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T-1677-96

Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Stanley Moore, Dale Akerstrom, Commission canadienne des droits de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada, Association professionnelle des agents du service extérieur, Institut professionnel de la fonction publique du Canada (défendeurs)

T-954-97

Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Stanley Moore, Dale Akerstrom, Commission canadienne des droits de la personne, Alliance de la fonction publique du Canada, Association professionnelle des agents du service extérieur (défendeurs)

Répertorié: Canada (Procureur général)c. Moore(1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay"Ottawa, 26 janvier et 14 août 1998.

Droits de la personne Des fonctionnaires ont déposé des plaintes en vertu des art. 7, 9 et 10 de la LCDP, alléguant que leur non-admissibilité aux prestations de conjoint constituait de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelleLes plaintes ont été accueillies par le TCDPLe Conseil du Trésor a créé une nouvelle catégorie, lepartenaire de même sexe, admissible aux mêmes avantages que les conjoints de faitLe régimeséparé mais égalproposé par l'employeur constituait une pratique discriminatoire fondée sur l'orientation sexuelle qui est interdite par l'art. 7 de la LoiLe termeconjointdoit être défini sans faire référence aux termesdu sexe opposéou au sexeL'employeur a fait défaut de cesser d'appliquer la définition discriminatoire deconjoint.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Demandes d'annulation d'une ordonnance du TCDP exigeant la préparation d'un inventaire de la législation, etc., contenant des définitions de conjoint de fait discriminatoires à l'égard des couples de même sexe, et d'une ordonnance supplémentaire portant que le Conseil du Trésor ne s'était pas conformé à la première ordonnance en octroyant des avantages sociaux aux employés vivant avec des conjoints de même sexeLe tribunal a ordonné à l'employeur d'accorder les avantages concernés en modifiant la définition deconjointdans les documents relatifs à l'emploiLe CT a créé une catégorie distincte de personnes, lespartenaires de même sexe, ayant droit aux avantages sociauxL'ordonnance de préparer un inventaire n'était pas contraire aux exigences de la justice naturelle et de l'équité procéduraleLe tribunal n'a pas rendu jugement à l'avance sur les effets discriminatoires de la documentation devant faire partie de l'inventaire, dont les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenuUne interprétation large et libérale des pouvoirs de redressement que la LCDP a conférés au tribunal a permis à ce dernier de conserver sa compétenceLe demandeur a été informé raisonnablement à l'avance de l'objet du litige.

Il s'agissait de demandes d'annulation de deux ordonnances rendues par le tribunal canadien des droits de la personne. La première ordonnance, datée du 13 juin 1996, exigeait la préparation d'un inventaire des lois, règlements, directives, etc. contenant des définitions de conjoint de fait qui sont discriminatoires à l'égard des couples de même sexe ou qui continuent à représenter une discrimination dans la prestation des avantages sociaux découlant de l'emploi. La deuxième ordonnance, datée du 10 avril 1997, a conclu que l'approche adoptée par le Conseil du Trésor (l'employeur), relativement à l'octroi d'avantages sociaux aux employés vivant avec des conjoints du même sexe n'était pas conforme à l'ordonnance antérieure, et a ordonné à l'employeur d'accorder les avantages concernés en modifiant la définition de "conjoint" dans les documents relatifs à l'emploi. Les employés, qui étaient défendeurs dans les deux demandes, ont déposé un certain nombre de plaintes en vertu des articles 7, 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, alléguant qu'ils étaient victimes de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Ils se sont plaints, entre autres, que le Conseil du Trésor avait fait preuve de discrimination à leur égard en concluant une entente privant d'avantages sociaux les employés vivant avec des conjoints de même sexe, notamment en leur refusant la protection prévue par le Régime de soins de santé de la fonction publique. Le tribunal a jugé bien fondées les plaintes de discrimination en raison de l'orientation sexuelle. En réaction à ces plaintes, le Conseil du Trésor a proposé la création d'une nouvelle catégorie, soit celle de "partenaire de même sexe", qui recevrait les mêmes avantages que ceux auxquels ont droit les conjoints de fait. Le tribunal a jugé que son ordonnance du 13 juin exigeait non pas la création d'une catégorie distincte, mais la définition des mots "conjoint" ou "conjoint de fait" comme si les mots "du sexe opposé" ou toute mention du sexe des partenaires étaient exclus de la définition. Le tribunal a également ordonné au Conseil du Trésor et à deux syndicats de la fonction publique de cesser d'appliquer toute définition de conjoint qui a pour effet de maintenir la pratique discriminatoire. Dans la première demande de contrôle judiciaire, la principale question en litige était de savoir si l'ordonnance de préparer un inventaire et de soumettre une proposition aux fins de modifier "les lois, les règlements, les directives, etc." niait injustement le droit du demandeur de savoir ce qui est invoqué contre lui, contrairement aux exigences de la justice naturelle et de l'équité procédurale, et équivalait à un excès de compétence. Dans la deuxième demande, les questions en litige étaient de savoir: 1) si le tribunal avait commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en réexaminant l'ordonnance de cesser et de ne pas faire; 2) s'il avait commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'approche des employeurs relativement à l'octroi des avantages ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne ; 3) s'il avait outrepassé sa compétence en se prononçant sur des dispositions législatives ne faisant pas l'objet des plaintes dont il était saisi.

Jugement: les deux demandes sont rejetées.

La Cour devait d'abord examiner le degré de retenue dont il faut faire preuve envers les décisions du tribunal des droits de la personne. L'expertise d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne, et ne s'étend pas à des questions générales de droit. Les conclusions de droit du tribunal doivent être examinées du point de vue de leur justesse, et non pas en fonction de leur caractère raisonnable. En conséquence, la Cour devait caractériser les conclusions du tribunal comme des questions de fait ou de droit afin d'appliquer la norme de contrôle appropriée.

Dans la première demande, ou a été soutenu que le tribunal avait outrepassé sa compétence et contrevenu aux exigences de la justice naturelle en ordonnant un redressement concernant les "lois, règlements, directives, etc.", qui ne faisaient pas partie du litige dans l'instance devant le tribunal et à l'égard desquels aucune preuve n'a été produite. Il était prématuré de soulever les questions de justice naturelle et d'équité procédurale à cette étape car il ne pouvait être tenu pour acquis que le tribunal utiliserait l'inventaire au détriment de la Couronne ou que celle-ci ne se verrait pas donner la possibilité de discuter des effets de la loi sur elle ou sur les défendeurs. On ne pouvait pas prétendre que le tribunal avait rendu jugement à l'avance sur les effets discriminatoires de la documentation devant faire partie de l'inventaire, dont les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu . Lorsque des propositions ont été faites au tribunal relativement à l'inclusion d'éléments dans l'inventaire, le demandeur a eu connaissance des dispositions particulières suggérées ainsi que l'occasion de les défendre devant le tribunal. La théorie des attentes légitimes ne s'appliquait pas aux faits de l'espèce. Le demandeur n'a subi aucun préjudice en raison d'assertions relatives à la portée de l'instance. On ne peut prétendre qu'en rendant l'ordonnance d'inventaire, le tribunal a jugé illégitimes les "lois, règlements, directives, etc." à inclure dans cet inventaire. Aucun préjudice n'a été subi par le demandeur en raison de toute attente qu'il ait pu avoir avant le début des audiences relativement aux avantages dont serait saisi le tribunal.

La deuxième demande a soulevé trois questions. En premier lieu, le demandeur a soutenu que le tribunal avait outrepassé sa compétence dans sa décision du 10 avril 1997 en réexaminant et en modifiant l'ordonnance de cesser et de ne pas faire, et en vérifiant si elle avait été respectée. Une interprétation large et libérale des pouvoirs de redressement que la Loi canadienne sur les droits de la personne a conférés au tribunal a permis à ce dernier de conserver sa compétence. Le tribunal jouit d'un pouvoir discrétionnaire important de rouvrir une affaire, qu'il pouvait exercer en l'espèce. La question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire est exercé convenablement par le tribunal dépendra des faits de chaque instance. Le tribunal n'a pas considéré que son ordonnance était finale et définitive, de telle sorte qu'elle l'empêchait de réexaminer toute matière faisant l'objet de l'ordonnance. Il a plutôt réservé sa compétence en la matière, comme il avait le droit de le faire. Le paragraphe 53(2) de la Loi conférait au tribunal le pouvoir de rouvrir l'instance. Le tribunal n'a pas commis d'erreur dans sa seconde décision lorsqu'il a conclu qu'il pouvait rouvrir son ordonnance antérieure de cesser et de ne pas faire. En deuxième lieu, le demandeur a soutenu que le régime proposé par l'employeur ne contrevenait pas aux exigences de la Loi et de la Charte, se fondant en grande partie sur l'arrêt Egan c. Canada de la Cour suprême du Canada. La véritable question soumise à la Cour était de savoir si le tribunal a conclu à juste titre que la Loi et la Charte exigent que le terme "conjoint" soit défini dans les documents pertinents comme si la référence au "sexe opposé" n'existait plus ou qu'il soit interprété sans référence au sexe. La proposition de l'employeur en l'espèce ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne , qui inclut l'orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite. Les juges majoritaires de la Cour suprême dans Egan ont établi une norme applicable à la définition de "conjoint" nécessaire au respect de l'exigence de non-discrimination prévue par l'article 15 de la Charte, à savoir le retrait de la notion de "sexe opposé". Une interdiction similaire contre la discrimination existe dans la Loi, mais elle n'est pas soumise à une restriction de la nature de l'article premier. En conséquence, la norme établie par la Cour suprême sur la question de la discrimination doit s'appliquer et la définition de conjoint contenue dans les dispositions concernées ne doit pas faire référence au sexe. La proposition de l'employeur a établi un régime "séparé mais égal", qui fait une distinction entre les relations de ses participants en fonction de leur orientation sexuelle, de sorte qu'il est discriminatoire. Les distinctions législatives fondées sur l'orientation sexuelle peuvent avoir pour effet de renforcer des notions discriminatoires préexistantes et être de ce fait discriminatoires, même si, en pratique, elles ne donnent pas nécessairement lieu à une véritable inégalité. Compte tenu des faits de l'espèce, la définition distincte de partenaires de même sexe, énoncée par l'employeur sans explication, a renforcé la distinction établie entre les couples homosexuels et hétérosexuels, laquelle est généralement fondée sur des motifs de discrimination. En créant une nouvelle catégorie visant les conjoints de même sexe, le demandeur a omis de respecter l'ordonnance du 13 juin du tribunal. Il n'existait aucun motif de modifier la décision du 10 avril 1997 du tribunal en ce qui concerne sa conclusion selon laquelle l'employeur ne s'était pas conformé à son ordonnance antérieure de cesser et de ne pas faire. Enfin, le demandeur s'est opposé à l'ordonnance d'inventaire du 13 juin en s'appuyant sur des motifs de justice naturelle, dans la mesure où cette ordonnance visait à englober des lois, des politiques et des directives différentes de celles mentionnées dans les plaintes. Il a affirmé que le tribunal avait commis une erreur de fait dans sa décision d'avril 1997 en concluant qu'il existait un engagement de la part de Revenu Canada de considérer l'ensemble des avantages liés à l'emploi de la même manière au regard de la Loi de l'impôt sur le revenu . Il n'existait aucun motif de modifier la décision rendue en avril 1997 par le tribunal et aucun motif de conclure que le demandeur n'a pas été informé raisonnablement à l'avance de l'objet du litige. Les commentaires du tribunal sur l'issue de la question fiscale dans sa décision d'avril 1997 n'étaient pas une "décision" ou une "ordonnance" comportant des effets juridiques et, de ce fait, susceptible de contrôle judiciaire. Cette décision n'a pas eu comme effet de lier les parties quant à la manière dont le tribunal a perçu la question fiscale. L'erreur de fait alléguée par le demandeur, soit l'engagement rapporté incorrectement, n'était pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Code des droits de la personne, L.M. 1987-88, ch. 45.

Individual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980, ch. I-2.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 5, 7, 9, 10, 15g), 53(2).

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1; Canada (Procureur général) c. Moore, [1996] A.C.F. no 1139 (1re inst.) (QL); Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621; (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 62; 16 Imm. L.R. (2d) 241; 136 N.R. 254 (C.A.); Brink's Canada Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 2 C.F. 113; (1996), 39 Admin. L.R. (2d) 203; 96 CLLC 230-010; 105 F.T.R. 215 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Grover (1994), 28 Admin. L.R. (2d) 231; 24 C.H.R.R. D/390; 80 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.); Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; C.E.B. & P.G.R. 8216; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Egan c. Canada, [1993] 3 C.F. 401; (1993), 103 D.L.R. (4th) 336; 15 C.R.R. (2d) 310; 153 N.R. 161 (C.A.); Vogel v. Manitoba (1995), 126 D.L.R. (4th) 72; [1995] 6 W.W.R. 513; 102 Man. R. (2d) 89; 12 C.C.E.L. (2d) 302; 23 C.H.R.R. D/173; 95 CLLC 230-034 (C.A. Man.); Hum c. Gendarmerie royale du Canada (1986), 8 C.H.R.R. D/3748; Rosenberg v. Canada (Attorney General) (1998), 38 O.R. (3d) 577; 156 D.L.R. (4th) 664 (C.A.); Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493; (1998), 156 D.L.R. (4th) 385.

distinction faite avec:

Canada (Procureur général) c. McKenna, [1995] 1 C.F. 694; (1994), 22 C.H.R.R. D/512; 88 F.T.R. 202 (1re inst.).

décision examinée:

Nadeau c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (1996), 109 F.T.R. 128 (C.F. 1re inst).

décisions citées:

Haig v. Canada (1992), 9 O.R. (3d) 495; 94 D.L.R. (4th) 1; 40 C.R.R. (2d) 287; 57 O.A.C. 272 (C.A.); Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 1 C.F. 376 (1re inst.); Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.

DEMANDES de contrôle judiciaire de deux ordonnances du tribunal canadien des droits de la personne ([1996] D.C.D.P. no 8 (QL); [1997] D.C.D.P. no 4 (QL)) qui portaient sur des plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Demandes rejetées.

ont comparu:

Brian J. Saunders et Micheline Langlois pour le demandeur.

Stanley Moore pour son propre compte.

Patricia Lawrence pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne.

Andrew J. Raven pour la défenderesse Alliance de la fonction publique du Canada.

Pamela J. MacEachern pour les défendeurs Association professionnelle des agents du service extérieur et Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Services juridiques de la Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne.

Raven Allen Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour la défenderesse Alliance de la fonction publique du Canada.

Nelligan Power, Ottawa, pour les défendeurs Association professionnelle des agents du service extérieur et Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendues par

Le juge MacKay: Il s'agit de deux demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], par le procureur général du Canada. Une audience conjointe a été ordonnée. Des ordonnances rejetant les deux demandes sont rendues pour les motifs exposés ci-après.

Dans le dossier de la Cour numéro T-1677-96, ouvert le 15 juillet 1996, le procureur général a demandé l'annulation de l'ordonnance rendue le 13 juin 1996 par le tribunal canadien des droits de la personne [[1996] D.C.D.P. no 8 (QL)] quant à la partie relative à la compensation octroyée au défendeur Moore pour la période antérieure au 6 août 1992 et quant à l'exigence de préparer "un inventaire des lois, règlements, directives, etc. contenant des définitions de conjoint de fait qui sont discriminatoires à l'égard des couples de même sexe ou qui, de toute autre façon au moment de leur application, continuent à représenter une discrimination dans la prestation des avantages sociaux découlant de l'emploi". L'ordonnance recherchée aurait aussi pour effet d'annuler l'exigence prescrite de remettre au tribunal une proposition pour éliminer ces dispositions. Par lettre datée du 22 janvier 1998, le demandeur a retiré ses moyens et sa requête relativement à l'annulation de l'octroi à M. Moore d'une compensation pour les avantages et les dépenses antérieurs au 6 août 1992.

Dans le dossier de la Cour T-954-97, ouvert le 9 mai 1997, le demandeur a cherché à obtenir l'annulation de l'ordonnance supplémentaire rendue le 10 avril 1997 par le tribunal [[1997] D.C.D.P. no 4 (QL)], dans la mesure où cette dernière modifie l'ordonnance du 13 juin 1996 et conclut que l'approche adoptée par le Conseil du Trésor, au nom du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (collectivement appelés l'employeur), relativement à l'octroi d'avantages sociaux aux employés vivant avec des conjoints du même sexe n'est pas conforme à l'ordonnance du 13 juin 1996. Le demandeur a aussi contesté la décision du 10 avril 1997 au motif qu'elle ordonnait à l'employeur d'accorder les avantages concernés en modifiant la définition de conjoint dans les documents relatifs à l'emploi et qu'elle visait des dispositions législatives excédant la portée des plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], laquelle fonde la compétence du tribunal.

Dans les présents dossiers, sont défendeurs MM. Moore et Akerstrom, qui étaient plaignants dans les affaires soumises au tribunal, la Commission canadienne des droits de la personne, et les organismes qui étaient intimés dans les procédures déposées auprès du tribunal, savoir l'Alliance de la fonction publique du Canada et l'Association professionnelle des agents du service extérieur. L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, qui était une partie intéressée dans les procédures dont était saisi le tribunal, est un défendeur dans le dossier T-1677-96.

Le contexte

Le défendeur Moore, à l'emploi du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), a déposé des plaintes en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), H-6, et ses modifications (la Loi), le 15 février 1994 contre le MAECI (2 plaintes), le Conseil du Trésor (1 plainte), l'Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE) (1 plainte), et contre son agent négociateur, alléguant qu'il était victime de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

M. Moore s'est dit victime de discrimination par le MAECI, ayant été avisé les 22 septembre 1992, 12 janvier 1993 et 9 novembre 1993 qu'il n'était pas admissible aux prestations au conjoint aux termes de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l'APASE et des Directives sur le service extérieur. Il a donc été allégué que le MAECI avait contrevenu aux articles 71 et 102 de la Loi. Dans sa plainte contre le Conseil du Trésor, Moore a prétendu que le Conseil du Trésor avait, contrairement à l'article 10 de la Loi, appliqué des lignes de conduite et conclu une entente susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement (les prestations au conjoint aux termes de la convention collective liant le Conseil du Trésor et l'APASE et des Directives sur le service extérieur) d'une catégorie d'individus (les employés homosexuels). Enfin, dans sa plainte contre l'APASE, M. Moore a soutenu que celle-ci avait conclu une entente susceptible de priver ses membres homosexuels de chances d'emploi ou d'avancement et de prestations au conjoint, en contravention à l'article 10 de la Loi.

Le défendeur Akerstrom, à l'emploi de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, a déposé des plaintes en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne le 3 février 1993 contre le Conseil du Trésor (2 plaintes), la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1 plainte), et contre l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) (2 plaintes), pour discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

M. Akerstrom s'est plaint que le Conseil du Trésor avait fait preuve de discrimination à son égard en concluant une entente privant d'avantages sociaux les employés vivant avec des conjoints du même sexe, notamment en leur refusant la protection prévue par le Régime de soins de santé de la fonction publique, contrairement à l'article 10 de la Loi. Dans sa seconde plainte contre le Conseil du Trésor, M. Akerstrom a avancé que ce dernier avait fait preuve de discrimination à son égard en le privant d'avantages sociaux prévus par ce régime, contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi. Dans sa plainte contre la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, M. Akerstrom a soutenu que cette dernière s'était comportée de façon discriminatoire envers lui en lui refusant l'accès à des avantages sociaux, notamment en lui refusant la protection du conjoint prévue par le Régime de soins de santé de la fonction publique, contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi. Dans l'une de ses plaintes contre l'AFPC, M. Akerstrom a prétendu que celle-ci avait fait preuve de discrimination à son endroit en concluant une entente le privant des prestations au conjoint prévues par ce même régime. Dans son autre plainte contre elle, il a affirmé avoir été l'objet de discrimination vu la conclusion par l'AFPC d'une entente le privant d'avantages sociaux consistant en la protection du conjoint prévue par le régime. M. Akerstrom a soutenu que l'AFPC avait contrevenu aux articles 93 et 10 de la Loi.

Par lettre du 25 novembre 1994, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a informé le Conseil du Trésor qu'elle référait les plaintes de MM. Akerstrom et Moore à un tribunal pour fins d'enquête et qu'elle demanderait leur jonction. Par lettres datées des 24 janvier et 24 février 1995, l'avocat du Conseil du Trésor a demandé des précisions quant aux avantages sociaux faisant l'objet des procédures. L'avocat s'est dit particulièrement préoccupé par le fait que les prestations de retraite n'étaient pas en jeu. Dans des lettres datées des 13 février et 8 mars 1995, l'avocate de la Commission a mentionné qu'elle communiquerait la position de cette dernière sur les prestations de retraite lors d'une conférence préparatoire à venir.

Lors de cette conférence, tenue le 9 mars 1995, il a été convenu que les avocats se réuniraient de nouveau le 3 avril 1995 et qu'à ce moment, l'avocate de la Commission circonscrirait avec précision les avantages visés par la plainte. Par lettres datées des 21 et 31 mars 1995, la Commission a précisé que les prestations de retraite faisaient l'objet des plaintes de M. Akerstrom. Lors de la conférence du 3 avril, après discussions entre les avocats des parties, le tribunal a déclaré que l'enquête ne porterait que sur les avantages sociaux et que les parties régleraient entre elles la question des prestations de retraite. Les parties ont également convenu de déposer un cahier conjoint de documents relatifs aux différents avantages. Les extraits les plus importants du rapport préparatoire du tribunal mentionnent:

[traduction] Après de longues discussions entre elles sur la manière dont la partie de la plainte relative aux prestations de retraite serait abordée en Cour fédérale, les parties ont convenu de procéder uniquement quant aux avantages sociaux et de régler entre elles la question des prestations de retraite.

. . .

Les parties déposeront un cahier conjoint de documents qui traitera des différents avantages en question et de la convention collective.

Or, par lettre datée du 8 mai 1995, la Commission a indiqué que, dans le cadre de la plainte de M. Akerstrom, elle chercherait à obtenir:

[traduction] . . . une modification de l'accès aux prestations de retraite aux termes de la Loi sur la pension de la fonction publique. Un changement de politique comprendrait la non-application de la définition discriminatoire de conjoint en vertu de la Loi; l'accès aux prestations de retraite nonobstant la définition discriminatoire de conjoint aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu.

. . .

. . . veuillez m'informer de l'intention de votre client [c.-à-d. le Conseil du Trésor] quant au dépôt de toute demande auprès de la Cour fédérale relativement à la partie de la plainte portant sur les prestations de retraite.

De plus, la Commission a demandé:

[traduction] . . . une modification à la politique du Conseil du Trésor quant à l'accès aux soins médicaux et dentaires. La Commission cherche à obtenir une entente ou une ordonnance du tribunal prévoyant que l'employeur modifie la définition du terme "conjoint" ou l'interprète de façon à ce que ce terme inclue les conjoints de fait du même sexe, le texte même pouvant faire l'objet de discussions plus élaborées ultérieurement.

Dans sa lettre datée du 3 août 1995, l'avocat du Conseil du Trésor a exposé sa perception des avantages faisant l'objet du litige et a exclu les prestations de retraite de la liste établie. Dans sa réponse du 12 septembre 1995, la Commission a fait remarquer que la liste du Conseil du Trésor incluait presque tous les avantages en question, soulignant [traduction] "que la liste ne contient pas la prestation de retraite réclamée dans la plainte de Akerstrom en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-36]". L'avocate de la Commission a aussi écrit:

[traduction] J'aimerais confirmer que vous me ferez part sous peu de votre intention quant aux prestations de retraite; soit de demander une ordonnance du tribunal et de vous adresser ensuite à la Cour fédérale ou alors de vous adresser immédiatement à la Cour fédérale.

La lettre réitérait aussi le fait que la Commission demanderait [traduction] "une ordonnance enjoignant à l'employeur d'interpréter le terme "conjoint" de façon non discriminatoire, c'est-à-dire en incluant les conjoints du même sexe dans l'application de la définition".

Au cours des procédures devant le tribunal, les parties ont produit, par consentement, un cahier conjoint de documents, qui décrivait les avantages en cause, excluant les prestations de retraite ou tout autre avantage prévu par la loi. Comme en a convenu l'avocate de la Commission auprès du tribunal, il semble que les prestations de retraite ne faisaient pas partie du litige. Toutefois, les parties ont longuement discuté des conséquences fiscales des avantages conférés aux conjoints du même sexe, l'avocat du Conseil du Trésor s'étant alarmé du fait qu'il ne savait pas que la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] serait abordée devant le tribunal.

Dans sa décision du 13 juin 1996, le tribunal, s'appuyant sur les articles 7, 9 et 10 de la Loi, a jugé bien fondées les plaintes de discrimination en raison de l'orientation sexuelle. Entre autres choses, M. Akerstrom s'est vu accorder tous les frais supplémentaires encourus par lui-même et par son partenaire pour obtenir d'autres services que ceux refusés en raison de la pratique discriminatoire. M. Moore s'est notamment vu octroyer une compensation pour l'ensemble des avantages et dépenses du conjoint à compter de juillet 1991.

Le tribunal a rejeté les arguments du Conseil du Trésor selon lesquels le redressement ne pouvait rétroagir à une date antérieure au 6 août 1992, date à laquelle la Cour d'appel de l'Ontario, dans Haig v. Canada4, a interprété l'orientation sexuelle comme constituant un motif illicite de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal s'est appuyé sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Miron c. Trudel5, pour dire que, en élaborant un redressement, un tribunal peut "interpréter largement" une version antérieure d'une loi pour la rendre conforme aux dispositions qui y sont ajoutées ultérieurement. Au surplus, le tribunal a conclu que la discrimination dont se plaignait M. Moore était une discrimination continue qui, nonobstant le fait qu'elle ait débuté avant la décision rendue dans Haig , s'était poursuivie jusqu'à la date de la décision du tribunal.

Le tribunal a également ordonné au Conseil du Trésor, à l'AFPC et à l'APASE de cesser (l'"ordonnance de cesser et de ne pas faire") d'appliquer toute définition de conjoint ou autre disposition des Directives sur le service extérieur, des conventions collectives, du Conseil national mixte, du Régime des soins de santé de la fonction publique ou du Régime des soins dentaires qui ont pour effet de maintenir la pratique discriminatoire. Il a été ordonné aux parties d'interpréter toute disposition de cette nature conformément à la Loi et à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés , qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] en incluant les conjoints de même sexe qui vivent en union de fait. L'extrait pertinent de l'ordonnance prévoit [au paragraphe 112]:

c) Le Tribunal ordonne également que, conformément à l'alinéa 53(2)a) de la Loi, les intimés cessent d'appliquer toute définition de conjoint ou autres dispositions des Directives sur le service extérieur, des conventions collectives, des politiques du Conseil national mixte, du Régime des soins de santé de la fonction publique ou du Régime des soins dentaires qui ont pour effet de maintenir la pratique discriminatoire et qu'ils interprètent toute définition ou disposition d'une façon qui soit conforme à la Loi ([et à] la Charte) en incluant les conjoints de même sexe qui vivent en union de fait.

Le tribunal a également ordonné que le Conseil du Trésor, l'AFPC et l'APASE préparent, en consultation et en collaboration avec la Commission, un inventaire des "lois, règlements, directives, etc." (documentation incluse) contenant des définitions de conjoint de fait qui sont discriminatoires ou qui, de toute autre façon au moment de leur application, continuent à représenter une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dans la prestation des avantages sociaux découlant de l'emploi (l'"ordonnance d'inventaire"). Le tribunal a ordonné l'inclusion dans cet inventaire de toute disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui traite une prestation liée à l'emploi versée à des couples homosexuels vivant en union de fait d'une façon différente, aux fins de l'impôt, que si elle avait été versée à des couples hétérosexuels vivant en union de fait. Cet inventaire devait être présenté au tribunal dans un délai de 60 jours, qui a par la suite été prorogé à 90 jours. Il a aussi été ordonné au Conseil du Trésor, à l'AFPC et à l'APASE de préparer une proposition visant l'élimination des dispositions discriminatoires recensées par l'inventaire. L'extrait pertinent de l'ordonnance prévoit [au paragraphe 112]:

d) Le Tribunal ordonne également que, dans les soixante jours de la délivrance de la présente décision, les intimés, en consultation et en collaboration avec la Commission, préparent:

(1). un inventaire des lois, règlements, directives, etc. contenant des définitions de conjoint de fait qui sont discriminatoires à l'égard des couples de même sexe ou qui, de toute autre façon au moment de leur application, continuent à représenter une discrimination dans la prestation des avantages sociaux découlant de l'emploi, et de remettre cet inventaire par écrit au Tribunal avant l'expiration du délai de soixante jours. À la demande des parties, cet inventaire ne comprendra pas les lois relatives aux prestations de pension, mais il inclura toute disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui considérerait toute prestation liée à l'emploi versée à des couples homosexuels vivant en union de fait d'une façon différente, aux fins de l'impôt, que si elle avait été versée à des couples hétérosexuels vivant en union de fait;

(2). une proposition visant l'élimination de toutes ces dispositions discriminatoires devra être présentée au Tribunal dans la période de soixante jours.

La décision du 13 juin 1996 fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1677-96.

Vers la fin de septembre 1995, le Conseil du Trésor avait proposé aux agents négociateurs un protocole d'entente accordant certains avantages sociaux aux employés vivant avec des partenaires du même sexe. Vu l'absence d'entente sur la manière de procéder pour conférer les avantages sociaux, le Conseil du Trésor leur a volontairement donné accès à ces avantages, en novembre 1995, de la façon qu'il avait proposée. En pratique, la proposition du Conseil du Trésor prévoyait la création d'une nouvelle catégorie, soit celle de "partenaire du même sexe", qui recevrait les mêmes avantages que ceux auxquels ont droit les conjoints de fait. L'extrait pertinent du protocole d'entente proposé par le Conseil du Trésor aux parties concernées prévoit:

Les parties conviennent:

. . .

" que les prestations auxquelles un fonctionnaire qui est un conjoint de fait a droit conformément aux dispositions susmentionnées doivent être consenties à un fonctionnaire qui vit avec un partenaire du même sexe;

" qu'aux fins du présent protocole d'entente, il existe des liens de "partenaire de même sexe" lorsque, pendant une période continue d'au moins une année, un fonctionnaire a cohabité avec une personne du même sexe dans une relation homosexuelle, l'a publiquement présentée comme son partenaire et vit et a l'intention de continuer à vivre avec cette personne comme si elle était son partenaire; . . .

À la date de l'ordonnance du tribunal, le MAECI et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada se sont engagés à suivre ces propositions visant à accorder les mêmes avantages aux employés vivant avec des partenaires du même sexe, et ces organismes ont établi des critères aux fins de déterminer les relations entre partenaires du même sexe admissibles à ces avantages.

Le 4 octobre 1996, à la suite d'une demande présentée en vain à la Cour par le procureur général et visant à surseoir à l'ordonnance rendue le 13 juin 1996 par le tribunal, qui enjoignait la préparation de l'inventaire des dispositions discriminatoires, l'employeur et les défendeurs, à l'exception de MM. Moore et Akerstrom, ont déposé auprès du tribunal l'inventaire requis par l'ordonnance.

Le 17 octobre 1996, le tribunal a rouvert l'enquête sur les questions litigieuses relatives à son ordonnance du 13 juin 1996. Dans sa décision du 10 avril 1997, faisant l'objet du litige dans le dossier T-954-87, il a jugé ne pas être dessaisi et conclu que la réponse de l'employeur, dans l'optique d'assurer l'accès aux avantages sociaux aux conjoints de fait du même sexe, dénotait "une vision trop étroite de la question". En particulier, les parties avaient omis d'interpréter la définition de conjoint conformément à la Loi et à la Charte. La réponse de l'employeur a eu pour effet de créer une catégorie distincte de personnes connues comme "partenaires du même sexe" ayant droit aux avantages sociaux. Le tribunal a jugé que son ordonnance du 13 juin exigeait, non pas la création d'une catégorie distincte, mais la définition des mots "conjoint" ou "conjoint de fait", se trouvant dans les Directives sur le service extérieur, les conventions collectives, les politiques du Conseil national mixte, le Régime de soins de santé de la fonction publique et le Régime de soins dentaires, comme si les mots "du sexe opposé" ou toute mention du sexe des partenaires étaient exclus de la définition. La partie fondamentale de la décision rendue par le tribunal en avril 1997 indique [au paragraphe 10]:

Dans le paragraphe c), le Tribunal a ordonné que les employeurs renoncent et mettent fin à l'application de toute définition du mot "conjoint" ayant pour effet d'empêcher les conjoints de fait du même sexe d'avoir accès aux mêmes avantages sociaux que les autres conjoints de fait. L'ordonnance exigeait également des employeurs qu'ils interprètent toute définition du mot "conjoint" ou toute autre disposition des documents mentionnés au paragraphe c) conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la Charte, de manière qu'elle englobe les couples composés de conjoints de fait du même sexe. Les employeurs ne se sont pas conformés à cette partie de l'ordonnance. Plutôt que d'étendre l'accès aux avantages sociaux aux couples composés de partenaires du même sexe, les employeurs ont décidé d'ajouter une nouvelle définition aux définitions déjà stipulées dans les Directives du service étranger (DSE), les conventions collectives, les politiques du Conseil national mixte et celles du Régime de soins de santé de la fonction publique et du Régime de soins dentaires. Cette mesure n'est pas conforme au paragraphe c) de l'ordonnance du Tribunal. Notre ordonnance exige en effet que la définition du mot "conjoint" soit interprétée conformément à la Loi et à la Charte. On peut de toute évidence y parvenir facilement en interprétant simplement la définition du mot "conjoint" ou "conjoint de fait" que l'on trouve dans ces documents comme si les mots "de sexe opposé" n'étaient pas inclus à la définition, ou encore, dans le cas des déclarations visant à désigner son conjoint aux fins des Directives sur le service extérieur, en interprétant toute définition de "conjoint" ou de "relation matrimoniale" sans tenir compte des mentions ayant trait au sexe des partenaires. Voilà ce qu'exige le paragraphe c) de l'ordonnance. Il est donc ordonné aux employeurs d'offrir les avantages sociaux sur cette base plutôt que sur la base d'une classification établie autrement que par ces documents.

Dans la même décision, le tribunal a aussi traité de l'inventaire préparé conformément à l'ordonnance du 13 juin. Il a souligné que l'ensemble des questions énoncées par les parties dans l'inventaire avaient été abordées d'une façon ou d'une autre. Notamment, le tribunal a jugé que la question de savoir si les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu établissaient une discrimination contre les couples de même sexe avait été réglée par la confirmation écrite de Revenu Canada qu'il reconnaîtrait un régime de soins de santé privé les protégeant. Les employeurs avaient également confirmé que tous les employés seraient traités "de la même manière" par Revenu Canada quant à leurs avantages sociaux. À cet égard, l'extrait pertinent de la décision du tribunal mentionne [au paragraphe 27]:

La question de l'impôt sur le revenu a été réglée à la suite de l'échange de correspondance décrit ci-dessous. Dans une lettre datée du 9 septembre 1996 adressée par Bryan Dath, de Revenu Canada, à John Ambridge, du Conseil du Trésor du Canada, et dans une lettre datée du 4 octobre 1996 acheminée par Brian H. Saunders, de la section des litiges civils du ministère de la Justice au tribunal canadien des droits de la personne, il est indiqué et confirmé que Revenu Canada reconnaîtra désormais un régime privé d'assurance-santé qui offre une protection à des couples composés de partenaires du même sexe. Il a aussi été confirmé par le procureur des employeurs devant le Tribunal que tous les employés seront traités de la même manière par Revenu Canada en ce qui concerne leurs avantages sociaux, y compris en ce qui concerne la contribution financière de l'employeur à des régimes privés d'assurance-santé établis en vertu des politiques et des directives du Conseil national mixte ou en vertu des différentes conventions collectives.

Les questions en litige

À la lumière de la lettre du 22 janvier 1998 du demandeur, la seule question à résoudre dans le dossier T-1677-96 est: L'ordonnance de préparer un inventaire et de soumettre une proposition aux fins de modifier "les lois, les règlements, les directives etc." nie-t-elle injustement le droit du demandeur de savoir ce qui est invoqué contre lui, contrairement aux exigences de la justice naturelle et de l'équité procédurale, et équivaut-elle à un excès de compétence?

Les questions en litige dans le dossier T-954-97 sont:

1. Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en réexaminant l'ordonnance de cesser et de ne pas faire?

2. Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit et de fait en concluant que l'approche des employeurs relativement à l'octroi des avantages ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

3. Le tribunal a-t-il outrepassé sa compétence en se prononçant sur des dispositions législatives ne faisant pas l'objet des plaintes dont il était saisi?

Analyse

Je souligne tout d'abord qu'avant d'aborder les questions en litige dans la présente affaire, la Cour doit examiner le degré de retenue dont il faut faire preuve envers les décisions du tribunal des droits de la personne. L'arrêt de principe sur cette question est la décision de la Cour suprême Canada (Procureur général) c. Mossop6. Dans cette dernière, la majorité de la Cour a, malgré la forte dissidence de Mme le juge L'Heureux-Dubé, conclu que bien que les tribunaux fassent preuve de retenue judiciaire envers les tribunaux administratifs pour des raisons d'expertise relative, l'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne, et ne s'étend pas à des questions générales de droit. Les conclusions de droit du tribunal doivent être examinées du point de vue de leur justesse, et non pas en fonction de leur caractère raisonnable. En conséquence, la Cour doit caractériser les conclusions du tribunal comme des questions de fait ou de droit afin d'appliquer la norme de contrôle appropriée7.

T-1677-96

Le demandeur a prétendu que les plaintes déposées par MM. Akerstrom et Moore ne mentionnaient ni loi ni règlement comme question en litige. Il a soutenu que le tribunal avait outrepassé sa compétence et contrevenu aux exigences de la justice naturelle en ordonnant un redressement concernant les "lois, règlements, directives, etc.", qui ne faisaient pas partie du litige dans les procédures soumises au tribunal et à l'égard desquelles aucune preuve n'a été produite. Dans sa plaidoirie, le procureur général a avancé qu'en exigeant la production de cet inventaire, le tribunal a jugé à l'avance la documentation discriminatoire. Subsidiairement, il a prétendu que les consultations préalables à l'enquête, qui portaient sur l'étendue des avantages en cause, ont donné lieu à une attente légitime selon laquelle seuls les avantages mentionnés alors faisaient partie du litige et devaient faire l'objet de preuve.

Le demandeur a plus particulièrement contesté la partie de l'ordonnance du tribunal portant sur la Loi de l'impôt sur le revenu. Il a affirmé que cette loi ne conférait pas d'avantages sociaux. Une plainte à l'encontre de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu ne peut être faite qu'en vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et peut être contrée par la défense de motif justifiable aux termes de l'alinéa 15g) de la Loi. En l'espèce, les procédures se sont appuyées sur les articles 7, 9 et 10. De plus, le demandeur ne s'est pas vu donner l'occasion de présenter des éléments de preuve pour justifier la définition de "conjoint" prévue par la Loi de l'impôt sur le revenu puisqu'il n'a pas été avisé que cela ferait partie du litige. Il a allégué que le tribunal n'avait pas le pouvoir d'ordonner aux parties contre lesquelles les plaintes étaient dirigées de revoir des lois et directives qui n'avaient pas été introduites par les plaintes dans le but de décider s'il existait des questions similaires à celles soulevées dans les plaintes, aux fins d'ordonner la modification de ces mesures.

De son côté, la Commission défenderesse a soutenu que les procédures dont est saisi un tribunal sont de la nature d'une enquête. Lorsque des avantages sociaux particuliers liés à l'état de conjoint et similaires à ceux soulevés dans les plaintes attirent l'attention du tribunal, ils peuvent être englobés par ces dernières en raison de leur formulation générale. La CCDP soutient que, bien qu'il soit vrai qu'une bonne partie de la documentation dont l'inclusion dans l'inventaire serait envisageable n'a pas été expressément abordée dans le cadre des procédures, le but et la raison d'être de l'ordonnance ressortent clairement de la preuve et des moyens.

La CCDP a prétendu que les réserves exprimées par les parties et par le tribunal découlaient du besoin de mettre en œuvre un redressement assurant l'égalité sans entraîner d'effets négatifs pour les prestataires. La Loi de l'impôt sur le revenu a été désignée comme une loi susceptible d'entraîner des effets négatifs. Par exemple, l'accès des couples du même sexe aux avantages en matière de soins de santé pourrait sembler contraire aux dispositions d'exemption pour soins de santé prévues dans cette Loi. En conséquence, les parties et le tribunal connaissaient l'existence d'au moins une loi susceptible d'affecter l'application de toute ordonnance obligeant l'employeur à étendre les prestations au conjoint aux couples du même sexe. Cela a soulevé la question de savoir si d'autres lois auraient un effet similaire.

La CCDP a soutenu que, dans un tel contexte, la solution raisonnable consistait à accorder aux parties le temps de repérer toute loi suspecte et l'occasion d'élaborer une proposition visant à éliminer tout effet négatif. Elle a prétendu que le tribunal a agi dans le cadre de sa compétence en exigeant de l'employeur qu'il s'assure qu'un redressement visant la prestation d'avantages n'entraîne pas d'effets négatifs pour MM. Moore et Akerstrom et leurs partenaires.

Enfin, elle a avancé que, avant la présentation d'une proposition de modification des "lois, règlements, directives, etc." ou avant qu'une ordonnance enjoignant aux parties de prendre des mesures pour éviter des effets négatifs ne soit rendue, il n'existait aucune décision pouvant faire l'objet du contrôle de la Cour.

Pour sa part, le défendeur l'AFPC a invoqué les motifs prononcés par le juge Dubé lorsqu'il a refusé d'ordonner une injonction provisoire suspendant l'exécution de l'ordonnance de fournir un inventaire8. Dans ce cas, le juge a écrit que le tribunal avait compétence pour évaluer les effets de toute loi sur les défendeurs concernés, de la même façon que les tribunaux traitant des affaires familiales peuvent tenir compte de la Loi de l'impôt sur le revenu pour évaluer les conséquences financières sur les parties en cause. Le juge a souligné que l'ordonnance du tribunal prévoyait que ce dernier devait se réunir après réception des documents afin d'envisager avec les parties l'incorporation de propositions dans ses ordonnances pour restreindre les effets législatifs négatifs. En conséquence, il était prématuré de soulever les questions de justice naturelle et d'équité procédurale à cette étape car il ne pouvait être tenu pour acquis que le tribunal utiliserait l'inventaire au détriment de la Couronne ou que celle-ci ne se verrait pas donner la possibilité de discuter des effets de la loi sur elle ou sur les défendeurs.

Au surplus, l'AFPC a soutenu que l'ordonnance du tribunal était suffisamment précise pour que le demandeur soit bien informé des paramètres de l'instance et de ce qu'il avait besoin pour répondre aux questions soulevées, de sorte que le demandeur ne pouvait, à juste titre, prétendre que l'ordonnance a été rendue en contravention aux règles de la justice naturelle. La question relative à l'interprétation de la portée et de l'application de l'ordonnance en ce qui a trait à l'inventaire s'est continuellement posée devant le tribunal, et le demandeur a eu la possibilité de faire valoir ses arguments à ce sujet en temps voulu.

J'estime convaincants les arguments du défendeur l'AFPC selon lesquels la demande déposée dans le dossier T-1677-96 était prématurée, surtout à la lumière de la conclusion du juge Dubé dans Canada (Procureur général) c. Moore9, où le demandeur a tenté d'obtenir une injonction provisoire contre l'ordonnance d'inventaire. Refusant d'ordonner une injonction, notamment au motif qu'il n'existait aucune question sérieuse, le juge Dubé a écrit [aux paragraphes 4 à 6]:

En application du principe fondamental de justice naturelle et d'équité procédurale, la partie faisant l'objet d'une enquête doit être avisée des arguments invoqués contre elle et avoir la possibilité d'y répondre. En l'espèce, le requérant aura la possibilité de répondre quand il présentera l'inventaire au Tribunal et discutera la proposition visant l'élimination de toutes dispositions discriminatoires ainsi qu'il est ordonné à l'alinéa d).

À ce stade, rien n'indique que le Tribunal a l'intention de déclarer inopérant l'un quelconque des textes susmentionnés. Le Tribunal a compétence pour examiner l'impact d'un texte sur les intimés touchés, tout comme les tribunaux de la famille peuvent examiner la Loi de l'impôt sur le revenu pour évaluer l'impact du revenu sur les parties en cause.

Au second paragraphe qui suit immédiatement l'alinéa d), le Tribunal dit dans sa décision qu'il "se réunira après avoir reçu les documents afin d'envisager avec les parties l'incorporation de ces documents dans la présente ordonnance". À mon avis, le requérant ne peut soulever la question de justice naturelle et d'équité procédurale à ce stade puisqu'on ne saurait présumer que le Tribunal se servira de l'inventaire au détriment du requérant ou que ce dernier ne se verra pas accorder la possibilité de discuter de l'impact des textes de la législation sur lui-même ou sur les intimés.

Bien qu'il s'agissait d'une décision interlocutoire, je n'estime pas qu'il y ait, à cette étape, un motif permettant de déroger à ce raisonnement et à cette conclusion.

Je n'estime pas non plus que l'on puisse prétendre que le tribunal, en rendant l'ordonnance énoncée à l'alinéa d), a rendu jugement à l'avance sur les effets discriminatoires de la documentation devant faire partie de l'inventaire, dont les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le tribunal a expressément prévu que "Si les parties ne réussissent pas à faire ce qui précède [préparer un inventaire] dans le délai imparti, elles en informeront le greffe du Tribunal et le Tribunal se réunira", réitérant par là son commentaire antérieur selon lequel il conserverait sa compétence relativement à l'affaire.

J'interprète cet extrait comme signifiant que si les parties devaient être incapables de terminer l'inventaire dans le délai imparti, le tribunal se saisirait de nouveau de l'affaire, ce qui s'est effectivement produit. En d'autres termes, le demandeur, qui s'est opposé à l'inclusion de documentation dans l'inventaire et à la compétence du tribunal pour rendre des ordonnances relatives à la modification de dispositions qui pourraient y être énumérées, aurait l'occasion de faire ses observations au tribunal et de soulever toute défense et tout argument qu'il juge bon de faire valoir.

Selon moi, on ne peut pas dire que, dans son ordonnance du 13 juin, le tribunal est arrivé à une conclusion sur la nature discriminatoire des lois, des règlements et des directives qui pourraient être inclus dans l'inventaire requis. Lorsque des propositions ont été faites au tribunal relativement à l'inclusion d'éléments dans l'inventaire, le demandeur a eu connaissance des dispositions particulières suggérées ainsi que l'occasion de les défendre devant le tribunal. Pour cette raison, l'espèce se distingue du cas Canada (Procureur général) c. McKenna10, sur lequel s'appuie le demandeur. Dans cette affaire, les questions finalement examinées par un tribunal des droits de la personne dans le cadre d'une plainte n'avaient pas été suffisamment circonscrites, empêchant ainsi le procureur général d'y répondre et causant un manquement aux règles de la justice naturelle.

En ce qui concerne la doctrine des attentes légitimes, j'estime qu'elle ne s'applique pas aux faits de l'espèce. Cette doctrine a été définie comme suit dans Nadeau c. Canada (Gendarmerie royale du Canada)11:

. . . une attente légitime peut résulter d'une promesse expresse émanant de la personne qui détient le pouvoir décisionnel, ou d'une pratique établie au point où l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'elle se continue.

Dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Lidder12, la Cour d'appel fédérale a jugé que pour que naisse une attente légitime, il doit y avoir une assertion de fait incitant une personne raisonnable à présumer qu'on y donnera suite, cette personne doit y avoir donné suite et elle doit avoir subi un préjudice pour s'y être fiée. Comme Mme le juge Desjardins (le juge Décary, J.C.A. y souscrivant) l'exprime:

. . . pour que la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'applique, il doit y avoir les éléments suivants:

" une assertion concernant un fait faite avec l'intention qu'on y donne suite ou qu'une personne raisonnable présume qu'on devait y donner suite;

" celui que visait l'assertion y a donné suite;

" celui que visait l'assertion a modifié sa position par suite de l'assertion et a par là subi un préjudice.

Dans sa plaidoirie, l'avocat du demandeur a soutenu qu'en l'espèce, le tribunal avait indiqué que les avantages concernés seraient précisés par les parties avant l'audience. Il a prétendu que le demandeur a agi en conséquence mais que les avantages visés n'ont jamais été déterminés à l'avance. En particulier, le demandeur a affirmé ne pas avoir été avisé à l'avance que la Loi de l'impôt sur le revenu serait abordée. Je remarque cependant que, le 8 mai 1995, l'avocate de la Commission a écrit à celui de l'employeur que l'audition porterait sur l'[traduction] "accès aux prestations de retraite nonobstant la définition discriminatoire de conjoint aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu".

De toute manière, j'estime que le demandeur ne peut prétendre avoir subi de préjudice en raison d'assertions relatives à la portée des procédures. Je répète qu'on ne peut prétendre qu'en rendant l'ordonnance d'inventaire, le tribunal a jugé illégitimes les "lois, règlements, directives, etc." à inclure dans cet inventaire. La question de la légitimité des dispositions contenues dans l'inventaire a été renvoyée pour examen lors de procédures ultérieures, au cours desquelles le demandeur aurait l'occasion de faire des observations. En conséquence, je conclus qu'aucun préjudice n'a été subi par le demandeur en raison de toute attente qu'il ait pu avoir avant le début des audiences relativement aux avantages dont serait saisi le tribunal.

Pour ces motifs, la demande présentée dans le dossier T-1677-96 est rejetée.

T-954-97

La compétence maintenue du tribunal

Relativement aux questions faisant l'objet du dossier T-954-97, le demandeur a soutenu que le tribunal avait outrepassé sa compétence dans sa décision du 10 avril 1997 en réexaminant et en modifiant l'ordonnance de cesser et de ne pas faire, et en vérifiant si elle avait été respectée. Il a affirmé qu'elle énonçait clairement ce qui était ordonné et qu'elle était finale par nature car elle ne laissait rien à résoudre aux parties et prenait effet sur-le-champ.

Le demandeur a prétendu que, bien qu'un tribunal administratif puisse conserver sa compétence sur des éléments dans le cadre d'une ordonnance réparatrice, il ne peut le faire relativement à une ordonnance ou à une partie de celle-ci qui règle entièrement et de façon finale une question. Il ne peut non plus rendre une décision au fond et réserver ensuite sa compétence pour voir si sa décision était juste ou si elle peut être appliquée, ou étendre sa compétence à des questions ne faisant pas partie des procédures originales. Le demandeur a soutenu que le tribunal avait contrevenu à ces préceptes dans sa façon de traiter l'ordonnance de cesser et de ne pas faire dans la seconde instance.

De son côté, la défenderesse CCDP a prétendu que le tribunal avait correctement interprété la loi lorsqu'il a conclu qu'il n'était pas dessaisi relativement à l'ordonnance de cesser et de ne pas faire. Étant donné l'interprétation large et libérale des pouvoirs en matière de redressement que la Loi confère au tribunal, ce dernier a le droit et le devoir de conserver sa compétence et de se réunir pour entendre des éléments de preuve ou des observations pour s'assurer que les mesures soient prises conformément aux objectifs de la Loi. Elle a soutenu que le tribunal peut également s'assurer qu'en rendant son ordonnance, il ne perpétue pas la discrimination ou qu'il ne cause pas d'effets discriminatoires à ceux que l'ordonnance vise à protéger. Elle a ajouté que le tribunal avait suffisamment informé les parties de son intention en indiquant, dans sa décision, qu'il conserverait sa compétence pendant que les parties régleraient les modalités d'application.

La défenderesse AFPC a avancé que le principe dit functus officio devait être appliqué avec souplesse à la lumière des objectifs de la Loi et de manière à ne pas aller à l'encontre de la promotion des droits de la personne. Elle a prétendu que les parties avaient tenté en vain de s'entendre sur des modifications nécessaires à la convention collective de l'AFPC pour s'assurer que celle-ci soit conforme à la Loi, de sorte que l'affaire a été ramenée devant le tribunal. L'AFPC a affirmé que le tribunal n'était pas obligé de préciser qu'il conservait sa compétence pour pouvoir réexaminer une partie de sa décision ou de son ordonnance, et que cette compétence s'inférait de la nature du tribunal et de la loi habilitante le régissant.

De la même façon, la défenderesse APASE a prétendu que le tribunal n'avait pas commis d'erreur de droit et qu'il avait agi dans le cadre de sa compétence lorsqu'il a rendu son ordonnance supplémentaire concernant l'ordonnance de cesser et de ne pas faire. Elle a plaidé qu'un tribunal avait le pouvoir de réserver sa compétence afin de s'assurer que les redressements ordonnés soient mis en œuvre.

Je partage l'opinion des défenderesses qu'une interprétation large et libérale des pouvoirs de redressement que la Loi a conféré au tribunal permet à ce dernier de conserver sa compétence. J'ai abordé cette question comme suit dans Brink's Canada Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne)13:

La Cour suprême a jugé qu'il faut donner à la législation en matière de droits de la personne une interprétation équitable, large et libérale qui aidera à réaliser ses objectifs; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84. Mon collègue, le juge Cullen, s'est fondé sur ce principe dans la décision Canada (Procureur général) c. Grover et autre (1994), 80 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), lorsqu'il a conclu qu'un tribunal constitué en vertu de la Loi n'était pas functus officio à l'égard d'une ordonnance rendue et que le tribunal pourrait reprendre l'audience sur la question et rendre une nouvelle ordonnance malgré le fait que la Loi ne le permettait pas expressément. Par cette décision, la Cour a également jugé qu'il fallait accorder une certaine souplesse au tribunal pour lui permettre d'élaborer sa propre procédure en essayant de remplir son mandat.

Dans Canada (Procureur général) c. Grover14, le juge Cullen a cité à la décision rendue par le juge Sopinka dans Chandler c. Alberta Association of Architects15, où il a invoqué des raisons de principe pour l'application de la règle functus officio aux décisions des tribunaux administratifs, mais où il a néanmoins convenu qu'elle devait être appliquée avec souplesse dans les cas où son application stricte entraînerait une injustice ou lorsque la loi habilitante du tribunal porte à croire qu'une décision peut être rouverte afin de permettre à ce dernier d'exercer sa fonction de façon appropriée. Dans Grover, le juge Cullen a alors ajouté16:

Certes, aucune disposition expresse de la Loi n'autorise la réouverture de l'enquête, mais le par. 53(2) de la Loi investit le Tribunal de larges pouvoirs en matière de réparation.

. . .

La Cour suprême du Canada a prescrit d'interpréter la législation sur les droits de la personne d'une manière large de façon à donner pleinement effet aux droits protégés par celle-ci . . .

. . .

La Loi vise à réparer les préjudices et non à punir ceux qui pratiquent la discrimination. Elle a pour but principal de supprimer la discrimination. Il faut donc interpréter le par. 53(2) de manière à faciliter l'indemnisation des victimes d'actes discriminatoires. Il n'est cependant pas toujours possible d'indemniser intégralement la victime par le versement d'une somme d'argent. C'est pourquoi le par. 53(2) investit le Tribunal d'un large éventail de pouvoirs en matière de réparation, dont celui d'accorder une indemnité pécuniaire . . .

De toute évidence, la Loi prescrit que la réparation accordée soit efficace et, en conséquence, il faut dans certains cas que le Tribunal soit habilité à voir à ce que ses ordonnances réparatrices soient vraiment exécutées. Par conséquent, les pouvoirs en matière de réparation que lui confère le par. 53(2) doivent être interprétés comme incluant le pouvoir de réserver sa compétence sur certains points afin de veiller à ce que les plaignants jouissent effectivement de la réparation qu'il leur a accordée. Lui refuser ce pouvoir participerait d'un formalisme excessif et irait à l'encontre du but de la législation qui est fondamentalement réparatrice. Dans le contexte d'une ordonnance réparatrice assez complexe, il est logique que le Tribunal demeure compétent à l'égard des questions de réparation afin de faciliter l'exécution de son ordonnance. Cette solution est conforme au but général de la législation et va dans le sens de l'application souple que préconise le juge Sopinka dans l'arrêt Chandler, précité.

Le raisonnement suivi dans ces affaires appuie la conclusion que le tribunal jouit d'un large pouvoir discrétionnaire pour rouvrir une affaire et je conclus que c'est le cas en l'espèce. La question de savoir si ce pouvoir discrétionnaire est exercé convenablement par le tribunal dépendra des faits de chaque instance. Cela est compatible avec le principe énoncé dans l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects17, qui a été invoqué par le demandeur et qui portait sur la décision d'un organisme autre que le tribunal canadien des droits de la personne.

En rendant sa décision du 13 juin 1996, le tribunal a écrit [aux paragraphes 110 et 111]:

À la conclusion de l'audience, les avocats ont demandé au Tribunal, advenant qu'il conclue au bien-fondé des plaintes, de leur donner une orientation générale sous la forme d'une ordonnance, ainsi que l'occasion de mettre au point des détails d'un règlement pendant que le Tribunal conserverait sa compétence.

Le Tribunal accepte cette proposition et formule l'ordonnance suivante: . . .

Si je comprends bien l'ordonnance du tribunal, cette introduction fait référence à l'ensemble des matières et des réparations incluses dans cette ordonnance. J'estime que le tribunal n'a pas considéré son ordonnance comme finale et définitive, l'empêchant de réexaminer toute matière faisant l'objet de l'ordonnance. Le tribunal a plutôt réservé sa compétence en la matière, comme il avait le droit de le faire. Me fondant sur Grover, je conclus que le paragraphe 53(2) conférait au tribunal le pouvoir de rouvrir l'instance. Je suis donc d'avis que le tribunal n'a pas commis d'erreur dans sa seconde décision lorsqu'il a conclu qu'il pouvait rouvrir son ordonnance antérieure de cesser et de ne pas faire.

La définition de conjoint et le paragraphe c) de l'ordonnance du 13 juin

Le demandeur a prétendu que le tribunal avait commis une erreur de droit et de fait lorsqu'il a réexaminé l'objet de son ordonnance de cesser et de ne pas faire et qu'il a conclu que l'employeur ne s'était pas conformé au paragraphe c) de l'ordonnance en élaborant une nouvelle disposition relativement aux couples de même sexe. Il a soutenu que l'opposition du tribunal à la définition distincte de partenaire du même sexe selon la disposition élaborée par l'employeur faisait passer la forme avant le fond. Il a avancé que la question de savoir si l'employeur avait interprété les dispositions contenues dans les programmes d'avantages sociaux en utilisant un document et une définition distincts ou en incluant une déclaration dans les documents liés à l'emploi revêtait peu d'importance, l'employeur se conformant à l'ordonnance dans chaque cas. De plus, l'approche de l'employeur était justifiée par la nécessité de fournir, dans le délai prescrit, une solution complète englobant la grande quantité de documents d'emploi en cause.

Le demandeur a prétendu que l'utilisation par l'employeur d'une définition supplémentaire des partenaires du même sexe était légitime car il n'est pas discriminatoire en droit de se fonder sur une approche ne comportant pas l'assimilation totale des partenaires ou couples du même sexe aux conjoints de fait hétérosexuels. Le demandeur a invoqué la décision de la Cour suprême du Canada Egan c. Canada18 comme reconnaissance implicite que les prestations au conjoint peuvent être fournies aux couples du même sexe de manière non discriminatoire sans qu'il soit nécessaire de modifier la définition de conjoint. Il a soutenu qu'une disposition différente pour ces derniers ne les dénigrait pas mais ne faisait que constater une différence, que le tribunal lui-même avait soulignée. Il a affirmé que les cas dans lesquels les tribunaux ont modifié la définition de "conjoint de fait" se distinguent de la présente affaire puisque, dans ceux-ci, les avantages visés n'avaient pas du tout été offerts aux partenaires du même sexe, de sorte qu'une modification de la définition de "conjoint de fait" constituait le seul redressement possible pour les leur accorder.

L'AFPC a soutenu que le tribunal était justifié de conclure que la définition de partenaire du même sexe adoptée par l'employeur contrevenait à l'ordonnance de cesser et de ne pas faire. Elle a prétendu que la considération importante à la base de la conclusion ultérieure du tribunal n'était pas l'insertion de la définition dans un document distinct, mais l'omission de l'employeur de s'assurer que toutes les facettes de la pratique discriminatoire étaient éliminées. L'AFPC a avancé que l'utilisation d'une définition distincte aux fins d'étendre les avantages aux conjoints de même sexe vivant en union de fait pourrait avoir pour effet de perpétuer la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

De son côté, l'APASE a soutenu que l'ordonnance du tribunal relativement à la définition de conjoint était conforme à la jurisprudence existante et qu'il n'existait aucun motif permettant de conclure que le tribunal avait commis une erreur ou qu'il avait outrepassé sa compétence lorsqu'il a rendu son ordonnance. Le régime distinct introduit par le Conseil du Trésor perpétue une distinction fondée sur l'orientation sexuelle, de sorte que malgré l'absence de discrimination en ce qui a trait à l'accès aux avantages, cette façon de faire ne reconnaît pas la dignité inhérente aux êtres humains et porte en elle la notion infamante que la relation homosexuelle ne mérite pas le statut de "conjoint". À l'audition, l'avocate de l'APASE a soutenu que, de toute manière, en établissant une définition distincte à l'égard des conjoints de même sexe, le Conseil du Trésor a contrevenu au texte de l'ordonnance du tribunal, qui enjoignait à l'employeur d'interpréter le mot "conjoint" de manière à inclure les conjoints de fait du même sexe.

Selon moi, le fait de décider si une partie respecte ou non une ordonnance est une question de fait relevant de l'expertise du tribunal et doit donc faire l'objet d'une grande retenue judiciaire. Toutefois, lorsque la réponse de l'employeur est contestée parce qu'elle contrevient non pas à des directives précises contenues dans l'ordonnance, mais à la Loi et à la Charte, son caractère inapproprié se mesure selon une règle de droit. Dans de tels cas, le tribunal prononce une conclusion de droit pour laquelle la norme de contrôle est la justesse. En conséquence, la Cour doit se demander si le tribunal a conclu à juste titre que la Loi et la Charte exigent que "conjoint" soit défini dans les documents pertinents comme si la référence au "sexe opposé" n'existait plus ou qu'il soit interprété sans référence au sexe.

Le demandeur a soutenu que le régime proposé par l'employeur ne contrevenait pas aux exigences de la Loi et de la Charte, invoquant surtout l'arrêt de la Cour suprême Egan c. Canada19. Si je comprends bien Egan, la majorité des juges ont conclu que la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, et modifications, contrevenait à l'article 15 de la Charte en accordant des avantages uniquement aux conjoints de sexe opposé. Le redressement sous-entendu par les différents jugements concordants de la plupart des juges majoritaires sur cette question était de retirer les mots "du sexe opposé" de la définition de conjoint. Cependant, le juge Sopinka, qui convenait que l'article 15 n'avait pas été respecté, est arrivé à la conclusion que la discrimination était permise en vertu de l'article premier de la Charte. Ainsi, il a joint les rangs des juges minoritaires, qui estimaient qu'aucune contravention à l'article 15 n'avait eu lieu, pour constituer la majorité de la Cour qui a rejeté l'appel.

À mon avis, Egan appuie l'opinion selon laquelle la proposition de l'employeur en l'espèce ne satisfait pas aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui inclut l'orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite. Cette opinion est confirmée par la décision de la Cour d'appel du Manitoba dans Vogel v. Manitoba20. Dans cette affaire, les appelants avaient déposé des plaintes aux termes du Code des droits de la personne du Manitoba, L.M. 1987-88, ch. 45, où ils affirmaient être victimes de discrimination fondée sur le sexe, l'état civil et l'orientation sexuelle car, en tant que couple homosexuel, ils s'étaient vus priver des avantages accessibles aux conjoints mariés et aux conjoints de fait vivant une relation hétérosexuelle. Faisant remarquer que dans Egan, une claire majorité de la Cour suprême avait conclu que l'article 15 requérait une définition de conjoint s'étendant aux couples de même sexe, le juge Helper, aux motifs duquel ont souscrit les autres membres du tribunal sur cet élément, a conclu que:

[traduction] Les critères d'admissibilité aux régimes contestés sont clairs et ne peuvent avoir qu'un sens. Un conjoint de fait est défini comme "une personne du sexe opposé." Le fait de traiter des personnes du même sexe qui s'identifient comme conjoints de fait d'une manière différente des personnes du sexe opposé qui s'identifient comme conjoints de fait constitue une distinction fondée sur l'orientation sexuelle . . .

L'exclusion des couples homosexuels des avantages accessibles à tous les employés hétérosexuels vivant une relation intime et permanente en raison d'une définition restrictive des mots "conjoint" et "conjoint de fait" constitue de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Dans un jugement distinct au même effet, le juge Philp a écrit [à la page 77]:

[traduction] Dans Egan, les demandeurs se sont vu refuser tout redressement contre le traitement discriminatoire prévu par la Loi en raison de la disposition limitative de l'article premier de la Charte. Le Code ne contient aucune disposition générale semblable à l'article premier. Cela signifie-t-il que les demandeurs en l'espèce ont droit à un redressement contre le traitement discriminatoire en vertu d'une loi provinciale (le Code, qui constitue de la "législation spéciale", "extraordinaire", mais "pas vraiment de nature constitutionnelle"), ce qui a été refusé aux demandeurs dans Egan en vertu de la Constitution de ce pays à l'égard d'un traitement similaire?

La réponse à cette question, et l'anomalie qu'elle représente, se situe hors de la portée du présent appel et, peut-être, hors du contenu du dossier dont dispose l'arbitre.

Cependant, la décision de la Cour est peu logique à moins de présumer qu'elle a effectivement répondu à cette question. La Cour a manifestement suivi la majorité dans Egan à l'égard de la question de la discrimination, mais ne l'a pas fait en ce qui concerne la conclusion portant sur l'article premier. Selon moi, cela ne peut que signifier que la Cour a conclu que les protections existantes contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, comme l'illustre la précision quant au sexe contenue dans la définition de conjoint, sont plus étendues en vertu du Code qu'en vertu de la Charte.

J'estime que le raisonnement de la Cour d'appel du Manitoba au sujet de la loi manitobaine s'applique de la même façon à la Loi canadienne sur les droits de la personne. En particulier, la majorité de la Cour suprême dans Egan a établi une norme applicable à la définition de "conjoint" nécessaire au respect de l'exigence de non-discrimination prévue par l'article 15 de la Charte, à savoir le retrait de la notion de "sexe opposé". Une interdiction similaire contre la discrimination existe dans la Loi, mais elle n'est pas soumise à une restriction de la nature de l'article premier. En conséquence, la norme établie par la Cour suprême sur la question de la discrimination doit s'appliquer et la définition de conjoint contenue dans les dispositions concernées ne doit pas faire référence au sexe.

Le demandeur a prétendu que l'arrêt Egan n'impose pas une définition de conjoint excluant les mots "du sexe opposé" car les juges Cory et Iacobucci, dissidents quant à l'issue mais faisant partie de la majorité relativement à la question de l'article 15 de la Charte, étaient d'avis de suspendre leur redressement consistant à retirer les mots en question afin de donner au législateur le temps d'élaborer sa propre approche constitutionnelle. Il a avancé que cela signifiait que le retrait de ces mots de la définition de "conjoint" ne constituait pas la seule solution non discriminatoire aux yeux de la Cour. Même s'il en était ainsi, je ne vois pas l'effet que cela pourrait avoir sur la décision relative à la question de savoir si le régime proposé en l'espèce par le Conseil du Trésor respecte les exigences de la Loi.

À ce sujet, j'estime que bien que dans Vogel, la question de savoir si la création de deux définitions (l'une pour les couples de même sexe et l'autre pour les conjoints de fait) comportant les mêmes avantages équivaut à de la discrimination en vertu du Code manitobain ne se soit pas posée, une telle façon de procéder est discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Selon moi, la proposition de l'employeur établit un régime "séparé mais égal", qui fait une distinction entre les relations de ses participants en fonction de leur orientation sexuelle. Ce régime demeure donc discriminatoire. De plus, bien que les deux catégories reçoivent les mêmes avantages, j'estime qu'une telle distinction perpétue la différenciation négative entre les personnes au sens de la Loi. À cet égard, l'article 7 de la Loi définit comme un "acte discriminatoire" le fait de "défavoriser" un individu si cela est fondé "sur un motif de distinction illicite". Je cite avec approbation l'opinion émise par le tribunal des droits de la personne dans Hum c. Gendarmerie royale du Canada21 sur la signification de "to differentiate adversely" (défavoriser):

Comme le verbe "to discriminate", l'expression regroupant les deux mots "differentiate" et "adversely" exprime l'idée d'un traitement différent de celui auquel le reste des gens peuvent s'attendre dans les mêmes circonstances, avec effet défavorable pour l'individu en cause. De la même façon que pour la discrimination ou le traitement différent, il n'est pas nécessaire que celui qui pose l'acte ait l'intention de nuire à la victime de l'action en question. L'effet négatif du traitement différencié peut être de nature concrète, par exemple le non-accès à un logement ou à certains biens. Toutefois, il peut aussi s'agir d'un effet psychologique. La personne concernée peut subir un préjudice moral plutôt que matériel. Le professeur Ian Hunter, bien qu'il traite ici du terme "discrimination", rend bien le sens fondamental du mot "défavoriser" lorsqu'il écrit:

[traduction] La discrimination consiste à traiter les gens d'une manière différente à cause de leur race, de leur couleur, de leur sexe, etc. ce qui a pour résultat que la victime subit des effets néfastes ou un sérieux affront à sa dignité: la cause qui sous-tend le traitement discriminatoire, qu'elle découle de considérations économiques ou sociales et qu'elle soit justifiée ou fallacieuse, est de peu d'importance, sauf peut-être pour la mitigation de la sanction. (I. Hunter, "Human Rights Legislation in Canada"Its Origin, Development and Interpretation" (1976), 15 Univ. West. Ont. Law Rev. 21, aux p. 33 et 34).

Dans ses observations, M. Moore, l'un des défendeurs en l'espèce, s'est exprimé ainsi:

[traduction]

Bien qu'au fond de l'affaire, il s'agisse d'avantages pour la personne concernée, dont il est question aujourd'hui, cela va bien au-delà des avantages à mon égard. Ce qui est en cause ici, c'est la façon dont je suis traité, le regard que je porte sur moi, et je ne me sens pas égal.

. . .

Ce n'est pas une question de privilèges, ce n'est pas une question de traitement spécial, ce n'est pas une question de mention particulière dans un document ou une convention collective, pas plus que toute autre personne ne serait mentionnée dans ces documents en raison de son âge, de sa religion, de son sexe ou de sa couleur. Ce qui est plutôt à l'ordre du jour pour les gais, c'est d'avoir un sentiment d'appartenance, d'être inclus dans la société; c'est d'avoir une place autour de la table; pas parce que je suis gai, mais parce que, au véritable sens de la famille, cela n'a aucune importance.

Dans sa décision d'avril 1997 portant sur la présente affaire, le tribunal a exposé l'opposition des plaignants à la définition distincte des relations entre conjoints de même sexe proposée par le Conseil du Trésor [au paragraphe 6]:

Plutôt que de traiter les partenaires de même sexe comme des personnes vivant une relation de type matrimonial sans être mariées (comme c'est le cas avec des partenaires de sexe différent), la définition de "partenaire du même sexe" du protocole crée une classe distincte de personnes qui, si elles ont bien droit aux avantages sociaux liés à un emploi, en bénéficient sur la base de leur orientation sexuelle plutôt que sur la base de leur relation matrimoniale. Les employeurs n'ont offert aucune explication quant à la nécessité d'établir une telle distinction . . .

Arrivant à la conclusion que le régime proposé par l'employeur constituerait un acte discriminatoire interdit par l'article 7 de la Loi, je trouve convaincant le raisonnement du juge Linden de la Cour d'appel fédérale, dissident dans Egan c. Canada22, où il a écrit:

. . . le refus d'accorder l'allocation de conjoint donne une fausse idée de la valeur des unions de gais ou de lesbiennes, ce qui contribue au stéréotype de leur manque de valeur. En conséquence, le fait que des prestations semblables puissent être à leur disposition sous un autre régime"un régime provincial et non pas fédéral comme en l'occurrence"ne peut remédier à l'effet discriminatoire du refus de leur accorder les prestations sur le même pied que les partenaires hétérosexuels . . . Restreindre l'admissibilité d'un groupe aux mêmes prestations (sur la base uniquement d'une caractéristique personnelle correspondant à un motif de discrimination) de manière que ces prestations ne soient disponibles que sous un régime séparé ou différent, revient à séparer ou à différencier ceux qui ont droit à cette promesse d'égalité. Pareil compromis rappelle la "doctrine de la communauté égale mais séparée" qui est maintenant discréditée et qui a été élaborée par la Cour suprême des États-Unis dans Plessy v. Ferguson , 163 U.S. 537 (1896), à l'appui de la discrimination contre les Afro-américains et autres non-blancs. Cette doctrine a été largement condamnée et officiellement rejetée par la jurisprudence Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954). Au Canada, la doctrine de l'égalité séparée a été rejetée par la Cour suprême qui, dans Andrews, supra, à la page 166, y voyait un artefact détestable de l'approche de la situation analogue. On ne peut échapper à la conclusion que l'octroi des prestations aux membres d'unions de gais ou de lesbiennes sous un régime différent de celui réservé aux partenaires hétérosexuels représente une version de la doctrine de l'égalité séparée. Il ne faut pas ressusciter cette doctrine épouvantable au Canada quarante ans après sa mort fort remarquée aux États-Unis.

Je souligne que dans Egan, l'opinion, minoritaire en Cour d'appel, du juge Linden sur l'existence de discrimination prévue à l'article 15 de la Charte, a reçu l'aval de la majorité de la Cour suprême, bien que ses commentaires sur la question d'"égalité séparée" n'aient pas été repris dans la décision de cette dernière.

Alors que la décision était suspendue dans la présente affaire, la Cour d'appel de l'Ontario a prononcé ses motifs dans Rosenberg v. Canada (Attorney General)23, et la Cour suprême a fait de même dans Vriend c. Alberta24. Par la suite, des observations écrites ont été reçues de la part des avocats du demandeur et des organismes défendeurs. Bien que, comme l'a fait remarquer le demandeur, ces affaires, de la même façon que Egan, portent sur l'application des articles premier et 15 de la Charte aux modalités discriminatoires particulières fondées sur l'orientation sexuelle qui sont visées par les plaintes et qu'elles sont donc peu pertinentes à l'instance, j'estime que le raisonnement suivi dans Vriend et Rosenberg renforce par analogie mes conclusions en l'espèce.

Dans Vriend, la majorité de la Cour suprême a jugé que l'exclusion de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle de la protection conférée par la Individual's Rights Protection Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, ch. I-2 (IRPA), contrevenait à l'article 15 de la Charte. En arrivant à cette conclusion, le juge Cory, s'exprimant au nom de la majorité, a écrit [aux pages 542 à 544 et 550]:

. . . il y a en apparence une certaine égalité formelle [dans l'IRPA]: les homosexuels ont un même droit à la protection de l'IRPA que les hétérosexuels dans la mesure où ils peuvent saisir la commission d'une plainte de discrimination fondée sur l'un des motifs actuellement énumérés. Cependant, compte tenu de la réalité sociale de la discrimination exercée contre les homosexuels, l'exclusion de l'orientation sexuelle a de toute évidence un effet disproportionné sur ces derniers par comparaison avec les hétérosexuels. En raison de son caractère trop limitatif, l'IRPA nie donc aux homosexuels le droit à l'égalité réelle . . .

. . .

. . . la prétention des intimés selon laquelle la distinction n'est pas établie par la loi, mais existe en fait indépendamment de celle-ci dans la société, ne peut être acceptée. Il est évidemment vrai que les homosexuels sont victimes de discrimination dans la société. La réalité de cette discrimination cruelle et déplorable est reconnue dans l'arrêt Egan. Cet état de fait fournit le contexte dans lequel la distinction législative contestée en l'espèce doit être analysée. La réalité de la discrimination sociale dont les homosexuels sont victimes montre que l'IRPA établit une distinction qui nie à ces personnes le droit à la même protection de la loi en les excluant alors même qu'elles ont un pressant besoin de protection à cause de la discrimination exercée contre elles dans la société. Il n'est pas nécessaire de conclure que la loi crée la discrimination qui a cours dans la société pour déterminer qu'elle établit une distinction potentiellement discriminatoire.

. . .

. . . supposons, malgré toutes les conclusions qu'il est raisonnable de tirer, que l'exclusion d'un motif ouvrant droit à la protection prévue par l'IRPA n'a pas pour effet d'accroître la discrimination fondée sur ce motif. Cette exclusion, établie délibérément dans un contexte où il est évident que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle existe dans la société, transmet néanmoins un message à la fois clair et sinistre. Le fait même que l'orientation sexuelle ne soit pas un motif de distinction illicite aux termes de l'IRPA, laquelle constitue le principal énoncé de politique du gouvernement contre la discrimination, laisse certainement entendre que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n'est pas aussi grave ou condamnable que les autres formes de discrimination.

Dans Rosenberg, la question en litige était de savoir si l'inclusion des mots "du sexe opposé" dans la définition de "conjoint" figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu contrevenait à l'article 15 de la Charte. Lorsqu'elle a conclu que c'était le cas et que cette contravention n'était pas justifiée par l'article premier, le juge Abella, s'exprimant au nom de la Cour, a conclu que, vu la preuve dont celle-ci dispose, [traduction] "L'orientation sexuelle des partenaires survivants ne peut d'aucune façon être considérée comme ayant plus d'importance que leur race, leur couleur ou leur origine ethnique quand il s'agit de savoir s'ils devraient avoir droit à la protection du revenu pour laquelle leurs partenaires ont payé"25.

À mon avis, l'opinion du juge Linden dans Egan et la décision majoritaire dans Vriend démontrent que les tribunaux estiment que les distinctions législatives fondées sur l'orientation sexuelle peuvent avoir pour effet de renforcer des notions discriminatoires préexistantes et être de ce fait discriminatoires, même si, en pratique, elles ne donnent pas nécessairement lieu à une véritable inégalité, comme par exemple, l'accès discriminatoire aux avantages. J'estime que, compte tenu des faits de l'espèce, la définition distincte de partenaires du même sexe, énoncée par l'employeur sans explication, renforce la distinction établie entre les couples homosexuels et hétérosexuels, laquelle est généralement fondée sur des motifs de discrimination. Selon moi, une telle distinction, fondée sur des classifications reflétant des préjugés préexistants, en l'absence d'une raison d'être plausible et non-discriminatoire, a pour effet de défavoriser au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par analogie avec le commentaire précité de Mme le juge Abella dans Rosenberg, l'employeur n'est pas plus justifié en l'espèce d'avoir créé une définition distincte pour les personnes vivant en relation avec des partenaires du même sexe qu'il n'aurait été de le faire pour décrire les relations entre personnes selon leur race, leur couleur, leur origine ethnique ou pour tout autre motif illicite énuméré dans la Loi.

Je remarque que, dans ses observations à la Cour, le demandeur a prétendu que la décision prise par l'employeur d'utiliser une définition distincte pour les partenaires de même sexe était motivée, du moins en partie, par le désir de remédier de façon expéditive à la discrimination contre les couples homosexuels. Or, il n'a été produit aucune preuve selon laquelle la méthode choisie par l'employeur était plus expéditive que le simple fait d'éliminer l'interprétation discriminatoire de la définition actuelle de conjoint, comme l'ordonnait le tribunal. D'ailleurs, selon la décision rendue le 10 avril 1997 par le tribunal, aucune justification n'a été prouvée ni même débattue devant lui. J'estime que le besoin d'efficacité administrative, même en supposant qu'il puisse être démontré, ne change pas la nature du régime "séparé mais égal" choisi par l'employeur et ne le rend donc pas moins discriminatoire.

Pour ces motifs, je suis d'avis que le tribunal a correctement conclu que l'approche adoptée par le Conseil du Trésor, en tant qu'employeur, quant au respect de l'ordonnance de cesser et de ne pas faire était incompatible avec la Loi. J'estime qu'en créant une nouvelle catégorie visant les conjoints du même sexe, le demandeur a omis de respecter l'ordonnance du 13 juin du tribunal. Il n'a pas cessé "d'appliquer toute définition de conjoint ou autres dispositions . . . qui ont pour effet de maintenir la pratique discriminatoire . . . [ni n'a] interpr[été] toute définition ou disposition d'une façon qui soit conforme à la Loi ([et à] la Charte) en incluant les conjoints de même sexe qui vivent en union de fait". Il a été ordonné à l'employeur de cesser d'utiliser une définition discriminatoire de "conjoint", ce qu'il n'a pas fait. Vu les circonstances, je suis d'avis qu'il n'existe aucun motif de modifier la décision du 10 avril 1997 du tribunal en ce qui concerne sa conclusion selon laquelle l'employeur ne s'était pas conformé à son ordonnance antérieure de cesser et de ne pas faire.

Dans ses observations écrites, le demandeur a soutenu qu'en réalité, le redressement ordonné par le tribunal n'atteignait pas son but d'étendre des avantages à la catégorie victime de discrimination. En premier lieu, les définitions de "conjoint" et de "conjoint de fait" diffèrent selon le document d'emploi concerné, et le simple fait d'enlever les mots "du sexe opposé" n'empêchera pas certaines définitions de contenir des termes qui, en l'absence de modifications ultérieures, auront pour effet de forcer les couples homosexuels à mentir au sujet de leur relation. En deuxième lieu, le tribunal ne disposait d'aucune preuve qu'une modification de la définition de conjoint était convenable, en général, pour les membres de la communauté gaie et lesbienne.

Il n'a pas beaucoup été fait état de ces prétentions à l'audition et, en l'absence d'arguments plus précis sur celles-ci, je ne les trouve pas convaincantes. À ce sujet, je me contente de souligner que la portée de l'ordonnance est considérablement plus large que ce que le demandeur veut laisser croire, cette dernière comprenant le retrait de la référence au sexe de même qu'au sexe opposé dans les documents pertinents. L'ordonnance rendue par le tribunal en avril 1997 renvoyait à l'exigence de l'ordonnance antérieure de cesser et de ne pas faire, qui requiert que le mot "conjoint" soit interprété de manière conforme à la Loi et à la Charte, et ordonnait de nouveau que cela soit fait de la manière prescrite auparavant et non à la lumière d'[traduction ] "une classification se trouvant hors de ces documents". Le tribunal a manifestement estimé le redressement approprié pour MM. Moore et Akerstrom et efficace. Je suis d'avis que cette appréciation est une conclusion de fait digne de retenue judiciaire, ce qui ne serait pas le cas si elle était manifestement déraisonnable. Mais cela n'a pas été allégué en l'instance.

L'ordonnance d'inventaire

Dans les dossiers T-1677-96 et T-954-97, le demandeur s'est opposé à l'ordonnance d'inventaire du 13 juin en s'appuyant sur des motifs de justice naturelle, dans la mesure où cette ordonnance visait à englober des lois, des politiques et des directives différentes de celles mentionnées dans les plaintes ou désignées par les plaignants et par la Commission avant l'audience tenue par le tribunal en réponse à des demandes de précisions. De plus, le demandeur a soutenu que le tribunal avait commis une erreur de fait dans sa décision d'avril 1997 en concluant qu'il existait un engagement de la part de Revenu Canada de considérer l'ensemble des avantages liés à l'emploi de la même manière au regard de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il a prétendu qu'outre le traitement des régimes privés de soins de santé sous le régime de cette Loi, aucune de ses dispositions ne faisaient partie du litige et que les ordonnances du tribunal étaient erronées dans la mesure où elles entendaient viser d'autres dispositions fiscales.

À cet égard, la CCDP a repris les mêmes arguments que dans le dossier T-1677-96; soit qu'afin de s'attaquer efficacement à la cause de la discrimination, le tribunal avait, à bon droit, élaboré une réparation qui non seulement l'éliminait (c'est-à-dire, l'interprétation discriminatoire de la définition de conjoint), mais qui faisait aussi en sorte que les avantages sociaux payables au conjoint soient fournis sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

La CCDP a avancé que le demandeur avait eu toutes les occasions voulues de faire valoir ses moyens de défense sur la question de la définition discriminatoire et sur le redressement demandé. Au surplus, comme aucune ordonnance du tribunal n'exigeait de modification législative, il n'existait aucun excès de compétence ou de manquement aux règles de la justice naturelle. Enfin, contrairement à ce qu'a prétendu le demandeur, elle a affirmé que le tribunal n'avait pas commis d'erreur de fait à l'occasion de ses commentaires relativement à l'ordonnance d'inventaire et à la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle a plaidé que le tribunal ne s'était pas avancé davantage dans ses commentaires que l'avocat du demandeur lors de l'audition.

L'AFPC a soutenu qu'il n'existait aucun motif à l'appui de la conclusion selon laquelle le tribunal n'aurait pas respecté les principes de la justice naturelle en prenant sa décision. Toutes les questions sur lesquelles le tribunal s'est penché ont été abordées à maintes reprises lors des auditions. En conséquence, le demandeur a été suffisamment informé des questions soulevées. De plus, on prétend que l'ordonnance n'a pas eu pour effet de rendre inopérante quelque disposition législative que ce soit, et qu'elle a mis l'accent sur les lois, les règlements et les directives prévoyant des avantages en matière de soins médicaux et dentaires ainsi que d'autres avantages liés à l'emploi.

Sur la question de la justice naturelle, l'APASE a aussi prétendu que l'ensemble des questions sur lesquelles s'était penché le tribunal avaient été abordées à maintes reprises à l'audition, de sorte que le demandeur connaissait à l'avance les questions en litige et qu'il avait eu toutes les occasions voulues de faire des observations.

J'estime qu'il n'existe aucun motif de modifier la décision rendue en avril 1997 par le tribunal. Vu l'ordonnance d'inventaire de juin 1996, il est clair que le demandeur était informé des questions dont le tribunal serait saisi lorsque l'inventaire a été envoyé à ce dernier, accompagné des propositions des parties. Comme l'indique la correspondance précitée entre l'avocate de la Commission et le demandeur, ce dernier savait dès le 8 mai 1995, soit bien avant l'audition initiale devant le tribunal, que la Loi de l'impôt sur le revenu ferait partie du litige. Je suis d'avis qu'il n'existe aucun motif de conclure que le demandeur n'a pas été informé raisonnablement à l'avance de l'objet du litige.

Il ne m'apparaît pas nécessaire de trancher la question de savoir si le tribunal aurait outrepassé sa compétence si, dans sa décision d'avril, il s'était prononcé sur le bien-fondé des documents contenus dans l'inventaire. Je ne peux considérer les commentaires du tribunal sur l'issue de la question fiscale dans sa décision d'avril 1997 comme une "décision" ou une "ordonnance" comportant des effets juridiques et, de ce fait, susceptible de contrôle judiciaire. À mon avis, le tribunal s'est contenté d'expliquer dans ses motifs les raisons pour lesquelles il n'a pas approfondi davantage la question fiscale. Il n'a rendu aucune ordonnance relative à la Loi de l'impôt sur le revenu ou à toute autre disposition pouvant faire partie de l'ordonnance d'inventaire du 13 juin. Je ne vois pas comment le texte de la décision d'avril 1997 pourrait avoir comme effet de lier les parties quant à la manière dont le tribunal a perçu la question fiscale. Si le tribunal avait voulu lier les parties, il l'aurait ordonné expressément. Pour ces motifs, je suis d'avis que la Cour n'a pas compétence pour modifier la décision rendue en avril 1997 par le tribunal.

De toute manière, j'estime que, même dans l'hypothèse où j'aurais tort à ce sujet, l'erreur de fait alléguée par le demandeur, soit l'engagement rapporté incorrectement, n'est pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour. Il est bien établi en droit qu'en matière de contrôle judiciaire, une conclusion de fait ne peut être modifiée que lorsqu'elle est tirée de mauvaise foi, de façon arbitraire ou qu'elle ne tient pas compte de la preuve dont dispose le décideur. Dans leurs plaidoiries, les avocats du demandeur et des défendeurs ont examiné de façon assez précise les notes sténographiques de l'audition devant le tribunal, soulignant les déclarations et les affirmations de l'avocat du Conseil du Trésor qui appuyeraient ou non la version du tribunal de l'engagement pris devant lui. Ces déclarations, ainsi que les engagements pris par l'avocat du Conseil du Trésor, sont quelque peu ambigus, mais ne m'amènent pas à conclure que la version du tribunal est mal fondée au point de nécessiter l'intervention de la Cour. Vu les circonstances, il m'est impossible de conclure que sa version de l'engagement est entachée de mauvaise foi, de caractère arbitraire ou qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve. De plus, tel qu'indiqué précédemment, la référence faite par le tribunal dans ses motifs à sa perception des engagements ne constitue pas une matière faisant partie des modalités de son ordonnance ou de ses directives.

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T-954-97 est rejetée.

Conclusion

Je résume mes conclusions. Je conclus qu'il n'y a eu aucun manquement aux exigences de la justice naturelle en raison de l'ordonnance d'inventaire rendue le 13 juin 1996. Il n'existe aucun motif de conclure qu'à l'époque, le tribunal avait l'intention de décider que des dispositions pouvant être incluses dans cet inventaire étaient illicites. Il n'existe pas non plus de motif de conclure que le demandeur a subi un préjudice en raison d'une attente raisonnable non réalisée qu'il a pu avoir quant aux questions qui seraient soumises au tribunal.

Je conclus que le tribunal n'a commis aucune erreur dans sa décision d'avril 1997 en réexaminant les dispositions de l'ordonnance de cesser et de ne pas faire rendue dans le cadre de sa décision de juin 1996. Le tribunal jouit de larges pouvoirs en matière de réexamen de ses décisions et je conclus qu'en l'espèce, il avait réservé sa compétence. En rouvrant l'affaire, le tribunal réagissait à l'avis des parties selon lequel celles-ci ne s'entendaient pas sur la manière de mettre en œuvre l'ordonnance originaire. De plus, je suis d'avis que le tribunal n'a commis aucune erreur en concluant que le régime distinct proposé par l'employeur pour les conjoints de fait homosexuels ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que ce régime contrevenait à la lettre de l'ordonnance du 13 juin.

Enfin, je suis d'avis qu'il n'existe aucun fondement pour conclure que la décision d'avril 1997 contient une ordonnance susceptible de contrôle judiciaire relativement aux commentaires du tribunal sur la Loi de l'impôt sur le revenu. De toute manière, j'estime que, lorsqu'il a fait état de sa perception de l'engagement de Revenu Canada en faisant référence à la correspondance et aux commentaires de l'avocat de l'employeur, le tribunal n'a commis aucune erreur de fait qui justifierait l'intervention de la Cour.

Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers T-1677-96 et T-954-97 sont rejetées. J'ordonne qu'une copie des présents motifs soit produite dans chacun de ces dossiers.

1 L'art. 7 prévoit:

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

. . .

2 L'art. 10 prévoit:

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale:

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

3 L'art. 9 prévoit:

9. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale:

a) d'empêcher l'adhésion pleine et entière d'un individu;

b) d'expulser ou de suspendre un adhérent;

c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.

4 (1992), 9 O.R. (3d) 495 (C.A.).

5 [1995] 2 R.C.S. 418.

6 [1993] 1 R.C.S. 554.

7 Voir VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 1 C.F. 376 (1re inst.).

8 [1996] A.C.F. no 1139 (1re inst.) (QL).

9 Ibid.

10 [1995] 1 C.F. 694 (1re inst.).

11 (1996), 109 F.T.R. 128 (C.F. 1re inst.), à la p. 140.

12 [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), à la p. 631.

13 [1996] 2 C.F. 113 (1re inst.), à la p. 130.

14 (1994), 28 admin. L.R. (2d) 231 (C.F. 1re inst.).

15 [1989] 2 R.C.S. 848.

16 Supra, note 14, aux p. 247 à 249.

17 Supra, note 15.

18 [1995] 2 R.C.S. 513.

19 Ibid.

20 (1995), 126 D.L.R. (4th) 72 (C.A. Man.), aux p. 87 et 88.

21 (1986), 8 C.H.R.R. D/3748, à la p. D/3756.

22 [1993] 3 C.F. 401 (C.A.), aux p. 441 et 442.

23 (1988), 38 O.R. (3d) 577 (C.A.).

24 [1998] 1 R.C.S. 493.

25 Supra, note 23, à la p. 586.

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