A-146-97
Ranjit Perera, Frank Boahene et Fred Bloch (appelants) (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada (intimée) (défenderesse)
et
L'Alliance de la fonction publique du Canada (intervenante)
Répertorié: Perera c.Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Létourneau et McDonald, J.C.A."Ottawa, 24, 25 février et 31 mars 1998.
Pratique — Décision préliminaire sur une question de droit — Appel d'une ordonnance rejetant une requête présentée en vertu de la Règle 474 en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant que certaines questions de droit soient tranchées avant l'instruction — La Règle 474 établit une procédure en deux étapes: (1) la décision d'ordonner ou non que des questions soient tranchées avant l'instruction; (2) la décision donnant une réponse aux questions de droit— Dans un appel de la décision rendue à la première étape, la seule décision que la C.A.F. est autorisée à rendre est celle qui aurait dû être rendue à cette étape — La Règle 474 attribue le pouvoir discrétionnaire d'ordonner qu'une question de droit soit tranchée — Les questions doivent être de pures questions de droit, c.-à-d. des questions auxquelles il est possible de répondre sans tirer de conclusion de fait — Une question de droit peut se fonder sur une présomption de véracité des allégations énoncées dans les actes de procédure, à condition que les faits invoqués suffisent pour permettre à la Cour de répondre à la question— Les questions ne doivent pas être purement théoriques, mais péremptoires aux fins d'une question en litige, c.-à-d. que la décision prise à leur sujet peut probablement régler l'action ou une partie notable de l'action — On ne doit recourir à la Règle 474 que lorsqu'elle entraînera des économies de temps et d'argent — Tous les faits doivent être examinés — Le juge des requêtes a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire car il croyait que les questions recevraient une réponse favorable aux appelants, de sorte que l'instruction devrait avoir lieu.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Appel d'une ordonnance radiant certaines dispositions de la demande de réparation sollicitant des lettres d'excuses, une ordonnance enjoignant la mise sur pied d'un programme spécial pour corriger les effets défavorables des actes discriminatoires et une ordonnance imposant à l'employeur la mise en œvre d'un programme d'équité en matière d'emploi — Allégations de discrimination individuelle et systémique fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur — Action fondée sur l'art. 24 de la Charte qui confère le droit de demander une réparation au tribunal compétent — Les tribunaux saisis d'une action en vertu de l'art. 24 sont libres d'accorder la réparation qu'ils estiment juste dans les circonstances — Comme la réparation demandée sous forme de lettre d'excuses peut être contraire à l'art. 2b) de la Charte (liberté d'expression), elle doit pouvoir se justifier en regard de l'article premier — Cette question ne peut être tranchée sans instruction — Étant donné que le TCDP a compétence pour imposer des programmes visant à corriger les effets de la discrimination, les tribunaux investis d'un pouvoir de surveillance ont le pouvoir d'imposer des réparations semblables s'ils le jugent approprié.
Compétence de la Cour fédérale — Appel d'une ordonnance radiant des dispositions de la demande de réparation sollicitant des lettres d'excuses, une ordonnance enjoignant à l'employeur de mettre sur pied un programme visant à corriger les effets défavorables des actes discriminatoires et une ordonnance imposant à l'ACDI la mise en œuvre d'un programme d'équité en matière d'emploi, parce que ces réparations ne relevaient pas de la compétence de la Cour — La déclaration contenait des allégations de discrimination individuelle et systémique — En qualité de cour supérieure d'archives investie d'un pouvoir de surveillance, la Cour fédérale a compétence pour garantir le respect des droits à l'égalité prévus par la Constitution dans le champ de compétence fédérale en accordant une réparation convenable et juste en vertu de l'art. 24 de la Charte — Étant donné que le TCDP a compétence pour imposer des programmes visant à corriger les effets de la discrimination, les tribunaux doivent avoir le pouvoir d'imposer des réparations semblables s'ils le jugent approprié — Dans le contexte de la discrimination systémique, une telle réparation, pour être juste et appropriée, peut prendre la forme des ordonnances demandées par les appelants.
Il s'agissait d'un appel d'une ordonnance de la Section de première instance rejetant une requête présentée en vertu de la Règle 474 et radiant certaines dispositions de la demande de réparation en vertu de la Règle 419; ainsi que d'un appel incident du refus du juge de radier la déclaration en totalité. La déclaration contenait des allégations portant que les appelants, d'anciens employés de l'ACDI, avaient subi de la discrimination individuelle et systémique fondée sur leur race, leur origine nationale ou ethnique et leur couleur, contrairement à l'article 15 de la Charte. La demande de réparation sollicitait toute une gamme de mesures, dont des ordonnances enjoignant que des lettres d'excuses soient adressées aux appelants et que l'ACDI mette sur pied un programme spécial pour corriger les effets défavorables des actes discriminatoires et mette en œuvre un programme d'équité en matière d'emploi. L'intimée a déposé un avis de requête en vertu de la Règle 419 afin d'obtenir la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action. Les appelants ont alors déposé un avis de requête en vertu de la Règle 474 en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant que certaines questions de droit soient tranchées avant l'instruction. Le juge des requêtes a rejeté la requête fondée sur la Règle 474 et il a refusé de radier la déclaration, mais il a radié les dispositions de la demande de réparation sollicitant les mesures susmentionnées.
Arrêt: l'appel incident doit être rejeté; l'appel doit être accueilli uniquement à l'encontre de la partie de l'ordonnance de la Section de première instance qui a radié les sous-alinéas 12a)(iii), b)(iii), c)(iii) et d)(ii).
La Règle 474 établit une procédure en deux étapes: si la Cour décide que les questions proposées doivent être tranchées avant l'instruction, elle doit ensuite rendre une deuxième décision pour répondre aux questions de droit après une nouvelle audition. Dans un appel à l'encontre d'une décision rendue à la première étape de cette procédure, la seule décision que la Cour d'appel est autorisée à rendre est celle qui aurait dû être prononcée à la première étape de la procédure.
La Règle 474 attribue simplement à la Cour le pouvoir discrétionnaire d'ordonner qu'une question de droit soit tranchée. La Cour doit être convaincue que les questions proposées sont de pures questions de droit, c.-à-d. des questions auxquelles il est possible de répondre sans tirer de conclusion de fait. L'objet de la règle est de répondre aux questions avant l'instruction; elle ne vise pas à morceler l'instruction ni à remplacer une partie de l'instruction par une autre instruction tenue au moyen d'affidavits. Les parties ne sont pas tenues de s'entendre sur les faits à l'origine des questions de droit; une question de droit peut se fonder sur une présomption de véracité des allégations énoncées dans les actes de procédure, à condition que les faits invoqués suffisent pour permettre à la Cour de répondre à la question.
Avant d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 474, la Cour doit également être convaincue que les questions en cause ne sont pas théoriques et qu'elles seront "péremptoires aux fins d'un point en litige". La Règle 474 n'exige pas qu'il soit absolument certain que la réponse donnée à la question réglera le litige, en tout ou en partie. Le juge qui préside l'audition de la question doit simplement être convaincu que la question proposée est suffisamment bien définie pour que la décision prise à son sujet règle l'action ou une partie notable de l'action. Il n'est donc pas nécessaire que la question de droit en soit une qui, peu importe la façon dont on y répond, règle définitivement le litige. Une fois ces conditions réunies, la Cour n'a pas d'obligation d'accueillir la requête fondée sur la Règle 474. Elle doit, à cette étape, exercer son pouvoir discrétionnaire en se rappelant que la procédure prévue par la Règle 474 est exceptionnelle et que la Cour ne doit y recourir que lorsqu'elle est d'avis que l'adoption de cette mesure extraordinaire entraînera des économies de temps et d'argent. La Cour doit examiner tous les faits de l'espèce, y compris le fait que les parties s'entendent, l'opinion du juge quant à la probabilité que la question soit tranchée d'une façon qui ne réglera pas le litige, la complexité des faits qui devront être établis au procès et l'opportunité de tenter d'éviter pareille instruction pour cette raison, la difficulté et l'importance des questions de droit proposées, la mesure dans laquelle il est souhaitable qu'il n'y soit pas répondu hors de tout contexte et la possibilité que la décision rendue à leur égard avant l'instruction n'entraîne pas, en bout de ligne, d'économie de temps ni d'argent.
Le juge des requêtes ne pouvait accueillir la requête des appelants s'il n'était pas convaincu que le fait de trancher les questions à titre préliminaire entraînerait une économie de temps et d'argent. Comme le juge était d'avis que les questions recevraient une réponse favorable aux appelants, l'instruction devrait néanmoins avoir lieu. Le fait de trancher les questions au préalable ne raccourcirait vraisemblablement pas l'instance. Le juge des requêtes n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire à tort en rejetant la requête des appelants fondée sur la Règle 474.
Quant à la requête en radiation, il fallait se rappeler que l'action des appelants était fondée sur l'article 24 de la Charte. La règle veut que les tribunaux saisis d'une action fondée sur l'article 24 et qui tirent des conclusions favorables au demandeur soient libres de lui accorder la réparation qu'ils estiment juste dans les circonstances. La demande de réparation sollicitant des lettres d'excuses n'aurait pas dû être radiée. Cette réparation pouvant être contraire à l'alinéa 2b) de la Charte qui protège la liberté d'expression, elle n'est possible que lorsqu'elle peut se justifier en regard de l'article premier, et la question de la justification ne peut être tranchée dans l'abstrait.
Il a été décidé que des réparations, comme l'imposition de programmes visant à corriger et contrer les effets défavorables de la discrimination alléguée, imposées par un tribunal canadien des droits de la personne pour empêcher et corriger la discrimination systémique, étaient entièrement justifiables. En qualité de cour supérieure d'archives investie d'un pouvoir de surveillance, la Cour fédérale a compétence pour faire respecter les droits à l'égalité prévus par la Constitution dans le champ de compétence fédérale en accordant à un citoyen lésé une réparation convenable et juste par application de l'article 24. Dans le contexte de la discrimination systémique, une telle réparation, pour être juste et appropriée, peut prendre la forme des ordonnances demandées par les appelants.
lois et règlements
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b), 15, 24.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.
Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 3a), 10.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 419, 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14).
Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15, art. 45(1)(g).
jurisprudence
décisions appliquées:
Berneche c. Canada, [1991] 3 C.F. 383; (1991), 133 N.R. 232 (C.A.); Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170; (1989), 60 D.L.R. (4th) 609; 41 Admin. L.R. 1; 37 C.P.C. (2d) 1; 71 C.R. (3d) 358; 42 C.R.R. 1; 98 N.R. 321; 35 O.A.C. 161; Krznaric v. Chevrette (1997), 154 D.L.R. (4th) 527; 98 CLLC 145,010 (C. Ont. (Div. gén.)).
décisions examinées:
Novopharm Ltd. c. Wyeth Ltd. (1986), 26 D.L.R. (4th) 80; 8 C.P.R. (3d) 448; 64 N.R. 144 (C.A.F.); Windsor Refrigerator Co., Ltd. v. Branch Nominees, Ltd., [1961] 1 All E.R. 277 (C.A.); David (Asoka Kumar) v. M. A. M. M. Abdul Cader, [1963] 3 All E.R. 579 (P.C.); Attorney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.); Tilling v. Whiteman, [1980] A.C. 1 (H.L.); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; (1987), 40 D.L.R. (4th) 193; 27 Admin. L.R. 172; 87 CLLC 17,022; 76 N.R. 16; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303.
décisions citées:
R. c. Achorner, [1977] 1 C.F. 641; (1976), 16 N.R. 346 (C.A.); Page c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972] C.F. 1141; (1972), 29 D.L.R. (3d) 236 (C.A.); Asbjorn Horgard A/S c. Northwest Tackle Manufacturing Ltd., [1982] 1 C.F. 680; (1981), 56 C.P.R. (2d) 115 (1re inst.); Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183.
APPEL d'une ordonnance rejetant une requête présentée en vertu de la Règle 474 et radiant certaines parties de la demande de réparation; et appel incident du refus du juge de radier la déclaration en totalité (Perera c. Canada, [1997] A.C.F. no 199 (1re inst.) (QL)). L'appel incident est rejeté; l'appel est accueilli uniquement à l'encontre de la partie de l'ordonnance qui a radié les sous-alinéas 12a)(iii), b)(iii), c)(iii) et d)(ii).
avocats:
Peter C. Engelmann pour les appelants.
Geoffrey S. Lester pour l'intimée.
Andrew J. Raven pour l'intervenante.
avocats inscrits au dossier:
Caroline Engelmann Gottheil, Ottawa, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Létourneau, J.C.A.: Il s'agit d'un appel et d'un appel incident interjetés à l'encontre d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance [[1997] A.C.F. no 199 (1re inst.) (QL)] a tranché deux requêtes: une requête présentée par les appelants en vertu de la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/79-57, art. 14)], qui a été rejetée, et une requête présentée par l'intimée en vertu de la Règle 419, qui a été accueillie en partie seulement. Par leur appel, les appelants contestent le rejet de leur requête présentée sous le régime de la Règle 474, ainsi que la décision du juge, fondée sur la Règle 419, de radier certaines parties de la demande de réparation énoncée dans leur déclaration. L'appel incident de l'intimée attaque le refus du juge de radier en totalité la déclaration des appelants parce qu'elle ne révélerait aucune cause raisonnable d'action.
Le litige entre les parties découle de l'emploi des appelants à l'Agence canadienne de développement international (ACDI). Dans leur déclaration, déposée le 16 mars 1992, modifiée en 1994 et en 1996, les appelants soutiennent avoir subi, pendant leur emploi à l'ACDI, de la discrimination individuelle et systémique de la part de fonctionnaires de l'intimée, fondée sur leur race, leur origine nationale ou ethnique et leur couleur, contrairement à la garantie établie par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Ils affirment que vingt-deux personnes, dont le nom est précisé, travaillant au service de l'ACDI et l'intimée les ont empêchés de réaliser leurs ambitions professionnelles. La discrimination reprochée aurait été exercée dans le choix de candidats à des promotions et à des nominations par intérim, dans l'examen du rendement et l'évaluation des employés, dans le choix de candidats pour des affectations à l'étranger, dans l'attribution de tâches et de responsabilités, ainsi que dans la délégation de pouvoirs. Ils prétendent en outre, qu'en réaction à leurs plaintes de discrimination, des mesures de représailles aboutissant à leur licenciement ont été exercées contre eux. Dans leur demande de réparation, les appelants ont sollicité toute une gamme de mesures, dont une ordonnance enjoignant que des lettres d'excuses appropriées soient adressées aux appelants, une ordonnance enjoignant à l'ACDI de mettre sur pied un programme spécial pour corriger les effets défavorables des actes discriminatoires commis contre les minorités visibles à l'ACDI, ainsi qu'une ordonnance imposant à l'ACDI la mise en œuvre d'un programme d'équité en matière d'emploi.
L'intimée n'a pas encore déposé de défense pour répondre à la déclaration modifiée à deux reprises. Toutefois, dans sa première défense modifiée, l'intimée a nié sa responsabilité en l'espèce. Elle a plus particulièrement nié toutes les allégations de discrimination et de mesures de représailles; elle a fait valoir que la déclaration ne révélait pas une cause raisonnable d'action compte tenu de l'alinéa 3a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] ainsi que de l'article 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif [L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], de l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10)] et de l'alinéa 45(1)g) de la Loi sur la prescription des actions [L.R.O. 1990, ch. L. 15]; enfin, l'intimée a plaidé que la Cour n'avait pas compétence pour accorder certaines des réparations demandées par les appelants.
L'intimée a déposé un avis de requête sous le régime de la Règle 419 afin d'obtenir la radiation de la déclaration des appelants au motif qu'elle ne révélait aucune cause raisonnable d'action. Les appelants ont contre-attaqué en déposant un avis de requête sous le régime de la Règle 474 en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant que certaines questions de droit soient tranchées avant l'instruction.
Conformément à l'ordonnance prononcée par le juge en chef adjoint, ces requêtes ont été entendues simultanément les 10 et 11 février 1997. Le 24 février 1997, le juge de première instance a rejeté la requête des appelants fondée sur la Règle 474 et, relativement à la requête de l'intimée fondée sur la Règle 419, il a refusé de radier la déclaration des appelants qui, à son avis, révélait une cause raisonnable d'action, mais a radié certains paragraphes de la demande de réparation sollicitant des mesures qui, d'après lui, ne relevaient pas de la compétence de la Cour. D'où le présent appel et l'appel incident.
I"La requête des appelants fondée sur la Règle 4741
Dans leur requête, les appelants sollicitaient une ordonnance enjoignant de trancher cinq questions de droit avant l'instruction. La plupart de ces questions ont été soulevées par l'intimée dans sa défense modifiée et son avis de requête fondée sur la Règle 419. Ce sont les questions suivantes:
[traduction]
a) la question de savoir si la présente action en vue d'obtenir des dommages-intérêts et d'autres réparations convenables et justes sous le régime de l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) pour l'atteinte portée aux droits à l'égalité garantis par l'article 15 de la Charte existe en droit et, le cas échéant:
(i) la question de savoir si l'article 15 de la Charte impose une responsabilité fiduciaire à la Couronne et à ses mandataires de ne pas commettre d'actes discriminatoires fondés sur les motifs illicites énoncés et des motifs analogues ou, subsidiairement, la question de savoir si cette responsabilité est analogue à celle d'un fiduciaire;
(ii) la question de savoir si la présente action est limitée par l'article 32 de la Charte de quelque façon que ce soit;
b) la question de savoir si la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, empêche que soit intentée la présente action fondée sur la Charte;
c) la question de savoir si la présente action est prescrite, en totalité ou en partie, par application de l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale et de l'article 45 de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15;
d) la question de savoir si les principes de la chose jugée et de l'irrecevabilité à remettre en cause une question trouvent application en l'espèce . . .;
e) la question de savoir si des dommages-intérêts punitifs peuvent être accordés dans des actions touchant une atteinte aux droits garantis par l'article 15 de la Charte ou un manquement à la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.
Les appelants ont également demandé à la Cour de prononcer une ordonnance portant que ces questions de droit seront tranchées à partir d'une preuve composée, notamment, des éléments suivants:
[traduction]
a) la preuve par affidavit déposée en l'espèce ou qui sera déposée par les parties;
b) la transcription de tout contre-interrogatoire de l'auteur d'un affidavit;
c) les actes de procédure déposés en l'espèce, ou qui seront déposés par les parties; . . .
À l'appui de leur requête, les appelants ont déposé six affidavits et plus de six cahiers de pièces pour établir l'exactitude des allégations très vagues énoncées dans leur déclaration.
Le juge de première instance a rejeté [aux paragraphes 7 à 9 (QL)] la requête pour trois motifs:
. . . les faits essentiels de l'affaire sont eux-mêmes contestés [et les questions de droit n'ont elles-mêmes pas été formulées d'une manière acceptable aux deux parties] ... il n'y a pas . . . de pure question de droit sur laquelle la Cour pourrait statuer dans le cadre d'une requête fondée sur la Règle 474, étant donné qu'une telle décision exigerait de la Cour qu'elle se prononce sur certains des faits actuellement en litige. . . Il n'est pas évident qu'une requête fondée sur la Règle 474 permettrait d'accélérer l'instance.
Cette décision s'appuie apparemment sur celle rendue par la Cour dans l'affaire Berneche c. Canada, [1991] 3 C.F. 383 (C.A.), à la page 388, dans laquelle le juge Mahoney de la Cour d'appel, après avoir mentionné des décisions dans lesquelles la Section de première instance avait refusé d'appliquer la Règle 474 à moins que les parties n'aient convenu de la nécessité de faire trancher une question à titre préliminaire, a déclaré:
En toute déférence, la Section de première instance a indûment restreint l'application de la Règle.
Ce qu'exige la Règle 474(1)a), c'est qu'au moins l'une des parties sollicite une décision préliminaire: la Cour ne peut agir de son propre chef. La Règle exige ensuite qu'il soit démontré de façon jugée satisfaisante par la Cour (1) qu'aucun fait essentiel à la question de droit à être tranchée n'est contesté; (2) que ce qui doit être tranché est une pure question de droit; et (3) que la décision sera péremptoire aux fins d'un point en litige de façon à éliminer la nécessité d'un procès, ou tout au moins, à l'abréger ou le rendre plus rapide.
L'avocat des appelants a admis à l'audition que la décision en appel était juste en ce qui concerne les questions a)(i), d) et e). Quant à la question c), il n'a fait expressément aucun aveu mais il semblait reconnaître l'évidence: dans les circonstances de l'espèce, comme la discrimination subie était continue, selon ce qu'il allègue, aucun avantage véritable ne saurait découler d'un règlement rapide de cette question. Il reste donc trois questions en litige: a), a)(ii) et b).
Relativement à ces trois questions, l'avocat des appelants a fait valoir que les trois conditions énoncées par le juge Mahoney de la Cour d'appel dans l'affaire Berneche étaient réunies. Il a ajouté que, quoi qu'il en soit, le juge avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les questions proposées comportaient des points importants liés à la Charte qui, de par leur nature même, devaient être tranchés sans délai. Enfin, l'avocat a invité la Cour non seulement à annuler l'ordonnance du juge de première instance, mais encore à répondre aux trois questions.
Le principal argument invoqué par l'avocat de l'intimée à l'appui de la décision contestée portait que ces questions ne devaient pas être tranchées avant l'instruction car, si la Cour y répondait comme le proposaient les appelants, l'affaire ne serait pas réglée dans un sens ou dans l'autre; une instruction serait encore nécessaire pour établir les allégations contenues dans la déclaration. De l'avis de l'avocat, les seules questions qui peuvent être tranchées avant l'instruction par application de la Règle 474 sont celles qui auront un effet déterminant sur l'issue de l'instruction, peu importe la façon dont la Cour y répond. L'avocat s'est également opposé à ce que la Cour réponde aux questions de droit en cause, si elle accueillait l'appel.
En ce qui a trait à ce dernier point, il semble clair que la Cour n'aurait pas compétence pour répondre aux questions de droit proposées dans le cadre du présent appel. La Règle 474 établit une procédure en deux étapes: premièrement, la Cour décide si elle doit ordonner que les questions proposées soient tranchées avant l'instruction; deuxièmement, si elle prononce effectivement cette ordonnance, la Cour doit rendre une deuxième décision pour répondre aux questions de droit après une nouvelle audition. Dans un appel à l'encontre d'une décision rendue à la première étape de cette procédure, la seule décision que la Cour d'appel est autorisée à rendre est celle que le juge de première instance aurait dû prononcer à la première étape de la procédure; la Cour n'a donc pas compétence pour rendre l'ordonnance que le juge de première instance n'a pas encore rendue mais qu'il devrait prononcer à la deuxième étape de la procédure2.
La seule question en litige dans cette partie de l'appel est donc celle de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les questions de droit proposées ne devaient pas être tranchées avant l'instruction.
Il peut être utile de rappeler que la Règle 474 ne confère pas, à qui que ce soit, le droit d'obtenir une décision sur les questions de droit avant l'instruction; elle attribue simplement à la Cour le pouvoir discrétionnaire d'ordonner, sur présentation d'une requête, qu'une telle décision soit rendue. Pour que la Cour soit en mesure d'exercer ce pouvoir discrétionnaire, elle doit être convaincue, comme l'a précisé l'arrêt Berneche, que les questions proposées sont de pures questions de droit, c'est-à-dire des questions auxquelles il est possible de répondre sans tirer quelque conclusion de fait que ce soit. En fait, l'objet de cette règle est de répondre aux questions avant l'instruction; elle ne vise pas à morceler l'instruction ni à remplacer une partie de l'instruction par une autre instruction tenue au moyen d'affidavits3. Cela ne signifie toutefois pas que les parties doivent s'entendre sur les faits à l'origine des questions de droit; une question de droit peut se fonder sur une présomption de véracité des allégations énoncées dans les actes de procédure, à condition que les faits invoqués suffisent pour permettre à la Cour de répondre à la question4.
Avant d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 474, la Cour doit également être convaincue que les questions en cause ne sont pas purement théoriques et qu'elles seront "péremptoires aux fins d'un point en litige". À cet égard, il est important de souligner que, contrairement à ce qu'a prétendu l'avocat de l'intimée, la Règle 474 n'exige pas qu'il soit absolument certain que la réponse donnée à la question réglera le litige, en tout ou en partie. Comme l'a dit le juge en chef Jackett dans l'arrêt R. c. Achorner5 , le juge qui préside l'audition de la question doit simplement être convaincu que la question proposée est suffisamment bien définie "pour que la décision prise à son sujet règle l'action ou une partie notable de l'action". Il n'est donc pas nécessaire que la question de droit en soit une qui, peu importe la façon dont on y répond, règle définitivement le litige6 .
Une fois ces conditions réunies, la Cour n'a pas d'obligation d'accueillir la requête fondée sur la Règle 474. Elle doit, à cette étape, exercer son pouvoir discrétionnaire en se rappelant que la procédure prévue par la Règle 474 est exceptionnelle et que la Cour ne doit y recourir que lorsqu'elle est d'avis que l'adoption de cette mesure extraordinaire entraînera des économies de temps et d'argent. C'est dans cet esprit que la Cour doit examiner tous les faits de l'espèce qui, à son avis, sont favorables ou défavorables à la décision d'accueillir la requête. Il n'est pas possible de les énumérer tous. Le fait que les parties s'entendent en est manifestement un. Moins évident est peut-être le fait que le juge puisse tenir compte de sa propre opinion quant à la probabilité que la question soit tranchée d'une façon qui ne réglera pas le litige. Il peut également prendre en compte la complexité des faits qui devront être établis au procès et de l'opportunité de tenter d'éviter pareille instruction pour cette raison. Il doit en outre prendre en considération la difficulté et l'importance des questions de droit proposées, la mesure dans laquelle il est souhaitable qu'il n'y soit pas répondu hors de tout contexte et la possibilité que la décision rendue à leur égard avant l'instruction n'entraîne pas, en bout de ligne, d'économie de temps ni d'argent7.
Cela dit, j'examinerai les différents moyens de contestation que les appelants font valoir contre le rejet de leur requête fondée sur la Règle 474.
J'estime non fondée la prétention des appelants portant que le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les questions de droit proposées soulèvent des points liés à la Charte qui, en raison de leur importance, devraient être tranchés avant l'instruction. Certes, les questions liées à la Charte sont importantes et très souvent difficiles à résoudre. Mais c'est précisément pour cette raison que les tribunaux sont réticents à y répondre hors de tout contexte ou sur le fondement de faits qui ne sont pas établis8.
Les appelants soutiennent en outre que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les faits pertinents aux questions de droit proposées étaient contestées et que ces questions n'étaient pas de pures questions de droit. Je suis disposé à tenir pour acquis, à des fins de raisonnement, que le juge a effectivement commis ces erreurs et que les questions en cause étaient de pures questions de droit qui auraient pu être tranchées simplement à partir des allégations très vagues de la déclaration. Je ne puis toutefois m'empêcher d'ajouter que les appelants, qui ont insisté pour que ces questions soient tranchées à partir de la preuve par affidavit qu'ils ont déposée avec leur avis de motion, doivent partager le blâme pour ces erreurs.
Ce qui importe néanmoins, c'est la dernière conclusion du juge, soit celle portant que le fait de trancher ces questions de façon préliminaire n'entraînerait aucune économie de temps ni d'argent. Même si ses autres conclusions étaient erronées, il ne pouvait accueillir la requête des appelants s'il n'était pas convaincu de ce dernier point.
Le juge était manifestement d'avis que les trois questions qui nous préoccupent recevraient tôt ou tard une réponse favorable aux appelants. Il l'a précisé lorsqu'il a tranché la requête de l'intimée fondée sur la Règle 419. Il pouvait difficilement, dans les circonstances, conclure que le fait de trancher au préalable ces questions raccourcirait vraisemblablement l'instance. En effet, si ces questions recevaient une réponse favorable aux appelants, l'instruction devrait néanmoins avoir lieu et des appels pourraient être interjetés, non seulement à l'encontre de la décision définitive sur le fond, mais également à l'encontre des réponses données aux questions de droit.
Compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, je ne suis pas en mesure de conclure que, malgré les erreurs qu'il a peut-être commises, le juge de première instance a exercé à tort son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête des appelants fondée sur la Règle 474.
II"La requête de l'intimée fondée sur la Règle 419
L'intimée a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance visant à radier la déclaration des appelants parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Le juge de première instance a rejeté cette demande. Il était convaincu que la cause des appelants pouvait être défendable. Aucun motif ne justifie que je modifie cette conclusion.
Le juge a toutefois radié les sous-alinéas 12a)(iii), b)(iii), c)(iii), d)(i) et d)(ii) de la déclaration modifiée à deux reprises par laquelle les appelants sollicitaient, à son avis, des mesures de réparation qui ne relevaient pas de la compétence de la Cour.
Les sous-alinéas 12b)(iii) et c)(iii) sont identiques aux sous-alinéas 12a)(iii), mais concernent des appelants différents; il suffit donc de reproduire ici les sous-alinéas 12a)(iii), d)(i) et d)(ii):
[traduction] 12. Les demandeurs sollicitent les mesures de réparation qui suivent:
a) . . .
(iii) une lettre d'excuses convenable de la part du ministre responsable de l'ACDI ou du président de l'ACDI pour le harcèlement et la discrimination qu'a subis le demandeur Perera et la prise de mesures appropriées pour remédier aux effets défavorables que les réprimandes et évaluations discriminatoires à son égard continuent d'avoir sur sa réputation professionnelle;
. . .
d) (i) la cessation immédiate des actes discriminatoires et, afin de prévenir la répétition de ces actes ou d'actes similaires, la prise de mesures, dans un délai raisonnable, notamment l'adoption d'un programme ou d'un plan spécial, conçu pour corriger les effets défavorables des actes discriminatoires sur les minorités visibles à l'ACDI, plus particulièrement en ce qui concerne la discrimination exercée au cours de la période s'échelonnant entre les mois d'avril 1985 et de mars 1992;
(ii) la mise sur pied d'un programme d'équité en matière d'emploi qui garantirait qu'au cours des cinq prochaines années:
(aa) au moins 20 p. 100 des personnes qui seront nommées chaque année dans la catégorie des cadres supérieurs de l'ACDI proviennent d'une minorité visible;
(bb) au moins 20 p. 100 des personnes qui seront embauchées chaque année par l'ACDI proviennent d'une minorité visible; . . .
L'action des appelants se fonde sur l'article 24 de la Charte. Cet article, comme l'a dit le juge Lamer (devenu depuis juge en chef) dans l'arrêt Nelles c. Ontario9, "confère aux particuliers le droit de demander une réparation au tribunal compétent" et "permet assurément aux tribunaux d'accorder une réparation en cas de violation de la Constitution."
La règle veut donc que les tribunaux qui sont saisis d'une action fondée sur l'article 24 de la Charte et qui tirent des conclusions favorables au demandeur soient libres de lui accorder la réparation qu'ils estiment juste dans les circonstances.
La seule objection qui pourrait être opposée à la demande de réparation des appelants qui sollicitent des lettres d'excuses est que cette réparation serait, par nature, contraire à l'alinéa 2b) de la Charte qui protège la liberté d'expression10. Cette objection est bien fondée, mais il s'ensuit que cette réparation n'est possible que lorsqu'elle peut se justifier en regard de l'article premier; or, cette justification n'est pas une question que le tribunal peut trancher dans l'abstrait sans connaître tous les faits de l'espèce. Pour cette raison, les sous-alinéas 12a)(iii), b)(iii) et c)(iii) n'auraient pas dû être radiés à cette étape de la procédure.
Quant aux sous-alinéas 12d)(i) et (ii), qui ont également été radiés par le juge de première instance, ils demandent l'imposition de programmes visant à corriger et contrer les effets de la discrimination alléguée par les appelants. Dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)11, la Cour suprême a décidé que des réparations de ce genre, imposées par un tribunal canadien des droits de la personne pour empêcher et corriger la discrimination systémique, étaient entièrement justifiables. Dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor)12, la Cour suprême a conclu que, dans le cas où des attitudes ou un comportement devaient être modifiés, une approche fonctionnelle à l'égard des réparations s'imposait afin de garantir le respect de l'esprit et de l'objet des codes et dispositions législatives en matière de droits de la personne. Il s'ensuit nécessairement, selon moi, que les tribunaux doivent posséder, en vertu de l'article 24 de la Charte, le pouvoir d'imposer des réparations semblables lorsqu'ils le jugent approprié.
En fait, il serait étonnant que la Cour fédérale, qui est une cour supérieure d'archives investie d'un pouvoir de surveillance, n'ait pas compétence pour garantir le respect des droits à l'égalité prévus par la Constitution dans le champ de compétence fédérale en accordant à un citoyen lésé une réparation convenable et juste en application de l'article 24 de la Charte. Et il serait encore plus étonnant que la Cour soit privée de cette compétence alors que d'autres instances assujetties à son pouvoir de surveillance en seraient investies, plus particulièrement si ces autres instances n'étaient pas en mesure, en raison de contraintes législatives, d'accorder une réparation convenable et juste dans les circonstances. Selon les termes employés par le juge Pardu de la Cour de l'Ontario (Division générale), dans l'affaire Krznaric v. Chevrette13, les cours supérieures d'archives ont joué et continuent de jouer un rôle dans le redressement des torts causés dans le contexte de l'emploi.
Je crois que la Section de première instance de la Cour a compétence en vertu de l'article 24 pour accorder une réparation efficace en cas d'atteinte aux droits à l'égalité garantis par la Constitution, et on ne saurait nier que, dans le contexte de la discrimination systémique et lorsque les faits le justifient, une telle réparation, pour être juste et appropriée, peut prendre la forme des ordonnances demandées par les appelants.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel incident de l'intimée, j'accueillerais l'appel des appelants uniquement quant à la partie de l'ordonnance de la Section de première instance qui radie les sous-alinéas 12a)(iii), b)(iii), c)(iii), d)(i) et d(ii), et je remplacerais le deuxième paragraphe de l'ordonnance de la Section de première instance par la phrase suivante:
La Cour ordonne le rejet de la requête présentée en vertu de la Règle 419.
Je ne prononcerais pas d'ordonnance d'adjudication des dépens.
Le juge Pratte, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
1 Voici, en partie, le libellé du par. 474(1) des Règles:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d'une question, ou
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de l'action sous réserve de modification en appel.
2 R. c. Achorner, [1977] 1 C.F. 641 (C.A.), à la p. 647.
3 Pour cette raison, il est évident que les appelants ne sauraient avoir gain de cause en réclamant que la question soit tranchée à partir de la volumineuse preuve par affidavit qu'ils ont déposée.
4 Voir Page c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972] C.F. 1141 (C.A.), et Berneche c. Canada, supra, à la p. 388.
5 Supra, note 2, à la p. 646.
6 L'opinion contraire trouve appui dans la décision rendue par la Cour dans l'affaire Novopharm Ltd. c. Wyeth Ltd. (1986), 26 D.L.R. (4th) 80 (C.A.F.). Il faut toutefois souligner qu'une seule des quatre sources citées par la Cour dans cet arrêt à l'appui de son opinion portait directement sur la décision de la Section de première instance dans Asbjorn Hogard A/S c. Northwest Tackle Manufacturing Ltd., [1982] 1 C.F. 680.
7Voir Windsor Refrigerator Co. Ltd. v. Branch Nominees Ltd., [1961] 1 All E.R. 277 (C.A.). Dans cet arrêt, lord Evershed a déclaré, à la p. 283:
[traduction] . . . le cours qu'a pris cette affaire met en relief aussi clairement que quiconque, à ma connaissance, l'erreur de sagesse extrême que constitue le recours à cette procédure de questions préliminaires " sauf dans des circonstances très exceptionnelles. L'expérience m'a appris . . . que le raccourci qu'on espère ainsi emprunter s'avère inévitablement le chemin le plus long.
Voir aussi David (Asoka Kumar) v. M. A. M. M. Abdul Cader, [1963] 3 All E.R. 579 (P.C.). Dans cet arrêt, le vicomte Radcliffe a déclaré, à la p. 583:
[traduction] Aussi utile qu'il puisse être de débattre de questions préliminaires lorsqu'on a l'assurance que la décision à leur égard sera péremptoire aux fins de l'ensemble de l'action dans laquelle elles sont soulevées, l'expérience démontre qu'il faut faire preuve d'une grande prudence en déterminant dans quels cas il est opportun de permettre cette procédure. Autrement, cette démarche adoptée dans l'espoir de raccourcir l'instance et de réduire les coûts pourrait avoir seulement, en bout de ligne, un effet contraire à celui visé.
8 Voir Attorney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.), à la p. 162, le lord chancelier le vicomte Haldane [traduction] "Non seulement la cause des plaideurs futurs serait-elle compromise si la Cour posait des principes dans l'abstrait sans rapport ni lien avec des faits réels, mais encore pourrait-il se révéler pratiquement impossible de définir un principe convenablement et de façon sûre sans établir au préalable les faits précis auxquels il doit s'appliquer.
Voir aussi Tilling v. Whiteman, [1980] A.C. 1 (H.L.), aux p. 17 et 18, lord Wilberforce [traduction] "Ainsi, l'affaire nous a été soumise à partir de faits hypothétiques dont l'exactitude n'a pas encore été vérifiée dans le cadre d'une instruction. À l'instar de certains, j'ai souvent protesté contre la pratique qui consiste à permettre le débat sur des questions préliminaires, car cette démarche complique souvent la tâche des tribunaux d'appel et tend à accroître le coût et la durée des poursuites judiciaires. Si cette pratique ne peut se limiter aux causes dans lesquelles les faits sont complexes et où il est possible de trancher les questions juridiques facilement et rapidement, les situations dans lesquelles on l'adopte par dérogation à ce principe directeur devraient à tout le moins être exceptionnelles".
9 [1989] 2 R.C.S. 170, à la p. 196.
10 Voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.
11 [1987] 1 R.C.S. 1114, aux p. 1141, 1143 et suiv.
12 [1987] 2 R.C.S. 84.
13 (1997), 154 D.L.R. (4th) 527 (C. Ont. (Div. gén.)), à la p. 541.