T-1087-96
Bert Moxham et Leon Moxham (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le solliciteur général du Canada et Brian Kegler (défendeurs)
Répertorié: Moxhamc.Canada (1re inst.)
Section de première instance, juge Teitelbaum" Regina, 28 avril; Ottawa, 30 avril 1998.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Loi provinciale prévoyant un régime d'assurance automobile sans égard à la responsabilité et interdisant à un particulier d'intenter une poursuite contre l'État fédéral devant la Cour fédérale — Cette Loi est-elle inconstitutionnelle parce qu'elle lie l'État sans avoir été adoptée par le Parlement? — Arguments des demandeurs: elle a un effet sur les droits de l'État car la province a dégagé l'État fédéral de toute responsabilité légale en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif; la compétence de la Cour fédérale a été restreinte de manière inconstitutionnelle — Arguments de l'État: la Loi a un effet seulement sur les droits du demandeur et non pas sur ceux de l'État; la Loi provinciale a été adoptée par le jeu de l'art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif — Selon les faits de l'espèce, elle n'a pas d'effet sur les droits de l'État fédéral — Il pourrait en être autrement si c'était l'État fédéral qui intentait une poursuite pour des pertes subies à la suite d'un accident — De plus, les dispositions législatives provinciales ont été adoptées par une loi fédérale, la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l'égalité — La Saskatchewan a adopté un régime d'assurance automobile sans égard à la responsabilité — Dispositions législatives interdisant de porter le litige devant la Cour fédérale du Canada — L'art. 15 de la Charte ne s'applique pas en l'espèce — Le demandeur n'a pas été victime de discrimination et aucun traitement particulier ne lui était réservé — Toutes les personnes impliquées dans un accident d'automobile en Saskatchewan sont pareillement régies par le régime.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Le demandeur a soutenu que le régime sans égard à la responsabilité établi par les art. 102 et 103 de la Saskatchewan Automobile Accident Insurance Act est inconstitutionnel parce qu'il lie l'État sans avoir été adopté par le Parlement — Il a soutenu de plus que les dispositions législatives provinciales limitaient de manière inconstitutionnelle la compétence de la Cour fédérale — La Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre une action fondée sur la négligence intentée contre un préposé de l'État parce que cette compétence n'a pas son origine dans des règles de droit fédérales — Il n'existait pas un lien suffisant entre la présente action et les règles de droit fédérales en vigueur — L'action était fondée sur la common law en matière délictuelle — Le fait de devoir se référer à la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif n'entraînait pas l'application des règles de droit fédérales.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Le demandeur a été blessé dans un accident d'automobile résultant de la négligence d'un préposé de l'État — Il ne pouvait pas poursuivre les défendeurs devant la Cour fédérale en raison du régime sans égard à la responsabilité créé par les art. 102 et 103(2) de The Automobile Accident Insurance Act de la Saskatchewan — Ces dispositions ont été adoptées par le jeu de l'art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.
Assurance — Le demandeur a été blessé dans un accident d'automobile résultant de la négligence d'un agent de la GRC en Saskatchewan — Dispositions législatives provinciales établissant un régime d'assurance automobile sans égard à la responsabilité, qui interdisait au demandeur d'intenter une poursuite en Cour fédérale — Les art. 102 et 103 de The Automobile Accident Insurance Act sont constitutionnels étant donné que seul le demandeur, un particulier, était directement touché par le fait qu'il était incapable d'intenter une poursuite devant la Section de première instance de la Cour fédérale — Il pourrait en être autrement si l'État voulait intenter une poursuite — Il n'y a pas eu violation des droits à l'égalité que l'art. 15 de la Charte garantit au demandeur — Toutes les personnes de la province sont régies par les mêmes dispositions législatives — Aucun traitement particulier n'était réservé au demandeur.
La Cour était saisie d'une demande présentée au nom des défendeurs afin d'obtenir une décision préliminaire sur la question de savoir si l'article 102 et le paragraphe 103(2) de The Automobile Accident Insurance Act (AAIA) de la province de la Saskatchewan interdisent au demandeur Bert Moxham d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale. Les deux demandeurs avaient intenté une action fondée sur la négligence à la suite d'un accident d'automobile qu'on a reconnu avoir été causé par la négligence de l'un des défendeurs, un agent de la GRC, mais Leon Moxham et les défendeurs sont parvenus à un règlement définitif de la réclamation. L'accident est survenu en Saskatchewan, où la loi prévoit un régime d'assurance automobile sans égard à la responsabilité. Le demandeur a soutenu principalement que l'article 102 est inconstitutionnel parce que l'État fédéral n'est pas lié par des dispositions législatives provinciales qui n'ont pas été adoptées par le Parlement. Deux questions ont été soulevées devant la Cour: 1) la constitutionnalité de l'article 102 et du paragraphe 103(2) de l'AAIA, dispositions qui font obstacle à l'action du demandeur, et 2) la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour entendre l'action intentée contre un préposé de l'État.
Jugement: la demande doit être accueillie.
1) L'article 102 de l'AAIA empêche le recours du demandeur et le remplace par un régime d'assurance qui prévoit le versement d'une indemnité au demandeur en raison de l'accident, tandis que le paragraphe 103(2) de la Loi dispose que seule la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan peut être saisie d'une action en recouvrement d'une perte pécuniaire. Ces dispositions sont valides étant donné que seul le demandeur, un particulier, est directement touché par le fait qu'il est incapable d'intenter une poursuite devant un tribunal, et qu'elles n'ont pas d'effet sur les droits de l'État fédéral. Il pourrait en être autrement si c'était l'État fédéral qui voulait intenter une poursuite. De plus, le Parlement a adopté les dispositions contestées par le jeu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif en tant que "règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers". L'argument du demandeur voulant que la loi fédérale et la loi provinciale portent atteinte aux droits que l'article 15 de la Charte lui accorde était irrecevable. Ce n'était pas un cas de discrimination "fondé[e] sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques". Toutes les personnes impliquées dans un accident d'automobile en Saskatchewan sont pareillement régies par les lois de la province. Aucun traitement particulier n'était réservé au demandeur.
2) La deuxième condition du critère pour décider si la Cour fédérale a compétence exige qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. La Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre une action fondée sur la négligence intentée contre un préposé de l'État parce que cette compétence n'a pas son origine dans des règles de droit fédérales. Cela ne voulait pas dire qu'une action en responsabilité délictuelle ne pourrait jamais être suffisamment appuyée par des règles de droit fédérales pour être entendue par la Cour fédérale. Mais il n'existait pas un lien suffisant entre la présente action et les règles de droit fédérales applicables, s'il en était. L'action était fondée sur la common law en matière délictuelle, et le simple fait de devoir se référer à la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif n'entraînait pas l'application des règles de droit fédérales. Il s'agissait d'une action en responsabilité délictuelle, et les règles de droit fédérales n'étaient pas essentielles à la solution du litige. La Cour fédérale n'avait pas compétence pour entendre l'action intentée contre le préposé de l'État au motif qu'il n'existait aucune règle de droit fédérale applicable pour appuyer ce recours.
lois et règlements
Automobile Accident Insurance Act (The), R.S.S. 1978, ch. A-35, art. 102 (édicté par S.S. 1994, ch. 34, art. 18), 103(2) (édicté, idem), 108(1).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.
Code civil du Bas-Canada, art. 1056d.
Interpretation Act (The), R.S.S. 1978, ch. I-11, art. 7.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.
Loi d'interprétation de 1995, L.S. 1995, ch. I-11,2, art. 14.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17(5)b) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3).
Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 3a), 4, 10, 11, 32 (mod., idem, art. 31), 36 (mod., idem, art. 32).
Loi sur la Société d'assurance publique du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. P215, art. 70(1) "dommage corporel causé par une automobile" (édicté par L.M. 1993, ch. 36, art. 5), 72 (édicté, idem ).
Loi sur l'assurance automobile, L.R.Q. 1977, ch. A-25.
Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, L.R.C. (1985), ch. G-5.
Occupiers Liability Act, R.S.B.C. 1979, ch. 303, art. 8(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 401c), 474(1)a).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, Règles 208d), 220(1)a).
Workers' Compensation Act, 1979 (The), S.S. 1979, ch. W-17.1, art. 44.
jurisprudence
décisions appliquées:
Rice c. Canada, [1992] A.C.F. no 1142 (1re inst.) (QL); Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86; (1979), 105 D.L.R. (3d) 60; 14 C.P.C. 165 (C.A.); ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Stephens c. R. (1982), 26 C.P.R. 1; [1982] CTC 138; 82 DTC 6132; 40 N.R. 620 (C.A.F.); Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232; (1979), 13 C.P.C. 150 (1re inst.); Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646; (1979), 106 D.L.R. (3d) 189 (1re inst.).
distinction faite avec:
Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511; (1987), 33 C.C.C. (3d) 430; 73 N.R. 149 (C.A.); Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804; (1990), 67 D.L.R. (4th) 305; 10 Imm. L.R. (2d) 161; 105 N.R. 278 (C.A.).
décisions examinées:
McMillan v. Thompson (Rural Municipality) (1997), 144 D.L.R. (4th) 53; [1997] 3 W.W.R. 1; 115 Man. R. (2d) 2; 40 C.C.L.I. (2d) 147; 32 C.C.L.T. (2d) 1; 37 M.P.L.R. (2d) 41 (C.A.); A.G. Can. v. Ahenakew, [1984] 3 W.W.R. 442 (C.B.R. Sask.); Platts c. Canada (1990), 35 F.T.R. 262 (C.F. 1re inst.).
décisions citées:
Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l'instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022; (1994), 120 D.L.R. (4th) 289; [1995] 1 W.W.R. 609; 100 B.C.L.R. (2d) 1; 26 C.C.L.I. (2d) 1; 22 C.C.L.T. (2d) 173; 32 C.P.C. (3d) 141; 7 M.V.R. (3d) 202; 175 N.R. 161; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; (1976), 71 D.L.R. (3d) 111; 9 N.R. 471; McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; (1977), 75 D.L.R. (3d) 273; 13 N.R. 181.
doctrine
Dukelow, D. A. and B. Nuse. The Dictionary of Canadian Law. Scarborough, Ont.: Carswell, 1991, "prescribe".
DEMANDE présentée au nom des défendeurs afin d'obtenir une décision préliminaire sur la question de savoir si l'article 102 et le paragraphe 103(2) de The Automobile Accident Insurance Act de la province de la Saskatchewan interdisent au demandeur Bert Moxham d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale. Demande accueillie.
ont comparu:
David G. MacKay pour le demandeur.
F. William Johnson pour les défendeurs.
avocats inscrits au dossier:
MacKay, McLean, Regina, pour le demandeur.
Gerrand Rath Johnson, Regina, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Teitelbaum:
INTRODUCTION
La Cour est saisie d'une demande présentée par le sous-procureur général du Canada au nom de tous les défendeurs afin d'obtenir une décision préliminaire sur la question de savoir si l'article 102 [édicté par S.S. 1994, ch. 34, art. 18] et le paragraphe 103(2) [édicté, idem] de The Automobile Accident Insurance Act de la province de la Saskatchewan, R.S.S. 1978, ch. A-35 (ci-après l'AAIA), qui est principalement une loi sur l'assurance automobile sans égard à la responsabilité, interdisent au demandeur Bert Moxham d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale. Au nom du défendeur Brian Kegler, le sous-procureur général demande également par voie de requête fondée sur l'alinéa 401c) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] (maintenant l'alinéa 208d) [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106]) l'autorisation de déposer un acte de comparution conditionnelle en vue de soulever une objection quant à la compétence de la Cour et le prononcé d'une ordonnance rejetant l'action intentée contre ce défendeur.
LES FAITS
Les demandeurs, Leon Moxham et Bert Moxham, sont des résidents de la Saskatchewan. Le défendeur Brian Kegler est un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le 13 mai 1995, Leon Moxham conduisait une automobile dans la province de la Saskatchewan lorsque celle-ci a été heurtée par un véhicule conduit par M. Kegler et appartenant à Sa Majesté la Reine. Bert Moxham avait pris place comme passager dans l'automobile de Leon Moxham. Les défendeurs reconnaissent que la négligence de M. Kegler est à l'origine de la collision et que le demandeur Bert Moxham a subi des dommages corporels en raison de cet accident.
Le 9 mai 1996, les demandeurs ont intenté contre les défendeurs une action fondée sur la négligence dans laquelle ils réclamaient des dommages-intérêts généraux et spéciaux qui seraient la conséquence de l'accident. Conformément à un règlement amiable en date du 18 décembre 1996, Leon Moxham et les défendeurs sont convenus d'un montant à titre de règlement définitif de la réclamation.
En application de l'alinéa 474(1)a) des Règles de la Cour fédérale (maintenant l'alinéa 220(1)a) des Règles (1998)), les défendeurs ont déposé la présente requête visant à obtenir une décision préliminaire sur la question de savoir si l'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA interdisent à Bert Moxham d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale. Les défendeurs soutiennent en outre que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action intentée contre M. Kegler parce qu'il n'existe aucune règle de droit fédérale applicable au soutien de l'action.
LES MOYENS INVOQUÉS
1. La thèse du demandeur
Le demandeur prétend qu'une loi provinciale peut lier l'État fédéral seulement si elle a été adoptée par le Parlement. Par conséquent, l'article 102 serait inconstitutionnel parce que le gouvernement de la Saskatchewan a édicté des dispositions législatives qui lient l'État mais qui n'ont pas été adoptées par le Parlement. Le demandeur invoque également l'article 7 de The Interpretation Act, R.S.S. 1978, ch. I-11 (nota: cette Loi a été abrogée et la disposition applicable est maintenant l'article 14 de la Loi d'interprétation de 1995, L.S. 1995, ch. I-11, 2) et l'article 17 (nota: le demandeur invoque à tort l'article 16) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Selon le demandeur, ces dispositions prévoient qu'aucune loi ne lie l'État à moins que l'État n'y soit expressément mentionné. Le demandeur soutient que ces dispositions ont abrogé la règle de common law voulant qu'une loi puisse également s'appliquer à l'État par déduction nécessaire.
En réponse à la prétention des défendeurs selon laquelle ces dispositions ne sont pas inconstitutionnelles parce qu'elles n'ont pas d'effet sur les droits de l'État fédéral, le demandeur affirme que les droits de l'État sont touchés parce que la province décharge l'État fédéral d'une responsabilité que le Parlement lui impose en vertu de l'alinéa 3a) et de l'article 4 de la Loi sur la responsabilisé civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21] (ci-après la LRCÉCA). L'alinéa 3a) et l'article 4 de la LRCÉCA disposent que l'État fédéral est responsable du fait d'autrui lorsqu'un de ses préposés commet une faute pendant qu'il conduit un véhicule automobile (alinéa 3a)), et est directement responsable en tant que propriétaire du véhicule (article 4). L'article 36 [mod., idem, art. 32] de la LRCÉCA dispose qu'un membre de la GRC est assimilé à un préposé de l'État pour la détermination des questions de responsabilité.
Le demandeur fait également remarquer que l'alinéa 102b) de l'AAIA dispose que [traduction] "nulle action n'est recevable devant un tribunal". Comme le Parlement a accordé à la Cour fédérale une compétence concurrente à l'égard de l'État fédéral en application de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, le demandeur soutient que la législature de la Saskatchewan a inconstitutionnellement restreint la compétence de la Cour fédérale.
Par ailleurs, le demandeur affirme que l'espèce est différente des décisions invoquées par les défendeurs (voir la thèse des défendeurs ci-dessous). Selon lui, l'affaire Rice c. Canada, [1992] A.C.F. no 1142 (1re inst.) (QL), traite superficiellement la question litigieuse en l'espèce et n'est pas utile. Le demandeur soutient en outre que cette décision n'aborde pas les droits constitutionnels du demandeur dans cette affaire. Il établit également une distinction entre l'espèce et l'arrêt McMillan v. Thompson (Rural Municipality) (1997), 144 D.L.R. (4th) 53 (C.A. Man.), au motif que cet arrêt n'aborde aucune question constitutionnelle et examine uniquement la question de savoir si les dommages subis par le demandeur étaient des [traduction] "dommages corporels causés par une automobile".
Le demandeur soutient que les dispositions en vigueur de l'AAIA sont analogues à celles que renferme The Workers' Compensation Act, 1979, S.S. 1979, ch. W-17.1 (ci-après la WCA). Le demandeur invoque l'arrêt A.G. Can. v. Ahenakew, [1984] 3 W.W.R. 442 (C.B.R. Sask.), dans lequel la Cour a statué que l'article 44 de la WCA ne faisait pas obstacle à la subrogation de l'État fédéral dans les droits de son préposé relativement à l'indemnité versée à la famille de ce dernier en vertu de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État, L.R.C. (1985), ch. G-5. La Cour a statué que rien ne lui permettait de conclure que l'État fédéral s'était soumis à l'application de la WCA ou qu'il avait adopté cette Loi au moyen d'une incorporation par renvoi.
Le demandeur invoque également l'affaire Platts c. Canada (1990), 35 F.T.R. 262 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour a examiné le dommage subi par un conducteur de motocross victime d'un accident sur des terres publiques fédérales. Le paragraphe 8(1) de l'Occupiers Liability Act, R.S.B.C. 1979, ch. 303 (ci-après appelée l'OLA) disposait que [traduction] "[à] moins d'indication contraire au paragraphe (2), l'État et ses organismes sont liés par la présente Loi". En réponse à l'argument invoqué par la défenderesse dans cette affaire, à savoir que sa responsabilité ne devrait pas être retenue en raison de l'OLA, la Cour [à la page 276] a statué que l'article 17 de la Loi d'interprétation (fédérale) donnait au Parlement le pouvoir suprême, sinon le pouvoir exclusif, d'"élargir, de limiter, de protéger ou de lier les droits, les prérogatives et les responsabilités" de l'État fédéral.
Le demandeur soutient que la province ne peut pas légiférer à l'égard de l'État fédéral en tant que matière autonome et qu'une loi provinciale autorisée par l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], ne peut aucunement modifier de sa propre autorité les droits acquis ou les pouvoirs de l'État fédéral, ni l'application de règles de prérogative accordant des dispenses, des droits supplémentaires ou des pouvoirs extraordinaires à l'État. Le demandeur ajoute qu'une loi provinciale ne peut pas lier l'État fédéral à moins qu'elle ne s'applique en vertu d'une loi fédérale ou en tant qu'élément des règles de droit provinciales générales sous le régime desquelles l'État fédéral passe des contrats ou fait valoir ses droits. L'AAIA ne soustrait pas les automobilistes de la Saskatchewan à la responsabilité d'indemniser les automobilistes blessés, mais établit plutôt un régime législatif qui fixe et verse les indemnités. Le demandeur soutient qu'une telle loi provinciale détermine les règles de droit générales uniquement dans la mesure où elle lie les propriétaires et les conducteurs d'automobiles de la Saskatchewan relativement à des accidents à l'égard desquels des prestations sont payables.
Le demandeur soutient que bien que les règles de droit applicables aux réclamations exercées contre l'État fédéral en vertu de la LRCÉCA soient celles qui s'appliquent aux rapports entre particuliers à l'endroit où l'acte est commis, cette affirmation est subordonnée au fait que ces règles de droit provinciales s'appliquent uniquement dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la loi prévoyant la responsabilité de l'État et où elles n'imposent pas à l'État fédéral une responsabilité qui diffère de celle qu'impose le Parlement.
En résumé, le demandeur soutient qu'une loi provinciale ne peut pas s'appliquer à l'État fédéral de sa propre autorité, et que l'AAIA n'a pas été adoptée par l'État fédéral et ne s'applique pas expressément à celui-ci, de sorte que l'État fédéral ne peut pas tirer avantage des dispositions de l'AAIA. Le demandeur prétend que l'interdiction prévue par l'AAIA ne vaut qu'entre des particuliers qui résident en Saskatchewan. Je n'accepte pas cet argument. Le demandeur soutient que le résident qui est impliqué dans un accident avec un préposé de l'État fédéral se trouve dans une position analogue à celle des personnes visées au paragraphe 108(1) de l'AAIA (qui porte sur les accidents qui surviennent en dehors de la Saskatchewan), si bien que le gouvernement de la Saskatchewan devrait avoir le droit de réduire ses prestations du montant qu'il reçoit dans le cadre de la présente action. Le demandeur soutient qu'un citoyen canadien résidant au Canada devrait être régi par les lois du Canada lorsqu'il est blessé par un préposé de l'État fédéral et ne devrait pas être obligé de s'en tenir à la loi de la Saskatchewan, à moins d'indication claire et non équivoque du Parlement. En réponse à l'argument des défendeurs relatif à la loi applicable (voir la thèse des défendeurs ci-dessous), le demandeur affirme que l'arrêt Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l'instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022, n'est guère utile parce que cette affaire porte sur la règle du choix de la loi applicable, c'est-à-dire celle de l'une ou l'autre des deux provinces visées. Le demandeur prétend que l'État fédéral n'est pas simplement une autre province, et que ses pouvoirs et ses attributions englobent le territoire de la province de la Saskatchewan.
Le demandeur conteste également la prétention des défendeurs selon laquelle l'État fédéral a adopté l'AAIA par le jeu de l'article 32 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31] de la LRCÉCA. Le demandeur fait remarquer que, dans l'ouvrage de D.A. Dukelow et B. Nuse intitulé The Dictionary of Canadian Law (Scarborough, Ont.: Carswell, 1991), le terme [traduction] "prescrire" est ainsi défini: [traduction ] "préciser les modalités d'application après avoir énoncé l'objet des mesures". Le demandeur soutient que l'article 102 de l'AAIA ne se contente pas d'énoncer les modalités d'application d'une loi d'application générale. Cette disposition vient plutôt supprimer le droit d'action d'une personne, annuler la compétence des tribunaux et substituer les prestations prévues par la Loi à toutes les autres prestations, y compris les prestations édictées par l'État fédéral. Subsidiairement, si les défendeurs ont raison d'affirmer que le gouvernement de la Saskatchewan peut prescrire la responsabilité de l'État fédéral, le demandeur soutient que les règles de droit fédérales et les mesures prises par la province sont inconstitutionnelles parce qu'elles contreviennent à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés , qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (ci-après la Charte).
En ce qui concerne la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour juger l'action intentée contre M. Kegler, le demandeur soutient que la règle de droit fédérale applicable est l'article 3 de la LRCÉCA, qui dispose que M. Kegler est un mandataire de l'État fédéral. Par conséquent, le demandeur affirme que M. Kegler est un défendeur légitime et est soumis à la compétence de la Cour fédérale.
2. La thèse des défendeurs
Les défendeurs soutiennent que l'article 102 de l'AAIA interdit au demandeur d'intenter une poursuite relativement à des dommages corporels subis dans un accident d'automobile. Comme l'article 102 de l'AAIA n'a pas fait l'objet d'un examen judiciaire sérieux, les défendeurs invoquent une situation de fait censément analogue qui s'est produite dans la province de Québec. Dans l'affaire Rice, précitée, la Cour fédérale a été saisie d'une action en dommages-intérêts fondée sur le droit civil qui a été intentée contre l'État relativement à des dommages causés au demandeur dans un accident d'automobile survenu au Québec. La Cour a statué que les dispositions de la Loi sur l'assurance automobile, L.R.Q. 1977, ch. A-25, portant sur les indemnités accordées sans égard à la responsabilité et interdisant les recours pour dommages corporels, de même que l'article 10 de la LRCÉCA et l'article 1056d du Code civil du Bas-Canada, faisaient obstacle à l'action du demandeur. La Cour a également statué que la décision n'avait aucun effet sur les droits constitutionnels du demandeur.
Les défendeurs font en outre valoir que la Cour d'appel du Manitoba a examiné des dispositions législatives similaires dans l'arrêt McMillan, précité. Cette affaire portait sur le sens des mots "causés par" qui sont définis dans la partie II [paragraphe 70(1)] de la Loi sur la Société d'assurance publique du Manitoba , L.R.M. 1987, ch. P215, édicté par L.M. 1993, ch. 36, article 5 (LSAPM). La partie II de la LSAPM prévoit le versement d'indemnités aux personnes qui ont subi des dommages corporels causés par une automobile, tandis que l'article 72 [édicté, idem] dispose qu'aucune action en responsabilité délictuelle n'est recevable en raison d'un tel dommage. La Cour d'appel a statué que les mots "causé par" ne sous-entendaient pas un élément de faute car cela affaiblirait l'intention du législateur de fournir sans délai une indemnité aux Manitobains qui subissent des dommages corporels dans un accident d'automobile.
Les défendeurs prétendent en outre que le paragraphe 103(2) de l'AAIA empêche le demandeur d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale afin de recouvrer une perte pécuniaire résultant des dommages présumés. Les défendeurs font remarquer que le paragraphe 103(2) mentionne expressément qu'une telle poursuite peut être intentée uniquement devant la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.
Ce ce qui concerne le moyen que le demandeur tire de la Constitution, les défendeurs affirment que, dans le contexte de l'expèce, la loi provinciale n'a aucun effet sur les droits de l'État fédéral. Selon eux, l'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA limitent simplement les droits d'un demandeur en l'empêchant d'intenter une poursuite pour dommages corporels et en recouvrement d'un perte pécuniaire en raison d'un accident d'automobile, sauf de la manière prévue par l'AAIA.
Qui plus est, les défendeurs soutiennent que l'État fédéral a adopté l'AAIA par le jeu de l'article 32 de la LRCÉCA. Cette disposition prévoit notamment que "les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province". Les défendeurs affirment que les dispositions de l'AAIA sont des règles en matière de prescription et, partant, que l'État fédéral a accepté la règle en matière de prescription de la Saskatchewan, de sorte que l'action du demandeur est prescrite.
En réponse à l'argument du demandeur selon lequel les règles de droit applicables sont les règles de droit fédérales et non celles de la Saskatchewan parce que le demandeur a été blessé par un préposé de l'État fédéral, les défendeurs affirment que la décision Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l'instance de) c. Gagnon, [1994] 3 R.C.S. 1022, appuie le point de vue que les règles de droit qu'il convient d'appliquer aux délits commis au Canada sont celles du lieu où le délit a été commis. En l'espèce, le délit a été commis en Saskatchewan de sorte que, selon les défendeurs, la loi applicable est l'AAIA.
Enfin, au soutien de la prétention qu'il n'existe aucune règle de droit fédérale applicable au soutien du recours exercé contre M. Kegler, les défendeurs invoquent l'arrêt Pacific Western Airlines Ltd. c. R., [1980] 1 C.F. 86 (C.A.), dans lequel la Cour d'appel a examiné les décisions rendues par la Cour suprême dans les affaires Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Ltée et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, et a déclaré qu'un recours fondé sur la négligence qui est exercé contre un préposé de l'État ne faisait pas intervenir des règles de droit fédérales et outrepassait la compétence de la Cour. Par analogie avec l'arrêt Pacific Western, précité, les défendeurs soutiennent que l'action intentée contre M. Kegler devrait être rejetée.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
L'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA de la province de la Saskatchewan sont ainsi libellés:
[traduction]
102 Par dérogation à toute autre partie de la présente loi ou à toute autre loi, mais sous réserve des autres dispositions de la présente partie:
a) nul n'a un droit d'action en raison d'un dommage corporel causé par une automobile dans un accident qui survient le jour de l'entrée en vigueur de la présente partie ou après;
b) nulle action n'est recevable devant un tribunal en raison d'un dommage corporel causé par une automobile dans un accident qui survient le jour de l'entrée en vigueur de la présente partie ou après;
c) le droit à une indemnité tient lieu de tous les droits d'action qu'une personne a ou peut avoir en raison d'un dommage corporel causé par une automobile dans un accident qui survient le jour de l'entrée en vigueur de la présente partie ou après.
103 . . .
(2) Par dérogation à l'article 102 mais sous réserve de l'article 44 de The Workers' Compensation Act, 1979, une victime ou une personne à charge peut intenter une action en dommages-intérêts devant la Cour du Banc de la Reine afin de recouvrer sa perte pécuniaire.
Les dispositions pertinentes de la LRCÉCA sont les suivantes:
3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour:
a) les délits civils commis par ses préposés;
. . .
4. L'État est également assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour ce qui est de sa responsabilité à l'égard des dommages que cause à autrui, sur une voie publique, un véhicule automobile lui appartenant.
. . .
10. L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité civile délictuelle contre leur auteur ou ses représentants.
11. L'article 4 ne permet aucun recours contre l'État à l'égard de dommages causés par un véhicule automobile sur une voie publique sauf si le conducteur ou l'un de ses représentants en est responsable.
. . .
32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.
. . .
36. Pour la détermination des questions de responsabilité dans toute action ou autre procédure engagée par ou contre l'État, quiconque était lors des faits en cause membre des Forces canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada est assimilé à un préposé de l'État.
L'article 17 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, est ainsi libellé:
17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives.
L'article 14 de la Loi d'interprétation de 1995, L.S. 1995, ch. I-11,2, est ainsi libellé:
14 Aucun texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives, sauf dans la mesure qui y est prévue.
ANALYSE
Il existe deux questions litigieuses à trancher en l'espèce. La première est la constitutionnalité de l'article 102 et du paragraphe 103(2) de l'AAIA, dispositions qui font obstacle à l'action du demandeur. L'article 102 de l'AAIA empêche le recours du demandeur et le remplace par un régime d'assurance qui prévoit le versement d'une indemnité au demandeur en raison de l'accident. Le paragraphe 103(2) de l'AAIA dispose que seule la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan peut être saisie d'une action en recouvrement d'une perte pécuniaire. Par conséquent, si les dispositions contestées de l'AAIA sont jugées valides, le demandeur n'a alors aucun droit d'action contre les défendeurs devant la Cour fédérale vu la fin de non-recevoir prévue à l'article 102 et au paragraphe 103(2) de l'AAIA.
Le demandeur soutient que l'article 102 est inconstitutionnel parce que le gouvernement de la Saskatchewan a édicté une loi qui lie l'État de sa propre autorité sans avoir été adoptée par le Parlement. Les défendeurs répliquent que ces dispositions ne sont pas "inconstitutionnelles" parce qu'elles n'ont pas le moindre effet sur les droits de l'État fédéral dans le contexte de l'espèce , mais limitent simplement les droits du demandeur. Celui-ci répond que les droits de l'État fédéral sont touchés parce que la province décharge l'État d'une responsabilité que le Parlement lui impose en vertu de la LRCÉCA. Par ailleurs, le demandeur observe que l'alinéa 102b) de l'AAIA dispose que [traduction] "nulle action n'est recevable devant un tribunal". Selon le demandeur, cette disposition se rapporte à la compétence de la Cour fédérale, tribunal auquel le Parlement a accordé une compétence à l'égard de l'État fédéral. Le demandeur ajoute qu'il ne devrait pas avoir à se reporter à des lois provinciales pour la détermination de ses droits et des procédures, à moins que ces lois n'aient été expressément adoptées par le Parlement de manière à s'appliquer à l'État fédéral.
Je suis convaincu que les dispositions contestées de l'AAIA sont valides étant donné que seul le demandeur est directement touché par le fait qu'il est incapable d'intenter une poursuite devant un tribunal. Vu les faits de l'espèce, ces dispositions n'ont pas d'effet sur les droits de l'État fédéral. Si c'est l'État qui intentait une poursuite en raison des pertes causées par l'accident, la validité de l'AAIA pourrait à ce moment-là être contestée. Toutefois, sauf d'un point de vue abstrait, je ne vois pas comment les droits de l'État fédéral sont touchés.
Je suis en outre convaincu du bien-fondé de l'argument subsidiaire des défendeurs selon lequel le Parlement a adopté les dispositions contestées par le jeu de l'article 32 de la LRCÉCA. Il est clair que l'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA sont des "règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers", ainsi que le prévoit l'article 32 de la LRCÉCA. Selon moi, le renvoi par le demandeur à la définition du mot "prescrire" dans le The Dictionary of Canadian Law n'est d'aucun secours étant donné que l'article 32 de la LRCÉCA. fait référence à des règles de droit en matière de "prescription". De toute évidence, l'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA sont des règles de droit en matière de prescription puisqu'ils empêchent tous les recours en dommages-intérêts en raison d'accidents d'automobile survenus en Saskatchewan (à l'exception du cas limité de la perte pécuniaire prévu au paragraphe 103(2)). Par conséquent, le Parlement a adopté les dispositions contestées par le jeu de l'article 32 de la LRCÉCA.
Par ailleurs, l'argument du demandeur voulant que la loi fédérale et la loi provinciale portent atteinte aux droits que l'article 15 de la Charte lui accorde me paraît irrecevable.
L'article 15 de la Charte dispose:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.
À mon sens, il n'est pas possible de souscrire à l'argument de l'avocat du demandeur car l'article 15 de la Charte ne me paraît pas applicable en l'espèce.
Premièrement, je suis convaincu qu'il n'existe aucune discrimination "fondé[e] sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques". En l'espèce, la Cour statue simplement sur un banal accident d'automobile régi par les lois de la province de la Saskatchewan. Deuxièmement, le demandeur n'est pas l'objet de discrimination. Toutes les personnes impliquées dans un accident d'automobile en Saskatchewan sont pareillement régies par les lois de la province. Aucun traitement particulier n'est réservé à Bert Moxham.
La deuxième question litigieuse consiste à savoir si la Cour fédérale a compétence pour entendre l'action intentée contre M. Kegler. Dans toutes les affaires semblables, il faut se reporter à l'arrêt ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, dans lequel le triple critère applicable pour établir si la Cour fédérale a compétence est exposé à la page 766:
1. Il doit y avoir une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être "une loi du Canada" au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 .
Comme l'alinéa 17(5)b) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3] de la Loi sur la Cour fédérale satisfait à la première condition, la question suivante consiste à savoir s'il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence. Sur ce point, il convient de se référer à l'arrêt Stephens c. R. (1982), 26 C.P.R. 1 (C.A.F.), dans lequel la Cour d'appel a déclaré, à la page 8:
Le point à déterminer est le rapport qui doit exister entre la cause d'action et la législation fédérale applicable en vue de conférer compétence à la Cour.
Il existe plusieurs décisions qui précisent que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre une action fondée sur la négligence intentée contre un préposé de l'État parce que cette compétence n'a pas son origine dans des règles de droit fédérales (voir Tomossy c. Hammond, [1979] 2 C.F. 232 (1re inst.); Pacific Western Airlines, précité; Nichols c. R., [1980] 1 C.F. 646 (1re inst.); Stephens, précité). Dans l'affaire Tomossy, précitée, la Cour s'est exprimée en ces termes à la page 233:
Dans Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitée, de même que dans . . . McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine, la Cour suprême du Canada définit l'expression "lois du Canada" comme excluant tant le droit statutaire provincial que la common law , sauf "Dans la mesure où la Couronne, en tant que partie à une action, est régie par la common law". La Couronne dont il est question est, bien sûr, la Couronne du chef du Canada.
La responsabilité personnelle d'un individu pour un délit qu'il a commis naît de la common law. Elle existe qu'il ait agi ou non dans le cadre de son emploi. Qu'un individu soit un préposé de la Couronne et ait commis un délit dans le cadre de cet emploi ne change rien au fondement juridique de sa responsabilité. Celle-ci n'est pas créée par les "lois du Canada" ou le "droit fédéral" tel que défini par les décisions McNamara et Quebec North Shore.
Toutefois, cela ne veut pas dire qu'une action en responsabilité délictuelle ne peut jamais être suffisamment appuyée par des règles de droit fédérales pour être entendue par la Cour fédérale. Dans l'arrêt Stephens, précité, la Cour a fait remarquer, à la page 9:
. . . une cause d'action en responsabilité contractuelle (ou délictuelle) peut être suffisamment appuyée par une législation fédérale pour conférer compétence à la Cour fédérale si la responsabilité contractuelle ou délictuelle peut être considérée comme prévue par la législation fédérale.
De fait, dans les arrêts Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.), et Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804 (C.A.), la Cour a statué que les circonstances étaient telles qu'elle avait compétence pour entendre une action en responsabilité délictuelle intentée contre un préposé de l'État. Malheureusement pour le demandeur, les faits de l'espèce ne permettent pas de parvenir à une telle conclusion. Il n'existe pas un lien suffisant entre la présente action et les règles de droit fédérales applicables, s'il en est. Comme dans l'affaire Tomossy, précitée, l'action est fondée sur la common law en matière délictuelle, et le simple fait de devoir se référer à la LRCÉCA n'entraîne pas l'application des règles de droit fédérales. Il s'agit strictement d'une action en responsabilité délictuelle, et les règles de droit fédérales ne sont pas essentielles à la solution du litige. Par conséquent, la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action intentée contre M. Kegler.
Par ailleurs, je suis convaincu que l'affaire Rice, précitée, cadre parfaitement avec l'espèce. Dans l'affaire Rice, précitée, le juge Pinard, qui a examiné une situation semblable à celle de l'espèce, a déclaré [aux pages 2 et 3 (QL)]:
Étant ici en présence d'un accident et de dommages causés par une automobile au sens de l'article 1 de la Loi sur l'assurance automobile [L.R.Q. 1977, ch. A-25], le demandeur victime de cet accident perd tout recours contre la Couronne dont les préposés sont ici impliqués, et ce, en raison de l'effet combiné des articles 5 et 83.57 de la même Loi, de l'article 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif [L.R.C. (1985), ch. C-50, et ses modifications] et de l'article 1056d du Code civil du Bas-Canada (voir aussi l'oeuvre de Dussault et Borgeat, Traité de droit administratif, tome III, 2e édition, pp. 867-868).
Comme par ailleurs les droits constitutionnels du demandeur ne sauraient en l'occurrence être affectés de quelque façon, la requête doit être maintenue et la déclaration radiée, le tout avec dépens contre le demandeur.
Les seules différences entre l'espèce et l'affaire Rice sont les renvois aux dispositions législatives provinciales. L'article 10 de la LRCÉCA est également applicable, et dispose clairement que l'État ne peut être poursuivi sur le fondement de l'alinéa 3a) de la LRCÉCA dans les circonstances de l'espèce.
CONCLUSION
Je suis convaincu que l'article 102 et le paragraphe 103(2) de l'AAIA empêchent le demandeur Bert Moxham d'intenter une poursuite devant la Cour fédérale. Qui plus est, je suis convaincu que la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre l'action intentée contre M. Kegler au motif qu'il n'existe aucune règle de droit fédérale applicable pour appuyer ce recours.
L'action du demandeur est rejetée avec dépens. Je fixe le montant des dépens à 500 $.