[1993] 1 C.F. 74
T-639-92
T-1306-92
T-1307-92
T-1316-92
T-1317-92
T-1318-92
T-1320-92
Canadien Pacifique Limitée (requérante)
c.
La bande indienne de Matsqui et le conseil de la bande indienne de Matsqui; la bande indienne de Shuswap et le conseil de la bande indienne de Shuswap; la bande indienne de Nicomen et le conseil de la bande indienne de Nicomen; la bande indienne Skuppah et le conseil de la bande indienne Skuppah; la bande indienne de Spuzzum et le conseil de la bande indienne de Spuzzum; la bande indienne Kanaka et le conseil de la bande indienne Kanaka; la bande indienne Siska et le conseil de la bande indienne Siska (intimés)
Répertorié : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1re inst.)
Section de première instance, juge Joyal—Vancouver, 25 septembre; Ottawa, 13 octobre 1992.
Contrôle judiciaire — Fin de non-recevoir opposée aux avis de requête en annulation d’avis de cotisation concernant des terres situées dans les réserves des intimés — La requérante soutient que ces terres sont exemptées de taxes — Il échet d’examiner si ces terres détenues par Canadien Pacifique Ltée en vertu d’une concession de la Couronne sont soumises à l’application des règlements pris par les conseils de bande avec l’approbation de l’autorité fédérale et autorisant ces bandes à imposer les droits fonciers sur les terres situées dans leurs réserves en Colombie-Britannique — Ces règlements prévoient une procédure d’appel — Le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire — Il est d’usage de décliner compétence quand un droit d’appel existe, sauf cas exceptionnel — Les requêtes fondées sur l’art. 18 étant soumises à une procédure sommaire comme tous les autres recours en bref de prérogative, les commissions de révision sont plus indiquées pour recevoir et examiner les preuves et témoignages se rapportant au litige.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Fin de non-recevoir opposée aux avis de requête en annulation des avis de cotisation établis par les intimés, en application des règlements de conseil de bande approuvés par l’autorité fédérale, relatifs à des terres situées dans les réserves et dont la requérante soutient qu’elles sont exemptées de taxes — Les règlements prévoient une procédure d’appel contre les cotisations — Le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire — Il est d’usage de décliner compétence quand un droit d’appel existe, sauf cas exceptionnel — Les requêtes fondées sur l’art. 18 étant soumises à une procédure sommaire comme tous les autres recours en bref de prérogative, les commissions de révision sont plus indiquées pour recevoir et examiner les preuves et témoignages se rapportant au litige.
Peuples autochtones — Taxation de terres situées dans les réserves — Il échet d’examiner si ces terres détenues par Canadien Pacifique Ltée en vertu d’une concession de la Couronne sont soumises à l’application des règlements pris par les conseils de bande avec l’approbation de l’autorité fédérale et autorisant ces bandes à imposer les droits fonciers sur les terres situées dans leurs réserves en Colombie-Britannique.
Le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avait approuvé, en application de l’article 83 de la Loi sur les Indiens, un certain nombre de règlements pris par des conseils de différentes bandes indiennes et les autorisant à imposer les droits fonciers sur les terres réservées à leur usage et occupation. Chacun des intimés a subséquemment établi des cotisations de taxe. La requérante, soutenant que ces terres sont détenues en vertu d’une concession de la Couronne et, de ce fait, exemptées de taxes, s’est fondée sur l’article 18 pour demander l’annulation des avis de cotisation. Les intimés opposent une fin de non-recevoir à ces avis de requête introductifs d’instance par ce motif que la validité des règlements ne peut être contestée par voie de recours en contrôle judiciaire ou que la Cour devrait refuser le redressement discrétionnaire recherché puisque le droit d’appel est prévu dans les règlements en cause.
Jugement : il faut faire droit à la fin de non-recevoir.
Bien que la Cour d’appel fédérale ait conclu (dans Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309) que les contribuables ne pouvaient intenter la procédure de contrôle judiciaire prévue à l’article 18 pour contester les cotisations établies sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, il a été jugé que si la cotisation est de nullité absolue ou si l’autorité fiscale a commis des actes ultra vires, il est possible de saisir une cour supérieure, peu importe que la loi ait prévu une procédure d’appel plus expéditive (Abel Skiver Farm Corporation c. Ville de Sainte-Foy et autre, [1983] 1 R.C.S. 403).
La caractéristique fondamentale du contrôle judiciaire est celle d’un recours exceptionnel et extraordinaire. Ce recours ne peut être exercé qu’en l’absence de toute autre voie de droit. Le redressement que peut accorder une cour par voie de contrôle judiciaire demeure essentiellement discrétionnaire. Il est d’usage de décliner compétence quand un droit d’appel existe, sauf cas exceptionnel.
Il n’échet pas d’examiner si la Cour a compétence en l’espèce, mais s’il ne serait pas préférable que l’affaire soit débattue dans le cadre des procédures de contestation prévues aux règlements en question. Bien que la jurisprudence et la doctrine ne soient pas unanimes pour ce qui est du principe de la non-intervention des tribunaux judiciaires en cas de droit d’appel prévu par le texte applicable, la cour qui exerce son pouvoir discrétionnaire examinera s’il existe un processus d’appel qui permet de trancher effectivement le litige.
Les dispositions en matière de contestation des règlements de taxation en cause permettent de conclure qu’il y a un processus d’appel efficace pour trancher toutes les questions que soulève la requérante. Il ne serait pas conforme à l’intérêt public ni n’y contribuerait de passer outre aux dispositions des règlements en matière d’appel.
Qui plus est, la requérante ne conteste pas une cotisation parce que ses terres et améliorations étaient jusqu’ici exemptées d’impôt. Une autorité fiscale a été remplacée par une autre.
Que les terres détenues par la requérante soient ou non des « terres de réserve » soumises à l’autorité des bandes indiennes, c’est là une question qui tombe dans le champ d’application des dispositions sur les contestations, lesquelles dispositions doivent être respectées.
Enfin, les requêtes fondées sur l’article 18 étant soumises à une procédure sommaire, les commissions de révision sont plus indiquées pour recevoir et examiner les preuves et témoignages se rapportant au litige.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 2.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par S.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.5 (édicté, idem).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1), 83 (mod., idem, art. 10).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Wilfong, Re Cathcart v. Lowery (1962), 32 D.L.R. (2d) 477; 37 W.W.R. 612; 37 C.R. 319 (C.A. Sask.); Alliance de la Fonction publique du Canada et autres c. Canada (Conseil du Trésor) et autres (1990), 36 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.); Lethbridge, City of, v. Can. West. Nat. Gas, L., H. & P. Co., [1923] R.C.S. 652; [1923] 4 D.L.R. 1055; [1923] 3 W.W.R. 976; Terrasses Zarolega Inc. et autres c. Régie des installations olympiques, [1981] 1 R.C.S. 94; (1981), 124 D.L.R. (3d) 204; 23 L.C.R. 97; 38 N.R. 411; Commission des accidents du travail du Québec c. Valade, [1982] 1 R.C.S. 1103; (1982) 44 N.R. 75; Atikokan, Ex p., [1959] O.W.N. 200 (H.C.); London Gardens Ltd. and Township of Westminster, Re (1975), 9 O.R. (2d) 175 (C. div.); Foster v. Township of St. Joseph, [1917] 39 O.L.R. 114; conf. par [1917] 39 O.L.R. 525; (1917), 37 D.L.R. 283 (C.A.); Goderich Roman Catholic Separate School Trustees and Town of Goderich, Re, [1923] 53 O.L.R. 79 (Div. app.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331; [1984] CTC 352; (1984), 84 DTC 6345 (C.A.); Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309; [1990] 2 C.T.C. 524; (1990), 90 DTC 6647; 116 N.R. 200 (C.A.); Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; (1979), 96 D.L.R. (3d) 14; [1979] 3 W.W.R. 676; 26 N.R. 364; Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756; (1971), 18 D.L.R. (3d) 1; Barron v. Foothills No. 31 and Alberta (1984), 57 A.R. 71; [1985] 2 W.W.R. 711; 36 Alta. L.R. (2d) 27; 10 Admin. L.R. 229; 28 M.P.L.R. 235 (C.A.); Abel Skiver Farm Corporation c. Ville de Sainte-Foy et autre, [1983] 1 R.C.S. 403.
DÉCISIONS CITÉES :
Anisminic Ltd. v. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147 (H.L.); Bennett & White (Calgary) Ltd. v. Municipal Dist. of Sugar City (No. 5), [1951] 4 D.L.R. 129; (1951), 3 W.W.R. (N.S.) 111; [1951] C.T.C. 219; [1951] A.C. 786 (P.C.); Crown Forest Indust. Ltd. v. Assessor of Area 24—Cariboo (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 397 (C.A.); RivTow Industries Ltd. v. British Columbia (Assessor of Area # 01-Saanich-Capital) (1989), 55 D.L.R. (4th) 447; 34 B.C.L.R. (2d) 196 (C.S.); W.T.C. Western Technologies Corp. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 110; (1986), 86 DTC 6027; 1 F.T.R. 119 (C.F. 1re inst.); Bechthold Resources Ltd. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 195; (1986), 86 DTC 6065; 1 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.).
DOCTRINE
Kavanagh, John A. A Guide to Judicial Review, 2nd ed., Toronto : Carswell Legal Publications, 1984.
REQUÊTE en radiation d’avis de requête introductifs d’instance présentés en application de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale pour faire annuler des avis de cotisation frappant des terres détenues par la requérante dans les réserves des intimés. Requête accueillie.
AVOCATS :
Norman D. Mullins, c.r. et Bernard W. Hoeschen pour la requérante.
Arthur Pape pour la bande indienne de Matsqui, intimée.
John F. Finlay et Susan Stonier pour les autres intimés.
PROCUREURS :
Service du contentieux de Canadien Pacifique, Vancouver, pour la requérante.
Pape and Salter, Vancouver, pour la bande indienne de Matsqui, intimée.
Cooper and Associates, Vancouver, pour les autres intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Joyal : Il y a en l’espèce fin de non-recevoir opposée par les intimés à un ensemble d’avis de requête introductifs d’instance dont la requérante a saisi la Cour contre chacun des intimés susnommés.
C’est en application de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] que la requérante a introduit sa requête en annulation d’un avis de cotisation que chacun des intimés lui avait adressé à l’égard de terres situées dans leurs réserves, terres dont la requérante soutient qu’elles sont exemptées de taxes. Bien qu’une requête ait été déposée séparément contre chacun des intimés, les parties sont convenues, dans le cadre de la fin de non-recevoir, que toutes les requêtes doivent être entendues ensemble sur preuve commune. Il y a lieu de noter qu’il y a deux requérantes contre la bande indienne de Matsqui : Canadien Pacifique Limitée et Unitel Communications Limited. Cette dernière n’est nommée dans aucune des autres requêtes. Je ne mentionnerai donc que Canadien Pacifique Limitée dans les présents motifs.
Pour saisir le litige dans son contexte, il faut remonter à ses origines. Il appert qu’au début de l’année 1992, le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a approuvé, en application de l’article 83 de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10)], un certain nombre de règlements pris par des conseils de bande indienne et autorisant ces bandes, toutes établies en Colombie-Britannique, à imposer les droits fonciers sur les terres réservées à leur usage et occupation. Il s’agissait visiblement là d’un programme d’une grande portée, dans lequel intervenaient à la fois les autorités fédérales à Ottawa et les autorités provinciales en Colombie-Britannique.
Les règlements en question, qui étaient essentiellement identiques, portent tous les attributs d’une loi fiscale et sont en fait modelés sur les lois en vigueur dans la province. Sans entrer dans les détails inutiles de ces règlements, notons qu’ils visent à instaurer un système de taxes destinées à des fins locales sur les terres dans les réserves ou sur les droits fonciers y relatifs, conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens. Ce régime prévoit des dispositions générales de taxation, des exemptions, la préparation des rôles de taxation et de cotisation, un processus d’évaluation, un mode de perception et la fixation des quotités de taxe. Les règlements prévoient l’appel devant les commissions de révision et les comités de révision de l’évaluation, et enfin devant la Cour fédérale du Canada.
Au vu des avis de cotisation émanant de chacun des intimés, la requérante s’est fondée sur l’article 18 pour demander à la Cour de les annuler. Elle fait valoir qu’elle détient ces terres en vertu d’une concession de la Couronne, que le champ d’application des règlements en cause se limite aux terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens, et qu’en conséquence, ces cotisations sont nulles et non avenues.
Les intimés ont répliqué à cette contestation en déposant la requête en instance, pour demander à la Cour de déclarer irrecevable la requête fondée sur l’article 18 par ce motif que la validité des cotisations n’est pas susceptible de contrôle judiciaire ou que la Cour doit refuser le redressement discrétionnaire demandé puisque les règlements prévoient déjà les processus de contestation et d’appel nécessaires.
La fin de non-recevoir fut entendue à Vancouver le 25 septembre 1992. À la clôture de l’audience, j’ai fait droit à la requête des intimés et ai donné brièvement, de vive voix, les motifs de ma décision. J’ai été alors prié de donner par écrit des motifs plus détaillés.
L’ARGUMENTATION DES INTIMÉS
L’argument général avancé par les intimés est que le recours en contrôle judiciaire ne peut s’exercer que si aucun autre recours n’est ouvert à la partie plaignante. L’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale n’est que la consécration formelle des procédures de bref de prérogative visant à demander à la Cour d’accorder des mesures de réparation discrétionnaires d’equity, en l’absence de toute autre voie de droit.
Les intimés soutiennent que les règlements, dont la validité n’a pas été contestée, comprennent des dispositions détaillées et précises sur les appels contre les cotisations. Le mandat défini dans ces règlements établit la compétence des commissions d’appel pour connaître des points litigieux soulevés par la requérante et lui donne la possibilité de se faire entendre en bonne et due forme.
À l’appui de cet argument, les intimés invoquent l’arrêt Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331, par lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que les cotisations d’impôt établies sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] ne pouvaient être contestées par voie de recours en contrôle judiciaire fondé sur l’article 18, mais par voie d’appel selon les dispositions applicables de la Loi. Il en est ainsi, a conclu la Cour à cette occasion, peu importe que le litige porte sur le montant et l’assujettissement à l’impôt, ou sur la question plus fondamentale du pouvoir légal du Ministre d’établir les cotisations.
Les intimés s’appuient aussi sur l’arrêt Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309, par lequel la Cour d’appel fédérale a conclu encore une fois que les contribuables ne pouvaient intenter la procédure prévue à l’article 18 pour contester les cotisations établies sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Ils citent en outre le célèbre arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, par lequel la Cour suprême du Canada a, par jugement majoritaire, confirmé le même principe, savoir qu’une requête en certiorari contre la décision d’un organisme administratif habilité à instruire les demandes d’admission n’est pas recevable dans les cas où la loi d’habilitation prévoit la possibilité de faire appel devant une autre juridiction. La Cour a ajouté que ce principe s’applique même si on fait valoir que la nullité de la décision attaquée est telle que celle-ci est inexistante et, de ce fait, ne se prête à aucun appel.
Les intimés demandent à la Cour de faire sien le principe défini par ces décisions et de déclarer irrecevable la requête fondée sur l’article 18 de la requérante, quitte à celle-ci de formuler sa plainte par voie d’appel telle que la prévoient clairement les règlements en question.
Ils demandent en outre à la Cour de considérer que le contrôle judiciaire sous le régime de l’article 18 est exclu en l’espèce par l’effet des dispositions de l’article 18.5 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit ce qui suit :
18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.
Je dois dire que j’ai des réserves quant à l’applicabilité de l’article 18.5 au régime fiscal en cause, mais j’y reviendrai plus loin.
L’ARGUMENTATION DE LA REQUÉRANTE
En tout premier lieu, la requérante conteste la compétence de toute juridiction de révision constituée sous le régime des règlements dont s’agit pour connaître du point litigieux tel qu’il est soumis à la Cour, savoir si ces terres peuvent être imposées par les bandes indiennes respectives.
Elle cite à l’appui le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1], où « réserve » est définie comme étant toute « parcelle de terre dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande ». La requérante fait le lien entre cette définition et les dispositions de fond de l’alinéa 83(1)a) de cette loi, qui habilite les conseils de bande indienne à prendre des règlements administratifs pour « l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage » [soulignement ajouté].
Selon la requérante, les terres dont s’agit ne sont pas la propriété de Sa Majesté ni n’ont été mises de côté à l’usage et au profit des membres des bandes indiennes concernées, mais sont sa propriété exclusive; en conséquence ni la Loi sur les Indiens ni les règlements administratifs, ni à plus forte raison les procédures d’appel que prévoient ces derniers, n’ont aucune application à son égard. Une juridiction de révision établie en application de ces règlements n’a donc pas compétence pour connaître des questions soumises à la Cour.
La requérante soutient en outre que le pouvoir des conseils de bande indienne de prendre des règlements administratifs de taxation, pouvoir que le paragraphe 83(3) de la Loi sur les Indiens subordonne à la condition de prévoir une procédure de contestation des « assessments », circonscrit en fait la compétence de la juridiction de révision si on se réfère au texte français de la même disposition qui parle de « procédure de contestation de l’évaluation en matière de taxation » [soulignement ajouté].
La requérante m’engage à m’en tenir au texte français pour conclure que la juridiction de révision ne peut connaître que de ce qui se traduit en anglais par le terme « valuation » et non par le terme « assessment »; cette question n’a cependant aucun rapport avec son chef de demande.
En ce qui concerne la limitation de compétence, la requérante soutient que les pouvoirs dont sont investis les commissions ou tribunaux de révision vont au-delà du pouvoir légal prévu à l’article 83, pour comprendre celui d’instituer un tribunal chargé de connaître de la contestation des « cotisations », ce qui s’entend aussi du pouvoir d’examiner si « des terres ou améliorations, ou les deux à la fois, ont été irrégulièrement portées sur le rôle de taxation ou en ont été irrégulièrement omises », si les taxes ont été fixées à un montant trop élevé ou trop bas, ou si des exemptions ont été accordées ou refusées à bon droit, ainsi que du pouvoir d’examiner d’autres questions de même nature.
Enfin, la requérante fait valoir que les précédents cités par les intimés à l’appui de leur fin de non-recevoir portent tous sur des processus d’appel institués par des lois et nullement sur des règles établies par des organismes administratifs. Et qu’en tout cas, une commission établie en application d’une loi n’a pas compétence pour connaître des matières qui ne rentrent pas dans le champ d’application de cette loi. La requérante cite à cet effet l’arrêt Anisminic Ltd. v. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147, de la Chambre des lords, ainsi que cette conclusion tirée par le juge Martland de la Cour suprême du Canada dans Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756, à la page 775 :
En toute déférence, je ne partage pas cet avis. Les pouvoirs conférés à un comité d’enquête ont pour but de lui permettre de déterminer s’il y a eu de la discrimination en ce qui a trait à des domaines prévus par la Loi. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer lorsque la discrimination dont on se plaint tombe dans un domaine non prévu par la Loi, et il ne peut faire des recommandations à cet égard.
Dans son jugement, la Cour d’appel dit que si le comité d’enquête avait été autorisé à poursuivre l’enquête, il aurait eu à décider (1) s’il y avait eu refus de louer le logement, (2) si le Code s’appliquait à ce logement, et (3) si le refus était dû à la race, à la couleur ou au lieu d’origine du plaignant. À mon avis, il fallait tout d’abord examiner le deuxième point; si la Loi ne s’appliquait pas au logement, le comité ne pouvait poursuivre l’enquête.
Le deuxième point soulève une question de droit relativement au champ d’application de la Loi; de la réponse à cette question dépend toute l’autorité du comité chargé d’enquêter sur la plainte déclarant qu’il y a eu de la discrimination. La Loi ne prétend nullement placer cette question sous la compétence exclusive du comité; une décision erronée sur ce point ne permettrait pas à celui-ci de poursuivre l’enquête.
À mon avis, l’appelant n’était pas tenu d’attendre la décision du comité d’enquête sur ce point avant de chercher, au moyen d’une demande d’ordonnance de prohibition, à le faire décider par une cour de justice, et la cour était compétente pour connaître de l’affaire. [Soulignement ajouté.]
La requérante cite aussi des causes portant sur des lois de taxation municipale et où le contribuable n’a pas été privé du recours en contrôle judiciaire, bien que la loi d’habilitation prévoie des procédures d’appel : Bennett & White (Calgary) Ltd. v. Municipal Dist. of Sugar City (No. 5), [1951] 4 D.L.R. 129 (P.C.); Abel Skiver Farm Corporation c. Ville de Sainte-Foy et autre, [1983] 1 R.C.S. 403; Barron v. Foothills No. 31 and Alberta (1984), 57 A.R. 71 (C.A.). Dans le dernier arrêt, le juge Laycraft de la Cour d’appel de l’Alberta s’est prononcé en ces termes, en page 74 :
[traduction] Cependant le litige porterait-il sur la question de savoir si la contribuable est tenue ou non à la taxe en question, l’affaire serait alors susceptible de contrôle par une cour supérieure, car un organisme administratif créé par une loi provinciale ne saurait se voir déléguer le pouvoir de définir sa propre compétence…
Ont été également cités à ce propos Crown Forest Indust. Ltd. v. Assessor of Area 24—Cariboo (1986), 2 B.C.L.R. (2d) 397 (C.A.); RivTow Industries Ltd. v. British Columbia (Assessor of Area # 01-Saanich-Capital) (1989), 55 D.L.R. (4th) 447 (C.S.C.-B.).
CONCLUSIONS SUR LA JURISPRUDENCE CITÉE
Il ressort des nombreuses causes portant sur le droit d’évocation en vertu duquel une cour supérieure connaît d’une contestation en justice en dehors des voies d’appel plus orthodoxes, que les règles et principes appliqués en la matière sont plutôt contradictoires.
Par exemple, l’arrêt Parsons (supra) rendu en 1984 dans une affaire de cotisation d’impôt sur le revenu, a été suivi dans les deux décisions W.T.C. Western Technologies Corp. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 110 (C.F. 1re inst.), et Bechthold Resources Ltd. c. M.R.N., [1986] 1 C.T.C. 195 (C.F. 1re inst.), qui ont été rendues l’une et l’autre deux ans plus tard, en 1986, et qui semblent parvenir à des conclusions différentes. Le conflit, si conflit il y avait, semble avoir été définitivement réglé par l’arrêt Optical Recording Corp. (ci-dessus) de la Cour d’appel fédérale.
Les lois provinciales de taxation et les cotisations établies sous leur régime ont fait l’objet de nombreux motifs de jugement. Dans l’analyse des précédents cités par l’avocat de la requérante à ce sujet, il faut se garder de s’en remettre aux conclusions citées quelque peu hors de contexte. À mon avis, il faut prendre en considération les faits et circonstances de chaque cas d’espèce.
Dans Abel Skiver Farm Corporation (ci-dessus), en page 424, le juge Beetz conclut que si la cotisation est de nullité absolue ou si l’autorité fiscale a commis des actes ultra vires, il est possible de saisir une cour supérieure, peu importe que le contribuable ait omis de se prévaloir des moyens expéditifs et spéciaux prévus par la loi si tant est qu’ils lui soient ouverts, et peu importe, s’il s’en est prévalu, qu’il ait échoué. Cela tient à ce qu’en matière de taxation et d’exemption, le contribuable conserve le droit de s’adresser d’abord à une juridiction qui a le pouvoir de trancher la question avec la force de la chose jugée (page 437). Cependant, après avoir évoqué le pouvoir général des bureaux de révision, le juge Beetz fait aussi observer, toujours en page 437, que les textes sont suffisamment généraux pour permettre à un contribuable de « se plaindre du rôle tel que préparé au motif que ce rôle le prive de l’exemption à laquelle il a droit … et les membres du conseil ou du bureau de révision doivent prendre cette plainte en considération ».
Dans Barron (ci-dessus), la Cour d’appel de l’Alberta conclut, en page 714, que les tribunaux de révision des cotisations ont le droit d’avoir tort tant qu’ils n’excèdent pas leur compétence légale et que, dans ce cas, les tribunaux judiciaires n’ont aucun pouvoir de contrôle. Ce n’est que dans le cas contraire que leur décision est susceptible de contrôle judiciaire.
La conclusion préliminaire que je tire de la jurisprudence citée est que celle-ci confirme la compétence d’une cour supérieure pour se saisir du litige par exercice de son droit d’évocation ou de son pouvoir de contrôle lorsque le litige porte sur la question fondamentale de la validité de la taxe ou de l’excès de compétence. Cependant, comme nous le verrons plus loin, les motifs invoqués en l’espèce ne sont pas exclusivement fondés sur la compétence de la Cour pour entendre la requête fondée sur l’article 18.
En ce qui concerne la question de la compétence, telle qu’elle est visée à l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, je doute fort que les conditions qui y sont prévues aient été réunies pour que cette Cour ne soit pas en mesure de connaître d’une demande fondée sur l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. La formulation de cet article en limite l’application non seulement aux appels proprement dits aux juridictions fédérales expressément désignées, au Conseil du Trésor ou au gouverneur en conseil, mais encore aux matières expressément prévues par une loi fédérale. Il est certainement possible de soutenir qu’un règlement administratif de conseil de bande indienne, approuvé par le Ministre en application de l’article 83 de la Loi sur les Indiens et qui est conforme à la prescription du paragraphe 83(3) en matière de contestation de la taxation, fait de cette disposition relative aux contestations un texte de loi fédéral. Si on se réfère, comme l’ont fait les intimés, à l’article 2 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21], aux termes duquel « règlement » s’entend également du règlement administratif « pris dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale », il est possible de soutenir que l’objectif législatif de l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être atteint que si on conclut que la disposition du règlement administratif relative à la contestation en matière fiscale a été prise en application ou sous le régime d’une « loi fédérale ».
Cet argument mérite examen mais, vu la conclusion que j’ai tirée à la lumière d’un autre facteur, je dois en laisser le soin à une autre juridiction, à l’occasion d’une autre affaire.
LE BUT ET LA PORTÉE DU CONTRÔLE JUDICIAIRE
L’intervention croissante de la part des cours supérieures pour surveiller les fonctions des tribunaux administratifs inférieurs et pour veiller à ce qu’ils exercent leurs pouvoirs conformément à la loi, nous fait parfois oublier que ces tribunaux ont leur origine dans les brefs de prérogative qu’accordaient les cours d’equity et qui étaient l’expression de l’autorité royale sur l’administration de la justice. À l’image des traditions du passé, ces brefs étaient et sont toujours connus par les termes latins de certiorari, de mandamus et de quo warranto. Qu’ils soient maintenant regroupés dans la catégorie générique du contrôle judiciaire ne change en rien leur caractéristique première, qui est de permettre l’intervention des cours supérieures dans les cas où il n’y a aucun autre recours contre le déni de justice naturelle, l’erreur de droit ou de compétence, ou l’erreur manifeste dans les conclusions des tribunaux administratifs inférieurs.
À mesure que les règles de common law deviennent de plus en plus codifiées, et que l’administration en est de plus en plus confiée aux organismes administratifs exerçant à la fois des fonctions exécutives et judiciaires, et dont plusieurs sont protégés par des dispositions privatives, il ne faut certainement pas que le rôle jalousement gardé des cours supérieures en soit diminué. C’est ainsi que le contrôle judiciaire, jusqu’ici recours exceptionnel et extraordinaire, est devenu fort courant.
Il faut cependant préserver la caractéristique fondamentale du contrôle judiciaire, qui est celle d’un recours exceptionnel ou extraordinaire. Ce recours ne peut être exercé qu’en l’absence de toute autre voie de droit utile. Sauf incompétence prévue par un texte de loi, tel l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, le redressement que peut accorder une cour par voie de contrôle judiciaire demeure essentiellement discrétionnaire. Saisie d’un recours à cet effet, la cour doit examiner tous les faits et circonstances de la cause et décider s’il n’y a pas quelque autre recours ou voie de droit. Il va de soi que cette voie de droit est habituellement l’appel proprement dit. Comme le juge Culliton de la Cour d’appel de la Saskatchewan l’a fait observer dans Wilfong, Re Cathcart v. Lowery (1962), 32 D.L.R. (2d) 477 (C.A. Sask.), il est d’usage de décliner compétence quand un droit d’appel existe, sauf cas exceptionnel.
Dans Alliance de la Fonction publique du Canada et autres c. Canada (Conseil du Trésor) et autres, (1990), 36 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.), certains fonctionnaires qui avaient participé à une grève avec occupation de bureaux ont fait l’objet de mesures disciplinaires sous forme de sanctions pécuniaires, dont le Conseil du Trésor avait prévu la défalcation de leurs chèques de paye bimensuels. Les parties sont convenues de demander, par exposé de cause, à la Cour de rendre un jugement déclaratoire sur la légalité des amendes et sur le droit d’en opérer la défalcation en application des dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11]. La Cour a refusé d’entendre l’affaire.
Elle a déclaré que malgré l’accord conclu entre les parties pour procéder par voie d’action en jugement déclaratoire, elle doit, de son propre chef, respecter les procédures de grief et d’arbitrage que le législateur a instaurées par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-35].
LE CARACTÈRE DISCRÉTIONNAIRE DE L’INTERVENTION JUDICIAIRE
Il découle des observations ci-dessus que la question à trancher par la Cour n’est pas de savoir si j’ai compétence en l’espèce, mais de savoir s’il ne serait pas préférable que l’affaire soit débattue dans le cadre des procédures de contestation établies par les règlements administratifs en question.
Le principe de la non-intervention des tribunaux judiciaires a été éloquemment défini par le juge Anglin de la Cour suprême du Canada dans Lethbridge, City of, v. Can. West. Nat. Gas, L., H. & P. Co., [1923] R.C.S. 652, à la page 659, comme suit :
[traduction] Par respect pour le législateur et pour donner effet à l’esprit sinon à la lettre de sa politique, telle qu’elle s’exprime par la loi dite Public Utilities Act, je pense que les tribunaux judiciaires, même s’ils ont compétence pour connaître des actions telles que celle dont nous sommes saisis, devraient refuser d’exercer cette compétence et renvoyer les parties devant la commission administrative que le législateur a créée pour connaître de ces affaires et qu’il a investie de pouvoirs suffisants pour lui permettre de rendre pleinement justice en la matière.
Le même principe a été récemment repris dans Terrasses Zarolega Inc. et autres c. Régie des installations olympiques, [1981] 1 R.C.S. 94, où la Cour suprême du Canada était appelée à examiner si une cour supérieure avait compétence pour interpréter, par voie de jugement déclaratoire, le mandat d’un comité d’arbitrage créé par une loi spéciale. La Cour suprême a cité avec approbation, en page 103, le jugement de la Cour d’appel du Québec [[1979] C.A. 497], qui conclut comme suit :
Je suis d’opinion que la Cour supérieure ne doit pas intervenir par jugement déclaratoire quand le législateur a spécifiquement prévu un autre tribunal pour décider d’une question.
…
Je crois que l’on peut affirmer que la jurisprudence canadienne est à l’effet que la Cour supérieure n’utilisera pas son pouvoir déclaratoire lorsqu’un tribunal inférieur a été créé par le législateur pour adjuger sur une question particulière.
Il est généralement admis que la doctrine de la non-intervention des tribunaux judiciaires n’est pas une doctrine rigide. Ainsi que l’a fait remarquer le juge Chouinard de la Cour suprême dans Commission des accidents du travail du Québec c. Valade, [1982] 1 R.C.S. 1103, en page 1105 :
Il s’ensuit qu’un droit d’appel à la Commission des affaires sociales n’a pas pour effet en soi d’exclure le recours à l’évocation. [Soulignement ajouté.]
Le même avis a été exprimé par le professeur John Kavanagh dans A Guide to Judicial Review (1984), 2e édition, Carswell, à la page 131, en ces termes :
[traduction] Il n’existe aucune règle rigide qui oblige à épuiser les recours administratifs ou le droit d’appel légal à moins qu’une loi n’en fasse une obligation, c’est-à-dire qu’elle ne spécifie que l’appel est le seul recours contre la décision de l’organisme administratif inférieur.
C’est en raison de la nature discrétionnaire du recours prévu à l’article 18 ou du contrôle judiciaire qu’à mon avis, divers tribunaux judiciaires ont invoqué différents motifs pour exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une façon ou d’une autre. Un de ces motifs repose sur la question de savoir s’il existe un processus d’appel qui permette de trancher effectivement ou efficacement le litige. Ce point a été souligné par l’avocat de la requérante dans son argumentation, qui exprimait le doute qu’une commission ou un tribunal de révision établi dans le cadre de ces règlements administratifs puisse assurer à la requérante justice et impartialité.
D’autres motifs peuvent également être invoqués, par exemple celui que le requérant ne peut plus faire appel pour cause d’expiration du délai. Le juge en chef McRuer de la Haute Cour a été saisi d’une question semblable dans la cause Atikokan, Ex p., [1959] O.W.N. 200 (H.C.), dans laquelle le canton concerné avait invoqué l’incompétence pour s’opposer à une audition devant le tribunal de révision. Celui-ci avait quand même entendu l’appel et fait droit aux appelants. Le canton n’a pas interjeté appel de cette décision mais a demandé à la Haute Cour de l’annuler par voie d’ordonnance.
Le juge en chef McRuer de la Haute Cour a refusé d’entendre la requête, concluant que le législateur avait prévu le moyen de résoudre tous les litiges devant la Cour d’appel et qu’il n’y avait pas lieu d’accorder un bref de certiorari alors que l’appel était ouvert à l’administration cantonale. Il a noté en outre que la loi applicable prévoyait un délai pour l’exercice du recours devant les tribunaux judiciaires, et qu’en l’espèce, ce délai était expiré. Demander à la Cour d’exercer sa compétence extraordinaire par bref de certiorari reviendrait à décharger sur les intimés l’obligation de faire appel, appel qui était ouvert au requérant en premier lieu.
La répugnance des tribunaux judiciaires à accorder un bref de prérogative lorsque le droit d’appel est prévu a été encore exprimée dans London Gardens Ltd. and Township of Westminster, Re (1975), 9 O.R. (2d) 175 (C. div.); Foster v. Township of St. Joseph, [1917] 39 O.L.R. 114; confirmé par la Cour d’appel, [1917] 39 O.L.R. 525; Goderich Roman Catholic Separate School Trustees and Town of Goderich, Re, [1923] 53 O.L.R. 79 (Div. app.).
J’ai examiné les règlements de taxation adoptés par chacun des conseils de bande en cause. À l’exception de la bande indienne de Matsqui, tous ces règlements ont des dispositions identiques en matière de contestation.
Leur article 40 prévoit la nomination d’une commission de révision, à laquelle n’importe qui peut interjeter appel pour cause d’erreur ou d’omission dans le rôle d’imposition.
L’article 45(1) habilite notamment la commission de révision à ordonner d’apporter au rôle d’imposition les rectificatifs nécessaires pour donner effet à ses décisions.
L’article 60 prévoit l’appel de la décision de la commission de révision à la Cour fédérale du Canada.
Le règlement de taxation de la bande indienne de Matsqui prévoit un processus de contestation un peu plus complexe.
L’article 27 prévoit la création de cours de révision.
L’article 28(A) donne le droit de faire appel aux cours de révision à quiconque fait valoir une erreur ou une omission dans le rôle d’imposition.
L’article 32(A) habilite notamment ces cours à ordonner d’apporter au rôle d’imposition les rectificatifs nécessaires pour donner effet à leurs décisions.
L’article 32(B) les habilite à assigner les témoins.
L’article 35 prévoit la création d’un comité de révision des cotisations.
L’article 36 habilite ce comité à connaître des appels contre les avis de cotisation.
L’article 46 l’habilite expressément à connaître de tous les appels contre les décisions des cours de révision en matière de cotisations.
L’article 47 l’investit du pouvoir d’inspection.
L’article 51(A) prévoit que le comité peut exercer tous les pouvoirs des cours de révision.
L’article 55(F) prévoit le droit d’interjeter appel de toute décision du comité devant la Cour fédérale du Canada.
L’article 56(A) habilite le comité à soumettre à la Cour fédérale du Canada, sous forme d’exposé de cause et en tout état de la procédure, toute question de droit qui se pose dans le cadre d’un appel. Le comité est tenu de trancher ensuite l’appel conformément à la conclusion de la Cour fédérale.
L’article 56(B) prévoit un recours de même nature après que le comité a rendu une décision.
L’article 58(A) habilite le conseil de la bande à prolonger, par voie de résolution, tout délai prévu au règlement administratif.
CONCLUSIONS
Les dispositions en matière de contestation des règlements de taxation ci-dessus ne renferment rien qui permette de conclure, comme le prétend la requérante par son avocat, qu’il n’y a aucun processus d’appel efficace pour trancher toutes les questions qu’elle soulève. Il est vrai, comme le fait remarquer son avocat, que le premier groupe de règlements cités ci-dessus prévoit à l’article 40(2) que les commissions de révision seront composées de trois membres, dont un seul pourra être un membre d’une bande indienne. Cet avocat en conclut au parti pris. Cet argument est, au mieux, prématuré, aucune preuve n’ayant été produite quant à la composition d’une commission de révision quelconque.
Bien qu’aucun témoignage ou preuve direct n’ait été produit à ce propos, il y a un autre aspect de l’affaire qui mérite examen. Il ressort de la documentation versée aux débats que le régime réglementaire établi par les règlements administratifs des bandes indiennes concernées traduit des questions politiques extrêmement importantes. Point n’est besoin d’être une partie à ce régime pour observer l’abandon de normes établies de longue date en matière d’imposition des terres et améliorations dans les réserves indiennes. On peut aussi présumer que des négociations intensives ont eu lieu entre les autorités publiques en Colombie-Britannique, les autorités fédérales à Ottawa et, de fait, les bandes indiennes concernées, pour la mise en place d’un système complexe d’évaluation et de taxation. Je conclus qu’en fait, les autorités provinciales ont, sur le plan de la politique générale, renoncé à leur pouvoir d’imposition traditionnel sur les terres de réserve et, avec la collaboration des autorités fédérales dans l’application des règlements administratifs pris sous le régime de l’article 83 de la Loi sur les Indiens, ont légitimé le pouvoir des conseils respectifs des bandes indiennes concernées d’administrer leur propre système de taxation. J’en conclus que pour résoudre ce litige, il ne serait pas conforme à l’intérêt public ni n’y contribuerait en cet état de la cause, de passer outre aux dispositions relatives aux contestations des règlements administratifs en cause.
Le troisième point que je dois mentionner est que la requérante ne conteste pas en l’espèce une cotisation parce que ses terres et améliorations étaient jusqu’ici exemptées d’impôt. Tel que je le vois, le régime fiscal en cause a pour seul effet sur la requérante de remplacer une autorité fiscale par une autre. Je respecte certainement son argument que les terres dont il s’agit ne sont pas des « terres de réserve », et qu’aucune loi n’habilite les conseils de bande indienne à les imposer. À mon avis cependant, que ces terres soient imposables ou exemptées d’impôt, cette question tombe dans le champ d’application des dispositions sur les contestations, lesquelles dispositions doivent être respectées. À cet égard, je dois faire observer que contrairement à l’argument de la requérante, le terme « évaluation » figurant dans le texte français du paragraphe 83(3) de la Loi sur les Indiens est l’équivalent accepté du terme anglais « assessment » et n’a nullement pour effet de circonscrire la compétence d’une commission d’appel.
Je dois aussi rappeler certaines observations que j’ai faites à la clôture de l’audience à Vancouver, savoir que les parties devraient faire tous les efforts pour saisir les commissions de révision le plus diligemment possible, d’autant que les règlements en cause prévoient un délai d’appel. Depuis cette date, la Cour a reçu certains engagements des intimés et de leurs avocats, engagements auxquels l’avocat de la requérante a opposé diverses objections. Je ne me prononcerai pas sur le fond de cet échange entre avocats. La requérante a eu l’initiative de l’action et, à mon avis, la résolution prise par le conseil de la bande indienne de Matsqui est suffisante pour protéger la requérante contre un appel tardif. D’autres recours lui sont bien entendu ouverts pour ce qui est des cotisations établies par les autres intimés.
Enfin, il faut noter que, comme pour tous les autres recours en bref de prérogative, les requêtes fondées sur l’article 18 sont soumises à une procédure sommaire. Il me semble qu’une commission ou un tribunal de révision serait une juridiction plus indiquée pour recevoir et examiner tous les témoignages et preuves se rapportant au litige. Il ne serait pas présomptueux de ma part d’imaginer que les intimés ont réuni des arguments contre le motif central de contestation de la requérante, et que les questions à examiner pourraient avoir une très grande portée. Quelle que soit la décision de la juridiction inférieure, il est probable qu’elle serait portée en appel devant la Cour fédérale. À cet égard, on peut dire que les questions que peut examiner une juridiction d’appel et les mesures de réparation qu’elle peut ordonner sont bien plus étendues que dans une procédure de certiorari.
Par ces motifs, je fais droit à la fin de non-recevoir des intimés, le tout avec dépens.