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A-1031-96

( T-178-96 )

Énergie atomique du Canada Limitée (appelante)

c.

Roya Sheikholeslami (intimée)

Répertorié: Énergie atomique du Canada Ltéec. Sheikholeslami (C.A.)

Cour d'appel, juges Marceau, Strayer et Létourneau, J.C.A."Vancouver, 28 janvier; Ottawa, 24 février 1998.

Relations du travail Congédiement injusteUn arbitre a accueilli la plainte de congédiement injuste de l'intimée, mais a refusé sa demande de réintégrationAprès avoir subi des blessures au dos au travail, l'employée a été temporairement frappée d'incapacitéPar suite d'un examen des renseignements médicaux, elle a été jugée apte à retourner au travailElle n'y est pas retournée et a été congédiée pour cause d'abandon d'emploiAu cours de l'audience concernant la plainte de congédiement injuste, il a été mis en preuve que l'intimée avait exercé un autre emploi et qu'elle avait dissimulé ce renseignement, soutenant plutôt qu'elle était alors incapable de travaillerLa décision de l'arbitre n'était pas fondée uniquement sur son observation de l'attitude que les parties ont affichée pendant l'audienceLa réintégration ne constitue pas un droit que possède un employé injustement congédiéL'arbitre a agi dans les limites de sa compétence lorsqu'il a refusé la demande de réintégration de l'employéeLes tribunaux ne sont pas tenus de motiver leurs décisions, mais il est préférable qu'ils le fassentLa décision de l'arbitre est justifiée en raison de la malhonnêteté de l'intimée et de la façon dont elle s'y est prise pour frauder son employeur.

Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge des requêtes a infirmé la décision d'un arbitre qui avait accueilli la plainte de congédiement injuste de l'intimée, mais lui avait refusé la réintégration dans son poste auprès de l'appelante. L'intimée travaillait depuis plus de deux ans pour l'appelante comme ingénieure chimiste en recherche lorsque, le 5 janvier 1993, alors qu'elle se trouvait au travail, elle est tombée sur la glace et s'est blessée gravement au dos. Incapable de travailler après l'accident, elle a obtenu des prestations de la Commission des accidents du travail de l'Ontario. Après un certain temps, la Commission a examiné les renseignements médicaux au dossier et conclu que l'intimée était apte à retourner au travail. Comme elle ne s'est pas présentée au travail, elle a été avisée qu'elle était congédiée au motif qu'elle avait abandonné son poste. L'intimée a déposé une plainte de congédiement injuste fondée sur le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail et cette plainte a ensuite été renvoyée à un arbitre, conformément au paragraphe 242(1). Pendant l'audience, il a été mis en preuve que l'intimée avait travaillé à la University of British Columbia de septembre 1994 à avril 1995, période au cours de laquelle elle s'était déclarée incapable de travailler, et qu'elle avait dissimulé ce renseignement. L'arbitre a accueilli la plainte de l'intimée, mais refusé la demande de réintégration de celle-ci, ordonnant plutôt à l'appelante de lui verser un montant forfaitaire. Il a conclu qu'il ne pouvait plus y avoir de relation de travail viable en raison de la malhonnêteté de l'intimée. Le juge des requêtes a annulé la décision de l'arbitre quant au refus de la réintégration, soutenant que celui-ci avait eu tort de se fonder entièrement sur l'observation qu'il avait faite des parties pendant les quatre jours où elles ont comparu devant lui. C'est cette décision qui fait l'objet du présent appel.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Le juge Marceau, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge Strayer, J.C.A.): l'arbitre désigné en vertu de la partie III du Code canadien du travail doit non seulement recevoir et évaluer la preuve, mais aussi se servir de ses compétences spécialisées pour trouver une solution au différend à trancher en matière de relations de travail. La décision qu'un arbitre prend dans le cadre de sa compétence peut être infirmée dans une demande de contrôle judiciaire uniquement si elle est jugée manifestement déraisonnable, c'est-à-dire si elle est indubitablement irrationnelle ou illogique. La conviction de l'arbitre quant à la rupture de la relation de travail était fondée sur ses compétences spécialisées et ne peut être jugée irrationnelle. Il n'y a pas lieu de dire que l'arbitre s'est fondé entièrement sur l'observation qu'il a faite de la conduite des parties au cours de l'audience. Ce sont les mesures que l'intimée a prises pour frauder son employeur qui ont donné une signification spéciale au comportement des parties pendant l'audience. La réintégration n'est pas un droit que possède un employé congédié injustement. Les tribunaux n'exigeront pas l'exécution intégrale d'un contrat de louage de services lorsque cette exécution est fondée à tout instant sur une bonne dose de dévouement et de bonne volonté de la part de l'une des parties ou des deux. Le paragraphe 242(4) du Code énonce que l'arbitre est pleinement autorisé à ordonner le paiement d'une indemnité en remplacement de la réintégration s'il estime que le lien de confiance qui existait entre les parties ne peut être rétabli. L'arbitre a agi dans les limites de sa compétence; il a exercé son pouvoir de redressement selon les limites autorisées par le Parlement et les motifs de sa décision étaient fondés sur des facteurs tout à fait légitimes. Une fois que la légitimité de la conviction de l'arbitre a été établie, seul le caractère raisonnable de cette conviction sur le plan subjectif pouvait être mis en doute et un tribunal de révision n'est pas autorisé à le faire.

Le juge Létourneau, J.C.A. (motifs concordants): la conduite des parties au cours de l'audition d'une plainte de congédiement injuste est un facteur pertinent dont l'arbitre pouvait tenir compte pour décider s'il y avait lieu de réintégrer dans son emploi l'intimée injustement congédiée. En plus d'observer la conduite des parties à l'audience, l'arbitre a été saisi d'une preuve accablante de la malhonnêteté dont l'intimée a fait montre envers lui-même et son employeur lorsqu'elle a menti au sujet du fait qu'elle avait travaillé à la University of British Columbia après avoir été congédiée par l'appelante. L'intimée a tenté de tirer profit de l'arbitre et de son employeur en dissimulant la vérité. C'est la malhonnêteté de l'intimée qui a convaincu l'arbitre qu'il ne pouvait plus y avoir de relation de travail viable. Les tribunaux ne sont pas tenus de motiver leurs décisions lorsque cette obligation n'est pas énoncée expressément dans la loi pertinente. Cependant, il est nécessaire de fournir des précisions au soutien de la décision de ne pas accorder la réintégration à un employé lorsque le refus en question se fonde uniquement sur la conduite et l'attitude des parties à l'audition de la plainte. Lorsque le congédiement est jugé injuste, la réintégration devrait être accordée, à moins que la preuve n'indique manifestement le contraire. L'arbitre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la réintégration d'un employé, mais il doit exercer ce pouvoir discrétionnaire judiciairement. L'arbitre a bien justifié sa conclusion, compte tenu de la malhonnêteté de l'intimée.

lois et règlements:

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 240(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 242 (mod., idem, art. 16).

jurisprudence

décisions appliquées:

Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.); R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227; (1995), 129 D.L.R. (4th) 657; 102 C.C.C. (3d) 193; 43 C.R. (4th) 269; 65 B.C.A.C. 37; 188 N.R. 284; 106 W.A.C. 37; R. c. Barrett, [1995] 1 R.C.S. 752; (1995), 21 O.R. (3d) 736; 96 C.C.C. (3d) 319; 38 C.R. (4th) 1; 179 N.R. 68; 80 O.A.C. 1; R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291; (1996), 136 D.L.R. (4th) 525; 144 Sask. R. 81; 107 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (4th) 368; 197 N.R. 321; R. c. McMaster, [1996] 1 R.C.S. 740; (1996), 181 A.R. 199; [1996] 4 W.W.R. 660; 37 Alta. L.R. (3d) 305; 105 C.C.C. (3d) 193; 46 C.R. (4th) 41; 194 N.R. 278; 116 W.A.C. 199.

décisions examinées:

Énergie atomique du Canada Ltée et Roya c. Sheikholeslami, [1995] C.L.A.D. no 1141 (QL); Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Doody, [1994] 1 A.C. 531 (H.L.).

décisions citées:

Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652; (1993), 109 D.L.R. (4th) 272; 18 Admin. L.R. (2d) 67; 1 C.C.E.L. (2d) 75; 94 CLLC 14,006; 161 N.R. 66 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; (1993), 101 D.L.R. (4th) 673; 11 Admin. L.R. (2d) 59; 93 CLLC 14,022; 150 N.R. 161; International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 et al. v. Winnipeg Builders' Exchange et al., [1967] R.C.S. 628; (1967), 67 CLLC 14,053; 61 W.W.R. 682; De Francesco v. Barnum (1890), 45 Ch. D. 430; Howarth v. City of Prince George (1957), 14 D.L.R. (2d) 752; 24 W.W.R. 585 (C.S. C.-B.); Page One Records Ltd. v. Britton, [1968] 1 W.L.R. 157 (Ch.D.); Ryan v. Mutual Tontine Westminster Chambers Association, [1893] 1 Ch. 116 (C.A.); Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324; (1975), 57 D.L.R. (3d) 386; [1975] 5 W.W.R. 575; 75 CLLC 14,280; 5 N.R. 99; Molson's Brewery (Ontario) Ltd. and United Brewery Workers, Local 304, Re (1983), 12 L.A.C. (3d) 313 (Ont.); Re United Steelworkers of America, Local 12998 v. Liquid Carbonic Inc. (1996), 29 O.R. (3d) 468 (C. div.).

doctrine

Christie, Innis et al. Employment Law in Canada, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1993.

APPEL d'une décision d'un juge des requêtes ([1996] F.C.J. no 1547 (1re inst.) (Q.L.)) annulant la décision par laquelle un arbitre a accueilli la plainte de congédiement injuste de l'intimée, mais lui a refusé la réintégration dans son emploi auprès de l'appelante. Appel accueilli.

avocats:

Stephen Bird, pour l'appelante.

Stuart A. Rush, c.r., pour l'intimée.

procureurs:

Kimmel, Victor, Ages, Ottawa, pour l'appelante.

Rush, Crane, Guenther & Adams, Vancouver, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A.: Sur le fondement du pouvoir qui lui a été conféré en vertu de l'article 242 de la partie III du Code canadien du travail1, un arbitre a accueilli la plainte de congédiement injuste de l'intimée, mais lui a refusé la réintégration dans son poste auprès de l'appelante. Saisi de la demande de contrôle judiciaire se rapportant à cette décision, le juge des requêtes a annulé le refus de la demande de réintégration au motif que cette décision n'était pas fondée sur la preuve. Il s'agit d'un appel de cette décision [[1996] F.C.J. no 1547 (1re inst.) (QL)].

Les faits sont relativement simples et ne sont pas contestés. L'intimée travaillait depuis plus de deux ans pour l'appelante comme ingénieure chimiste en recherche lorsque, le 5 janvier 1993, alors qu'elle se trouvait au travail, elle est tombée après avoir glissé sur la glace et s'est blessée au dos. La grave blessure qu'elle a subie au bas de la colonne vertébrale l'a rendue incapable de marcher. Elle a demandé des prestations à la Commission des accidents du travail de l'Ontario (la Commission) et sa demande a été accueillie.

Quelques mois plus tard, en juin, la Commission a commencé à étudier la possibilité d'un retour au travail de l'intimée, sinon à temps plein, du moins sur une base réduite, l'appelante ayant indiqué clairement sa volonté de s'adapter à toute restriction quant à la capacité de l'intimée de retourner au travail. Celle-ci, qui avait alors déménagé chez sa sœur à Vancouver, a immédiatement fait parvenir à la Commission l'avis écrit de son nouveau médecin selon lequel elle était encore totalement incapable de retourner au travail. Toutefois, en septembre, la Commission fait savoir à l'intimée qu'un examen des renseignements médicaux au dossier l'incitait à conclure que l'état de celle-ci s'était amélioré au point où elle pouvait retourner au travail et exercer, à tout le moins, des fonctions réduites. Enfin, deux mois plus tard, la Commission a fait parvenir à l'intimée un avis officiel indiquant qu'elle la jugeait maintenant apte à reprendre les fonctions qu'elle exerçait avant l'accident.

Dès qu'elle a été mise au courant de la décision de la Commission, l'appelante a écrit à l'intimée pour lui demander de reprendre ses fonctions avant le 1er décembre 1993, en précisant que son absence serait considérée comme un abandon d'emploi. L'intimée a demandé un délai supplémentaire pour fournir d'autres renseignements médicaux; cependant, le 16 décembre 1993, elle a été avisée que, étant donné qu'elle n'était pas retournée au travail, elle était congédiée.

L'intimée a déposé une plainte de congédiement injuste fondée sur le paragraphe 240(1) [mod., idem, art. 15] du Code2, à laquelle l'appelante a répondu en disant essentiellement qu'elle avait [traduction] "eu du mal à obtenir la collaboration de la part de Mme Sheikholeslami", et que [traduction ] "son attitude nous indique également que la relation d'emploi n'est plus viable". La plainte a ensuite été renvoyée à un arbitre, conformément au paragraphe 242(1) du Code3 , qui a fixé l'audience du 25 au 27 juillet 1995; cette audience a été reportée et a finalement été tenue du 17 au 20 octobre de la même année.

Au cours de l'audience, il a été mis en preuve que l'intimée avait travaillé comme chargée de cours à temps partiel et tutrice à la University of British Columbia de septembre 1994 à avril 1995. L'intimée avait dissimulé ce renseignement à l'époque, soutenant au contraire qu'elle était alors incapable de travailler. De l'avis de l'arbitre, cette dissimulation n'avait rien à voir avec la question de savoir si le congédiement lui-même était injuste. Reprochant à l'appelante d'avoir congédié son employée en se fondant uniquement sur la conclusion de la Commission des accidents du travail sans en arriver à sa propre décision quant à la valeur des renseignements médicaux fournis, il a accueilli la plainte. Cependant, il a ajouté que la tentative délibérée de l'intimée en vue de dissimuler la vérité et de profiter de la situation devait avoir des répercussions importantes sur la réparation. Il a d'abord refusé à l'intimée le droit de recevoir une indemnité à l'égard du salaire qu'elle avait perdu au cours de la période allant de septembre 1994 jusqu'à la date de l'audience et lui a ensuite refusé le droit à la réintégration dans son emploi, ordonnant plutôt à l'appelante de lui verser un montant forfaitaire. Voici les explications qu'il a invoquées au soutien de cette dernière décision:

[traduction] Qui plus est, la plaignante ne sera pas réintégrée dans son emploi. À cet égard, j'ai tenu compte du fait que le poste qu'occupait la plaignante était dans une large mesure fondé sur la confiance. J'ai observé les parties pendant une longue audience qui s'est poursuivie pendant quatre jours, et il est évident que les rapports entre les parties se sont tellement détériorés qu'il était déjà douteux qu'elles puissent continuer d'entretenir une relation de travail. La dissimulation de la plaignante a été le comble. Je suis maintenant convaincu qu'il ne peut plus y avoir de relation de travail viable. La confiance nécessaire a disparu.

Le juge des requêtes a convenu avec l'arbitre que le manque de franchise de l'intimée relativement à son emploi était un facteur dont il fallait tenir compte pour déterminer l'indemnité à laquelle elle avait droit au titre du salaire et des avantages qu'elle avait perdus. Toutefois, il n'était pas d'accord avec la décision que l'arbitre avait rendue au sujet de la réintégration et s'est exprimé de la manière suivante [aux paragraphes 20 à 22]:

J'annule malgré tout la décision de l'arbitre de refuser la réintégration de la requérante. Le rôle d'un arbitre lors d'une audience de cette nature est de recevoir et d'apprécier la preuve. C'est sur cette preuve, et non sur de simples suppositions de sa part, qu'il doit faire reposer sa décision. Dans la présente espèce, il n'est nulle part question dans la décision d'un élément de preuve au soutien de la conclusion selon laquelle la relation entre les parties s'est détériorée au point de rendre la réintégration impossible. Au contraire, la décision de l'arbitre repose entièrement sur l'observation qu'il a faite des parties pendant les quatre jours où elles ont comparu devant lui. C'est insuffisant.

Il ne convient pas de faire reposer une décision en matière de réintégration sur la conduite des parties pendant une audience comme celle-ci. Il s'agit d'une procédure quasi-judiciaire et, de par sa nature, contradictoire. Les parties sont représentées par des avocats qui font des contre-interrogatoires rigoureux et des plaidoiries enflammées puisque leurs clients ont le droit de faire valoir des arguments convaincants et de présenter une défense pleine et entière. Ce genre de climat n'est pas une norme fiable pour déterminer si une relation de travail s'est détériorée au point d'empêcher la réintégration.

Pour refuser la réintégration demandée par la requérante, l'arbitre doit avoir été saisi d'éléments de preuve de nature objective qui montrent comment et pourquoi la relation de travail s'est irrémédiablement détériorée. J'ajouterais qu'il ne suffit pas que l'employeur fasse des suppositions subjectives quant à la raison pour laquelle la réintégration est contre-indiquée.

Il me paraît difficile de faire mienne l'opinion du juge des requêtes.

Je conteste d'abord la validité des premiers commentaires qu'il a formulés quant au rôle de l'arbitre. L'arbitre désigné en vertu de la partie III du Code doit non seulement recevoir et évaluer la preuve, mais aussi se servir de ses compétences spécialisées pour trouver une solution au différend à trancher en matière de relations de travail. C'est surtout en raison de l'importance de ces compétences que le Parlement a décidé de protéger la décision de l'arbitre par une clause privative des plus strictes. Il a été répété à maintes reprises que la décision d'un arbitre peut être infirmée dans une demande de contrôle judiciaire uniquement si elle est jugée manifestement déraisonnable, c'est-à-dire si elle est indubitablement irrationnelle ou illogique, à moins que l'arbitre n'ait outrepassé sa compétence4. Il m'apparaît évident que la conviction de l'arbitre quant à la rupture de la relation de travail était fondée sur ses compétences spécialisées et je ne puis voir en quoi elle pourrait être irrationnelle, sauf si elle s'appuyait sur des motifs répréhensibles.

Je ne suis pas d'accord non plus avec le juge des requêtes lorsqu'il dit que l'arbitre s'est fondé entièrement sur l'observation qu'il a faite de la conduite des parties au cours de l'audience. À mon avis, c'est la malhonnêteté de l'intimée et la façon dont elle s'y est prise pour frauder son employeur qui ont donné une signification spéciale au comportement des parties pendant l'audience.

Toutefois, ce qui m'apparaît particulièrement douteux, c'est le raisonnement général que le juge des requêtes a suivi. À mon sens, la réintégration n'est pas un droit qu'un employé congédié injustement possède au même titre qu'un droit de la personne. Selon un principe bien établi en common law et en droit civil, les tribunaux n'exigeront pas l'exécution intégrale d'un contrat de louage de services lorsque cette exécution est fondée à tout instant sur une bonne dose de dévouement et de bonne volonté de la part de l'une des parties ou des deux. Dans le cas d'un contrat d'emploi, la règle a été appliquée à l'origine à l'employé qui ne pouvait être contraint d'exécuter les travaux prévus sans faire l'objet d'une surveillance constante et être réduit pour ainsi dire à l'esclavage, mais les tribunaux n'ont pas tardé à l'appliquer à l'employeur au motif que les obligations étaient réciproques et supposaient l'existence d'un rapport de confiance qui ne peut être exigé ou imposé de force5.

Les dispositions du Code canadien du travail qui concernent le congédiement injuste des employés non syndiqués ont sans doute pour effet de modifier la règle traditionnelle selon laquelle l'exécution intégrale d'un contrat d'emploi ne peut en aucun cas être exigée. Cependant, elles ne créent certainement pas un droit en faveur de l'employé injustement congédié et ne pourraient d'ailleurs aller aussi loin. Ce droit irait à l'encontre du bon sens qui constitue précisément le fondement de la règle traditionnelle. Les dispositions en question énoncent simplement que la réintégration est une réparation pouvant être accordée dans les cas opportuns. En pratique, il s'agit de la réparation que les arbitres préfèrent le plus souvent accorder pour dédommager pleinement l'employé des préjudices réels qu'il a subis par suite de son congédiement6. Cependant, une simple lecture du paragraphe 242(4) du Code7 indique sans conteste que l'arbitre est pleinement autorisé à ordonner le paiement d'une indemnité en remplacement de la réintégration s'il estime que le lien de confiance qui existait entre les parties ne peut être rétabli.

À mon avis, il est difficile de nier en l'espèce que l'arbitre a agi dans les limites de sa compétence, qu'il a exercé son pouvoir de redressement selon les limites autorisées par le Parlement et que les motifs de sa décision étaient fondés sur des facteurs tout à fait légitimes. Encore là, si la preuve de faits survenus après le congédiement ne peut être pertinente quant à la question du congédiement injuste lui-même, elle peut le devenir au moment de fixer la réparation à accorder. Une interprétation prospective et non rétrospective est alors implicitement exigée8.

Je refuse de croire que la conduite des parties au cours de l'instruction n'avait aucune importance parce que les sentiments qu'elles ont pu exprimer l'une envers l'autre étaient influencés par la nature contradictoire des procédures. À mon avis, l'atmosphère d'un débat en salle d'audience peut expliquer et excuser l'animosité entre les participants jusqu'à un certain point seulement. Je ne crois pas non plus que l'arbitre était tenu de décrire avec précision les événements qui ont influencé son jugement de manière à prouver qu'il était justifié de conclure que la viabilité de la relation de travail était définitivement compromise, compte tenu, surtout, de la nature de l'emploi en jeu et du degré de confiance élevé qui s'y rattachait. Indépendamment du fait qu'il deviendrait nécessaire de décrire minutieusement une foule d'incidents mineurs, l'exercice serait inutile. Une fois que la légitimité de la conviction de l'arbitre a été établie et qu'il devient évident qu'aucun facteur non pertinent n'est intervenu, seul le caractère raisonnable de cette conviction sur le plan subjectif pouvait être mis en doute et un tribunal de révision n'est pas autorisé à le faire. En fait, il est difficile de supposer que le tribunal de révision pourrait ordonner à l'arbitre d'imposer une réparation qui, de l'avis de ce dernier, est manifestement irréalisable.

Par conséquent, il y a lieu à mon avis d'accueillir l'appel, d'annuler le jugement de la Section de première instance et de confirmer la décision de l'arbitre.

Le juge Strayer, J.C.A.: J'y souscris.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Marceau et je reconnais que l'appel devrait être tranché de la façon qu'il propose.

Cependant, j'aimerais formuler certaines préoccupations au sujet de la conclusion de l'arbitre selon laquelle la relation de travail n'était plus viable et la confiance qui doit exister entre l'employeur et l'employée avait disparu. Il importe de reproduire le texte intégral des commentaires de l'arbitre, sur lesquels le juge des requêtes s'est fondé pour modifier la décision:

J'ai observé les parties pendant une longue audience qui s'est poursuivie pendant quatre jours, et il est évident que les rapports entre les parties se sont tellement détériorés qu'il était déjà douteux qu'elles puissent continuer d'entretenir une relation de travail. La dissimulation de la plaignante a été le comble. Je suis maintenant convaincu qu'il ne peut plus y avoir de relation de travail viable. La confiance nécessaire a disparu9.

L'avocat de l'intimée a fait valoir devant nous que la conduite des parties au cours de l'audition d'une plainte de congédiement injuste est un facteur non pertinent ou une question externe dont l'arbitre ne peut tenir compte pour décider s'il y a lieu de réintégrer dans son emploi la plaignante injustement congédiée. Je ne suis pas d'accord.

Tant la conduite que les parties adoptent au cours de leur témoignage10 que l'attitude qu'elles affichent dans la salle d'audience au fur et à mesure que l'instance se déroule11 peuvent être des facteurs pertinents pour décider s'il y a lieu d'ordonner la réintégration. Cependant, certaines limites et normes de protection doivent être respectées; j'y reviendrai plus loin.

L'avocat de l'intimée a également soutenu que l'arbitre n'était saisi d'aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la relation de travail avait été rompue de façon irrémédiable. De plus, selon l'avocat, l'arbitre s'est montré injuste sur le plan de la procédure lorsqu'il a décidé de ne pas ordonner la réintégration par suite de la conduite que les parties avaient adoptée au cours de l'audience sans préciser les éléments de la conduite en question qui constituent une preuve de la rupture de la relation de travail.

À la décharge de l'arbitre, je dois dire qu'en plus d'observer la conduite qu'elles ont affichée à l'audience, il a été saisi d'une preuve accablante de la malhonnêteté dont la plaignante a fait montre envers son employeur et lui-même lorsqu'elle a menti au sujet du fait qu'elle avait travaillé à la University of British Columbia après avoir été congédiée. Selon l'arbitre, elle a tenté de tirer profit de lui et de son employeur en dissimulant la vérité.

En ce qui a trait à l'allégation d'iniquité sur le plan de la procédure, une lecture attentive de l'extrait pertinent de la décision de l'arbitre indique clairement, à mon sens, qu'il n'a pas conclu que la relation de travail avait été rompue de façon irrémédiable avant que la plaignante mente sous serment. En d'autres termes, il a simplement conclu, après avoir observé la conduite des parties à l'audience que, pour reprendre son expression, il était très douteux qu'elles puissent continuer à entretenir une relation de travail. C'est la malhonnêteté de la plaignante qui a fait pencher la balance et qui l'a ensuite convaincu qu'il ne pouvait plus y avoir de relation de travail viable.

Toutefois, ceci étant dit, j'ajoute immédiatement qu'il est très imprudent de la part d'un arbitre de ne pas indiquer les éléments de la conduite des parties à l'audience qui compromettent leur relation de travail.

Comme notre collègue le juge Strayer l'a dit dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)12, les tribunaux ne sont pas tenus, selon les principes de base de notre système de droit, de motiver leurs décisions lorsque cette obligation n'est pas énoncée expressément dans la loi pertinente.

Toutefois, les allégations d'iniquité découlant de l'omission de motiver les décisions ont continué à proliférer et ont parfois été examinées avec bienveillance, surtout lorsque, par suite de ce manquement, le contrôle judiciaire d'une décision devient pour ainsi dire impossible. Dans l'arrêt Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Doody13, la Chambre des lords a conclu que le secrétaire de l'Intérieur était tenu, au nom de l'équité procédurale, d'indiquer à un prisonnier à vie pourquoi il avait fixé la période minimale d'emprisonnement précédant l'admissibilité à la libération conditionnelle à une période différente de celle que la magistrature avait recommandée, sans quoi le prisonnier, qui avait le droit de demander un contrôle judiciaire de la décision du secrétaire de l'Intérieur, n'aurait aucun moyen de savoir si le processus décisionnel avait dérapé ou non. Comme lord Mustill l'a dit en ce qui a trait au prisonnier:

[traduction] Il ne voit jamais le secrétaire de l'Intérieur; il n'a aucune conversation avec lui; il ne peut savoir ce qui se passe dans son esprit. Il n'y a aucun barème véritable ou, à tout le moins, aucun barème publiquement accessible qui pourrait donner au prisonnier un aperçu de ce à quoi il peut s'attendre. La date de sa première révision lui est annoncée de but en blanc, sans explication. L'oracle distant a parlé, tout a été dit14.

Dans l'arrêt R. c. Shropshire15, le juge Iacobucci a d'abord rappelé qu'un juge de première instance ne commet pas d'erreur du simple fait qu'il n'invoque aucun motif au soutien de sa décision, mais il a ajouté que, de manière générale, il est toujours souhaitable, pour les questions aussi importantes que celle de la détermination de la peine, que le juge de première instance précise les motifs de sa décision, car la Cour d'appel est ainsi mieux en mesure d'évaluer le caractère raisonnable de la détermination de la peine.

Dans R. c. Barrett16, le juge Iacobucci a répété le même principe et ajouté qu'il peut y avoir des cas où des motifs sont nécessaires.

Dans R. c. R. (D.)17, le juge Major a annulé la décision du juge de première instance, parce que celui-ci n'avait pas commenté la preuve bizarre et contradictoire concernant les allégations d'agression. À la page 318, il a conclu en ces termes:

Selon les circonstances d'une affaire donnée, il peut être souhaitable que le juge du procès explique ses conclusions.

Dans R. c. McMaster18, le juge en chef Lamer a conclu de la manière suivante:

. . . dans un cas où il appert que le droit est incertain, il serait sage que le juge du procès rédige des motifs exposant les principes juridiques sur lesquels se fonde la déclaration de culpabilité, de manière que toute erreur qui peut s'être glissée puisse être identifiée plus facilement.

À mon avis, il se peut très bien que le refus par un arbitre d'accorder la réintégration à un employé injustement congédié soit le type d'affaire que le juge Iacobucci avait en tête dans l'arrêt Barrett, précité, c'est-à-dire un cas où il est nécessaire de fournir des précisions au soutien de la décision lorsque le refus en question se fonde uniquement sur la conduite et l'attitude des parties à l'audition de la plainte.

Il est vrai que la réintégration n'est pas un droit, même lorsque le congédiement est jugé injuste; cependant, comme les auteurs I. Christie et al. le soulignent, une très grande prudence s'impose au moment d'invoquer l'exception à la réintégration, faute de quoi l'employé congédié injustement risque d'être pénalisé en perdant son emploi19. En fait, une conclusion de congédiement injuste signifie que la relation de travail n'aurait pas dû être rompue au départ. En pareil cas, il existe nettement une présomption en faveur de la réintégration, sauf lorsque la preuve indique manifestement le contraire.

Dans une affaire concernant un droit aussi fondamental et important pour le citoyen que celui de travailler, il ne suffit pas à mon avis que l'arbitre dise simplement que, compte tenu de ce qu'il a vu à l'audience, sans préciser ce qu'il a vu exactement, il est convaincu que la relation de travail entre les parties n'est plus viable et que, par conséquent, l'employé qui a été injustement congédié ne devrait pas être réintégré. L'employé déjà lésé, qui a vu son grief accueilli, ne s'attend certainement pas à cette décision que l'arbitre fait connaître pour la première fois sans donner d'explication satisfaisante. Pour reprendre les propos de lord Mustill dans l'arrêt Doody, précité, l'oracle a parlé, tout a été dit. Lorsque l'arbitre décide de ne pas réintégrer dans son emploi un employé injustement congédié en se fondant uniquement sur l'attitude et la conduite des parties à l'audience, il devrait donner des précisions satisfaisantes quant aux éléments de la conduite et de l'attitude des parties qui constituent le fondement d'une décision aussi importante. Autrement, la décision est non seulement inéquitable, mais risque de donner lieu à des abus, car des éléments externes et non pertinents pourront être pris en compte et devenir le facteur déterminant de la décision, tandis que la justification véritable de l'attitude de l'employé pourra être ignorée impunément ainsi que d'autres facteurs et circonstances importants, sans compter que l'employeur pourra aussi être tenté de jouer la comédie afin de tirer profit d'un congédiement injuste ou illégal. L'arbitre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la réintégration d'un employé, mais il doit exercer et paraître exercer ce pouvoir discrétionnaire judiciairement.

Comme je l'ai déjà indiqué plus tôt, je suis convaincu que, dans la présente affaire, l'arbitre a bien justifié sa conclusion en faisant état de la malhonnêteté de la plaignante.

1 L.R.C. (1985), ch. L-2 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16].

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si:

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

3 Voici le texte du par. 242(1):

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

4 Voir, notamment, Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941.

5 Voir International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 et al. v. Winnipeg Builders' Exchange et al, [1967] R.C.S. 628; Ryan v. Mutual Tontine Westminster Chambers Association, [1893] 1 Ch. 116 (C.A.); De Francesco v. Barnum (1890), 45 Ch. D. 430; Howarth v. City of Prince George (1957), 14 D.L.R. (2d) 752 (C.S. C.-B.); Page One Records Ltd. v. Britton, [1968] 1 W.L.R. 157 (Ch. D.); et Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324.

6 Toutefois, il convient de souligner qu'entre 1978 et 1984, la réintégration des employés injustement congédiés n'a été ordonnée que dans 54 pour cent des cas. Aucune donnée n'a été présentée pour les années postérieures. Voir I. Christie, G. England & W. B. Cotter, Employment Law in Canada, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1993), à la p. 709. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi une indemnité sous forme de dommages-intérêts ne pourrait dédommager pleinement l'employé injustement congédié.

7 Voici le texte de cette disposition:

242. . . .

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

8 Sur ce point, voir Molson's Brewery (Ontario) Ltd. and United Brewery Workers, Local 304, Re (1983), 12 L.A.C. (3d) 313 (Ont.).

9 Décision de l'arbitre, [1995] C.L.A.D. no 1141 (QL), au par. 57.

10 Re United Steelworkers of America, Local 12998 v. Liquid Carbonic Inc. (1996), 29 O.R. (3d) 468 (C. div.), à la p. 469.

11 Re Canada Post Corporation and Canadian Union of Postal Workers, décision qu'un arbitre a rendue le 31 mars 1995; la Cour divisionnaire de l'Ontario a rejeté la demande de contrôle judiciaire s'y rapportant le 26 juin 1996 dans le dossier no 937/95.

12 [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), aux p. 672 et 673.

13 [1994] 1 A.C. 531 (H.L.), aux p. 564 à 566.

14 Id. à la p. 565.

15 [1995] 4 R.C.S. 227, à la p. 251.

16 [1995] 1 R.C.S. 752, à la p. 753.

17 [1996] 2 R.C.S. 291.

18 [1996] 1 R.C.S. 740, à la p. 751.

19 Employment Law in Canada, 2e éd., Toronto: Butterworths, 1993, à la p. 710.

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