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T-3016-92

Milliken & Company et Milliken Industries of Canada Ltd. (demanderesses)

c.

Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (défenderesse)

T-1212-95

Milliken & Company (demanderesse)

c.

Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (défenderesse)

Répertorié: Milliken & Co.c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc.(1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer" Ottawa, 17 novembre 1997; 5 février 1998.

Droit d'auteur Contrefaçon Les demanderesses disent que la défenderesse a violé leur droit d'auteur dans le dessin Mangrove en fournissant et en posant des dalles de moquetteLa question de savoir si le dessin Mangrove bénéficie de la protection du droit d'auteur dépend de la date de création du dessinLes dessins créés avant juin 1988 sont régis par l'art. 64 de la version originale de la Loi sur le droit d'auteurAucune date de création du dessin ne figure dans l'acte de cession du droit d'auteurL'omission des demanderesses de présenter des éléments de preuve établissant la date de création a conduit la Cour à conclure que la création du dessin était antérieure à juin 1988, et donc régie par l'art. 64 de la Loi antérieureAucune protection du droit d'auteurÀ l'instruction, la défenderesse a admis avoir commis une violation primaireN'eût été la conclusion de la Cour quant à loi applicable, la société défenderesse serait responsable d'une atteinte secondaire au droit d'auteur.

Pratique Parties Qualité pour agir Les demanderesses avaient-elles la qualité requise pour agir en vertu de l'art. 36(1) de la Loi sur le droit d'auteurLa demanderesse Milliken & Co. a fondé son droit d'agir sur la propriété du dessin MangroveL'art. 13(4) de la Loi autorise le titulaire d'un droit d'auteur à céder ses droitsLe tampon apposé sur la facture était-il suffisant pour satisfaire aux exigences de l'art. 13(4)?Une marque ou un fac-similé de signature sont valables si c'est la façon habituelle dont la personne en cause s'identifieLa première cession n'étant pas valide, elle ne pouvait être régularisée par l'acte confirmant la cessionLa demanderesse Milliken Canada prétendait avoir la qualité requise pour agir à titre de titulaire d'une licenceLe titulaire d'une licence non exclusive ne bénéficie d'aucun droit, titre ou intérêt sur le droit d'auteurIl n'a pas le droit d'engager seul une poursuite pour violation du droit d'auteur.

Dessins industriels Actions en violation du droit d'auteur concernant des dalles de moquette reproduisant le dessin MangroveLa demanderesse Milliken revendique des droits sur le dessin en invoquant une cession de l'œuvre artistique par l'auteurLes dessins créés après le 8 juin 1988 sont régis par l'art. 64 de la version actuelle de la Loi sur le droit d'auteurLe dessin a été créé au moment de la création de l'œuvre artistiqueLes demanderesses ayant omis de présenter des éléments de preuve établissant la date de création, la Cour a conclu que le dessin Mangrove avait été créé avant juin 1988Il ne peut être protégé par le droit d'auteur parce qu'il était susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qu'il a servi de modèle pour être multiplié par un procédé industriel.

Dans ces deux actions en violation du droit d'auteur, les demanderesses allèguent que la défenderesse a violé leur droit d'auteur dans le dessin Mangrove en fournissant et en posant des dalles de moquette à l'aéroport international de Calgary en février 1991 et septembre 1992 dans le premier cas, et en 1995 dans le second cas. Le dessin Mangrove est une œuvre artistique qui a été créée en France par Claire Iles sous le titre "Harmonie". La demanderesse Milliken & Company prétend avoir acheté les droits sur ce dessin en 1989 par acte de cession, signé par Claire Iles et attestant qu'elle était l'auteur de l'œuvre "Harmonie" et qu'elle avait, pour une contrepartie valable, vendu son œuvre à Milliken, y compris son droit d'auteur et ses autres droits de propriété intellectuelle relativement à cette œuvre. Il est allégué que la défenderesse a été avisée des droits de Milliken sur le droit d'auteur, tant dans les faits que par l'avis apposé sur les dalles de moquette fabriquées et vendues au Canada par Milliken Canada. Trois questions ont été soulevées: 1) le dessin Mangrove peut-il être protégé par le droit d'auteur? 2) les demanderesses avaient-elle la qualité requise pour intenter une poursuite en vertu de la Loi sur le droit d'auteur ? et 3) y a-t-il eu violation du droit d'auteur des demanderesses?

Jugement: il y a lieu de rejeter les actions.

1) La question de savoir si le dessin Mangrove peut être protégé par le droit d'auteur ou si l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur l'empêche de bénéficier de cette protection est fonction de la date de la création du dessin. Les dessins créés avant le 8 juin 1988 sont régis par l'article 64 de la version originale de la Loi. Il était alors prévu que le droit d'auteur ne pouvait être invoqué pour protéger les dessins industriels qui étaient susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qui servaient ou étaient destinés à servir de modèles ou d'échantillons pour être multipliés par un procédé industriel. Les dessins créés après cette date bénéficient de la protection accordée aux dessins industriels, sauf dans certains cas où la protection du droit d'auteur et celle des dessins industriels peuvent s'appliquer. La date de la création du dessin litigieux constituait un fait substantiel de la cause des demanderesses et celles-ci étaient tenues de produire des éléments de preuve pour l'établir, ce qu'elles ont omis de faire. Aucune date de création n'est mentionnée dans l'acte de cession signé par Claire Iles en septembre 1992, et cette dernière n'a pas été citée comme témoin à l'instruction. Suivant la définition de la Loi modifiée, le terme "objet" ne se limite pas à "un objet fini". Toute œuvre artistique, telle une peinture et une gravure, est un "objet". Les mots "d'un objet fini" renvoient seulement à une réalisation matérielle par opposition à un simple projet ou à la conception préliminaire d'une idée. Le dessin a donc été créé au moment de la création de l'œuvre artistique. L'omission des demanderesses de présenter des éléments de preuve sur un fait aussi substantiel que la date de création du dessin autorisait la Cour à tirer une conclusion défavorable et à conclure que le dessin a été créé avant le mois de juin 1988. Conformément à l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur , dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur des modifications législatives, le dessin litigieux ne peut être protégé par le droit d'auteur parce qu'il est susceptible d'enregistrement en vertu de la Loi sur les dessins industriels et qu'il a servi de modèle pour être multiplié par un procédé industriel. Le dessin Mangrove correspond exactement à la définition du terme "dessin", car il s'agit d'un motif visuel qui est appliqué à un objet manufacturé, savoir des dalles de moquette.

2) Les demanderesses doivent avoir la qualité requise pour intenter une poursuite en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi sur le droit d'auteur. La demanderesse Milliken & Co. a fondé son droit d'agir sur son droit de propriété sur le dessin Mangrove. Le paragraphe 13(4) de la Loi autorise le titulaire du droit d'auteur à céder son droit. La cession doit être rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit d'auteur ou par son agent dûment autorisé. Il s'agissait de savoir si le tampon apposé par Claire Iles sur un formulaire préimprimé était suffisant pour satisfaire à l'exigence fixée par le paragraphe 13(4). Une marque ou un fac-similé de signature sont valables si c'est la façon habituelle dont la personne en cause s'identifie. Aucun élément de preuve n'établissait que Claire Iles avait pour pratique ou coutume d'authentifier un document en y apposant son tampon. L'acte confirmant la cession ne pouvait être utilisé pour valider la première cession. On ne pouvait valider une chose qui n'existait pas. La demanderesse Milliken Canada, qui prétendait avoir la qualité requise à titre de titulaire d'une licence, était titulaire d'une licence non exclusive l'autorisant à utiliser, à reproduire et à modifier le dessin Mangrove et à exercer les droits afférents au droit d'auteur sur ce dessin au Canada. Le titulaire d'une licence non exclusive ne bénéficie d'aucun droit, titre ou intérêt sur le droit d'auteur qui lui conférerait la qualité requise pour engager une poursuite. Il n'a pas le droit d'engager seul une poursuite pour violation du droit d'auteur.

3) L'atteinte au droit d'auteur visée par l'article 27 de la Loi sur le droit d'auteur peut être primaire ou secondaire. À l'instruction, la défenderesse a admis avoir commis une atteinte primaire et cette question n'était donc pas en litige. Quant à l'atteinte secondaire, elle est interdite par le paragraphe 27(4) de la Loi, aux termes duquel une personne est considérée comme ayant porté atteinte au droit d'auteur si, par exemple, elle vend une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada. La connaissance s'infère des faits de l'espèce et le fardeau de la preuve incombait aux demanderesses. La créatrice-dessinatrice qui a conçu le dessin des dalles de moquette de la défenderesse pour le projet de l'aéroport international de Calgary avait effectivement connaissance du fait que les dalles de moquette de la défenderesse violaient le dessin Mangrove des demanderesses. Elle savait que le dessin Mangrove était protégé par le droit d'auteur et elle aurait dû savoir qu'elle copiait illégalement le dessin lorsqu'elle a conçu le modèle qui devait être fourni à l'aéroport. Malgré sa connaissance de l'atteinte au droit d'auteur des demanderesses, elle a poursuivi dans la même voie et elle a conçu les dalles de moquette qui violent le droit d'auteur. Étant donné qu'elle a pris cette décision dans le champ de responsabilité qui lui avait été assigné, sa connaissance peut être imputée à la société défenderesse. N'eût été la conclusion de la Cour sur l'application de la Loi, la défenderesse serait responsable d'une atteinte secondaire au droit d'auteur.

lois et règlements

Loi des brevets, S.R.C. 1927, ch. 150, art. 32.

Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 13(4), 27(4), 34(3)a), 36(1) (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 63), 64 (mod. par L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 10, art. 11).

Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 57.

Loi sur les dessins industriels, L.R.C. (1985), ch. I-9.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 50(1) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69).

Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., ch. 964, art. 11.

Solicitors Act, (U.K.), 1932, ch. 37, art. 65(2)(i).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canadian Dredge & Dock Co. et autres c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662; (1985), 19 D.L.R. (4th) 314; 19 C.C.C. (3d) 1; 45 C.R. (3d) 289; 59 N.R. 241; 9 O.A.C. 321; Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et al., [1965] R.C.É. 811; (1965), 30 Fox Pat. C. 77.

distinction faite avec:

Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd., [1982] 1 R.C.S. 907; (1982), 136 D.L.R. (3d) 596; 66 C.P.R. (2d) 46; 42 N.R. 254.

décisions examinées:

Heap v. Hartley (1889), 42 Ch.D. 461 (C.A.); Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 421; (1986), 9 C.I.P.R. 311; 10 C.P.R. (3d) 289; 67 N.R. 139 (C.A.); Levesque v. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010; (1970), 5 N.B.R. (2d) 15; 16 D.L.R. (3d) 425; Goodman v. Eban (J.) Ltd., [1954] 1 All E.R. 763 (C.A.); R. v. Fox (1958), 120 C.C.C. 289; 27 C.R. 132 (C.A. Ont.); Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173; (1986), 28 D.L.R. (4th) 178; 8 C.I.P.R. 153; 10 C.R. (3d) 1; 3 F.T.R. 118 (C.F. 1re inst.); Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499; (1951), 4 W.W.R. (N.S.) 234 (C.A. Sask.); Morton v. Copeland (1855), 139 E.R. 861 (C.P.); Electric Chain Co. of Canada Ltd. v. Art Metal Works Inc. et al., [1933] R.C.S. 581; [1933] 4 D.L.R. 240; Albert v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921), 22 S.R. 75 (N.S.W.S.C.); Clarke, Irwin & Co. v. C. Cole & Co., [1960] O.R. 117; (1960), 22 D.L.R. (2d) 183; 33 C.P.R. 173; 19 Fox Pat. C. 143 (H.C.); Simon & Schuster Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1975), 9 O.R. (2d) 718; 61 D.L.R. (3d) 590; 23 C.P.R. (2d) 43 (H.C.).

doctrine

Keane, Adrian. The Modern Law of Evidence, 3rd ed. London: Butterworths, 1994.

Schiff, Stanley. Evidence in the Litigation Process, Vol. 1, 4th ed. Toronto: Carswell, 1993.

Sopinka, John and Sidney N. Lederman. The Law of Evidence in Civil Cases. Toronto: Butterworths, 1974.

Tapper, Colin. Cross on Evidence, 8th ed. London: Butterworths, 1995.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, revised by James H. Chadbourn, Vol. 2. Boston: Little, Brown & Co., 1979.

ACTIONS en violation du droit d'auteur sur le dessin Mangrove des demanderesses par suite de la fourniture et de la pose de dalles de moquette portant ledit dessin. Actions rejetées.

avocats:

G. Alexander Macklin, c.r., Jane E. Clark et Lise M. Patry pour les demanderesses.

Robert H. C. MacFarlane et Michael E. Charles pour la défenderesse.

procureurs:

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour les demanderesses.

Bereskin & Parr, Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Tremblay-Lamer: Il s'agit de deux actions pour violation du droit d'auteur. Les demanderesses dans la première action, dossier T-3016-92, sont les sociétés Milliken & Company (Milliken) et Milliken Industries of Canada Ltd. (Milliken Canada). Milliken est une société américaine constituée et exerçant ses activités commerciales sous le régime des lois de l'État du Delaware. Milliken Canada est une filiale en propriété exclusive de Milliken. Elle est constituée sous le régime des lois du Canada. Milliken Canada a fait l'objet d'une liquidation volontaire le 24 mars 1997.

La défenderesse, Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (Interface Canada), est constituée sous le régime des lois de l'Ontario et est une filiale en propriété exclusive de la société américaine Interface Inc.

Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a violé leur droit d'auteur sur le dessin Mangrove en fournissant et en installant des dalles de moquette reproduisant un certain dessin à l'aéroport international de Calgary, en février 1991 et en septembre 1992.

Une demande reconventionnelle présentée dans l'action a été rejetée avec dépens.

La deuxième action, dossier T-1212-95, a été intentée par Milliken seulement. Celle-ci allègue que la défenderesse a violé son droit d'auteur sur le dessin Mangrove et ses droits découlant de l'enregistrement d'un dessin industriel sous le numéro 67420, en fournissant et en installant des dalles de moquette à l'aéroport international de Calgary en 1995. À l'instruction, la défenderesse a acquiescé à jugement relativement à la violation des droits de Milliken sur le dessin industriel enregistré.

Le dessin Mangrove est une œuvre artistique qui a été créée en France par Claire Iles sous le titre "Harmonie". Milliken prétend avoir acheté les droits sur ce dessin en 1989. Cet achat est attesté par un document écrit daté de la date de l'achat1 . Le dessin a été publié pour la première fois sous le nom de Mangrove aux États-Unis, par Milliken, le 23 mai 1989, comme motif textile pour des dalles de moquette. Milliken a obtenu les droits d'enregistrement au Canada le 10 novembre 19922. Un acte de cession joint daté du 25 septembre 1992 a également été enregistré au Bureau du droit d'auteur canadien. L'acte de cession, signé par Claire Iles, attestait qu'elle était l'auteur de l'œuvre "Harmonie" et qu'elle avait, pour une contrepartie valable, vendu son œuvre à Milliken, y compris son droit d'auteur et ses autres droits de propriété intellectuelle relativement à cette œuvre.

Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a incorporé le dessin Mangrove, ou une partie essentielle de ce dessin, aux dalles de moquette qu'elle a fabriquées, fournies et installées à l'aéroport international de Calgary en février 1991 et en septembre 1992. En fait, la défenderesse avait présenté une soumission et obtenu un contrat pour la fourniture et l'installation de trois mille verges carrées de dalles de moquette à l'aéroport en février 1991. Elle a obtenu un deuxième contrat pour la fourniture et l'installation de deux mille verges carrées supplémentaires en septembre 1992.

Les demanderesses ajoutent que la défenderesse a sciemment reproduit le dessin Mangrove. Elles allèguent que la défenderesse a été avisée des droits de Milliken sur le droit d'auteur, tant dans les faits et par l'avis apposé sur les dalles de moquette fabriquées et vendues au Canada par Milliken Canada.

Ainsi qu'il est expliqué plus loin dans les présents motifs, les allégations de violation du droit d'auteur formulées par les demanderesses sont bien fondées. Toutefois, l'issue de l'action est liée, en bout de ligne, à la capacité des demanderesses de surmonter deux obstacles juridiques majeurs.

I.  L'application de la Loi sur le droit d'auteur

La première question à trancher est celle de savoir si le dessin Mangrove peut être protégé par le droit d'auteur ou si l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur3 (la Loi) l'empêche de bénéficier de cette protection. La réponse à cette question est fonction de la date de la création du dessin.

Selon le paragraphe 64(4) de la Loi, il existe deux régimes juridiques distincts régissant l'application de la protection du droit d'auteur à un dessin industriel. C'est la date de la création du dessin qui détermine le régime qui s'y applique. Voici ce paragraphe:

64. . . .

(4) Les paragraphes (2) et (3) ne s'appliquent qu'aux dessins créés après leur entrée en vigueur. L'article 64 de la présente loi et la Loi sur les dessins industriels, dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur du présent article, et leurs règles d'application, continuent de s'appliquer aux dessins créés avant celle-ci.

Les dessins créés avant le 8 juin 1988 sont régis par l'article 64 de la Loi tel qu'il était libellé avant l'entrée en vigueur du paragraphe qui précède. L'article 64 prévoyait alors que le droit d'auteur ne pouvait être invoqué pour protéger les dessins industriels qui i) étaient susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels4, et qui ii) servaient ou étaient destinés à servir de modèles ou d'échantillons pour être multipliés par un procédé industriel:

64. (1) La présente loi ne s'applique pas aux dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l'exception des dessins qui, tout en pouvant être enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas destinés à servir de modèles ou d'échantillons, pour être multipliés par un procédé industriel quelconque.

Par application de l'article 11 des Règles régissant les dessins industriels5, un dessin était considéré comme servant de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel lorsqu'il était reproduit dans plus de 50 articles ou lorsqu'il était appliqué à certains articles énumérés:

11. (1) Un dessin est censé servir de modèle ou d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au sens de [l'article 64] de la Loi sur le droit d'auteur,

a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être reproduit, ne forment ensemble qu'un seul assortiment tel qu'il est défini au paragraphe (2); et

b) lorsque le dessin doit être appliqué à

(i) des tentures de papier peint,

(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce,

(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce, et

(iv) de la dentelle qui n'est pas faite à la main.

Les dessins créés après le 8 juin 1988 sont, pour leur part, régis par la version de l'article 64 de la Loi actuellement en vigueur. L'article 64 de la Loi prévoit maintenant que certains dessins créés à plus de cinquante exemplaires et appliqués à des "objets utilitaires", ou à des planches, gravures ou moules servant à la production de plus de cinquante "objets utilitaires", ne sont pas protégés par le droit d'auteur, mais bénéficient plutôt de la protection accordée aux dessins industriels:

64. . . .

(2) Ne constitue pas une violation du droit d'auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une œuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n'en diffère pas sensiblement, en réalisant l'objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d'accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l'objet, de par l'autorisation du titulaire " au Canada ou à l'étranger " remplisse l'une des conditions suivantes:

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires;

b) s'agissant d'une planche, d'une gravure ou d'un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires.

Des exceptions à cette règle générale sont établies au paragraphe 64(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 11] de la Loi, auxquels cas la protection du droit d'auteur et celle des dessins industriels peuvent s'appliquer:

64. . . .

(3) Le paragraphe (2) ne s'applique pas au droit d'auteur ou aux droits moraux sur une œuvre artistique dans la mesure où elle est utilisée à l'une ou l'autre des fins suivantes:

a) représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet;

b) marques de commerce, ou leurs représentations, ou étiquettes;

c) matériel dont le motif est tissé ou tricoté ou utilisable à la pièce ou comme revêtement ou vêtement;

d) œuvres architecturales qui sont des bâtiments ou des modèles ou maquettes de bâtiments;

e) représentations d'êtres, de lieux ou de scènes réels ou imaginaires pour donner une configuration, un motif ou un élément décoratif à un objet;

f) objets vendus par ensembles, pourvu qu'il n'y ait pas plus de cinquante ensembles;

g) autres œuvres ou objets que le gouverneur en conseil peut désigner par règlement.

Les demanderesses affirment que le dessin Mangrove peut bénéficier de la protection du droit d'auteur par application de l'alinéa 64(3)c) de la Loi modifiée, portant que les œuvres artistiques appliquées à un revêtement sont réputées être protégées par le droit d'auteur.

Elles soutiennent que c'est l'article 64 de la Loi modifiée qui s'applique parce que la défenderesse n'a pas produit de preuve établissant que la date de la création du dessin Mangrove est antérieure au 8 juin 1988. L'alinéa 34(3)a) de la Loi établit une présomption d'existence du droit d'auteur dans une action pour violation du droit d'auteur et impose à la défenderesse le fardeau de produire une preuve qui réfute cette présomption. La défenderesse n'ayant produit aucune preuve à l'instruction pour réfuter cette présomption, les demanderesses font valoir que le droit d'auteur sur le dessin Mangrove est présumé exister.

Quoi qu'il en soit, la date de la création du dessin n'est à leur avis pas pertinente. Suivant la définition du paragraphe 64(1) de la Loi modifiée le terme "dessin" s'entend des "caractéristiques ou d'une combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs". Par conséquent, une œuvre artistique ne peut régulièrement être qualifiée de "dessin" avant d'être appliquée à un objet fini. La preuve démontre que l'œuvre artistique créée par Claire Iles a été adaptée pour la première fois pour être utilisée sur des objets fonctionnels, c'est-à-dire des dalles de tapis, en mars 1989, soit après le 8 juin 1988.

Par contre, la défenderesse soutient que c'est la version de l'article 64, antérieure aux modifications législatives, qui devrait être appliquée en l'espèce. Selon la défenderesse, les paragraphes 64(2) et (3) de la Loi modifiée ne s'appliquent qu'aux dessins créés après l'entrée en vigueur des modifications législatives. En conséquence, la date de la création constitue un fait substantiel de la cause des demanderesses et celles-ci sont tenues de produire des éléments de preuve pour l'établir.

Or, aucune preuve à cet égard n'a été soumise par les demanderesses. Aucune date de création n'est mentionnée dans l'acte de cession signé par Claire Iles en septembre 19926 et Mme Iles n'a pas été citée comme témoin à l'instruction. Dans ces circonstances, la défenderesse presse la Cour de tirer une conclusion défavorable aux demanderesses et de conclure que le dessin a été créé avant le 8 juin 1988.

En vertu de l'article 64 de l'ancienne Loi, le dessin Mangrove serait exclu de la protection du droit d'auteur parce qu'il constitue un dessin susceptible d'enregistrement en vertu de la Loi sur les dessins industriels.

Je partage l'opinion de la défenderesse selon laquelle les paragraphes 64(2) et (3) de la Loi modifiée ne s'applique qu'aux dessins créés après les modifications législatives du 8 juin 1988. Il faut donc trancher d'abord la question de la date de la création.

Je rejette l'argument des demanderesses qui laissent entendre que le dessin Mangrove ne peut être qualifié de dessin avant d'être appliqué à un "objet fini". Les demanderesses semblent limiter la portée de la définition du terme "objet" à des "objets fonctionnels" (c'est-à-dire des dalles de moquette). Or, la Loi modifiée définit le terme "objet" comme s'entendant de tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou d'une machine7 . Ainsi, toutes les œuvres artistiques, notamment les peintures, les gravures, les graphiques, les cartes géographiques et marines et les plans, entrent dans la définition du terme "objet".

Par conséquent, je suis d'avis que les mots "d'un objet fini" renvoient seulement à une réalisation matérielle pour distinguer le dessin d'un simple projet ou de la conception préliminaire d'une idée. Le dessin a donc été créé au moment de la création de l'œuvre artistique.

Il reste donc à trancher la question suivante: quand le dessin Mangrove a-t-il été créé? Les demanderesses soutiennent qu'il a été créé en septembre 1988. Toutefois, elles n'offrent aucun élément de preuve à l'appui de cette prétention. Claire Iles n'a pas témoigné à l'instruction et la date de la création n'est pas non plus mentionnée dans l'acte de cession de septembre 19928, lequel aurait pu permettre aux demanderesses de faire confirmer par Mme Iles la date à laquelle elle avait créé l'œuvre. La preuve soumise à l'instruction indique simplement que le dessin a été créé avant le 11 janvier 1989, date à laquelle Richard Stoyles a acquis le dessin de Mme Iles à l'occasion d'un salon commercial tenu à Francfort, en Allemagne9.

J'estime que l'omission de présenter des éléments de preuve sur un fait aussi substantiel m'autorise à tirer une conclusion défavorable et à conclure que le dessin a été créé avant le mois de juin 1988. Il est en effet bien établi qu'il est possible de tirer une conclusion défavorable lorsqu'une partie omet, sans explication raisonnable, de présenter des éléments de preuve qui lui sont accessibles et qui auraient pu résoudre la question en litige10. Ce principe est énoncé dans le passage suivant tiré de Wigmore on Evidence:

[traduction] L'omission de présenter au tribunal une circonstance, un document, ou un témoin, alors que la partie elle-même ou son adversaire allègue que les faits seraient ainsi élucidés, sert à montrer, ce qui est la déduction la plus naturelle, que la partie craint de le faire, et cette crainte prouve d'une certaine façon que la circonstance, le document ou le témoin, s'ils avaient été présentés, auraient exposé des faits défavorables à la partie. Ces déductions ne peuvent être à juste titre faites qu'à certaines conditions; de plus, elles peuvent toujours s'expliquer par des circonstances qui rendent plus naturelle une hypothèse autre que le fait que la partie craignait la divulgation. Cependant, le bienfondé de pareille déduction en général n'est pas remis en question11.

L'avocat des demanderesses a soutenu que je ne devais pas tirer de conclusion défavorable parce que Mme Iles, une citoyenne de la France, ne se trouve pas dans le ressort de la Cour. Il a ajouté qu'elle était disponible également pour les deux parties et que la défenderesse aurait pu l'assigner comme témoin.

Dans Levesque v. Comeau et al.12, la Cour suprême du Canada a statué que le fait qu'un témoin ne se trouve pas dans le ressort du tribunal ne constitue pas une explication valable, vu la possibilité que son témoignage soit recueilli par voie de commission rogatoire. En l'espèce, les demanderesses n'ont donné aucune indication qui laisserait croire qu'elles ont tenté d'obtenir le témoignage de Mme Iles aux fins de l'instruction ou que celle-ci aurait refusé de comparaître ou de rendre témoignage dans le cadre d'une commission rogatoire.

Cependant, ce qui est encore plus révélateur, c'est que les demanderesses ont déjà pu communiquer avec Claire Iles en septembre 1992, lorsqu'elle a signé l'acte confirmant la cession. Il aurait été raisonnable que les demanderesses obtiennent alors d'elle les renseignements concernant la date de la création du dessin.

En conséquence, je conclus que, dans les circonstances, le dessin Mangrove a été créé avant le 8 juin 1988 et qu'il est donc régi par l'article 64 de la Loi, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur des modifications législatives. Je conclus également que, conformément à cet article, le dessin litigieux ne peut être protégé par le droit d'auteur parce i) qu'il est susceptible d'enregistrement en vertu de la Loi sur les dessins industriels et ii) qu'il a servi de modèle pour être multiplié par un procédé industriel.

[31] Dans Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd.13, la Cour d'appel fédérale a statué que l'expression "susceptible d'être enregistré" signifie qu'il suffit qu'un dessin réponde à la définition du terme "dessin" donnée par la Loi sur les dessins industriels [S.R.C. 1970, ch. I-8], sans égard au fait qu'il soit ou non effectivement enregistrable:

La seule question à être examinée est celle de savoir si l'objet du droit d'auteur revendiqué constitue un dessin au sens de la Loi sur les dessins industriels. Si tel est le cas, il constitue un dessin susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels, et tombe dans le champ d'application de l'article 46 [devenu depuis l'art. 64]14.

Avant les modifications législatives de 1988, le terme "dessin" n'était pas défini dans la Loi sur les dessins industriels . Dans la décision Cimon Ltd. et al. v. Bench Made Furniture Corpn. et al.15, le président Jackett lui a attribué la définition suivante:

[traduction] Le genre de dessin enregistrable est donc celui qui est "appliqué" à "l'ornementation" d'un article. Il doit donc se rapporter à l'apparence de l'article ou d'une de ses parties, car l'ornementation concerne l'aspect extérieur. Il doit avoir pour but de rendre l'article plus attrayant, car c'est le but même de tout ornement. Il ne peut s'agir d'un élément déterminant de la nature même de l'article (par opposition au simple aspect extérieur) ou de la méthode applicable à sa fabrication. En d'autre termes, le dessin ne peut créer un droit de monopole sur "un produit" ou "une méthode" tel que celui qu'un brevet d'invention permet d'acquérir . . .

. . .

Le fait qu'un dessin se rapporte à la forme ou configuration d'un article n'est pas en soi un obstacle à son enregistrement. Tant qu'il s'agit d'un dessin qui doit être appliqué à "l'ornementation" d'un article, il est admissible à l'enregistrement même si, pour atteindre en totalité ou en partie son objectif "d'ornementation", il faut fabriquer l'article ou certaines de ses parties en lui donnant une forme ou des formes particulières16 .

Si l'on applique ces principes à la situation dont la Cour est saisie, je ne puis que conclure que le dessin Mangrove correspond exactement à la définition du terme "dessin", car il s'agit d'un motif visuel qui est appliqué à un objet manufacturé, savoir des dalles de moquette.

En conséquence, les actions sont rejetées avec dépens.

II.  La qualité requise des demanderesses

Si j'ai commis une erreur sur la question de l'application de la Loi sur le droit d'auteur, il reste aux demanderesses un autre obstacle juridique à surmonter pour faire valoir la violation de leur droit d'auteur. Les demanderesses doivent avoir la qualité requise pour intenter une poursuite en vertu du paragraphe 36(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 63] de la Loi. Ce paragraphe se lit ainsi:

36. (1) L'auteur, ou un autre titulaire d'un droit d'auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit d'un auteur ou d'un autre titulaire peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une poursuite, action ou procédure, soutenir et faire valoir les droits qu'il détient, et il peut exercer les recours prescrits par la présente loi dans toute l'étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.

a)  Milliken & Company

Milliken fonde son droit d'engager une poursuite sur son droit de propriété sur le dessin Mangrove. Elle soutient avoir acquis les droits sur le dessin de Claire Iles le 11 janvier 1989. Comme preuve de son achat, elle a produit une facture manuscrite rédigée par Claire Iles sur un formulaire préimprimé signé par M. Stoyles et M. Willomer au nom de Milliken sur lequel Claire Iles a apposé un tampon portant son nom. Cette facture est reproduite ci-dessous17:

Pièce 11 jointe à l'interrogatoire préalable de Milliken & Company

copie du juge

La défenderesse affirme que cette facture ne constitue pas un acte de cession valide en vertu du paragraphe 13(4) de la Loi, parce qu'elle ne porte pas la signature manuscrite de l'auteur du dessin. En conséquence, Milliken n'a acquis les droits sur le dessin que le 25 septembre 1992, date de la cession, et n'a la qualité requise pour engager une poursuite que relativement aux actes accomplis après cette date.

La défenderesse ajoute que l'acte confirmant la cession n'a pas d'effet rétroactif et ne peut être utilisé pour valider la première cession. On ne peut confirmer ce qui n'existe pas déjà.

Le paragraphe 13(4) de la Loi autorise le titulaire du droit d'auteur à céder son droit. La cession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit d'auteur ou par son agent dûment autorisé:

13. . . .

(4) Le titulaire du droit d'auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une façon générale, ou avec des restrictions territoriales, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé. [Je souligne.]

La question à trancher est celle de savoir si le tampon apposé par Claire Iles est suffisant pour satisfaire à l'exigence fixée par le paragraphe 13(4) de la Loi. Les demanderesses soutiennent que c'est le cas. Elles affirment que le titulaire n'est pas tenu de signer effectivement l'acte de cession de sa main. Il suffit qu'il y appose un fac-similé ou une autre représentation de son nom, même un "X", du moment qu'il est clair qu'il accomplit un acte solennel.

Les demanderesses invoquent plusieurs décisions judiciaires à l'appui de leur prétention. Ainsi, dans l'arrêt Goodman v. Eban (J.) Ltd.18, la Cour d'appel de l'Angleterre a statué qu'il suffisait de tamponner un fac-similé de la signature d'un avocat sur le mémoire de frais pour se conformer à la Solicitors Act19, laquelle exige que le mémoire de frais soit "signé". De même, la Cour d'appel de l'Ontario a statué, dans l'arrêt R. v. Fox20 , qu'un fac-similé de la signature d'un juge de paix tamponné sur une assignation exprimait valablement son intention d'authentifier ce document.

Néanmoins, les demanderesses ne tiennent pas compte du fait que la jurisprudence indique aussi"et de façon plus importante, à mon avis"qu'une marque ou un fac-similé de signature sont valables si la preuve démontre que c'est la façon habituelle dont la personne en cause s'identifie21 . Cet élément confère au fac-similé l'authenticité requise.

En l'espèce, aucun élément de preuve n'étaye l'hypothèse que Claire Iles avait pour pratique ou coutume d'authentifier un document en y apposant son tampon. Il n'est donc pas clair qu'elle a utilisé son tampon dans l'intention d'authentifier le document. En fait, le tampon porte à la fois son nom et celui de son conjoint et il a été apposé à deux reprises sur la facture. Peut-on affirmer que le tampon apposé au haut de la facture constitue aussi sa signature? De plus, il aurait été facile pour les demanderesses de demander à Claire Iles de confirmer, dans l'acte confirmant la cession, son intention de céder tous ses droits sur l'œuvre à compter de la date de la facture. Or, il n'y est fait mention d'aucune date.

Enfin, l'acte confirmant la cession ne peut être utilisé pour valider la première cession. Dans l'affaire Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd.22, la Section de première instance de la Cour fédérale devait se prononcer sur un accord conçu pour avoir un effet rétroactif. Le problème a surgi lorsque la filiale de la demanderesse a concédé une sous-licence à une société de médicaments génériques pour la commercialisation d'une version générique d'un médicament spécifique sous la même apparence que le médicament original à l'égard duquel la demanderesse prétendait avoir des droits de marque de commerce. Or, l'accord de licence original entre la demanderesse et sa filiale n'autorisait pas cette dernière à concéder par voie de sous-licence ses droits d'utilisateur de la marque de commerce. Pour remédier à la situation, la demanderesse a conclu, avec sa filiale, un nouvel accord modifiant la licence originale pour lui permettre de concéder ses droits par sous-licence. L'accord déclarait que la modification prenait effet rétroactivement à la date de l'accord de sous-licence, afin de le valider.

La demanderesse soutenait que l'effet conjugué du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce23 et de l'accord modificateur corrigeait toute irrégularité qui avait pu se produire. Le juge Reed n'était pas de cet avis. Elle a conclu que le paragraphe 50(1) ne pouvait pas assimiler "une utilisation [de la marque de commerce] antérieure à l'octroi d'une licence à une utilisation qui s'applique au profit du titulaire"24 .

En l'espèce, la première cession n'était pas valide, de sorte qu'elle ne peut être régularisée par l'acte confirmant la cession. On ne peut valider une chose qui n'existe pas.

b)  Milliken Canada

Quant à Milliken Canada, elle prétend avoir la qualité requise à titre de titulaire d'une licence. À toutes les époques en cause, Milliken Canada était titulaire d'une licence non exclusive l'autorisant à utiliser, à reproduire et à modifier le dessin Mangrove au Canada et à exercer les droits afférents au droit d'auteur sur ce dessin. Les demanderesses soutiennent que le titulaire d'une licence non exclusive a la qualité requise pour engager une poursuite pour violation du droit d'auteur. L'avocat des demanderesses a cité l'arrêt Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd.25, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que le titulaire d'une licence non exclusive peut intenter une action en contrefaçon de brevet afin d'obtenir compensation des dommages que la contrefaçon lui a causés.

La défenderesse défend la thèse voulant que le titulaire d'une licence non exclusive ne bénéficie d'aucun droit, titre ou intérêt sur le droit d'auteur qui lui conférerait la qualité requise pour engager une poursuite. Je suis du même avis. L'arrêt Armstrong Cork porte sur l'article 57 de la Loi sur les brevets26. Le libellé de cette disposition est précis. Il confère un droit d'action au breveté et à "toute personne se réclamant du breveté"27. Cette expression a été jugée suffisante pour conférer le droit d'engager une poursuite au titulaire d'une licence non exclusive. La Loi sur le droit d'auteur ne contient aucune expression équivalente.

En outre, la Cour d'appel d'Angleterre a statué, dans l'arrêt Heap v. Hartley28, qu'une licence exclusive ne confère pas un intérêt suffisant sur le droit pour que son titulaire ait la qualité requise pour engager seul une poursuite pour violation. Cet arrêt a été cité, et approuvé, par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Electric Chain Co. of Canada Ltd. v. Art Metal Works Inc. et al.29, prononcé avant la modification de l'article 57 de la Loi sur les brevets, à une époque où seul le breveté possédait un droit d'action30.

Compte tenu de ce qui précède, il ne serait pas juste d'affirmer que le titulaire d'une licence non exclusive a le droit d'engager seul une poursuite pour violation du droit d'auteur. En conséquence, voilà un deuxième motif justifiant le rejet des actions.

III.  La violation du droit d'auteur

Enfin, au cas où j'aurais commis une erreur sur les deux questions de l'application de la Loi sur le droit d'auteur et de la qualité requise des demanderesses, je trancherai la question de la violation du droit d'auteur.

L'atteinte au droit d'auteur visée par l'article 27 de la Loi peut être qualifiée de primaire ou de secondaire. Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a commis ces deux types d'atteintes. À l'instruction, la défenderesse a admis avoir commis une atteinte primaire et cette question n'est donc pas en litige31.

Quant à l'atteinte secondaire, elle est interdite par le paragraphe 27(4) de la Loi. Selon ce paragraphe, une personne est considérée comme ayant porté atteinte au droit d'auteur si, par exemple, elle vend une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada:

27. . . .

(4) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur quiconque, selon le cas:

a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;

b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

c) expose commercialement en public;

d) importe pour la vente ou la location au Canada,

une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada.

La défenderesse a admis avoir vendu à l'aéroport international de Calgary des dalles de moquette qui violent le droit d'auteur des demanderesses sur le dessin Mangrove. La question à trancher est donc celle de savoir si elle savait que ses dalles de moquette violaient le droit d'auteur des demanderesses.

Le critère à appliquer pour déterminer si l'auteur présumé de l'atteinte au droit d'auteur en avait connaissance au sens du paragraphe 27(4) a été énoncé par le juge Reed dans les termes suivants:

Selon cette jurisprudence, la "connaissance" dans des cas semblables signifie la prise de conscience de faits à partir desquels une personne raisonnable conclurait à la contrefaçon du droit d'auteur"[traduction ] "une prise de conscience qui attirerait l'attention d'une personne raisonnable"32.

La connaissance s'infère des faits de l'espèce et le fardeau de la preuve incombe aux demanderesses, à moins que le droit d'auteur sur l'œuvre ait été dûment enregistré sous le régime de la Loi.

Les demanderesses font valoir que la défenderesse était suffisamment informée pour avoir connaissance de l'atteinte au droit d'auteur par l'intermédiaire de Sue Madsen, la créatrice-dessinatrice qui a conçu le dessin des dalles de moquette de la défenderesse pour le projet de l'aéroport international de Calgary. Je conclus que Mme Madsen avait effectivement connaissance du fait que les dalles de moquette de la défenderesse violaient le dessin Mangrove des demanderesses.

Premièrement, elle savait que le dessin Mangrove était protégé par le droit d'auteur33. Deuxièmement, je conclus également que ce dessin lui était familier. Elle avait déjà travaillé en qualité de créatrice-dessinatrice principale chez Milliken34 et, dans l'exercice de ses fonctions, elle avait participé au salon NEOCON en 1989 où le dessin Mangrove était exposé bien en évidence et où elle avait participé à sa promotion35. En conséquence, compte tenu de son expertise, Mme Madsen aurait dû savoir qu'elle copiait illégalement le dessin lorsqu'elle a conçu le modèle qui devait être fourni à l'aéroport. Après tout, Richard Hayashi, dont l'entreprise avait été retenue par Transports Canada et l'aéroport international de Calgary pour agir en leur nom pour la conception du projet, lui avait fourni deux petits échantillons des dalles de moquette originales de Milliken36. Elle savait que ces échantillons reproduisaient le dessin soumis par Milliken37 et qu'ils ressemblaient au dessin qu'elle était en train de concevoir38.

De plus, elle devait certainement savoir qu'elle portait atteinte au droit d'auteur des demanderesses lorsque M. Hayashi a confirmé, dans une lettre datée du 25 février 199139, que les échantillons qu'il lui avait remis étaient une "imitation de l'échantillon de Milliken". En fait, elle a déclaré, dans son témoignage, qu'elle était préoccupée par le risque que le dessin d'Interface viole le droit d'auteur de Milliken40 . Bien qu'elle ait tenté, sans succès, d'obtenir la dalle de moquette en entier de M. Hayashi, pour déterminer si elle copiait le dessin de Milliken, elle n'a pris aucune autre mesure pour s'assurer de ne pas porter atteinte au droit d'auteur41.

Il reste toutefois à déterminer si le fait que Mme Madsen avait connaissance de l'atteinte au droit d'auteur signifie que la société défenderesse avait elle-même connaissance de cette atteinte. Les tribunaux ont reconnu que les actes accomplis par certains employés considérés comme les "âmes dirigeantes" d'une société peuvent être traités comme ayant été accomplis par la société même. Un employé est considéré comme l'"âme dirigeante" d'une société lorsque celle-ci lui a confié le véritable pouvoir décisionnel sur des questions relevant d'un domaine précis. Pour paraphraser le juge Estey, dans l'arrêt Canadian Dredge & Dock Co. et autres c. La Reine42 :

En donnant ses directives au jury, le savant juge du procès a trouvé une expression plus juste: [traduction] ". . . pourvu que ses actes entrent dans le cadre du domaine de ses attributions" . . . Ce critère établit essentiellement qu'il y a identité de l'âme dirigeante et de la compagnie si les actes de celle-là ont été accomplis par le directeur dans son secteur de responsabilité. Ce secteur peut être fonctionnel, géographique, ou encore il peut englober l'ensemble des opérations de la compagnie43 .

Mme Madsen s'est vu déléguer la tâche de concevoir le motif des dalles de moquette devant être installées à l'aéroport international de Calgary. Il est donc raisonnable de déduire qu'elle avait la permission de prendre des décisions concernant la conception du dessin. Malgré sa connaissance de l'atteinte au droit d'auteur des demanderesses, elle a poursuivi dans la même voie et elle a conçu les dalles de moquette qui violent le droit d'auteur. Elle a pris cette décision dans le champ de responsabilité qui lui avait été assigné. Sa connaissance peut donc être imputée à la société défenderesse. Ainsi, eussai-je tiré une conclusion différente sur l'application de la Loi sur le droit d'auteur, je suis convaincue que la défenderesse serait responsable d'une atteinte secondaire au droit d'auteur des demanderesses.

Les actions sont rejetées avec dépens.

1 Pièce P-9.

2 Pièce P-2.

3 L.R.C. (1985), ch. C-42 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 11].

4 L.R.C. (1985), ch. I-9.

5 C.R.C., ch. 964.

6 Pièce P-2.

7 Supra, note 3, art. 64(1).

8 Pièce P-2.

9 Témoignage de Richard Stoyles, à la p. 78; pièce P-9.

10 Voir Murray v. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499 (C.A. Sask.), aux p. 506 et 507; Levesque v. Comeau et al., [1970] R.C.S. 1010. Voir aussi Adrian Keane, The Modern Law of Evidence, 3e éd. (Londres: Butterworths, 1994), à la p. 13 ; Colin Tapper, Cross on Evidence, 8e éd. (Londres: Butterworths, 1995), aux p. 38 à 40; John Sopinka & Sidney N. Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases (Toronto: Butterworths, 1974), aux p. 535 à 537; Stanley Schiff, Evidence in the Litigation Process, vol. 1, 4e éd. (Toronto: Carswell, 1993), à la p. 452.

11 Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, révisé par James H. Chadbourn, vol. 2 (Boston: Little, Brown & Co., 1979), à la p. 192.

12 Supra, note 10, à la p. 1013.

13 [1986] 3 C.F. 421 (C.A.).

14 Id., à la p. 431.

15 [1965] 1 R.C.É. 811.

16 Id., aux p. 831 à 833.

17 Pièce P-9.

18 [1954] 1 All E.R. 763 (C.A.).

19 (R.-U.), 1932, ch. 37, art. 65(2)(i).

20 (1958), 120 C.C.C. 289 (C.A. Ont.).

21 Morton v. Copeland (1855), 139 E.R. 861 (C.P.), le juge Maule.

22 (1997), 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.).

23 L.R.C. (1985), ch. T-13 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 69].

24 Supra, note 22, à la p. 418.

25 [1982] 1 R.C.S. 907.

26 S.R.C. 1970, ch. P-4.

27 Voici le texte intégral de l'art. 57:

57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.

(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit être, ou être constitué, partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts en l'espèce.

28 (1889), 42 Ch.D. 461 (C.A.).

29 [1933] R.C.S. 581.

30 Cet arrêt a été prononcé sous le régime de l'art. 32 de la Loi des brevets, S.R.C. 1927, ch. 150, que l'art. 57 a remplacé. En voici le libellé:

32. Quiconque, sans le consentement par écrit du breveté, exécute, confectionne, ou met en pratique une chose pour laquelle un brevet d'invention a été pris sous l'empire de la présente loi ou d'une loi antérieure, ou se procure cette chose d'une personne non autorisée par le breveté ou par ses représentants légaux à l'exécuter ou à en faire usage, et l'exploite, est, pour cet acte, passible de la part du breveté ou de ses représentants légaux, d'une action en dommages-intérêts; et le jugement est exécuté et les dommages-intérêts et frais adjugés sont recouvrables de la manière suivie, dans les autres cas, en la cour où l'action est portée.

31 Transcription, à la p. 339.

32 ;Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst), à la p. 209. Voir aussi Albert v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921), 22 S.R. 75 (N.S.W. S.C.), à la p. 81; Clarke, Irwin & Co. v. C. Cole & Co., [1960] O.R. 117 (H.C.), à la p. 123; Simon & Schuster Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1975), 9 O.R. (2d) 718 (H.C.), à la p. 720.

33 Supra, note 31, à la p. 312.

34 Id., à la p. 311.

35 Id., aux p. 287 et 288, 311 à 314.

36 Id., à la p. 298.

37 Id., aux p. 328 et 329.

38 Id., à la p. 329.

39 Pièce P-27.

40 Supra, note 31, aux p. 318 et 321.

41 Id., aux p. 329 à 331.

42 [1985] 1 R.C.S. 662.

43 Id., à la p. 685.

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