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[1993] 1 C.F. 36

T-1536-89

Edward Jesionowski (demandeur)

c.

Bohdan Gorecki et le navire Wa-Yas (défendeurs)

Répertorié : Jesionowski c. Wa-Yas (Le) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 12 mai et 11 septembre 1992.

Pratique — Communications privilégiées — Les défendeurs soutiennent que le rapport de l’expert sur le temps consacré à la réparation du bateau fait l’objet d’un privilège comme document relatif à des négociations en vue d’un règlement — Le rapport figure sur la liste de documents des défendeurs — L’expert est cité comme témoin expert — Lorsqu’un expert dépose comme témoin, il y a renonciation tacite au privilège qui autorisait de ne pas produire des documents — Les défendeurs renoncent au privilège lorsqu’ils incluent un document dans leur liste de documents — Pour être visée par le privilège protégeant les négociations menées en vue d’un règlement, la communication doit se rattacher à une tentative véritable de règlement du différend — Le rapport préparé conjointement par deux experts pour réconcilier deux rapports antérieurs n’est pas visé par un privilège (1) parce qu’il ne constitue pas une tentative conjointe de règlement et (2) parce qu’il n’a pas été envoyé au demandeur à titre d’offre de règlement.

Equity — Quantum meruit — Action en dommages-intérêts pour travail et matériaux fournis pour réparer un bateau de pêche auquel étaient rattachés des permis — Le coût des réparations dépasse la valeur du navire — Le travail et les matériaux fournis par une personne ne doivent pas enrichir indûment le bénéficiaire — En l’absence de contrat exécutoire, la loi reconnaît une promesse de payer une somme raisonnable, généralement fondée sur la juste valeur marchande des services — L’indemnité basée sur le quantum meruit est fixée en fonction de toutes les circonstances de l’affaire — Elle n’est pas circonscrite par l’augmentation de la valeur du bateau découlant du travail et des matériaux fournis par le demandeur, car les parties avaient l’intention de récupérer leur investissement en se servant du bateau pour la pêche — La piètre qualité du travail ne donne pas droit au défendeur à la réduction de l’indemnité fondée sur le quantum meruit ou à des dommages-intérêts parce qu’il était aussi responsable de cette qualité et qu’il n’a rien fait pour l’améliorer.

Fiducies — Action en recouvrement du coût du travail et des matériaux fournis pour la réparation d’un bateau de pêche — Pour décider s’il y a lieu d’imposer une fiducie par interprétation, la Cour doit déterminer (1) si un enrichissement sans cause a été établi, (2) si le demandeur a subi un appauvrissement correspondant, (3) s’il y a un motif juridique à l’enrichissement et (4) si la fiducie par interprétation est la réparation appropriée — Il doit aussi y avoir des motifs particuliers pour accorder des droits supplémentaires découlant d’un droit de propriété (nature particulière et unique du bien, changement de valeur du bien) — Toutes les exigences sont réunies — La fiducie par interprétation est le remède approprié parce qu’il y a lieu de penser qu’en l’absence de restriction le défendeur pourrait vendre les permis, s’immunisant ainsi contre tout jugement.

Droit maritime — Pratique — Intérêts — Action en recouvrement du coût du travail et des matériaux fournis pour la réparation d’un bateau de pêche — Les intérêts forment partie intégrante d’une action en dommages-intérêts en amirauté — Il convient de remettre le demandeur dans la situation où il aurait été si les faits donnant lieu à la demande n’avaient pas eu lieu — En droit maritime, le principe s’applique également aux actions fondées sur un contrat ou sur un délit — Les défendeurs savaient que des intérêts étaient demandés — Les intérêts sont accordés à compter d’une date raisonnable après la rupture de la relation des parties relativement au bateau.

Les défendeurs soutiennent que le rapport Smith (no 1) et le rapport Harrison-Smith étaient inadmissibles parce qu’ils traitaient de discussions concernant un arrangement et qu’ils étaient donc visés par un privilège. Le demandeur affirme que puisque M. Smith avait été cité pour donner son opinion à titre d’expert sur la valeur de la réparation, il y avait eu renonciation tacite à tout privilège qui l’autorisait auparavant à ne pas produire les documents (Vancouver Community College v. Phillips, Barratt (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 289 (C.S.)). Les défendeurs soutiennent que la décision Vancouver Community College n’a pas été suivie et que, de toute façon, elle est mal fondée. Le demandeur fait valoir, subsidiairement, que le rapport a cessé d’être privilégié quand il a été inséré dans la liste des documents des défendeurs et mis à la disposition du demandeur. Les défendeurs invoquent le principe de la « pérennité des privilèges ». Ils prétendent que le rapport Harrison-Smith faisait l’objet d’un privilège parce qu’il a été préparé conjointement par des représentants des parties en vue d’un règlement.

Les défendeurs soutiennent qu’il y a lieu de réduire toute indemnité accordée selon le principe quantum meruit ou de leur accorder des dommages-intérêts en raison de la piètre qualité du travail. Ils font valoir, finalement, qu’il ne convient pas d’accorder des intérêts au demandeur parce que sa demande découle d’un contrat et non d’un délit et parce qu’il n’en a pas demandé dans sa déclaration.

Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le défendeur détient, sur le Wa-Yas (le navire) et sur les permis rattachés à celui-ci, un droit consacré par une fiducie par interprétation, fondée sur le principe quantum meruit à l’égard du travail effectué et sur le principe quantum valebant à l’égard des matériaux fournis.

Jugement : l’action doit être accueillie.

La décision Vancouver Community College repose sur le fait qu’un expert cité comme témoin n’est pas dans la même position qu’un autre témoin. Il est cité à cause de ses connaissances spécialisées, pour aider le tribunal à en arriver à une conclusion, c’est pourquoi il se voit imposer des obligations en matière de divulgation. La recherche de la vérité à l’égard de ce type de témoignage l’emporte sur tout intérêt qui pourrait être servi par la protection des versions préliminaires. Quoique l’application du processus du procès contradictoire exige la protection du produit du travail de l’avocat, elle n’exige pas celle du produit du travail d’un expert cité comme témoin. Ce raisonnement ne vise que les témoins experts.

Le principe de la « pérennité des privilèges » ne signifie pas que la partie qui bénéficie du privilège ne peut y renoncer; il s’entend de la permanence du caractère privilégié, par exemple, dans le cas de la constitution d’un nouvel avocat. Le rapport Smith (no 1) a perdu tout caractère privilégié qu’il aurait pu avoir au départ, lorsqu’il a été inclus dans la liste des documents des défendeurs et mis à la disposition du demandeur. Il a perdu son caractère privilégié avant que le second rapport ne soit déposé et que M. Smith n’ait été cité à comparaître comme témoin.

Pour être visée par le privilège qui protège les négociations menées en vue d’un règlement, la communication doit se rattacher à une tentative véritable pour régler le différend. En outre, il doit être clair que l’offre de règlement a été faite sous le sceau du secret. Le rapport Harrison-Smith n’est pas visé par un privilège. Premièrement, il ne s’agit pas d’une initiative commune parce que ni le demandeur ni son mandataire n’ont participé à l’expertise. Deuxièmement, bien qu’un exemplaire du rapport ait été envoyé à l’avocat du demandeur, ce n’était pas à titre d’offre de règlement. Le rapport ne faisait pas partie d’une tentative véritable de règlement du différend.

La doctrine du quantum meruit est une doctrine d’equity fondée sur le principe que la personne qui bénéficie du travail et des matériaux fournis par une autre personne ne doit pas en tirer un enrichissement sans cause. En l’absence de contrat exécutoire, une promesse de verser une somme raisonnable pour les matériaux et le travail fournis est implicitement reconnue en droit. En règle générale, le quantum de la réparation dans toutes les actions en restitution fondées sur le principe quantum meruit doit être fonction de la juste valeur marchande des services ou du travail fournis. Il se peut que l’augmentation de la valeur des biens du défendeur sur lesquels a porté le travail ou pour lesquels des matériaux ont été fournis constitue la limite du quantum de l’indemnité accordée, mais ce n’est pas toujours le cas. L’indemnité basée sur le principe quantum meruit est fixée en fonction de toutes les circonstances dans lesquelles l’obligation est née. En l’espèce, elle ne doit pas être circonscrite par l’augmentation de la valeur du bateau qui a résulté de la fourniture de matériaux et du travail fait par le demandeur. Tout d’abord, le bateau a été tenu pour une perte totale implicite au moment où la réparation a commencé. Ensuite, si aucun permis de pêche n’avait été rattaché au bateau, il est peu probable que le demandeur ou le défendeur ait consacré autant d’efforts à la réparation. Le bateau lui-même ne vaut pas grand-chose. Le projet conjoint qui a été entrepris l’a été en vue d’un profit futur tiré de la pêche. Les sommes et le temps consacrés ne devaient pas être récupérés grâce à l’augmentation de la valeur du bateau. Ils devaient l’être quand le bateau aurait servi à pratiquer la pêche. En pareil cas, le montant raisonnable de l’indemnité qui doit être accordée selon le principe quantum meruit doit être basé sur l’évaluation de la somme attribuable aux matériaux que le demandeur a fournis et sur la valeur marchande raisonnable du travail qu’il a fait. C’est au demandeur qu’il incombe de faire la preuve de ces éléments.

Le défendeur n’a pas droit à des dommages-intérêts fondés sur la piètre qualité du travail. Le carénage du Wa-Yas était une entreprise conjointe. Le défendeur était aussi responsable de la qualité du travail que le défendeur. Il n’a pas manifesté d’inquiétude particulière au sujet de la qualité du travail en tentant de rompre son association avec le demandeur ou en changeant la façon dont le carénage était effectué.

Dans l’exercice de sa compétence en amirauté, la Cour peut accorder des intérêts à titre de partie intégrante des dommages-intérêts. L’indemnité doit remettre le demandeur dans l’état où il aurait été si les faits qui ont donné lieu à sa demande n’étaient pas arrivés. Le principe s’applique autant aux demandes fondées sur un contrat qu’à celles qui découlent d’un délit. Le défendeur savait que le demandeur voulait obtenir des intérêts parce que l’avis demandant l’admission de documents contenait une liste des taux préférentiels applicables. La déclaration comprenait une demande visant l’obtention de [traduction] « toute autre réparation que la Cour estime convenable ». Si le demandeur avait pu disposer de ses fonds et que ceux-ci n’avaient pas été immobilisés dans le Wa-Yas, il aurait été à même d’en faire un autre usage. Pour le mettre le plus possible dans l’état où il aurait été si les faits qui fondent sa demande n’étaient pas arrivés, il est raisonnable de lui accorder une indemnité sous forme d’intérêts pour les sommes et le travail qu’il a investis dans le Wa-Yas à l’égard d’une période raisonnable après la cessation de l’entreprise en participation.

L’existence d’une fiducie par interprétation n’est pas liée à l’intention d’une quelconque partie. Cette doctrine vise à prévenir l’enrichissement sans cause. Pour décider s’il y a lieu d’imposer une fiducie par interprétation (c.-à-d. d’accorder une réparation fondée sur un droit de propriété plutôt qu’une indemnité), la Cour doit déterminer, premièrement, si un enrichissement sans cause a été établi, deuxièmement, si le demandeur a subi un appauvrissement correspondant, troisièmement, s’il y a un motif juridique à l’enrichissement, et quatrièmement, si, vu les circonstances, la fiducie par interprétation est la réparation appropriée au regard de cet enrichissement sans cause. Par ailleurs, il n’y a lieu de conférer une fiducie par interprétation qu’en présence d’un motif justifiant l’octroi au demandeur des droits supplémentaires découlant de la reconnaissance d’un droit de propriété, par exemple, l’obtention d’un bien unique et précis, les changements de valeur du bien ou la nécessité pour le propriétaire de jouir du rang prioritaire en cas de faillite. En l’espèce, les conditions voulues pour établir une fiducie par interprétation sont présentes. Il y a eu enrichissement du défendeur et appauvrissement correspondant du demandeur. Aucun motif juridique ne justifie l’enrichissement du défendeur au détriment du demandeur. La déclaration portant existence d’une fiducie par interprétation est appropriée. Le Wa-Yas a peu de valeur sans les permis de pêche. Il y a lieu de s’inquiéter que le défendeur, en l’absence de restriction, ne vende ou ne transfère les permis avant la vente sous surveillance ou la vente judiciaire. En l’absence d’une fiducie afférente aux permis, le défendeur pourrait se mettre dans une situation où il serait incapable de s’acquitter de toute obligation qu’il aurait envers le demandeur par suite d’un jugement.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Vancouver Community College v. Phillips, Barratt (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 289; 27 C.L.R. 11; 38 L.C.R. 30 (C.S.); La cie de téléphone Bell c. Le Mar-Tirenno, [1974] 1 C.F. 294 (1974), 52 D.L.R. (3d) 702 (1re inst.); conf. par [1976] 1 C.F. 539 (1976), 71 D.L.R. (3d) 608 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Bell Canada v. Olympia & York Developments Ltd. (1989), 68 O.R. (2d) 103; 33 C.L.R. 258; 36 C.P.C. (2d) 193 (H.C.); Highland Fisheries Ltd. v. Lynk Electric Ltd. (1989), 93 N.S.R. (2d) 256; 63 D.L.R. (4th) 493; 242 A.P.R. 256 (C.S. 1re inst.); Pearce v. Tucker (1862), 3 F. & F. 136; 176 E.R. 61 (N.P.); Ford (G.) Homes Ltd. v. Draft Masonry (York) Co. Ltd. (1983), 43 O.R. (2d) 401; 1 D.L.R. (4th) 262; 2 C.L.R. 210; 2 O.A.C. 231 (C.A.); Mack v. Stuike (1963), 43 D.L.R. (2d) 763; 45 W.W.R. 605 (B.R. Sask.); Miller v. Advanced Farming Systems Limited, [1969] R.C.S. 845; Ogilvie v. Cooke and Hannah, [1952] O.R. 862 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ottawa-Carleton (Regional Municipality) v. Consumers’ Gas Co. (1990), 74 O.R. (2d) 637; 74 D.L.R. (4th) 742; 45 C.P.C. (2d) 293; 41 O.A.C. 65 (C. div.); Hickman v. Taylor, 329 U.S. 495 (1947); Welton Tool Rental Limited v. Douglas Aircraft Company (1978), 28 N.S.R. (2d) 636; 43 A.P.R. 636 (C.S. 1re inst.); Burlington Northern Railroad c. Norsk Pacific Steamship Co. Ltd., T-587-88, juge Addy, ordonnance en date du 27-4-90, C.F. 1re inst., encore inédite; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97.

DÉCISIONS CITÉES :

Tilbury Cement Ltd. v. Seaspan International Ltd. (1991), 47 C.P.C. (2d) 292 (C.S.C.-B.); Canadian Brine Ltd. v. The Ship Scott Misener and Her Owners, [1962] R.C.É. 441; Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436; (1978), 83 D.L.R. (3d) 289; [1978] 2 W.W.R. 101; 1 E.T.R. 307; 1 R.F.L. (2d) 1; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; (1980), 117 D.L.R. (3d) 257; 8 E.T.R. 143; 34 N.R. 384; 19 R.F.L. (2d) 165.

DOCTRINE

Cross, Rupert and Colin Tapper. Cross on Evidence, 7th ed., London : Butterworths, 1990.

Fridman, G. H. L. and James G. McLeod. Restitution, Toronto : Carswell, 1982.

Goldsmith, Immanual and Thomas G. Heintzman. Gold-smith on Canadian Building Contracts, 4th ed., Toronto : Carswell, 1988.

McCormick, Charles Tilford. McCormick on Evidence, 3rd ed., St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1984.

Phipson, Sidney L. Phipson on Evidence, 14th ed., London : Sweet & Maxwell, 1990.

Sharpe, Robert J. « Claiming Privilege in the Discovery Process », Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, 1984 (Don Mills, Ont. : Richard DeBoo, 1984) 163.

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada, Toronto : Butterworths, 1992.

Waters, D. W. M. Law of Trusts in Canada, 2nd ed., Toronto : Carswell Co. Ltd., 1984.

ACTION en recouvrement du coût du travail et des matériaux fournis pour la réparation du bateau de pêche du défendeur, auquel se rattachaient des permis. Action accueillie.

AVOCATS :

Bradley M. Caldwell pour le demandeur.

J. Raymond Pollard et Dawn M. Jordan pour les défendeurs.

PROCUREURS :

McMaster, Bray & Company, Vancouver, pour le demandeur.

Richards, Buell, Sutton, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Reed :

NOTE DE L’ARRÊTISTE

Le directeur général estime que les présents motifs, comptant cinquante-deux pages, pourraient être publiés sous forme de résumé. Cette décision a été retenue pour publication, parce que le juge Reed y examinait les questions suivantes : l’admissibilité de rapports que l’on prétendait visés par un privilège parce qu’ils avaient trait à des discussions en vue d’un règlement, une demande d’indemnité fondée sur le principe quantum meruit, l’argument selon lequel la piètre qualité du travail peut justifier la réduction d’une telle indemnité, l’octroi d’intérêts et le jugement déclaratoire visant l’existence d’une fiducie par interprétation.

Les faits sont les suivants. Le défendeur Gorecki a payé 62 000 $ pour un vieux bateau de pêche et les deux permis qui s’y rattachaient, en 1985. Il a loué le bateau en 1986-1987, et celui-ci s’est échoué pendant qu’il était sous la garde des locataires. L’assureur a déterminé que les dommages étaient tels que le navire ne pouvait économiquement être réparé et qu’il conviendrait de le brûler. Le défendeur a quand même décidé de le réparer et a convaincu le demandeur de participer à l’entreprise. Ce dernier a consacré beaucoup d’énergie à ce projet, puis les parties ont convenu de mettre fin à l’entreprise commune. Comme le demandeur a renoncé, à l’instruction, à sa revendication d’un droit de propriété fondé sur un contrat de société à l’égard du bateau et des permis qui lui étaient rattachés, il s’agissait de déterminer s’il avait droit, en equity, à une indemnité en application du principe quantum meruit. Le défendeur soutenait qu’il avait versé au demandeur l’intégralité de la somme due en vertu d’un contrat de réparation à prix fixe.

Avant l’institution de l’action, le défendeur a fait préparer par un expert, M. Harrison, un rapport estimant le temps consacré à la réparation du bateau. Le défendeur a commandé un deuxième rapport (le rapport Smith no 1) après le début des procédures. Ce rapport a initialement été remis au demandeur à titre de pièce jointe à une offre de règlement faite « sous toute réserve ». Ce rapport figurait sur la liste de documents du défendeur et ce dernier a soutenu qu’il était visé par un privilège. Une version légèrement révisée du rapport fut déposée au cours de l’instruction, et son auteur, M. Barry D. Smith, fut appelé à témoigner en qualité d’expert sur la valeur des réparations. Les deux experts ont préparé un troisième rapport, le rapport Harrison-Smith, pour le compte du défendeur, afin de concilier les deux rapports précédents.

Admissibilité des rapports Smith (no 1) et Harrison-Smith

Des objections ont été opposées à l’admissibilité des rapports Smith (no 1) et Harrison-Smith. J’ai mis en délibéré la question de l’admissibilité. L’avocat des défendeurs a soutenu que les deux rapports étaient inadmissibles parce qu’ils traitaient de discussions sur un arrangement et qu’un privilège était revendiqué à leur égard.

Le fait que M. Smith a été cité pour donner son opinion à titre d’expert sur la valeur de la réparation en cause constitue un élément primordial des arguments relatifs à l’admissibilité des deux rapports. En effet, le rapport Smith (no1) en arrivait à la même conclusion que le rapport d’expertise qu’il a déposé le 6 avril 1992 en vue de son utilisation dans la présente instance. On a soutenu que, puisque M. Smith avait été cité pour donner son opinion à titre d’expert sur la valeur de la réparation, le caractère de ces rapports devait être déterminé selon le critère énoncé dans l’affaire Vancouver Community College v. Phillips, Barratt (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 289 (C.S.), aux pages 296 et 297 :

[traduction] Pourvu que l’expert se cantonne dans son rôle de conseiller particulier, il y a de bonnes raisons de respecter le privilège concernant les documents en sa possession. Mais dès qu’il devient témoin, son rôle est essentiellement différent. Ses opinions et leur fondement ne sont plus des conseils confidentiels à l’usage de la personne qui a retenu ses services. Il donne son opinion en qualité d’homme de l’art pour aider le tribunal à découvrir la vérité. Le témoin doit abandonner l’esprit partisan. Il témoigne avec objectivité pour aider le tribunal à comprendre des questions scientifiques, techniques ou complexes qui ressortissent à ses compétences. Il est produit devant le tribunal pour sa véracité, la sûreté de son jugement, ses connaissances et ses compétences. C’est comme si la partie qui le cite disait : « Voici M. X, un expert dans un domaine à l’égard duquel le tribunal a besoin d’aide. Vous pouvez vous fier à son opinion. Elle est judicieuse. Il est prêt à la défendre. Mon confrère peut le contre-interroger à son gré. Il perdra son temps. Le témoin n’a rien à cacher. »

Il me semble qu’en faisant valoir que l’opinion du témoin est digne de foi, la partie qui l’a cité renonce tacitement à tout privilège qui l’autorisait auparavant à ne pas produire les documents de l’expert. Il présente son témoignage devant le tribunal et fait valoir, du moins au début, que le témoignage résistera même au contre-interrogatoire le plus rigoureux. C’est une renonciation tacite à l’égard de documents en la possession d’un témoin qui sont pertinents par rapport à la préparation ou à l’expression des opinions qu’il émet et par rapport à la cohérence de son témoignage, à sa fiabilité, à ses titres et à d’autres questions concernant sa crédibilité.

L’avocat des défendeurs soutient que la décision Vancouver Community College n’a pas été suivie : Bell Canada v. Olympia & York Developments Ltd. (1989), 68 O.R. (2d) 103 (H.C.); Highland Fisheries Ltd. v. Lynk Electric Ltd. (1989), 93 N.S.R. (2d) 256 (C.S. 1reinst.). L’avocat des défendeurs affirme de plus que la décision Vancouver Community College est, de toute façon, mal fondée.

Le privilège invoqué dans les affaires Vancouver Community College, Bell Canada et Highland Fisheries était un privilège relatif à un litige : c’est le privilège dont font l’objet les communications entre un avocat et des tiers quand ces communications ont pour but de permettre au conseiller juridique de conseiller son client ou de le représenter en justice à l’égard d’un litige[1]. L’utilisation des communications aux fins d’un litige doit être le but dominant des communications. Le privilège se rattache à la profession d’avocat, il est jugé nécessaire au bon fonctionnement du système de justice contradictoire. Comme le dit le tribunal dans l’affaire Ottawa-Carleton (Regional Municipality) v. Consumers’ Gas Co. (1990), 74 O.R. (2d) 637 (C. Div.), à la page 643 :

[traduction] L’avocat doit être libre de faire l’enquête et les recherches les plus poussés sans s’exposer à la divulgation de ses opinions, de ses stratégies et de ses conclusions à l’avocat de la partie adverse. L’atteinte au caractère confidentiel de la préparation du procès par l’avocat pourrait bien l’amener à reporter ses recherches et son travail préparatoire à la veille du procès, voire au procès, de façon à éviter la divulgation prématurée de renseignements nuisibles. Pareil résultat serait contraire au présent objectif, c’est-à-dire qu’une enquête menée tôt et de manière approfondie par l’avocat favorisera le règlement du litige dans les meilleurs délais. En effet, si l’avocat sait qu’il doit remettre à l’autre partie le fruit de ses recherches, il pourrait être tenté de s’abstenir de faire une étude consciencieuse de sa propre preuve dans l’espoir d’obtenir la communication des recherches, des enquêtes et des idées qui forment la preuve de l’avocat de la partie opposée.

Cette explication, tirée de l’affaire Ottawa-Carleton, est suivie, dans l’ouvrage de Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, à la page 654, d’un exposé de l’état du droit aux États-Unis :

[traduction] Certes, la jurisprudence anglo-canadienne est imprégnée depuis longtemps de ce second volet du secret professionnel de l’avocat, mais ce n’est qu’en 1947, dans l’arrêt Hickman v. Taylor, que les Américains ont établi fermement une notion comparable, qu’ils ont désignée la doctrine du « produit du travail ». Le juge Murphy en a expliqué le fondement dans le passage qui suit, qui a souvent été cité.

Voici le passage souvent cité de l’arrêt Hickman v. Taylor [329 U.S. 495 (1947)] qui explique le fondement du privilège [aux pages 510 et 511] :

[traduction] Il est essentiel que, dans l’accomplissement de ses diverses fonctions, l’avocat soit assuré, dans une certaine mesure, du caractère confidentiel de son travail, qu’il soit protégé contre toute atteinte inutile de la part des parties opposées et de leurs avocats. Pour bien préparer les arguments de son client, il doit rassembler des renseignements, trier les faits qu’il estime pertinents et les autres, préparer ses théories juridiques et planifier sa stratégie sans ingérence indue et inutile. Ce travail s’exprime bien sûr par des entrevues, des déclarations, des notes de service, des lettres, des mémoires, des impressions et des opinions, et d’innombrables autres manières tangibles ou intangibles — que la Circuit Court of Appeals a appelés, avec justesse mais en termes approximatifs, en l’espèce le « produit du travail de l’avocat ». Si les avocats de la partie adverse pouvaient consulter ces documents sur demande, une grande partie de ce qui est aujourd’hui consigné ne serait plus couché par écrit. Les pensées d’un avocat, jusqu’alors inviolables, ne lui appartiendraient plus. Les conseils juridiques et la préparation du procès seraient inévitablement marqués au coin de l’inefficacité, de la déloyauté et de la malhonnêteté. Cela serait démoralisant pour les avocats. Et les intérêts des parties et la cause de la justice seraient mal servis.

Le privilège relatif à un litige n’équivaut pas au secret professionnel de l’avocat. C’est pourquoi les raisons énoncées dans l’affaire Bell Canada pour ne pas suivre la décision Vancouver Community College ne sont pas nécessairement valables. Permettre qu’un expert cité comme témoin soit contre-interrogé au sujet des documents sur lesquels il se fonde et au sujet des renseignements qu’il a reçus de l’avocat, parce qu’en le citant, ce dernier a renoncé tacitement au privilège, ne signifie pas que, lorsqu’un client devient un témoin, il y a alors renonciation tacite au secret professionnel. Les deux types de privilège et le but de chacun sont différents. Dans son article « Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada, 1984, Don Mills (Ont.), DeBoo, 1984, aux pages 164 et 165, Sharpe met en lumière cette différence d’une manière utile :

[traduction] Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif à un litige, en revanche, s’applique aux communications de caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication. Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non. Le privilège relatif à un litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui-même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif à un litige. Cette différence mérite qu’on s’y arrête. L’intérêt qui sous-tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un homme de loi. Si un individu ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’il lui confie ne sera pas révélé, il sera difficile, voire impossible, à cet individu d’obtenir de bons et francs conseils juridiques.

Le privilège relatif à un litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige … Son but se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif à un litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter pour l’avocat l’enquête et la préparation de sa preuve en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif à un litige vise à faciliter un processus (savoir le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (savoir la relation confidentielle entre un avocat et son client).

Si je comprends bien la décision Vancouver Community College, elle repose sur le fait qu’un expert cité comme témoin n’est pas dans la même position qu’un autre témoin. L’expert tire des conclusions de fait, conclusions qu’il est à même de tirer grâce à ses connaissances spécialisées, qui dépassent les compétences des juges ou des jurés. Si l’expert a donné un avis contraire dans le passé sur les mêmes faits ou s’il est établi qu’il a changé d’avis ou que son opinion a été tripatouillée en réponse, par exemple, aux suggestions d’un avocat, alors la crédibilité de cette opinion a été minée sérieusement. Le témoin est cité à cause de ses connaissances spécialisées, pour aider le tribunal à en arriver à une conclusion; c’est pourquoi il se voit imposer des obligations en matière de divulgation auxquelles les autres témoins peuvent échapper. Dans l’affaire Vancouver Community College, le tribunal dit implicitement qu’eu égard au témoignage de cette catégorie de témoins, la recherche de la vérité l’emporte sur tout intérêt qui pourrait être servi par la protection des documents de travail ou des versions préliminaires des documents du témoin.

Il est bien établi que le privilège peut être invoqué à l’égard de certaines communications parce que la loi présume que la protection de certains intérêts et de certaines relations a la prééminence par rapport à la recherche de la vérité[[2]]. Si j’interprète correctement la décision Vancouver Community College, le besoin d’une zone protégée, destinée à faciliter pour l’avocat son enquête et la préparation de sa preuve, ne s’étend pas aux renseignements fournis à un expert si celui-ci est appelé à la barre. Cette proposition peut aussi être formulée dans ces termes : quoique l’application du processus du procès contradictoire exige la protection du produit du travail de l’avocat, elle n’exige pas la protection du produit du travail d’un expert cité comme témoin. Je ferai observer que le raisonnement suivi dans l’affaire Vancouver Community College ne vise que les experts cités comme témoins. Je ne peux pas désapprouver la conclusion tirée dans cette affaire.

En dépit du fait que son argumentation ait porté en grande partie sur la décision Vancouver Community College, l’avocat ne s’est pas appuyé en l’espèce sur le privilège relatif à un litige pour faire valoir un privilège à l’égard des rapports. Ce ne sont pas les documents de travail ou les versions préliminaires des documents de l’expert qu’on cherche à produire. Aucun élément de preuve n’indique que le but dominant dans lequel l’un ou l’autre des rapports a été préparé ait été l’utilisation aux fins d’un litige. L’avocat des défendeurs fait valoir un privilège à l’égard des deux rapports parce qu’il s’agissait de communications favorisant le règlement du litige.

Quant au rapport Smith (no 1), l’avocat du demandeur soutient que, peu importe le caractère initial de ce rapport, il a cessé d’être privilégié quand il a été inséré dans la partie I de la liste des documents des défendeurs et mis à la disposition de l’avocat du demandeur. L’avocat des défendeurs soutient qu’il ne saurait y avoir renonciation à un privilège à l’égard des discussions visant à un règlement : c’est le principe de la [traduction] « pérennité des privilèges ».

Il appert de la doctrine relative à la renonciation au privilège[3] que le principe de la pérennité des privilèges ne signifie pas que la partie qui bénéficie du privilège ne peut pas y renoncer. Ce principe s’entend de la permanence du caractère privilégié, par exemple, même en cas de décès de l’avocat ou de constitution de nouvel avocat ou encore de tentative pour forcer la production des renseignements privilégiés dans un autre litige. Certes, il se peut que le privilège rattaché aux communications favorisant le règlement du litige profite aux deux parties et que la renonciation à ce privilège ne soit possible qu’avec le consentement des deux parties, mais ce facteur n’est pas pertinent en l’espèce. En cherchant à produire les deux rapports, le demandeur indique qu’il a donné son consentement et il ne reste qu’à vérifier s’il y a eu renonciation de la part du défendeur.

À mon avis, le rapport Smith (no 1) a perdu tout caractère privilégié qu’il aurait pu avoir au départ, lorsqu’il a été inclus dans la partie I de la liste des documents des défendeurs et mis à la disposition de l’avocat du demandeur. Il n’y a aucune raison de croire qu’il l’ait été par inadvertance. Son inclusion dans la partie I montre l’intention d’utiliser le rapport au procès. Le rapport a perdu son caractère privilégié avant que le second rapport de M. Smith eut été déposé ou que ce dernier eut été cité à comparaître comme témoin, de sorte que je n’ai pas à décider si ces actions constituaient une renonciation tacite au privilège.

Cela ne résout cependant pas la question. L’avocat du demandeur n’a pas cherché à produire le rapport Smith (no 1) en présentant sa preuve principale, encore que le rapport ait été coté. Il n’a pas cherché à le produire en bonne et due forme en contre-interrogeant M. Smith. C’est par simple oubli qu’il ne l’a pas fait. Il a voulu produire le rapport à la fin du procès. Je ne suis pas convaincue qu’il convienne de l’admettre dans ces conditions. M. Smith n’a pas eu la possibilité de faire des observations sur l’ensemble du document. Par ailleurs, le refus d’accepter le rapport à titre de preuve documentaire à cause de cet oubli ne présente pas d’importance particulière. (Si ce refus avait de l’importance, j’admettrais probablement le rapport et je donnerais à l’avocat des défendeurs la possibilité de réinterroger M. Smith à ce sujet.) L’avocat du demandeur a contre-interrogé M. Gorecki et M. Smith au sujet du rapport. Les témoignages oraux ont été versés au dossier et, si je comprends bien, ils englobent les arguments que l’avocat du demandeur veut faire valoir en ce qui a trait au rapport. La réouverture de l’instruction n’apporterait donc rien d’autre. Le rapport ne sera pas admis; les témoignages oraux relatifs à celui-ci sont admis et font partie à bon droit du dossier.

Venons-en au rapport Harrison-Smith. On affirme que celui-ci revêt aussi un caractère privilégié parce qu’il s’agit d’une communication favorisant le règlement du litige. On trouve dans Sopinka, Lederman et Bryant, aux pages 719 à 721, un passage traitant de cette catégorie de privilège :

[traduction] III COMMUNICATIONS FAVORISANT LE RÈGLEMENT DU LITIGE

A.         Principe et règle générale

Il est reconnu depuis longtemps qu’il y va de l’intérêt public que les parties soient encouragées à résoudre leurs différends privés sans recourir au procès ou, si une action a été engagée, qu’elles soient encouragées à régler le litige à l’amiable. Pour favoriser la réalisation de ces objectifs, les tribunaux ont protégé contre la divulgation les communications, écrites ou verbales, faites en vue d’une réconciliation ou d’un arrangement. En l’absence d’une telle protection, peu de personnes entameraient des négociations en vue d’un règlement de peur que toute concession qu’elles seraient disposées à faire puisse être utilisée à leur détriment s’il n’en résultait aucun arrangement. Le principe de l’exclusion a été énoncé dans deux affaires ontariennes anciennes. Dans l’affaire York (County) v. Toronto Gravel Road& Concrete Co., le juge Proudfoot dit ceci :

Selon moi, la règle veut que les ouvertures de paix et toute autre offre ou proposition de la part des parties en litige, faites expressément ou tacitement sous toutes réserves, soient exclues eu égard à l’intérêt public.

Quatre ans plus tard, dans l’affaire Pirie v. Wyld, le juge en chef Cameron confirme cette règle en ces termes :

Le premier point semble ressortir nettement de la jurisprudence, quoiqu’elle soit peu abondante, c’est-à-dire que les lettres écrites ou les communications faites sous toutes réserves, ou les offres faites en vue d’une réconciliation, ou pour en arriver à un compromis, ne sont pas admissibles en preuve. Leur admission est apparemment tenue pour contraire à l’intérêt public car elle aurait tendance à favoriser les poursuites et à empêcher les règlements amiables.

Bon nombre d’autres précédents ont fondé la reconnaissance du privilège sur l’intérêt public. Toutefois, Wigmore on Evidence examine nombre d’autres théories :

1. Que l’aveu fait au cours des négociations en vue d’un règlement n’est probablement qu’hypothétique ou conditionnel, ne représentant qu’une supposition sur laquelle un règlement pourrait être basé, que cette supposition soit vraie ou fausse, et qu’un tel aveu n’est pas pertinent et n’est donc pas admissible, encore que, si un aveu sur une question de fait était nettement inconditionnel, il serait admissible;

2. Que tous les aveux faits au cours des négociations en vue d’un règlement sont faits sous toutes réserves, que cela soit précisé ou non, et qu’ils sont protégés par un privilège fondé sur l’intérêt public et ne sont pas admissibles en preuve;

3. Que les négociations en vue d’un règlement sont menées selon les règles du droit des contrats qui régissent l’offre et l’acceptation et sous réserve expresse du secret, que, si un contrat est conclu, les négociations sont annulées et remplacées par le contrat lui-même, et deviennent non pertinentes et non admissibles, et que, si aucun contrat n’est conclu, les négociations sont, pour cette raison, non pertinentes;

4. Que l’aveu fait au cours des négociations en vue d’un règlement peut ne pas représenter l’aveu d’un tort, mais simplement l’expression du désir de faire la paix, et donc ne pas être pertinent ni admissible.

La deuxième théorie est nettement celle qui est acceptée en Ontario. Il n’est cependant pas clair si l’état du droit est le même en Colombie-Britannique. Dans l’affaire Derco Industries Ltd. v. A.R. Grimwood Ltd., le juge Spencer a dit que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Schetky v. Cochrane, avait préféré la première théorie de Wigmore relative à « l’aveu conditionnel ». En appel de la décision Derco, le juge Lambert n’a pas tranché la question du fondement du privilège, mais a fait remarquer qu’aucune ratio decidendi, qui lie les tribunaux de la Colombie-Britannique, ne pouvait être discernée dans l’arrêt Schetky. D’autres tribunaux ont appliqué la théorie de l’accord exprès ou tacite. Il est manifestement peu souhaitable que des théories distinctes soient appliquées dans différentes provinces.

Si la théorie du privilège s’applique, il est vrai que l’intérêt public prépondérant peut justifier l’exclusion de preuves qui seraient par ailleurs pertinentes et probantes. L’offre de verser une somme pour régler un litige, par exemple, peut être pertinente car elle semble indiquer une preuve faible sur la question de la responsabilité et, sans le privilège, peut être présentée à titre d’aveu de responsabilité par la partie adverse au cas où l’offre aurait été refusée. [Non souligné dans le texte original (renvois omis).]

Il ressort clairement de ce qui précède que le privilège en cause vise les communications entre les parties ou leurs mandataires, qui sont faites dans le but de tenter d’en arriver à un règlement. En outre, il doit être clair, explicitement ou tacitement, que l’offre de règlement a été faite sous le sceau du secret.

L’avocat des défendeurs m’exhorte à conclure qu’en préparant le rapport Harrison-Smith, M. Harrison représentait M. Jesionowski et que M. Smith représentait M. Gorecki. Il soutient que le rapport a été préparé conjointement par des représentants des parties en vue d’un règlement. Je ne peux pas tirer cette conclusion. Premièrement, ni M. Jesionowski ni un mandataire agissant en son nom n’a participé à l’expertise. Deuxièmement, quoiqu’un exemplaire du rapport ait été envoyé à l’avocat du demandeur, ce n’était pas à titre d’offre de règlement. Pour être visée par le privilège qui protège les négociations menées en vue d’un règlement, la communication doit se rattacher à une tentative véritable pour régler le différend[4]. Le document en question ne rentre pas dans cette catégorie et ne présente donc pas de caractère privilégié. Il est donc admissible.

Le juge Reed a conclu que l’admission en preuve de ces rapports n’avait pas beaucoup de conséquences. Ils avaient peu de poids et ne résistaient pas à l’analyse.

Montant de l’indemnité selon le principe quantum meruit

Le terme « quantum meruit » se traduit littéralement par « autant qu’il mérite ». Il représente une doctrine d’equity fondée sur le principe que la personne qui bénéficie du travail et des matériaux fournis par une autre personne ne doit pas en tirer un enrichissement sans cause. Lorsque des contrats ne peuvent être exécutés parce qu’ils sont incertains ou quand aucun contrat n’a été conclu (par exemple, en cas de fourniture volontaire de biens et de services dans certaines circonstances), une promesse de verser une somme raisonnable pour les matériaux et le travail fournis est implicitement reconnue en droit.

L’avocat des défendeurs cite un passage de l’ouvrage de G. H. L. Fridman, Restitution, Carswell, 1982, à page 478 :

[traduction] En règle générale, le quantum de la réparation dans toutes les actions en restitution fondées sur le principe quantum meruit doit être fonction de la juste valeur marchande des services ou du travail fournis. Quand la réparation est ainsi calculée, le demandeur reçoit une rémunération raisonnable pour son travail ou ses services. De plus, le défendeur doit rendre compte de la valeur marchande de l’avantage qu’il a effectivement reçu. Cet avantage n’est pas représenté simplement par l’augmentation de la valeur de ses biens, mais plutôt par la somme que coûterait pour lui l’obtention de cette amélioration sur le marché libre.

En revanche, surtout dans les cas d’améliorations apportées par erreur à un bien-fonds, si le demandeur améliore le bien-fonds du défendeur à son propre profit en se fiant à un contrat de vente de terrain qui est par la suite déclaré nul pour erreur, il n’y a pas de raison que le défendeur ait à verser une somme supérieure à l’augmentation de valeur de son terrain qui en a résulté. En dernier lieu, le quantum de l’indemnité accordée à titre de restitution, qui est fondée non pas sur le principe de l’enrichissement sans cause ou de la conduite préjudiciable, mais seulement sur l’intérêt public, doit être limité à la juste valeur marchande du travail du demandeur ou à l’augmentation du patrimoine du défendeur, si elle est moins élevée.

L’avocat des défendeurs s’est référé à l’affaire Welton Tool Rental Limited v. Douglas Aircraft Company (1978), 28 N.S.R. (2d) 636 (C.S. 1re inst.). Dans cette affaire, les parties avaient discuté d’une somme d’environ 20 000 $ pour la construction d’un abri destiné à un aéroplane durant des travaux de réparation. La Cour a décidé que les parties n’avaient pas conclu d’accord quant au prix à verser pour les travaux et que la demanderesse devait être dédommagée selon le principe quantum meruit. La demanderesse avait remis une facture de 107 494 75 $ pour l’ensemble des travaux. Le juge Hallett a dit ce qui suit, à la page 646 de sa décision :

[traduction] S’agissant de calculer le montant à restituer, je ne vois aucune raison d’établir une distinction entre les services personnels fournis dans l’affaire Deglman et les services d’un entrepreneur fournis en l’espèce. Dans un cas comme celui qui nous occupe, lorsque le demandeur a fourni les services en sachant qu’aucun contrat n’avait été conclu, le critère selon lequel doit être déterminé le montant à restituer au demandeur, suivant la doctrine de l’enrichissement sans cause, est la valeur de l’avantage tiré par le défendeur et non le caractère raisonnable du prix demandé par le demandeur, car il se peut que le prix demandé par le demandeur soit raisonnable, alors que l’avantage tiré par le défendeur ne soit néanmoins pas proportionné à l’effort qu’a fourni le demandeur dans la prestation de services.

À la page 652, il a dit que les heures que la demanderesse avait effectivement travaillées ne présentait aucune importance car l’indemnité accordée était fonction de la valeur de l’avantage reçu par le défendeur.

Certes, il se peut que, dans certains cas, l’augmentation de la valeur des biens du défendeur sur lesquels a porté le travail ou pour lesquels des matériaux ont été fournis constituera la limite du quantum de l’indemnité accordée, mais je n’estime pas que cela sera toujours le cas. Selon mon interprétation du droit, une indemnité basée sur le principe quantum meruit doit être fixée en fonction de toutes les circonstances dans lesquelles l’obligation est née[5].

En l’espèce, il est tout à fait clair que l’indemnité fondée sur le principe quantum meruit ne doit pas être circonscrite par l’augmentation de la valeur du bateau qui a résulté de la fourniture de matériaux et du travail fait par M. Jesionowski. Tout d’abord, le bateau a été tenu pour une perte totale implicite au moment où la réparation a commencé. Ensuite, si aucun permis de pêche n’avait été rattaché au bateau, il est peu probable que le demandeur ou le défendeur ait consacré autant d’efforts à la réparation. Le bateau lui-même ne vaut pas grand-chose maintenant, pas plus qu’en 1987. Le projet conjoint qui a été entrepris l’a été en vue d’un profit futur qui serait tiré de la pêche. Les sommes et le temps consacrés ne devaient pas être récupérés grâce à l’augmentation de la valeur du bateau. Ils devaient être récupérés plus tard quand le bateau aurait servi à pratiquer la pêche. En pareil cas, le montant raisonnable de l’indemnité qui doit être accordée au demandeur selon le principe quantum meruit doit être basé sur l’évaluation de la somme attribuable aux matériaux que M. Jesionowski a fournis et sur la valeur marchande raisonnable du travail qu’il a fait ou pour lequel il a payé d’autres personnes. C’est au demandeur qu’incombe à cet égard la charge de la preuve.

Madame le juge Reed a procédé à l’examen des divers montants réclamés par le demandeur pour les matériaux, pour le travail exécuté par des tiers et pour le sien propre.

Qualité du travail

Les défendeurs soutiennent que, si la qualité du travail est pauvre, il y a lieu de réduire de façon considérable toute indemnité accordée selon le principe quantum meruit ou, subsidiairement, d’accorder des dommages-intérêts au défendeur. Les décisions qui suivent ont été citées : Pearce v. Tucker (1862), 3 F. & F. 136; 176 E.R. 61 (N.P.); Ford (G.) Homes Ltd. v. Draft Masonry (York) Co. Ltd. (1983), 43 O.R. (2d) 401 (C.A.); Mack v. Stuike (1963), 43 D.L.R. (2d) 763 (B.R. Sask.); Miller v. Advanced Farming Systems Limited, [1969] R.C.S. 845; Ogilvie v. Cooke and Hannah, [1952] O.R. 862 (C.A.).

Il n’y a pas de doute que l’exécution du travail n’a pas été conforme aux normes de qualité professionnelle des chantiers navals. Au sujet des soudures qui ont été faites, M. Payment a résumé le tout en disant [traduction] « ce n’est pas de la belle besogne, mais c’est vachement solide ». Dans le rapport Harrison-Smith, on peut lire [traduction] « qualité jugée bonne selon les normes des chantiers navals (taux d’ouvrier) ». M. Jesionowski a admis qu’il y avait eu plus de gaspillage de matériaux et de temps que si des professionnels avaient été embauchés. Il dit qu’il faut s’y attendre quand on ne paie les gens qu’au taux horaire de 5 $ à 10 $. L’ouvrage est inachevé. Esthétiquement, il présente manifestement bien des défauts.

La jurisprudence qui a été citée à propos de la qualité du travail et de son effet sur le quantum de l’indemnité accordée au demandeur n’est pas pertinente, étant donné les circonstances. Ces décisions concernent en général les contrats de fourniture de produits et de services qui comportent une garantie tacite. En l’espèce, je le répète, le carénage du Wa-Yas était une entreprise conjointe. M. Gorecki était aussi responsable de la qualité du travail, sinon plus, que M. Jesionowski. Il a participé au jour le jour et dans tous les détails à la prise de décision. Il a donné des instructions détaillées quand il s’est absenté. Il a exercé un droit de regard sur toutes les décisions importantes : mise en cale sèche, remplacement des ponts avant et arrière; revêtement de la coque en fibre de verre. Il n’a pas manifesté d’inquiétude particulière au sujet de la qualité du travail à l’automne 1987, par exemple, en tentant de rompre son association avec M. Jesionowski à ce moment-là à cause de la mauvaise qualité du travail. Il n’a rien fait à ce moment-là pour changer la façon dont le carénage était effectué. Il était présent quand le pont arrière a été installé et se trouvait près du chantier quand la coque a été nettoyée, meulée et recalfatée. Je n’accepte pas son témoignage qu’il s’est fié à la compétence de M. Jesionowski et que c’est à ce dernier et non à lui qu’incombait la responsabilité à l’égard de tous les défauts et de toutes les corrections. Par conséquent, je rejette la demande reconventionnelle de M. Gorecki visant l’obtention de dommages-intérêts à cause de la malfaçon.

En ce qui concerne l’inspection par la Garde côtière (M. Hansen), j’accepte le témoignage de M. Lund et de M. Payment : les défauts relevés sont, vu l’ensemble du contexte, mineurs; leur correction ne coûtera pas cher; il n’est pas inhabituel qu’une telle inspection révèle un certain nombre de défauts de cet ordre. Je dois faire remarquer que la conduite du défendeur, qui a fait faire cette inspection juste quelques jours avant le début de l’instruction et qui a ensuite versé le rapport en preuve à la dernière minute, ne m’a pas fait une bonne impression. Pareille conduite laisse supposer qu’on cherche à surprendre le demandeur, à ne pas laisser au tribunal le temps de bien peser la décision et à prendre la partie adverse au dépourvu. Il aurait été préférable que M. Gorecki fît inspecter le bateau beaucoup plus tôt, au moment où les deux parties étaient en mesure de faire un examen réfléchi de la nature des défauts allégués.

Intérêt sur l’indemnité—Jugement déclaratoire portant fiducie par interprétation—Dommages-intérêts pour immixtion dans l’usage des permis

1.         Intérêts

Il est clair que, dans l’exercice de sa compétence maritime, la Cour peut accorder des intérêts à titre de partie intégrante des dommages-intérêts. Dans l’affaire La cie de téléphone Bell c. Le Mar-Tirenno, [1974] 1 C.F. 294(1reinst.), le juge Addy, au jugement duquel la Cour d’appel fédérale a souscrit, [[1976] 1 C.F. 539 a dit ce qui suit, à la page 311 :

Il est certain que cette Cour, en sa juridiction d’amirauté, a compétence pour allouer des intérêts à titre de partie intégrante des dommages-intérêts auxquels la demanderesse peut par ailleurs avoir droit, que ce soit ex contractu ou ex delicto.

Les Cours d’amirauté, dans l’exercice de leur compétence, appliquaient des principes différents de ceux sur lesquels se fonde la jurisprudence de common law; il s’agit en l’espèce d’un principe de droit civil selon lequel, lorsque le paiement n’est pas effectué, l’intérêt est dû au créancier ex mora du débiteur.

Le juge Addy a expliqué ensuite que les intérêts sont accordés suivant le principe restitutio in integrum. C’est-à-dire que l’indemnité accordée au demandeur doit tendre à le remettre dans l’état où il aurait été si les faits qui ont donné lieu à sa demande n’étaient pas arrivés.

Dans l’affaire Burlington Northern Railroad c. Norsk Pacific Steamship Co. Ltd., T-587-88, ordonnance en date du 27 avril 1990, C.F. 1reinst., encore inédite, le juge Addy a dit ceci, aux pages 14 et 15 :

Quant à la référence relative aux dommages-intérêts et aux taux d’intérêt applicables, il est bien établi que, s’agissant de la compétence maritime, si des dommages-intérêts ex delicto sont accordés, le principe restitutio in integrum exige que, si un intérêt est demandé, il soit accordé à compter de la date de la perte, sans qu’il existe nécessairement de loi habilitante comme c’est le cas lorsque la demande est fondée sur les règles ordinaires de common law.

Puisque le taux d’intérêt qui doit être appliqué peut dépendre des circonstances de l’espèce, il convient que je détermine au moins de quelle manière le taux peut être prouvé et fixé par la suite dans le cadre de la référence.

Quant à l’intérêt sur le dommage résultant de la perte financière qu’ont subie les compagnies ferroviaires, la façon la plus juste d’appliquer le principe restitutio in integrum, comme il s’agit d’entreprises, consisterait à utiliser le taux préférentiel fixé par les banques à charte en vigueur pendant la période entre la date du dommage et la date du jugement sur la référence. Puisque le dommage s’est nécessairement accru continuellement à compter de la collision jusqu’au jour où le pont a été rouvert, le montant du dommage devra être estimé suivant sa progression durant toute la période et les taux en vigueur devront être appliqués sur le montant du dommage tel qu’il s’est accru durant ce laps de temps.

Récemment, le juge Trainor a appliqué ces principes dans l’affaire Tilbury Cement Ltd. v. Seaspan International Ltd. (1991), 47 C.P.C. (2d) 292 (C.S.C.-B.).

L’avocat des défendeurs soutient qu’il ne convient pas d’accorder des intérêts au demandeur parce que sa demande découle d’un contrat et non d’un délit et parce qu’il n’a pas réclamé d’intérêts dans sa déclaration. On peut répondre à la première objection en se reportant à la décision du juge Addy dans l’affaire La cie de téléphone Bell, précitée, dans laquelle il indique que le principe s’applique aussi dans les deux cas en droit maritime. Quant au second point, le juge Addy, dans l’affaire La cie de téléphone Bell, s’est abstenu d’accorder des intérêts au taux préférentiel parce que le point « n’a jamais été invoqué ni soulevé dans les plaidoiries ou dans la preuve ni débattu à l’audience ». En l’espèce, l’avocat des défendeurs a été informé que le demandeur demandait des intérêts au moins dès le 13 avril 1992, parce que l’avis demandant l’admission de documents qui lui a été envoyé et qui portait cette date contenait une liste des taux préférentiels applicables. La question a été soulevée à l’instruction et a été débattue. La déclaration du demandeur comprend une demande visant à obtenir [traduction] « toute autre réparation que la Cour estime convenable ». Voir aussi l’affaire Canadian Brine Ltd. v. The Ship Scott Misener and Her Owners, [1962] R.C.É. 441, à la page 452.

Il ressort nettement de la preuve, et le bon sens indique, que si M. Jesionowski avait pu disposer de ses fonds et que ceux-ci n’avaient pas été immobilisés dans le Wa-Yas, il aurait été à même d’en faire un autre usage. Il aurait pu, par exemple, les investir dans son entreprise M.E. Marine Consultants. Pour le remettre le plus possible dans l’état où il aurait été si les faits qui fondent sa demande n’étaient pas arrivés, il est raisonnable de lui accorder une indemnité sous forme d’intérêts pour les sommes et le travail qu’il a investis dans le Wa-Yas.

L’avocat soutient qu’il y a lieu d’accorder des intérêts à compter du 11 novembre 1990, date à partir de laquelle les deux hommes on décidé de mettre fin à leur entreprise en participation relativement au Wa-Yas. Dans le cas présent, on peut certes affirmer qu’à compter du 11 novembre 1990, les deux hommes ont décidé de se séparer et, par analogie, on peut dire que M. Jesionowski a présenté sa facture à M. Gorecki ce jour-là, mais je ne pense pas que M. Jesionowski s’attendait à être payé ce jour-là. Il était à prévoir que l’évaluation de la somme à verser prendrait un certain temps. À mon avis, l’intérêt doit être payé à compter du 8 février 1989. Le taux sera le taux préférentiel fixé par les banques à charte, à divers moments dans l’intervalle, jusqu’à ce que l’indemnité accordée dans le présent jugement ait été payée.

2.         Jugement déclaratoire portant fiducie par interprétation

Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le défendeur détient, sur le Wa-Yas et sur les permis rattachés actuellement à celui-ci, un droit consacré par une fiducie par interprétation, fondée sur le principe quantum meruit à l’égard du travail effectué et sur le principe quantum valebant à l’égard des matériaux fournis.

Une fiducie par interprétation existe [traduction] « peu importe l’intention de quelque partie que ce soit, quand la loi impose à une partie l’obligation de détenir un bien précis au bénéfice d’une autre personne » : voir Waters, Law of Trusts in Canada, 2e éd., 1984, à la page 377. La fiducie par interprétation est une forme de réparation fondée sur l’equity qui vise à prévenir l’enrichissement sans cause : Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436, à la page 455; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834.

Pour décider s’il y a lieu d’imposer une fiducie par interprétation (c’est-à-dire d’accorder une réparation fondée sur un droit de propriété plutôt qu’une indemnité), la Cour doit déterminer, premièrement, si un enrichissement sans cause a été établi, deuxièmement, si le demandeur a subi un appauvrissement correspondant, troisièmement, s’il y a un motif juridique à l’enrichissement, et quatrièmement, si, vu les circonstances, la fiducie par interprétation est la réparation appropriée au regard de cet appauvrissement. Dans l’arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, à la page 678, le juge La Forest écrit : « Dans la grande majorité des cas, la fiducie par interprétation ne sera pas la réparation appropriée » (non souligné dans le texte original). Il en est ainsi parce que, dans la plupart des cas, il aurait pu être satisfait aux prétentions du demandeur par une simple indemnité. En outre, il n’y a lieu de conférer une fiducie par interprétation qu’en présence d’un motif pour accorder au demandeur les droits supplémentaires découlant de la reconnaissance d’un droit de propriété (par exemple, ce motif peut être l’obtention d’un bien unique et précis, les changements de valeur du bien ou la nécessité pour le propriétaire de jouir du rang prioritaire en cas de faillite). Voir l’arrêt Lac Minerals, précité, à la page 678.

L’avocat du demandeur soutient—ce à quoi je souscris—qu’en l’espèce, les conditions voulues pour établir une fiducie par interprétation sont présentes : de toute évidence, il y a eu enrichissement du défendeur et appauvrissement correspondant du demandeur. De plus, il n’y a aucun motif juridique à l’enrichissement du défendeur au détriment du demandeur. Il reste à décider si l’imposition d’une fiducie par interprétation est la réparation appropriée.

J’ai conclu que oui. Il est clair que le Wa-Yas a peu de valeur sans les permis de pêche. En outre, vu la preuve, il est clair qu’il y a lieu de s’inquiéter que le défendeur, en l’absence de restriction, ne vende les permis ou ne transfère les permis du bateau, avant la vente sous surveillance ou la vente judiciaire. Il est également clair qu’il y a lieu de penser qu’en l’absence d’une fiducie afférente aux permis, M. Gorecki pourrait être, ou pourrait se mettre, dans une situation où il serait incapable de s’acquitter de toute obligation qu’il aurait envers M. Jesionowski par suite d’un jugement. Étant donné les circonstances, il est clair que toutes les conditions voulues pour établir une fiducie par interprétation sont remplies et je suis persuadée qu’un jugement déclaratoire portant fiducie par interprétation est une réparation appropriée vu les circonstances de l’espèce.

Finalement, le juge Reed a statué que la demande reconventionnelle du défendeur visant l’obtention de dommages-intérêts pour immixtion dans l’usage des permis était devenue sans objet en raison des décisions rendues à l’égard des autres aspects du litige. Comme le défendeur soutenait qu’il avait des droits sur le bateau en qualité d’associé, il n’était pas déraisonnable qu’il écrive au ministère des Pêches et Océans pour demander que les permis ne soient pas transférés sans son consentement. De plus, le demandeur s’est montré disposé à ce que le bateau soit utilisé ou vendu, dans la mesure où le produit en provenant puisse être employé pour satisfaire aux obligations de tout jugement qu’il pourrait obtenir.



[1] Cross on Evidence (1990, 7eéd.), à la p. 431; Phipson on Evidence (1990, 14eéd.), aux par. 20-30; Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, (1992), à la p. 653.

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