[2000] 4 C.F. 184
T-1534-97
Karel Fortyn et Seaway Serpentarium (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine et Alistair Ker (défendeurs)
Répertorié : Fortyn c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux—Toronto, 29 novembre 1999; Ottawa, 24 mai 2000.
Pratique — Frais et dépens — Cautionnement pour les dépens — Interprétation des règles 416 et 417 des Règles de la Cour fédérale (1998) — Les mots « autre instance » figurant dans la règle 416(1)f) ne sont pas limités aux instances engagées devant la Cour fédérale — Le demandeur n’a pas satisfait à la charge imposée par la règle 417 d’établir son indigence pour se protéger contre le cautionnement pour les dépens.
Dans une action en dommages-intérêts, le défendeur Ker avait sollicité, en vertu des alinéas 416(1)f) et g) des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance enjoignant au demandeur Fortyn de payer un cautionnement pour les dépens. Le défendeur avait allégué qu’un tribunal de l’Ontario lui avait accordé une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à une autre instance, que ces dépens demeuraient impayés (416(1)f)) et que l’action était frivole ou vexatoire (416(1)g)). Le demandeur soutenait que les faits de l’affaire n’étaient pas visés par ces dispositions; que le défendeur n’avait pas satisfait à l’obligation qui lui incombait et que, de toute façon, la règle 417, se rapportant à l’indigence, faisait obstacle à l’ordonnance demandée.
Jugement : la requête doit être accueillie.
C’était la première fois que la Cour avait à examiner les alinéas 416(1)f) et g) des nouvelles Règles concernant le paiement du cautionnement pour les dépens.
Une requête visant à l’obtention d’un cautionnement pour les dépens présentée en vertu de la règle 416 n’est pas automatiquement accueillie et, en vertu de la règle 417, elle peut être rejetée si l’accès à la Cour est contrecarré alors que la cause est fondée et que le demandeur est indigent.
En ce qui concerne l’alinéa 416(1)f), la preuve établissait que le défendeur avait obtenu contre le demandeur une ordonnance pour les dépens afférents à une autre instance. Il s’agissait de savoir si les mots « afférents à une autre instance » visaient les dépens obtenus dans une instance autre qu’une instance engagée devant la Cour fédérale, par exemple devant les tribunaux de l’Ontario, comme c’est ici le cas. Selon l’analyse contextuelle ou l’analyse fondée sur l’objet de la règle 416, ces mots ne devraient pas être considérés comme étant limités aux procédures engagées devant cette Cour. Un facteur important était le fait que la Cour fédérale, qui a compétence partout au Canada, une compétence qui est souvent concurrente, a souvent affaire à des parties qui ont engagé une instance devant les tribunaux provinciaux.
Quant à l’alinéa 416(1)g), le défendeur n’a pas établi que la cause du demandeur est clairement et de toute évidence dénuée de tout fondement.
Quant à la règle 417, la question de l’indigence a été examinée par la Cour fédérale dans la décision Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al. (1996), 118 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.) et par la Haute Cour de l’Ontario dans la décision Smith Bus Lines Ltd. v. Bank of Montreal (1987), 61 O.R. (2d) 688. La déclaration que le demandeur avait faite dans son affidavit, à savoir qu’il était indigent, ne satisfaisait pas à la règle. Le demandeur devait fournir une preuve prima facie du fait qu’il était indigent et, si le défendeur contestait la chose, il incombait au demandeur d’établir son indigence selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, dans son affidavit, le demandeur n’avait pas présenté de preuve prima facie.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale du Canada, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2, 416(1)f),g), 417.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1997] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Miraj S.A. c. Gerovital, Inc. (1998), 79 C.P.R. (3d) 313 (C.F. 1re inst.); Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co. (1996), 66 C.P.R. (3d) 36; 109 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.); Mark c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1991), 50 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.); Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (1985), 60 N.R. 203 (C.A.); Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al. (1996), 118 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.); Smith Bus Lines Ltd. v. Bank of Montreal (1987), 61 O.R. (2d) 688; 20 C.P.R. (2d) 38 (H.C.).
DOCTRINE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
REQUÊTE visant l’obtention d’un cautionnement pour les dépens. Requête accueillie.
ONT COMPARU :
Margaret A. Hoy pour le demandeur Karel Fortyn.
Jennifer L. Jones pour le défendeur Alistair Ker.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Margaret A. Hoy, Niagara Falls (Ontario), pour le demandeur Karel Fortyn.
Martin, Sheppard, Fraser, Niagara Falls (Ontario), pour le défendeur Alistair Ker.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Lemieux :
INTRODUCTION
[1] Le défendeur Alistair Ker (le défendeur) sollicite, conformément aux alinéas 416(1)f) et g) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] (les Règles), une ordonnance enjoignant au demandeur Karel Fortyn de payer un cautionnement pour les dépens dans la présente action. Ces dispositions particulières sont nouvelles et n’ont jamais encore été interprétées. Le demandeur soutient que les faits de l’affaire ne sont pas visés par les dispositions susmentionnées, que le défendeur n’a pas satisfait à l’obligation qui lui incombait et que, de toute façon, la règle 417, se rapportant à l’indigence, fait obstacle à l’ordonnance demandée.
[2] Les alinéas 416(1)f) et g) et l’article 417 des Règles se lisent comme suit :
416. (1) Lorsque, par suite d’une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l’une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :
a) le demandeur réside habituellement hors du Canada;
b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n’est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu’il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu’il lui soit ordonné de le faire;
c) le demandeur n’a pas indiqué d’adresse dans la déclaration, ou y a inscrit une adresse erronée, et il n’a pas convaincu la Cour que l’omission ou l’erreur a été faite involontairement et sans intention de tromper;
d) le demandeur a changé d’adresse au cours de l’instance en vue de se soustraire aux conséquences du litige;
e) le demandeur est partie à une autre instance en cours ailleurs qui vise la même réparation;
f) le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie;
g) il y a lieu de croire que l’action est frivole ou vexatoire et que le demandeur ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens s’il lui est ordonné de le faire;
h) une loi fédérale autorise le défendeur à obtenir un cautionnement pour les dépens.
(2) La Cour peut ordonner que le cautionnement pour les dépens soit fourni en tranches représentant les dépens engagés.
[…]
417. La Cour peut refuser d’ordonner la fourniture d’un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause. [Non souligné dans l’original.]
LES FAITS
[3] En 1993, le demandeur Fortyn et le défendeur Ker ont constitué une société connue sous le nom de Seaway Serpentarium (la société), qui est l’autre demandeur; la société exploitait un zoo de reptiles dans un centre commercial, à Welland (Ontario). L’entreprise n’était pas rentable et a fait l’objet de nombreux litiges devant les tribunaux de l’Ontario. Premièrement, le défendeur a intenté une action contre le demandeur en 1994; il a été sursis à cette instance en attendant l’arbitrage; le demandeur s’est vu adjuger les dépens, qui n’ont pas encore été taxés. Deuxièmement, la société a été dissoute par l’arbitre le 25 mars 1995; la vente privée de la collection de reptiles a été ordonnée; si je comprends bien, la vente n’a pas encore eu lieu; la décision relative aux dépens a été reportée et la question n’a pas encore été réglée. Troisièmement, le locateur a poursuivi le demandeur et le défendeur et, le 5 juillet 1996, a obtenu contre le demandeur Fortyn un jugement par défaut de 24 561 05 $ et des dépens d’un montant de 482 90 $. Le montant accordé par jugement a été cédé au défendeur Ker au mois de mai 1997 après que ce dernier eut versé au locateur le montant prévu par le jugement par défaut.
[4] Les demandeurs ont ensuite intenté une action devant la présente Cour, le 17 juillet 1997. Ils réclamaient des dommages-intérêts généraux s’élevant à 1 500 $US et des dommages-intérêts spéciaux s’élevant à 100 000 $US. L’action se rapporte à dix jeunes serpents, des cobras indiens albinos, et à leur destruction par le Service canadien de la faune; c’est la raison pour laquelle l’autre défendeur, Sa Majesté la Reine (qui n’a pas comparu à l’audition de la présente requête) est ici en cause. Les demandeurs allèguent que la saisie et la destruction étaient illégales. Ils allèguent que le défendeur Ker a illégalement autorisé la destruction des serpents par le Service canadien de la faune, en faisant valoir que les serpents lui appartenaient ou que c’était lui qui devait permettre qu’on s’en départe.
[5] Dans un affidavit qu’il a déposé en réponse à la requête que le défendeur Ker a présentée en vue d’obtenir un cautionnement pour les dépens, le demandeur Fortyn ajoute qu’il est indigent, qu’il n’a pas l’argent nécessaire pour payer le cautionnement pour les dépens et qu’il ne sera pas en mesure de poursuivre l’affaire si la Cour lui ordonne de payer un cautionnement. Le demandeur n’a pas été contre-interrogé au sujet de cet affidavit.
ANALYSE
a) Principes d’interprétation
[6] Les alinéas 416(1)f) et g) ont été incorporés dans les Règles. Je n’ai pu trouver aucune décision dans laquelle est interprétée la portée de ces dispositions, et ce, même si les anciennes Règles renfermaient une disposition au sujet du cautionnement pour les dépens.
[7] Aux fins de l’interprétation des dispositions de ces Règles, je me fonderai au départ sur les remarques qui ont été faites dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, où le juge Iacobucci a cité, à la page 41, l’ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87, de Driedger :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
b) Principes généraux applicables au cautionnement pour les dépens
[8] La règle 416 prévoit que la Cour peut ordonner au demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens du défendeur s’il lui paraît que l’existence de l’une des circonstances décrites aux alinéas 416(1)a) à h) est établie.
[9] Dans la décision Miraj S.A. c. Gerovital, Inc. (1998), 79 C.P.R. (3d) 313, à la page 317, dans laquelle les anciennes Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] étaient en cause, le juge Rothstein, en sa qualité de membre de la Section de première instance de la Cour fédérale, a dit ce qui suit : « Le fait que la charge de cette preuve soit imposée aux défendeurs démontre que les demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal ne sont normalement pas tenus de fournir une garantie pour les dépens. » À mon avis, cette remarque démontre clairement qu’une requête visant à l’obtention d’un cautionnement pour les dépens présentée en vertu de la règle 416 n’est pas automatiquement accueillie et qu’en vertu de la règle 417, elle peut être rejetée si l’accès à la Cour est contrecarré alors que la cause est fondée et que le demandeur est indigent.
[10] En vertu des anciennes Règles, un certain nombre de décisions ont porté sur la question de l’octroi d’un cautionnement pour les dépens. Je citerai la décision Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co. (1996), 66 C.P.R. (3d) 36 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Denault, en parlant des circonstances dans lesquelles un cautionnement pour les dépens devrait être accordé et du montant du cautionnement, a fait les remarques ci-après énoncées aux pages 38 et 39 :
Il convient de faire quelques observations préliminaires. Premièrement, en vertu de la règle 446, la Cour a l’entier pouvoir discrétionnaire d’accorder une garantie pour les dépens. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, j’estime utile de citer les propos judicieux qu’a tenus le protonotaire Hargrave dans la décision Tough Traveler, Inc. c. Taymor Industries, Ltd. (1995), 59 C.P.R. (3d) 186, à la p. 190 :
Pour déterminer le montant approprié de la garantie pour les dépens, j’ai également tenu compte d’autres éléments, y compris le fait que [traduction] « un montant doit être prévu pour tenir compte de l’inextinguible flamme de l’optimisme humain et des chances que le montant des frais réclamés reste intact après la taxation » (Procon Ltd., précité, à la p. 571) [Procon (Great Britain) Ltd. v. Provincial Building Co. Ltd., [1984] 1 W.L.R. 557]; que chaque cause, y compris celle-ci, ne sera pas nécessairement contestée jusqu’au bout et que, par conséquent, le montant de la garantie pour les dépens pourrait être quelque peu inférieur; que la garantie pour les dépens ne doit pas être illusoire mais qu’en même temps, elle ne doit pas être abusive au point d’empêcher la demanderesse d’exercer un recours légitime en droit; et que si la garantie pour les dépens s’avérait insuffisante, la défenderesse pourrait toujours présenter une requête pour en augmenter le montant ultérieurement.
[…]
C’est-à-dire que la Cour ne peut vérifier les reçus, notes d’hôtel, nombre de photocopies et ainsi de suite. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que dans une requête visant à obtenir une garantie pour les dépens, il n’appartient pas à la Cour d’examiner tous les frais engagés pour déterminer s’il convient ou non de faire droit à la requête.
Enfin, même si une date de procès a été fixée, il n’y a aucune certitude que les parties atteindront cette étape. Je ne puis écarter la possibilité d’un règlement, ou que le procès ne durera pas aussi longtemps que prévu.
c) Application de l’alinéa 416(1)f)
[11] Le défendeur invoque d’abord l’alinéa 416(1)f) des Règles. Je suis convaincu que la preuve établit que le défendeur Alistair Ker a obtenu contre le demandeur Karel Fortyn une ordonnance pour les dépens afférents à une autre instance, au sens où ces mots sont employés dans cette disposition des Règles. Le défendeur a obtenu cette ordonnance au moyen de la cession du montant accordé par jugement.
[12] Toutefois, il s’agit de savoir si les mots « afférents à une autre instance » figurant dans cette disposition visent les dépens obtenus dans une instance autre que celle qui a été engagée devant la présente Cour, par exemple devant les tribunaux de l’Ontario, comme c’est ici le cas.
[13] La règle 2 ne définit pas le mot « instance » (« proceeding » dans la version anglaise); le sens ordinaire de ce mot est suffisamment général pour englober toute action en justice, où qu’elle ait été intentée, comme l’a fait remarquer le juge Cullen dans la décision Mark c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1991), 50 F.T.R. 157 (C.F. 1re inst.), aux pages 158 et 159. De plus, la Cour d’appel fédérale a conclu que la portée du mot « proceeding » figurant dans la version anglaise de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] n’était pas limitée aux procédures engagées devant la présente Cour (voir Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13).
[14] Toutefois, ces affaires ont été tranchées dans un contexte différent, lié à l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Contrairement à l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, la règle 416 ne renferme pas les mots « devant un autre tribunal », ce qui laisse peut-être entendre que l’on avait l’intention de ne pas étendre sa portée à des procédures autres que celles qui sont engagées devant la Cour fédérale.
[15] Pareille conclusion ne satisfait pas à une analyse de la question selon l’analyse contextuelle ou l’analyse fondée sur l’objet de la règle 416. Cette règle, considérée dans son ensemble, indique son objet véritable. La règle vise principalement à garantir que, dans des circonstances spéciales, dans des circonstances qui sortent de l’ordinaire, le défendeur qui a gain de cause dans une instance engagée devant la présente Cour puisse compter sur un cautionnement pour le paiement des dépens qui lui sont adjugés. Compte tenu des circonstances prescrites, il ne s’agit pas d’un objectif mineur, quand on est confronté à la réalité de l’augmentation du tarif dans les nouvelles Règles, comparé au tarif prévu par les anciennes Règles.
[16] Pour ces motifs, je conclus que la portée des mots « autre instance » n’est pas limitée aux instances engagées devant la présente Cour. Un autre facteur entre également en ligne de compte. La présente Cour a compétence partout au Canada, une compétence exclusive dans certains cas et une compétence concurrente dans d’autres cas, mais plus que tout autre tribunal à l’exception de la Cour suprême du Canada, elle a affaire à des parties qui, dans d’autres contextes, ont peut-être engagé devant les tribunaux provinciaux une instance, fondée sur le droit fédéral ou non. Ce contexte spécial exige que les Règles soient interprétées de façon à inclure les dépens adjugés par ces tribunaux.
d) Application de l’alinéa 416(1)g)
[17] Quant à l’alinéa 416(1)g), le défendeur n’a pas établi que la présente espèce satisfait au critère maintes fois reconnu par la présente Cour comme s’appliquant aux affaires frivoles ou vexatoires. La cause du demandeur n’est pas clairement et de toute évidence dénuée de tout fondement.
e) La protection fournie par la règle 417 s’applique-t-elle?
[18] La règle 417 est également une nouvelle règle qui n’a pas encore été interprétée par la Cour, mais comme je le ferai ci-dessous remarquer, elle codifie certains principes de common law élaborés par la Cour et par d’autres tribunaux. Il s’agit de savoir en premier lieu si le demandeur est indigent et en second lieu, si la cause est fondée. Le second élément de cette règle a été respecté en l’espèce, puisqu’il est lié au critère applicable aux affaires frivoles et vexatoires prévu à l’alinéa 416(1)g), que le défendeur a invoqué sans succès.
[19] Quant à la question de l’indigence, dans la décision Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al. (1996), 118 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a dit ce qui suit, aux paragraphes 17 et 18 [page 158] :
Après avoir vérifié les faits concernant la situation financière du demandeur, je suis convaincu que l’allégation selon laquelle il est impécunieux est sans fondement. Selon le New Shorter Oxford English Dictionary On Historical Principles (Oxford : Clarendon Press, 1993), le mot « impecunious » (« impécunieux ») signifie [traduction] « ayant besoin d’argent, pauvre, sans le sou ». D’après l’American Heritage Dictionary, le mot « impecunious » (« impécunieux ») signifie [traduction] « qui manque d’argent; qui n’a pas d’argent ». Le mot « impécunieux » est un adjectif utilisé pour décrire une personne qui est « pauvre », « appauvrie » ou « nécessiteuse ».
Comme je l’ai mentionné, il est difficile de dire que le demandeur est pauvre, appauvri ou nécessiteux. D’après son affidavit et le témoignage qu’il a présenté au cours de son interrogatoire préalable, il m’apparaît difficile de dire que le demandeur est une personne qui a besoin d’argent, qui est pauvre ou qui est sans le sou.
[20] En Ontario, ce concept a été expliqué comme suit par la Haute Cour dans la décision Smith Bus Lines Ltd. v. Bank of Montreal (1987), 61 O.R. (2d) 688, aux pages 704 et 705 :
[traduction] Lorsqu’il a démontré qu’il existe des motifs valables de croire que le demandeur ne détient pas en Ontario des actifs suffisants, le défendeur s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe et il a à première vue droit à une ordonnance relative au cautionnement pour les dépens; il incombe alors au demandeur de présenter une preuve visant à démontrer :
a) qu’il détient en Ontario des actifs suffisants ou
b) (i) qu’il est indigent et (ii) que s’il n’était pas autorisé à poursuivre l’action, il en résulterait une injustice.
En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté de preuve visant à démontrer qu’il détenait en Ontario des actifs suffisants et il n’a pas non plus présenté de preuve visant à démontrer qu’il était « indigent ». Le demandeur n’a tout simplement pas présenté de preuve sur ce point. Par conséquent, sur cette seule base, rien ne permet de dénier le droit prima facie du défendeur à une ordonnance lui accordant un cautionnement. Des plaidoiries contradictoires ne constituent pas une preuve. L’indigence doit être établie au moyen de la preuve.
Le mot « indigence » ne figure pas dans la règle; ce mot a été introduit dans les commentaires judiciaires qui ont été faits au sujet de la règle, en ce qui concerne le mot « indiquée » figurant dans la partie de la règle prévoyant que (si les conditions énoncées sont remplies), « la cour […] peut rendre toute ordonnance indiquée ». La société demanderesse qui veut être autorisée à poursuivre l’action, sans démontrer qu’elle détient des actifs suffisants ou sans fournir un cautionnement, doit d’abord démontrer l’« indigence », ce qui signifie non seulement qu’elle ne détient pas elle-même des actifs suffisants, mais aussi qu’elle ne peut pas se procurer auprès de ses actionnaires et associés les fonds nécessaires en vue de payer le cautionnement pour les dépens, en partie parce que les tribunaux ne veulent pas que le défendeur qui a gain de cause soit de fait privé des dépens lorsque, par exemple, de riches actionnaires ont décidé d’exploiter l’entreprise et d’ester en justice par l’entremise d’une société fictive. Le demandeur qui affirme être indigent doit prouver qu’il ne peut pas se procurer les fonds nécessaires afin de payer le cautionnement pour les dépens parce que, s’il s’agit d’une société privée, ses actionnaires ne détiennent pas des actifs suffisants. Comme le juge Reid l’a dit dans la décision John Wink Ltd. v. Sico Inc. (1987), 57 O.R. (2d) 705, à la page 709, 15 C.P.C. (2d) 187 : « L’ordonnance prévoyant la remise d’un cautionnement qui empêche le demandeur de poursuivre l’instance règle de fait l’affaire. » Pour invoquer l’indigence, il doit être prouvé que si le cautionnement est exigé, les poursuites prendront fin—parce que non seulement le demandeur ne possède pas la somme nécessaire aux fins du cautionnement, mais aussi parce qu’il n’a pas cette somme à sa disposition. En l’espèce, il n’existe tout simplement aucune preuve en ce sens. [Non souligné dans l’original.]
[21] Selon moi, le problème auquel le demandeur fait face est que, dans son affidavit, il a simplement déclaré qu’il était indigent. Il ne fournit aucun détail à ce sujet. Pareille déclaration, même si elle est faite dans un affidavit, sans être corroborée, ne satisfait pas à la règle. Le demandeur doit faire plus; il doit fournir une preuve prima facie des faits qui permettraient à la Cour de conclure qu’il est de fait indigent. Si le défendeur conteste la chose, il incombe au demandeur d’établir son indigence selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, j’estime que, dans son affidavit, le demandeur n’a pas présenté de preuve prima facie.
[22] Le défendeur m’a remis un projet de mémoire de frais s’élevant à 18 000 $ en tout au titre des dépens, réels et prévus.
[23] Je ne suis pas convaincu que le projet de mémoire de frais du défendeur soit réaliste et que l’officier taxateur y ferait droit.
[24] Compte tenu des faits de l’affaire, il est ordonné au demandeur de consigner un montant de 5 000 $ à titre de cautionnement pour les dépens dans la présente affaire.
[25] Pour ces motifs, la requête du défendeur est accueillie. Il ne s’agit pas d’une instance dans laquelle il convient d’adjuger les dépens.