A-347-96
Éric F. Lemieux (appelant)
c.
Michel Gobeil, ès qualité Agent des affaires du travail, Développement des ressources humaines Canada, la Société Radio-Canada (intimés)
Le procureur général du Canada (intervenant)
Répertorié: Lemieuxc. Canada (Agent des affaires du travail, Développement des ressources humaines) (C.A.)
Cour d'appel, juges Denault, J.C.A. (de droit), Desjardins et Décary, J.C.A."Montréal, 15 mai; Ottawa, 4 juin 1998.
Relations du travail — Pouvoirs de l'inspecteur en vertu du Code canadien du travail relativement à une plainte de congédiement injuste — L'inspecteur n'a pas le pouvoir de décider que la plainte est irrecevable au motif qu'il ne s'agit pas véritablement d'un congédiement, mais simplement du non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée — La question relève de la compétence d'un arbitre.
Lorsque la Société Radio-Canada a informé l'appelant qu'elle n'avait pas l'intention de renouveler son contrat de travail, l'appelant a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu des articles 240 et suivants du Code canadien du travail. L'inspecteur a alors demandé à la SRC de fournir les raisons du congédiement. La SRC a répondu qu'elle avait simplement décidé de ne pas renouveler le contrat de l'appelant et qu'il ne s'agissait pas d'un congédiement. Sans informer l'appelant de la position de la SRC et sans lui accorder la possibilité de faire un commentaire, l'inspecteur a informé l'appelant que la plainte était irrecevable "puisque le non-renouvellement de contrats à durée déterminée ne constitue pas un congédiement". Lorsque l'appelant a répondu qu'il s'agissait d'une affaire qui relevait de la compétence de l'arbitre, l'inspecteur a répondu qu'il était de sa responsabilité de "s'assurer que toutes personnes qui déposent une plainte de congédiement injuste rencontrent les conditions de recevabilité prévues à l'article 240 du Code". Un juge de la Section de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelant, concluant qu'"il revient . . . à l'inspecteur, puisqu'il est le premier à recevoir la plainte, de refuser de donner suite à une plainte qui à sa face même est irrecevable". Le juge a ajouté qu'"il doit exister un système de filtrage qui élimine les plaintes qui ne rencontrent pas les conditions préliminaires". L'appel formé contre cette décision a nécessité que la Cour examine les rôles respectifs de l'inspecteur et de l'arbitre selon le Code.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Le rôle de l'inspecteur est à ce point limité qu'il doit se contenter de colliger des informations relatives aux motifs et aux circonstances du congédiement sans en tirer de conclusions. Le processus de conciliation qui doit être entamé dès réception de la plainte peut être confié à un autre inspecteur. Le rapport qu'il fait au ministre en vertu du paragraphe 241(3) ne vise qu'à constater "l'échec de son intervention". Il transmet au ministre non pas quelque conclusion ou constatation de fait qu'il aurait pu tirer de son examen du dossier, mais seulement les documents qu'il a reçus. Qui plus est, la loi ne prévoit aucunement que l'inspecteur, en cours de conciliation, rencontre les parties et elle n'exige pas qu'il les informe de leurs prétentions respectives. Ce qui ressort clairement de cette revue des fonctions spécifiques attribuées à un inspecteur, c'est que l'inspecteur, règle générale, exerce des fonctions et prend des décisions d'ordre administratif qui ne peuvent d'aucune façon soulever des interrogations de la nature de celles soulevées en la présente affaire.
Quand bien même l'inspecteur aurait eu le pouvoir de déterminer s'il y avait ou non congédiement, la décision de ce dernier ne saurait en l'espèce résister à une demande de contrôle judiciaire, et ce pour la simple raison que cette décision a été prise de façon plus que sommaire, sur la foi des seules représentations écrites de Radio-Canada qui ne s'appuyaient sur aucune preuve documentaire et dont le contenu n'avait pas été porté à la connaissance du plaignant.
L'inspecteur n'est pas la personne compétente à qui le dossier devrait être retourné. Puisque l'inspecteur n'aura jamais devant lui que le dossier tel que constitué par lui-même et comme il ne détient aucun des pouvoirs d'enquête et de détermination que possède l'arbitre en vertu du paragraphe 242(2), il s'ensuit qu'il ne pourrait jamais procéder autrement que "sommairement et préliminairement", ce qui serait à chaque fois inacceptable. Le fait, par conséquent, que l'inspecteur n'ait pas les pouvoirs requis pour tenir une audition respectueuse des droits des parties, est un indice certain, voire déterminant, qu'il ne lui appartient pas de déterminer s'il y a ou non congédiement. Seul l'arbitre a le pouvoir, en vertu du paragraphe 242(1), d'"entendre et trancher l'affaire". En décider autrement, c'est ouvrir la porte à une multitude de demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de conclusions prises par un fonctionnaire qui n'a aucun pouvoir décisionnel et c'est mettre des bâtons dans les roues d'un processus qui se veut expéditif.
Contrairement à ce que prétend l'inspecteur dans sa lettre, l'arrêt de cette Cour dans Eskasoni School Board et Eskasoni Band Council c. MacIsaac et al. (1986), 69 N.R. 315 (C.A.F.), n'a pas décidé à jamais que dès qu'il y avait non-renouvellement de contrats à durée déterminée, il n'y avait pas congédiement au sens de l'article 240.
La conclusion que l'inspecteur n'a pas le pouvoir de juger une plainte non recevable pour le motif qu'elle ne serait pas reliée à un véritable congédiement se situe dans la lignée de la jurisprudence de cette Cour, laquelle est à l'effet a) que l'une des conditions essentielles préalables à l'examen par l'arbitre d'une plainte de congédiement injuste est que le plaignant prouve qu'il a été congédié, b) que l'arbitre a compétence pour trancher cette question et c) que la norme de contrôle de la décision de l'arbitre à cet égard est l'absence d'erreur.
La lecture de ces décisions révèle à quel point l'application des conditions de recevabilité d'une plainte pour congédiement injuste peut soulever des questions de droit complexes. Il est difficile de croire que le silence du législateur quant à la compétence des inspecteurs de les trancher, puisse être interprété comme une reconnaissance de cette compétence.
Le jugement rendu par la Section de première instance est infirmé et il lui est subsitué le jugement qui aurait dû être rendu. La décision de l'inspecteur est annulée et il est ordonné à l'inspecteur de s'efforcer de concilier les parties ou de confier cette tâche à un autre inspecteur, le tout conformément au paragraphe 241(2) du Code canadien du travail.
lois et règlements
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 16a),b),c), 172.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 42, art. 16), 182, 222, 223, 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 241, 242(1),(2),(3) (mod., idem, art. 16), (3.1) (mod., idem), (4), 248, 249(1),(2),(3),(4),(5),(6) (mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 35), (7) (mod., idem), (8) (mod., idem), 250, 251 (mod., idem, art. 36), 251.1 (édicté, idem, art. 37), 251.11 (édicté, idem), 251.12 (édicté, idem), 252 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 18; L.C. 1993, ch. 42, art. 38).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11.
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, Règle 403.
jurisprudence
décision appliquée:
Srougi c. Lufthansa German Airlines (1988), 93 N.R. 244 (C.A.F.).
décisions examinées:
Fréchette c. Canadien Pacifique Limitée et Canada et al. (1984), 60 N.R. 177 (C.A.F.); Eskasoni School Board et Eskasoni Band Council c. MacIsaac et al. (1986), 69 N.R. 315 (C.A.F.); Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652; (1993), 109 D.L.R. (4th) 272; 18 Admin. L.R. (2d) 67; 1 C.C.E.L. (2d) 75; 94 CLLC 14,006; 161 N.R. 66 (C.A.).
décisions citées:
Sagkeeng Education Authority Inc. c. Guimond, [1996] 1 C.F. 387; (1995), 16 C.C.E.L. (2d) 259; 103 F.T.R. 274 (1re inst.); Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289; (1988), 34 Admin. L.R. 23; 25 F.T.R. 3 (1re inst.); Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451; (1995), 102 F.T.R. 241 (1re inst.); inf. par [1998] 1 C.F. 433 (C.A.); Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Husain, [1998] A.C.F. no 607 (C.A.); Lee-Shanok c. Banque Nazionale del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578; (1987), 26 Admin. L.R. 133; 76 N.R. 359 (C.A.); Standard Radio Inc. c. Canada (Procureur général et ministre du Travail) et al. (1989), 96 N.R. 388 (C.A.F.).
APPEL contre une décision de la Section de première instance (Lemieux c. Société Radio-Canada et al. (1996), 120 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.)) qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un inspecteur en vertu du Code canadien du travail, qui avait rejeté comme irrecevable une plainte pour congédiement injuste au motif que le non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée ne constitue pas un congédiement. Appel accueilli.
avocats:
David Rhéaume pour l'appelant.
Raymond Piché et Nadine Perron pour les intimés et l'intervenant.
avocats inscrits au dossier:
Grégoire, Payette, Rhéaume, Granby, Québec, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés et l'intervenant.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
Le juge Décary, J.C.A.: Cet appel nous amène à examiner les rôles respectifs de l'inspecteur et de l'arbitre lors du dépôt d'une plainte pour congédiement injuste dans le cadre de la section XIV [articles 240 à 246] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, tel que modifié (le Code). La question plus particulière qui se pose est celle de savoir si l'inspecteur a la compétence, lorsqu'il reçoit la plainte d'une personne "qui se croit injustement congédiée" (article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15]), de vérifier lui-même au départ si le congédiement injuste en question est un véritable congédiement, indépendamment de son caractère juste ou injuste, et, s'il en vient à la conclusion que non, pour juger lui-même la plainte irrecevable.
Les faits
Les faits sont fort simples. L'appelant était à l'emploi de la Société Radio-Canada (Radio-Canada) lorsque, le 8 avril 1994, son employeur l'informait de son intention de ne pas renouveler le contrat de travail. Ce dernier venait à échéance le 30 juin 1994.
Le 11 juillet 1994, l'appelant enregistrait une plainte pour congédiement injuste auprès de Travail Canada, en vertu des articles 240 et suivants du Code canadien du travail. Le "fonctionnaire qui a reçu la plainte" était M. Michel Gobeil. (D.A., à la page 43).
Le 19 juillet 1994, une commis aux opérations de Travail Canada avisait l'appelant que ce même Michel Gobeil, un "agent des affaires du travail", "[avait] été chargé de faire enquête dans cette affaire". (D.A., à la page 45).
Le 26 octobre 1994, M. Gobeil (l'inspecteur) demandait à Radio-Canada, aux termes du paragraphe 241(1) du Code, de lui "fournir . . . une déclaration écrite faisant état des motifs de ce congédiement" (mon soulignement).
Le 2 novembre 1994, Radio-Canada fournissait une déclaration écrite à l'effet que:
. . . la Société considère que le plaignant a fait l'objet d'un non-renouvellement de contrat et non d'un congédiement et qu'elle était justifiée et en droit de ne pas renouveler le contrat du plaignant.
Dans les circonstances, la Société se réserve le droit de soulever, en temps opportun, toute objection à cet effet auprès d'un tribunal compétent.
Copie de cette lettre n'a pas été envoyée à l'appelant.
Le 15 novembre 1994, l'inspecteur informait l'appelant de sa "décision" dans les termes suivants:
Votre plainte est considérée irrecevable puisque le non-renouvellement de contrats à durée déterminée ne constituent [sic] pas un congédiement.
Cette position du Ministère a été adoptée suite au jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Eskasoni School Board. Je joins à la présente copie de ce jugement ainsi que la décision de la Cour Suprême du Canada qui a refusé d'entendre cette cause. Conséquemment, je n'ai d'autres [sic] choix que de fermer votre dossier. [D.A., à la p. 50.]
Le 6 décembre 1994, l'appelant répondait ce qui suit:
Je prends note de votre décision de considérer ma plainte comme irrecevable. Toutefois, je considère que cette question relève plutôt de la compétence d'un arbitre agissant en vertu de la section XIV du Code canadien du travail.
Ainsi, en application de l'article 241 du Code, je vous demande de faire rapport au Ministre de l'échec de la conciliation en vue qu'un arbitre soit nommé dans mon dossier dans les plus brefs délais. [D.A., à la p. 48.]
Le 22 décembre 1994, l'inspecteur mettait fin au débat en ces termes:
En réponse à votre lettre datée du 6 décembre 1994, j'aimerais vous rappeler qu'une de nos responsabilités en tant qu'agent des affaires du travail est de s'assurer que toutes personnes qui déposent une plainte de congédiement injuste rencontrent les conditions de recevabilité prévues à l'article 240 du Code. [D.A., à la p. 49.]
Il est à noter que l'inspecteur Gobeil a rendu sa "décision" sur la seule foi de la lettre écrite par Radio-Canada le 2 novembre 1994, sans avoir en main le contrat d'emploi et sans avoir informé l'appelant des prétentions de son employeur.
L'appelant s'est adressé à la Section de première instance de cette Cour, laquelle a rejeté sa demande de contrôle judiciaire, essentiellement pour le motif suivant (Lemieux c. Société Radio-Canada et al. (1996), 120 F.T.R. 193 [C.F. 1re inst.), à la page 204):
Malgré le silence du législateur sur ce point, il revient à mon avis à l'inspecteur, puisqu'il est le premier à recevoir la plainte, de refuser de donner suite à une plainte qui à sa face même est irrecevable. Comme l'exprimait le procureur général, il doit exister un système de filtrage qui élimine les plaintes qui ne rencontrent pas les conditions préliminaires. À mon avis, il est implicite du rôle de l'inspecteur qu'il assure cette fonction.
Aucun des intimés n'a participé au débat et c'est le procureur général du Canada (le procureur général) qui, à titre d'intervenant, est venu défendre la compétence de l'inspecteur.
J'ai structuré mes motifs de la façon suivante. D'abord, un rappel des dispositions législatives des plus pertinentes. Puis une description des fonctions de l'inspecteur lors du dépôt d'une plainte de congédiement injuste en vertu de la section XIV, suivie d'une description des fonctions de l'inspecteur en vertu des autres sections de la partie III du Code. Une analyse, enfin, des questions en litige, des prétentions des parties et de la jurisprudence de cette Cour.
La législation pertinente
Il s'impose, pour une bonne compréhension des motifs qui vont suivre, que je reproduise plusieurs dispositions du Code canadien du travail. Les voici [art. 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 241, 242 (mod., idem, art. 16), 248, 249 (mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 35), 250, 251 (mod., idem, art. 36)]:
Section XIV
Congédiement injuste
240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si:
a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.
(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.
241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.
(2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.
(3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas:
a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;
b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.
242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.
(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre:
a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;
b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;
c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).
(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre:
a) décide si le congédiement était injuste;
b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'un ministre.
(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:
a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;
b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.
(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur:
a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;
b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;
c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.
. . .
Section XVI
Application et dispositions générales
Enquêtes
248. (1) Le ministre peut, dans le cadre de la présente partie:
a) faire procéder à une enquête sur toute question concernant l'emploi dans un établissement;
b) nommer la ou les personnes qui en seront chargées.
(2) Toute personne nommée conformément au paragraphe (1) est investie des pouvoirs conférés aux commissaires aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes.
249. (1) Le ministre peut désigner quiconque à titre d'inspecteur pour l'application de la présente partie.
(2) Pour l'application de la présente partie et de ses règlements, l'inspecteur peut:
a) examiner les livres, feuilles de paie et autres documents de l'employeur ayant trait au salaire, à la durée du travail ou aux conditions d'emploi de tout employé;
b) reproduire ces documents en tout ou en partie;
c) obliger l'employeur à fournir des renseignements complets et exacts, oralement ou par écrit et en la forme demandée, sur les salaires payés à tous ses employés ou à l'un d'entre eux, sur la durée de leur travail et sur leurs conditions d'emploi;
d) obliger l'employé à lui communiquer les documents"ou leurs copies"ainsi que les autres renseignements oraux ou écrits en sa possession ou son pouvoir qui, de quelque façon, ont trait à son salaire, à la durée de son travail ou aux conditions de son emploi;
e) obliger les parties à une plainte déposée en application du paragraphe 240(1) à fournir des renseignements complets et exacts, oralement ou par écrit et en la forme demandée, sur les circonstances du congédiement qui fait l'objet de la plainte.
(3) L'inspecteur peut, à toute heure convenable, pénétrer dans tout lieu où est exploitée une entreprise fédérale afin d'y procéder à une visite dans le cadre du paragraphe (2) et, à cette fin, interroger tout employé hors de la présence de son employeur.
(4) Le responsable de l'entreprise fédérale et ceux qui y travaillent ou dont l'emploi est lié à l'entreprise sont tenus de prêter à l'inspecteur toute l'assistance possible dans l'exercice des fonctions que la présente partie ou ses règlements lui confèrent.
(5) Le ministre remet à chaque inspecteur un certificat attestant sa qualité, que celui-ci présente, sur demande, au responsable de l'entreprise fédérale où il pénètre.
(6) L'inspecteur peut, dans l'exercice de ses fonctions, se faire accompagner ou assister par les personnes dont il estime le concours nécessaire.
(7) Ni l'inspecteur ni les personnes qui l'accompagnent ou l'assistent dans ses fonctions ne peuvent être contraints, sans l'autorisation écrite du ministre, à témoigner dans un procès civil, dans des procédures civiles ou dans les procédures visées à l'article 242 au sujet des renseignements qu'ils ont obtenus à cette occasion.
(8) L'inspecteur est dégagé de toute responsabilité personnelle en ce qui concerne les faits"actes ou omissions"accomplis de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel des pouvoirs que lui confère la présente partie.
250. L'inspecteur peut, dans le cadre du paragraphe 249(2), faire prêter serment et recevoir des affidavits et déclarations solennelles, et en donner attestation.
251. (1) S'il constate que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de cette partie, l'inspecteur peut déterminer lui-même la différence entre le montant exigible et celui qui a été effectivement versé.
Les fonctions d'un inspecteur lors du dépôt d'une plainte de congédiement injuste
La lecture de ces dispositions laisse voir que le rôle d'un inspecteur, eu égard à une plainte de congédiement injuste, est limité par la Loi à ce qui suit: recevoir la plainte (paragraphe 240(1)), demander par écrit à l'employeur et au plaignant des informations orales ou écrites relatives aux motifs et aux circonstances du congédiement (paragraphe 241(1) et alinéa 249(2)e)), chercher, dès réception de la plainte, à concilier les parties (paragraphe 241(2)) ou demander à un autre inspecteur de le faire, et, en cas d'échec, sur demande du plaignant, remettre un rapport au ministre faisant état de cet échec (alinéa 241(3)a)) et transmettre au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur et les autres documents relatifs à la plainte (paragraphe 241(3)b)). C'est le ministre qui a le pouvoir de proroger le délai prescrit pour le dépôt de la plainte (paragraphe 240(3)), c'est le plaignant lui-même qui doit faire la demande d'arbitrage (paragraphe 241(3)), c'est le ministre qui décide de la désignation d'un arbitre (paragraphe 242(1)) et c'est l'arbitre qui procède à l'instruction de la plainte (paragraphe 242(2)).
Le rôle de l'inspecteur est à ce point limité qu'il doit se contenter de colliger des informations relatives aux motifs et aux circonstances du congédiement sans en tirer de conclusions, que le processus de conciliation qui doit être entamé dès réception de la plainte peut être confié à un autre inspecteur, que le rapport qu'il fait au ministre en vertu du paragraphe 241(3) ne vise qu'à constater "l'échec de son intervention" et qu'il transmet au ministre, non pas quelque conclusion ou constatation de fait qu'il aurait pu tirer de son examen du dossier, mais seulement les documents qu'il a reçus. Qui plus est, la Loi ne prévoit aucunement que l'inspecteur, en cours de conciliation, rencontre les parties et elle n'exige pas qu'il les informe de leurs prétentions respectives.
Les faits du présent dossier confirment que l'inspecteur et Radio-Canada savaient à quel point le rôle de l'inspecteur se limitait à la conciliation. (Je ne dis pas que ce rôle de conciliation n'est pas significatif. Au contraire, la conciliation a ses lettres de noblesse en droit du travail et constitue un instrument majeur de solution de conflits. Ce que je dis, c'est que le conciliateur est investi de bien peu de pouvoirs dès qu'il s'agit d'autre chose que de conciliation.) Ainsi, dans la lettre qu'il adressait à Radio-Canada le 26 octobre 1994, l'inspecteur la priait de lui faire connaître les motifs du congédiement; il ne remettait donc pas en question l'existence d'un congédiement, se conformant en cela aux exigences du paragraphe 241(1). Dans la réponse qu'elle faisait parvenir à l'inspecteur le 2 novembre 1994, Radio-Canada ne soulevait pas comme telle son objection relative à l'absence de congédiement, mais se réservait le droit de la soulever "en temps opportun" et "auprès d'un tribunal compétent"; ainsi était-elle d'avis que le moment n'était pas encore venu et qu'il lui fallait attendre de se retrouver devant le tribunal compétent, vraisemblablement l'arbitre.
Les autres fonctions d'un inspecteur dans la partie III du Code
Le Code, en sa partie III (Durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés, articles 166 à 267), attribue peu de fonctions spécifiques aux inspecteurs nommés en vertu du paragraphe 249(1) "pour l'application" de cette partie. En cas de modification d'horaire de travail, l'article 172.1 [édicté par L.C. 1993, ch. 42, art. 16] confie à un inspecteur le pouvoir de tenir un scrutin secret, de procéder au dépouillement du vote et de faire rapport au directeur du résultat du scrutin; son rôle s'arrête là. Le paragraphe 182(2) permet à un inspecteur "qui a des motifs raisonnables de soupçonner un employeur d'avoir commis l'un des actes discriminatoires" définis à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], d'"en aviser la Commission canadienne des droits de la personne ou déposer une plainte devant celle-ci". Il s'agit, à n'en pas douter, d'une fonction importante dans l'exercice de laquelle un inspecteur se voit expressément confier un pouvoir discrétionnaire considérable en matière d'équité salariale entre les hommes et les femmes.
L'article 222 prévoit qu'un inspecteur peut "surveiller la constitution et le fonctionnement" d'un comité mixte de planification mis sur pied à l'occasion d'un avis de licenciement collectif. L'inspecteur peut "fournir . . . l'aide qu'on pourrait lui demander" et "assister aux réunions du comité à titre d'observateur". En cas d'impasse, c'est toutefois un arbitre ("arbitrator", dans le texte anglais de l'article 223) qui tranchera.
L'article 251 permet à l'inspecteur qui a constaté qu'un employeur n'avait pas versé des montants auxquels un employé avait droit, de "déterminer lui-même" la somme due. L'article 251.1 [édicté par L.C. 1993, ch. 42, art. 37] lui permet d'ordonner par écrit à l'employeur de verser ce montant, mais reconnaît aussi le pouvoir de l'inspecteur de conclure "à l'absence de fondement d'une plainte portant que l'employeur n'a pas versé" un certain montant et de signifier son "avis de plainte non fondée" à l'employeur. L'article 251.11 [édicté, idem ] donne à "[t]oute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée" la possibilité d'interjeter appel de la décision de l'inspecteur auprès du ministre, lequel doit alors nommer un arbitre (un "referee" dans le texte anglais de l'article 251.12 [édicté, idem ]).
L'article 252 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 18; L.C. 1993, ch. 42, art. 38], enfin, permet à l'inspecteur d'examiner, à toute heure convenable, les registres d'un employeur.
Il ressort de cette revue des fonctions spécifiques attribuées à un inspecteur, que le rôle de ce dernier varie au gré du législateur. C'est à tort, par conséquent, que le procureur général dresse devant nous l'épouvantail d'une décision qui, en l'espèce, ne rencontrerait pas ses attentes. Quoi que nous décidions ici, aura peu d'impact sur ce qui pourrait être décidé relativement à une autre fonction d'un inspecteur. Ce qui est certain, toutefois, c'est que l'inspecteur, règle générale, exerce des fonctions et prend des décisions d'ordre administratif qui ne peuvent d'aucune façon soulever des interrogations de la nature de celles soulevées en la présente affaire.
Il ressort aussi de cette revue que lorsque le législateur a voulu donner un pouvoir discrétionnaire ou décisionnel à un inspecteur, il l'a fait en des termes non équivoques. Ainsi en est-il du pouvoir de l'inspecteur de saisir d'une plainte la Commission canadienne des droits de la personne (article 182) et du pouvoir de l'inspecteur de conclure à l'absence de fondement d'une plainte de paiements insuffisants (article 251.1). Ce dernier pouvoir est d'autant plus pertinent, pour fins de comparaison avec le pouvoir qui nous intéresse dans cet appel, que la Loi parle d'une "décision de l'inspecteur" (paragraphe 251.11(1)), laquelle peut faire l'objet d'un appel au ministre, lequel doit alors nommer un arbitre (article 251.12). Il n'y a rien de tel, dans la section XIV de la Partie III du Code.
L'inspecteur dispose, par ailleurs, pour l'exécution de ses fonctions, des pouvoirs généraux décrits dans la section XVI, à l'article 249, dont ceux d'examiner les livres de l'employeur, d'obliger l'employeur et l'employé à lui fournir des renseignements, de visiter les lieux, d'interroger un employé hors de la présence de l'employeur et de faire prêter serment. Je ne suis pas convaincu que tous ces pouvoirs soient pertinents à l'exercice des fonctions attribuées à un inspecteur par la section XIV, mais quoi qu'il en soit, ces pouvoirs ne modifient en rien ni ne bonifient les fonctions que le Code attribue par ailleurs à l'inspecteur. Je note cependant que contrairement aux enquêteurs qui sont nommés par le ministre en vertu de l'article 248, les inspecteurs ne sont pas investis des pouvoirs conférés aux commissaires aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes [L.R.C. (1985), ch. I-11].
Le fond du litige
Ce qui m'amène au fond du litige: en l'absence de dispositions expresses qui attribuent à un décideur le pouvoir de déterminer s'il y a ou non congédiement, il faut rechercher quel décideur s'est vu accorder implicitement ce pouvoir.
Je dirai d'entrée de jeu que quand bien même ce décideur serait l'inspecteur, la décision de ce dernier ne saurait en l'espèce résister à une demande de contrôle judiciaire, et ce pour la simple raison que cette décision a été prise de façon plus que sommaire, sur la foi des seules représentations écrites de Radio-Canada qui ne s'appuyaient sur aucune preuve documentaire et dont le contenu n'avait pas été porté à la connaissance du plaignant. Si tant est que l'inspecteur ait eu le pouvoir de juger la plainte irrecevable, il ne pouvait le faire sans avoir en sa possession les documents pertinents et sans inviter le requérant à faire valoir son point de vue. Cette Cour, dans Srougi c. Lufthansa German Airlines (1988), 93 N.R. 244 (C.A.F.), à la page 246 a jugé qu'il lui paraissait "difficile d'imaginer une situation", dans le cas de rejet d'une plainte par un arbitre au motif qu'il ne s'agissait pas d'un véritable congédiement,
. . . où cela pourrait être fait sommairement et préliminairement, sur la seule vue du dossier tel que constitué par la plainte . . .
À plus forte raison en irait-il de même si la décision était prise par un inspecteur plutôt que par un arbitre.
La demande de contrôle judiciaire ne saurait cependant être accueillie pour ce seul motif, puisqu'il faut de toute façon déterminer si l'inspecteur est la personne compétente à qui le dossier devrait être retourné. Le procureur général prétend qu'il serait inutile de renvoyer l'affaire, que ce soit à l'inspecteur, au ministre ou à l'arbitre, puisque de toute façon le juge de première instance a déjà tranché la question et décidé qu'il n'y avait pas, en l'espèce, de véritable congédiement. Cette prétention n'a aucun mérite: dès lors que le jugement de première instance serait cassé, il perdrait toute valeur de contrainte et aussi bien un inspecteur qu'un ministre ou un arbitre pourraient en arriver à une conclusion toute autre.
Le fait que l'inspecteur ait sommairement jugé la plainte non recevable n'est pas pour autant étranger à la question de compétence. Puisque l'inspecteur n'aura jamais devant lui que le dossier tel que constitué par lui-même et comme il ne détient aucun des pouvoirs d'enquête et de détermination que possède l'arbitre en vertu du paragraphe 242(2), il s'ensuit qu'il ne pourrait jamais procéder autrement que "sommairement et préliminairement", ce qui serait à chaque fois inacceptable. Le fait, par conséquent, que l'inspecteur n'ait pas les pouvoirs requis pour tenir une audition respectueuse des droits des parties, est un indice certain, voire déterminant, qu'il ne lui appartient pas de déterminer s'il y a ou non congédiement.
Seul l'arbitre a le pouvoir, en vertu du paragraphe 242(1), d'"entendre et trancher l'affaire". Pour "l'examen du cas dont il est saisi" (paragraphe 242(2)), l'arbitre fixe lui-même sa procédure, mais "sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations". Qui plus est, l'arbitre, selon l'alinéa 242(2)c ), est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c). Le pouvoir conféré par l'alinéa 16a) est sans équivoque:
16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît:
a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;
L'inspecteur n'a aucun pouvoir ni aucune obligation analogues, ce qui se comprend aisément dès lors qu'on reconnaît qu'il n'est investi d'aucun pouvoir d'instruction et de décision.
Le procureur général est gourmand. Il soutient que l'inspecteur a compétence pour trancher tout différend relatif à toutes et chacune des conditions de recevabilité d'une plainte déposée conformément à l'article 240. Il définit ainsi, dans son mémoire, ce qu'il considère être les conditions de recevabilité:
a) La personne qui présente la plainte doit être employée par un employeur assujetti au Code canadien du travail [paragraphe 167(1) du Code].
b) La plainte doit être présentée par une personne qui est un employé mais qui n'occupe pas un poste de directeur [paragraphe 167(3) du Code].
c) Cette personne doit avoir été employée par le même employeur pendant une période d'au moins douze mois pour le même employeur [alinéa 240(1)a) du Code].
d) Cette personne ne doit pas faire partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective [alinéa 240(1)b) du Code].
e) Cette personne doit avoir été congédiée pour un motif autre qu'un manque de travail ou la suppression d'un poste [alinéa 242(3.1)a) du Code].
f) Cette personne ne doit pas disposer d'un autre recours prévu par le Code ou par une autre loi fédérale [alinéa 240(3.1)b) du Code].
g) La plainte doit avoir été présentée par écrit dans un délai de 90 jours qui suivent la date du congédiement [paragraphe 240(2) du Code] ou dans le délai prorogé par le ministre du Travail [paragraphe 240(3) du Code].
h) Cette personne doit alléguer qu'elle croit que son congédiement est injuste. [paragraphe 240(1) du Code].
C'est là, je le crains, un cas de qui trop embrasse, mal étreint.
Je ne passerai pas en revue chacune des conditions de recevabilité que le procureur général dit être du ressort de l'inspecteur. Il me suffira d'en écarter quelques-unes pour conclure que la pétition de principe du procureur général est sans fondement.
Le paragraphe 242(3.1) du Code prescrit que:
242. . . .
(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants:
a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;
b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.
Ce texte est clair: c'est l'arbitre, et lui seul, qui a le mandat de déterminer avant d'entreprendre son instruction, si les alinéas a) et b) s'appliquent.
Le procureur général se fonde, me semble-t-il, sur une prémisse qui est fausse. S'il est exact qu'un décideur soit généralement la personne habilitée à décider des questions préliminaires à l'exercice de sa compétence, encore faut-il déterminer qui est le décideur. La personne qui, de par la loi, se voit conférer le pouvoir de recevoir une plainte, mais qui se voit expressément nier le pouvoir de la trancher, n'est pas, à prime abord, le décideur. Il se peut que la loi lui permette de vérifier ou de constater l'existence d'un certain état de faits ou exige qu'il le fasse avant d'acheminer la plainte à qui de droit, mais cela n'en fait pas pour autant le décideur à tous autres égards.
Il faudrait d'ailleurs se demander, si d'aventure l'inspecteur avait tous les pouvoirs que lui prête le procureur général, dans quelle mesure l'arbitre serait lié par l'opinion émise par un inspecteur relativement à l'application d'une condition donnée de recevabilité. Si, par exemple, l'inspecteur a compétence pour décider s'il y a ou non congédiement véritable, le fait qu'il procède à la conciliation supposerait qu'il a conclu qu'il s'agissait d'un tel congédiement; l'arbitre éventuellement saisi de la plainte serait-il lié par cette conclusion? Bien sûr que non. Pourquoi alors l'arbitre se verrait-il privé de la possibilité de contredire aussi la conclusion d'un inspecteur qui, de sa seule initiative, aurait mis fin au processus au motif que selon lui il n'y avait pas de véritable congédiement?
Il est difficile d'imaginer que sur une question aussi vitale que l'existence d'un congédiement véritable, le législateur ait voulu sans le dire expressément que le plaignant traverse d'abord l'étape de l'inspecteur et, en cas d'échec, ne puisse aspirer à se retrouver devant un arbitre qu'après demande de contrôle judiciaire. Retenir les prétentions du procureur général, c'est ouvrir la porte à une multitude de demandes de contrôle judiciaire à l'encontre de conclusions prises par un fonctionnaire qui n'a aucun pouvoir décisionnel et c'est mettre des bâtons dans les roues d'un processus qui se veut expéditif.
Il faut en revenir au texte de la Loi et se demander ce que le Parlement a voulu que l'inspecteur décide de manière sommaire, préliminaire et définitive. La réponse est: fort peu de choses.
Le procureur général a fait grand état de l'arrêt prononcé séance tenante par cette Cour dans Fréchette c. Canadien Pacifique Limitée et Canada et al. (1984), 60 N.R. 177 (C.A.F.).
La Cour avait à décider, dans cette affaire, si une requête en mandamus dirigée contre un inspecteur [à la page 179] "devait être rejetée au motif que l'inspecteur n'était pas tenu de donner suite à la plainte . . . parce qu'elle n'avait pas été formulée dans le délai de 30 jours fixé par le paragraphe 61.5(2) du Code". La Cour a rejeté la requête en mandamus en ces termes [à la page 179]:
Le paragraphe 61.5(2) prescrit qu'une plainte "doit être formulée dans les trente jours qui suivent la date du congédiement ou dans le délai plus long que le Ministre peut accorder dans l'intérêt de la justice." Il s'agit là d'une disposition impérative qui réserve au seul Ministre la compétence de juger si le délai de 30 jours doit être prolongé. On ne peut donc dire qu'il s'agisse là d'un simple délai "indicatif" dont les inspecteurs ou les arbitres puissent ignorer l'existence. Un inspecteur n'est donc pas tenu de donner suite à une plainte qui a été formulée en dehors du délai sans autorisation du Ministre. Ce n'est pas à dire qu'il doive rendre une décision sur ce point; pas plus, d'ailleurs, qu'il n'est habilité à rendre une décision sur la question de savoir si la plainte en est une qui satisfasse à toutes les exigences de l'article 61.5. La loi ne l'autorise pas à décider de ces questions. Cependant, la loi ne l'oblige à donner suite à une plainte que si, en fait, cette plainte a été formulée dans les délais et rencontre les autres exigences de l'article 61.5. C'est dire que les tribunaux ne peuvent forcer un inspecteur à donner suite à une plainte formulée hors délai. Or, en l'espèce, contrairement à ce qu'a soutenu Me Martineau, il apparaît clair que la plainte a été formulée après l'expiration du délai de 30 jours. Il est vrai que, avant l'expiration de ce délai, monsieur Fréchette a pu manifester verbalement l'intention de déposer une plainte, mais cela importe peu puisque la plainte qui, suivant l'article 61.5, doit être formulée dans les 30 jours est une plainte écrite. Or, il est indiscutable que monsieur Fréchette n'a formulé sa plainte par écrit qu'après l'expiration du délai de 30 jours.
La Cour, de toute évidence, n'avait à juger que de la question du délai. Aussi, lorsqu'elle affirme que la loi n'oblige l'inspecteur "à donner suite à une plainte que si, en fait, cette plainte a été formulée dans les délais et rencontre les autres exigences de l'article 61.5" [soulignement ajouté], elle va, dans la partie que j'ai soulignée, au-delà de ce qui lui était demandé. Que cette partie soulignée constitue un obiter est d'autant plus évident qu'elle est immédiatement suivie des mots: "C'est dire que les tribunaux ne peuvent forcer un inspecteur à donner suite à une plainte formulée hors délai".
Il est certain, à mon avis, que la question du délai se trouve dans une catégorie à part: elle peut être déterminée au vu de la plainte, puisque la Loi exige une plainte écrite; elle n'exige aucune expertise particulière; et la Loi a réservé au ministre lui-même le pouvoir de proroger le délai, ce qui suppose que la question du délai en est une qui peut être réglée avant même que n'entre en jeu l'arbitre. Il est par conséquent logique de conclure qu'elle peut relever de la compétence de l'inspecteur.
Ce qu'il faut retenir de l'affaire Fréchette, c'est d'une part que l'inspecteur n'a aucun pouvoir de décision et d'autre part qu'il lui appartient, de concert avec le ministre et de par les termes mêmes de la Loi, de vérifier si la plainte est déposée à l'intérieur du délai prescrit. Fréchette ne dit rien de plus et ne permet surtout pas d'extrapoler: c'est une chose que de constater le fait qu'un délai n'a pas été rencontré, c'en est une autre que de décider s'il y a eu ou non congédiement véritable.
Contrairement à ce que prétend l'inspecteur dans sa lettre du 15 novembre 1994, l'arrêt de cette Cour dans Eskasoni School Board et Eskasoni Band Council c. MacIsaac et al. (1986), 69 N.R. 315 (C.A.F.), n'a pas décidé à jamais que dès qu'il y avait non-renouvellement de contrats à durée déterminée, il n'y avait pas congédiement au sens de l'article 240. Le concept de congédiement n'est pas coulé dans le béton; il peut varier dans le temps et au gré des réalités sociales et économiques. Il faudra toujours examiner les circonstances d'une fin d'emploi avant de décider, comme la Cour l'a fait dans Eskasoni School Board, qu'un employeur et un employé ont organisé leur relation de manière telle qu'il ne puisse y avoir de congédiement dans un cas donné. C'est précisément ce que cette Cour a reconnu, dans Srougi c. Lufthansa German Airlines (supra, paragraphe 26, à la page 247), lorsque le juge Marceau disait ce qui suit:
Ensuite et surtout, nous croyons erronée la proposition de base de l'arbitre à l'effet que l'article 61.5 ne viserait que le congédiement fait ouvertement, sans détour, par un geste unique et sans équivoque de l'employeur. Le congédiement est la "mise à effet" par l'employeur de sa volonté de mettre fin unilatéralement au contrat de travail qui le lie à son employé. Cette "mise à effet" peut se réaliser de diverses façons et rien ne permet de penser que le législateur, à l'article 61.5, n'entendait couvrir qu'une seule d'entre elles, fût-elle la plus simple, la plus directe ou la plus courante. Bien sûr, est-il nécessaire que l'arbitre soit en face d'un congédiement, i.e. qu'il décèle, dans le comportement de l'employeur, une volonté arrêtée de mettre fin unilatéralement au contrat de travail, (et c'est uniquement ce qui était à la base de la décision Escasoni School Board , supra) mais, une fois cela acquis, sa juridiction ne fait, à notre avis, aucun doute.
Je note au passage qu'aussi bien dans Eskasoni School Board que dans Srougi, la décision attaquée était celle de l'arbitre, et non celle de l'inspecteur.
Au surplus, reconnaître la compétence de l'inspecteur de décider en premier lieu, et vraisemblablement en dernier lieu si on ne veut pas multiplier inutilement les recours judiciaires, de toutes ces questions, serait lui reconnaître une expertise que le législateur n'attend pas de lui. Cette Cour, dans Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A.), à la page 669, a jugé que "le domaine d'expertise de l'arbitre est relativement limité" et que les différences de statut qu'établissent des dispositions particulières du Code entre l'arbitre agissant en vertu de la section XIV de la partie III du Code et d'autres décideurs "sont une indication assez nette que le législateur n'entendait pas donner à l'arbitre le dernier mot sur la question de savoir qui est et qui n'est pas recevable à porter plainte". Il s'agissait dans ce cas de l'interprétation de l'alinéa 242(3.1)b )"le pouvoir de déterminer si le Code ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours"et la Cour a jugé qu'il s'agissait là d'une question que les cours de justice étaient mieux à même de trancher qu'un arbitre.
L'affaire Pollard portait sur la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions d'un arbitre relativement à la recevabilité de la plainte et la question de savoir si l'inspecteur avait également compétence pour rendre semblables décisions ne se posait pas. De même que l'arbitre a le pouvoir de répondre à une question ancillaire à la question principale dont il est saisi, de même l'inspecteur pourrait-il avoir ce pouvoir si on le disait valablement saisi de la question principale. On imagine mal que le Parlement qui a déjà confié implicitement à l'arbitre un pouvoir de décision à l'égard de questions qui échappent à son expertise et auxquelles il doit répondre correctement, ait voulu implicitement confier un même pouvoir de décision à un inspecteur qui bénéficie d'une expertise moindre.
Avant de terminer, je me dois de traiter d'un argument de texte mis de l'avant par le procureur de l'appelant. Le texte français du paragraphe 240(1)""toute personne qui se croit injustement congédiée""serait plus englobant que le texte anglais qui dit "if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust". La simple croyance d'un congédiement suffirait, selon ce procureur, à rendre une plainte à tout le moins recevable et échapperait au contrôle de l'inspecteur au stade de la réception.
L'argument ne me convainc pas. Le texte français ne dit rien de plus, à mon avis, que ce qui suit: une personne congédiée qui croit l'avoir été injustement peut porter plainte. C'est la seule interprétation que permet le paragraphe 241(1), qui renvoie à "[l]a personne congédiée visée au paragraphe 240(1)", le paragraphe 240(2), qui traite de "la date du congédiement" et le paragraphe 242(4), qui prévoit que l'arbitre décide si "le congédiement était injuste". Qui plus est, cette interprétation est nettement la seule qui soit compatible avec le seul sens que peut avoir le texte anglais.
J'en viens donc à la conclusion que l'inspecteur n'a pas le pouvoir de juger une plainte non recevable pour le motif qu'elle ne serait pas reliée à un véritable congédiement. Cette conclusion me paraît se situer dans la lignée de la jurisprudence de cette Cour, laquelle est à l'effet a) que l'une des conditions essentielles préalables à l'examen par l'arbitre d'une plainte de congédiement injuste est que le plaignant prouve qu'il a été congédié; b) que l'arbitre a compétence pour trancher cette question et; c) que la norme de contrôle de la décision de l'arbitre à cet égard est l'absence d'erreur. (Voir Sagkeeng Education Authority Inc. c. Guimond, [1996] 1 C.F. 387 (1re inst.), à la page 395; Société canadienne des postes c. Pollard, supra, paragraphe 43; Eskasoni School Board et Eskasoni Band Council c. MacIsaac et al., supra, paragraphe 42; Srougi c. Lufthansa German Airlines, supra, paragraphe 26 et Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (1re inst.). Voir, également, Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451 (1re inst.); infirmé par [1998] 1 C.F. 433 (C.A.); et Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Husain, [1998] A.C.F. no 607 (C.A.) (QL).)
Une simple lecture de ces décisions"qui, en passant, se penchaient toutes sur une décision d'un arbitre"révèle à quel point l'application des conditions de recevabilité d'une plainte pour congédiement injuste peut soulever des questions de droit complexes. Il est difficile de croire que le silence du législateur quant à la compétence des inspecteurs de les trancher, puisse être interprété comme une reconnaissance de cette compétence.
Le procureur général voudrait que la Cour se prononce sur la compétence du ministre, s'il en est, relativement aux conditions de recevabilité de la plainte. Le problème n'est pas devant nous et je me garderai bien d'en traiter, si ce n'est pour rappeler qu'il ressort de décisions rendues par cette Cour que la décision du ministre de nommer un arbitre ne tranche pas définitivement la question de la compétence de ce dernier (Lee-Shanok c. Banque Nazionale del Lavoro du Canada, [1987] 3 C.F. 578 (C.A.), aux pages 590 et 591; et Beothuk Data Systems Ltd., supra, paragraphe 47, à la page 449) et que le ministre ne peut désigner un arbitre que si l'inspecteur lui a fait rapport de l'échec de la conciliation (Standard Radio Inc. c. Canada (Procureur général et ministre du Travail) et al. (1989), 96 N.R. 388 (C.A.F.)).
Le procureur général s'est également appuyé sur des décisions de la Section de première instance qui appuieraient ses prétentions. Il m'est inutile de les examiner ici puisque nulle part n'y était-il question des interrogations soulevées dans le présent dossier.
Je laisse en suspens la question des dépens en appel puisque l'appelant n'en a point fait la demande. Il lui sera loisible de se prévaloir de l'occasion que lui donne la Règle 403 [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] de faire des représentations à cet égard.
Disposition
J'accueillerais en conséquence l'appel, j'infirmerais le jugement rendu par la Section de première instance le 27 mars 1996 et, m'employant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu par cette dernière, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire portée à l'encontre de la décision de l'inspecteur en date du 15 novembre 1994, j'annulerais ladite décision et j'ordonnerais à l'inspecteur de s'efforcer de concilier les parties ou de confier cette tâche à un autre inspecteur, le tout conformément au paragraphe 241(2) du Code canadien du travail.
Le juge Denault, J.C.A. (de droit): Je suis d'accord.
Le juge Desjardins, J.C.A.: J'y souscris.