T-1639-96
ExpressVu Inc., Allarcom Pay Television Limited, The Family Channel Inc., et TMN Networks Inc. (demanderesses)
c.
NII Norsat International Inc., faisant affaires sous le nom de "Aurora Distribution", Price Costco Canada Inc., London Drugs Limited, A.C.E. Imports International Inc., The (Discount) Stereo Store Ltd., faisant affaires sous le nom de "Base Electronics", Base Electronics Corp., A. & B. Sound Ltd., Jerry's Radio & T.V. of Barrie Limited, Hi-Fi 2000 (Yorkdale) Ltd. (défenderesses)
Répertorié: ExpressVu Inc.c. NII Norsat International Inc.(1re inst.)
Section de première instance, juge Gibson"Toronto, 23 juin; Ottawa, 23 juillet 1997.
Radiodiffusion — Fournisseur canadien licencié de services de satellite de radiodiffusion directe (SRD) réclamant des dommages-intérêts et une injonction contre les défenderesses au sujet de l'importation et de la vente de récepteurs (petites antennes paraboliques) et de décodeurs pour la réception de signaux de SRD émanant de diffuseurs aux États-Unis ne détenant pas de licence de diffusion au Canada — Interprétation des art. 9, 10 et 18 de la Loi sur la radiocommunication — L'art. 9(1)c) de la Loi interdit de façon absolue de décoder un signal d'abonnement sans l'autorisation de son distributeur légitime au Canada autorisant le décodage — Les demanderesses peuvent former un recours civil en vertu de l'art. 18 de la Loi étant donné qu'elles ont subi une perte ou des dommages par suite de la contravention de la défenderesse Norsat à l'art. 10(1)b) de la Loi.
Interprétation des lois — Fournisseur canadien licencié de services de satellite de radiodiffusion directe (SRD) réclamant des dommages-intérêts et une injonction contre les défenderesses au sujet de l'importation et de la vente de récepteurs (petites antennes paraboliques) et de décodeurs pour la réception de signaux de SRD émanant de diffuseurs aux États-Unis ne détenant pas de licence de diffusion au Canada — Interprétation des art. 9, 10 et 18 la Loi sur la radiocommunication — Adoption de l'analyse approdondie et convaincante de l'interprétation de l'art. 9(1)c) de la Loi par un juge de la Cour provinciale dans R. v. Knibb: suivant la méthode téléologique moderne d'interprétation des lois (établissement de l'objectif législatif à partir des déclarations des législateurs, des rapports de commissions, du Hansard, des ouvrages de doctrine et du texte de la loi lu dans son contexte), l'art. 9(1)c) de la Loi interdit de façon absolue le décodage de signaux d'abonnement encodés à moins que ceux-ci n'émanent d'un distributeur légitime situé au Canada autorisant le décodage — Une interprétation qui autoriserait une radiodiffusion nullement réglementée au Canada ne serait pas conforme au but ou à l'objectif de la Loi sur la radiodiffusion dont il faut tenir compte en lisant les dispositions de la Loi sur la radiocommunication — Étant donné que l'art. 9(1)c) de la Loi n'est pas directement attaqué sous le régime de l'art. 2b) de la Charte (liberté d'expression), celle-ci ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrarier son objet ou à lui donner un effet que le législateur ne souhaitait pas de toute évidence.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Charte comme outil d'interprétation — En l'absence d'une contestation fondée sur la Charte, cette dernière ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrer son objet ou à lui donner un effet que le législateur souhaitait de toute évidence qu'elle n'ait pas.
La demanderesse ExpressVu a obtenu du CRTC une licence de radiodiffusion pour exploiter au Canada une entreprise de distribution par satellite de radiodiffusion directe (SRD). Les autres demanderesses sont des propriétaires et exploitants de services canadiens de télévision qui diffusent un signal d'abonnement télévisuel destiné aux téléspectateurs du Canada moyennant paiement d'un prix d'abonnement. Les demanderesses réclament des dommages-intérêts ainsi qu'une injonction contre les défenderesses qui importent et vendent en gros des récepteurs (petites antennes paraboliques) et des décodeurs pour la réception de signaux de SRD émanant de fournisseurs de services aux États-Unis, apparemment autorisés à offrir des services de radiodiffusion directe à domicile. La défenderesse Norsat a présenté une requête en jugement sommaire ou en radiation de la déclaration, faisant valoir qu'il n'y avait aucune question sérieuse à instruire; que la demanderesse ExpressVu n'exploitant pas une entreprise active et n'ayant conclu aucun contrat avec des consommateurs, il n'avait été porté atteinte à aucun droit légalement reconnu; qu'il n'existait aucune demande valide contre ces défenderesses en vertu de la Loi sur la radiodiffusion ou des articles 9 ou 10 de la Loi sur la radiocommunication; que l'interprétation de la Loi sur la radiocommunication que proposent les demanderesses était inexacte, contraire à l'intention du législateur et incompatible avec la Charte; et que la demande relative aux droits d'auteur et aux droits de diffusion était sans fondement.
Jugement: la requête doit être rejetée.
L'article 18 de la Loi sur la radiocommunication dispose que quiconque est titulaire d'une licence attribuée, au titre de la Loi sur la radiodiffusion, par le CRTC et l'autorisant à exploiter une entreprise de radiodiffusion, ou détient, à titre du droit d'auteur ou d'une licence accordée par ce dernier, un droit dans le contenu d'un signal d'abonnement, peut former un recours civil à l'encontre des personnes qui contreviennent aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication et obtenir d'elles des dommages-intérêts. Le paragraphe 9(1) dispose qu'il est interdit de décoder un signal d'abonnement sans l'autorisation de son distributeur légitime ou en contravention avec celle-ci.
Pour avoir gain de cause, dans la mesure où elles se fondent sur l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication, les demanderesses doivent prouver (1) qu'elles sont des personnes visées par l'un ou plusieurs des alinéas a) à d) du paragraphe 18(1); (2) que les défenderesses ont contrevenu à l'un des alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) de la Loi; et (3) qu'elles ont subi une perte ou des dommages par suite de cette contravention.
(1) Le fait que la demanderesse ExpressVu détenait une licence d'exploitation d'une entreprise de radiodiffusion délivrée par le CRTC conformément à la Loi sur la radiodiffusion et, par conséquent, qu'il s'agissait d'une personne visée par l'alinéa 18(1)c), a été clairement établi. Le fait qu'ExpressVu n'exploitait pas encore un service de SRD n'était pas pertinent. Les autres demanderesses détenaient chacune un intérêt dans le contenu des signaux d'abonnement en vertu de licences octroyées par des titulaires de droit d'auteur, et étaient donc visées par l'alinéa 18(1)a).
(2) Les activités de Norsat donnaient à penser que le matériel avait été utilisé en vue d'enfreindre à l'article 9, ou était destiné à l'être. Norsat a proposé d'interpréter le paragraphe 9(1) de manière à ce que, en l'absence de distributeur légitime au Canada, l'alinéa 9(1)c) soit interprété comme si le fait de décoder le signal émanant d'un fournisseur de services de SRD à l'extérieur du Canada avec l'autorisation de ce fournisseur, ne constituait pas une infraction. Norsat soutient que l'alinéa 9(1)c) devrait plutôt être interprété comme créant une infraction lorsque le signal d'abonnement encodé est décodé sans le consentement de l'émetteur, peu importe l'endroit où se trouve celui-ci, ou comme une disposition "antipiratage".
Il convient d'adopter l'analyse et l'interpretation du juge LeGrandeur dans R. v. Knibb, où il utilise la méthode téléologique moderne d'interprétation des lois (établissement de l'objectif législatif à partir des déclarations des législateurs, des rapports de commissions, du Hansard, des ouvrages de doctrine et du texte de la loi lu dans son contexte). Il convient donc d'interpréter l'alinéa 9(1)c) de la Loi comme prévoyant une interdiction absolue contre le décodage de signaux d'abonnement encodés à moins qu'ils n'émanent d'un distributeur légitime situé au Canada et que ce distributeur en autorise le décodage. Une interprétation qui permettrait l'accès illimité à des signaux encodés provenant de l'extérieur du Canada contredirait la politique réglementaire de radiodiffusion sous-tendant le système canadien. Une telle interprétation autoriserait une radiodiffusion tout à fait déréglementée à destination du Canada par les fournisseurs de services de SRD situés aux États-Unis et peut-être ailleurs qui échappent complètement à la politique et à la réglementation du gouvernement canadien. Cela ne serait pas conforme au but ou à l'objectif de la Loi sur la radiodiffusion dont il faut tenir compte en lisant les dispositions de la Loi sur la radiocommunication qui fait partie du régime réglementaire de radiodiffusion au Canada.
La partie défenderesse ne cherche pas à faire radier l'alinéa 9(1)c) parce que contraire aux dispositions de la Charte relatives à la liberté d'expression, soit l'alinéa 2b); elle prétend plutôt qu'il existe un principe d'interprétation des lois selon lequel les tribunaux doivent interpréter la loi de manière à respecter les valeurs constitutionnelles protégées. Toutefois, comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, s'il n'y a pas de contestation fondée sur la Charte, cette dernière ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrer son objet ou à lui donner un effet que le législateur ne souhaitait pas de toute évidence.
D'après cette interprétation, les activités de Norsat constituaient une contravention à l'alinéa 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication, en ce qu'elles donnaient à conclure que le matériel était destiné à être utilisé dans le but d'enfreindre l'article 9 par le décodage de signaux d'abonnement encodés sans l'autorisation d'une personne qui a le droit légitime au Canada de transmettre ces signaux.
(3) ExpressVu a subi une perte ou des dommages et continuera à le faire tant que les pratiques actuelles ne seront pas radicalement modifiées. Bien qu'elle n'ait pas encore commencé à offrir des services de SRD, il n'y avait aucun doute que les activités de Norsat, les détaillants à qui elle vend des marchandises, les personnes qui achètent auprès de ces détaillants et celles qui aident ces acheteurs à activer leurs décodeurs continuent à occuper une part croissante du marché canadien des services de SRD. Et la preuve indique que les autres demanderesses ont subi certaines pertes ou certains dommages du fait que les émissions sur lesquelles elles disposent de droits exclusifs dans la totalité ou une partie du Canada, en vertu de licences obtenues auprès de titulaires de droit d'auteur, sont reçues et regardées au Canada sans leur autorisation.
lois et règlements
Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2), art. 2 (mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 81) "encodage", "distributeur légitime", "signal d'abonnement", 9(1) (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 6; 1991, ch. 11, art. 83), 10(1)b ) (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 6), (2.5) (mod., idem; 1991, ch. 11, art. 84), 18 (édicté, idem, art. 85).
Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, s. 3(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 432.1 (édictée par DORS/94-41, art. 5), 432.2 (édictée, idem), 432.3 (édictée, idem), 432.4 (édictée, idem), 432.5 (édictée, idem), 432.6 (édictée idem), 432.7 (édictée, idem).
jurisprudence
décision appliquée:
R. v. Knibb, [1997] A.J. no 513 (C.P.) (QL).
décision non suivie:
R. v. Ereiser (1997), 156 Sask. R. 71 (B.R.).
décision citée:
Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.
REQUÊTE des défenderesses en jugement sommaire ou en radiation de la déclaration dans une action en vue d'obtenir une injonction restreignant la vente de matériel de décodage de signaux d'abonnement non diffusés par un distributeur légitime au Canada. Requête rejetée.
avocats:
K. William McKenzie, Karen L. Wilford et Patrick J. Lassaline pour la demanderesse.
J. L. McDougall, c.r. et Craig R. Vander Zee pour la défenderesse A.C.E. Imports.
Andrew J. Roman et Derek J. Ferris pour la défenderesse NII Norsat International.
Ian MacPhee pour la défenderesse Price Costco.
procureurs:
Crawford, McKenzie, McLean & Wilford, Orillia (Ontario), pour la demanderesse.
Fraser & Beatty, Toronto, pour la défenderesse A.C.E. Imports.
Miller Thomson, Toronto, pour la défenderesse NII Norsat International.
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour la défenderesse Price Costco.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Gibson:
INTRODUCTION
Par avis de requête déposé le 13 novembre 1996, la défenderesse NII Norsat International Inc., qui fait affaires sous le nom de "Aurora Distributing" (Norsat), et deux autres défenderesses ont présenté une requête en jugement sommaire ou, subsidiairement, en radiation de la totalité de la déclaration ou encore, en radiation [traduction ] "des prétentions et arguments contenus dans la déclaration que la Cour estime juste de radier". Par ordonnance du juge en chef adjoint datée du 5 décembre 1996, il a été prévu que la requête de Norsat et d'autres requêtes seraient entendues à Toronto à compter du 23 juin 1997. Par une autre ordonnance du juge en chef adjoint datée du 20 mai 1997, deux autres codéfenderesses de Norsat se sont désistées de la requête en jugement sommaire, présentée conjointement avec Norsat. En conséquence, j'ai entendu la requête en jugement sommaire de Norsat les 24 et 25 juin, Norsat étant la seule requérante. Je devais entendre les autres requêtes en jugement sommaire d'A.C.E. Imports International Inc. et des demanderesses au cours de la même semaine en juin 1997.
Les fondements de la requête en jugement sommaire de Norsat sont énoncés comme suit:
[traduction]
1) Il n'y a aucune question sérieuse à instruire, les seules questions soulevées étant des questions de droit . . . ;
2) La Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre les demandes fondées sur la Loi sur les pratiques de commerce de l'Ontario ou le Code criminel du Canada . . . ;
3) La demanderesse ExpressVu n'exploite pas une entreprise active et n'a conclu aucun contrat avec des consommateurs, et, en conséquence, il n'a été porté atteinte à aucun droit légalement reconnu . . . ;
4) L'action est prématurée et les demandes présentées sont hypothétiques et conjecturales car, à l'heure actuelle, aucun service canadien de satellite de radiodiffusion directe par satellite ("SRD") n'est en exploitation . . . ;
5) Les demanderesses ne se sont pas engagées à indemniser la défenderesse si leur requête en injonction est rejetée ;
6) Il n'existe aucune demande valide contre ces défenderesses [maintenant Norsat] en vertu de la Loi sur la radiodiffusion car ni les défenderesses ni les fournisseurs américains de SRD ne diffusent quoi que ce soit au Canada . . . ;
7) Il n'existe aucune demande valide contre ces défenderesses [maintenant Norsat] en vertu des articles 9 ou 10 de la Loi sur la radiocommunication car ces dispositions ne prévoient pas que le fait qu'un consommateur canadien s'abonne, de quelque manière que ce soit, à un service américain de SRD constitue une infraction . . . ;
8) L'interprétation de la Loi sur la radiocommunication que proposent les demanderesses est inexacte, contraire à l'intention du législateur et incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés;
9) La demande relative aux droits d'auteur et aux droits de diffusion est sans fondement et ne s'applique aucunement à ces défenderesses pour les raisons suivantes:
i) elles ne copient pas ni ne diffusent quoi que ce soit;
ii) la demande est prématurée, conjecturale et hypothétique tant qu'ExpressVu n'est pas en exploitation;
iii) les actions de ces défenderesses ne portent pas atteinte aux droits allégués, s'ils existent;
iv) les signaux diffusés par les fournisseurs américains de services de SRD ne sont pas les mêmes que les émissions et signaux dont les demanderesses sont les distributeurs autorisés;
v) les droits de diffusion des demanderesses quant aux services de SRD sont inexistants ou non exclusifs;
vi) la demande est inexécutable car le débordement au Canada des systèmes américains de SRD est inévitable . . .
Dans les présents motifs, le sigle "SRD" signifie "satellite de radiodiffusion directe".
La présente requête porte sur les activités des fournisseurs de SRD aux États-Unis qui sont apparemment autorisés à offrir des services de radiodiffusion directe à domicile à des foyers et à d'autres établissements situés aux États-Unis. Les signaux de ces fournisseurs de services de SRD ont une "empreinte" qui englobe non seulement la totalité des États-Unis mais aussi la majeure partie, sinon la totalité du Canada, du Mexique et de certaines régions des Antilles. Même si des fournisseurs de services de SRD ont obtenu une licence auprès des autorités compétentes au Canada, à l'heure actuelle aucun des fournisseurs établis au Canada n'est pleinement en exploitation.
Dans leur déclaration déposée le 10 juillet 1996, les demanderesses réclament ce qui suit:
[traduction]
a. Une injonction provisoire et permanente interdisant aux défenderesses et à leurs mandataires, préposés ou représentants, ou à toute personne pour le compte de celles-ci, directement ou indirectement, de fabriquer, d'importer, de distribuer, de louer, de vendre, de mettre en vente, d'installer, de modifier, d'exploiter ou de posséder tout matériel ou dispositif (ou composante de ceux-ci) conçus pour être utilisés ou qui peuvent être modifiés pour être utilisés pour décoder, directement ou indirectement, des signaux d'abonnement qui ne sont pas transmis ou diffusés par un distributeur légitime au Canada, y compris, notamment, des signaux encodés diffusés ou transmis par une partie aux États-Unis d'Amérique.
b. Une reddition de comptes de tout l'argent gagné ou reçu par les défenderesses relativement à l'une des actions mentionnées dans le paragraphe qui précède.
c. Une reddition de comptes de tout l'argent gagné ou reçu par les défenderesses, ou par l'une d'entre elles, à titre de rémunération pour services rendus, directement ou indirectement, qui ont pour objet d'aider ou d'encourager une partie à s'abonner, à recevoir ou à décoder tout signal d'abonnement encodé ou de lui permettre de le faire.
d. Une injonction provisoire et permanente interdisant aux défenderesses, ou à l'une d'entre elles, et à leurs préposés, mandataires ou représentants, ou à toute personne pour le compte de celles-ci, de conseiller une personne ou de lui offrir des conseils ou des renseignements qui auraient pour effet, directement ou indirectement, d'encourager ou d'aider une personne au Canada à décoder un signal d'abonnement encodé dont le contenu consiste en totalité ou en partie en des émissions pour lesquelles une ou plusieurs des demanderesses, ou l'une ou plusieurs d'entre elles, disposent des droits de distribution exclusifs au Canada, sans l'autorisation écrite de la demanderesse ou des demanderesses respectives.
e. Sans restreindre la portée générale de ce qui précède, une injonction provisoire et permanente interdisant aux défenderesses et à leurs préposés, mandataires ou représentants, ou à toute personne pour le compte de celles-ci, directement ou indirectement, de fournir des renseignements à une personne ou de la conseiller en décrivant une ou plusieurs méthodes par laquelle elle peut s'abonner à des signaux d'abonnement encodés qui émanent des États-Unis d'Amérique, les recevoir ou les décoder;
f. Des dommages-intérêts de 50 000 000 $;
g. Des dommages-intérêts punitifs, majorés et exemplaires de 5 000 000 $;
h. Les intérêts avant et après jugement;
i. Les dépens sur une base procureur-client;
j. Les autres mesures de redressement que les avocats peuvent proposer et que la Cour peut autoriser.
C'est à l'encontre de la totalité de ces demandes de redressement que Norsat sollicite un jugement sommaire.
LES PARTIES
La demanderesse ExpressVu Inc. est une société canadienne dont le siège social est situé à Mississauga (Ontario). Le 20 décembre 1995, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) lui a octroyé une licence de radiodiffusion pour exploiter au Canada une nouvelle entreprise de distribution par SRD. ExpressVu a donc le droit légitime de transmettre par satellite au Canada des signaux d'abonnement encodés et d'autoriser des abonnés à le décoder moyennant paiement d'un prix d'abonnement.
Les demanderesses Allarcom Pay Television Limited (Allarcom), The Family Channel Inc. (Family Channel) et TMN Networks Inc. (TMN) sont des propriétaires et exploitants de services canadiens de télévision qui diffusent un signal d'abonnement télévisuel destiné aux téléspectateurs du Canada entier moyennant paiement d'un prix d'abonnement. Chacune d'elles détient une licence délivrée par le CRTC pour exploiter une entreprise de programmation ou de radiodiffusion au Canada. Chacune d'elles possède un intérêt dans le contenu d'un signal d'abonnement en vertu d'une licence octroyée par un titulaire de droit d'auteur.
La défenderesse Norsat est une société dont les actions sont négociées à la bourse et qui exerce des activités diversifiées tant au Canada qu'à l'étranger. Ses activités comprennent l'importation et la vente en gros de récepteurs (petites antennes paraboliques) et de décodeurs pour la réception de signaux de SRD émanant des États-Unis.
La défenderesse A.C.E. Imports International Inc. (A.C.E.), qui a déposé une requête en jugement sommaire distincte contre les demanderesses et qui a été la seule autre défenderesse à prendre part à l'audition de la présente requête, est une société de la Colombie-Britannique, qui, comme Norsat, exerce ses activités, notamment, dans le domaine de la vente en gros de petites antennes paraboliques et de décodeurs pour la réception de signaux de SRD émanant des États-Unis.
RÈGLES RELATIVES AUX JUGEMENTS SOMMAIRES
Les Règles 432.1 à 432.7 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictées par DORS/94-41, art. 5)] régissent la pratique relative aux requêtes en jugement sommaire présentées devant la Cour. Le paragraphe 432.1(2) dispose:
Règle 432.1 . . .
(2) Le défendeur peut, après avoir déposé et signifié une défense, et à tout moment avant que l'heure et la date de l'instruction soient fixées, présenter au juge une requête, appuyée d'un affidavit ou d'un autre élément de preuve, en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration comportant allégués.
Le paragraphe 432.3(3) dispose:
Règle 432.3 . . .
(3) Lorsque le juge est convaincu que la seule question sérieuse en est une de droit, il peut statuer sur celle-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.
Les avocats qui ont plaidé devant moi ont convenu qu'en l'espèce, la seule question sérieuse à instruire, dans la mesure où les demanderesses fondent leur demande sur l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication1, est une question de droit. Je souscris à cet argument des avocats.
RÉSUMÉ DES FAITS PERTINENTS
L'avocat de Norsat a résumé ainsi les faits pertinents sous-jacents à la question de droit:
[traduction] Premièrement, Norsat importe du matériel de SRD des États-Unis et le vend en gros à des détaillants au Canada qui, à leur tour, le vendent à des consommateurs ou à des "téléspectateurs"; deuxièmement, le matériel de SRD importé et vendu par Norsat en gros ne peut servir qu'à une seule fin, soit recevoir et décoder certains signaux encodés de SRD émanant des États-Unis; troisièmement, les radiodiffuseurs qui diffusent ces signaux aux États-Unis ne sont pas des radiodiffuseurs autorisés à émettre des signaux au Canada; quatrièmement, les radiodiffuseurs américains de SRD ont l'habitude de ne pas accepter les demandes d'abonnement à leurs services en provenance du Canada, c'est-à-dire qu'ils n'activeront pas un service pour un client lorsque l'adresse de facturation fournie se trouve à l'extérieur des États-Unis; cinquièmement, un certain nombre de personnes au Canada et aux États-Unis fournissent des adresses de facturation américaines à des Canadiens qui ne disposent pas eux-mêmes d'une adresse de facturation aux États-Unis. Dans les faits, Norsat fournit elle-même un tel service, dont se servent certains de ses détaillants et les clients de ceux-ci; sixièmement, les fournisseurs de SRD établis aux États-Unis semblent être au courant de l'existence d'entreprises qui aident les Canadiens à recevoir des signaux de SRD américains sous forme décodée et, du moins tacitement, encouragent leurs activités; septièmement, à moins que les fournisseurs de SRD établis aux États-Unis ne soient payés pour leurs services, ils désactiveront ou couperont les services aux clients qui ne paient pas; et, enfin, le piratage ou le vol de signaux des fournisseurs de SRD établis aux États-Unis par l'utilisation de puces ou de cartes contrefaites conçues pour permettre à un utilisateur de recevoir des signaux sous forme décodée sans payer les services n'est pas en cause dans le cadre de la présente instance.
LA LOI SUR LA RADIOCOMMUNICATION
La Loi sur la radiocommunication a été en grande partie modifiée par le chapitre 11 des Lois du Canada de 1991 qui est entré en vigueur le 4 juin 1991. Un nouvel article 18 a été ajouté à la Loi. Voici les extraits pertinents de cette disposition aux fins de la présente instance:
18. (1) Peut former, devant tout tribunal compétent, un recours civil à l'encontre du contrevenant quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d'une contravention aux alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) et:
a) soit détient, à titre de titulaire du droit d'auteur ou d'une licence accordée par ce dernier, un droit dans le contenu d'un signal d'abonnement ou d'une alimentation réseau;
b) soit est autorisé, par le distributeur légitime de celui-ci, à le communiquer au public;
c) soit est titulaire d'une licence attribuée, au titre de la Loi sur la radiodiffusion, par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l'autorisant à exploiter une entreprise de radiodiffusion;
. . .
Cette personne est admise à exercer tous recours, notamment par voie de dommages-intérêts, d'injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué.
. . .
(4) La Cour fédérale est, pour l'application du paragraphe (1), un tribunal compétent.
Voici l'extrait pertinent du paragraphe 9(1) [mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 6; 1991, ch. 11, art. 83]:
9. (1) Il est interdit:
. . .
c) de décoder, sans l'autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle-ci, un signal d'abonnement ou une alimentation réseau.
Une modification connexe a ajouté le paragraphe suivant à l'article 10 [mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 6; 1991, ch. 11, art. 84]:
10. . . .
(2.5) Nul ne peut être déclaré coupable de l'infraction visée aux alinéas 9(1)c), d) ou e) s'il a pris les mesures nécessaires pour l'empêcher.
Les définitions suivantes ont été ajoutées à l'article 2 [mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 81] de la Loi:
2. . . .
"distributeur légitime" La personne légitimement autorisée, au Canada, à transmettre un signal d'abonnement ou une alimentation réseau, en situation d'encodage, et à en permettre le décodage.
"encodage" Traitement électronique ou autre visant à empêcher la réception en clair.
. . .
"signal d'abonnement" Radiocommunication destinée à être reçue, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs moyennant paiement d'un prix d'abonnement ou de toute autre forme de redevance.
La nouvelle infraction créée par l'alinéa 9(1)c) de la Loi est corrélative à une disposition préexistante de l'article 10 que voici:
10. (1) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, dans le cas d'une personne physique, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal d'un an, ou l'une de ces peines, ou, dans le cas d'une personne morale, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars quiconque, selon le cas:
. . .
b) sans excuse légitime, fabrique, importe, distribue, loue, met en vente, vend, installe, modifie, exploite ou possède tout matériel ou dispositif, ou composante de celui-ci, dans des circonstances donnant à penser que l'un ou l'autre est utilisé en vue d'enfreindre l'article 9, l'a été ou est destiné à l'être;
. . .
Si on le lit en y intégrant les définitions pertinentes susmentionnées, le paragraphe 9(1) disposerait:
Il est interdit de décoder une radiocommunication qui a été traitée électroniquement ou autrement en vue d'en empêcher la réception en clair et qui est destinée à être reçue, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs moyennant paiement d'un prix d'abonnement ou de toute autre forme de redevance . . . autrement qu'avec l'autorisation de la personne légitimement autorisée au Canada, à transmettre le signal . . . et à en permettre le décodage;
Dans la mesure où elle se fonde sur la Loi sur la radiocommunication, la demande des demanderesses découle de la cause d'action civile prévue par l'article 18 de cette Loi. Pour avoir gain de cause en s'appuyant sur cette disposition, les demanderesses doivent prouver ce qui suit: premièrement, qu'elles sont des personnes visées par l'un ou plusieurs des alinéas a) à d) du paragraphe 18(1); deuxièmement, que les défenderesses ont contrevenu à l'un des alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) de la Loi; et, troisièmement, qu'elles ont subi des pertes ou des dommages par suite de cette contravention.
Je reviens aux faits avérés susmentionnés. Norsat admet qu'elle importe au Canada, distribue, met en vente, vend et possède du matériel dont la seule utilisation finale est la réception et le décodage de signaux encodés de SRD émanant des États-Unis. Autrement dit, pour reprendre la terminologie de la Loi sur la radiocommunication, la seule utilisation ultime de ce matériel est de recevoir et de décoder un signal d'abonnement encodé. De plus, je considère que toutes les parties ont reconnu devant moi que les émetteurs de ces signaux ne sont pas des "distributeurs légitimes" en ce sens que, relativement au signal d'abonnement encodé pertinent, ils ne sont pas des personnes qui ont le droit légitime de transmettre au Canada ces signaux et d'en autoriser le décodage. Il se peut bien que les émetteurs des signaux disposent d'un tel droit légitime aux États-Unis et qu'ils ne veuillent pas que les signaux encodés qu'ils émettent et transmettent à un satellite géostationnaire situé au-dessus de l'équateur reviennent avec une "empreinte" qui, par hasard, couvre la totalité ou la quasi-totalité du Canada. Mais la question de savoir s'ils jouissent d'un tel droit légitime aux États-Unis n'est pas pertinente.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les prétentions exprimées devant moi pour le compte de Norsat peuvent se résumer brièvement ainsi: les demanderesses ne disposent d'aucune cause d'action aux termes de l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication parce que, même si Norsat reconnaît qu'ExpressVu est une personne visée par l'alinéa 18(1)c) et que les autres demanderesses sont des personnes visées par l'alinéa 18(1)a), les faits de la présente affaire ne révèlent aucune contravention à l'alinéa 9(1)c), le seul d'entre les alinéas 9(1)c), d) et e) qui pourrait être pertinent et, par conséquent, il n'est pas possible de conclure que Norsat contrevient à l'alinéa 10(1)b) de la Loi. L'avocat de Norsat a fait valoir que compte tenu des faits qui ont été soumis à la Cour, il serait inique d'interpréter l'alinéa 9(1)c) de manière à conclure qu'il y a eu contravention à ce paragraphe. Il a prétendu que le fait que des personnes se trouvant au Canada reçoivent et regardent des signaux télévisuels émanant des États-Unis à l'aide d'antennes en V ou d'antennes installées sur le toit ou encore d'une autre technologie rudimentaire semblable n'a jamais constitué une infraction, et que conclure maintenant que le législateur en a fait une infraction dans les circonstances plus actuelles où des signaux sont encodés et disponibles au moyen d'un satellite plutôt que par réception en visibilité directe à partir d'un émetteur serait sûrement contraire à l'intention qu'avait le législateur fédéral lorsqu'il a adopté les modifications susmentionnées à la Loi sur la radiocommunication. Il a en outre fait valoir qu'une telle interprétation serait incompatible avec la Constitution canadienne parce qu'elle restreindrait beaucoup la liberté qu'ont les Canadiens en général ou, subsidiairement, certains Canadiens, de recevoir de l'information offerte au public. Pour étayer cette prétention, l'avocat a cité Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général)2.
Même si cet argument a suscité peu de commentaires, l'avocat représentant Norsat a prétendu que la preuve présentée pour le compte des demanderesses relativement à la perte ou aux dommages était, dans le meilleur des cas, dénuée de substance.
L'avocat a fait valoir que je devrais hésiter beaucoup avant d'accorder quelque valeur que ce soit aux décisions d'instances criminelles qui ont interprété l'alinéa 9(1)c) de la Loi parce que certaines de ces décisions sont favorables à ses prétentions tandis que d'autres lui sont défavorables. Il a prétendu que le législateur voulait limiter la portée de l'alinéa 9(1)c) au "vol" de signaux au moyen du décodage non autorisé de signaux encodés de quelque provenance que ce soit, et que je devrais interpréter ainsi cette disposition.
Comme il a déjà été mentionné dans les présents motifs, la défenderesse A.C.E. est la seule à avoir pris part à l'audience qui s'est déroulée devant moi. Ainsi qu'il a aussi été indiqué, A.C.E. a elle-même déposé une requête en jugement sommaire contre les demanderesses. Dans de très brèves observations, l'avocat d'A.C.E. a souscrit aux prétentions présentées pour le compte de Norsat et a souligné qu'une conclusion autre que celle proposée pour le compte de Norsat serait incompatible avec la réalité de la technologie moderne et les intérêts de l'ensemble des Canadiens.
L'avocat des demanderesses a fait valoir que celles-ci figuraient parmi les personnes auxquelles le législateur avait eu l'intention de conférer un recours civil en adoptant les articles 9, 10 et 18 de la Loi sur la radiocommunication. Il a fait valoir que je devrais conclure que les demanderesses ont subi une perte ou des dommages du fait de la conduite de Norsat qui a importé, distribué, mis en vente, vendu et possédé des antennes paraboliques et des décodeurs dont la seule utilité est la réception et le décodage de signaux de SRD émanant d'un fournisseur de services de SRD aux État-Unis.
L'avocat des demanderesses reconnaît que le succès ou l'échec de leur demande présentée en vertu de l'article 18 de la Loi dépend de l'interprétation de l'alinéa 9(1)c). Il a fait valoir que je devrais adopter un critère téléologique pour l'interprétation de cette disposition et qu'en appliquant ce critère, je devrais tenir compte non seulement des articles 9, 10 et 18 de la Loi mais aussi du contexte global entourant ces dispositions, y compris l'ensemble de la Loi sur la radiocommunication et de la Loi sur la radiodiffusion3. Il a prétendu que la Loi sur la radiodiffusion appartient au même régime législatif que la Loi sur la radiocommunication et plus précisément que la politique de radiodiffusion au Canada énoncée au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion, et en bonne partie révisée et élargie dans la même loi modificatrice par laquelle l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication a été adoptée, constitue un élément essentiel dans une interprétation téléologique de l'interaction des articles 9, 10 et 18 de la Loi sur la radiocommunication.
L'avocat des demanderesses a invoqué R. v. Knibb4 où le juge LeGrandeur a entrepris, selon l'avocat, une analyse exhaustive et convaincante de l'interprétation de l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication pour en arriver à une interprétation favorable aux demanderesses dans la présente affaire.
ANALYSE
Je reproduis ici, pour en faciliter la consultation, les extraits pertinents de l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication.
18. (1) Peut former, devant tout tribunal compétent, un recours civil à l'encontre du contrevenant quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d'une contravention aux alinéas 9(1)c) d) ou e) ou 10(1)b) et:
a) soit détient, à titre de titulaire du droit d'auteur ou d'une licence accordée par ce dernier, un droit dans le contenu d'un signal d'abonnement ou d'une alimentation réseau;
b) soit est autorisé, par le distributeur légitime de celui-ci, à le communiquer au public;
c) soit est titulaire d'une licence attribuée, au titre de la Loi sur la radiodiffusion, par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et l'autorisant à exploiter une entreprise de radiodiffusion;
. . .
Cette personne est admise à exercer tous recours, notamment par voie de dommages-intérêts, d'injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué.
. . .
(4) La Cour fédérale est, pour l'application du paragraphe (1), un tribunal compétent.
Je réitère que, pour établir une cause d'action aux termes du paragraphe 18(1), les demanderesses doivent prouver ce qui suit: premièrement, qu'elles sont des personnes visées par l'un ou plusieurs des alinéas a) à d) du paragraphe 18(1); deuxièmement, que les défenderesses ont contrevenu à l'un des alinéas 9(1)c), d) ou e) ou 10(1)b) de la Loi; et troisièmement, qu'elles ont subi une perte ou des dommages par suite de cette contravention.
Le fait que la demanderesse ExpressVu détient une licence d'exploitation d'une entreprise de radiodiffusion délivrée par le CRTC conformément à la Loi sur la radiodiffusion et, par conséquent, qu'il s'agit d'une personne visée par l'alinéa 18(1)c), est clairement établi par la preuve qui m'a été présentée. Une licence a été délivrée à ExpressVu par décision du CRTC datée du 20 décembre 1995 en vue d'une "nouvelle entreprise nationale de distribution par satellite de radiodiffusion directe qui est une entreprise de radiodiffusion". La preuve qui m'a été présentée ne révèle pas qu'ExpressVu exploite déjà un service de SRD. Même si le fait qu'elle exploite ou non un tel service soit important pour ce qui est de savoir si ExpressVu a subi une perte ou des dommages, elle n'est pas pertinente pour déterminer si elle est une personne visée à l'alinéa 18(1)c ). Il est indubitable que oui.
De même, je suis convaincu que la preuve qui m'a été présentée établit que les autres demanderesses détiennent chacune un intérêt dans le contenu des signaux d'abonnement, c'est-à-dire que la radiocommunication vise la réception, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs, moyennant un prix d'abonnement ou une autre forme de redevance, en vertu d'une ou de plusieurs licences octroyées par un ou des titulaires de droit d'auteur. Je répète que même si la preuve présentée quant à la nature et à la portée des licences était limitée, l'existence de ces licences n'a pas soulevé de débat. Chacune des demanderesses autres qu'ExpressVu, est donc une personne visée par l'alinéa 18(1)a).
Je passe maintenant à l'alinéa 10(1)b). Il n'a pas été contesté devant moi que Norsat importe, distribue, met en vente, vend et possède du matériel, soit des antennes paraboliques et des décodeurs permettant de recevoir un service de SRD et n'ayant qu'une seule utilisation ultime, soit la réception de signaux de SRD émanant d'un fournisseur de services de SRD situé aux États-Unis. La preuve qui m'a été présentée ne révèle aucune "excuse légitime". Il reste alors à savoir si les circonstances dans lesquelles Norsat exerce ses activités "donnent à penser que [le matériel] . . . est utilisé en vue d'enfreindre à l'article 9, l'a été ou est destiné à l'être".
Ici encore, pour en faciliter la consultation, je répète les extraits pertinents du paragraphe 9(1) en y intégrant les définitions appropriées:
Il est interdit de décoder une radiocommunication qui a été traitée électroniquement ou autrement en vue d'en empêcher la réception en clair et qui est destinée à être reçue, directement ou non, par le public au Canada ou ailleurs moyennant paiement d'un prix d'abonnement ou de toute autre forme de redevance . . . autrement qu'avec l'autorisation de la personne légitimement autorisée au Canada, à transmettre le signal . . . et à en permettre le décodage;
Dans mon analyse de l'application de l'extrait enrichi du paragraphe 9(1) augmenté et susmentionné aux faits qui m'ont été soumis, je souscris à la majeure partie de l'analyse du juge LeGrandeur dans l'affaire Knibb, précitée. Je citerai de larges extraits de ses motifs.
Le juge LeGrandeur a écrit [aux paragraphes 11 à 13]:
[traduction] L'avocat de la défense invite la Cour à interpréter cet article de sorte qu'à moins qu'il n'y ait un distributeur légitime (c'est-à-dire une personne qui a le droit légitime de transmettre une communication radio encodée et d'en autoriser le décodage au Canada), le fait de décoder un signal d'abonnement encodé ne peut constituer une infraction.
En revanche, le ministère public prétend que la disposition devrait être interprété de sorte qu'aucune communication radio encodée ne puisse être décodée par une personne au Canada à moins qu'il n'y ait un distributeur légitime de ce signal au Canada . . .
L'application de l'interprétation de la défense signifierait que tant qu'il n'y a pas de distributeur légitime du signal intercepté [décodé] au Canada, il ne peut y avoir d'infraction et que, par conséquent, tout Canadien peut intercepter [décoder] un signal d'abonnement encodé.
Si je comprends bien les arguments que les avocats ont invoqués devant moi, Norsat, dont les prétentions sont les mêmes que celles des parties défenderesses devant le juge LeGrandeur, ne va pas aussi loin que ceux-ci. L'avocat de Norsat m'invite plutôt à interpréter le paragraphe 9(1) de manière à ce que, s'il n'existe pas de distributeur légitime au Canada, l'alinéa 9(1)c) soit interprété comme ne créant pas une infraction consistant à décoder le signal émanant d'un fournisseur de services de SRD à l'extérieur du Canada lorsque l'autorisation du fournisseur de services a été obtenue. L'avocat soutient que l'alinéa 9(1)c) devrait être interprété comme créant une infraction lorsque le signal d'abonnement encodé est décodé sans le consentement de l'émetteur, peu importe l'endroit où se trouve celui-ci. Autrement dit, il fait valoir que l'alinéa 9(1)c) devrait être interprété comme une disposition "antipiratage" et il souligne que les faits avérés susmentionnés dans les présents motifs révèlent que le "piratage" ou le vol de signaux d'abonnement encodés n'est pas en cause en l'espèce.
Néanmoins, à l'instar de celles du ministère public devant le juge LeGrandeur, les prétentions des demanderesses en l'espèce consistent à proposer une interprétation de l'alinéa 9(1)c) qui est manifestement plus large que celle qui a été proposée pour le compte de Norsat, en ce sens qu'elle ferait en sorte que tout décodage de signaux d'abonnement encodés émanant de l'extérieur du Canada, avec ou sans l'autorisation de l'émetteur, constitue une contravention à l'alinéa 9(1)c).
Je fais mienne l'analyse suivante du juge LeGrandeur [aux paragraphes 22 à 41]:
[traduction] La méthode téléologique moderne d'interprétation des lois cherche à déterminer l'objet et le but de la loi et à lui donner l'interprétation qui permettra mieux de les atteindre (Voir Succession Jodrey c. Province de la Nouvelle-Écosse et le procureur général de la Colombie-Britannique, [1982] R.C.S. 774, à la page 802, le juge Dixon). [Il me semble qu'il s'agit plutôt d'un extrait de l'arrêt Covert et autres c. Ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse, [1980] 2 R.C.S. 774, à la page 807, le juge Dickson.]
C'est la méthode qui doit être appliquée dans tous les cas, sans égard à la question de savoir si la ou les dispositions de la loi examinée sont ambiguës.
Le but ou l'objet de la loi doit être tiré de l'ensemble de celle-ci. L'interprétation d'une disposition doit être examinée dans le contexte de la loi dans son ensemble. Cette disposition ne peut être examinée isolément mais doit être étudiée dans le contexte de l'ensemble de la loi et de son objet et but déterminés. Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition, à la p. 44, décrit ainsi ce processus:
"Dans l'analyse téléologique, chaque facteur [caractéristique] de la loi, de la conception d'ensemble aux menus détails linguistiques, est présumé avoir sa raison d'être. Il est présumé régler un problème, prévenir une difficulté ou, d'une quelconque façon, promouvoir les objectifs de l'assemblée législative."
À la page 34 [35] de Driedger, supra, il est dit:
"Suivant la méthode téléologique, la tâche législative définitive n'est pas la création d'un texte, mais l'adoption de principes et de buts appropriés ainsi que d'un plan de mise en œuvre. Selon cette méthode, le texte est considéré comme une carte ou un plan et l'essentiel du travail de l'interprétation ne porte pas vraiment sur la signification du texte mais plutôt sur les motifs de son adoption et les indications qu'il donne. Suivant la méthode téléologique, le tribunal s'incline devant le législateur non pas en décodant son langage mais en faisant en sorte que ses objectifs soient atteints."
L'objectif législatif peut être établi en se fondant sur une description de l'objectif émanant de sources autorisées, y compris les déclarations faites par les assemblées législatives elles-mêmes et aussi les descriptions de l'objectif figurant dans des sources extralégislatives telles que les rapports de commissions, le Hansard, les ouvrages de doctrine et d'autres sources semblables. Les tribunaux peuvent aussi déterminer l'objectif législatif en dégageant une interprétation plausible de l'objet à partir du texte de la loi lu dans son contexte (voir Driedger, Construction of Statutes, aux pages 50 et 51).
Plus souvent qu'autrement, la détermination du but ou de l'objet législatifs d'une loi ou d'un régime législatif se fait par l'application des deux méthodes susmentionnées.
À mon avis, compte tenu de la loi dans son ensemble et de ce que j'estime être le but législatif de la Loi sur la radiocommunication et des lois connexes, je conclus que l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication prévoit une interdiction absolue contre le décodage de signaux d'abonnement encodés à moins qu'ils n'émanent d'un distributeur légitime situé au Canada et que ce distributeur en autorise le décodage. Naturellement, cette interdiction est assujettie à une exception, soit celle prévue au paragraphe 10(2.3) de la Loi sur la radiocommunication.
La Loi sur la radiocommunication elle-même ne renferme pas d'énoncé clair de son objet dont la Cour peut tenir compte pour déterminer la façon dont le législateur voulait que l'alinéa 9(1)c) de la loi s'applique. La Cour ne peut qu'inférer l'objet de la loi et l'application de l'alinéa 9(1)c) en donnant effet à cet objet et, ce faisant, elle peut examiner l'esprit de la loi, les circonstances factuelles au moment où la loi a été adoptée et toutes modifications subséquentes. En lisant la loi dans ce contexte, la Cour peut inférer les motifs qui animaient l'assemblée législative lorsqu'elle a introduit un régime particulier ou inclus une disposition ou un détail particulier dans la loi (voir Driedger, supra, p. 52).
Selon moi, il est important d'examiner la nature de la loi, son historique législatif, l'existence d'autres lois portant directement ou indirectement sur le même sujet et, dans l'affirmative, il faut s'interroger sur l'énoncé de l'objet ou de l'objectif que ces lois renferment.
En 1989, la Loi sur la radio, alors en vigueur, a été modifiée pour s'intituler Loi sur la radiocommunication, [L.R.C. (1985), ch. R-2, modifiée par] L.C. (1989) ch. 17. La nouvelle loi a supprimé de nombreuses dispositions de la Loi sur la radio et en a ajouté d'autres. La nouvelle loi reconnaissait que le monde de la radio évoluait selon un rythme rapide que les lois en vigueur n'avaient pas réussi à suivre. La nouvelle loi était réputée nécessaire pour suivre l'évolution de l'environnement du spectre radio et gérer cet environnement. Le projet de loi visait à abroger ou à réviser des dispositions désuètes, à remédier à certaines lacunes et à assouplir l'application de la loi. Elle visait aussi à renforcer la mise en œuvre de la loi en prévoyant des amendes plus élevées et un recours administratif plutôt que l'application de procédures judiciaires en vertu du Code criminel. Elle prétendait réglementer le spectre de fréquences radio pour le bénéfice du Canada et de tous les [intérêts] canadiens ou tentait de le faire. (Voir Hansard, Débats de la Chambre des Communes, 25 mai 1989, pages 2130 à 2136.) L'arrêt Tschritter v. Alberta (Children's Guardian) (1989), 65 Alta. C.R. (2d) 289, de la Cour d'appel de l'Alberta vient appuyer mon recours au Hansard à des fins d'interprétation du but et de l'objet d'une loi.
La loi modifiée ne renfermait pas les alinéas 9(1)c), d) ou e). Par conséquent, l'alinéa 10(1)b) n'avait de sens à cette époque que dans le contexte des alinéas 9(1)a) ou b). La modification apportée à la Loi sur la radio en 1989 a aussi modifié certaines dispositions de la Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B-9. En 1991, la Loi sur la radiodiffusion, supra, a été abrogée et remplacée par une nouvelle Loi sur la radiodiffusion, L.C. (1991), ch. 11 et cette loi a modifié la Loi sur la radiocommunication pour y inclure les alinéas 9(1)c), d) et e). Les modifications ont aussi ajouté des définitions précises à la Loi sur la radiocommunication, modifié les définitions et ajouté un processus de recours civil à l'intention des personnes qui avaient des intérêts propriétaux précis auxquels il avait été porté atteinte, contrairement aux dispositions des alinéas 9(1)c), d), e) et 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication. À mon avis, le fait que la définition de la radiodiffusion a été modifiée tant dans la Loi sur la radiodiffusion que la Loi sur la radiocommunication pour y inclure toute transmission d'émissions, qu'elle soit ou non encodées, n'est pas sans importance. La définition antérieure ne mentionnait pas les émissions encodées.
La nouvelle Loi sur la radiodiffusion, qui a été proposée en 1989 et n'a reçu la sanction royale qu'en 1991, tentait de régler le problème des modifications technologiques et sociales survenues dans le domaine de la radiocommunication et d'établir une politique de radiodiffusion pour l'ensemble du Canada. Les modifications apportées à la Loi sur la radiocommunication de 1991 par l'intermédiaire de la nouvelle Loi sur la radiodiffusion, L.C. (1991), ch. 11, faisaient partie du mécanisme de mise en œuvre de la politique adoptée.
L'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion énonce cette nouvelle politique de radiodiffusion proposée en 1989 et finalement entrée en vigueur en 1991. À mon avis, cette politique est essentielle pour déterminer l'intention de l'assemblée législative à l'égard de l'application de l'alinéa 9(1)c).
Selon moi, il est évident que les modifications apportées à la Loi sur la radiodiffusion visaient à réglementer plus complètement l'industrie de la radiodiffusion pour le bénéfice du Canada et de la culture canadienne. Les modifications apportées à la Loi sur la radiocommunication et plus précisément l'ajout des alinéas 9(1)c), d) et e) faisaient partie du mécanisme d'application de cette réglementation.
Manifestement, une partie du régime intégré dans la Loi sur la radiodiffusion de 1991 consistait en la protection de la culture canadienne par la réglementation des services de programmation, du contenu des émissions et des entreprises de diffusion, ce qui incluait les communications radio encodées et non encodées.
La Loi sur la radiodiffusion déclarait que la totalité du système de radiodiffusion constituait un seul système devant être réglementé et contrôlé par une seule entité. (Voir le paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. (1991), ch. 11.) Compte tenu des dispositions de la Loi sur la radiodiffusion, de la politique qui y est énoncée, et des définitions et des dispositions qu'elle renferme, j'estime que la politique énoncée à l'article 3 vise tous les aspects de la radiocommunication, y compris les signaux radio encodés.
La Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication doivent être considérées comme fonctionnant dans le cadre d'un seul régime réglementaire. Les dispositions de chaque loi doivent donc être lues en tenant compte de leurs contextes réciproques et il faut tenir compte du rôle de chaque loi dans le régime général. (Driedger, supra, page 286.)
Selon moi, l'ajout des alinéas 9(1)c), d) et e) et d'autres dispositions à la Loi sur la radiocommunication, par l'intermédiaire des dispositions de la Loi sur la radiodiffusion de 1991, appuie cette méthode d'interprétation. Les alinéas 9(1)c), d) et e) de la Loi sur la radiocommunication doivent être considérés comme faisant partie du mécanisme par lequel doit être mise en œuvre la politique de réglementation de la radiodiffusion au Canada qui est énoncée.
Il ressort de cette politique énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion qu'il n'existe qu'un seul système de radiodiffusion au Canada et qu'une seule entité doit le réglementer. Les émissions qui ne font pas partie du système de radiodiffusion canadien, c'est-à-dire les signaux par satellite encodés émanant de l'extérieur du Canada qui ne sont pas distribués par un distributeur légitime au Canada, ne peuvent faire l'objet d'une réglementation au sens habituel, c'est-à-dire que le distributeur ne peut faire l'objet d'une réglementation. Cela signifie naturellement qu'il ne peut y avoir de réglementation dans le contexte de la politique établie à l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. Il est impossible d'empêcher la transmission de signaux par satellite émanant de l'extérieur du Canada parce qu'une fois transmis, il est impossible de les bloquer. La réglementation des signaux encodés qui ne font pas partie du système de radiodiffusion canadien ou qui n'y sont pas intégrés ne peut se faire que par la réglementation du récepteur. C'est-à-dire en interdisant cette réception, sauf dans des circonstances où le signal fait l'objet d'un contrôle réglementé du système de radiodiffusion canadien, autrement dit par l'intermédiaire d'un distributeur légitime.
Cette interdiction sert à protéger et à favoriser les objectifs de la réglementation qui sont énoncés à l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. En même temps, elle protège et favorise les activités de radiodiffusion au Canada en donnant aux radiodiffuseurs canadiens des chances égales de rivaliser avec d'autres fournisseurs de services, c'est-à-dire que toute personne qui a le droit de radiodiffuser ou de distribuer le fait aux mêmes conditions. Cette même politique et ces mêmes chances égales devraient favoriser la croissance des radiodiffuseurs canadiens et elle sert aussi à protéger la culture canadienne et nous empêcher de perdre notre identité culturelle en raison de la programmation non réglementée émanant de services étrangers. (Voir les Débats de la Chambre des Communes sur le projet de loi C-40, Hansard, 3 november 1989, pages 5546 à 5565.)
Cette interprétation de l'alinéa 9(1)c) est, selon moi, plausible dans le contexte du régime réglementaire général relatif à la radiodiffusion. Une interprétation qui permettrait l'accès illimité à des signaux encodés provenant de l'extérieur du Canada contredirait la politique réglementaire de radiodiffusion applicable au système canadien. Il s'agirait d'une interprétation qui autorise une radiodiffusion nullement réglementée au Canada. Elle ne serait pas conforme à l'idée que je me fais du but ou de l'objectif de la Loi sur la radiodiffusion dont il faut tenir compte en lisant les dispositions de la Loi sur la radiocommunication qui fait partie du régime réglementaire de radiodiffusion au Canada.
Je ne me serais peut-être pas exprimé de la même façon que le juge LeGrandeur pour ce qui est de certains aspects de son raisonnement et je n'aurais peut-être pas formulé l'analyse de la même façon, mais je suis convaincu que le fond de son analyse est valable et j'y souscris. Comme il l'a fait, je conclus que l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication doit être interprété comme prévoyant une interdic- tion absolue du décodage de signaux d'abonnement encodés à moins qu'ils n'émanent d'un distributeur légitime au Canada et que ce distributeur en autorise le décodage. Ainsi que l'a souligné le juge LeGrandeur, cette interdiction fait l'objet d'une exception, soit celle que prévoit le paragraphe 10(2.3) de la Loi sur la radiocommunication, qui n'est pas pertinent aux fins de la présente affaire. J'aimerais faire un autre commentaire sur le long extrait tiré des motifs du juge LeGrandeur. Au dernier paragraphe de cette citation il dit:
[traduction] Il s'agirait [l'interprétation de l'alinéa 9(1)c) proposée pour le compte des défenderesses devant lui] d'une interprétation qui autorise une radiodiffusion nullement réglementée au Canada.
J'apporterais une modification mineure, mais à mon avis importante, à cette phrase. À mon avis, l'interprétation proposée pour le compte des parties défenderesses devant le juge LeGrandeur, de même que celle proposée pour le compte de Norsat devant moi, autoriserait une radiodiffusion tout à fait déréglementée à destination du Canada par les fournisseurs de services de SRD situés aux États-Unis et peut-être ailleurs qui échappent complètement à la portée de la politique et de la réglementation du gouvernement canadien.
Je sais que des juges d'autres juridictions sont arrivés à des interprétations différentes de l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication5. J'ai examiné certaines de ces décisions invoquées par les avocats. Ceci étant dit avec beaucoup d'égard pour les opinions divergentes, j'estime que l'analyse du juge LeGrandeur est plus convaincante.
Je ne vois aucune raison de conclure que l'interprétation à laquelle est arrivé le juge LeGrandeur, et à laquelle je souscris, est incompatible avec la Constitution du Canada. Le juge LeGrandeur a aussi examiné cette question. Il écrit [aux paragraphes 49 à 51]:
[traduction] L'avocat de la défense ne cherche pas à faire déclarer que l'art. 9(1)c) est frappé de nullité parce qu'il est contraire aux dispositions de la Charte relatives à la liberté d'expression, c'est-à-dire l'art. 2b); mais il prétend qu'il existe un principe d'interprétation des lois selon lequel les tribunaux doivent interpréter la loi de manière à respecter les valeurs constitutionnelles protégées. Dans La Reine c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, à la page 771, madame le juge McLachlin écrit:
"Ces arrêts confirment les propositions fondamentales suivantes: que la common law devrait évoluer en conformité avec les valeurs de la Charte . . . et que, lorsqu'une disposition législative, selon une interprétation raisonnable de son historique et une simple lecture de son texte, est soumise à deux interprétations également convaincantes, la Cour devrait adopter l'interprétation qui concorde avec la Charte et les valeurs qui y figurent."
La liberté d'expression s'étend aux récepteurs aussi bien qu'aux émetteurs d'une communication. En l'espèce, je n'entends pas décider si l'interprétation selon laquelle l'alinéa 9(1)c) constitue une interdiction absolue de la réception de certaines communications radio contrevient ou non à l'alinéa 2b) de la Charte. Cette disposition n'a pas été contestée en vertu de la Charte et elle ne peut être contestée indirectement au moyen d'un principe d'interprétation. L'avocat de la défense demande à la Cour d'interpréter l'alinéa 9(1)c) suivant les arguments de la défense parce qu'interpréter celui-ci autrement signifierait que la disposition a pour effet de contrevenir à l'alinéa 2b) de la Charte. Même si je devais en arriver à cette conclusion, en l'absence d'une contestation en bonne et due forme de la Charte, je ne peux me servir de ce principe d'interprétation pour outrepasser ce que j'estimerais par ailleurs être l'intention du législateur fédéral. Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop (1993), 100 D.L.R. (4th) 658, à la page 673, le juge en chef Lamer souligne ce qui suit:
"Si sa constitutionnalité n'est pas contestée en vertu de la Charte, lorsque l'intention du législateur est évidente, les cours de justice et les tribunaux administratifs n'ont d'autres pouvoirs que d'appliquer la loi. Si la signification ou la portée du texte de loi est ambiguë, les cours de justice devraient alors, au moyen des règles d'interprétation habituelles, tenter de cerner l'objet de la loi et, s'il existe plus d'une interprétation qui soit compatible avec cet objet, il faut opter pour celle qui est le plus conforme à la Charte.
Je tiens toutefois à répéter que, s'il n'y a pas de contestation fondée sur la Charte, celle-ci ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrarier son objet ou à lui donner un effet que le législateur ne souhaitait pas de toute évidence."
En l'espèce, il n'y a pas de contestation fondée sur la Charte et il n'existe qu'une seule interprétation raisonnable qui soit conforme à l'objet de la loi.
Je répète que je souscris au raisonnement du juge LeGrandeur.
D'après mon interprétation de l'alinéa 9(1)c) selon laquelle cette disposition prévoit une interdiction absolue du décodage de signaux d'abonnement encodés à moins qu'ils n'émanent d'un distributeur légitime au Canada et que ce distributeur en autorise le décodage, je conclus que les activités reconnues de Norsat constituent une contravention à l'alinéa 10(1)b) de la Loi sur la radiocommunication, dans des circonstances qui donnent à penser, en fait à être convaincu, compte tenu de l'utilisation ultime du matériel qu'elle importe, distribue, etc., que ce matériel est destiné à être utilisé dans le but d'enfreindre l'article 9 par le décodage de signaux d'abonnement encodés sans l'autorisation d'une personne qui a le droit légitime au Canada de transmettre ces signaux. Les seuls signaux que les antennes paraboliques et les décodeurs dont Norsat fait le commerce sont capables de recevoir et de décoder sont des signaux qu'aucune personne au Canada n'a le droit légitime de transmettre et de décoder.
Je passe maintenant au dernier élément essentiel qui permet de conclure que les demanderesses disposent d'un recours civil en vertu de l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication, c'est-à-dire que les demanderesses ont subi une perte ou des dommages par suite de la contravention à l'alinéa 10(1)b) de la part de Norsat. L'avocat de Norsat a fait valoir qu'ExpressVu ne peut avoir subi une perte ou des dommages étant donné que, selon la preuve qui m'a été présentée, même si elle a obtenu une licence pour le faire pendant un certain temps, elle n'a pas encore commencé à offrir des services de SRD. Je rejette cet argument. Selon la preuve présentée, rien n'indique qu'ExpressVu n'ait pas encore l'intention de profiter de la licence qui lui a été octroyée. Pendant qu'elle se prépare à le faire, les activités de Norsat, les détaillants à qui elle vend des marchandises, les personnes qui achètent auprès de ces détaillants et celles qui aident ces acheteurs à activer leurs décodeurs continuent à occuper une part croissante du marché canadien des services de SRD. Même si certains de ceux qui s'abonnent aux services en provenance des États-Unis par l'intermédiaire des activités de Norsat et d'autres entreprises pourraient aussi souscrire au service offert par ExpressVu ou même changer pour ce service lorsqu'il sera offert, je suis disposé à présumer que la totalité d'entre eux ne le feront pas tant qu'ils pourront continuer à recevoir les services émanant des États-Unis. Même s'il pourrait s'avérer très difficile de quantifier la perte ou les dommages qu'a subis ExpressVu, ce n'est pas pertinent. Je suis disposé à conclure qu'ExpressVu a subi une perte ou des dommages et continuera à le faire tant que les pratiques actuelles ne seront pas radicalement modifiées.
De même, en ce qui concerne les autres demanderesses, la preuve qui m'a été soumise indique qu'elles ont subi certaines pertes ou certains dommages du fait que les émissions sur lesquelles elles disposent de droits exclusifs dans la totalité ou une partie du Canada, en vertu de licences obtenues auprès de titulaires de droit d'auteur, sont reçues et regardées au Canada sans leur autorisation. D'après la preuve qui m'a été présentée, je reconnais qu'il est tout à fait possible et même vraisemblable que la totalité ou une partie de la programmation est reçue et regardée à des heures et à des dates (dans des "fenêtres") que ne couvrent pas les licences octroyées aux autres demanderesses qu'ExpressVu. Je conclus une fois de plus que cette possibilité s'applique au montant des pertes ou des dommages et non à la question de savoir si d'autres demanderesses ont subi des pertes ou des dommages. Je conclus que la preuve présentée établit que les demanderesses ont subi des pertes ou des dommages et qu'elles continueront à en subir si la situation ne change pas radicalement.
CONCLUSION
En conséquence, je conclus que chacune des demanderesses dispose d'un recours civil contre Norsat en vertu de l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication. La question des recours dont les demanderesses peuvent se prévaloir et du montant des dommages-intérêts, s'il en est, qu'elles peuvent réclamer n'a pas été débattue devant moi, et elle n'était pas pertinente aux fins restreintes de la requête en jugement sommaire de Norsat. Je conclus que la requête en jugement sommaire de Norsat, relativement aux demandes présentées par les demanderesses en vertu de l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication, doit être rejetée. Une ordonnance sera prononcée en conséquence, et les dépens seront accordés aux demanderesses à l'encontre de la défenderesse Norsat.
Une requête similaire présentée pour le compte de la défenderesse A.C.E. Imports International Inc. n'a pas été débattue devant moi. Cette requête demeure pendante.
Une autre requête présentée pour les comptes des demanderesses en vue d'obtenir [traduction] "une injonction provisoire et permanente", d'autres mesures de redressement et un [traduction ] "jugement sommaire sur la totalité ou une partie de la demande contenue dans la réclamation pour le compte de l'une ou de plusieurs des demanderesses à l'encontre de l'une ou de plusieurs des défenderesses" demeure également pendante. La requête des demanderesses n'a pas non plus été débattue devant moi. Malgré cela, dans la mesure où les demandes de chacune des demanderesses sont fondées sur l'article 18 de la Loi sur la radiocommunication et compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, l'issue des requêtes en jugement sommaire des demanderesses semble aller de soi du fait des présents motifs.
1 L.R.C. [1985], ch. R-2 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2; 1991, ch. 11, art. 85).
2 [1989] 1 R.C.S. 927, aux p. 968 à 971 et 975 à 977.
3 L.C. 1991, ch. 11.
4 [1997] A.J. no 513 (C.P.) (QL).
5 Voir, par ex., R. v. Ereiser (1997), 156 Sask. R. 71, (B.R.), le juge Klebuc.