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[2000] 4 C.F. 350

T-1827-98

BC Tel (appelante)

c.

Évaluateur de la bande indienne de Seabird Island (intimé)

Répertorié : BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (1re inst.)

Section de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 1er février; Ottawa, 17 mai 2000.

Peuples autochtones — Terres — Appel de la décision de la commission de révision de la bande indienne, qui a conclu que l’appelante était assujettie à l’imposition d’une taxe par la bande pour ce qui est de l’usage et de l’occupation des terres de la réserve au-dessus desquelles le câble de fibre optique de l’appelante est suspendu — L’art. 83 de la Loi sur les Indiens permet aux bandes de taxer les immeubles situés dans leur réserve ainsi que les droits sur ceux-ci — Pour qu’une parcelle de terrain soit située dans une réserve, elle doit être visée par la définition du mot « réserve » contenue à l’art. 2(1) — Le décret de 1956 permettait la prise de possession de certaines terres de la réserve par la province — Application des principes d’interprétation et des principes spéciaux pertinents en matière de droits autochtones — La Couronne fédérale doit démontrer une intention claire et expresse en faveur de l’extinction des droits autochtones — Les critères relatifs à l’extinction et à la nature du droit retiré doivent être appliqués séparément — En ce qui a trait à l’extinction, l’ancienne Highway Act indique clairement l’intention de la province d’éteindre tout droit et de se transférer la pleine propriété relativement aux terrains pris en possession pour les fins d’une route — Rien dans le décret de 1956 ne permet de douter de cette intention — Les termes « prise de possession », « terres », « droit de passage » et « l’administration et du contrôle » ont été examinés — La séparation des droits miniers des droits de superficie signifie implicitement le transfert de la propriété absolue des droits de superficie — Le versement d’un paiement forfaitaire laisse entendre que la propriété absolue a été cédée — La Couronne fédérale avait l’intention de céder ce que la province désirait acquérir — La province a reçu le titre absolu relativement au droit de superficie des terres — Comme elle n’a pas exercé ses pouvoirs à l’égard des terres situées dans le corridor, la bande n’a pas conservé un droit suffisant dans les terres lui permettant de taxer leur utilisation.

Il s’agit d’un appel interjeté contre la décision rendue par la commission de révision de la bande indienne de Seabird Island, qui a conclu que l’appelante était assujettie à l’imposition d’une taxe. Au moyen d’un décret en 1953, le Conseil privé a consenti, en application de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, à octroyer une servitude sur les terres de la réserve à British Columbia Electric Company Limited. L’article 35 permettait de retirer à une réserve une parcelle de terrain ou un droit dans cette dernière. Au moyen d’un décret en 1956, le Conseil privé a consenti à la prise de possession de certaines terres de la réserve par la province de la Colombie-Britannique et au transfert de l’administration et du contrôle de ces terres au gouvernement provincial. Le décret en question concerne un « droit de passage », sous réserve de la « servitude » susmentionnée et de toute mine et de tout minerai. La Colombie-Britannique a versé pour cette terre un montant établi conformément à une évaluation approuvée par le Conseil de bande. Une autoroute a été construite dans un corridor d’une largeur de 100 pieds qui coupe à travers la réserve et des poteaux téléphoniques ont été érigés près du bord nord des terres du corridor. L’appelante détient et exploite un câble de fibre optique fixé aux poteaux téléphoniques sur une distance de 8,4 kilomètres. L’article 83 de la Loi sur les Indiens permet aux bandes de taxer les immeubles situés dans leur réserve ainsi que les droits sur ceux-ci. Pour qu’une parcelle de terrain soit située dans une réserve, elle doit être visée par la définition du mot « réserve » ou par celle de l’expression « terres désignées » qui sont prévues au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. La commission a conclu que le câble se trouvait à l’intérieur de la servitude de 1953 et à l’intérieur du corridor. Elle a conclu que si la servitude ne faisait pas partie du corridor, cette terre serait une terre de la réserve et que le câble s’y trouvant serait assujetti à la taxation par la bande. Subsidiairement, la commission a également conclu que la province ne détenait pas les terres du corridor en pleine propriété et que cette dernière avait plutôt le droit d’utiliser le corridor pour les fins de la route mais que, si une partie du corridor cessait d’être utilisée à ces fins, cette partie redeviendrait une terre de la réserve. La commission a ensuite conclu que la terre au-dessus de laquelle les câbles de fibre optique étaient fixés n’était pas utilisée pour les fins de la route, que l’appelante était l’occupante d’une terre située dans la réserve et qu’elle était assujettie au pouvoir de taxation de la bande.

La question en litige consiste à savoir si le câble se situe dans la réserve.

Arrêt : l’appel est accueilli.

En vertu de l’article 35, la Couronne, représentée par le gouvernement fédéral, peut avoir l’intention de retirer des terres d’une réserve. La preuve de cette intention se trouvera généralement dans les décrets autorisant la prise de possession, dans les lettres patentes ou autres documents ainsi que dans les actes ou les dispositions législatives de la Couronne. Le gouvernement fédéral pourrait seulement avoir l’intention de permettre à une province, à une municipalité ou à une société de prendre ce qu’elle veut, auquel cas il faudrait examiner les intentions du preneur pour déterminer si le gouvernement fédéral a consenti ou non à l’extinction. L’intention de la Couronne peut être décelée au moyen de l’utilisation des principes d’interprétation de l’intention du législateur et des principes spéciaux pertinents en matière de droits autochtones. La Couronne fédérale doit démontrer une intention claire et expresse en faveur de l’extinction avant qu’un droit puisse être éteint.

Pour déterminer la nature du droit qui a été retiré à une bande, il faut examiner le texte des lois, toutes les ententes conclues entre les parties initiales, ainsi que les actions et déclarations subséquentes des parties. Les critères relatifs à l’extinction et à la nature du droit retiré doivent être appliqués séparément.

En ce qui a trait au critère relatif à l’extinction, l’indication la plus importante des intentions provinciales se trouve dans l’ancienne Highway Act qui indique clairement l’intention de la province d’éteindre tout droit et de se transférer la pleine propriété relativement aux terrains pris en possession pour les fins d’une route. Rien dans le décret de 1956 ne permet de douter de cette intention. L’utilisation des termes « prise de possession » et « terres » dans le décret ne change rien aux intentions provinciales et ne crée pas d’ambiguïté à la lumière de l’ancienne Highway Act. L’expression « droit de passage » ne vise qu’à indiquer le corridor plutôt qu’à décrire la nature de quelque droit cédé, malgré le fait que cette expression soit utilisée pour décrire la nature d’un droit dans les terres dans le contexte de la description de la servitude octroyée à British Columbia Electric Company Limited. Cette utilisation n’est pas pertinente quant à la définition de cette expression lorsque celle-ci est utilisée dans le contexte des terres du corridor. L’expression « droit de passage » ne donne donc pas lieu à une ambiguïté. Le but visé par la prise de possession, mentionné dans les attendus du décret, constitue un facteur neutre.

Le transfert à la province de « l’administration et du contrôle » du corridor est une expression qui a vraisemblablement été utilisée à la lumière de l’indivisibilité de la Couronne pour indiquer le passage du titre du domaine de la responsabilité fédérale à celui d’une province, comme l’a récemment conclu la Cour d’appel de la Colombie- Britannique à la majorité dans Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town). Cependant, cet arrêt ne peut pas être accepté comme étant définitif étant donné que la Cour suprême du Canada a accordé la demande d’autorisation d’appel.

On peut séparer les droits miniers des droits de superficie lorsqu’on permet la prise de ces derniers, ce qui signifie que le gouvernement fédéral avait l’intention de céder la propriété absolue des droits de superficie à la province. Le paiement forfaitaire versé par la province à la bande au moment de la prise de possession laisse également entendre que la propriété absolue a été cédée.

Il ressort manifestement que la Couronne provinciale avait l’intention d’acquérir la pleine propriété des terres du corridor et que la Couronne à titre de gouvernement fédéral a consenti à un tel transfert, à l’exception des droits miniers dans les terres en question. Par conséquent, la province a reçu en 1956 le titre absolu relativement au droit de superficie des terres.

La bande n’a pas conservé un droit suffisant dans les terres lui permettant de taxer leur utilisation. La bande n’a jamais exercé, depuis 1956, ses pouvoirs en matière de routes pour gérer et entretenir l’autoroute asphaltée se trouvant dans le corridor et la zone tampon entourant cette dernière. Il n’y a pas eu non plus d’éléments de preuve présentés en vue de démontrer que les autres pouvoirs conférés aux bandes par la Loi sur les Indiens ont été exercés dans le corridor. Le fait que la bande a approuvé l’évaluation des terres et qu’elle a accepté un paiement en contrepartie de ces dernières indique que la bande a compris dès le début qu’elle n’aurait plus l’usage et le profit des terres en question. Puisque la province détient le titre relatif aux terres, ces dernières ne font pas partie de la réserve.

La commission a commis une erreur en concluant que la suspension d’un câble de fibre optique empêche, pour les fins d’une route, l’utilisation des terres au-dessus desquelles il est fixé. Le décret de 1956 ne rend pas la prise et le transfert des terres conditionnels à leur utilisation continue pour les fins d’une route. La présence de l’expression « pour les besoins d’une route » dans les attendus d’un texte de loi ne rend pas extinguible la pleine propriété.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Highway Act, R.S.B.C. 1948, ch. 144, art. 2 « land », 5, 8, 9, 11, 14.

Interpretation Act, R.S.B.C. 1948, ch. 1, art. 24(20) « land ».

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 24 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 6).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) « réserve » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1), « terres désignées » (édicté, idem), 81(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 15), b), f), 83 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 35.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325 (1999), 176 D.L.R. (4th) 35; [2000] 1 C.N.L.R. 21; 99 DTC 5564; 243 N.R. 302; 26 R.P.R. (3d) 151 (C.A.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1998), 162 D.L.R. (4th) 649; [1999] 1 C.N.L.R. 42; 228 N.R. 378 (C.A.F.), demande d’autorisation d’appel à la C.S.C. rejetée, [1998] 1 R.C.S. vii; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654; (1988), 91 N.B.R. (2d) 43; 53 D.L.R. (4th) 487; 232 A.P.R. 43; [1989] 1 C.N.L.R. 47; 89 N.R. 325; 1 R.P.R. (2d) 105.

DÉCISION EXAMINÉE :

Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town) (1999), 172 D.L.R. (4th) 589; 122 B.C.A.C. 220; 68 B.C.L.R. (3d) 218; [1999] 4 C.N.L.R. 91 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119; (1997), 147 D.L.R. (4th) 1; [1997] 7 W.W.R. 253; 90 B.C.A.C. 1; [1998] 1 C.N.L.R. 134; 9 R.P.R. (3d) 115; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; (1995), 130 D.L.R. (4th) 193; [1996] 2 C.N.L.R. 25; 190 N.R. 89; Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (1997), 148 D.L.R. (4th) 523; [1998] 1 C.N.L.R. 250; 215 N.R. 241 (C.A.).

DOCTRINE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL de la décision rendue par la commission de révision de la bande indienne de Seabird Island qui a conclu que l’appelante était assujettie à l’imposition d’une taxe par la bande pour ce qui est de l’usage et de l’occupation des terres de la réserve au-dessus desquelles le câble de fibre optique de l’appelante est suspendu. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Peter D. Feldberg et Anne M. Dobson-Mack pour l’appelante.

Gary S. Snarch et Fiona C. M. Anderson pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour l’appelante.

Snarch & Allen, Vancouver, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Muldoon : Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 6] et de l’article 60 du Seabird Island Indian Assessment By-law, adopté le 25 septembre 1992, contre la décision rendue le 4 août 1998 par la commission de révision de la bande indienne de Seabird Island, qui a conclu que l’appelante était assujettie à la taxation aux termes du Seabird Island Indian Band Taxation By-law, adopté le 25 septembre 1992, et du Seabird Island Indian Band Assessment By-law, sous leur forme modifiée.

Les faits

[2]        L’appelante, BC Tel, est une société de prestation de services téléphoniques et de télécommunications qui a des clients dans toute la province de la Colombie-Britannique. Elle détient et exploite un câble de fibre optique fixé aux poteaux téléphoniques situés le long de l’autoroute Lougheed sur une distance de 8,4 kilomètres. Cette autoroute traverse l’île Seabird en droite ligne. Une réserve occupant l’ensemble de l’île existe depuis 1879.

[3]        Au moyen du décret C.P. 1953-30, daté du 14 janvier 1953, le Conseil privé a consenti, en application de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1952, ch. 149 (ci-après l’ancienne Loi sur les Indiens), à octroyer une servitude sur les terres de la réserve à British Columbia Electric Company Limited.

[4]        Au moyen du décret C.P. 1956-1659, daté du 7 novembre 1956, le Conseil privé du Canada a consenti à la prise de possession de certaines terres de la réserve par la province de la Colombie-Britannique et au transfert de l’administration et du contrôle de ces terres au gouvernement provincial. Le décret prévoit :

[traduction]

ATTENDU QUE le ministre de la Voirie, province de la Colombie-Britannique, a demandé les terres ci-après décrites, qui constituent une partie de la réserve indienne de Seabird Island, dans ladite Province, pour les fins d’une route;

ATTENDU QUE la somme de 5 282 $ a été reçue de ladite Province en paiement complet des terres requises conformément à une évaluation approuvée par le Conseil de la bande indienne de Seabird Island le 14 octobre 1954 et par les représentants de la Direction des affaires indiennes.

À CES CAUSES, il plaît par les présentes à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en application de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de possession desdites terres par la Province de la Colombie-Britannique et d’en céder l’administration et le contrôle à Sa Majesté du chef de la Province de la Colombie-Britannique :

Description

L’ensemble d’un droit de passage, dans la réserve indienne de Seabird Island, dans le district de Yale, dans la province de la Colombie-Britannique, ledit droit de passage ayant une superficie de quarante-quatre arpents et quinze centième d’un arpent […]

Sous réserve de la servitude pour le droit de passage d’une ligne de transmission conférée en 1953 à British Columbia Electric Company Limited […]

Sous réserve de toute mine et de tout minerai sous forme solide, liquide ou gazeuse pouvant être trouvés dans, sur ou sous ces terres […] [Dossier d’appel, aux p. 021 et 022.]

En raison de la prise de possession, une bande d’une largeur de 100 pieds a été coupée à travers la réserve (le corridor). Une autoroute a été construite peu après sur le long du milieu du corridor. La servitude de British Columbia Electric Company Limited se situe à l’intérieur du bord nord du corridor.

[5]        Par décret ministériel daté du 5 septembre 1958, une bande, qui allait s’appeler la bande indienne de Seabird Island, a été créée à partir de l’ensemble des Autochtones vivant sur l’île Seabird. Une convention datée du 26 septembre 1961 a permis l’érection des premiers poteaux téléphoniques sur l’île. Aujourd’hui, ces poteaux se trouvent près du bord nord des terres du corridor et sont situés à 25 pieds de l’autoroute. On n’a toutefois présenté aucune preuve démontrant que les poteaux étaient vraiment érigés dans la servitude. Cependant, le droit de passage est assujetti à la [traduction] « servitude pour le droit de passage d’une ligne de transmission ». Le câble de fibre optique faisant l’objet du présent litige est fixé aux poteaux.

[6]        En 1997, la bande a commencé à taxer l’appelante en application de son Seabird Island Indian Band Taxation By-law et de son Seabird Island Indian Band Assessment By-law, et de leurs modifications subséquentes. L’appelante a interjeté appel contre les avis de cotisation 1997 et 1998 auprès de la commission de révision de la bande indienne de Seabird Island (la commission).

[7]        Par décision datée du 4 août 1998, la commission a rejeté l’appel. À l’appui de sa décision, la commission a conclu que le câble se trouvait à l’intérieur de la servitude de 1953 et à l’intérieur du corridor. Elle a conclu que si la servitude dans laquelle le câble avait été érigé ne faisait pas partie du corridor, cette terre serait une terre de la réserve et que le câble s’y trouvant serait assujetti à la taxation par la bande. (Dossier d’appel, aux pages 004 à 013.)

[8]        Subsidiairement, la commission a également conclu que la province ne détenait pas les terres du corridor en pleine propriété. La commission a conclu que cette dernière avait plutôt le droit d’utiliser le corridor pour les fins de la route mais que, si une partie du corridor cessait d’être utilisée à ces fins, cette partie redeviendrait une terre de la réserve. La commission a ensuite conclu que la terre au-dessus de laquelle les câbles de fibre optique étaient fixés n’était pas utilisée pour les fins de la route. La commission a donc conclu que l’appelante était l’occupante d’une terre située dans la réserve et qu’elle était susceptible de faire l’objet d’une cotisation de la part de la bande pour la terre qu’elle occupait et pour les améliorations qui y avaient été construites.

Les questions de droit

[9]        L’appelante soulève deux grandes questions. La première question consiste à savoir si le câble se situe dans la réserve. C’est seulement si tel est le cas que l’intimé peut établir une cotisation à son égard. La deuxième question consiste à savoir si le règlement de taxation de la bande est discriminatoire et, par conséquent, ultra vires. Toutefois, estimant qu’elle ne pouvait aller à l’encontre de la décision sage rendue par la Cour d’appel dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325(ci-après Canadien Pacifique Ltée), l’appelante a décidé de retirer ses arguments relatifs à cette dernière question.

[10]      Relativement à la première question en litige, l’appelante soutient que les gouvernements fédéral et provincial ont manifesté clairement leur intention d’éteindre entièrement les droits de la bande dans les terres du corridor. À l’appui de cet argument, elle invoque le décret de 1956, le décret de 1953, l’ancienne Highway Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1948, ch. 144, ainsi que l’article 83 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10]. L’appelante soutient subsidiairement qu’au moment où le décret de 1956 a été promulgué, ni les gouvernements ni le peuple autochtone de l’île Seabird n’avaient l’intention de permettre à ce dernier d’avoir l’usage et le profit du corridor. L’intimé invoque la grande portée de l’article 35 de l’ancienne Loi sur les Indiens, la définition de [traduction] « terrain » figurant dans l’ancienne Highway Act [article 2] ainsi que le paragraphe 24(20) de l’ancienne Interpretation Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1948, ch. 1, à l’appui de son argument que les intentions du gouvernement fédéral, telles qu’elles sont exprimées dans le décret de 1956, ne sont pas claires et expresses. Il prétend subsidiairement que les terres se trouvant sous le câble de fibre optique ne sont pas utilisées pour les fins d’une route et qu’elles devraient donc revenir à la bande.

[11]      Le pouvoir de taxation d’une bande découle de l’alinéa 83(1)a) de la Loi sur les Indiens. Cet alinéa permet aux bandes d’adopter des règlements administratifs en vue de taxer les immeubles situés dans leur réserve ainsi que les droits sur ceux-ci :

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants :

a) sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux-ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

[12]      Pour qu’une parcelle de terrain soit située dans une réserve, elle doit être visée par la définition du mot « réserve » [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1] ou par celle de l’expression « terres désignées » [édicté, idem] qui sont prévues au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. Le paragraphe 2(1) prévoit :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« réserve » Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande; y sont assimilées les terres désignées, sauf pour l’application du paragraphe 18(2), des articles 20 à 25, 28, 36 à 38, 42, 44, 46, 48 à 51, 58 et 60, ou des règlements pris sous leur régime.

[…]

« terres désignées » Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle-ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu.

[13]      En vertu de l’article 35 de l’ancienne Loi sur les Indiens, il est possible de retirer à une réserve une parcelle de terrain ou un droit dans cette dernière. Le paragraphe 35(1) prévoyait en 1956 :

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

Dans ses prétentions écrites, l’appelante s’est fondée sur la décision rendue par la Cour suprême dans Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, pour prétendre qu’une prise de possession n’était pas différente d’une expropriation et qu’elle éteignait donc automatiquement tout droit d’une bande dans une parcelle de terrain. Les deux parties ont cependant fini par convenir que la question de savoir si une parcelle de terrain ou un droit y afférent était totalement retiré d’une réserve dépendait de la clarté de l’intention de la Couronne à cet égard. Comme le juge Décary, J.C.A. l’a écrit dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui (1998), 162 D.L.R. (4th) 649 (C.A.F.); autorisation d’interjeter appel refusée [1998] 1 R.C.S. vii (ci-après CP), au paragraphe 27 [page 661] :

Lorsque la prise de possession obligatoire d’une partie d’une réserve est en cause, la Cour doit être convaincue que l’intention de la Couronne d’éteindre le titre indien dans la parcelle prise est « claire et expresse » (voir R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1099).

[14]      L’extrait de l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, sur lequel le juge Décary s’est fondé, se lit comme suit [aux pages 1098 et 1099] :

Dans le contexte des droits ancestraux, on pourrait faire valoir qu’avant 1982 un droit ancestral était automatiquement éteint dans la mesure où il était incompatible avec une loi […]

De l’avis du juge Judson, c’est ce qui s’était produit dans l’affaire Calder, précitée, où, selon lui, une série de lois avait mis fin à la volonté d’exercer une souveraineté incompatible avec tout intérêt contradictoire, y compris un titre aborigène. Mais le juge Hall a affirmé dans cet arrêt (à la p. 404) « qu’il incombe à l’intimé d’établir que le Souverain voulait éteindre le titre indien, et que cette intention doit être “claire et expresse” ». (Nous soulignons.) Le critère de l’extinction qui doit être adopté, à notre avis, est que l’intention du Souverain d’éteindre un droit ancestral doit être claire et expresse.

Dans sa plaidoirie, l’intimé a sous-entendu qu’il ressortait de l’examen de l’extinction aux termes de l’article 35 de l’ancienne Loi sur les Indiens que les intentions du Souverain du chef d’une province étaient sans objet et qu’il ne fallait se préoccuper que des intentions du Souverain à titre de gouvernement fédéral. La lecture de l’article 35 indique toutefois que cela n’est pas toujours le cas.

[15]      En vertu de l’article 35 de l’ancienne Loi sur les Indiens, le Souverain ou la Couronne, représentée par le gouvernement fédéral, peut avoir l’intention de retirer des terres d’une réserve. Comme l’avocat le souligne, il s’agit en fait du seul gouvernement qui peut donner suite à une telle intention. Si elle existe, la preuve de cette intention se trouvera généralement dans les décrets autorisant la prise de possession, dans les lettres patentes ou autres documents ainsi que dans les actes ou les dispositions législatives de la Couronne. Par exemple, la Couronne peut, dans un décret, réserver certains droits à une bande, comme les droits relatifs au minerai, et, ce faisant, démontrer l’intention de permettre l’extinction de tous les autres droits autochtones liés aux terres. De la même manière, un décret ou des lettres patentes peuvent démontrer l’intention d’éviter de consentir à l’extinction en assujettissant la prise de possession à certaines modalités. Toutefois, que se produit-il si le gouvernement fédéral a seulement l’intention de permettre à une province, à une municipalité ou à une société de prendre ce qu’elle veut? Dans ce cas, il faut examiner les intentions du preneur pour déterminer si le gouvernement fédéral a consenti on non à l’extinction.

[16]      En fait, en matière d’intention par exemple, il faut souvent examiner en premier lieu celle de la Couronne à titre de province car, sans intention claire et expresse d’éteindre les droits à ce niveau, il est inutile d’examiner l’intention du gouvernement fédéral. Au Canada, les provinces prennent possession de terres pour construire des autoroutes. Essentiellement, sans cette intention préliminaire ou subsidiaire d’éteindre les droits au moyen d’une prise de possession, il est peu probable que le consentement susmentionné visé par l’article 35 comporte l’intention d’éteindre les droits. Au contraire, comme je l’ai mentionné précédemment, le gouvernement fédéral ne fait souvent qu’acquiescer à l’intention manifestée par une province. Comme l’intimé le soutient, il appartient cependant à la Couronne agissant à titre de gouvernement fédéral de décider en bout de ligne si un droit autochtone sera éteint.

[17]      Examiner en premier lieu les intentions de la Couronne à titre de province est également censé en raison du fait qu’on commence l’analyse en vérifiant ce que le preneur veut avant de vérifier ce à quoi le gouvernement fédéral a consenti dans son décret et ses lettres patentes. Examiner en premier lieu les intentions de la Couronne fédérale revient, dans les faits, à étudier la réponse fédérale sans tenir compte de ce que la question provinciale était. Cela est particulièrement risqué dans les cas où, comme dans la présente affaire, aucune lettre patente n’existe pour indiquer plus précisément l’essentiel de la réponse fédérale ou mettre en évidence l’intention qui la sous-tend.

[18]      Quelle que soit l’intention de la Couronne exprimée par les gouvernements fédéral et provincial, cette intention peut être décelée au moyen de l’utilisation des principes d’interprétation de l’intention du législateur et des principes spéciaux pertinents en matière de droits autochtones. Deux de ces derniers principes, cités dans l’arrêt Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town) (1999), 172 D.L.R. (4th) 589 (C.A.C.-B.), ont été invoqués par l’avocat de l’intimé. Le premier principe veut que lorsqu’il y a deux interprétations raisonnables possibles, il faut favoriser celle qui porte le moins atteinte aux droits autochtones. Le deuxième principe veut que tout terme ambigu soit interprété d’une manière favorable aux droits des Autochtones. Selon un troisième principe invoqué par l’avocat de l’intimé, il faut interpréter restrictivement les dispositions visant à limiter ou à abroger des droits autochtones; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. L’avocat soutient que, en tant que dernier principe directeur, une interprétation libérale doit être donnée aux dispositions de la Loi sur les Indiens et de l’ancienne Loi sur les Indiens, comme l’exige l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, pour que les objets de ces lois soient réalisés.

[19]      Si la Couronne fédérale ne démontre pas une intention claire et expresse en faveur de l’extinction, il s’ensuit qu’aucun droit n’est éteint. En l’espèce, il faut déterminer la nature du droit retiré à la lumière des trois facteurs énoncés dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654 (ci-après Paul). Comme le juge Décary l’a écrit dans l’arrêt CP, précité [au paragraphe 32, page 662] :

Afin de déterminer la nature et l’étendue du droit d’une compagnie de chemin de fer sur les terres des réserves-et, de la même façon, la nature et l’étendue de ce qui a été retiré à une bande-, il faut examiner « le texte des lois, toutes les ententes conclues entre les parties initiales, ainsi que les actions et déclarations subséquentes des parties » (Canadien Pacifique Ltée c. Paul, précité, au par. 25 […] 665).

[20]      Dans le cadre de leurs arguments, les deux parties ont fondu en une analyse le critère relatif à l’extinction et certaines parties du critère utilisé dans l’arrêt Paul. Il est toutefois clair que les deux critères doivent être appliqués séparément, dans deux contextes distincts. Comme l’a souligné le juge Décary dans l’arrêt CP, la seule exception à cette règle survient lorsqu’une bande participe à des négociations en matière de prise de possession de terres, ce qui ne s’est pas produit en l’espèce selon les arguments insistants des deux parties.

[21]      En ce qui a trait au critère relatif à l’extinction, l’indication la plus importante des intentions provinciales se trouve dans l’ancienne Highway Act. Le paragraphe 8(1) confère au ministre provincial approprié le pouvoir de prendre possession de terrains et d’immeubles :

[traduction]

8. (1) Le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu de construire des voies publiques […] et de prendre possession, au moment où la voie est construite ou annoncée ou à tout moment ultérieur, de terrains supplémentaires se trouvant au-delà de la largeur de la voie ainsi établie lorsque cela est nécessaire pour l’usage ou pour les fins du ministère des Travaux publics […]; et à ces fins […] de prendre possession de tout chemin privé et de tout terrain, d’en déterminer les limites requises […] ainsi que de prendre possession de tout immeuble […]

[22]      L’intimé soutient que le mot « terrain », utilisé au paragraphe 8(1) de l’ancienne Highway Act, pouvait viser plusieurs droits dans un terrain autres que la pleine propriété. Il soutient donc que la nature exacte du droit dont le retrait est visé dans la présente affaire ne peut pas être claire et expresse. À l’appui de ces arguments, l’intimé invoque la définition de terrain et d’immeuble qui figuraient à l’article 2 de l’ancienne Highway Act et au paragraphe 24(20) de l’ancienne Interpretation Act de la Colombie-Britannique. Ces dispositions prévoyaient, respectivement :

[traduction]

2. Dans la présente loi, sauf indication contraire du contexte :—

«Terrain » comprend les terres de toute tenure et de toute description, notamment la batture et les terres recouvertes d’eau dans la Province ainsi que les terres attribuées par le Dominion à toute personne :

24. Dans toute loi de la législature, sauf indication contraire du contexte :—

[…]

(20) «Immeuble » comprend les terres, les tènements et héritages ainsi que les maisons et constructions de toute tenure, sauf en présence de termes excluant les maisons et les constructions ou restreignant la signification aux tènements d’une tenure particulière :

[23]      Bien que l’intimé ait raison de dire qu’à lui seul, le paragraphe 8(1) n’indique pas clairement le droit en cause, les articles 5 et 9 de l’ancienne Highway Act précisent les droits perdus par les propriétaires et les occupants des terrains et des immeubles faisant l’objet de la prise de possession ainsi que les droits obtenus par la province lors de la prise de possession :

[traduction]

5. Sauf indications contraires, le titre de propriété du fonds de terre et de la voie publique est détenu par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs.

[…]

9. L’entrée par le ministre, ses mandataires, ses fonctionnaires et ses préposés, comme dans l’article susmentionné [l’article 8], en vue de la prise de possession de toute route ou de tout terrain a pour effet d’éteindre entièrement tout titre et toute revendication relativement aux routes et aux terrains ayant fait l’objet de cette prise de possession.

En ce qui a trait aux étendues de terres prises en vue de la construction d’une route, il ne peut y avoir aucune ambiguïté relativement au sens du mot « terrain ». Il s’agit de la pleine propriété ou de la propriété absolue du terrain. Il n’existe aucune autre interprétation raisonnable, même si les articles 5, 8 et 9 sont interprétés aussi restrictivement que possible.

[24]      En ne prévoyant aucune restriction sur l’aliénation des terrains ayant fait l’objet d’une prise de possession, l’article 11 de l’ancienne Highway Act contribue également à écarter toute ambiguïté relativement à ce que l’article 8 permettait au gouvernement provincial de prendre. L’article 11 prévoyait :

[traduction]

11. Le ministre peut en tout temps, sur avis publié dans la Gazette, […] abandonner et fermer en tout ou en partie une route […] Les terres d’une route abandonnée ou fermée peuvent, en vertu du pouvoir conféré au lieutenant- gouverneur en conseil, être cédées en propriété au propriétaire du terrain dont elles faisaient originalement partie ou au propriétaire du terrain adjacent aux terres cédées, elles peuvent être louées par le ministre à l’un ou l’autre de ces propriétaires, elles peuvent être vendues, louées ou aliénées par voie de vente aux enchères publique ou par voie d’appel d’offres lancé en vertu du pouvoir du lieutenant-gouverneur en conseil, et elles peuvent, en vertu de ce pouvoir, être louées ou cédées au gouvernement du Dominion.

Conjointement aux autres dispositions, l’article 11 rend claire et expresse l’intention de la province d’éteindre tout droit et de se transférer la pleine propriété relativement aux terrains pris en possession pour les fins d’une route.

[25]      Quant au décret de 1956, nous pouvons commencer à cerner les intentions de la Couronne fédérale. L’intimé soutient que ce décret ne contient rien qui indique de façon concluante le droit exact cédé par le gouvernement fédéral. Vu la clarté avec laquelle l’ancienne Highway Act mettait en évidence l’intention de la province quant au transfert de la pleine propriété, toutefois, la question pertinente est de savoir si le décret contient quelque élément faisant douter de cette intention. Comme l’appelante l’indique, il n’y en a pas.

[26]      L’utilisation des termes « prise de possession » et « terres » dans le décret ne peut pas être invoqué pour faire douter des intentions provinciales. Cette utilisation ne crée pas d’ambiguïté à la lumière de l’ancienne Highway Act. En outre, la présence de l’expression « droit de passage » ne vise qu’à indiquer le corridor plutôt qu’à décrire la nature de quelque droit cédé; CP, précité, au paragraphe 46 [pages 667 et 668], et Canadien Pacifique Ltée, précité, au paragraphe 22 [pages 351 et 352]. Il en est ainsi malgré le fait que l’expression « droit de passage » soit utilisée une fois dans le décret pour décrire la nature d’un droit dans les terres. Cette expression a été utilisée dans le contexte de la description de la servitude octroyée à British Columbia Electric Company Limited, et cette utilisation n’est pas pertinente quant à la définition de cette expression lorsque celle-ci est utilisée dans le contexte des terres du corridor; (Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto : Butterworths, 1994, aux pages 163 à 168). L’expression « droit de passage » ne donne donc pas lieu à une ambiguïté. Le but visé par la prise de possession, mentionné dans les attendus du décret, ne constitue pas non plus autre chose qu’un facteur neutre; CP, au paragraphe 18 [page 659].

[27]      Un autre élément du décret de 1956 qui est indicatif des intentions du gouvernement fédéral est le transfert à la province de « l’administration et du contrôle » du corridor. L’intimé n’a pas contesté l’utilisation faite par l’appelante de l’analyse du juge Newbury dans Osoyoos, au paragraphe 105 [pages 635 et 636], à l’appui de sa prétention que la présence de cette expression indique un transfert de titre. Dans la décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Osoyoos, les juges Newbury et Prowse ont conclu, aux pages 635 et suivantes :

[traduction] […] la réponse à cette question est claire : le décret n’a pas conféré uniquement un droit de passage à la Province; il a conféré des droits exclusifs de jouissance et de possession qui contredisent le fait que les terres auraient continué à être détenues par Sa Majesté du chef du Canada « pour l’usage et au profit [de la] bande ». Le décret mentionnait « la prise de possession desdites terres », et non pas simplement le droit d’utiliser ces terres ou d’y passer; rien n’indiquait que la Province acquérait autre chose que des droits exclusifs (il n’y a pas lieu de trancher la question de savoir s’il s’agissait de la pleine propriété ou de droits durant jusqu’à ce que les terres cessent d’être utilisées à des fins d’irrigation); et le décret cédait « l’administration et le contrôle » des terres à la Province—libellé qui contredit certainement le fait que les terres auraient continué d’être détenues « au profit » de la bande. Comme le juge en chambre l’a souligné, l’expression « l’administration et le contrôle » est habituellement utilisée au lieu d’une expression ayant trait au transfert de propriété entre la Couronne provinciale et la Couronne fédérale en raison de l’indivisibilité de la Couronne. Il cite Paul Lordon, qui, dans Crown Law (1991) déclare :

« Un transfert de propriété entre le gouvernement fédéral et une province n’est pas faite par transfert ordinaire en raison de l’indivisibilité de la Couronne. Sa Majesté est propriétaire des biens, que ce soit du chef du Canada ou du chef de la province, et elle ne peut pas se céder la propriété à elle-même. Seul le contrôle administratif des biens est transféré. Le transfert est donc fait par décrets réciproques, et il est confirmé par une loi lorsque des tiers sont en cause. » [À la page 283, par. 4.6.1, cité par le juge en chambre au par. 4 de ses motifs.]

Bien que les juges majoritaires de cette Cour d’appel se soient apparemment exprimés avec beaucoup d’assurance dans l’arrêt Osoyoos, celui-ci ne peut pas être accepté comme étant définitif. Le 20 avril 2000, la Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’interjeter appel sans prononcer de motifs (ce qui est habituel). L’issue n’est pas encore connue. La Cour note l’arrêt, publié dans les D.L.R., Osoyoos Indian Band v. Oliver (Town), précité, paragraphe 18 (à la page 635), et convient que, dans les circonstances, l’expression est vraisemblablement utilisée à la lumière de l’indivisibilité de la Couronne pour indiquer le passage du titre du domaine de la responsabilité fédérale à celui d’une province, mais une réponse définitive sera sans aucun doute fournie par la Cour suprême en temps opportun.

[28]      La réserve des droits miniers contenue dans le décret est un autre facteur important à examiner. On peut séparer, comme le ministère des Affaires indiennes l’a fait pendant de nombreuses années, les droits miniers des droits de superficie lorsqu’on permet la prise de ces derniers; Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344. Une telle séparation signifie, comme dans l’arrêt CP, précité, que le gouvernement fédéral avait l’intention de céder la propriété absolue des droits de superficie à la province. Le paiement forfaitaire versé par la province à la bande au moment de la prise de possession a moins d’importance, bien que même cela laisse entendre assez clairement que la propriété absolue a été cédée.

[29]      Il ressort manifestement de l’examen de l’ensemble des facteurs pertinents que la Couronne du chef de la Colombie-Britannique avait l’intention d’acquérir la pleine propriété des terres du corridor. Fait plus important, toutefois, il ressort manifestement de la lecture du décret de 1956 que la Couronne à titre de gouvernement fédéral a cédé ce que la province désirait acquérir, à l’exception des droits miniers dans les terres en question. Par conséquent, la province a reçu en 1956 rien de moins que le titre absolu relativement au droit de superficie des terres. La conclusion contraire de la commission doit être considérée comme une erreur. Étant donné que les terres ne peuvent pas être considérées comme ayant été mises de côté pour l’usage et au profit de la bande, question qui est abordée plus loin, elles ne peuvent pas être considérées comme situées dans la réserve. Il en est ainsi malgré la portée la plus généreuse que l’on puisse donner au mot « réserve » qui est défini dans la Loi sur les Indiens.

[30]      L’intimé soutient que la pleine propriété des terres du corridor n’était pas exigée par la province, de sorte qu’on ne peut pas présumer que la Couronne fédérale, en tant que fiduciaire des Autochtones, aurait permis à la Colombie-Britannique de les prendre. Cela est conforme au principe, souvent répété, de l’atteinte minimale, pour lequel l’avocat a invoqué l’arrêt Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.). La Cour n’est toutefois pas convaincue qu’un droit moindre que la pleine propriété en 1956 aurait pu permettre à la province de construire et d’entretenir l’une de ses autoroutes les plus importantes.

[31]      À supposer que le gouvernement provincial n’ait reçu qu’une forme de servitude légale, et non pas la pleine propriété, dans les terres du corridor, la bande a-t-elle conservé un droit suffisant dans les terres lui permettant de taxer leur utilisation? Il suffit d’examiner, conformément au critère de l’arrêt Paul, précité, les actes de la bande depuis la prise de possession en plus des facteurs susmentionnés pour conclure que la bande n’a pas conservé un droit suffisant.

[32]      Comme l’appelante l’affirme et l’intimé l’admet, la bande n’a jamais exercé, depuis 1956, les pouvoirs en matière de routes que lui confèrent les alinéas 81(1)b) et f) de la Loi sur les Indiens pour gérer et entretenir, non seulement l’autoroute asphaltée se trouvant dans le corridor, mais aussi la zone tampon entourant cette dernière (transcription : pages 114 et 117 respectivement). Il n’y a pas eu non plus d’éléments de preuve présentés en vue de démontrer que les autres pouvoirs conférés aux bandes par la Loi sur les Indiens ont été exercés dans le corridor. Ajoutée au fait que la bande a approuvé l’évaluation des terres et qu’elle a accepté un paiement de 5 282 $ en contrepartie de ces dernières, cette absence d’acte de gouvernement indique que la bande a compris dès le début qu’elle n’avait pas l’usage et le profit des terres en question. Puisque la province détient le titre relatif aux terres, on ne peut pas considérer ces dernières comme faisant partie de la réserve.

[33]      Il ne s’agit pas d’un cas où des Euro-Canadiens puissants et sans scrupules ont utilisé des termes trompeurs pour profiter des Autochtones. Il faut s’assurer que les parties autochtones comprenaient ce qui advenait de leurs droits dans l’opération et dans les terres, naturellement. Nous sommes maintenant en l’an 2000 et les Autochtones et les Euro-Canadiens (notamment) traitent les uns avec les autres depuis plus de deux cents ans. En l’espèce, il paraît que l’opération ait eu lieu de gouvernement à gouvernement, comme le révèle le décret de novembre 1956, C.P. 1956-1659; dossier d’appel, à la page 021 :

[traduction]

ATTENDU QUE le ministre de la Voirie, province de la Colombie-Britannique, a demandé les terres ci-après décrites, qui constituent une partie de la réserve indienne de Seabird Island, dans ladite Province, pour les fins d’une route;

ATTENDU QUE la somme de 5 282 $ a été reçue de ladite Province en paiement complet des terres requises conformément à une évaluation approuvée par le Conseil de la bande indienne de Seabird Island le 14 octobre 1954 et par les représentants de la Direction des affaires indiennes.

À CES CAUSES, il plaît par les présentes à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, en application de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise de possession desdites terres par la Province de la Colombie-Britannique et d’en céder l’administration et le contrôle à Sa Majesté du chef de la Province de la Colombie-Britannique : [Non souligné dans l’original.]

La Cour ne veut pas avoir l’air de jouer avec les mots, mais elle souligne que les expressions « paiement complet », « approuvée par le Conseil de la bande », « en application de l’article 35 », « consentir à la prise de possession desdites terres » et « d’en céder l’administration et le contrôle » indiquent toutes clairement l’extinction des droits autochtones en faveur de la province. Il est impossible de croire que les parties autochtones aient été trompées ou induites en erreur de quelque manière ou que quelqu’un ait tenté de le faire.

[34]      Bien qu’aucune partie n’ait soulevé cet élément, la conclusion susmentionnée est appuyée indirectement par le juge Décary, J.C.A. dans l’arrêt CP, aux paragraphes 40 à 52 [pages 666 à 669], qui a conclu que les terres utilisées pour les fins d’un chemin de fer ne pouvaient pas être considérées comme étant pour l’usage et au profit de la bande de Matsqui. Les trois paragraphes suivants des motifs du juge sont particulièrement pertinents en l’espèce [paragraphes 48, 51 et 52, pages 668 et 669] :

Le fait que la Couronne ait eu recours à l’art. 35 de la Loi sur les Indiens (« les terres prises pour cause d’utilité publique ») plutôt qu’à l’art. 28 (« possession de terres dans la réserve » au moyen de la délivrance d’un permis d’occuper ou d’utiliser) appuie également la conclusion que ce qui était envisagé par la Couronne, par la bande et par le CN participait davantage de la nature d’une vente que de la nature d’une servitude. La décision récente de la Cour suprême du Canada dans Bande indienne des Opetchesaht (précité au par. 25) fournit une analyse utile des différents buts poursuivis par les articles 35 et 28.

[…]

La décision dans l’arrêt Bande indienne des Opetchesaht illustre clairement, à mon avis, les statuts différents qui doivent être reconnus en droit aux « droits de passage » qui exigent le droit exclusif d’utiliser et d’occuper les terres des réserves, par exemple pour les chemins de fer, et les « droits de passage » où l’usage exclusif des terres n’est pas exigé, par exemple pour les services d’utilité publique. En l’espèce, le droit de passage appartient manifestement à la première catégorie.

Je suis donc convaincu que la bande de Matsqui, en cédant la parcelle 1, comprenait pleinement qu’elle ne pourrait plus utiliser et occuper cette partie de sa réserve.

La Cour est d’avis que les servitudes conférées par l’article 35 de l’ancienne Loi sur les Indiens pour les fins d’une route provinciale requièrent le droit exclusif d’utiliser et d’occuper tant les terres sur lesquelles la route est construite que la zone tampon entourant cette dernière. En conséquence, on ne peut pas maintenant conclure que les peuples autochtones de la réserve de Seabird Island s’attendaient à pouvoir utiliser le corridor et à en profiter une fois que celui-ci serait pris.

[35]      L’avocat de l’intimé a prétendu à l’audience que si la province prenait moins qu’un droit absolu dans les terres du corridor, celles-ci pouvaient être considérées comme des terres désignées. Il a conclu qu’en tant que terres désignées, celles-ci feraient partie de la réserve et qu’elles seraient donc assujetties à la taxation. Toutefois, comme le juge Robertson, J.C.A., l’a écrit dans Canadien Pacifique Ltée, au paragraphe 95 [page 376] :

Deuxièmement, l’expression « autrement qu’à titre absolu » figurant dans la définition des « terres désignées s’applique uniquement lorsqu’il y a eu cession des terres de réserve.

Le présent appel portant sur la prise de possession, et non sur la cession, de terres, la Cour n’abordera pas la question des terres désignées.

[36]      L’intimé soutient que si le corridor a été retiré de la réserve, il devrait revenir à la bande dès qu’il cesse d’être utilisé pour les fins d’une route. Cet argument soulève deux difficultés. En premier lieu, comme l’avocat de l’intimé l’a admis, l’autoroute Lougheed est toujours utilisée en tant que route. Il n’y a pas non plus d’élément de preuve indiquant que la partie du corridor qui est dénuée d’asphalte, de gravier, de signalisation et de drainage n’est pas utilisée pour les fins d’une route. Après tout, l’espace libre de 18 pieds situé entre chaque fossé de drainage et le bord du corridor est une zone tampon qui fournit un espace permettant aux branches se trouvant au bord du corridor de tomber ailleurs que sur la route. Il ne s’agit toutefois que de l’une des fins de la route pour lesquelles les terres en question peuvent être utilisées. Cette partie du corridor permet également aux automobilistes de mieux voir les autres conducteurs et fournit une place de stationnement pour les véhicules d’entretien et de police ainsi que pour leur équipement. En outre, cet espace serait requis si l’autoroute était élargie. Cet argument est hypothétique et sans objet.

[37]      La Cour ne voit pas clairement non plus comment la suspension d’un câble de fibre optique de 3 centimètres de diamètre empêche l’utilisation des terres au-dessus desquelles il est fixé à l’une des fins susmentionnées. Le fait que le directeur actuel de la voirie en Colombie-Britannique approuve l’installation de câbles constitue en réalité une preuve contraire manifeste. Le fait qu’une telle installation était compatible avec les fins d’une route en 1956 est étayé par le libellé de l’article 14 de l’ancienne Highway Act, qui prévoyait :

[traduction]

14. Lorsqu’une structure, soit un fossé, un ravin, un tuyau, une ligne de transmission, un fil, un câble, […] existe ou est construite, érigée ou entretenue au-dessus, le long ou en-dessous d’une route dans un territoire non organisé […] et lorsque le ministre est d’avis que la structure n’est pas sécuritaire et qu’il est nécessaire ou souhaitable pour la protection de la route ou la sécurité des personnes l’utilisant que la structure soit réparée, […] le ministre peut faire réparer la structure malgré les dispositions de toute loi d’intérêt public ou privé […]

À la lumière de ces conclusions, la Cour considère comme une erreur la conclusion de la commission que les terres du corridor ne sont pas utilisées pour les fins d’une route.

[38]      La deuxième raison pour laquelle l’argument de l’intimé ne peut pas être accepté est qu’il est fondé sur la supposition que le titre détenu par la province reviendra à la bande si le corridor cesse un jour d’être utilisé pour les fins d’une route. Le décret de 1956 ne rend toutefois pas la prise et le transfert des terres conditionnels à leur utilisation continue pour les fins d’une route. Comme le juge Décary l’a écrit dans CP, au paragraphe 18 [page 659], et comme le juge Robertson l’a écrit dans Canadien Pacifique Ltée, au paragraphe 99 [page 377], la présence de l’expression « pour les besoins d’une route » dans les attendus d’un texte de loi ne rend pas extinguible la pleine propriété. La commission a commis une erreur en tirant une conclusion contraire.

Conclusion

[39]      Les terres qui soutiennent et entourent l’autoroute Lougheed ne peuvent pas être considérées comme ayant été mises de côté pour l’usage et au profit de la bande de Seabird Island. Vu aussi le fait que le titre relatif à ces terres est détenu par le gouvernement de la Colombie-Britannique, cela mène inéluctablement à la conclusion que celles-ci ne font pas partie de la réserve. En conséquence, le câble de fibre optique, qui est fixé aux poteaux téléphoniques situés dans le corridor de l’autoroute, ne peut pas être taxé par la bande.

[40]      L’appel est accueilli avec dépens. La décision rendue le 4 août 1998 par la commission de révision de la bande indienne de Seabird Island est annulée.

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