A-650-96
Le Procureur général du Canada (requérant)
c.
June Mastri (intimée)
A-651-96
Le procureur général du Canada (requérant)
c.
Michael Mastri (intimé)
Répertorié: Mastri c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d'appel, juges MacGuigan, Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 12 juin; Ottawa, 27 juin, 1997.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Contrôle judiciaire de la décision de la C.C.I. selon laquelle les contribuables avaient le droit de déduire leur part des pertes locatives à l'égard d'une propriété achetée à titre de résidence principale des autres sources de revenus — Elle a jugé qu'il y avait attente raisonnable de profit, mais que le ministre n'avait pas établi qu'il y avait soit un —élément personnel— soit un —avantage fiscal prévisible— dont bénéficieraient les contribuables au cours de l'année d'imposition comme l'exigeait l'arrêt Tonn c. Canada — La C.C.I. a commis une erreur d'interprétation et d'application de l'arrêt Tonn — L'arrêt Tonn ne modifie pas le droit énoncé dans l'arrêt Moldowan c. La Reine: (1) pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit; (2) on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit — L'arrêt Tonn confirme que les tribunaux ne devraient pas apprécier rétrospectivement les décisions commerciales des contribuables — Il y avait un —élément personnel—, car la propriété a été achetée à titre de résidence principale; il n'y a aucun élément de preuve indiquant que la maison en rangée pouvait être louée avec profit.
Juges et tribunaux — Contrôle judiciaire de la décision de la C.C.I. selon laquelle le contribuable a le droit de déduire sa part des pertes locatives à l'égard d'une propriété achetée à titre de résidence principale des autres sources de revenus — Décision fondée sur Tonn c. Canada — Le M.R.N. soutient que l'arrêt Tonn devrait être infirmé, car il était erroné — On ne peut dire qu'une décision d'une formation récente de la C.A.F. en infirme une plus ancienne — Selon les règles en matière de stare decisis les deux décisions sont d'une importance égale — Le moyen formel pour infirmer une décision ancienne consiste à réunir une formation élargie, comme dans le cas où il y a deux décisions contraires de la Cour ou des courants jurisprudentiels contraires et que la question visée est réputée être d'une importance fondamentale pour la jurisprudence dans un domaine particulier du droit fédéral.
Il s'agit de demandes de contrôle judiciaire de la décision de la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle les contribuables avaient le droit de déduire de leurs autres revenus, leur part de la perte locative dans leurs déclaration d'impôt sur le revenu de 1991. Les contribuables ont acheté une maison en rangée en décembre 1990 et ils avaient l'intention de l'utiliser comme résidence principale. Lorsque M. Mastri a été transféré dans une autre ville, le couple a donné la propriété en location jusqu'à la fin de novembre 1991. Les contribuables ont reçu 12 375 $ en loyer et ont fait état de dépenses de 27 730,97 $. Chaque contribuable a réclamé la moitié de la perte locative de 15 355,97 $. La Cour de l'impôt a conclu qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit relativement à l'année d'imposition 1991, mais selon l'application de l'arrêt Tonn c. Canada il incombait au Ministre d'établir également qu'il y avait soit un "élément personnel" soit un "avantage fiscal prévisible" dont bénéficieraient les contribuables au cours de l'année d'imposition. La Cour de l'impôt a jugé que le ministre n'avait pas réussi à démontrer la présence de l'un ou l'autre de ces facteurs. Le ministre soutient que l'arrêt Tonn devrait être infirmé, car la Cour a commis une erreur dans son jugement.
Arrêt: les demandes doivent être accueillies.
Il importe de reconnaître que bien qu'une décision rendue par une formation de la Cour n'en lie pas une autre, on ne peut dire qu'une décision récente en infirme une plus ancienne. Les deux décisions sont d'une importance égale. Le moyen formel pour infirmer une décision ancienne consiste à réunir une formation élargie, comme dans le cas où il y a deux décisions contraires de la Cour ou des courants jurisprudentiels contraires, et que la question visée est réputée être d'une importance fondamentale pour la jurisprudence dans un domaine particulier du droit fédéral.
L'arrêt Tonn est bien fondé. Il a été décidé dans l'arrêt Moldowan: (1) que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit; et (2) "on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit". Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative. Après l'arrêt Moldowan , la Cour a suivi et appliqué cette décision.
L'arrêt Tonn n'avait pas l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention dans Tonn que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué "avec modération" voulait être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression "avec modération" visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables. L'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. En conséquence, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur dans son interprétation et dans son application de l'arrêt Tonn.
Finalement, il y avait un "élément personnel" en l'espèce. Les contribuables ont acheté la maison en rangée avec l'intention de l'occuper et, environ un an après l'achat, la maison est en fait devenue leur résidence principale. Il n'y a aucun élément de preuve indiquant que, au moment où les contribuables ont conclu l'achat de la propriété, ils se sont demandés si la maison en rangée pouvait être louée avec profit.
lois et règlements
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 18(1)b),h), 67, 248(1) "frais personnels et frais de subsistance".
jurisprudence
décisions appliquées:
Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73; (1995), 96 DTC 6001; 191 N.R. 182 (C.A.); Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; (1977), 77 D.L.R. (3d) 112; [1977] CTC 310; 77 DTC 5213; 15 N.R. 476.
décisions infirmées:
Howard c. Canada, [1997] T.C.J. no 69 (QL); Rossi c. Canada, [1996] T.C.J. no 1632 (QL).
décisions citées:
Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3; (1994), 94 DTC 6624 (C.A.F.); Poetker c. Ministre du Revenu national, [1996] 1 C.T.C. 202; (1995), 95 DTC 5614 (C.A.F.); Hugill (R.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 16; (1995), 95 DTC 5311 (C.A.F.); Joudrey c. Canada, [1997] T.C.J. no 74 (QL); Stacey c. Canada, [1997] A.C.I. no 117 (QL); Riddell, M.L. c. La Reine (1996), 97 DTC 51 (C.C.I.); Schimmens c. Canada, [1996] A.C.I. no 539 (QL); Urquhart c. R., [1997] 1 C.T.C. 2611 (C.C.I.); Wallace c. Canada, [1996] A.C.I. no 583 (QL).
doctrine
Silver, S. "Great Expectations: Are They Reasonable?" dans Real Estate Transactions: Tax Planning for the Second Half of the 1990s . 1995 Corporate Management Tax Conference. Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1996.
DEMANDES de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour de l'impôt selon laquelle les contribuables avaient le droit de déduire de leurs autres revenus, leur part de la perte locative dans leurs déclaration d'impôt sur le revenu de 1991 (Mastri c. R., [1996] 3 C.T.C. 2702 (C.C.I.)). Demandes accueillies.
avocats:
Jagmohan S. Gill et Carol Shirtliff-Hinds pour le requérant.
John R. Owen et Douglas H. Mathew pour les intimés.
procureurs:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Thorsteinssons, Toronto, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A.: Les présentes demandes de contrôle judiciaire découlent d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt [Mastri c. R., [1996] 3 C.T.C. 2702] qui a accueilli les appels des contribuables intimés, June Mastri et son mari Michael, appels qui ont été entendus sur le fondement d'une preuve commune relativement aux nouvelles cotisations établies pour l'année d'imposition 1991. La question principale est de savoir si chacun des contribuables a le droit de déduire sa part des pertes locatives des autres sources de revenus aux termes des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] (la Loi). Appliquant la décision de la présente Cour dans Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.), le juge de la Cour de l'impôt est arrivé à une conclusion positive même s'il a conclu qu'il n'y avait "aucune attente raisonnable de profit" de la part des contribuables. Le ministre du Revenu national adopte la position plutôt audacieuse selon laquelle l'arrêt Tonn était erroné et exhorte la présente formation différente de la Cour à "infirmer" la décision précédente ou à tout le moins à "clarifier" ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn . Bien que je sois prêt à reconnaître que ce qui a réellement été décidé dans l'arrêt Tonn a suscité une certaine confusion à la Cour de l'impôt, il n'en demeure pas moins qu'il n'y a aucun fondement juridique ou théorique permettant de s'écarter du sens véritable de cette décision. Avec égards, le juge de la Cour de l'impôt a mal interprété son sens, tout comme le ministre et les avocats des contribuables.
Les faits essentiels sont relativement simples. En août 1990, les contribuables ont conclu une promesse d'achat d'un condominium en rangée de trois chambres à coucher à Oakville pour un montant de 159 000 $. La vente a été conclue en décembre de cette année après que les acheteurs eurent obtenu un prêt hypothécaire de 117 000 $. Les contribuables ont également reçu le produit d'un prêt de 45 000 $ qui était garanti par une hypothèque sur la maison des parents de June Mastri. Au moment de la signature de la promesse d'achat et de la vente, les contribuables avaient l'intention d'utiliser la propriété comme résidence principale. Toutefois, à la fin de 1990, Michael a été transféré par son employeur de Burlington à Toronto et c'est à ce moment que les Mastri ont décidé de donner leur propriété en location. Au cours de l'année d'imposition 1991, la propriété a été louée jusqu'à la fin de novembre. Les tentatives subséquentes pour louer la propriété se sont avérées vaines. Comme il y avait une diminution de la valeur des propriétés, les contribuables ont décidé de ne pas vendre la propriété et d'en faire plutôt leur résidence principale. Au cours de l'année d'imposition 1991, les contribuables ont reçu 12 375 $ en loyer et ont fait état de dépenses de 27 730,97 $. De ce dernier montant, 15 675,73 $ (c'est-à-dire 57 %) se rapportaient aux intérêts. Chaque contribuable a réclamé la moitié de la perte locative de 15 355,97 $.
Après un long et minutieux examen des éléments de preuve, le juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit relativement à l'année d'imposition 1991. Cette conclusion de fait n'a pas été contestée par l'une ou l'autre partie et, à mon avis, à juste titre. Le seul raisonnement à l'appui de la déduction par les contribuables d'une perte en 1991 portait qu'ils avaient estimé qu'ils réaliseraient un profit en 1992. Nonobstant la conclusion d'absence d'attente raisonnable de profit, le juge de la Cour de l'impôt a ensuite déterminé que cette conclusion ne réglait pas la question de façon définitive. Selon son interprétation du raisonnement de l'arrêt Tonn, il incombait au ministre d'établir également qu'il y avait soit un "élément personnel" soit un "avantage fiscal prévisible" dont bénéficieraient les contribuables au cours de l'année d'imposition en question. De l'avis du juge de la Cour de l'impôt, le ministre n'avait pas réussi à démontrer la présence de l'un ou l'autre de ces facteurs. Par conséquent, il a conclu que les contribuables avaient le droit de déduire de leurs autres revenus, leur part de la perte locative. Ayant ainsi conclu, le juge de la Cour de l'impôt a examiné la question subsidiaire de l'application de l'article 67 et de l'alinéa 18(1)b ) de la Loi pour limiter certaines dépenses déduites par les contribuables qu'il a conclu être de la nature d'une immobilisation. Les contribuables ont admis qu'environ 3 000 $ constituait une immobilisation et ne pouvaient être déduits à titre de dépenses courantes. Le juge de la Cour de l'impôt a ensuite conclu qu'un montant plus élevé devrait être considéré comme une immobilisation et a finalement conclu que la perte locative était de 8 958 $ et non de 15 356 $ comme elle avait été initialement demandée. Bref, les dépenses totales ont été réduites à 21 333 $ dont 15 675 $ (soit 73 %) représentaient des intérêts.
L'argument du ministre portait principalement sur le fait que dans l'arrêt Tonn, la Cour s'est écartée de ses décisions précédentes pour établir le principe selon lequel le critère de l'attente raisonnable de profit, établi dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, ne s'applique que lorsqu'il peut être démontré que les faits font état d'une "diminution d'impôt inappropriée", la présence d'un "avantage personnel" ou "que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute". Par conséquent, le critère de l'arrêt Moldowan ne s'applique pas avant que l'un de ces facteurs puisse être établi. Les contribuables soutiennent également que dans des circonstances où les motifs d'un contribuable sont uniquement de nature commerciale, l'arrêt Tonn énonce que le critère de l'attente raisonnable de profit ne s'appliquerait pas normalement.
Dans ses arguments le ministre soutient en outre que la Cour a commis une erreur dans l'arrêt Tonn lorsqu'elle a confondu la question du caractère déductible d'une dépense avec le caractère déductible d'une perte locative (perte qui découle d'un bien) découlant d'une autre source de revenu d'un contribuable (par ex. le revenu tiré d'un emploi). C'est sur ce fondement que le ministre nous incite à "infirmer" l'arrêt Tonn qui a été rendu par une formation unanime de la Cour en décembre 1995.
Il importe de reconnaître que bien qu'une décision rendue par une formation de la Cour n'en lie pas une autre, on ne peut dire qu'une décision récente en infirme une plus ancienne. Selon les règles admises en matière de stare decisis les deux décisions sont d'une importance égale. Il est vrai qu'avec le temps une décision plus ancienne peut tomber en disgrâce et, par conséquent, perdre son caractère convaincant par l'application de diverses techniques judiciaires bien connues. Il est également vrai que, à l'occasion, une formation exprime de façon expresse son désaccord à l'égard d'une décision antérieure lorsque l'auteur principal de cette décision ou que la majorité de cette formation est maintenant saisie de l'affaire subséquente. Plus souvent qu'autrement, la décision plus ancienne a été rendue à l'audience ou per incuriam. Outre ces circonstances, le moyen formel pour infirmer une décision ancienne consiste à réunir une formation élargie, comme dans le cas où il y a deux décisions contraires de la Cour ou des courants jurisprudentiels contraires et que la question visée est réputée être d'une importance fondamentale pour la jurisprudence dans un domaine particulier du droit fédéral: voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.). Cela étant dit, je suis convaincu que l'arrêt Tonn est bien fondé. Toutefois, il est clair que cet arrêt a causé certains problèmes d'interprétation et d'application pour certains juges de la Cour de l'impôt, problèmes qui découlent en partie d'ambiguïtés qui ressortiraient des termes utilisés dans l'arrêt Tonn.
Je ne suis pas d'avis qu'il faille traiter des arguments du ministre de façon détaillée pour la simple raison qu'ils sont dénués de fondement. Il n'est pas possible d'affirmer que la Cour dans l'arrêt Tonn a confondu le concept du caractère déductible d'une dépense avec le concept du caractère déductible de perte locative du revenu tiré d'autres sources. Il faut convenir que des renvois indirects au critère de l'attente raisonnable de profit établi dans l'arrêt Moldowan sont utilisés pour refuser la déduction des dépenses personnelles plutôt que les pertes d'entreprise ou les pertes matérielles: voir Tonn, supra, aux pages 90 et 91 et 95. Ces renvois ont été établis dans le contexte d'une analyse qui vise à démontrer l'origine du critère de l'attente raisonnable de profit qui découlerait de l'interdiction contre la déduction des "frais personnels et frais de subsistance" aux termes de l'alinéa 18(1)h ), expression qui est définie au paragraphe 248(1). Je dois reconnaître que même les analystes fiscaux ont commis le même lapsus: voir S. Silver, "Great Expectations: Are They Reasonable?" dans 1995 Corporate Management Tax Conference, Real Estate Transactions: Tax Planning for the Second Half of the 1990s (Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1996) 6:1 aux pages 6:15 et 6:16, citées dans l'arrêt Tonn aux pages 93 et 94. Toutefois, en fin de compte il est évident que la Cour dans l'arrêt Tonn a reconnu que la question qui lui était posée était de savoir si les pertes locatives pouvaient être déduites d'autres sources de revenus: voir Tonn, supra, aux pages 79 et 83.
Afin de préserver l'intégrité de la doctrine, il convient également de souligner qu'il faut établir une distinction entre le fait de savoir si une source de revenu d'un contribuable est tirée d'une entreprise par opposition à un bien. Je peux être propriétaire d'un bien locatif mais le fait de savoir si j'exploite une entreprise à l'égard de celui-ci constitue une question juridique distincte qui donne lieu à d'autres conséquences fiscales qui ne sont pas pertinentes relativement aux affaires visées. Par conséquent, à proprement parler il ne convient pas de dire qu'il s'agit de dépenses d'entreprise engagées relativement à un bien locatif à moins, évidemment, que les actes du contribuable soient considérés en droit comme une entreprise. De toute façon, il convient à ce stade d'énoncer les conclusions de droit précises établies dans l'arrêt Moldowan.
Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, "on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit" (supra , à la page 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative. Il est évident que après l'arrêt Moldowan, la Cour a suivi et appliqué cette décision: voir Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3 (C.A.F.); Poetker c. Ministre du Revenu national, [1996] 1 C.T.C. 202 (C.A.F.); et Hugill (R.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 16 (C.A.F.). La seule question qui reste à trancher est de savoir si l'arrêt Tonn s'écarte de cette jurisprudence lorsqu'il prévoit que le critère de l'attente raisonnable de profit n'est pas pertinent en ce qui a trait à la question du caractère déductible des pertes jusqu'à ce qu'il puisse être établi que l'affaire comporte une déduction d'impôt inappropriée, la présence d'un élément personnel important ou de circonstances suspectes. Deux passages de l'arrêt Tonn sont cités à l'appui de cet argument et il convient d'en faire état (supra, à la page 96 et aux pages 103 et 104):
Par conséquent, le critère de l'arrêt Moldowan est un critère utile qu'il est possible d'appliquer pour conclure qu'une activité du contribuable est inappropriée en l'absence d'éléments de preuve plus directs. Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.
. . .
. . . je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'"appréciation commerciale" du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.
Avec égards, aucun des extraits cités précédemment n'appuie l'argument juridique invoqué par le ministre et les contribuables. Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué "avec modération" n'est pas destinée à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression "avec modération" visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables. De crainte qu'un doute soit soulevé à ce sujet, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que l'analyse effectuée par la Cour dans l'arrêt Tonn.
Dans l'arrêt Tonn, la Cour a clairement jugé que le contribuable qui cherchait à déduire des pertes locatives de ses autres sources de revenus n'avait obtenu aucun avantage personnel. Néanmoins, la Cour a continué à examiner la question relative au caractère déductible des pertes en appliquant les facteurs énoncés dans l'arrêt Moldowan lorsqu'elle a examiné s'il y avait une attente raisonnable de profit. Le résumé fait par la Cour à la page 109 écarte tout doute en ce qui concerne ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn:
Ma décision en l'espèce est donc la suivante. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur de principe ainsi qu'une erreur dans la façon dont il a appliqué le critère de l'attente raisonnable de profit selon le sens actuel de ce critère. Il n'a pas tenu compte de tous les facteurs qu'il aurait dû examiner et il n'a pas évalué non plus tous les aspects de la situation. Il appert clairement de la preuve que les contribuables se sont lancés dans une entreprise commerciale et que leurs attentes de profit n'étaient pas déraisonnables dans les circonstances. Une petite entreprise de location a été créée sans l'aide d'une étude de marché sophistiquée à une époque où le marché de la location semblait prometteur. Peu après, par suite de circonstances imprévues, il est devenu précaire. Les contribuables n'ont tiré aucun avantage personnel des ententes de location. La propriété n'était pas un lieu de vacances. Elle n'a pas été utilisée non plus pour offrir un logement à prix modique ou sans frais à des parents ou à des amis. Les contribuables se sont honnêtement trompés et ont perdu de l'argent plutôt que d'en gagner. Il n'appartient pas au Ministère ou à la Cour de les pénaliser pour cette erreur en appliquant le critère de l'attente raisonnable de profit sans donner à l'entreprise suffisamment de temps pour prouver qu'elle est rentable.
Bref, la décision de la Cour dans l'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. L'arrêt Tonn confirme simplement l'interprétation fondée sur le bon sens selon laquelle ce n'est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la pespicacité commerciale d'un contribuable dont l'entreprise se révèle moins rentable que prévue. En conséquence, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur dans son interprétation et dans son application de l'arrêt Tonn. Il en va de même en ce qui concerne les décisions suivantes de la Cour de l'impôt, qui font ressortir une mauvaise interprétation du sens réel de l'arrêt Tonn: Howard c. Canada, [1997] T.C.J. no 69 (QL); et Rossi c. Canada, [1996] T.C.J. no 1632 (QL). En comparaison, d'autres décisions de la Cour de l'impôt confirment mon opinion relativement à ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn: voir Joudrey c. Canada, [1997] T.C.J. no 74 (QL); Stacey c. Canada, [1997] A.C.I. no 117 (QL); Riddell, M.L. c. La Reine (1996), 97 DTC 51 (C.C.I.); Schimmens c. Canada, [1996] A.C.I. no 539 (QL); Urquhart c. R., [1997] 1 C.T.C. 2611 (C.C.I.); et Wallace c. Canada, [1996] A.C.I. no 583 (QL).
Avant de conclure, je désire faire part avec déférence de mon désaccord à l'égard de la conclusion à laquelle est arrivée l'instance inférieure selon laquelle il n'y a aucun "élément personnel" en l'espèce. Au contraire, il ressort clairement de la preuve que les Mastri ont conclu une promesse d'achat de la maison en rangée avec l'intention de l'occuper et que, environ un an après l'achat, la maison est en fait devenue leur résidence principale. À mon avis, on peut difficilement parler d'absence d'élément personnel dans cette situation"particulièrement puisqu'il n'y a aucun élément de preuve indiquant que, au moment où les contribuables ont conclu l'achat de la propriété pour la somme de 159 000 $, ils se sont demandés si la maison en rangée pouvait être louée avec profit.
Le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur dans son application de l'arrêt Tonn et compte tenu du fait que sa conclusion quant à l'absence d'attente raisonnable de profit n'a pas été contestée, les contribuables n'ont pas le droit de déduire leur part respective de la perte locative d'autres sources de revenus. Les demandes de contrôle judiciaire devraient être accueillies, les jugements de la Cour de l'impôt annulés et l'affaire renvoyée pour que soit rendue une nouvelle décision sur le fondement que les appels des contribuables devant cette Cour doivent être rejetés. Les contribuables ont droit à un seul mémoire de frais raisonnables et justifiés à l'égard des deux demandes de contrôle judiciaire.
Le juge MacGuigan, J.C.A.: Je souscris.
Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris.