicale ne justifie donc pas un contrôle judiciaire.
3) En omettant de tirer une conclusion expresse au sujet de la nature de la discrimination dont l'employé avait été victime, le Tribunal n'a pas accordé l'importance appropriée au moyen de défense que VIA pouvait invoquer contre l'allégation selon laquelle elle avait commis un acte discriminatoire à son endroit. Le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal est donc justifiée sur ce point parce que le Tribunal a appliqué la loi d'une façon erronée. La jurisprudence distingue deux types principaux de discrimination: la discrimination directe et la discrimination indirecte. Chaque type de discrimination comporte une série distincte de raisonnements et de moyens de défense. Dans une affaire de discrimination directe, l'employeur peut se défendre en disant que la règle générale qui est contestée pour le motif qu'elle est discriminatoire constitue en fait une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Il ne peut y avoir aucune accommodation ou évaluation individuelle dans un cas de discrimination directe. Par contre, dans une affaire de discrimination indirecte, la défense est axée sur les caractéristiques et besoins individuels. L'employeur est tenu d'accommoder le requérant individuel dans la mesure où cela ne cause pas de problème démesuré. Le Tribunal a clairement dit que VIA avait commis à l'endroit de l'employé un acte discriminatoire fondé sur la déficience, mais il n'a pas donné de précisions au sujet de la nature de cet acte. Le Tribunal ne s'est pas non plus expressément arrêté aux distinctions de droit entre la discrimination directe et la discrimination indirecte. Il n'a pas expressément tenu compte de la justification possible de VIA concernant une EPJ. Si pareil moyen de défense n'était pas soutenable parce que la discrimination en question était de nature indirecte, le Tribunal aurait dû le dire. En omettant de préciser le type de discrimination en cause, le Tribunal a laissé un vide et a renoncé à sa responsabilité. Il a par conséquent commis une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire.
lois et règlements
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 1), 7, 15, 25 "déficience", 50(2)c ), 54(2)a).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1603(1) (édicté par DORS/92-43, art. 19).
jurisprudence
décision appliquée:
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241.
distinction faite avec:
Canada (Procureur général) c. Beaulieu (1993), 103 D.L.R. (4th) 217; 93 CLLC 17,023; 154 N.R. 299 (C.A.F.).
décisions examinées:
West Region Tribal Council c. Booth et autres (1992), 55 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.); Franz c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 80 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.); Kibale c. Transports Canada et al. (1988), 88 CLLC 17,022; 90 N.R. 1 (C.A.F.).
décisions citées:
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1; Ede c. Canada (Forces armées canadiennes) (1990), 11 C.H.R.R. D/439; Philip Foucault c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1981), 2 C.H.R.R. D/475; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228; (1994), 21 C.H.R.R. D/113; 94 CLLC 17,029; 170 N.R. 283 (C.A.); Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159.
DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne ([1996] D.C.D.P. no 7 (QL)), selon laquelle la requérante a commis à l'endroit de l'employé intimé un acte discriminatoire fondé sur la déficience, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Demande accueillie.
avocats:
Dominique Monet pour la requérante.
Rosemary G. Morgan pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.
Lewis Gottheil pour l'intimé John Mills.
procureurs:
Martineau, Walker, Montréal, pour la requérante.
Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée.
TCA-Canada, contentieux, Willowdale (Ontario), pour l'intimé John Mills.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Teitelbaum:
INTRODUCTION1
Il s'agit de la demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal canadien des droits de la personne [[1996] D.C.D.P. no 7 (QL)] (le Tribunal). Dans une décision rendue le 16 mai 1996, le Tribunal a conclu que la requérante VIA Rail Canada Inc. (VIA) avait commis à l'endroit de l'intimé John Mills un acte discriminatoire fondé sur la déficience. VIA, qui est une compagnie nationale de chemins de fer assurant le transport de voyageurs, a jugé que M. Mills était totalement incapable d'exercer son emploi. Le Tribunal a décidé que VIA avait violé l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP). Il a ordonné à VIA d'indemniser M. Mills à l'égard du salaire et des avantages perdus et de le réintégrer, au sein de la compagnie, dans un poste précis soumis à certaines restrictions. VIA demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
LES FAITS
Antécédents professionnels de M. Mills
M. Mills a commencé à travailler pour les chemins de fer en 1970, lorsque VIA faisait encore partie de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Il a reçu une formation de chef pour les trains assurant le transport de voyageurs dans le corridor atlantique; il était d'abord établi à Halifax, puis à Moncton et enfin encore une fois à Halifax. Initialement, le nom de M. Mills figurait sur ce qu'on appelle la liste de réserve. En tant qu'employé de réserve, M. Mills était en attente en vue d'accomplir toute une gamme de tâches dans les trains. Il travaillait parfois comme chef, mais aussi comme cuisinier (emploi dont la classification est différente selon la convention collective conclue entre VIA et le syndicat représentant les travailleurs de VIA). De plus, M. Mills agissait parfois comme préposé aux services, poste dans le cadre duquel il devait soulever des charges lourdes. À titre de préposé aux services, M. Mills devait aider les passagers à monter dans le train et à en descendre, transporter les bagages, faire et tirer les lits.
Au fur et à mesure qu'il avait plus d'ancienneté, M. Mills a travaillé exclusivement comme chef pendant un certain temps au milieu des années 1980. Toutefois, en janvier 1990, VIA a réduit ses services et a éliminé de nombreux emplois, y compris le poste de chef de M. Mills. Celui-ci a ensuite été assujetti au régime de "garantie d'emploi", en vertu d'une entente conclue entre le syndicat et VIA. En tant qu'employé assujetti au régime de "garantie d'emploi", M. Mills a continué à toucher un salaire et à obtenir des avantages, mais il devait être disponible pour travailler à titre d'employé de réserve. De fait, il a été muté de Moncton à Halifax pour accomplir des tâches d'employé de réserve2 . Au début des années 1990, M. Mills a continué, au besoin, à changer d'emploi en tant qu'employé de réserve. Il a même parfois repris son travail initial de chef, mais il travaillait en général comme préposé aux services. Au cours de cette même période, il passait également de la liste de réserve au régime de "garantie d'emploi" et vice-versa.
La blessure au dos déterminante
Le 21 août 1991, M. Mills s'est grièvement blessé au dos dans l'exercice de ses fonctions. À ce moment-là, il travaillait comme chef en tant qu'employé de réserve. Il s'est donné un tour de reins en se penchant pour allumer une cuisinière à gaz. M. Mills est apparemment un homme de grande taille, plus de six pieds et deux pouces, de sorte que le fait de se pencher dans l'espace restreint d'une cuisine de train pour trouver la veilleuse de la cuisinière a aggravé son état déjà précaire (à la page 9 de la décision du Tribunal; à la page 21 du dossier de la requérante; [au paragraphe 29 de QL]). M. Mills avait souffert de maux de dos récidivants pendant tout le temps où il avait travaillé pour VIA3. Après l'événement déterminant du mois d'août 1991, M. Mills a obtenu un congé d'invalidité de brève durée destiné à lui permettre de se rétablir et de suivre des traitements de physiothérapie. Le 21 octobre 1991, environ trois mois après avoir subi la blessure initiale, il a été jugé apte à retourner travailler par son médecin de famille, le Dr Wawrzyszyn. Toutefois, le médecin a conseillé à M. Mills de s'abstenir à l'avenir de soulever des charges lourdes, de se pencher et de faire des mouvements de torsion. Le Dr Wawrzyszyn avait donné le même conseil à M. Mills en mars 1990, après que celui-ci eut eu un spasme.
VIA ne souscrivait pas aux conclusions du Dr Wawrzyszyn. En fait, le représentant médical de VIA, le Dr Nurse, a réfuté la note dans laquelle le Dr Wawrzyszyn disait que M. Mills était apte à retourner travailler. VIA croyait que M. Mills devait être examiné par un orthopédiste qu'il choisirait lui-même avant de pouvoir être autorisé à retourner travailler. Le spécialiste, le Dr Holmes, a jugé que les aptitudes de M. Mills à accomplir ses tâches étaient limitées, mais il n'a pas dit que M. Mills ne pouvait pas retourner travailler.
VIA a néanmoins continué à hésiter à réintégrer M. Mills dans son ancien poste. Mais celui-ci voulait retourner travailler. Il a donc demandé à son syndicat, la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers qui est par la suite devenue le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (le syndicat) de l'appuyer dans ses efforts. On a tenté en vain de trouver un autre emploi à M. Mills en tant qu'employé non itinérant, comme agent des ventes par téléphone de VIA, mais il a été impossible de s'entendre d'une façon satisfaisante sur les conditions. À titre d'agent des ventes par téléphone, M. Mills n'avait pas de garantie quant à un emploi à plein temps ou à un travail continu. Il aurait également été obligé de se réinstaller à Moncton.
Enfin, en juillet 1992, VIA a demandé que M. Mills soit examiné par le Dr Brown, un autre chirurgien orthopédiste. Le Dr Brown a examiné M. Mills et a conclu que la capacité de ce dernier d'accomplir des tâches dans les trains était restreinte. Néanmoins, il a également jugé qu'on devrait permettre à M. Mills de travailler dans le wagon-restaurant, en occupant un poste quelconque. Le Dr Brown a également mis l'accent sur le fait que M. Mills était mentalement prêt à retourner travailler. Toutefois, le Dr Pigeon, qui était le conseiller médical de VIA, a examiné le dossier médical de M. Mills et a jugé celui-ci incapable de travailler comme employé itinérant.
La procédure de règlement des griefs et la décision arbitrale ou l'entente du mois de juillet 1993
Étant donné que l'opinion exprimée par le Dr Pigeon mettait effectivement fin aux négociations concernant le retour au travail de M. Mills, le syndicat a, en août 1992, présenté un grief pour le compte de M. Mills auprès du Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens (le Bureau). Peu de temps après, en octobre 1992, M. Mills a également déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Le grief a initialement été entendu en mai 1993. Toutefois, le syndicat et VIA ont continué à négocier un règlement en vue du retour de M. Mills au travail. Une entente a été conclue en juillet 1993 en vue de permettre à M. Mills de retourner travailler comme chef. Aucune audience au fond n'a eu lieu devant l'arbitre au sujet du grief présenté par M. Mills. On a demandé au Bureau de ratifier les conditions de règlement négociées entre M. Mills et VIA. Elles prévoient ce qui suit:
[traduction] L'arbitre ordonne que M. Mills soit réintégré dans son emploi, sans dédommagement et sans perte d'ancienneté, et que ses fonctions se limitent à celles de chef. Sa réintégration est assortie de la condition qu'il devra remplir à titre d'essai, pendant une période d'au moins deux ans, les fonctions et responsabilités de chef pour les Services dans les trains. Si, au cours d'un trimestre quelconque durant ces deux ans, M. Mills ne réussit pas à maintenir une fiche d'assiduité comparable à celle de la moyenne des employés de sa classification au sein de VIA Atlantique, la compagnie aura le droit de mettre un terme à la période d'essai en question. Dans un tel cas, les parties pourront exercer les droits et devront s'acquitter des obligations qui s'appliqueront alors à M. Mills en vertu de la convention collective. L'arbitre demeure saisi de l'affaire. [À la page 15 de la décision du Tribunal; à la page 26 du dossier du requérant; [au paragraphe 45 de QL].]
M. Mills est donc retourné travailler comme chef en juillet 1993. Malheureusement, il n'a pas pu respecter les conditions relatives à l'assiduité stipulées dans l'entente du mois de juillet 1993. Il a pris un congé prolongé d'invalidité pour cause de stress et a ensuite été congédié en octobre 1994. Ce congédiement fait l'objet d'un grief et d'une plainte distincts concernant les droits de la personne, lesquels ne sont pas ici en litige. M. Mills a également donné suite à la plainte initiale concernant les droits de la personne qu'il avait présentée en octobre 1992.
La décision du Tribunal
Après avoir consacré près de onze jours à l'audition de la preuve, le Tribunal s'est prononcé en faveur de M. Mills. Il a statué que VIA avait commis à l'endroit de M. Mills un acte discriminatoire fondé sur la déficience. Selon le Tribunal, VIA avait omis d'évaluer minutieusement les divers éléments de la preuve médicale donnant des détails sur les maux de dos de M. Mills. VIA avait donc une perception erronée des aptitudes de M. Mills. Le Tribunal a également statué que VIA ne pouvait pas offrir de justifications au sujet de son comportement discriminatoire. Le poste d'agent des ventes par téléphone ne répondait pas d'une façon adéquate aux besoins de M. Mills. Le Tribunal a donc ordonné à VIA de dédommager M. Mills du salaire perdu jusqu'en octobre 1991, date à laquelle VIA avait initialement refusé de réintégrer M. Mills dans son emploi. VIA devait également indemniser M. Mills des salaires perdus, y compris une indemnité pour la perte subie par suite de la vente d'une maison. Enfin, le Tribunal a statué que M. Mills devait être réintégré, mais uniquement en tant que chef, en vertu des conditions stipulées dans la convention collective à l'égard des chefs. La convention collective n'exigeait pas qu'un chef soulève des charges lourdes.
QUESTIONS EN LITIGE
Une question préliminaire se rapportait à l'admissibilité de certaines parties de l'affidavit que VIA avait déposé à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire. En septembre 1996, la Commission avait présenté une requête en vue de faire radier certains paragraphes de l'affidavit de Lionel De Wolfe pour le motif que ceux-ci se rapportaient à des faits qui n'avaient pas été établis devant le Tribunal. Toutefois, les parties n'ont jamais débattu la requête parce qu'elle a été retirée avec leur consentement, étant entendu que les arguments seraient présentés au moment de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.
Mise à part la question préliminaire, VIA affirme avec insistance que la décision du Tribunal est remplie d'erreurs de compétence, de droit et de fait et qu'elle doit être annulée. De leur côté, la Commission et M. Mills, qui est représenté par l'avocat du syndicat, soutiennent que la décision du Tribunal était raisonnable, compatible avec la preuve et correcte en droit. Les deux intimés, soit la Commission et le syndicat, soulignent qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard de la décision du Tribunal en ce qui concerne les questions de fait. Il existe une procédure en deux étapes lorsqu'il s'agit d'accorder le contrôle judiciaire de conclusions de fait en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. En premier lieu, la Cour doit être convaincue que le Tribunal a tiré une conclusion de fait erronée. En second lieu, même si la Cour conclut que le Tribunal a commis une erreur, elle doit également conclure que la conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire et sans qu'il soit tenu compte des éléments dont il disposait. Par contre, la norme de contrôle applicable aux questions de droit ne consiste pas à savoir si la décision est raisonnable, mais plutôt si elle est exacte: Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.
La Cour doit donc caractériser les conclusions du Tribunal comme se rapportant soit à des questions de fait soit à des questions de droit, afin d'appliquer la norme de contrôle appropriée et de répondre aux questions suivantes:
1. Le Tribunal a-t-il tiré une conclusion paradoxale et déraisonnable au sujet de la question de l'invalidité?
2. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en préférant l'avis médical postérieur à la preuve contemporaine?
3. Le Tribunal a-t-il pleinement examiné les moyens que VIA pouvait invoquer contre une conclusion prima facie de discrimination?
4. Le Tribunal a-t-il accordé une portée trop étendue aux redressements accordés et omis de tenir compte d'événements qui s'étaient produits dans l'intervalle, comme la décision arbitrale?
EXAMEN
Question préliminaire: radiation de parties de l'affidavit
La Commission soutient que les paragraphes 36 et 37 de l'affidavit de M. De Wolfe devraient être radiés parce qu'ils renferment des faits et des éléments de preuve dont le Tribunal ne disposait pas. Selon la Commission, VIA tentait, au moyen de la demande de contrôle judiciaire qu'elle avait présentée, de faire de nouveau entendre l'affaire au fond et de présenter de nouveaux éléments de preuve.
M. De Wolfe est directeur des Services à la clientèle de l'Atlantique de VIA. Avant d'occuper ce poste, il était directeur de la section des services à la clientèle. Il a également assisté aux audiences tenues par le Tribunal et a témoigné pour le compte de VIA.
Les paragraphes 36 et 37 de l'affidavit du 12 juin 1996 de M. De Wolfe disent ce qui suit:
[traduction] 36. À l'heure actuelle, cinq (5) chefs travaillent à plein temps pour VIA; la réintégration de M. Mills dans le poste de chef signifie le retrait de M. R.J. LeBlanc, qui a obtenu le poste de chef en toute bonne foi conformément au bulletin d'emploi 216A;
37. VIA n'a pas besoin des services de six (6) chefs à plein temps dans le cadre de ses activités.
VIA soutient que les paragraphes 36 et 37 de l'affidavit de M. De Wolfe sont directement liés au bien-fondé des redressements accordés par le Tribunal. Somme toute, le Tribunal a ordonné à VIA de réintégrer M. Mills dans le poste de chef, mais ce poste est maintenant occupé par un autre. Pour étayer son argument, VIA cite l'alinéa 54(2)a) de la LCDP. En vertu de cette disposition, le Tribunal ne peut pas ordonner la réintégration d'un employé à titre de redressement si le poste est déjà occupé par un autre employé de bonne foi. Cette disposition prévoit: "L'ordonnance prévue au paragraphe 53(2) ne peut exiger: a ) le retrait d'un employé d'un poste qu'il a accepté de bonne foi".
L'argument de VIA soulève donc la question de la portée et de l'effet de l'alinéa 54(2)a). Je ne puis souscrire en l'espèce à l'argument invoqué par VIA au sujet de cette disposition législative. Pendant les audiences et les délibérations, on n'a présenté au Tribunal aucune preuve montrant que M. LeBlanc occupait le poste de chef. Comment donc le Tribunal peut-il avoir violé l'alinéa 54(2)a) s'il ne savait pas que le poste était occupé?
À coup sûr, VIA ne peut pas maintenant soutenir que l'ordonnance de réintégration l'a surprise. M. De Wolfe a témoigné devant le Tribunal pour le compte de VIA. Il a discuté de la façon dont VIA interprétait les tâches de M. Mills prévues dans la convention collective et de la façon dont VIA jugeait M. Mills incapable d'occuper un poste en tant qu'employé itinérant. Toutefois, VIA savait également, compte tenu des dépositions que les représentants du syndicat ont faites devant le Tribunal, que le syndicat voulait que M. Mills soit réintégré dans le poste de chef (à la page 1000 du dossier de la Commission). Néanmoins, VIA n'a pas offert de preuve devant le Tribunal sur la question de la possibilité de réintégrer M. Mills. Le Tribunal disposait uniquement d'éléments de preuve tendant à montrer que la réintégration était un redressement viable et possible. Il n'était pas tenu de chercher à obtenir des éléments de preuve contraires. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait que le Bureau a décidé, en juillet 1993, de réintégrer M. Mills dans son poste de chef seulement.
Le fait que VIA a affirmé avec insistance, pendant l'audition relative au contrôle judiciaire, qu'elle n'avait pas présenté au Tribunal d'éléments de preuve au sujet de la question de la réintégration parce qu'elle n'envisageait pas la possibilité de perdre sa cause me laisse donc perplexe. Bref, selon VIA, la question de la réintégration ne se poserait que si M. Mills réussissait à prouver sa cause et si le Tribunal lui accordait les redressements demandés. Cet argument ne peut pas tenir. VIA était représentée par un avocat pendant toute la durée des audiences devant le Tribunal. Les avocats doivent prévoir le pire lorsqu'ils débattent une affaire et ils doivent avoir un plan d'urgence en vue de présenter des éléments de preuve et des faits pertinents, même si le droit et les faits semblent favoriser la position de leurs clients.
Toutefois, VIA soutient qu'elle n'a pas pu présenter d'éléments de preuve devant le Tribunal au sujet de l'emploi de M. LeBlanc parce que ce dernier n'a occupé le poste de chef qu'une fois les audiences terminées. Je ne souscris pas à l'argument de VIA. Les redressements accordés par le Tribunal, notamment les ordonnances de réintégration, ne peuvent pas être des "cibles mobiles" comme l'avocate de la Commission l'a fait remarquer avec raison. En d'autres termes, les redressements accordés par le Tribunal ne sont jamais assujettis à l'examen et au contrôle judiciaire sous le régime de l'alinéa 54(2)a ), parce que l'employeur a omis de soulever des éléments de preuve pertinents pendant l'audience ou parce qu'il a pris une mesure après coup. Si c'était le cas, la décision rendue par le Tribunal en matière d'emploi ne pourrait jamais être arrêtée ou pourrait constamment être réexaminée.
Une brève chronologie des dates pertinentes en l'espèce montrera peut-être le bien-fondé de cette conclusion. Le Tribunal a conclu ses audiences à la mi-novembre 1995, pendant que M. LeBlanc avait apparemment commencé à travailler comme chef pour VIA en décembre 1995, soit le mois suivant. Environ cinq mois plus tard, en mai 1996, le Tribunal a rendu sa décision en faveur de M. Mills. Pendant la période qui s'est écoulée entre la fin des audiences et la date de la décision, VIA aurait pu essayer de fournir au Tribunal les faits se rapportant au poste occupé par M. LeBlanc4. VIA avait même eu une possibilité additionnelle de fournir ces faits au Tribunal. Après avoir rendu sa décision en mai 1996, le Tribunal est demeuré saisi de la question du montant des dommages-intérêts. Voici ce qu'il a dit:
Le Tribunal demeure saisi de la plainte et ordonne aux parties de commencer immédiatement à déterminer les sommes qui seront versées à titre de dédommagement . . .
Si les parties ne réussissent pas à s'entendre sur ces sommes dans les 60 jours suivant la date de la décision, elles en aviseront le Greffe du Tribunal, qui fixera les dates auxquelles le Tribunal réentendra les parties, à Halifax (Nouvelle-Écosse), dans le but d'évaluer et de régler les questions en suspens. [À la page 34 de la décision du Tribunal; à la page 40 du dossier de la requérante; [aux paragraphes 95 et 96 de QL].]
Le Tribunal a de fait conduit les audiences additionnelles envisagées et il a continué à siéger jusqu'au mois de mai 1997. VIA aurait donc pu soulever les faits allégués aux paragraphes 36 et 37 de l'affidavit de M. De Wolfe dans le cadre de ces procédures subséquentes.
Enfin, en tant que point de droit, je dirai que les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] ne prévoient pas la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire: Franz c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 80 F.T.R. 79 (C.F. 1re inst.), et ce, pour une bonne raison, parce que, comme l'a fait remarquer le juge Simpson, à la page 80, "ce contrôle a pour but d'examiner les erreurs faites au cours des délibérations de la Commission." De même, le juge Muldoon a fait la remarque suivante dans le jugement West Region Tribal Council c. Booth et autres (1992), 55 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.), à la page 35: "il ne s'agit pas en l'espèce d'un appel formel, . . . mais d'un contrôle judiciaire laissé à la discrétion de la Cour saisie d'une demande avec affidavits à l'appui." En outre, VIA ne conteste pas le caractère équitable de la procédure que le Tribunal a suivie en admettant la preuve. La demande de contrôle judiciaire de VIA se rapporte plutôt carrément au fond de la décision du Tribunal. Je suis donc convaincu que les paragraphes 36 et 37 de l'affidavit de M. De Wolfe doivent être radiés en vertu du paragraphe 1603(1) des Règles de la Cour fédérale [édicté par DORS/92-43, art. 19] parce qu'ils présentent des faits dont le Tribunal n'était pas saisi.
1. Définition de la déficience
VIA conteste le bien-fondé du raisonnement que le Tribunal a fait au sujet de ce qui constitue une déficience. Selon VIA, seules les personnes atteintes de troubles suffisamment graves et permanents ont le droit d'invoquer la protection de la LCDP en se fondant sur leur déficience. Toutefois, VIA met l'accent sur le fait que le Tribunal a caractérisé l'état de M. Mills de simple "mal de dos" (à la page 19 de la décision du Tribunal; à la page 32 du dossier de la requérante; [au paragraphe 54 de QL]). VIA mine l'interprétation donnée par le Tribunal au mot déficience en affirmant avec insistance que ce mot ne convient pas dans le cas d'une maladie apparemment sporadique et temporaire comme les tours de reins dont souffre M. Mills. VIA soutient qu'un état aussi changeant et fluide ne peut pas constituer une déficience. Selon VIA, si les maux de dos sont considérés comme une forme de "déficience", des personnes ayant toute une gamme de problèmes de santé mineurs pourraient inonder le système des droits de la personne même s'il est préférable de s'en remettre à l'arbitrage pour régler leurs différends se rapportant au rendement professionnel.
Je ne souscris pas aux arguments que VIA a invoqués au sujet du sens et de l'interprétation du mot déficience. La façon dont le Tribunal évalue la déficience est conforme au droit. En outre, à mon avis, VIA a omis de reconnaître comment une perception selon laquelle une personne est atteinte d'une déficience peut en soi constituer un acte discriminatoire prohibé par la LCDP. La définition légale de la déficience est non limitative et formulée en termes généraux. L'article 25 de la LCDP définit la déficience comme suit:
25. . . .
"déficience" Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.
L'article 25 ne donne pas de liste exhaustive de maladies ou de maux qui peuvent être considérés comme une déficience. L'article 2 [mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 1] de la LCDP énonce lui aussi l'objet de cette Loi d'une façon générale. Cette Loi vise à promouvoir le "principe suivant: le droit de tous les individus . . . à l'égalité des chances d'épanouissement". Dans le jugement Ede c. Canada (Forces armées canadiennes) (1990), 11 C.H.R.R. D/439, à la page D/444, le Tribunal a mis l'accent sur "toute caractéristique physique utilisée pour rejeter un individu" comme élément de déficience. Ainsi, le fait que le Tribunal a qualifié de "mal de dos" la déficience dont M. Mills était atteint n'empêche pas ce dernier de demander un redressement sur la base d'une déficience. Somme toute, la déficience est une question de degré et doit être appréciée dans divers contextes et dans diverses situations. Je suis donc convaincu que les exigences et contraintes particulières d'un emploi sont pertinentes en ce qui concerne la conclusion tirée par le Tribunal.
En outre, en l'espèce, la conclusion que le Tribunal a tirée au sujet de la déficience est moins axée sur l'état physique réel de M. Mills que sur la façon dont VIA perçoit le mal dont celui-ci est atteint. Si l'employeur attribue à un état connu des limitations plus sévères que celles qui existent réellement, l'employé est effectivement considéré comme invalide: Philip Foucault c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1981), 2 C.H.R.R. D/475. Il est nécessaire d'insister sur la question de la perception parce que la législation en matière de droits de la personne vise à empêcher les effets d'un comportement discriminatoire. Il faut songer par exemple au cas d'une personne partiellement voyante qui se voit refuser des possibilités d'emploi parce qu'un employeur a par erreur l'impression que sa vue est pire qu'elle ne l'est réellement. N'y a-t-il pas eu discrimination fondée sur la déficience? La personne qui est atteinte de troubles de la vue doit-elle être privée d'un redressement fondé sur la LCDP? Cette question est encore plus évidente dans un contexte autre que la déficience. Qu'arriverait-il si une femme n'était pas embauchée parce qu'elle est perçue comme étant une autochtone et que l'employeur a des préjugés au sujet de l'aptitude des travailleurs autochtones? Tous s'entendraient pour dire que l'employeur ne devrait pas échapper à la loi si le travailleur n'était pas en fait d'origine autochtone.
VIA soutient que le Tribunal tient un raisonnement paradoxal parce qu'il cite la déficience comme motif de distinction illicite, mais conclut ensuite que M. Mills était en fait capable d'accomplir les tâches liées à son emploi. Toutefois, dans ce cas-ci, le paradoxe découle de la perception changeante de VIA au sujet de l'état de M. Mills. VIA croyait certainement que les maux de dos de M. Mills étaient suffisamment graves en octobre 1991. Le médecin au service de VIA, le Dr Nurse, a déclaré, en novembre 1991, que M. Mills était [traduction] "inapte à occuper son poste . . . [et qu'on devrait] lui offrir une pension d'invalidité ou un autre genre d'emploi" (aux pages 9 et 10 de la décision du Tribunal; à la page 21 du dossier de la requérante; [au paragraphe 30 de QL]). Pendant tout le mois d'octobre 1991, jusqu'au mois de juillet 1993, VIA a présumé que M. Mills était tout à fait incapable d'exercer son emploi et a hésité à lui permettre de retourner travailler. VIA a ensuite négocié avec le syndicat en vue de la réintégration de M. Mills. Dans le cadre de l'argumentation orale, VIA soutient maintenant que M. Mills n'a pas droit à la protection de la LCDP pour cause de déficience parce qu'en fait, il n'est pas invalide.
2. Les diverses opinions médicales
Toutefois, VIA soutient également que sa perception de l'état de santé de M. Mills était exacte parce que cette perception était fondée sur une preuve médicale appropriée. Selon VIA, le Tribunal a commis une erreur susceptible d'examen en préférant une opinion médicale postérieure aux renseignements contemporains de ses experts. VIA soutient que le Tribunal n'a pas suivi le principe de droit établi dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Beaulieu (1993), 103 D.L.R. (4th) 217 (C.A.F.) (Beaulieu). Dans l'arrêt Beaulieu, la Cour d'appel fédérale a statué qu'un tribunal devait se fonder sur la preuve médicale contemporaine plutôt que de citer une opinion exprimée après coup en dehors de la période pertinente.
Selon VIA, le Tribunal a commis une erreur en citant avec approbation la preuve présentée par le Dr Orrell au sujet de la question de la capacité de M. Mills de travailler en octobre 1991. VIA soutient qu'il existait d'autres éléments de preuve médicale contemporains et dignes de foi à l'effet contraire. Le Dr Orrell n'a exprimé son opinion qu'en décembre 1993, soit un peu plus de deux ans après que M. Mills eut tenté en vain de retourner travailler.
Les conclusions tirées par le Tribunal à l'égard de la preuve médicale sont des conclusions de fait. Selon le jugement Kibale c. Transports Canada et al. (1988), 88 CLLC 17,022 (C.A.F.), à la page 17,023, lorsqu'on demande à une cour d'intervenir à cause de la façon dont un office a évalué la preuve, on lui demande de corriger une conclusion de fait. En l'espèce, VIA conteste la façon dont le Tribunal a soupesé les diverses opinions médicales. Ainsi, VIA conteste une conclusion de fait. Toutefois, elle dit également qu'en soupesant la preuve médicale, le Tribunal a omis d'appliquer les critères juridiques appropriés et qu'il a donc violé le principe établi dans l'arrêt Beaulieu.
En l'espèce, le Tribunal a énoncé sa conclusion comme suit: "la décision selon laquelle M. Mills était invalide au point de ne pouvoir remplir ses fonctions de chef, voire celles de tout autre poste à bord d'un train, n'a pas été prise après un examen approprié de son rendement au travail" (à la page 21 de la décision du Tribunal; à la page 30 du dossier de la requérante; [au paragraphe 61 de QL]). Je dois dire que je suis au départ convaincu que cette conclusion n'est pas erronée. Même si je devais tirer une conclusion contraire, le Tribunal n'a pas tiré sa conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.
Dans son rapport écrit du 6 décembre 1993, le Dr Orrell a conclu que même si M. Mills était atteint de maux de dos, il aurait pu retourner travailler comme chef en octobre 1991, si ce n'avait été que de la restriction relative aux charges lourdes. Lorsqu'il a témoigné devant le Tribunal, le Dr Orrell a donné des explications à ce sujet. Il a déclaré qu'en octobre 1991, VIA avait omis d'évaluer la preuve d'une façon adéquate. Dans son témoignage devant le Tribunal, le Dr Orrell a déclaré que le mal de dos dont M. Mills souffrait en octobre 1991 pouvait même être évalué un peu mieux deux ans plus tard parce que, dans l'intervalle, M. Mills n'avait subi aucune blessure ou que son état ne s'était pas aggravé en raison d'une maladie. VIA a failli à son devoir parce qu'elle n'a pas cherché à comprendre le caractère complexe de l'état de M. Mills; elle aurait pu ordonner une évaluation ergonomique du lieu de travail de M. Mills et tenir compte du progrès accompli dans le cadre de son programme intensif de physiothérapie.
Le Tribunal a également retenu l'opinion du Dr Orrell parce qu'elle était étayée par les déclarations contemporaines fondées sur des observations directes que le Dr Wawrzyszyn avait faites en octobre 1991 et par l'opinion médicale antérieure que ce dernier avait exprimée en mars 1990. Le Dr Orrell et le Dr Wawrzyszyn ont tous les deux témoigné devant le Tribunal, mais le seul médecin à témoigner pour le compte de VIA était le Dr Pigeon, qui n'avait effectué qu'un examen de M. Mills après coup.
Toutefois, VIA a contesté la crédibilité du Dr Wawrzyszyn et a soutenu qu'étant donné que l'opinion de celui-ci était liée à celle du Dr Orrell dans la conclusion du Tribunal, les deux opinions doivent être maintenues ou être rejetées ensemble. VIA allègue que le Dr Wawrzyszyn n'a pu offrir que peu d'explications au sujet des deux opinions contradictoires qu'il avait exprimées le même mois au sujet de l'état de santé de M. Mills. En octobre 1991, M. Mills a demandé au Dr Wawrzyszyn de donner un pronostic dans une demande d'assurance en vue de l'obtention d'un prêt qu'il avait présentée. Sur le formulaire de demande d'assurance, le Dr Wawrzyszyn a déclaré que M. Mills n'était pas totalement invalide, mais qu'il ne pouvait retourner travailler que dans un délai d'un à trois- mois. Toutefois, au cours de la même période, en octobre 1991, le Dr Wawrzyszyn a jugé que M. Mills était apte à retourner travailler immédiatement.
Lorsqu'il a témoigné devant le Tribunal, le Dr Wawrzyszyn a reconnu la contradiction apparente, et a tenté de l'expliquer. Il a déclaré que lorsqu'il avait rédigé le formulaire d'assurance, il savait que M. Mills devait se rendre chez un orthopédiste qui pourrait demander un suivi. Étant donné que la possibilité de consultations futures pouvait retarder d'au moins un mois le retour au travail de M. Mills, le Dr Wawrzyszyn n'a pas tenu compte de son opinion personnelle au sujet de l'aptitude de M. Mills à retourner travailler et a rédigé sa réponse en conséquence. Le Tribunal lui-même ne s'est pas penché sur la question de la crédibilité du Dr Wawrzyszyn. Il a apparemment accepté l'explication que le Dr Wawrzyszyn avait donnée, à savoir qu'en remplissant le formulaire d'assurance, il avait agi par excès de prudence et non dans l'intention de tromper qui que ce soit. Le Tribunal était libre d'accorder de l'importance à l'opinion du Dr Wawrzyszyn et de reconnaître cette explication comme vraisemblable.
De plus, rien ne laisse croire dans la décision, du Tribunal qu'il n'a pas tenu compte des éléments mis à sa disposition. Le Tribunal a minutieusement examiné les antécédents médicaux plutôt complexes de M. Mills et n'a pas limité son analyse des diverses consultations et opinions médicales à l'événement déterminant du mois d'août 1991. Le Tribunal a analysé diverses opinions médicales pertinentes et les a minutieusement examinées, y compris les opinions exprimées avant ou après l'accident du mois d'août 1991 ou la tentative infructueuse de retour au travail, en octobre 1991, ou encore les opinions exprimées à ce moment-là. Ainsi, le Tribunal a examiné les opinions médicales multiples mais compatibles, qui avaient été exprimées par suite de l'accident que M. Mills avait subi en mars 1990. La preuve antérieure du mois de mars 1990 révèle essentiellement que plus d'un an avant l'événement du mois d'août 1991, le Dr Wawrzyszyn avait conseillé à M. Mills de s'abstenir de soulever des charges lourdes et de faire des mouvements d'extension et de traction (à la page 8 de la décision du Tribunal; à la page 20 du dossier de la requérante; [au paragraphe 25 de QL]). Le médecin de VIA, le Dr Nurse, a reconnu la nécessité des restrictions concernant les charges lourdes (bien qu'il les ait qualifiées de restrictions temporaires) dans son propre suivi du mois d'octobre 1990. Le Tribunal n'a pas agi d'une façon déraisonnable parce qu'il a accordé plus d'importance à l'opinion du Dr Orrell ou parce qu'il l'a trouvée "beaucoup plus convaincant[e]" (à la page 21 de la décision du Tribunal; à la page 37 du dossier de la requérante; [au paragraphe 62 de QL]) à la lumière des opinions antérieures.
Le Tribunal disposait également de l'opinion exprimée en 1992 par le Dr Brown, un autre chirurgien orthopédiste, qui avait recommandé que M. Mills retourne travailler en occupant un poste quelconque sauf celui de préposé aux bagages (à la page 13 de la décision du Tribunal; à la page 24 du dossier de la requérante; [au paragraphe 37 de QL]). Enfin, le Tribunal a accordé peu d'importance à l'opinion du Dr Pigeon, le seul médecin qui a déclaré d'une façon concluante que M. Mills ne pouvait pas s'acquitter de quelque tâche que ce soit dans le train. Le Tribunal a mis l'accent sur le fait que le Dr Pigeon n'avait effectué qu'un examen du dossier de M. Mills avant de juger ce dernier inapte à travailler dans un train en quelque qualité que ce soit. Même si le Dr Orrell et le Dr Pigeon ont tous les deux témoigné, seul le Dr Orrell a fait subir un examen physique à M. Mills.
Une analyse rétrospective a également aidé le Tribunal dans son évaluation du bien-fondé des diverses opinions médicales. Celui-ci a fait remarquer que lorsque M. Mills travaillait uniquement comme chef du mois de juillet 1993 au mois d'octobre 1994, il n'avait pas eu à prendre congé à cause de maux de dos. Selon le Tribunal, cela soulève "des questions intéressantes concernant les opinions exprimées plus tôt selon lesquelles il était invalide à 100 %" (à la page 16 de la décision du Tribunal; à la page 26 du dossier de la requérante; [au paragraphe 47 de QL]).
La conclusion du Tribunal selon laquelle VIA n'avait pas effectué une enquête adéquate et exhaustive sur la preuve médicale ne justifie donc pas un contrôle judiciaire. L'arrêt Beaulieu est un faux-fuyant et peut facilement être distingué de la présente espèce. En premier lieu, dans l'arrêt Beaulieu, le juge Marceau a conclu que l'employeur de M. Beaulieu, les Forces armées canadiennes (les FAC), avait effectué un examen approfondi et exhaustif de l'état de santé de M. Beaulieu avant de conclure que sa déficience (l'épilepsie) ne lui permettait pas de s'acquitter de ses tâches en tant que membre des Forces armées. Par la suite, on a conclu que M. Beaulieu ne souffrait peut-être pas en fait d'épilepsie lorsqu'il avait été réformé.
Par contre, en l'espèce, le Tribunal avait le droit de tenir compte de l'opinion du Dr Orrell parce que la preuve contemporaine du mois d'octobre 1991 était incomplète et qu'elle était en soi incohérente. Ainsi, VIA a renvoyé M. Mills chez un spécialiste orthopédiste, le Dr Holmes, parce qu'elle n'était pas satisfaite de la note dans laquelle le médecin de famille de M. Mills avait jugé celui-ci apte à travailler. Toutefois, après que le Dr Holmes eut remis un rapport initial qui ne contredisait pas directement ou ne remettait pas directement en question l'opinion du médecin de famille, VIA a néanmoins refusé de permettre à M. Mills de retourner travailler. VIA a hésité à réintégrer M. Mills dans un poste ne comportant pas l'obligation de soulever des charges lourdes, mais elle n'a effectué, en octobre ou novembre 1991, aucun examen médical supplémentaire de M. Mills. En juillet 1992, le Dr Brown estimait que M. Mills était totalement invalide relativement au poste de porteur parce que cela l'obligeait à soulever des charges lourdes, mais il a également expressément dit que M. Mills devait et pouvait retourner travailler dans un train en une qualité quelconque.
En outre, l'arrêt Beaulieu se rapportait à une question d'équité procédurale parce que les FAC avaient allégué qu'on leur avait refusé la possibilité de présenter des éléments de preuve et d'être mises au courant de la position de la Commission. Comme il en a ci-dessus été fait mention relativement à la question préliminaire, VIA n'alléguait pas que les mesures prises par le Tribunal n'étaient pas conformes à l'équité procédurale et ne contestait pas non plus la divulgation de la position de la Commission avant les audiences.
3. Moyens de défense de VIA contre une plainte apparemment fondée de discrimination
VIA soutient également que le Tribunal a commis une erreur de droit parce qu'il a omis de tirer une conclusion expresse au sujet de la nature de la discrimination dont M. Mills avait été victime. En l'absence de pareille conclusion, le Tribunal n'a pas accordé l'importance appropriée au moyen de défense que VIA pouvait invoquer contre l'allégation selon laquelle elle avait commis un acte discriminatoire à l'endroit de M. Mills. Je souscris à l'argument de VIA et je conclus que le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal est donc justifié sur ce point parce que le Tribunal a appliqué la loi d'une façon erronée.
Dans les arrêts, les tribunaux ont énoncé deux types fondamentaux de discrimination: la discrimination directe et la discrimination indirecte. Chaque type de discrimination comporte une série distincte de raisonnements et de moyens de défense. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 551, (Simpsons-Sears), le juge McIntyre, de la Cour suprême, a énoncé les différences qui existent entre les deux formes de discrimination:
On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. À cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, "Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir" . . . D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés.
Dans une affaire de discrimination directe, l'employeur peut se défendre en disant que la règle générale qui est contestée pour le motif qu'elle est discriminatoire constitue en fait une exigence professionnelle justifiée (EPJ): Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 506. L'alinéa 15a) de la LCDP prévoit que "les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur" ne constituent pas des actes discriminatoires s'ils découlent d'une EPJ. Il ne peut y avoir aucune accommodation ou évaluation individuelle dans un cas de discrimination directe: Bhinder et autres c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres , [1985] 2 R.C.S. 561, à la page 588.
Par contre, dans une affaire de discrimination indirecte, la défense est axée sur les caractéristiques et besoins individuels. L'employeur est tenu d'accommoder le requérant individuel dans la mesure où cela ne pose pas de problème démesuré: voir Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228 (C.A.), à la page 249. Si l'employeur omet de s'acquitter de son obligation, le Tribunal comble les lacunes.
En l'espèce, le Tribunal a clairement dit que VIA avait commis à l'endroit de M. Mills un acte discriminatoire fondé sur la déficience, mais il n'a pas donné de précisions au sujet de la nature de cet acte. Voici ce qu'il a dit: "Le Tribunal estime unanimement qu'il peut trancher la présente affaire en se fondant sur les faits, par opposition à une interprétation complexe de la loi" (à la page 20 de la décision du Tribunal; à la page 30 du dossier de la requérante; [au paragraphe 60 de QL]). En fait, le Tribunal ne s'est pas expressément arrêté aux distinctions de droit entre la discrimination directe et la discrimination indirecte.
Toutefois, dans sa décision, le Tribunal n'a pas complètement omis d'effectuer une analyse du droit. Il a cité les motifs que le juge McIntyre avait prononcés dans les affaires Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208 (Etobicoke) et Simpsons-Sears, précité, à la page 538. L'arrêt Etobicoke portait sur la discrimination directe alors que l'arrêt Simpsons-Sears portait sur l'effet préjudiciable ou sur la discrimination indirecte. Dans les deux cas, le Tribunal a cité des passages selon lesquels la charge initiale de la preuve incombait au plaignant lorsqu'il s'agissait de démontrer qu'il était de prime abord victime de discrimination. Le juge McIntyre a également dit que le plaignant avait droit à un redressement "en l'absence de justification de la part de l'employeur" (Etobicoke ) ou "en l'absence de réplique de l'employeur intimé" (Simpsons-Sears ). Néanmoins, rien ne montre que le Tribunal a expressément tenu compte de la justification possible de VIA concernant une EPJ. Si pareil moyen de défense n'était pas soutenable parce que la discrimination en question était de nature indirecte, le Tribunal aurait dû le dire.
VIA soutient néanmoins que la preuve qu'elle a présentée devant le Tribunal établissait l'existence d'une discrimination directe parce que la règle selon laquelle tous les chefs devaient soulever des charges lourdes empêche les personnes atteintes de maux de dos d'exercer cet emploi. Toutefois, le Tribunal n'a même pas tenu compte du moyen de défense dont pouvait disposer VIA à l'égard de l'EPJ dans le contexte de la discrimination directe. La Commission soutient de son côté que le Tribunal n'avait pas à énoncer la nature précise de la discrimination en cause dans le cas de M. Mills. Selon la Commission, le résultat aurait été le même, quelle que soit la façon dont le Tribunal caractérisait la discrimination dont avait été victime M. Mills, parce que VIA ne pouvait pas offrir de justification, sous quelque prétexte que ce soit ou par quelque moyen de défense que ce soit, de ses actes discriminatoires. La Commission soutient que VIA n'a pas présenté d'élément de preuve compatible avec le critère permettant d'établir l'existence d'une EPJ, de sorte que le Tribunal n'avait pas à écarter expressément, dans sa décision, la possibilité d'invoquer ce moyen de défense.
Le fait que le Tribunal n'a pas énoncé expressément le type de discrimination en cause dans le cas de M. Mills me trouble. Je rejette également les arguments de la Commission selon lesquels, en l'espèce, la distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte n'est pas pertinente. Cela est particulièrement vrai parce qu'à maintes reprises dans son exposé écrit, la Commission elle-même est obligée de faire des suppositions au sujet du processus décisionnel du Tribunal et de ses conclusions finales:
[traduction] Bien que la chose ne soit pas énoncée en toutes lettres, il ressort clairement de la décision et de l'examen de la preuve que le Tribunal a rejeté l'argument de l'employeur selon lequel tous les postes de la liste de réserve, y compris celui de chef, comportaient une exigence professionnelle justifiée, à savoir être capable de soulever continuellement des charges lourdes. [Je souligne.] [Paragraphe 74, page 2744 du dossier de la Commission.]
La Commission a fait de nombreuses autres conjectures en tentant vaillamment d'expliquer l'absence de conclusion expresse dans la décision du Tribunal. Ainsi, la Commission soutient: [traduction] "Il est clair que le Tribunal a rejeté l'argument [concernant l'EPJ] étant donné qu'il a reconnu les tâches de chef énoncées dans la convention collective et qu'il a apparemment préféré la preuve présentée par M. Mills" (je souligne) (paragraphe 75, page 2744 du dossier de la Commission). J'ai souligné "a apparemment préféré" parce que le Tribunal n'a même pas clairement dit quel témoignage il jugeait le plus utile ou le plus digne de foi. Toutefois, le Tribunal a tiré une conclusion de fait additionnelle sur la question de la source appropriée de renseignements en ce qui concerne les tâches de chef. Contrairement à la déposition des témoins de VIA, qui affirmaient avec insistance que les chefs devaient soulever des charges lourdes, la convention collective ne prévoyait pas cette obligation (à la page 12 de la décision du Tribunal; à la page 25 du dossier de la requérante). Enfin, la Commission soutient, en faisant des réserves, que [traduction ] "[L]e Tribunal n'a de toute évidence pas conclu que la preuve corroborait l'existence d'une EPJ. La décision du Tribunal laisse entendre qu'il a préféré" (paragraphe 90, page 2747 du dossier de la Commission).
En fait, dans le reste de son argumentation, la Commission fait l'analyse juridique que le Tribunal lui-même a manifestement omis de faire. Il n'incombe pas à la Commission de combler les nombreuses lacunes que comporte la décision du Tribunal et de déduire, à partir de vagues mentions figurant dans la décision, ce que le Tribunal doit avoir décidé. La nature de la discrimination n'est pas un simple point théorique ou une question de nomenclature. Comme il en a ci-dessus été fait mention, il existe des moyens de défense et des séries de raisonnements précis pour chaque type de discrimination. Il s'agit peut-être d'un point de droit difficile à démêler, mais cela ne permet pas pour autant de ne pas s'attaquer au sujet.
En omettant de préciser le type de discrimination en cause dans le cas de M. Mills, le Tribunal a laissé un vide et a renoncé à sa responsabilité. Les deux parties se sont empressées de combler ce vide. Si l'on brosse un tableau du raisonnement du Tribunal, il devient clair que celui-ci a omis de dire beaucoup de choses qui devaient être éclaircies. Après avoir longuement énoncé les faits et après avoir notamment mis l'accent sur plusieurs "éléments dignes de mention", le Tribunal entreprend son analyse véritable, à la page 16 de sa décision, en citant des dispositions législatives. Le Tribunal en vient ensuite au cœur de sa décision en examinant l'obligation qui incombe à M. Mills de prouver le bien-fondé d'une plainte de discrimination. Le Tribunal conclut ensuite que M. Mills s'est acquitté de son obligation parce qu'il a démontré comment VIA avait agi d'une façon discriminatoire à son endroit à cause de sa perception, fondée sur une preuve médicale inadéquate, qu'il était tout à fait incapable d'accomplir le travail.
Sous la grande rubrique suivante: "CONCLUSIONS", le Tribunal dit que l'affaire ne dépend pas d'une interprétation complexe de la loi. Logiquement, dans cette partie de la décision, le Tribunal aurait dû indiquer la nature de la discrimination dont M. Mills avait été victime et parler de l'obligation qui incombait à VIA de présenter un moyen de défense contre l'allégation. Toutefois, le Tribunal revient sur la question de la preuve médicale et donne des précisions au sujet de ce qu'il a déjà conclu à l'égard de l'omission de VIA, d'"obten[ir] les preuves médicales les plus autorisées et à jour" (à la page 22 de la décision du Tribunal; à la page 32 du dossier de la requérante; [au paragraphe 65 de QL]).
Le Tribunal parle ensuite, dans trois brefs paragraphes, des moyens que VIA peut invoquer contre la conclusion de discrimination. Ces paragraphes disent:
Tel qu'il a été expliqué au début de la décision, vers le milieu de 1992 VIA Rail a formé M. Mills, à Moncton, en tant qu'agent des ventes par téléphone. VIA soutient qu'il a agi ainsi pour accommoder le mal de dos de M. Mills et que ce dernier a refusé son offre.
La preuve concernant la difficulté pour M. Mills de se rendre à Moncton, l'absence de toute offre d'aide à la réinstallation, la courte durée du travail offert et l'incertitude entourant la question de savoir si VIA et le syndicat en étaient venus à une entente au sujet de cette occasion d'emploi, diminue sans aucun doute l'importance de l'offre en question. Le Tribunal estime qu'on ne saurait considérer cette offre de l'intimé comme un effort sérieux pour composer avec la situation de M. Mills.
Par conséquent, le Tribunal conclut, d'une part, que VIA Rail a fait preuve de discrimination à l'endroit de M. Mills à cause de ses maux de dos, qui n'étaient pas de nature à l'empêcher d'exercer ses fonctions de chef, et, d'autre part, qu'il n'a pas présenté de défense adéquate. [À la page 23 de la décision du Tribunal; à la page 32 du dossier de la requérante; [aux paragraphes 67 à 69 de QL].]
En mettant l'accent sur le fait que VIA n'avait pas accommodé M. Mills en lui offrant le poste d'agent des ventes par téléphone, le Tribunal a implicitement déjà conclu qu'il s'agit d'un cas de discrimination indirecte. En fait, l'obligation d'accommodation ne s'applique qu'à ce type de discrimination. Toutefois, étant donné que le Tribunal n'a jamais précisé de prime abord le type de discrimination en cause, VIA peut légitimement soutenir qu'il n'a pas tenu compte d'une façon appropriée de la défense dont elle disposait à l'égard d'une EPJ ou que, contrairement à la jurisprudence, il a cherché à accommoder les besoins individuels de M. Mills dans le cadre de l'EPJ en éliminant l'élément concernant les charges lourdes. Les conclusions de droit du Tribunal ne devraient pas être à ce point inexistantes ou faibles que les parties ou de fait, la Cour elle-même se voient obligées d'interpréter de nouveau la décision du Tribunal à partir de vagues indices ou d'y incorporer des éléments qui en faisaient implicitement partie.
À mon avis, les arguments de la Commission doivent être rejetés en ce qui concerne la question de l'omission du Tribunal de tirer la conclusion appropriée et d'appliquer expressément les critères juridiques appropriés dans ce contexte. Je ne suis pas convaincu que le Tribunal lui-même a entièrement évité la question de la nature de la discrimination. Le Tribunal doit au moins s'arrêter aux concepts fondamentaux et les appliquer vraiment aux faits en cause. Si, comme l'avocate de la Commission l'a soutenu pendant l'audience, le Tribunal n'avait pas à préciser la nature de la discrimination à cause de la similarité apparente des résultats de l'instance, il devait alors dire pourquoi c'était le cas.
À mon avis, le Tribunal, en l'espèce, a commis une erreur de droit susceptible de contrôle en omettant de préciser la nature de la discrimination dont M. Mills aurait été victime. En décidant que le contrôle judiciaire est justifié, je ne conclus pas pour autant que le Tribunal a commis une erreur dans ses autres conclusions. Toutefois, si VIA a de fait commis à l'endroit de M. Mills un acte discriminatoire fondé sur la déficience, il faut laisser le Tribunal énoncer expressément la nature de cette discrimination et la façon dont VIA a omis de prouver l'existence d'une EPJ ou, plus exactement, d'accommoder M. Mills à l'égard de sa déficience.
Pour les motifs susmentionnés, je n'ai pas à examiner la sixième question concernant le caractère raisonnable des redressements accordés par le Tribunal. Il suffit de dire que, pendant les plaidoiries orales, les deux parties ont concédé qu'il régnait encore une certaine confusion et qu'il y avait des questions non réglées au sujet du montant des redressements accordés par le Tribunal. L'avocate de la Commission et l'avocat du syndicat ont offert des caractérisations différentes du montant maximal que M. Mills peut recouvrer à l'égard du salaire perdu. Le Tribunal est demeuré saisi de la question du montant des dommages-intérêts accordés à M. Mills si les parties n'arrivaient pas à s'entendre à ce sujet. VIA a de son côté soutenu que la décision du Bureau était un événement qui s'était produit dans l'intervalle, que le Tribunal avait rejeté ou dont il n'avait pas tenu compte, et ce, d'une façon déraisonnable. Je ne veux pas m'attarder aux multiples aspects que comporte la question des redressements; je dirai simplement que le Tribunal semble être allé trop loin en ordonnant que M. Mills touche son salaire rétroactivement au mois d'octobre 1991 sans tenir compte du fait qu'il avait touché déjà un salaire chez VIA, en sa qualité de chef, du mois de juillet 1993 au mois d'août 1994.
Pour les motifs susmentionnés, la décision du Tribunal canadien des droits de la personne du 16 mai 1996 est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition devant un tribunal composé de membres différents.
1 La Commission intimée a demandé qu'on modifie l'intitulé de la cause en supprimant le nom des membres du Tribunal à titre de parties intimées. VIA ne s'est pas opposée à cette modification. Au début de l'audience, j'ai donc ordonné que Keith C. Norton, c.r., Joanne Cowan-McGuigan et Kent Norris ne soient plus désignés à titre de parties intimées.
2 M. Mills habite à Louisbourg (Nouvelle-Écosse). Avant que les services soient réduits en 1990, il se rendait en train à son travail, à Moncton. Toutefois, après avoir été muté à Halifax, il ne pouvait plus se rendre en train à son travail parce qu'il n'y avait pas de services de transport de passagers par chemin de fer entre Louisbourg et Halifax. Le Tribunal a estimé qu'il "conv[enait] de noter" ce fait (à la p. 3 de la décision du Tribunal; à la p. 17 du dossier de la requérante; [au par. 11 de QL]).
3 M. Mills s'est blessé au dos le 19 mars 1990 pendant qu'il travaillait comme préposé aux services. Il a été en congé jusqu'au mois d'octobre 1990. De 1982 à 1990, il a eu à plusieurs reprises des maux de dos qui l'ont obligé à s'absenter, habituellement pendant moins de deux semaines, pour se rétablir. Le Tribunal a mis l'accent sur le fait que la crise la plus grave s'est produite lorsque M. Mills travaillait comme préposé aux services (à la p. 5 de la décision du Tribunal; à la p. 18 du dossier de la requérante; [aux par. 14, 15 et 19 de QL]). M. Mills a également eu deux accidents parce que le matériel fonctionnait mal. Il a donc aggravé son état.
4 Aux termes de l'art. 50(2)c) de la LCDP, le Tribunal est autorisé à "recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire".