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A-815-95

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

O'Neill Motors Limited (intimée)

Répertorié: Canadac. O'Neill Motors Ltd. (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, J.C.A., Denault, J.C.A. (de droit) et Linden, J.C.A."St. John's, 10 et 11 juin 1998.

Impôt sur le revenu Nouvelle cotisation Le MRN, muni d'un mandat décerné en vertu de l'art. 231.3 de la L.I.R., a saisi des documents du contribuableEn se fondant sur les renseignements ainsi obtenus, le ministre a établi de nouvelles cotisationsLa C.A.F. ayant déclaré l'art. 231.3 inopérant parce qu'inconstitutionnel, le contribuable a demandé à la Cour suprême de Terre-Neuve que les documents lui soient remisSur une demande d'autorisation de saisir les documents en vertu de l'art. 487 du Code criminel, les représentants de l'État ont omis de divulguer au juge de paix des faits pertinentsLe juge de paix a décerné le mandatDes poursuites ont été engagées contre le contribuable en vertu de l'art. 239 de la LoiVu le recours abusif aux procédures et la violation des droits garantis par la Charte, il a été acquittéLa C.C.I. a décidé que l'annulation des cotisations constituait une réparation convenable et juste aux termes de l'art. 24(1) de la CharteLe MRN a soutenu que, lorsque des éléments de preuve ont été obtenus d'une manière qui porte atteinte aux droits garantis par la Charte, la seule réparation susceptible d'être accordée est l'exclusion de cette preuveLe juge de la C.C.I. pouvait tenir compte des deux saisies illégales en examinant quelle réparation il convenait d'accorderIl n'a pas eu tort d'utiliser des mots durs pour décrire la conduite des mandataires de la CouronneIl a eu raison de décider que la réparation qu'offrait l'exclusion de la preuve n'était pas suffisante en l'espèceL'art. 24(1) confère à la Cour le pouvoir général d'accorder la réparation qu'elle estimeconvenable et juste— — La mesure de redressement extrême accordée en l'espèce doit être réservée aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes.

Droit constitutionnel Charte des droits Recours Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a eu raison d'annuler, en vertu de l'art. 24 de la Charte, les nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu, parce que certains éléments de preuve ont été obtenus en violation de l'art. 8 de la CharteSans la preuve qu'il a initialement obtenue illégalement et qui a fait l'objet d'une nouvelle saisie irrégulière, il est improbable que le ministre aurait pu s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait aux termes de la LoiL'art. 24 confère à la Cour le pouvoir d'accorder la réparation qu'elle estimeconvenable et juste eu égard aux circonstances.

En vertu d'un mandat obtenu sous le régime de l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (L.I.R.), des documents du contribuable ont été saisis. Par la suite, la Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688, que cette disposition était inconstitutionnelle. Quand le contribuable a demandé à la Cour suprême de Terre-Neuve que les documents lui soient remis, les représentants de l'État ont demandé à un juge de paix un autre mandat autorisant la saisie en vertu de l'article 487 du Code criminel (en fait, il s'agissait d'une nouvelle saisie). Le représentant a omis d'informer le juge de paix que le contribuable avait demandé que les documents lui soient remis et que la Couronne avait sollicité l'autorisation d'en appeler de la décision Baron à la Cour suprême du Canada. Ignorant ces faits importants, le juge de paix a décerné le mandat. Des poursuites ont été engagées contre le contribuable en vertu de l'article 239 de la L.I.R. Vu l'inconstitutionnalité de la première saisie et les circonstances dans lesquelles la nouvelle saisie avait été effectuée, le contribuable a été acquitté, parce qu'il y avait eu recours abusif aux procédures et violation des droits garantis au contribuable par les articles 7 et 8 de la Charte. La Cour canadienne de l'impôt a été saisie de la question de savoir s'il était convenable et juste, eu égard aux circonstances, que les cotisations soient annulées en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a décidé que l'annulation des cotisations constituait une réparation "convenable et juste" aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte. C'est sur cette décision que porte l'appel. La Cour ne peut s'autoriser d'aucun précédent puisque l'annulation d'une nouvelle cotisation en vertu de l'article 24 de la Charte n'a encore jamais été accordée.

Le ministre a soutenu que le caractère illégal de la nouvelle saisie n'était pas pertinent et que, lorsqu'elle a été initialement effectuée, la première saisie l'a été de bonne foi, car l'article 231.3 de la Loi n'avait pas encore été jugé inconstitutionnel. Citant l'arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, il a également soutenu que, lorsque des éléments de preuve ont été obtenus d'une manière qui porte atteinte aux droits garantis par la Charte, la seule réparation susceptible d'être accordée est l'exclusion de cette preuve en vertu du paragraphe 24(2).

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Le juge Linden, J.C.A.: Les éléments de preuve obtenus en violation des droits garantis au contribuable par la Charte étaient essentiels pour parvenir à obtenir l'exécution de ces nouvelles cotisations. Sans la preuve qu'il a obtenue illégalement, il est improbable que le ministre aurait pu s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait aux termes de la Loi. Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l'impôt était en droit de tenir compte des deux saisies illégales en examinant quelle réparation il convenait d'accorder. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt n'a pas eu tort d'utiliser des mots durs (notamment "violation flagrante et inacceptable des droits de l'appelant") pour décrire la conduite des mandataires de la Couronne qui ont effectué la première et la nouvelle saisie illégales du matériel du contribuable.

L'arrêt R. c. Therens ne permet pas d'affirmer que l'article 24 de la Charte interdit d'accorder une réparation autre que l'exclusion de la preuve, lorsque celle-ci est obtenue de façon inconstitutionnelle. Le paragraphe 24(2) ne retire pas à la Cour le pouvoir général que lui confère le paragraphe 24(1) d'accorder la réparation qu'elle estime "convenable et juste".

Il y a lieu de souscrire aux propos du juge de la Cour canadienne de l'impôt selon lesquels ce genre de mesure de redressement extrême doit être réservé aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8, 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231.3 (mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 121).

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(4)a), 173, 231.3.

jurisprudence

décisions examinées:

R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18 D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta. L.R. (2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 13 C.P.R. 193; 45 C.R. (3d) 57; 32 M.V.R. 153; 59 N.R. 122; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276.

décisions citées:

Baron c. Canada, [1991] 1 C.F. 688; [1991] 1 C.T.C. 125; (1991), 91 DTC 5055; 122 N.R. 47 (C.A.); R. v. Zborovsky, [1997] O.J. no 1568 (C.A.) (QL).

APPEL d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (O'Neill Motors Ltd. c. La Reine, [1996] 1 C.T.C. 2714; (1995), 96 DTC 1486 (C.C.I.)) annulant les nouvelles cotisations établies contre l'intimée, parce que certains éléments de preuve ont été obtenus en violation de l'article 8 de la Charte et parce que l'article 24 de la Charte permet une telle réparation. Appel rejeté.

avocats:

Bruce S. Russell pour l'appelante.

J. David Eaton pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

Chalker, Green & Rowe, St. John's, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.: Le présent appel vise à décider si le juge de la Cour canadienne de l'impôt [[1996] 1 C.T.C. 2714] a eu raison d'annuler les nouvelles cotisations établies en 1989 contre l'intimée, pour les années 1982, 1983, 1984 et 1985, parce que certains éléments de preuve ont été obtenus en violation de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et parce que l'article 24 de la Charte permet une telle réparation. La Cour ne peut s'autoriser d'aucun précédent puisque l'annulation d'une nouvelle cotisation en vertu de l'article 24 n'a encore jamais été accordée.

Les faits, sur lesquels les parties se sont entendues, sont assez compliqués, mais le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, les a clairement résumés dans les motifs de jugement qu'il a prononcés le 9 novembre 1995. Il s'est exprimé ainsi:

Les représentants du ministère du Revenu national, agissant en vertu d'un mandat obtenu sous le régime de l'article 231.3 de la Loi, ont cherché et saisi des documents qui étaient en la possession de l'appelante. En se fondant sur les renseignements contenus dans les documents ainsi obtenus, le ministre a fixé l'impôt, les intérêts et les pénalités exigés de l'appelante. Après que les documents eurent été saisis et les cotisations établies, la Cour d'appel fédérale a statué, dans l'arrêt Baron v. R. (sub nom. Baron c. Canada), [1991] 1 C.T.C. 125, 91 DTC 5056 (C.A.F.), que l'article 231.3 était inconstitutionnel et elle a déclaré cette disposition inopérante. Par conséquent, la saisie n'était pas justifiée et violait les droits garantis à l'appelante par la Charte et elle était donc illégale. La Couronne a sollicité l'autorisation d'en appeler de la décision Baron à la Cour suprême du Canada. L'appelante a demandé à la Cour suprême de Terre-Neuve que les documents lui soient remis. Les représentants du ministère du Revenu, plutôt que de remettre les documents, ont demandé à un juge de paix un autre mandat autorisant la saisie en vertu de l'article 487 du Code criminel (en fait, il s'agissait d'une nouvelle saisie mais, puisque le ministre avait encore les documents en sa possession, il s'agissait d'une saisie théorique). Dans la demande, le représentant a omis d'informer le juge de paix que l'appelante avait demandé à la Cour suprême de Terre-Neuve que les documents lui soient remis ou que la Couronne sollicitait l'autorisation d'en appeler de la décision Baron à la Cour suprême du Canada. Le juge de paix a décerné le mandat. Des poursuites ont été engagées contre l'appelante en vertu de l'article 239 de la Loi. Lors de l'instruction qui a eu lieu devant le juge Baker, l'appelante a soutenu que la saisie effectuée en vertu de l'article 231.3 de la Loi était illégale; elle a affirmé que, compte tenu des circonstances dans lesquelles la nouvelle saisie avait été effectuée en vertu de l'article 487 du Code criminel, il y avait recours abusif aux procédures et violation des droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte et que les documents devraient être écartés. Le juge Baker a souscrit à cet avis; il a écarté les documents de la preuve et a acquitté l'appellante1.

Sur le fondement de ces faits, la Cour canadienne de l'impôt a été saisie de la question suivante aux termes de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu2:

Est-il convenable et juste, eu égard aux circonstances, que les cotisations d'impôts pertinentes à cette référence soient annulées en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?

L'article 24 de la Charte est ainsi rédigé:

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

L'article 8 de la Charte prévoit:

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a décidé que l'annulation des cotisations établies par le ministre du Revenu national constituait une réparation "convenable et juste" aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés . Il s'agit de décider, dans le présent appel, s'il a eu raison d'agir de la sorte. Je suis d'avis que, eu égard aux circonstances de l'espèce, c'est à bon droit que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a annulé les cotisations, et ce, pour les motifs suivants.

L'appelante soutient que le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, a commis une erreur parce que l'annulation des cotisations n'était pas une réparation qu'il avait le pouvoir d'accorder. Elle soutient que, lorsqu'il a été initialement saisi, le matériel semblait avoir été obtenu d'une manière constitutionnelle. Ce n'est qu'après cette première saisie, effectuée de bonne foi, que cette Cour, dans l'affaire Baron c. Canada3, a jugé inconstitutionnelle la disposition habilitante, soit l'article 231.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (mod. par S.C. 1986, ch. 6, art. 121]. Selon l'appelante, la nouvelle saisie effectuée ultérieurement sous le régime de l'article 487 [mod. par L.R.C. (1985), (1er suppl.), ch. 27, art. 68] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], qui est illégale parce qu'effectuée dans le cadre d'un mandat obtenu en omettant de divulguer certains faits importants, ne concerne aucunement la qualité de la saisie initiale. Selon le ministère public, c'est la saisie initiale qui forme la base de la nouvelle cotisation, ce qui empêche d'invoquer le caractère illégal de la nouvelle saisie, qui visait seulement des poursuites criminelles, pour contester la nouvelle cotisation. Citant l'arrêt R. c. Therens et autres4, l'appelante soutient également que, lorsque des éléments de preuve ont été obtenus d'une manière qui porte atteinte aux droits garantis par la Charte, la seule réparation susceptible d'être accordée est l'exclusion de cette preuve d'une instance, comme le prévoit le paragraphe 24(2). Par conséquent, selon le ministère public, le juge de la Cour canadienne de l'impôt a outrepassé sa compétence en accordant une telle réparation.

Ces arguments ne parviennent pas à me convaincre. Il est faux de prétendre que les éléments de preuve obtenus en violation des droits garantis au contribuable par la Charte ne sont pas pertinents par rapport aux nouvelles cotisations; au contraire, ces éléments de preuve sont essentiels pour parvenir à obtenir l'exécution de ces nouvelles cotisations. Le ministre peut établir une nouvelle cotisation de l'impôt payable par un contribuable en tout temps dans un délai de trois ans suivant la première cotisation. Passé ce délai, il ne peut établir de nouvelle cotisation que dans certaines circonstances restreintes. L'alinéa 152(4)a) de la Loi prévoit qu'il peut établir une nouvelle cotisation à un moment donné si le contribuable s'est rendu coupable, entre autres, d'une "présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude" en produisant une déclaration. Dans le cas de nouvelles cotisations établies après le délai de trois ans, il incombe au ministre de prouver les faits justifiant l'application de cette disposition. Sans la preuve qu'il a initialement obtenue illégalement et qui a fait l'objet d'une nouvelle saisie irrégulière, il est hautement improbable que le ministre aurait pu s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait aux termes de cette disposition. Cette preuve servait également de fondement important pour l'imposition des pénalités. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a également condamné le fait d'avoir conservé illicitement du matériel saisi au cours de la perquisition initiale. Et finalement, le fondement même de la nouvelle cotisation de 1989 réside dans les documents qui, comme l'a reconnu l'avocat, ont été saisis d'une façon inconstitutionnelle. Par conséquent, le juge de la Cour canadienne de l'impôt pouvait tenir compte des deux saisies illégales en examinant quelle réparation il convenait d'accorder.

L'avocat du ministère public soutient que le juge de la Cour canadienne de l'impôt a eu tort d'utiliser, pour décrire la conduite des mandataires de la Couronne, des mots durs comme: conduite "répréhensible"; "en prenant d'assaut"; "en omettant, d'une façon fort irrégulière, de fournir des renseignements"; "ternir" la bonne foi; "qui démolit" et "vicie" la bonne foi; et "violation flagrante et inacceptable des droits de l'appelant". À mon avis, en faisant ces remarques, le juge de la Cour canadienne de l'impôt visait principalement, mais non entièrement, la conduite adoptée au cours de la nouvelle saisie. Il condamnait, dans une moindre mesure, la manière dont s'est déroulée la première perquisition ainsi que le fait d'avoir conservé illicitement pendant longtemps des documents saisis. De toute façon, il nous est impossible de constater une erreur justifiant d'infirmer sa qualification des actes faits par les mandataires de la Couronne dans le cadre de la saisie et de la nouvelle saisie illégales du matériel de l'intimée, examinés ensemble.

Vu la gravité des violations de la Charte en l'espèce, et compte tenu que la simple exclusion de la preuve "équivaudrait à annuler la cotisation", selon l'argument présenté par le ministère public devant le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt, ce juge a décidé qu'il était "convenable et juste" de mettre un terme à l'affaire à l'étape où elle en était rendue, plutôt que d'obliger le contribuable à se donner le mal de procéder devant la Cour canadienne de l'impôt pour voir si le ministère serait capable de s'acquitter du fardeau qui lui incombait conformément à l'alinéa 152(4)a ) de la Loi, une éventualité des plus improbables. Il a conclu qu'agir ainsi irait à l'encontre de l'objet de la Charte. Il a traduit son insatisfaction face à la réparation qu'offrait l'exclusion de la preuve de la manière suivante:

Se contenter d'exclure les éléments de preuve serait contraindre le contribuable à s'adresser aux tribunaux et à contester les cotisations ou à se défendre contre des allégations tendant à justifier l'établissement de cotisations prescrites et l'imposition de pénalités, lesquelles sont fondées sur des éléments de preuve dont le ministre disposait uniquement par suite de la violation des droits garantis à l'appelante par la Charte. Restreindre la réparation à l'exclusion des éléments de preuve aurait, à mon avis, pour effet d'annuler les droits mêmes que la Charte garantit. La simple exclusion des éléments de preuve est insuffisante à cette fin. La Cour doit aller plus loin. Je ne puis voir pourquoi on ne pourrait pas accorder, en vertu du paragraphe 24(1), une réparation qui comporte, comme élément essentiel, l'exclusion d'éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2), mais reconnaît d'une façon plus adéquate le droit fondamental que l'article 8 de la Charte garantit au contribuable. Se contenter d'exclure les éléments de preuve reviendrait en fait à dire aux représentants du ministère du Revenu national: "Vous avez violé les droits garantis au contribuable par l'article 8 de la Charte en cherchant et en saisissant ses registres d'une façon inconstitutionnelle et en les conservant illicitement. En vous fondant sur ces renseignements, illicitement obtenus, vous avez fixé l'impôt, les intérêts et les pénalités. Vous avez essayé sans succès de poursuivre le contribuable en vertu de l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Vous avez conservé 90 boîtes de registres appartenant au contribuable pendant plus de neuf ans. Vous voulez maintenant engager une poursuite civile contre le contribuable devant la Cour de l'impôt pour voir si vous pouvez maintenir des cotisations essentiellement fondées sur des éléments de preuve que vous avez illégalement obtenus et que vous ne pouvez pas utiliser à l'instruction en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Nous vous laisserons tenter votre chance, même si la preuve est faible et votre réussite incertaine"5.

Je partage l'opinion du juge Bowman selon laquelle l'apparence de constitutionnalité de la saisie initiale, à l'époque où elle a été effectuée, n'exonère pas l'appelante de toute responsabilité ni n'empêche d'accorder une réparation à l'intimée. Même si dans d'autres situations il est possible de passer outre à une violation qui a été faite de bonne foi6, dans les circonstances de la présente espèce, l'exclusion des éléments de preuve serait également susceptible d'être justifiée suivant le critère adopté par le juge Lamer (maintenant juge en chef) dans l'arrêt R. c. Collins7. Comme le conclut le juge Bowman:

La conduite des représentants du ministère du Revenu national constituait, depuis la saisie initiale jusqu'à la soi-disant nouvelle saisie fondée sur l'article 487 du Code criminel, une violation flagrante et inacceptable des droits de l'appelante. Les principes énoncés dans des arrêts comme les arrêts Hunter, Collins et Kokesch s'appliquent également en l'espèce8.

Il ne faut pas oublier qu'il peut arriver qu'une conduite inconstitutionnelle "flagrante et inacceptable" entraîne la suspension ou même la cassation de certaines accusations portées contre des présumés meurtriers et violeurs, de sorte que, si on compare, la réparation accordée en l'espèce ne semble pas être une mesure si extrême.

Lorsque des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte à la Charte, l'article 24 de la Charte permet d'accorder une réparation autre que l'exclusion de la preuve. À mon avis, il est faux de prétendre, comme le fait l'avocat du ministère public, que l'arrêt R. c. Therens et autres, précité, interdit d'accorder une réparation autre que l'exclusion de la preuve lorsque celle-ci est obtenue de façon inconstitutionnelle. Le paragraphe 24(2) permet expressément la réparation qui consiste à écarter cette preuve, mais il ne retire pas à la Cour le pouvoir général que lui confère le paragraphe 24(1) d'accorder la réparation qu'elle estime "convenable et juste". L'arrêt R. c. Therens et autres interdit d'avoir recours à l'exclusion d'une preuve autrement que conformément au paragraphe 24(2), mais il n'empêche pas d'octroyer, lorsque les éléments de preuve ont été obtenus en contravention de la Charte, d'autres réparations ou des réparations additionnelles, si elles sont "convenable[s] et juste[s]". Comme il a été indiqué, la question posée ne demande pas l'exclusion de la preuve saisie; l'intimée ne demande donc pas une réparation prévue au paragraphe 24(2). Le juge de première instance a conclu que la réparation qui était "convenable et juste eu égard aux circonstances" de l'espèce était l'annulation des cotisations. Il a expliqué sa position en ces termes [aux pages 2732 et 2733]:

Dans ce cas-ci . . . , je crois devoir prendre d'autres mesures. Dans l'exercice des vastes pouvoirs discrétionnaires qui lui sont conférés par le paragraphe 24(1) la Cour peut incontestablement . . . non seulement exclure les éléments de preuve obtenus d'une façon inconstitutionnelle, mais aussi imposer à l'intimé l'obligation d'établir l'exactitude de la cotisation à l'aide d'éléments de preuve non entachés de vice au point de vue constitutionnel. Cette réparation conviendrait dans ce cas-ci, mais puis-je aller plus loin . . . et annuler les cotisations? Je crois qu'il est convenable et juste de le faire. En premier lieu, le paragraphe 24(1) confère à un tribunal compétent un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit d'accorder une réparation qui est "juste et convenable" par suite de la violation de la Charte . En outre, l'annulation des cotisations est l'un des pouvoirs expressément conférés à cette cour par l'article 171 de la Loi de l'impôt sur le revenu. En second lieu, l'avocat a clairement admis que les éléments de preuve qui avaient été saisis en violation des droits garantis à l'appelante par la Charte étaient "essentiels" à l'établissement de la cotisation. Il semble admis que les cotisations ne peuvent pas être maintenues sans que les éléments de preuve obtenus d'une façon inconstitutionnelle soient utilisés et que, si les cotisations étaient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que tous les éléments de preuve qui ont été obtenus illégalement doivent être exclus de son examen, ce dernier ne disposerait d'aucun élément de preuve à l'appui de la cotisation.

Par conséquent, il ne servirait à rien d'adopter l'approche préconisée dans [un jugement américain] puisque, en fin de compte, les cotisations seraient de toute façon annulées. Autrement dit, même si j'adoptais l'approche préconisée [dans le jugement américain], laquelle, dans les circonstances de cette affaire-là, semble tout à fait raisonnable, et même si j'imposais à l'intimé l'obligation de justifier les cotisations sans utiliser les éléments de preuve entachés de vice sur le plan constitutionnel, le résultat serait le même et les cotisations seraient en fin de compte annulées.

Par conséquent, je crois que c'est ce qu'il faudrait faire. Il faudrait mettre un terme à l'affaire en annulant les cotisations.

Selon moi, rien ne justifie de modifier cette décision. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt jouit de la compétence voulue pour accorder cette réparation. Il est évident que la nouvelle saisie, effectuée ultérieurement, s'inscrit dans le contexte factuel de l'espèce et est pertinente, contrairement à ce que soutient l'appelante. Comme je l'ai indiqué précédemment, l'obtention de ce matériel était nécessaire pour étayer les pénalités et pour proroger le délai de prescription. Il y a lieu de remarquer, parmi les "circonstances" importantes en question, le fait que les cotisations ont très peu de chances, voire aucune, d'être maintenues si elles sont présentées à une instruction devant la Cour de l'impôt sans la preuve qui a fait l'objet de la première saisie ou de la nouvelle saisie, effectuées d'une manière inconstitutionnelle. Il ne peut être "convenable et juste" d'obliger un contribuable, dont les droits constitutionnels ont été violés, à se défendre contre des cotisations, lorsque celles-ci se fondent sur une preuve obtenue grâce à ces violations.

Je tiens particulièrement à souligner les termes employés par le juge de la Cour de l'impôt, qui emportent ma complète adhésion, selon lesquels ce genre de mesure de redressement extrême ne doit pas être accordé automatiquement, mais être réservé aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes. Il a écrit [à la page 2733]:

Je ne voudrais pas que la conclusion que j'ai tirée en l'espèce soit considérée comme sanctionnant dans tous les cas l'annulation des cotisations établies par le ministre lorsqu'elles sont en partie fondées sur des renseignements obtenus d'une façon inconstitutionnelle. Il peut y avoir des cas dans lesquels il suffit d'exclure l'élément de preuve, d'autres cas dans lesquels l'élément a peu d'importance ou n'en a aucune aux fins de l'établissement des cotisations ou dans lesquels son utilisation ne déconsidérerait pas l'administration de la justice, . . . En exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l'article 24 de la Charte, la Cour doit veiller à établir l'équilibre entre les droits protégés par la Charte et le fait qu'il est important de maintenir l'intégrité du régime d'autocotisation. Au fur et à mesure que des cas se présenteront, ces facteurs et, sans aucun doute, d'autres facteurs s'appliqueront et il faudra accorder à chacun d'eux son importance relative. Compte tenu des circonstances de l'affaire, j'ai conclu qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à annuler les cotisations.

Je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Denault, J.C.A. (de droit): Je souscris à ces motifs.

1 [1996] 1 C.T.C. 2714 (C.C.I.), aux p. 2718 et 2719.

2 L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

3 [1991] 1 C.F. 688 (C.A.).

4 [1985] 1 R.C.S. 613.

5 Précité, note 1, aux p. 2728 et 2729.

6 R. v. Zborovsky, [1997] O.J. no 1568 (C.A.) (QL).

7 [1987] 1 R.C.S. 265.

8 Précité, note 1, à la p. 2726.

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