[2000] 4 C.F. 708
IMM-6423-98
Amer Afzal (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Afzal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux —Montréal, 12 janvier; Ottawa, 19 juin 2000.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Le demandeur craint d’être persécuté du fait de ses opinions politiques s’il est renvoyé au Pakistan — La section du statut a rejeté sa revendication — Le tribunal n’était pas satisfait des documents présentés par l’avocat du demandeur à l’audience, et il a demandé la production d’éléments supplémentaires — Il a préféré l’opinion de la Direction de la recherche, car celle-ci était fondée sur des renseignements provenant d’une source neutre — Il n’était pas convaincu que le demandeur faisait l’objet d’une accusation de meurtre au Pakistan — En vertu de l’art. 68(3) de la Loi sur l’immigration, la section du statut n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve — Le tribunal peut faire enquête en vue d’élucider une question qui le préoccupe — Examen de la jurisprudence portant sur la nécessité de rouvrir l’audience — La réouverture de l’audience constitue la meilleure procédure — La question de la disponibilité des premiers rapports d’information aurait dû être traitée à l’occasion d’une nouvelle audience.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rejetant la revendication du demandeur fondée sur le fait qu’il craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques s’il retournait au Pakistan. Le demandeur, qui était un membre actif du Parti populaire pakistanais (PPP) depuis 1991, avait été accusé du meurtre d’un membre d’un clan rival, commis le 15 août 1997. Il a affirmé être innocent. À l’audience portant sur la revendication du statut de réfugié, le tribunal a demandé à l’avocat du défendeur de produire certains documents, qui comprenaient une lettre de son avocat au Pakistan, expliquant que le demandeur ne pouvait pas obtenir une copie du premier rapport d’information (PRI) déposé auprès de la police. Le tribunal n’a pas été entièrement convaincu par cette lettre et il a exigé la production d’autres documents. Peu de temps après l’audience, le tribunal a pris connaissance d’une réponse à une demande d’information préparée par la Direction de la recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. D’après cette réponse, au Pakistan, un accusé a le droit d’obtenir une copie des PRI et son avocat peut aussi en obtenir une copie auprès du directeur de police ou, quand l’affaire a déjà été soumise au tribunal, auprès du palais de justice. L’avocat du demandeur a répondu en produisant une lettre d’un juge à la retraite de la Haute Cour du Pakistan, M. Bahtti, selon laquelle bien qu’un citoyen ait droit à la divulgation complète de la preuve, en pratique, les suspects ont peur de communiquer avec la police car ils craignent d’être arrêtés sur-le-champ. Le tribunal a préféré l’opinion préparée par la Direction de la recherche car elle était fondée sur des renseignements provenant d’une source neutre. Il n’a pas cru que le demandeur faisait l’objet d’accusations au Pakistan. Deux questions ont été soulevées en l’espèce : 1) le tribunal pouvait-il exiger la production de documents supplémentaires? 2) l’audience aurait-elle dû faire l’objet d’une réouverture?
Jugement : la demande est accueillie.
1) Les articles 67 à 69 de la Loi sur l’immigration indiquent de quelle manière le législateur veut que les revendications du statut de réfugié soient traitées. La procédure à suivre consiste en une audience portant sur une revendication par la section du statut à laquelle le revendicateur est présent et se voit donner une possibilité raisonnable de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations. Dans ce contexte, le législateur exige une certaine souplesse, notamment à l’article 68 de la Loi, qui prévoit que la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité. En outre, le paragraphe 68(3) prévoit que la section du statut n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve, et le paragraphe 68(4) l’autorise à prendre connaissance d’office des faits admissibles en justice, des faits généralement reconnus et des renseignements qui sont du ressort de sa spécialisation. Le tribunal n’était pas tenu de se limiter à recevoir et à examiner les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à l’accusation de meurtre alléguée. Le tribunal peut faire enquête en vue d’élucider une question qui le préoccupe.
2) Après la fin d’une audience mais avant sa décision, la section du statut ne peut examiner de nouveaux éléments de preuve, outre ceux qu’il lui était loisible d’admettre d’office, qu’en rouvrant l’audience, et elle aurait dû le faire en l’espèce. Se fondant sur les articles 67 à 69 de la Loi, la Cour d’appel fédérale, a établi comme règle que les renseignements obtenus par le tribunal après l’audience d’une revendication du statut de réfugié doivent être présentés en preuve à l’occasion d’une reprise d’audience pour permettre au revendicateur d’exercer les droits qui lui sont conférés par le législateur au paragraphe 69.1(5) de la Loi. Il a aussi été reconnu que, dans des circonstances limitées, les renseignements obtenus après l’audience pouvaient être pris en considération et servir de fondement pourvu que les parties y consentent et que la justice naturelle soit respectée, c’est-à-dire qu’une possibilité réelle de présenter des observations ait été fournie. Toutefois, la réouverture de l’audience est préférable et conforme à la volonté du législateur, étayée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration. La question de la disponibilité du PRI aurait dû être traitée à l’occasion d’une nouvelle audience après que le tribunal eut reçu le rapport d’information du Centre de documentation et l’opinion de M. Bahtti. Cette conclusion était fondée sur de nombreux motifs, dont le fait que les limites imposées dans deux décisions récentes de la Cour fédérale n’ont pas été respectées étant donné que le demandeur n’a pas renoncé d’une manière appropriée ou donné un consentement éclairé. En outre, la nature de la preuve était déterminante pour la revendication du demandeur et a été le fondement de la décision défavorable du tribunal. De plus, les circonstances dans lesquelles les PRI peuvent être obtenus ne sont pas du ressort du tribunal, et cela est étayé par le fait qu’il a lui-même réclamé plus d’éléments de preuve sur le sujet. Finalement, la nature de la preuve, en l’espèce, la preuve du droit étranger et son application, doit être établie lors d’une audience où le revendicateur se voit offrir l’occasion de contre-interroger les témoins, de produire d’autres éléments de preuve et de présenter des observations.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 67 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 68 (mod. idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 57), 68.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 58), 69 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60), 69.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 60).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Salinas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 247 (1992), 93 D.L.R. (4th) 631 (C.A.); Szylar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 79 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.); Lawal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 404 (1991), 78 D.L.R. (4th) 522; 48 Admin. L.R. 152; 13 Imm. L.R. (2d) 163 (C.A.); Yushchuk c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 83 F.T.R. 146; 25 Imm. L.R. (2d) 241 (C.F. 1re inst.); Sorogin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 163 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.); Albert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 42 (1re inst.) (QL).
DÉCISION EXAMINÉE :
Kuslitsky et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 148 F.T.R. 136 (C.F. 1re inst).
DÉCISION CITÉE :
Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la revendication du demandeur fondée sur le fait qu’il craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques s’il retournait au Pakistan. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Raffaele Mastromonaco pour le demandeur.
Christine Bernard pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Raffaele Mastromonaco, Dorval (Québec), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnnance rendus par
Le juge Lemieux :
INTRODUCTION
[1] Amer Afzal, le demandeur, conteste une décision rendue le 23 novembre 1998 par la section du statut de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal). Ce dernier n’a pas reconnu que le demandeur avait une crainte fondée d’être persécuté en raison de ses opinions politiques s’il retournait au Pakistan.
[2] Le demandeur fonde principalement sa contestation de la décision du tribunal sur deux moyens. En premier lieu, il dit que le tribunal a outrepassé son rôle, soit d’apprécier une revendication en fonction de la preuve présentée. Le tribunal aurait dû être convaincu que le demandeur avait été faussement accusé de meurtre. Il a plutôt amené le demandeur dans un débat juridique sur l’accès d’un accusé aux premiers rapports d’information (PRI). En second lieu, le demandeur dit que le tribunal a injustement exigé qu’il réfute une réponse obtenue du Centre de documentation de la CISR, qu’il a accordé trop d’importance à cette réponse et que cela a eu comme conséquence que le tribunal n’a pas tenu compte de la preuve substantielle qu’il avait présentée.
[3] Le tribunal a reconnu que le demandeur était un membre actif du Parti populaire pakistanais (PPP) depuis 1991. Le demandeur a affirmé être le fils d’un puissant dirigeant du clan Malik dans son village. Les Malik ont traditionnellement soutenu le PPP. Le clan opposé, les Kashmiri, ont traditionnellement donné leur appui à la Ligue musulmane du Pakistan (LMP).
[4] Le 15 août 1997, Mohammad Ashraf, un membre du clan des Kashmiri, a été tué au cours d’un affrontement entre les deux clans. Le demandeur a été accusé de ce meurtre. Il affirme qu’il n’était pas présent lors de l’affrontement du 15 août 1997 et il dit qu’il a été accusé en raison de ses activités au sein du PPP.
L’audience devant le tribunal et la décision
1) Les étapes procédurales
[5] Au vu du dossier, le tribunal a entendu la revendication de M. Afzal le 7 mai 1998 et le 15 juillet 1998. À l’audience du 7 mai 1998, le tribunal a demandé à l’avocat de M. Afzal de produire quelques documents supplémentaires. Un de ces documents était une lettre de Raja Muhammad Nisar Khan, l’avocat de M. Afzal au Pakistan, déposée au dossier comme pièce P-23 et qui se trouve à la page 254 du dossier certifié. Cette lettre était datée du 13 mai 1998 et était adressée à M. Afzal en réponse à la demande qu’il avait faite à son avocat d’obtenir et de lui fournir une copie du PRI déposé auprès de la police relativement à l’événement du 15 août 1997 et selon lequel le demandeur était impliqué dans une affaire mettant en cause l’article 302 du Code pénal du Pakistan. Me Khan a écrit à M. Afzal :
[traduction] J’ai le regret de vous annoncer qu’en vertu du code de procédure criminelle de ce pays, une copie d’un rapport de police ne peut être fournie à un avocat de la défense que lorsqu’une affaire est introduite à la cour et que ce dernier a informé la cour qu’il avait obtenu le mandat de défendre l’accusé.
Étant donné que vous ne m’avez pas autorisé à assurer votre défense devant la cour, je ne pourrai pas vous fournir le rapport susmentionné. À la demande de votre père, j’ai communiqué avec les autorités policières locales pour obtenir des renseignements concernant l’affaire, mais ils ne me les ont pas fournis pour les raisons mentionnées plus haut. Les policiers sont cependant d’avis que je dois d’abord leur amener M. Amer Afzal pour fins d’enquête, et ils prendront ensuite leur décision.
Vu les circonstances décrites plus haut, il est presque impossible de vous fournir les documents que vous demandez. Veuillez rester en contact avec moi. Lorsque je recevrai un avis, je vous en informerai.
[6] Les autres documents reçus par le tribunal après l’audience du 7 mai étaient des coupures originales de journaux pakistanais portant sur le décès survenu le 15 août 1997.
[7] La transcription de l’audience du 15 juillet 1998 (aux pages 267 et 268 du dossier certifié) contient un échange survenu entre le président de l’audience et M. Afzal. Le président de l’audience a indiqué que Me Khan avait dit qu’il ne pouvait pas obtenir une copie des procédures engagées contre le demandeur parce que ce dernier ne lui avait pas donné le mandat de le représenter. Le président de l’audience a demandé si l’avocat avait reçu ce mandat. M. Afzal a dit qu’il ne lui avait pas donné ce mandat et il a ajouté que [traduction] « [Me Khan] n’a pas eu l’occasion de me défendre. Pour qu’il puisse le faire, je dois y retourner et me faire arrêter ».
[8] D’autres discussions ont eu lieu entre l’agent chargé de la revendication (ACR), M. Afzal et le président de l’audience quant à la question de savoir lequel de deux événements était survenu en premier : l’arrestation ou le mandat donné à l’avocat. L’ACR a ajouté [traduction] « nous devrions obtenir sous peu d’autres documents sur ce sujet » et il a parlé d’une conférence téléphonique [traduction] « qui a eu lieu la semaine dernière, avec un certain M. Rahman […] et un document, un résumé sur le sujet sera fourni d’ici peu, dès que possible ».
[9] À la fin de l’audience du 15 juillet 1998, le président de l’audience a dit que le tribunal n’était pas entièrement convaincu par la lettre de Me Khan (pièce P-23) [traduction] « parce que les raisons pour lesquelles les cours ne peuvent pas produire de documents demeurent mystérieuses » (dossier certifié, à la page 281). Le président de l’audience a dit [traduction] « donc, malheureusement, nous ne pouvons pas mettre fin à l’audience ou rendre une décision aujourd’hui. Nous avons besoin d’autres documents ». À la page 285 du dossier certifié, il a conclu [traduction] « donc, l’audience est suspendue pour aujourd’hui ».
[10] À la suite de la suspension de l’audience du 15 juillet 1998, les événements suivants se sont produits :
1) Le 17 juillet 1998, l’avocat de M. Afzal a déposé d’autres documents à la Commission;
2) Le 15 septembre 1998, le tribunal a envoyé à l’avocat de M. Afzal une copie d’un document intitulé [traduction] « Réponse à la Demande d’information PAK 29687.E » et il était indiqué que le tribunal allait en prendre connaissance et que [traduction] « tout élément de preuve que vous souhaitez déposer ou les arguments s’y rapportant doivent être soumis avant le 9 octobre 1998 »;
3) Le 30 septembre 1998, l’avocat du revendicateur a écrit au président de l’audience pour lui dire qu’il avait reçu la lettre du 15 septembre 1998 et qu’elle l’avait un peu surpris parce qu’il avait l’impression que la preuve était complète. Il a ajouté (dossier certifié du tribunal, à la page 242) [traduction] « [à] ce stade-ci, le dépôt d’une nouvelle déclaration qui, en plus, est fondée sur le témoignagne d’un avocat pakistanais dont nous ne savons ni dans quel contexte ni pour quel motif il a fait une déclaration aussi partiale me semble injuste ». Toutefois, l’avocat a dit qu’il avait communiqué avec M. Bahtti, un juge à la retraite de la Haute Cour du Pakistan, et qu’il lui avait envoyé une copie de sa réponse, et que M. Bahtti avait répondu essentiellement que :
[traduction] a) Ce n’est qu’au moment de procéder à l’affaire devant la cour que naît le droit à la divulgation complète de la preuve en vertu duquel on peut assurément obtenir une copie du PRI, etc., et, à tout moment antérieur, même si ce droit existe, il est comme non existant, pour les motifs qu’il a exposés en détail.
b) En pratique, l’exercice de ce droit est une autre histoire et son opinion constitue une lecture intéressante.
L’avocat a conclu en disant [traduction] « J’espère sincèrement qu’avec tous les faits dont il dispose, le tribunal est maintenant prêt à rendre une décision, que je souhaite favorable ».
2) La décision du tribunal
[11] Le tribunal a rendu sa décision le 23 novembre 1998.
[12] Le tribunal a commencé son analyse à partir de la prémisse qui suit :
[traduction] Étant donné le caractère déterminant pour la présente demande des accusations de meurtre qui ont prétendument été portées contre le demandeur au Pakistan, le tribunal a été surpris qu’il n’ait présenté aucun document juridique pour corroborer cette allégation.
[13] Toutefois, le tribunal a dit que le demandeur avait déposé comme pièce P-9 une lettre datée du 9 avril 1998 écrite par M. Raja Mumtaz Ahmed Khan (dossier certifié, à la page 217). Me Khan est avocat et président du PPP pour le secteur de Jhelum. Le tribunal a cité l’extrait suivant de cette pièce :
[traduction] Il est aussi certifié que M. Amer [le demandeur] a subi des préjudices dans la région et que ses ennemis politiques, la Ligue musulmane du Pakistan, ont fait tous les efforts pour détruire son avenir. Il apparaît au dossier que la police a déposé contre lui un faux dossier de meurtre en vertu de l’article 302 même s’il n’était même pas présent lors des affrontements de bradri. [Non souligné dans l’original.]
[14] Le tribunal a aussi fait mention de la pièce P-12(2), un article du Daily Paigham de Lahore daté du 29 juillet 1997 ((sic) 17 août 1997—voir le dossier certifié à la page 259), qui rapporte qu’un affrontement a eu lieu entre les clans rivaux des Kashmiri et des Malik et que Muhammad Asraf avait été tué. L’article expose que la police avait déposé une accusation contre Malik Amer Afzal en vertu de l’article 302 et ajoute :
[traduction] Selon les résidents du secteur, Malik Amer Afzal n’était pas au village lors des affrontements mais était plutôt à Jehlum pour son travail.
[15] Le tribunal a poursuivi son raisonnement en écrivant ce qui suit :
[traduction] Malgré les deux éléments de preuve cités ci-dessus, le tribunal estime raisonnable d’exiger du demandeur qu’il produise des documents judiciaires ou policiers relatifs aux accusations de meurtre dont il allègue faire l’objet. Toutefois, le revendicateur a allégué qu’au Pakistan, aucun document judiciaire n’est remis à une personne accusée d’un crime ou à son avocat tant que l’affaire n’est pas devant les tribunaux ou que l’accusé ne s’est pas rendu à la police.
Le revendicateur allègue que parce qu’il ne s’est pas rendu à la police, il ne peut obtenir leurs dossiers ou ceux du tribunal. [Non souligné dans l’original.]
[16] Le tribunal dit que peu de temps après l’audience, il a pris connaissance d’une réponse à une demande d’information. Cette demande d’information était datée du 13 juillet 1998 et la réponse, qui provenait de la Direction de la recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Ottawa), se lit comme suit :
[traduction] Pakistan : Mise à jour de la réponse fournie relativement à la Demande d’information PAK 19026.E, datée du 14 novembre 1994, sur la question de savoir si un accusé ou son avocat peut obtenir une copie des PRI et, dans l’affirmative, savoir dans quelles circonstances elles peuvent être obtenues, si elles peuvent être obtenues du tribunal ou de la police et si des inscriptions apparaîtraient pour démontrer qu’elles avaient été obtenues légalement.
[17] Le tribunal a reproduit la réponse de la Direction de la recherche et je fais de même :
[traduction] Les renseignements qui suivent ont été fournis au bureau de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de Calgary le 9 juillet 1998 par Mujeeb ur-Rehman, avocat à la Cour suprême du Pakistan. La Direction de la recherche a participé à cette présentation par voie de conférence téléphonique. Mujeeb ur-Rehman est un avocat indépendant qui pratique le droit depuis 26 ans, qui a son propre cabinet et qui n’est pas associé à une société d’avocats ou à un organisme de protection des droits de la personne. Rehman fait aussi de la recherche en jurisprudence islamique et est un défenseur des droits de la personne. La CISR a déjà requis son opinion par le passé.
Rehman a dit que toute ordonnance rendue par les cours du Pakistan est un document public et que toute personne peut en obtenir une copie en s’adressant au copiste de la cour moyennant un coût peu élevé, dont le citoyen moyen est en mesure de s’acquitter. Toutefois, certains documents ne peuvent être obtenus que par l’accusé.
L’accusé a le droit d’obtenir une copie des PRI ou de son mandat d’arrestation. Son avocat peut aussi demander à son assistant d’obtenir une copie du PRI auprès du directeur de police ou, quand l’affaire est déjà soumise au tribunal, auprès du palais de justice. Les copies des PRI ou du mandat d’arrestation sont certifiées par le copiste de la cour en vertu de la Law of Evidence.
Les PRI et les mandats d’arrestation sont conservés au moins trois ans.
Veuillez prendre note que la Direction de la recherche n’a pas pu obtenir une copie de la Law of Evidence.
Cette réponse a été préparée par suite d’une recherche, limitée par le temps, effectuée à partir de renseignements auxquels le public a accès et actuellement disponibles pour la Direction de la recherche. Cette réponse n’est pas et ne prétend pas être déterminante quant au bien-fondé d’une revendication du statut de réfugié ou d’une demande d’asile donnée. [Non souligné dans l’original.]
[18] La Direction de la recherche dit qu’elle a aussi consulté d’autres sources, c’est-à-dire son dossier sur les lois du Pakistan, la bibliothèque de droit de l’Université d’Ottawa, un écrit pakistanais portant sur le Code of Criminal Procedure et un site Internet, WNC.
[19] Le tribunal a envoyé une copie de la réponse fournie par la Direction de la recherche aux avocats qui avaient comparu pour les parties, et ceux-ci pouvaient présenter leurs observations par écrit.
[20] Comme je l’ai mentionné, l’avocat du demandeur a répondu le 30 septembre 1998 en produisant une lettre d’un juge à la retraite de la Haute Cour du Pakistan, M. Raja Aziz Bahtti. Cette lettre, datée du 28 septembre 1998, se trouve à la page 244 du dossier certifié du tribunal et s’intitule : [traduction] « Objet : le droit à la divulgation complète de la preuve en vertu du Penal Code du Pakistan et sa mise en pratique ».
[21] Je reproduis en entier le texte de cette lettre :
[traduction] Merci de m’avoir consulté à ce sujet. Dans ma pratique comme avocat, je participe souvent à des instances où des documents comme les PRI et les mandats d’arrestation sont en cause, plus particulièrement dans les cas où la police a arrêté un citoyen sans avoir un mandat d’arrestation approprié ou quand elle a procédé à une perquisition sans y être autorisée.
Il est vrai, en droit, qu’un citoyen possède le droit à la divulgation complète de la preuve, mais ce droit est presque inexistant en raison du fait que dans la plupart des cas, les citoyens ont peur de communiquer eux-mêmes avec la police car ils craignent d’être arrêtés sur-le-champ. La plupart du temps, ces documents sont demandés par l’entremise d’un avocat, quand le citoyen a les moyens de s’en payer un. Si le citoyen n’a pas les moyens de se payer un avocat, ce droit peut encore être considéré comme presque inexistant. Quand un avocat fait des démarches auprès de la police afin d’obtenir ces documents au nom de son client, il doit déposer ce que nous appelons un Vakaltnama, qui prouve que le client a bien retenu ses services. De plus, il arrive souvent que dans ces cas, la police s’enquière des allées et venues du client étant donné que le fait d’héberger un fugitif est illégal.
Je peux vous assurer que lorsque une cause est portée devant un tribunal judiciaire, ce droit est toujours exercé. On peut dire qu’il n’est possible d’exercer le droit à la divulgation complète de la preuve que dans ces cas, et que ce n’est que dans ces cas qu’il est exercé. [Non souligné dans l’original.]
[22] Le tribunal a fait la remarque suivante à propos de la lettre de M. Bahtti :
[traduction] En gros, M. Bahtti allègue qu’au Pakistan, quand un avocat se présente à la cour pour obtenir les documents relatifs à un client, on lui demandera de divulguer les allées et venues de son client et, étant donné que le fait d’héberger un fugitif avant d’avoir obtenu ces documents est un crime, l’avocat pourrait être forcé de ne pas respecter la loi en refusant de divulguer les allées et venues de son client. Par conséquent, il devient impossible pour les avocats d’obtenir les documents juridiques qui concernent leurs clients.
Selon la pièce déposée par l’avocat, bien que la loi du Pakistan exige la divulgation complète de la preuve, l’application de ce principe est peu commune en pratique. [Non souligné dans l’original.]
[23] Le tribunal a apprécié ce qu’il a appelé « la preuve contradictoire soumise dans les pièces A-26 » (la réponse de la Direction de la recherche) et la lettre de M. Bahtti. En appréciant cette preuve, le tribunal a tenu compte du fait que la réponse de la Direction de la recherche a été préparée à partir des renseignements fournis par une source neutre, soit [traduction] « Mujeeb ur-Rehman, un avocat indépendant de la Cour suprême du Pakistan qui pratique le droit depuis 26 ans. Il n’est pas associé à une société d’avocats ou à un organisme de protection des droits de la personne. M. ur-Rehman fait aussi de la recherche en jurisprudence islamique et est un défenseur des droits de la personne. Il n’y a aucune raison pour laquelle M. ur-Rehman présenterait une preuve contraire aux intérêts du revendicateur du statut de réfugié en l’espèce ou de tout autre revendicateur ».
[24] Le tribunal a dit que les renseignements contenus dans la pièce A-26 démontraient qu’une personne accusée de meurtre au Pakistan pourrait obtenir, par l’entremise de son avocat, la preuve documentaire relative à cette accusation, soient les rapports de police (PRI) et/ou les documents judiciaires. Le tribunal a dit [traduction] « nous ne croyons pas que le système judiciaire du Pakistan refuse l’accès à ces documents au représentant de l’accusé ».
[25] En ce qui concerne l’opinion de M. Bahtti, le tribunal a dit qu’il en avait tenu compte et a indiqué que ce document avait été envoyé du Pakistan sous la forme d’un message télécopié adressé à l’avocat. Le tribunal a dit [traduction] « nous concluons que ce document a été écrit pour les fins de la présente revendication. Ce document ne réfute pas les conclusions contenues dans la pièce A-26 ».
[26] Le tribunal a poursuivi en disant qu’il avait une connaissance particulière du Pakistan et a écrit :
[traduction] Dans d’autres revendications du statut de réfugié présentées par des citoyens du Pakistan, comprenant des cas dans lesquels des accusations de meurtre avaient été portées contre des membres du PPP, on nous a soumis en preuve des documents judiciaires et policiers.
Pour l’ensemble de ces motifs, nous ne croyons pas que le revendicateur fasse l’objet d’accusations dans ce pays.
[27] Comme je l’ai mentionné, le tribunal n’a pas mis en doute le fait que le demandeur était un membre du PPP. Le tribunal a ajouté :
[traduction] Toutefois, la preuve documentaire n’établit pas que tous les membres de ce parti, indépendamment de leur rang et de leur situation personnelle, risquent d’être persécutés au Pakistan.
Dans l’ensemble, le revendicateur n’a pas fourni une preuve crédible ou digne de foi au soutien de son allégation selon laquelle il serait persécuté s’il retournait au Pakistan.
Il n’y a pas de possibilité raisonnable que le revendicateur soit persécuté s’il retournait dans son pays.
Par conséquent, le statut de « réfugié au sens de la Convention » est refusé à Amer AFZAL.
ANALYSE
La demande du tribunal d’obtenir des documents supplémentaires
[28] Les principales dispositions concernant le déroulement des audiences devant le tribunal sont les articles 67 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18], 68 [mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 57], et ainsi que les paragraphes 69.1(1) [édicté, idem, art. 60] à 69.1(5) [édicté, idem] de la Loi [Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2]. Ces dispositions prévoient :
67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.
(2) La section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment, dans le cadre d’une audience :
a) par citation adressée aux personnes ayant connaissance de faits se rapportant à l’affaire dont ils sont saisis, leur enjoindre de comparaître comme témoins aux date, heure et lieu indiqués et d’apporter et de produire tous documents, livres ou pièces, utiles à l’affaire, dont elles ont la possession ou la responsabilité;
b) faire prêter serment et interroger sous serment;
c) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des éléments de preuve au Canada;
d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l’affaire.
68. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.
(3) La section du statut n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d’office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du paragraphe (5), les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
[…]
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d’office en justice, la section du statut informe le ministre, s’il est présent à l’audience, et la personne visée par la procédure de son intention d’admettre d’office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.
[…]
69.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication dont elle est saisie aux termes des articles 46.02 ou 46.03.
(2) Lorsque le cas lui est déféré aux termes des articles 46.02 ou 46.03, la section du statut communique au ministre, si celui-ci en fait la demande par écrit au moment où elle en est saisie, les renseignements afférents visés au paragraphe 46.03(2) et entend la revendication le plus tôt possible après l’expiration du délai prévu au paragraphe (7.1).
(3) La section du statut notifie par écrit à l’intéressé et au ministre les date, heure et lieu de l’audience.
(5) À l’audience, la section du statut :
a) est tenue de donner :
(i) à l’intéressé, la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations,
(ii) au ministre, la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger l’intéressé ou tout autre témoin et de présenter des observations, ces deux derniers droits n’étant toutefois accordés au ministre que s’il l’informe qu’à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l’article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi;
b) peut, dans tous les cas, si elle l’estime indiqué, autoriser le ministre à interroger l’intéressé ou tout autre témoin et à présenter des observations.
[29] Les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire portent sur le rôle du tribunal lors de l’examen de la revendication en l’espèce. A-t-il été trop loin en n’étant pas convaincu par la preuve présentée par le demandeur qu’aucun PRI ni aucun acte d’accusation n’avaient été déposés au soutien de son allégation selon laquelle il faisait l’objet d’une accusation de meurtre?
[30] Les articles 67 à 69 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60] de la Loi indiquent de quelle manière le législateur veut que les revendications du statut de réfugié soient traitées. La procédure à suivre consiste en une audience portant sur une revendication par la section du statut à laquelle le revendicateur est présent et se voit donner une possibilité raisonnable de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations. L’audience se fait oralement et cette façon de procéder est en tous points conforme à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
[31] Mais, dans ce contexte, le législateur exige une certaine souplesse et ce, plus particulièrement à l’article 68 qui prévoit que « [d]ans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité ». Par surcroît, le paragraphe 68(3) prévoit que la section du statut n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve, et le paragraphe 68(4) prévoit que la section du statut peut prendre connaissance d’office des faits ainsi admissibles en justice de même que des faits généralement reconnus et des renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
[32] Je ne suis pas d’accord avec l’avocat du demandeur que le tribunal devait se limiter à recevoir et à examiner les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à l’accusation de meurtre alléguée. L’agent chargé de la revendication a un rôle à jouer (voir l’article 68.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 58] quant aux pouvoirs de cet agent) et les audiences ont porté principalement sur cette question déterminante.
[33] L’arrêt Salinas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 247 (C.A.) a établi le principe selon lequel le tribunal peut faire enquête en vue d’élucider une question qui le préoccupe. Dans l’affaire Salinas, la section du statut de réfugié avait elle-même décidé de reprendre l’audience après que la preuve eut été présentée en entier parce que le général Noriega avait été renversé.
[34] Dans l’affaire Szylar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 79 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.), le juge Denault a confirmé le droit d’un tribunal de demander des renseignements supplémentaires au Centre de documentation relativement à l’état du droit en Pologne après que l’audience eut été terminée et la décision suspendue. Je suis complètement d’accord avec ses motifs. Dans cette affaire, comme en l’espèce, le tribunal avait envoyé un avis au demandeur. Toutefois, dans cette affaire, contrairement à la présente affaire, une nouvelle audience avait été tenue.
L’audience aurait-elle dû être reprise?
[35] La deuxième question qui est soulevée est celle de savoir si le tribunal a reçu les documents supplémentaires de la bonne manière. En fait, il est important de rappeler que le caractère insuffisant de la preuve avait été signalé à l’audience et que le président de l’audience avait ajourné l’audience du 15 juillet 1998 pour cette raison.
[36] Dans l’affaire Lawal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 404, la Cour d’appel a annulé une décision de la Commission dans laquelle celle-ci avait reçu, après la fin de l’audience, une grande quantité d’éléments de preuve par suite d’une enquête faite de sa propre initiative et sur lesquels elle s’était fondée; le demandeur, qui en avait été avisé, avait demandé la réouverture de l’enquête mais cette requête lui avait été refusée. Aux pages 410 et 411, le juge Hugessen a dit :
À l’évidence, les membres de la formation ont mal interprété la nature du pouvoir conféré par les paragraphes 68(4) et 68(5). Par ses termes, le paragraphe 68(4) est limité aux faits qui peuvent être admis d’office en justice, aux faits généralement reconnus et aux renseignements ou opinions qui sont du ressort de la spécialisation de la Commission. Même en faisant un gros effort d’imagination, on ne saurait dire que les détails sur les accusations et sur les décisions prises contre les personnes impliquées dans la panne d’électricité qui a eu lieu au Nigéria en octobre 1988, ou les détails sur le programme de publication du Daily Times nigérien relèvent de l’une quelconque de ces catégories.
Certes, il se peut, comme l’a prétendu l’avocate du ministre, que la Commission tienne du paragraphe 67(2) le pouvoir de faire enquête de sa propre initiative; mais il est clair que ces pouvoirs doivent être exercés seulement « dans le cadre d’une audience ». Plus particulièrement, le pouvoir conféré par l’alinéa 67(2)d) et invoqué par l’avocate ne peut être exercé que si cela est « nécessaire (…) à une instruction approfondie de l’affaire ».
Mais il y a davantage encore. Le paragraphe 69.1(4) exige expressément que la section du statut tienne ses audiences en présence de l’intéressé. Il est tout à fait clair que, compte tenu de l’économie des articles 67 à 69.1 inclusivement, la Commission doit se prononcer sur les revendications du statut de réfugié seulement par voie d’audience. Dans le contexte, il doit s’agir d’une audience orale. La Commission n’est nullement habilitée à recueillir des éléments de preuve si ce n’est à une audience et, en l’absence d’une renonciation appropriée, une telle audience doit être tenue en présence de l’intéressé. [Non souligné dans l’original.]
[37] Cette opinion a été réitérée en partie par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Salinas, précitée, dans laquelle le juge Stone a écrit, aux pages 253 et 254 :
Nous estimons que la section du statut n’était pas non plus dessaisie de ses fonctions. Elle n’avait pas encore statué sur la revendication. Jusqu’à ce qu’elle l’ait fait, les procédures étaient toujours pendantes et il n’y avait pas encore irrévocabilité. Pour rendre sa décision, la section du statut pouvait exercer les pouvoirs qu’elle tenait de la Loi, pourvu qu’elle le fît de façon appropriée en donnant à l’intimé la possibilité de se faire entendre à la reprise de l’audience, ce qui a été fait. Il relève du mandat général de la section du statut, lorsqu’elle se prononce sur une revendication, de faire enquête sur le changement de conditions survenu dans le pays d’origine de l’intimée. On devrait lui permettre de remplir cette fonction que lui confère la Loi.
À notre avis, la question a déjà été implicitement tranchée pour cette Cour dans l’affaire Lawal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 404, où le juge Hugessen, J.C.A., a statué au nom de la Cour que la section du statut, après la fin d’une audience mais avant sa décision, ne pouvait examiner de nouveaux éléments de preuve outre ceux qu’il lui était loisible d’admettre d’office qu’en rouvrant l’audience, et qu’elle devait le faire. L’arrêt rendu par cette Cour dans l’affaire Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 288, sur laquelle le juge des requêtes s’est appuyé, s’applique seulement lorsque la section du statut est parvenue à une décision. En résumé, nous estimons nullement fondée la conclusion que la section du statut n’avait pas compétence ou a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a décidé de reprendre l’audience portant sur la revendication de l’intimée pour entendre des éléments de preuve concernant un changement de conditions au Panama. En bref, rien ne justifie que la Cour modifie la décision de reprendre l’instance. [Non souligné dans l’original.]
[38] Dans l’affaire Szylar, précitée, le juge Denault a indiqué qu’une audience avait été reprise par la Commission pour examiner les éléments de preuve obtenus après l’audience.
[39] Dans l’affaire Yushchuk c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 83 F.T.R. 146 (C.F. 1re inst.) la Commission avait refusé d’examiner la preuve soumise par le demandeur après l’audience mais avant que la décision ne soit rendue. Le juge Nadon était d’avis que la Commission aurait dû rouvrir l’audience pour examiner les documents supplémentaires.
[40] Dans l’affaire Kuslitsky et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 148 F.T.R. 136 (C.F. 1re inst.) le juge Dubé a accueilli une demande de contrôle judiciaire dans laquelle la question de la nationalité de la personne était en cause et avait été soulevée lors de l’audience; après l’audience, le revendicateur avait consenti de façon « fragile et obscur[e] » à la vérification des documents et une copie lui avait été envoyée, mais l’audience n’avait pas été rouverte.
[41] Le juge Dubé a conclu, au paragraphe 11 [page 141] :
Dans les circonstances, il me semble évident qu’en l’absence d’un consentement formel entre les parties à adopter une telle procédure, la Commission du statut ne peut tout simplement obtenir un document après l’audience, baser sa décision sur ce document sans au préalable avoir accordé aux requérants l’opportunité de présenter leurs observations ou de contre-interroger l’auteur. Cette procédure constitue un déni de justice naturelle.
[42] Dans l’affaire Sorogin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 163 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Tremblay-Lamer avait à examiner une question semblable à celle de l’affaire Kuslitsky, précitée; le demandeur, dont la nationalité était mise en doute, avait donné son consentement à l’audience pour que la GRC examine le document et il pouvait présenter ses observations dans les dix jours de la réception du rapport de la GRC. On a envoyé une copie du rapport de la GRC au demandeur mais ce dernier a dit qu’il ne l’avait pas reçu; le tribunal a rejeté sa revendication.
[43] Le juge Tremblay-Lamer a dit que la rigueur de l’arrêt Lawal, précité, avait été atténuée par l’abrogation [L.C. 1992, ch. 49, art. 60] du paragraphe 69.1(4) [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi, qui prévoyait :
69.1 […]
(4) L’audience sur la revendication se tient en présence de l’intéressé.
Dans l’arrêt Lawal, précité, le juge Hugessen avait fait référence à cette disposition et avait commencé à en parler en disant « mais il y a davantage encore ».
[44] Le juge Tremblay-Lamer s’est exprimée comme suit [aux paragraphes 9 à 11, pages 120 et 121] :
Or, comme le soumet le procureur du défendeur l’art. 69.1(4) fut abrogé depuis l’arrêt Lawal de sorte que selon lui il serait maintenant permis d’avoir une procédure plus informelle laquelle permettrait le dépôt d’une preuve en dehors du cadre d’une audience lorsque les parties consentent à une telle procédure et lorsque les règles de justice naturelle sont respectées en permettant à l’intéressé de commenter cette preuve.
Il est certain que l’abrogation de l’art. 69.1(4) assouplit la règle établie par l’arrêt Lawal puisque le tribunal n’est plus obligé de tenir une audience en présence du revendicateur. Le législateur favorise donc une procédure plus souple. Dans la mesure où les règles d’équité procédurale sont respectées et que les parties y consentent, l’économie de la loi permet, à mon avis, de procéder ainsi puisque le législateur a prévu expressément que la Section du statut n’est pas liée par les règles formelles de preuve.
Bien qu’une réouverture d’audience soit toujours la procédure la plus appropriée, les circonstances peuvent être telles qu’elle serait impraticable ou qu’elle ne permettrait pas au tribunal d’agir avec célérité. J’accepte donc que l’on puisse y déroger dans la mesure où le demandeur y consent et qu’il n’en subisse aucun préjudice. Cependant, dans l’hypothèse où le demandeur s’y oppose, le tribunal devrait prévoir une réouverture d’audience. [Non souligné dans l’original.]
[45] Le juge Rouleau s’est récemment penché sur une question semblable dans l’affaire Albert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 42 (1re inst.) (QL). Après l’audience, mais avant que la décision ne soit rendue, un membre du personnel de l’ACR avait envoyé à l’avocat du demandeur la réponse à une demande d’information préparée par le Centre de documentation, réponse « que la Section des ACR dépose dans ce dossier ». Le demandeur s’opposait à la réception de cette preuve, mais il s’est prévalu de la possibilité qui lui était offerte de présenter ses observations à ce sujet.
[46] Le juge Rouleau a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Il a souscrit à l’approche plus souple qui ressort de la décision Sorogin, précitée; il a examiné la preuve et il a conclu que la preuve supplémentaire n’avait pas eu d’effet important sur la décision. Toutefois, il a exprimé la mise en garde suivante [au paragraphe 37] :
Si j’avais le moindre soupçon qu’il y a eu en l’espèce manquement d’équité ou atteinte à la justice naturelle ou que la réouverture de l’audience ou une nouvelle audience aurait pu avoir une influence sur la décision ultime, j’aurais favorisé les soumissions des demandeurs. Or, me référant à l’arrêt Sorogin, supra, qui prévoit maintenant une procédure plus souple, je suis satisfait qu’il n’y a pas lieu d’accorder le remède recherché par les demandeurs.
CONCLUSION
[47] Les décisions Lawal et Salinas, précitées, fondées sur les articles 67 à 69 de la Loi, établissent comme règle que les renseignements obtenus par le tribunal après l’audience d’une revendication du statut de réfugié doivent être présentés en preuve à l’occasion d’une reprise d’audience pour permettre au revendicateur d’exercer les droits qui lui sont conférés par le législateur au paragraphe 69.1(5) de la Loi.
[48] Récemment, dans les affaires Sorogin et Albert, précitées, la Cour a reconnu que dans des circonstances limitées, les renseignements obtenus après l’audience pouvaient être pris en considération et pouvaient servir de fondement pourvu que les parties y consentent et que la justice naturelle soit respectée, c’est-à-dire qu’une possibilité réelle de présenter des observations ait été fournie. La décision Sorogin était fondée sur l’abrogation du paragraphe 69.1(4), mais je remarque que dans la décision Lawal, le juge Hugessen a mentionné la possibilité d’une renonciation appropriée.
[49] Je souligne les limites de cette façon de procéder parce qu’il ressort clairement de la lecture des décisions Sorogin et Albert, précitées, que la réouverture d’une audience est préférable et conforme à la volonté du législateur étayée par l’arrêt Singh, précité.
[50] Je suis convaincu qu’en l’espèce, la question de la disponibilité du PRI aurait dû être traitée à l’occasion d’une nouvelle audience après que le tribunal eut reçu le rapport d’information du Centre de documentation et l’opinion de M. Bahtti. J’arrive à cette conclusion pour les motifs suivants :
1) le tribunal a lui-même envisagé la possibilité de rouvrir l’audience pour examiner ces renseignements puisqu’il a simplement ajourné l’audience du 15 juillet 1998. Toutefois, il n’a pas rouvert l’audience et a rendu une décision défavorable au demandeur;
2) les limites imposées dans les décisions Sorogin et Albert n’ont pas été respectées; on ne peut pas dire que le demandeur a renoncé d’une manière appropriée ou qu’il a donné un consentement éclairé. Je remarque que l’avocat de M. Afzal s’est opposé à cette façon de procéder mais qu’étant donné la directive du tribunal, il a répondu par la lettre de M. Bahtti;
3) la nature de la preuve était déterminante pour la revendication de M. Afzal et a été le fondement de la décision défavorable du tribunal;
4) les circonstances dans lesquelles les PRI peuvent être obtenus ne sont pas du ressort du tribunal—c’est pour cela que le tribunal voulait obtenir plus d’éléments de preuve sur le sujet. La Cour d’appel fédérale est arrivée à une conclusion semblable dans l’arrêt Lawal;
5) la nature de la preuve, en l’espèce, la preuve du droit étranger et de son application, qui est un élément déterminant de la décision du tribunal, doit être établie lors d’une audience fournissant au revendicateur l’occasion de contre-interroger les témoins, de produire d’autres éléments de preuve et de présenter des observations.
DISPOSITIF
[51] Pour l’ensemble des présents motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication de M. Afzal doit faire l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.
[52] Dans l’affaire Yushchuk, précitée, le juge Nadon avait certifié une question mais il y avait eu désistement de l’appel. Je certifie la question suivante :
En l’espèce, la loi conférait-elle à la section du statut de réfugié le pouvoir de recevoir la nouvelle preuve soumise après l’audience mais avant que la décision ne soit rendue et, dans l’affirmative, la section du statut de réfugié a-t-elle respecté les règles de justice naturelle et d’équité?