IMM-3331-96
Larkland Smith (requérant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)
IMM-3333-96
Larkland Smith (requérant)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)
Répertorié: Smithc. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re inst.)
Section de première instance, juge MacKay"Toronto, 3 septembre 1997; Ottawa, 2 mars 1998.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Le requérant a été jugé non admissible en vertu de l'art. 19(1)c) de la Loi sur l'immigration vu qu'il avait été déclaré coupable de trafic de stupéfiants — Un arbitre a pris une mesure d'expulsion en vertu de l'art. 32(5)a) de la Loi — Avant l'exécution de cette mesure, le requérant a quitté le Canada et y est revenu sans obtenir l'autorisation du ministre — Un agent d'immigration principal a pris une mesure d'exclusion en vertu de l'art. 19(1)i) de la Loi — Après cette dernière mesure, le requérant s'est vu accorder une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire — La réhabilitation supprimait-elle la condamnation? — Jurisprudence relative à l'effet d'une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire — Une condamnation n'est pas censée ne pas avoir existé du fait d'une réhabilitation — Il faut donner effet à une réhabilitation pour l'avenir — La mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion constituaient une —incapacité— au sens de l'art. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire — L'exécution de ces mesures donnerait effet à une incapacité que la réhabilitation a supprimée, en violation de l'art. 5 de la Loi sur le casier judiciaire.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Jugements déclaratoires — La mesure d'expulsion visant le requérant, qui était valide lorsqu'elle a été prise, ne devrait pas être annulée par voie de certiorari — La mesure d'exclusion a été prise après l'octroi de la réhabilitation qui a supprimé le fondement de l'exécution de la mesure d'expulsion — La mesure d'exclusion devrait être annulée au moyen d'une ordonnance de certiorari — Un jugement déclaratoire était la réparation la plus indiquée en ce qui concerne la mesure d'expulsion — Les conditions en vue du prononcé d'un jugement déclaratoire étaient réunies — Jugement déclaratoire portant que l'exécution de la mesure d'expulsion et de la mesure d'exclusion donnerait effet à une incapacité, en violation de l'art. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire — Rien ne justifiait le prononcé d'une ordonnance d'interdiction en vertu de l'art. 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.
Il s'agissait de deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant une mesure d'expulsion prise par un arbitre dans le dossier IMM-3331-96 et une mesure d'exclusion prise par un agent d'immigration principal dans le dossier IMM-3333-96. En juillet 1995, un arbitre en matière d'immigration a conclu que le requérant était une personne non admissible visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration vu qu'il avait été déclaré coupable de deux infractions relatives au trafic de stupéfiants qui sont punissables d'un emprisonnement à perpétuité. Il a également été établi que le requérant était entré au Canada sans visa, de sorte qu'il était une personne non admissible en vertu de l'alinéa 19(2)d) de la Loi. Il a donc fait l'objet d'une mesure d'expulsion en vertu de l'alinéa 32(5)a) de cette Loi. En octobre 1995, soit avant l'exécution de la mesure d'expulsion, le requérant a quitté le Canada pendant trois semaines. À son retour, il a été interrogé à l'aéroport et détenu. Le 15 novembre 1995, un agent d'immigration principal a pris une mesure d'exclusion au motif que le requérant était une personne qui, à cause de la mesure d'expulsion prise contre lui, devait obtenir l'autorisation du ministre avant de revenir au Canada, autorisation qu'il n'avait pas obtenue. Une semaine avant la prise de cette dernière décision, le requérant s'était vu accorder une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Trois questions ont été soulevées: 1) l'effet de la réhabilitation sur la mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion; 2) la question de savoir si la mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion constituent une incapacité au sens de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire; et 3) si le requérant a droit à une réparation, quelle forme devrait prendre cette réparation.
Jugement: les demandes doivent être accueillies en partie.
1) Une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire ne produit pas le même effet, sur le plan juridique, que l'annulation par une cour d'appel d'une déclaration de culpabilité ou qu'une libération sous condition qu'une cour d'appel substitue à la sentence imposée en première instance. Les arguments invoqués par l'intimé relativement aux différences entre le libellé des versions française et anglaise de l'article 5 étaient convaincants. Celui-ci a fait remarquer à bon droit que la modification de la version française de l'article 5 des Lois révisées de 1985, par laquelle les mots "annule la condamnation" ont été remplacés par les mots "efface les conséquences de la condamnation", exprimait l'intention du législateur de préserver l'existence de la condamnation tout en réduisant les effets néfastes qu'elle pouvait produire. L'effet de l'octroi d'une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire a été examiné dans plusieurs affaires. Dans l'une d'elles, il a été dit que la réhabilitation a pour effet de laver la personne visée de "toute souillure causée par la déclaration de culpabilité". Il ressort de ces décisions qu'on ne saurait affirmer que la Loi efface la condamnation de sorte que la condamnation est censée ne pas avoir existé. Bien que l'objet de la Loi sur le casier judiciaire soit d'empêcher tout autre désavantage d'origine législative qu'entraîne une condamnation visée par une réhabilitation en lavant la personne visée de la souillure causée par la condamnation, on ne saurait affirmer que la condamnation n'a pas existé en raison de la réhabilitation. Comme la mesure d'expulsion en l'espèce a été prise avant l'octroi de la réhabilitation qui a effacé les conséquences de la condamnation, l'arbitre n'a pas commis une erreur en prenant la mesure en question. Cependant, il faut donner effet à la réhabilitation accordée le 8 novembre 1995 non pas rétroactivement, mais pour l'avenir.
2) Pour déterminer si une mesure d'expulsion ou une mesure d'exclusion constitue une "incapacité" ("disqualification") au sens de l'alinéa 5b ) de la Loi sur le casier judiciaire, il convient d'examiner la définition que donnent les dictionnaires de ces mots. Compte tenu de ces définitions, une classification fondée sur une déclaration de culpabilité visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration est une "incapacité" ("disqualification") en l'absence de laquelle aucune mesure d'expulsion n'aurait été prise en l'espèce. Les condamnations du requérant doivent être considérées comme la cause véritable de l'incapacité et de la mesure d'expulsion qui en est résulté. Cette mesure a été valablement prise parce qu'elle était antérieure à la réhabilitation; toutefois, après l'octroi de la réhabilitation en novembre 1995, l'incapacité du requérant fondée sur l'alinéa 19(1)c ) de la Loi sur l'immigration a été supprimée par l'application de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. L'exécution subséquente de la mesure d'expulsion donnerait effet à une incapacité que cette dernière Loi a supprimée et contreviendrait à cette Loi. La mesure d'exclusion a aussi donné effet à une incapacité et, en l'espèce, cette incapacité est entièrement attribuable aux condamnations prononcées contre le requérant. La question de savoir s'il existe un lien suffisant entre les condamnations et la mesure d'exclusion dépend de la mesure dans laquelle on peut considérer que la mesure d'exclusion découle de la condamnation initiale. La réhabilitation, une fois accordée, a fait cesser l'incapacité entraînée par la condamnation prononcée contre le requérant. Le jour où le requérant est revenu au Canada, soit le 14 novembre 1995, il n'y avait aucune mesure d'expulsion exécutoire, de sorte que la mesure d'exclusion a été prise par erreur car elle reposait sur des prémisses qui n'étaient plus valables.
3) En ce qui concerne la forme de la réparation, la mesure d'expulsion, reconnue comme valide lorsqu'elle a été prise, ne pouvait pas être annulée par voie d'ordonnance de certiorari. Aucun des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale pour obtenir pareille réparation n'avait été prouvé. Par contre, la mesure d'exclusion avait été prise après l'octroi de la réhabilitation, qui a fait cesser l'incapacité d'origine législative découlant de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration. Cette mesure a été prise par erreur, sur la base de suppositions factuelles qui n'étaient plus valables, et elle devrait être annulée au moyen d'une ordonnance de certiorari. Un jugement déclaratoire était la réparation la plus indiquée en ce qui concerne la mesure d'expulsion. Toutes les conditions étaient réunies en vue du prononcé d'un jugement déclaratoire en ce qui concerne la mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion. Dans chaque cas, il convenait de rendre une ordonnance déclarant que l'exécution de la mesure contestée reviendrait à donner effet à une incapacité, en violation de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. Quant aux ordonnances d'interdiction, l'avocat du requérant les a demandées dans son argumentation écrite et dans ses exposés des faits et du droit, mais non dans ses requêtes introductives d'instances. La Cour pouvait, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, accorder la réparation qu'elle estime juste et équitable, en particulier si la réparation se rapporte à des mesures jugées contraires à la loi. Le défaut du requérant de préciser qu'il désirait obtenir des ordonnances d'interdiction dans les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire n'a pas causé de préjudice à l'intimé. Toutefois, comme dans le cas du certiorari, la preuve n'appuyait pas le prononcé d'une ordonnance d'interdiction sous le régime du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.
lois et règlements
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).
Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, art. 5a) (mod. par L.C. 1992, ch. 22, art. 5), b) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 78), 6, 7 (mod., par L.C. 1992, ch. 22, art. 7), 8 (mod., idem, art. 8).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 19(1)b) (mod., idem, art. 11), c) (mod., idem), i), (2)d), 20 (mod., idem, art. 12), 23(4) (mod., idem, art. 13), 32(5)a) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11; L.C. 1992, ch. 49, art. 21), 55 (mod., idem, art. 45), 83(1) (mod., idem, art. 73).
Loi sur l'immigration, S.R.C. 1927, ch. 93.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1602(2)c) (édictée par DORS/92-43, art. 19), (4) (édictée, idem), 1723, 1733.
Règles de 1993 sur la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, Règle 5(1)e).
jurisprudence
décisions appliquées:
Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.); Silver v. Silver (1980), 22 A.R. 235; [1980] 4 W.W.R. 500 (C.A.); J.C. v. British Columbia (Director of Child, Family and Community Service), [1997] B.C.J. no 2223 (C.S.C.-B.) (QL); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Burgon, [1991] 3 C.F. 44; (1991), 78 D.L.R. (4th) 103; 13 Imm. L.R. (2d) 102; 122 N.R. 228 (C.A.); Lui c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1029 (1re inst.) (QL); Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (1993), 74 F.T.R. 185 (C.F. 1re inst.); Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627; (1994), 119 D.L.R. (4th) 224; [1995] 1 C.N.L.R. 47; 24 C.R.R. (2d) 233; 173 N.R. 241.
distinction faite avec:
Nagra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 497; (1995), 103 F.T.R. 261; 81 Imm. L.R. (2d) 165 (1re inst.); Kalicharan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 2 C.F. 123; (1976), 67 D.L.R. (3d) 555 (1re inst.); Reference as to the effect of the Exercise by His Excellency the Governor General of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269; [1933] 2 D.L.R. 348; (1933), 59 C.C.C. 301.
décisions examinées:
LeBar c. Canada, [1989] 1 C.F. 603; (1988), 33 Admin. L.R. 107; 46 C.C.C. (3d) 103; 90 N.R. 5 (C.A.); Adjei et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 74 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.).
décisions citées:
Bande indienne de Montana c. Canada, [1991] 2 C.F. 30; [1991] 2 C.N.L.R. 88; (1991), 120 N.R. 200 (C.A.); Bauer c. La Reine (Commission de l'immigration du Canada), [1984] 2 C.F. 455; (1984), 12 C.R.R. 235 (1re inst.); Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration c. Tsakiris, [1977] 2 C.F. 236; (1977), 73 D.L.R. (3d) 157; 15 N.R. 224 (C.A.); Reece c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 C.F. 743; (1981), 130 D.L.R. (3d) 724 (1re inst.); Gittens (In re), [1983] 1 C.F. 152; (1982), 137 D.L.R. (3d) 687; 68 C.C.C. (2d) 438; 1 C.R.R. 346 (1re inst.); Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468; (1997), 132 F.T.R. 281 (1re inst.).
doctrine
Le Petit Robert I, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Montréal: Les Dictionnaires Robert-Canada S.C.C., 1987. "incapacité".
New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford: Clarendon Press, 1993. "disqualification"; "disqualify".
DEMANDES d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant une mesure d'expulsion prise par un arbitre et une mesure d'exclusion prise par un agent d'immigration principal. Demandes accueillies en partie.
avocats:
Micheal T. Crane pour le requérant.
Diane B. N. Dagenais pour l'intimé.
procureurs:
Micheal T. Crane, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par
Le juge MacKay: Les présents motifs se rapportent à deux demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire qui ont été présentées en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifié [par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], et entendues ensemble. Dans les deux requêtes introductives d'instances qui ont été déposées, la réparation demandée par le requérant se borne à une ordonnance de certiorari et à un jugement déclaratoire, et seule l'ordonnance de certiorari est précisée en tant que réparation souhaitée dans le cadre du contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion prise par un arbitre le 13 juillet 1995 dans le dossier IMM-3331-96, et de la mesure d'exclusion prise par un agent d'immigration principal le 15 novembre 1995 dans le dossier IMM-3333-96. À l'audience, l'avocat du requérant a également demandé, ainsi qu'il est indiqué au début de l'exposé des faits et du droit du requérant dans chaque affaire, le prononcé d'ordonnances d'interdiction, réparation qui n'est pas expressément mentionnée dans les requêtes introductives d'instances qui ont été déposées. Cette question étant devenue litigieuse, les parties ont dû présenter d'autres observations écrites après l'audience.
Genèse des instances
Les faits sont assez simples. Le 13 juillet 1995, un arbitre en matière d'immigration a constaté que le requérant était une personne non admissible visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifié [par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] (la Loi), au motif qu'il avait été déclaré coupable, en 1987, de deux infractions relatives au trafic de stupéfiants qui peuvent être punissables d'un emprisonnement à perpétuité. Il semble toutefois qu'on lui ait simplement imposé une peine d'un an avec sursis. Au cours de la même enquête, il a été établi que le requérant n'avait pas demandé et obtenu un visa avant d'entrer au Canada, ainsi que le prévoit le paragraphe 9(1) [mod., idem, art. 4] de la Loi, de sorte qu'il était une personne non admissible au Canada en vertu de l'alinéa 19(2)d) de la Loi. L'arbitre a pris une mesure d'expulsion, comme l'exige l'alinéa 32(5)a) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11; L.C. 1992, ch. 49, art. 21] s'il constate qu'une personne tombe sous le coup de l'alinéa 19(1)c). C'est la décision qui est contestée dans le dossier IMM-3331-96. Aucune mesure distincte n'a été prise relativement à la constatation que le requérant était une personne visée à l'alinéa 19(2)d)1.
En octobre 1995, soit avant l'exécution de la mesure d'expulsion, le requérant a quitté le Canada pendant trois semaines pour des raisons personnelles en pensant qu'il pourrait y revenir. À son retour le 14 novembre 1995, il a été interrogé à l'aéroport, puis détenu. Le lendemain, il a fait l'objet d'un rapport en tant que personne appartenant aux catégories visées aux alinéas 19(1)b) et i) de la Loi. Un agent d'immigration principal a pris une mesure d'exclusion le 15 novembre 1995 au motif que le requérant était une personne qui, en application de l'alinéa 19(1)i), devait, à cause de la mesure d'expulsion prise contre lui, obtenir l'autorisation du ministre avant de venir au Canada, autorisation qu'il n'avait pas obtenue.
Quelques jours avant la prise de cette dernière décision mais apparemment sans que le requérant n'en sache rien, la Commission nationale des libérations conditionnelles a écrit au requérant le 8 novembre 1995 pour l'informer qu'une réhabilitation lui était accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, modifiée. La lettre de la Commission était notamment libellée ainsi qu'il suit:
[traduction] . . . la présente réhabilitation sert de preuve du fait que la Commission, après avoir mené les enquêtes voulues, a été convaincue que
LARKLAND OSBOURNE SMITH
n'a pas été reconnu coupable de nouvelles infractions depuis qu'il a fini de purger sa peine et s'est bien conduit, que la condamnation ne devrait plus ternir sa réputation et que, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, la présente réhabilitation efface les conséquences de la condamnation et, notamment, fait cesser toute incapacité que celle-ci pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements.
Les questions en litige
Dans le dossier IMM-3331-96, le requérant conteste la validité de la mesure d'expulsion ou son exécution au motif que le fondement de cette mesure a disparu en raison de la réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Il affirme que, puisque la condamnation prononcée contre lui, qui constitue le fondement de son inclusion dans la catégorie visée à l'alinéa 19(1)c), a fait l'objet d'une réhabilitation, la prise d'une mesure d'expulsion en vertu de l'alinéa 32(5)a) n'est pas justifiée. Selon le requérant, la mesure d'expulsion est sans effet ou son exécution devrait être interdite. Il fait en outre valoir dans le dossier IMM-3333-96 que, puisque le fondement de la mesure d'expulsion a disparu, la mesure d'exclusion prise le 15 novembre 1995 en application du paragraphe 23(4) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 13] n'est pas valide. Comme le requérant ne pouvait pas valablement être considéré comme une personne visée à l'alinéa 19(1)i), la mesure d'exclusion devrait être annulée ou, subsidiairement, son exécution devrait être interdite.
L'intimé soutient que la réhabilitation accordée au requérant en vertu de la Loi sur le casier judiciaire n'a pas pour effet "d'annuler" les condamnations, en ce sens qu'elles sont réputées en droit ne jamais avoir existé. En conséquence, la réhabilitation ne fait pas disparaître le fondement de la mesure d'expulsion, et la mesure d'expulsion comme la mesure d'exclusion prise par la suite demeurent valides. L'intimé allègue en outre que la mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion ne constituent pas des incapacités entraînées par la condamnation aux termes d'une loi fédérale, ces incapacités étant expressément interdites par la Loi sur le casier judiciaire . Par conséquent, la Cour n'est pas fondée à intervenir à l'égard de ces mesures.
Dans des observations supplémentaires présentées à la demande de la Cour, l'intimé soutient en outre que la Cour n'est pas fondée à rendre les ordonnances d'interdiction demandées en l'espèce. Selon l'intimé, le défaut du requérant de demander cette réparation dans sa requête introductive d'instance contrevient à l'alinéa 5(1)e) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, DORS/93-22, et à l'alinéa 1602(2)c) des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 [édicté par DORS/92-43, art. 19], qui prévoient toutes deux qu'une demande de contrôle judiciaire indique le redressement expressément recherché. Qui plus est, ces ordonnances d'interdiction seraient rendues contre l'exécution de la mesure d'expulsion ou de la mesure d'exclusion, et non contre les décisions prises par l'arbitre ou l'agent d'immigration principal, ce qui violerait dans les faits la disposition prévue au paragraphe 1602(4) [édicté, idem] des Règles de la Cour fédérale, à savoir que chaque contrôle ne vise qu'une seule décision. Enfin, l'intimé soutient qu'une ordonnance d'interdiction n'est pas une solution de rechange valable pour annuler la mesure d'expulsion ou la mesure d'exclusion; en effet, comme pareille ordonnance n'est rendue que s'il y a eu excès de compétence, il faudrait que la Cour conclue que la mesure d'expulsion ou la mesure d'exclusion est nulle pour être fondée à intervenir et, si tel était le cas, une ordonnance d'interdiction serait alors inutile.
À mon avis, les questions fondamentales qui sont litigieuses en l'espèce peuvent être énoncées ainsi qu'il suit:
1) Quel est l'effet de la réhabilitation accordée au requérant sur la mesure d'expulsion, qui a été prise avant l'octroi de la réhabilitation, et sur la mesure d'exclusion, qui a été prise après l'octroi de la réhabilitation?
2) La mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion sont-elles visées par les mots "toute incapacité . . . que celle-ci pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements" employés à l'alinéa 5b ) [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 78] de la Loi sur le casier judiciaire?
3) Si le requérant a droit à une réparation, quelle forme cette réparation devrait-elle prendre?
L'effet de la réhabilitation
La première question litigieuse concerne l'effet de la réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Si la Loi a pour effet de supprimer la condamnation, de sorte que la condamnation n'aurait jamais existé, il s'ensuit que le requérant ne peut pas être une personne appartenant à la catégorie visée à l'alinéa 19(1)c), qui dispose:
19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:
. . .
c) celles qui ont été déclarées coupables, au Canada, d'une infraction qui peut être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans;
La disposition pertinente de la Loi sur le casier judiciaire est ainsi libellée [art. 5a) (mod. par L.C. 1992, ch. 22, art. 5), b) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 78)]:
5. La réhabilitation a les effets suivants:
a) d'une part, elle sert de preuve des faits suivants:
(i) dans le cas d'une réhabilitation octroyée pour une infraction visée à l'alinéa 4a), la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s'est bien conduit,
(ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;
b) d'autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle efface les conséquences de la condamnation et, notamment, fait cesser toute incapacité"autre que celles imposées au titre des articles 100, 161 et 259 du Code criminel"que celle-ci pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements.
Le requérant a invoqué deux décisions au soutien du moyen selon lequel la condamnation devrait être annulée. Dans l'affaire Nagra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, le juge Muldoon a déclaré, relativement à l'annulation d'une condamnation au criminel dans le cadre d'un pourvoi devant la Cour suprême, que "le motif fondant la mesure d'expulsion en a été supprimé par suite de l'annulation des condamnations criminelles dont le requérant a fait l'objet". En fin de compte, le juge Muldoon a statué que la mesure d'expulsion n'avait aucun fondement valable et devait être annulée.
Dans l'affaire Kalicharan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration3, le juge Mahoney a examiné une mesure d'expulsion dont le fondement, une condamnation, avait été modifié par une libération sous condition accordée par la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Mahoney a fait droit à la demande en ces termes:
Selon mon interprétation des dispositions du Code criminel relatives à la substitution d'une libération sous condition à la sentence imposée par la Cour de première instance, la déclaration de culpabilité n'est pas infirmée; elle est réputée ne jamais avoir été prononcée. La décision de la Cour d'appel de l'Ontario ne constitue pas seulement une nouvelle preuve permettant à l'enquêteur spécial de rouvrir son enquête, ni un simple fait dont la Commission d'appel de l'immigration devra tenir compte si elle entend éventuellement un appel de la décision de l'enquêteur spécial. Au contraire, non seulement entraîne-t-elle la disparition de fait de la raison justifiant l'ordonnance d'expulsion, mais cette dernière est réputée ne jamais avoir existé en droit. Il convient donc en l'espèce d'émettre un bref de prohibition et l'ordonnance demandée sera rendue en conséquence.
Je souscris aux prétentions de l'intimé selon lesquelles il est possible d'établir une distinction entre ces deux affaires et l'espèce, étant donné que chacune d'elles se rapporte à la suppression d'une condamnation par d'autres moyens qu'une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Une telle réhabilitation ne produit pas le même effet, sur le plan juridique, que l'annulation par une cour d'appel d'une déclaration de culpabilité prononcée à l'issue d'un procès ou qu'une libération sous condition qu'une cour d'appel substitue à la sentence qui a été imposée. L'effet d'une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire n'est pas le même que si la déclaration de culpabilité était annulée en appel; son effet dépend de la Loi.
L'intimé allègue que les versions française et anglaise de l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire ne sont pas identiques. Selon lui, la Cour devrait appliquer la version plus restrictive, soit la version française. Selon le texte anglais de l'alinéa 5b), la réhabilitation efface la condamnation ("vacates the conviction in respect of which it is granted"); selon le texte français, elle efface les conséquences de la condamnation, et non la condamnation même. L'intimé soutient que la modification de la version française de l'article 5 des Lois révisées de 1985, par laquelle les mots "annule la condamnation" ont été remplacés par les mots "efface les conséquences de la condamnation", exprime l'intention du législateur de préserver l'existence de la condamnation tout en réduisant les effets néfastes qu'elle peut produire.
L'intimé prétend en outre que l'objet et le contexte de la Loi appuient la version française de l'article 5. En particulier, il affirme que si la condamnation était supprimée ou "effacée", en ce sens qu'elle serait alors censée ne jamais avoir existé, d'autres dispositions de la Loi seraient inutiles, par exemple le paragraphe 6(1), qui interdit la communication d'un dossier relatif à une condamnation visée par une réhabilitation, le paragraphe 6(2), qui prévoit que le dossier d'une condamnation visée par une réhabilitation est gardé à part des autres dossiers relatifs à des condamnations n'ayant pas fait l'objet d'une réhabilitation, l'article 7 [mod. par L.C. 1992, ch. 22, art. 7], qui prévoit la révocation d'une réhabilitation, et l'article 8 [mod., idem , art. 8], qui interdit aux organismes fédéraux de demander des renseignements sur une condamnation visée par une réhabilitation à un éventuel employé ou prestataire de services. Qui plus est, comme la réhabilitation est révocable, il faut, selon l'intimé, considérer que la condamnation sous-jacente continue d'exister, du moins en tant qu'événement historique.
Les arguments invoqués par l'intimé relativement aux différences entre le libellé des versions française et anglaise de l'article 5 me paraissent convaincants. Pour parvenir à cette conclusion, je prends note de l'analyse fondée sur l'interprétation des lois faite par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration)4. Dans cette affaire, après avoir examiné la jurisprudence et la doctrine, le juge Stone, qui a prononcé les motifs de la Cour, a conclu qu'il faut rapprocher les incompatibilités entre les versions française et anglaise d'une disposition en examinant le contexte législatif dans lequel l'incompatibilité s'inscrit et l'objet de la loi en question. En l'espèce, si le législateur avait voulu que la Loi efface la condamnation, en ce sens que la condamnation est censée ne jamais avoir existé, il n'aurait pas eu besoin de faire état des effets particuliers d'une condamnation visée par une réhabilitation, car tous les effets potentiels disparaîtraient si la réhabilitation effaçait la condamnation du dossier. En ce cas, la révocation d'une réhabilitation et le rétablissement du dossier de la condamnation n'auraient aucun fondement logique.
L'effet de l'octroi d'une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire a été examiné dans plusieurs affaires. Dans l'affaire Silver v. Silver5, le mari défendeur dans une instance en divorce a demandé la radiation des parties des actes de procédure précisant qu'il avait été incarcéré après avoir commis des voies de fait contre des femmes parce que la condamnation prononcée contre lui avait fait l'objet d'une réhabilitation. Statuant que les actes de procédure étaient admissibles, la Cour d'appel d'Alberta a déclaré que l'octroi d'une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire [S.R.C. 1970 (1er Supp.), ch. 12] ne fait pas disparaître les événements importants que le juge de première instance peut estimer pertinents dans le cadre de l'examen des circonstances du mariage.
Dans l'affaire J.C. v. British Columbia (Director of Child, Family and Community Service)6, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a été saisie de la question de savoir si un juge de la cour provinciale avait commis une erreur en autorisant le dépôt d'éléments de preuve sur les condamnations criminelles antérieures d'un prévenu qui avait fait l'objet d'une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Le juge de première instance avait statué que, dans le cas de l'octroi d'une réhabilitation qui "efface les conséquences de la condamnation", les circonstances ayant entraîné la condamnation peuvent, si elles sont pertinentes et par ailleurs admissibles, être soumises à la cour. Confirmant la décision du juge de première instance, la Cour d'appel a fait remarquer [au paragraphe. 31]:
[traduction] . . . la loi canadienne ne va pas jusqu'à présumer qu'une condamnation n'est pas une condamnation. En fait, le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle a, dans son rapport, expressément écarté la possibilité de rédiger la loi canadienne de cette manière: (voir A. M. Kirkpatrick, Significance of Criminal Records and Recognition of Rehabilitation (1970) 12 Can. J. Corr. 306).
Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Burgon7, le juge Linden, qui a prononcé les motifs majoritaires de la Cour d'appel fédérale, a parlé de l'effet d'une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire en ces termes: "en faisant la preuve de sa "bonne conduite", la personne déclarée coupable d'une infraction pouvait être lavée de toute souillure causée par la déclaration de culpabilité." La question en litige dans cette affaire était la portée d'une loi britannique similaire. Sur ce point, le juge Linden a déclaré que "[l]es Britanniques sont allés plus loin que le Canada: en plus de permettre l'absolution inconditionnelle et sous condition, on y a adopté [la disposition] qui prévoit que le contrevenant qui a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle il fait l'objet d'une ordonnance de probation [traduction ] "est réputé [ne pas] avoir été déclaré coupable", sauf à certaines fins techniques". J'infère de ce raisonnement que le juge Linden, J.C.A., était d'avis que la Loi sur le casier judiciaire ne présume pas que lorsqu'une réhabilitation est accordée, la condamnation est censée ne pas avoir existé. Malgré tout, il a ensuite observé:
J'estime qu'il faut supposer que lorsqu'il a adopté de nouveau la Loi sur l'immigration en 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52], le législateur fédéral connaissait ses propres textes de loi pénale antérieurs, qui permettaient d'effacer les déclarations de culpabilités criminelles du casier des personnes méritantes. En employant les termes "déclarées coupables" à l'alinéa 19(1)c ), le législateur visait donc une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été effacée en vertu de toute autre loi édictée par lui. Si une "déclaration de culpabilité" était effacée par application des dispositions d'une autre loi du législateur fédéral, ce dernier ne voulait pas qu'elle soit traitée de la même manière qu'une déclaration de culpabilité qui n'avait pas été supprimée du casier judiciaire d'une personne. S'il avait voulu que les termes "déclarés coupables" que l'on trouve dans la Loi sur l'immigration soient interprétés autrement, il aurait pu et aurait dû l'exprimer. Lorsqu'on interprète de cette manière l'alinéa 19(1)c), on réussit à concilier"et non à mettre en conflit"la Loi sur l'immigration et la législation criminelle canadienne. Les principes généraux du droit criminel sont intégrés dans la Loi sur l'immigration.
Dans l'affaire Lui c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)8, le juge Rothstein de cette Cour a eu l'occasion d'interpréter la portée de la Loi sur le casier judiciaire afin de décider s'il était possible d'affirmer qu'une loi similaire de Hong Kong, qui était litigieuse dans cette affaire, avait le même effet. Il a fait les remarques suivantes sur l'effet de la loi canadienne:
Les effets de la Loi sur le casier judiciaire sont, hormis de rares exceptions relatives à certaines dispositions du Code criminel, d'effacer les conséquences d'une condamnation suite à l'octroi d'une réhabilitation par la Commission nationale des libérations conditionnelles et de faire cesser toute incapacité que la condamnation pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale.
. . .
Bien que la réhabilitation soit susceptible d'être révoquée si la personne visée est condamnée pour une nouvelle infraction ou pour d'autres raisons, il semble que, hormis les quelques exceptions prévues au Code criminel que j'ai mentionnées, la réhabilitation, pour reprendre les paroles du juge Linden dans l'arrêt Burgon, a pour effet de laver la personne visée de "toute souillure causée par la déclaration de culpabilité".
Ces décisions m'amènent à conclure qu'on ne saurait affirmer que la Loi efface la condamnation, en ce sens que la condamnation est censée ne pas avoir existé. Bien que l'objet de la Loi sur le casier judiciaire soit d'empêcher tout autre désavantage d'origine législative qu'entraîne une condamnation visée par une réhabilitation en lavant la personne visée de la souillure causée par la condamnation et en limitant les utilisations qui peuvent être faites de la condamnation, on ne saurait affirmer que la condamnation n'a pas existé en raison de la réhabilitation.
À mon avis, comme la mesure d'expulsion a été prise avant l'octroi de la réhabilitation qui a effacé les conséquences de la condamnation ayant assujetti le requérant à l'alinéa 19(1)c), je ne saurais conclure que l'arbitre a commis une erreur en prenant la mesure en question. Cependant, il faut donner effet à la réhabilitation accordée le 8 novembre 1995 non pas rétroactivement, mais pour l'avenir, ainsi qu'il est prévu à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire.
Les mesures d'expulsion et d'exclusion et l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire
Les principaux moyens invoqués par le requérant sont que l'octroi de la réhabilitation a supprimé le fondement de la mesure d'expulsion et que la mesure d'exclusion, fondée sur l'existence de la mesure d'expulsion, est sans effet. J'en viens maintenant à la question de savoir si l'une de ces mesures constituait une "incapacité" au sens de l'alinéa 5b ) de la Loi sur le casier judiciaire. Je commence mon analyse par la mesure d'expulsion.
Il peut être utile de citer de nouveau le passage pertinent de l'article 5 dans lequel il est question de l'"incapacité" que fait cesser la réhabilitation accordée en vertu de cette disposition. En voici le libellé:
5. La réhabilitation a les effets suivants:
. . .
b) . . . elle efface les conséquences de la condamnation et, notamment, fait cesser toute incapacité"autre que celles imposées au titre des articles 100, 161 et 259 du Code criminel"que celle-ci pouvait entraîner aux termes d'une loi fédérale ou de ses règlements.
Le moyen que tire l'intimé de la décision Reference as to the effect of the Exercice by His Excellency the Governor General of the Royal Prerogative of Mercy upon Deportation Proceedings9, c'est-à-dire que la mesure d'expulsion n'est pas une conséquence constituant une incapacité au sens de l'alinéa 5b) parce que cette mesure a été prise dans le cadre d'un processus administratif distinct de la condamnation, ne me convainc pas. Dans ce renvoi, la Cour suprême a, pour répondre à la question qui lui avait été soumise, conclu que, conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration [S.R.C. 1927, ch. 93] alors en vigueur qui prévoyaient l'expulsion d'une personne autre qu'un citoyen canadien ou qu'une personne ayant un domicile au Canada qui avait été reconnue coupable d'une infraction criminelle au Canada, un détenu libéré par suite de l'exercice du droit de grâce pouvait quand même être expulsé. De plus, la Cour suprême a conclu dans cette affaire que les conséquences d'une procédure d'expulsion [traduction] "ne sont pas rattachées à l'infraction criminelle en tant que conséquence juridique de droit d'une déclaration de culpabilité", mais [traduction ] "découlent [plutôt] d'une procédure administrative entreprise à la discrétion du ministre à la tête du ministère de l'Immigration"10.
Ce renvoi ne concernait évidemment pas une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, ni l'interprétation des dispositions de cette Loi et de la Loi sur l'immigration en vigueur, et il n'est pas utile, selon moi, pour interpréter l'"incapacité" ou la "disqualification" prévue à l'alinéa 5b ).
Selon l'article 19 de la Loi sur l'immigration, plusieurs catégories de personnes ne sont pas admissibles au Canada, notamment les personnes déclarées coupables au Canada des infractions visées à l'alinéa 19(1)c). Lorsque le cas de telles personnes est signalé, un arbitre doit mener une enquête. Celui-ci n'a aucun pouvoir discrétionnaire: il doit prendre une mesure d'expulsion s'il constate que la personne visée appartient à cette catégorie de personnes non admissibles. J'insiste sur le fait qu'il n'a aucun pouvoir discrétionnaire lorsque le fait de la condamnation est établi, et qu'il n'a pas le pouvoir discrétionnaire de dispenser la personne visée de l'audition prévue lorsque celle-ci appartient à l'une des catégories non admissibles. Une personne par ailleurs libre de demeurer au Canada devient non admissible lorsqu'elle est déclarée coupable d'une infraction prévue à l'alinéa 19(1)c), et peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion une fois que ce fait est confirmé par un arbitre. À mon avis, cette non-admissibilité et la mesure d'expulsion qui en résulte constituent une "incapacité" ou une "disqualification", soit la perte du droit de demeurer au Canada, entraînée par la condamnation aux termes des dispositions d'une loi fédérale, soit la Loi sur l'immigration .
Le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (Oxford: Clarendon Press, 1993) définit le mot "disqualification" en ces termes:
[traduction] 1. Chose qui rend incapable; motif ou cause d'incapacité. 2. Action de rendre incapable; fait d'être privé de capacité ou état de la personne privée de capacité.
Le verbe "disqualify" y est ainsi défini:
[traduction] 1. Priver des qualités requises (pour une situation, un but, etc.); rendre inapte ou inhabile; empêcher par manque de capacité de faire. 2. Rendre légalement incapable; déclarer inhabile . . .
Le mot "incapacité" est notamment défini ainsi qu'il suit dans Le Petit Robert 1, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Montréal: Les Dictionnaires Robert-Canada S.C.C., 1987):
1E État de celui, de celle qui est incapable . . . 3E État d'une personne privée, par la loi, de la jouissance ou de l'exercice de certains droits . . .
Compte tenu de ces définitions, une classification fondée sur une déclaration de culpabilité visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration me paraît être une "incapacité" ou une "disqualification" en l'absence de laquelle aucune mesure d'expulsion n'aurait été prise en l'espèce.
Je suis conforté dans ma conclusion par l'analogie que je fais avec la décision Burgon11 dans laquelle le juge Linden s'est exprimé en ces termes:
Je suis conforté dans cette opinion par l'examen de l'historique législatif de l'alinéa 19(1)c), qui était très différent dans sa rédaction antérieure. L'alinéa 5d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, chap. I-2, interdisait à certaines catégories de "personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime . . ." [soulignement ajouté] d'entrer au Canada. S'il avait été repris dans la loi de 1976, ce libellé aurait probablement visé Mme Burgon, qui aurait été légitimement frappée d'exclusion, parce qu'elle avait "admis avoir commis un crime" [soulignement ajouté]. Cependant, dans la nouvelle loi de 1976 sur l'immigration, on a laissé tomber les mots soulignés et on a laissé seulement les mots clés "déclarés coupables". Cette disposition a maintenant un sens différent: il ne suffirait plus de plaider coupable pour tomber sous le coup de cet article. La réforme législative est intervenue après l'adoption des modifications qui ont été apportées au Code criminel et qui ont reçu la sanction royale le 15 juin 1972, prévoyant notamment l'absolution inconditionnelle ou sous condition à titre de mesure permise au Canada. Ainsi donc, on doit supposer que lorsqu'il a omis en 1976 les mots soulignés dans la Loi sur l'immigration et qu'il a laissé seulement les mots "déclarés coupables", le législateur fédéral connaissait la fiction juridique par laquelle on présume qu'un contrevenant n'a pas été déclaré coupable et, par conséquent, on doit supposer que le législateur fédéral voulait soustraire ces personnes à l'application de l'alinéa 19(1)c ) et rendre la Loi sur l'immigration compatible avec le Code criminel du Canada.
Je remarque également que les deux avocats ont reconnu que si la réhabilitation avait été accordée avant la tenue de l'enquête qui a donné lieu à la mesure d'expulsion, elle aurait permis d'enlever le requérant de la catégorie de personnes visée à l'alinéa 19(1)c) et il aurait alors été impossible de prendre une mesure d'expulsion fondée sur ce motif. Ce fait appuie clairement la conclusion que, dans les circonstances de l'espèce, les condamnations du requérant doivent être considérées comme la cause véritable de l'incapacité et de la mesure d'expulsion qui en est résulté. Autrement dit, n'eût été la condamnation sans réhabilitation, le requérant n'aurait pu faire l'objet d'une mesure d'expulsion.
En conséquence, il ne me paraît pas possible de convenir avec l'avocate de l'intimé que l'acte administratif nouveau qui a consisté à prendre la mesure d'expulsion rend cette mesure si éloignée de sa cause véritable qu'il ne saurait s'agir d'une incapacité résultant d'une condamnation au sens de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. L'accomplissement de cet acte administratif est uniquement dû à la condamnation.
À mon avis, bien que la mesure d'expulsion ait été valablement prise parce qu'elle est antérieure à la réhabilitation, après l'octroi de la réhabilitation en novembre 1995, l'incapacité du requérant fondée sur l'alinéa 19(1)c) de la Loi a été supprimée par l'application de l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. L'exécution subséquente de la mesure d'expulsion donnerait effet à une incapacité que cette dernière Loi a supprimée et, selon moi, contreviendrait à cette Loi.
L'intimé souligne que le requérant a été reconnu par l'arbitre comme une personne non admissible en vertu de deux dispositions, la deuxième étant l'alinéa 19(2)d), et soutient que si la Cour devait annuler la mesure d'expulsion en raison de la réhabilitation, le requérant serait dans une meilleure position qu'il ne devrait l'être, étant donné qu'aucune mesure d'exclusion n'a été prise relativement à l'alinéa 19(2)d). Il fait également valoir qu'il serait absurde d'annuler la mesure d'expulsion étant donné que, en cas de révocation ultérieure de la réhabilitation, il faudrait reprendre la procédure d'expulsion depuis le début. Je n'en suis pas convaincu.
Je ne suis pas disposé à sanctionner un acte administratif accompli par le ministre, en l'occurrence l'expulsion du requérant, qui, selon moi, contreviendrait à l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire. S'il existe d'autres motifs justifiant le renvoi du requérant du Canada, rien n'empêche le ministre de les invoquer. Par ailleurs, je suis d'avis que l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire n'aurait plus le moindre effet si la Cour devait convenir que, comme cette réhabilitation peut être révoquée, une incapacité interdite par l'article 5 est acceptable, une fois de plus par souci de commodité administrative supposée.
Il reste encore à savoir s'il est possible d'exécuter la mesure d'exclusion qui a été prise lorsque le requérant est revenu au Canada en novembre 1995. Eu égard, une fois de plus, à la définition du terme "incapacité" ("disqualification"), la mesure d'exclusion donne effet, selon moi, à une incapacité et, en l'espèce, cette incapacité est entièrement attribuable aux condamnations prononcées contre le requérant. C'est à cause de la Loi sur l'immigration que la condamnation prononcée contre le requérant fait en sorte qu'il n'est pas admissible et qu'il est visé par une mesure d'expulsion, et qu'il devait obtenir l'autorisation du ministre pour entrer au Canada après avoir quitté le pays.
Selon l'avocate de l'intimé, comme la mesure d'exclusion est fondée sur une mesure d'expulsion et comme les fonctionnaires de l'Immigration qui l'ont prise n'avaient aucune raison de mettre en doute la validité de la mesure d'expulsion, la mesure d'exclusion est un acte indépendant, qui n'a rien à voir avec la condamnation du requérant visée par la réhabilitation. Il est toutefois indubitable, en l'espèce, que n'eût été les condamnations, il n'y aurait pas de mesure d'expulsion, et que n'eût été la mesure d'expulsion, il n'y aurait pas de mesure d'exclusion.
À mon avis, la question de savoir s'il existe un lien suffisant entre les condamnations et la mesure d'exclusion dépend, comme dans le cas de la mesure d'expulsion, de la mesure dans laquelle on peut considérer que la mesure d'exclusion découle de la condamnation initiale. Aux termes de l'article 55 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 45] de la Loi, la personne qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion et qui quitte le Canada ou en est renvoyée ne peut revenir au Canada sans le consentement écrit du ministre, à moins que l'appel de la mesure d'expulsion ne soit accueilli. Aux termes de l'alinéa 19(1)i) de la Loi, n'est pas admise à entrer au Canada la personne qui doit obtenir l'autorisation ministérielle requise par l'article 55 et qui ne l'obtient pas. En vertu de l'article 20 [mod., idem, art. 12], l'agent d'immigration qui estime que le fait d'admettre ou de laisser entrer une personne au Canada contreviendrait à la Loi doit signaler le cas à l'agent d'immigration principal, à moins que cette personne ne quitte volontairement le pays. En vertu du paragraphe 23(4), l'agent principal doit autoriser la personne dont le cas a été signalé à quitter le Canada ou doit prendre une mesure d'exclusion si la personne tombe sous le coup de l'alinéa 19(1)i), les différentes options possibles ne s'appliquant que si la personne prétend être un réfugié au sens de la Convention ou appartient à d'autres catégories non admissibles que celles qui sont mentionnées au paragraphe 19(1).
Pour cette raison, j'estime que dès que la mesure d'expulsion a été prise contre le requérant, celui-ci s'exposait automatiquement à une mesure d'exclusion s'il quittait le Canada et cherchait par la suite à y revenir sans autorisation ministérielle. Par conséquent, la mesure d'exclusion ne me paraît pas si éloignée de la condamnation qu'il faille considérer que l'incapacité qu'elle entraîne ne découle pas directement de cette condamnation. Pour ce motif, il est impossible d'exécuter la mesure d'exclusion sans contrevenir à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire.
Il convient de faire une dernière remarque au sujet de la mesure d'exclusion. Cette mesure a été prise après que les condamnations prononcées contre le requérant eurent fait l'objet d'une réhabilitation, encore que le fonctionnaire visé et, selon toute vraisemblance, le requérant ignoraient à ce moment-là l'octroi de la réhabilitation. Il importe peu qu'ils n'en aient rien su, si mon interprétation de la Loi sur le casier judiciaire est exacte, à savoir que la réhabilitation, une fois accordée, faisait cesser l'incapacité entraînée par la condamnation prononcée contre le requérant. Le 8 novembre 1995, le requérant a cessé d'être une personne appartenant à la catégorie non admissible prévue à l'alinéa 19(1)c), son incapacité de rester au Canada a été supprimée et la mesure d'expulsion non exécutée est devenue inexécutable. Le jour où le requérant est revenu au Canada, soit le 14 novembre, il n'y avait aucune mesure d'expulsion exécutoire, de sorte que la mesure d'exclusion a été prise par erreur car elle reposait sur des prémisses qui n'étaient plus valables.
La forme de la réparation
Ainsi qu'il est mentionné plus haut, il a été question au cours des plaidoiries de la réparation que pourrait obtenir le requérant en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. L'avocat du requérant a soutenu que la Cour devrait interdire le renvoi de son client. L'avocate de l'intimé a fait remarquer, à juste titre, que dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'il a déposée dans les deux dossiers, le requérant se bornait à demander comme réparation un jugement déclaratoire et une ordonnance de certiorari, et seule l'ordonnance de certiorari est expressément demandée dans le cadre du contrôle judiciaire.
Selon moi, la mesure d'expulsion, reconnue comme valide lorsqu'elle a été prise, ne peut pas être annulée par voie d'ordonnance de certiorari. Aucun des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) pour obtenir pareille réparation n'a été prouvé en l'espèce. Par contre, la mesure d'exclusion a été prise après l'octroi de la réhabilitation, qui a fait cesser l'incapacité d'origine législative découlant de l'alinéa 19(1)c) et, partant, a supprimé le fondement de l'exécution de la mesure d'expulsion. À mon sens, cette mesure a été prise par erreur, sur la base de suppositions factuelles qui n'étaient plus valables, et elle est annulée à bon droit au moyen d'une ordonnance de certiorari. Je fais remarquer que si cette conclusion se révélait incorrecte, il est également question de la mesure d'exclusion dans la brève analyse qui suit concernant le jugement déclaratoire.
À mon avis, le jugement déclaratoire est la réparation la plus indiquée en ce qui concerne la mesure d'expulsion. Je remarque que, bien que cette réparation n'ait pas été débattue à fond au cours des plaidoiries, elle est demandée, encore qu'en passant, dans les deux requêtes introductives d'instances déposées par le requérant. Il est mentionné dans ces requêtes que chaque demande est une demande dans laquelle [traduction] "le requérant demande à la Cour l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir un jugement déclaratoire et une ordonnance de certiorari". Dans l'arrêt LeBar c. Canada12 , le juge MacGuigan, qui a prononcé les motifs de la Cour d'appel fédérale, a fait les remarques suivantes sur le jugement déclaratoire:
Le jugement déclaratoire se distingue des autres ordonnances judiciaires car il indique quel est le droit sans prononcer aucune sanction contre le défendeur, mais la question qui est tranchée par le jugement déclaratoire acquiert manifestement l'autorité de la chose jugée entre les parties et ledit jugement devient un précédent ayant force obligatoire.
. . .
. . . le jugement déclaratoire constitue un instrument permettant tout particulièrement de statuer à l'égard des organismes "ayant des responsabilités publiques" parce qu'on peut supposer que, sans coercition, ils respecteront le droit tel qu'il a été déclaré par les tribunaux. On ne doit donc pas considérer que l'incapacité du jugement déclaratoire de prévoir, sans plus, un processus d'exécution rend insuffisantes les actions en jugement déclaratoire formées contre le gouvernement.
. . .
Tout insaisissable qu'elle puisse être, la notion de primauté du droit doit de toutes façons vouloir dire que "la loi est suprême" et que les autorités gouvernementales n'ont pas la faculté de ne pas lui obéir. Il serait impensable, sous le régime de la primauté du droit, de supposer qu'il faille un processus d'exécution pour s'assurer que le gouvernement et ses fonctionnaires vont s'acquitter fidèlement des obligations que leur impose la loi. Que le gouvernement doit obéir et obéira à la loi est un principe fondamental de notre Constitution.
Dans l'affaire Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc.13, le juge Joyal a statué que la Règle 1723 autorise la Cour à rendre un jugement déclaratoire purement et simplement pour autant que les conditions énoncées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bande indienne de Montana c. Canada14 sont respectées: la question en litige soulevée est réelle et non théorique, la personne qui la soulève a un intérêt réel à le faire et il y a un adversaire, c'est-à-dire quelqu'un qui a un intérêt véritable à s'opposer au jugement déclaratoire demandé. À mon avis, toutes ces conditions sont réunies en l'espèce. Elles sont réunies en ce qui concerne tant la mesure d'expulsion contestée dans le dossier IMM-3331-96 que la mesure d'exclusion contestée dans le dossier IMM-3333-96. En effet, chacune de ces mesures peut, en pratique, faire l'objet d'un jugement déclaratoire approprié.
Les ordonnances qui sont rendues en l'espèce font droit en partie aux demandes qui ont été présentées et contiennent chacune un jugement déclaratoire portant que l'exécution de la mesure contestée reviendrait à donner effet à une incapacité contrairement à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire. Il me semble que c'est la réparation indiquée dans le cas de la mesure d'expulsion dont il est question dans le dossier IMM-3331-96. Si la Cour d'appel considère que l'ordonnance de certiorari n'est pas la réparation indiquée dans le cas de la mesure d'exclusion dont il est question dans le dossier IMM-3333-96, alors, subsidiairement la mesure d'exclusion est traitée de la même façon que la mesure d'expulsion, c'est-à-dire que son exécution revient à donner effet à une incapacité contrairement à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire.
J'en viens maintenant à la question des ordonnances d'interdiction. J'ai fait remarquer que, dans les observations qu'il a faites dans ses exposés des faits et du droit, l'avocat du requérant demande des ordonnances d'interdiction, mais ne les a pas demandées dans ses requêtes introductives d'instances. Ainsi que l'intimé l'a fait observer, l'alinéa 1602(2)c) des Règles de la Cour fédérale prévoit que l'avis de requête introductive d'instance en contrôle judiciaire doit indiquer "avec précision, le redressement recherché". De même, l'alinéa 5(1)e ) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration prévoit que la demande d'autorisation doit indiquer le redressement expressément recherché si l'autorisation est accordée. Il est possible d'inclure une "clause omnibus" demandant toute autre réparation que la Cour peut estimer juste, et, dans l'arrêt Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada15 , les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont statué qu'une telle clause peut permettre à la Cour fédérale d'accorder une réparation que le requérant n'a pas expressément demandée dans son avis de requête, pour autant que l'intimé ne subisse pas un préjudice. En particulier, la Cour suprême a statué que la Cour d'appel fédérale avait compétence pour prononcer un jugement déclaratoire, même si l'intimé avait uniquement demandé une ordonnance d'interdiction dans l'instance introduite devant la Section de première instance. Le juge Sopinka, qui a prononcé les motifs de la majorité, s'est exprimé en ces termes après avoir mentionné l'existence d'une clause omnibus dans cette affaire:
. . . je remarque que l'art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, qui est entré en vigueur le 1er février 1992, prescrit désormais une procédure uniforme de demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir les redressements prévus à l'art. 18. Dans l'ouvrage intitulé Federal Court Practice 1994, David Sgayias et ses coauteurs déclarent ceci, à la p. 88, au sujet de l'effet de l'art. 18.1:
[traduction] L'article énonce expressément les conditions requises, les motifs de contrôle et les pouvoirs de la cour relativement aux demandes de contrôle judiciaire. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de mentionner expressément les recours extraordinaires ou par voie de bref de prérogative au moment de présenter une demande de contrôle judiciaire. [Souligné dans l'original.]
En l'espèce, les avis de requêtes introductives d'instances ne contiennent aucune clause omnibus. Toutefois, le requérant soutient qu'il a demandé à plusieurs reprises le prononcé d'ordonnances d'interdiction dans les observations qu'il a faites dans les deux dossiers, de sorte que l'intimé a reçu un avis suffisant du fait que pareille réparation serait demandée à la Cour. Le requérant invoque la décision rendue par ma collègue Mme le juge Reed dans l'affaire Adjei et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration16. Dans cette affaire, les requérants demandaient le nouvel examen d'une ordonnance par laquelle le juge Reed leur avait refusé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. L'un des moyens invoqués par les requérants au cours des débats sur le nouvel examen, soit la Règle 1733, n'avait pas été indiqué dans l'avis de requête. La question en litige consistait à savoir si ce moyen pouvait être invoqué. Mme le juge Reed a conclu qu'il pouvait l'être. Voici ce qu'elle a écrit:
Même si cet argument n'est pas énoncé dans l'avis de requête, en date du 29 novembre 1993, le procureur de l'intimé savait que les requérants avaient l'intention de demander que la requête soit modifiée afin de pouvoir me présenter une argumentation sur ce point. Autoriser une telle procédure n'entraîne aucun préjudice et j'ai donc décidé d'examiner les deux motifs de la requête, même si techniquement le deuxième a été introduit sans que la documentation écrite appropriée n'ait été déposée.
Par analogie, le requérant en l'espèce soutient que le défaut de demander une réparation précise ou d'inclure une clause omnibus dans les avis de requêtes introductives d'instances n'empêche pas la Cour d'accorder une réparation puisque, comme c'est le cas en l'espèce, l'intimé avait été avisé que cette réparation serait demandée.
À mon sens, il serait incompatible avec les modifications apportées aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en 1992 [S.C. 1990, ch. 8, art. 4 et 5], et avec l'essentiel du passage précité de l'arrêt Assoc. des femmes autochtones de la Cour suprême, de ne pas accorder la réparation que le requérant pourrait autrement obtenir si son avocat avait inclus une clause omnibus type dans la demande de réparation contenue dans la demande d'autorisation. À mon avis, dans les circonstances de l'espèce, la Cour peut, en vertu de l'article 18.1, accorder la réparation qu'elle estime juste et équitable, en particulier si la réparation se rapporte à des mesures jugées contraires à la loi. En l'espèce, selon moi, le défaut du requérant de préciser qu'il désirait obtenir des ordonnances d'interdiction dans les demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire n'a pas causé de préjudice à l'intimé, si tant est que cette réparation soit indiquée.
Néanmoins, même si le défaut du requérant d'indiquer dans ses requêtes introductives d'instances qu'il sollicite des ordonnances d'interdiction n'empêche pas le prononcé de telles ordonnances, je suis d'avis que, comme dans le cas du certiorari, la preuve n'a pas été faite qu'il convient en l'espèce de prononcer des ordonnances d'interdiction en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Il existe des décisions à l'appui du principe voulant qu'une ordonnance d'interdiction ne puisse être rendue que pour empêcher un excès de pouvoir ou l'exercice déraisonnable d'un pouvoir par un organisme administratif17, et cette réparation ne doit pas être confondue avec une suspension ou une injonction18. Je n'ignore pas qu'il existe une décision, soit l'affaire Kalicharan19, dans laquelle la Cour a rendu une ordonnance interdisant l'exécution d'une mesure d'expulsion. Toutefois, il ressort des faits de cette affaire que le fondement de la mesure d'expulsion était réputé ne jamais avoir existé, de sorte que le ministre n'avait pas, selon moi, compétence pour donner suite à la mesure. Vu cette circonstance, l'ordonnance d'interdiction était une réparation indiquée dans cette affaire. Peut-être qu'une injonction conviendrait mieux en l'espèce pour ce qui est de la mesure d'expulsion20, mais cette réparation n'a été ni demandée ni débattue.
Enfin, même si le prononcé d'ordonnances d'interdiction pouvait par ailleurs être justifié, si je comprends bien les circonstances de l'espèce, l'intimé a décidé que la mesure d'expulsion et la mesure d'exclusion non exécutées qui ont été prises contre le requérant ne seront pas exécutées tant que la Cour n'aura pas statué sur les questions soulevées dans les deux demandes. Comme l'exécution de ces mesures n'est pas envisagée dans l'immédiat, il est inutile à ce stade-ci d'accorder une ordonnance d'interdiction, une injonction ou une suspension.
Conclusion
Voici le résumé de mes conclusions. Je conclus que la mesure d'expulsion dans le dossier IMM-3331-96 a été valablement prise, et la Cour refuse de l'annuler. Toutefois, la mesure d'exclusion dans le dossier IMM-3333-96 découle d'une incapacité entraînée par une condamnation visée par une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. La réhabilitation avait fait cesser cette incapacité avant que la mesure d'exclusion ne soit prise. La Cour rend une ordonnance portant annulation de cette mesure d'exclusion.
Par ailleurs, la Cour rend, dans chaque dossier, un jugement déclaratoire portant que l'exécution de la mesure d'expulsion et de la mesure d'exclusion donnerait effet à une incapacité qui frappait le requérant du fait de sa condamnation mais que la réhabilitation accordée le 8 novembre 1995 avait fait cesser, et que l'exécution de ces ordonnances contreviendrait à l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire.
Le requérant et l'intimé ont demandé à la Cour de certifier, en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73], plusieurs questions graves de portée générale en vue d'un examen par la Cour d'appel. Les questions proposées sont les suivantes dans le dossier IMM-3331-96:
[traduction]
1. Une réhabilitation accordée en vertu de l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire produit-elle un effet rétroactif en annulant la condamnation et en présumant qu'elle n'a jamais été prononcée, supprimant de ce fait le fondement d'une mesure de renvoi valablement prise?
2. Une mesure de renvoi est-elle une incapacité entraînée par la condamnation, ainsi qu'on l'entend à l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire?
3. Si la personne visée par une enquête menée à un "point d'entrée" en vertu de la Loi sur l'immigration afin de déterminer son admissibilité au Canada (c.-à-d. que la personne sollicite l'admission au Canada) est considérée comme une personne non admissible visée à l'alinéa 19(2)d) et à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, l'arbitre est-il tenu de prendre une mesure d'exclusion (relativement à la conclusion de non-admissibilité fondée sur l'alinéa 19(2)d)) et une mesure d'expulsion (relativement à la conclusion de non-admissibilité fondée sur l'alinéa 19(1)c)), ou est-il tenu, en vertu du paragraphe 32(5) de la Loi sur l'immigration, de ne prendre qu'une mesure d'expulsion?
et les suivantes dans le dossier IMM-3333-96:
[traduction] Si une personne est tenue d'obtenir l'autorisation du ministre pour venir au Canada parce qu'elle est visée par une mesure d'expulsion et qu'elle a par ailleurs quitté le Canada (ainsi qu'il est prévu à l'article 55 de la Loi sur l'immigration), et si cette personne s'est vu accorder une réhabilitation en vertu de l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire relativement à des condamnations sur lesquelles la mesure d'expulsion repose, et si un décideur prend une mesure d'exclusion en vertu de l'alinéa 19(1)i) de la Loi sur l'immigration contre la personne sans être au courant de la réhabilitation, l'octroi de la réhabilitation constitue-t-il un motif permettant d'annuler la mesure d'exclusion, de la déclarer invalide ou d'en interdire l'exécution à l'avenir?
Le requérant a proposé une autre question, à laquelle s'est opposé l'intimé:
[traduction] La Cour peut-elle rendre une ordonnance d'interdiction si cette réparation n'est pas indiquée dans une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire?
Je ne certifie pas les questions qui ont été proposées.
Il est possible d'exprimer correctement l'essentiel des questions posées, dans la mesure des conclusions auxquelles je suis parvenu, en termes un peu plus généraux. Par conséquent, en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, je certifie les questions suivantes dans les ordonnances rendues en l'espèce:
(i) Quel est l'effet de l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire sur une mesure d'expulsion non exécutée qui a été prise avant l'octroi d'une réhabilitation en vertu de cette Loi à l'encontre d'une personne visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration en raison d'une condamnation, lorsque cette condamnation a fait l'objet d'une réhabilitation après la prise de la mesure d'expulsion?
(ii) Quel est l'effet de l'article 5 de la Loi sur le casier judiciaire sur une mesure d'exclusion qui a été prise après l'octroi d'une réhabilitation en vertu de cette Loi à l'encontre d'une personne visée à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration en raison d'une condamnation, lorsque cette condamnation a fait l'objet d'une réhabilitation après qu'une mesure d'expulsion a été prise parce que cette personne était visée à l'alinéa 19(1)c) et avant la prise de la mesure d'exclusion?
(iii) L'exécution de la mesure d'expulsion ou de la mesure d'exclusion dans les circonstances de l'espèce donne-t-elle effet à une incapacité au sens où ce mot est employé à l'alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire?
(iv) Dans le contexte des présentes demandes, si le requérant a droit à une réparation, un jugement déclaratoire est-il une forme de réparation appropriée?
L'original des présents motifs doit être déposé dans le dossier IMM-3331-96 et une copie de l'original doit être déposée dans le dossier IMM-3333-96.
1 En résumé, les catégories de personnes non admissibles jugées pertinentes dans le cas du requérant, telles qu'elles ont été constatées et signalées par l'arbitre, sont visées par les dispositions suivantes:
alinéa 19(1)c)"personnes qui ont été déclarées coupables au Canada d'une infraction qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans
alinéa 19(2)d)"personnes qui cherchent à entrer au Canada sans visa, au besoin
et telles qu'elles ont par la suite été constatées et signalées par l'agent principal, sont visées par les dispositions suivantes:
alinéa 19(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11]"personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles n'ont pas la capacité de subvenir à leurs besoins ainsi qu'à ceux des personnes à leur charge
alinéa 19(1)i)"personnes cherchant à entrer au Canada sans avoir obtenu l'autorisation du ministre (dont toutes les personnes contre lesquelles une mesure d'expulsion a été prise).
2 [1996] 1 C.F. 497 (1re inst.), à la p. 514.
3 [1976] 2 C.F. 123 (1re inst.), aux p. 125 et 126.
4 [1998] 2 C.F. 303 (C.A.).
5 (1980), 22 A.R. 235 (C.A.).
6 [1997] B.C.J. no 2223 (C.S.C.-B.) (QL).
7 [1991] 3 C.F. 44 (C.A.), aux p. 59 à 61.
8 [1997] A.C.F. no 1029 (1re inst.) (QL), aux par. 6 et 7.
9 [1933] R.C.S. 269.
10 Id., à la p. 278.
11 Supra, note 7, à la p. 61.
12 [1989] 1 C.F. 603 (C.A.), aux p. 610 et 611.
13 (1993), 74 F.T.R. 185 (C.F. 1re inst.).
14 [1991] 2 C.F. 30 (C.A.).
15 [1994] 3 R.C.S. 627, à la p. 648.
16 (1994), 74 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.), à la p. 58.
17 Voir Bauer c. La Reine (Commission de l'immigration du Canada), [1984] 2 C.F. 455 (1re inst.) et les affaires qui y sont mentionnées.
18 Voir Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Tsakiris, [1977] 2 C.F. 236 (C.A.); Reece c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 C.F. 743 (1re inst.).
19 Supra, note 3.
20 Voir In Re Gittens, [1983] 1 C.F. 152 (1re inst.); Arduengo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 468 (1re inst.).