[2000] 3 C.F. 127
T-1692-99
Bayside Towing Ltd., Eugene Beckstrom et William Frizell (demandeurs)
c.
Le Canadien Pacifique, B.C. Telet Rivtow Marine Ltd. (défendeurs)
Répertorié : Bayside Towing Ltd. c. Canadien Pacifique (1re inst.)
Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 28 janvier et 2 février 2000.
Droit maritime — Pratique — Requête en radiation de certaines parties de la défense dans une action en limitation de responsabilité — Limitation de la responsabilité prévue par la Loi sur la marine marchande du Canada (la LMM) et par la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes — Dommage causé à un pont du CP par un chaland « non propulsé » tiré par un remorqueur — Question de savoir si les allégations d’« omission volontaire » (au sens de la LMM) se rapprochent suffisamment des actes « commis avec l’intention de provoquer un dommage ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement » au sens de l’art. 4 de la Convention — Question de savoir si, malgré la décision rendue par la C.S.C. dans l’arrêt Le Rhône, le fonds consigné doit être fondé, selon le principe de la flottille, sur les jauges totales du remorqueur et du chaland — Il n’est pas évident que l’allégation d’imprudence ne sera pas retenue — L’allégation fondée sur la maxime res ipsa loquitur est radiée car cette maxime ne s’applique plus au Canada — L’allégation relative à la violation d’une loi est radiée étant donné que le délit civil spécial de manquement à une obligation légale n’est pas reconnu au Canada.
Le chaland à copeaux Rivtow 901, un chaland « non propulsé » qui était remorqué par le Sheena M appartenant à Bayside Towing Ltd., avait heurté un pont du CP et avait causé des dommages dont le montant était estimé à 5 000 000 $. Une action en limitation de responsabilité a été intentée en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes et un fonds consigné d’un montant de 500 000 $ a été constitué, fondé sur la jauge du remorqueur seulement. Le CP a choisi de contester le droit de limiter la responsabilité ainsi que le montant du fonds consigné, en soutenant, en vertu de l’article 4 de la Convention, que la conduite des auteurs de la faute était telle qu’ils n’avaient pas le droit de limiter leur responsabilité. Le CP a également soutenu que, contrairement à ce que la Cour suprême du Canada avait décidé dans l’affaire Rhône (Le) c. Peter A.B. Widener (Le), le fonds consigné devrait être fondé sur le principe de limitation dit « de la flottille », c’est-à-dire sur la jauge totale du remorqueur et du chaland. Il s’agissait d’une requête visant à faire radier diverses parties de la défense pour le motif qu’elles ne révélaient aucun moyen raisonnable de défense.
Le critère à appliquer aux requêtes en radiation, énoncé dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à savoir qu’il doit être évident et manifeste qu’une plaidoirie ne révèle aucun moyen raisonnable de défense, impose un lourd fardeau à la partie qui demande la radiation d’une plaidoirie.
La partie de la défense dans laquelle le CP qualifie d’omissions volontaires (soit les mots employés au paragraphe 564(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada) les actes de l’équipage et des propriétaires du remorqueur ne sera pas radiée. La notion de « caractère volontaire » se rapproche peut-être du critère prévu à l’article 4 de la Convention, qui parle d’actes commis avec l’intention de provoquer un dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement. Même si l’argument n’est peut-être pas très convaincant, il est opportun pour la Cour d’analyser l’article 4 de la Convention au complet, avec l’aide d’avocats, de façon à établir un précédent important.
Toutefois, l’inclusion d’allégations relatives à une omission volontaire de la part de la défenderesse Rivtow Marine Ltd. doit être rejetée. Les actions de Rivtow n’ont rien à voir avec la question qui se pose dans une action en limitation, c’est-à-dire si la conduite des auteurs de la faute fait obstacle à une limitation de leur responsabilité. Les allégations relatives à la façon imprudente et négligente dont la navigation, la conduite ou l’exploitation étaient assurées sont radiées puisque le critère énoncé à l’article 4 de la Convention n’a rien à voir avec la négligence, son libellé étant plutôt axé sur les notions d’imprudence et de connaissance.
L’argument du CP selon lequel la violation des normes établies dans les règlements sur les abordages prouve l’imprudence et la connaissance peut être difficile à établir, mais il n’est pas évident et manifeste qu’il sera rejetée. Il ne devrait pas être radié, sauf en ce qui concerne la mention des exploitants, du capitaine, des officiers et de l’équipage du Rivtow 901, qui n’est pas pertinente dans la procédure en limitation.
La partie de la plaidoirie se rapportant à la maxime res ipsa loquitur, en tant que preuve prima facie, entre autres choses, de l’omission volontaire et de l’imprudence visant à provoquer un dommage, ou en sachant qu’un tel dommage en résultera probablement, devrait être radiée. En premier lieu, la maxime donnait simplement lieu à une preuve prima facie de négligence, qui n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de modifier la limitation de responsabilité prévue par la Convention de 1976. En second lieu, la maxime res ipsa loquitur ne s’applique plus au Canada, même en matière de négligence : Fontaine c. Colombie-Britannique (Official Administrator), [1998] 1 R.C.S. 424.
La partie de la plaidoirie qui est fondée sur le concept de la violation d’une loi devrait également être radiée. Dans R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, le juge Dickson a dit que le délit civil spécial de manquement à une obligation légale n’était pas reconnu au Canada, en signalant que la violation d’une loi, lorsqu’elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la négligence.
La partie de la plaidoirie dans laquelle est contestée la présumée disparition du principe de la flottille énoncé dans l’arrêt Rhône (Le) ne devrait pas être radiée. Cet arrêt était fondé, dans une certaine mesure, sur le libellé de l’article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, tel qu’il existait à ce moment-là. Cette disposition n’existe plus, mais en ce qui concerne les bâtiments de moins de 300 tonnes, comme c’est le cas du Sheena M, elle a été remplacée par l’article 577, qui est comparable à l’article 647, même s’il ne correspond pas complètement à cette disposition. De plus, on a cité l’ouvrage de Davidson et Snelson, The Law of Towage, à l’appui de la thèse selon laquelle, en vertu de la Convention de 1976, il est moins justifié de restreindre le fonds consigné à la jauge du remorqueur seulement. L’argument est peut-être peu convaincant, mais il n’est pas évident et manifeste qu’il sera rejeté.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, étant l’annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9 (édicté par L.C. 1998, ch. 6, art. 26), art. 4.
Loi des conventions maritimes, 1914, S.C. 1914, ch. 13.
Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada (responsabilité en matière maritime), L.C. 1998, ch. 6, art. 2, 26.
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 564(3), 574 (mod. par L.C. 1998, ch. 6, art. 2), 577 (mod., idem), 647, ann. VI (édicté, idem, art. 26).
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, ch. S-9, art. 647(2).
Règlement sur les abordages, C.R.C., ch. 1416.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Lawrence c. R., [1978] 2 C.F. 782 (1978), 42 C.C.C. (2d) 230 (1re inst.); Fontaine c. Colombie-Britannique (Official Administrator), [1998] 1 R.C.S. 424; (1998), 154 D.L.R. (4th) 577; 46 B.C.L.R. (3d) 1; 41 C.C.L.T. (2d) 36; 34 M.V.R. (3d) 165; R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205; (1983), 153 D.L.R. (3d) 9; [1983] 3 W.W.R. 97; 23 CCLT 121; 45 N.R. 425.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Reed & Co. Ltd. v. London & Rochester Trading Company, Ltd., [1954] 2 Lloyd’s Rep. 463 (Q.B.); Bramley Moore, The, [1964] P. 200 (C.A.); Rhône (Le) c. Peter A.B. Widener (Le), [1993] 1 R.C.S. 497; (1993), 101 D.L.R. (4th) 188; 148 N.R. 349.
DÉCISIONS CITÉES :
R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124; (1980), 109 D.L.R. (3d) 257; [1980] 2 W.W.R. 659; 51 C.C.C. (2d) 193; 19 C.R. (3d) 371; 31 N.R. 273; Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison (1995), 99 F.T.R. 305 (C.F. 1re inst.); Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltd. (1995), 61 C.P.R. (3d) 317; 95 F.T.R. 146 (C.F. 1re inst.); West Hill Redevelopment Co. c. La Reine, [1987] 1 C.T.C. 310; (1987), 87 DTC 5210 (C.F.1re inst.); Comr. Of Police of the Metropolis v. Caldwell, [1982] A.C. 341 (H.L.); Reg. v. Lawrence (Stephen), [1982] A.C. 510 (H.L.); Sir Joseph Rawlinson, The, [1972] 2 Lloyd’s Rep. 437 (Adm. Ct.).
DOCTRINE
Davison, Richard et Anthony Snelson. The Law of Towage, London : Lloyd’s of London Press, 1990.
Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.
REQUÊTE en radiation de diverses parties de la défense dans une action par laquelle les demandeurs sollicitent la limitation de leur responsabilité à l’égard des dommages causés lorsque le Rivtow 901, un chaland non propulsé tiré par le remorqueur de Bayside Towing Ltd., le Sheena M, a heurté un pont du CP. Requête accueillie en partie.
ONT COMPARU :
David F. McEwen pour les demandeurs.
William M. Everett pour le Canadien Pacifique, défendeur.
Doug G. Morrison pour Rivtow Marine Ltd., défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les demandeurs.
Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour le Canadien Pacifique, défendeur.
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour Rivtow Maritime Ltd., défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le protonotaire Hargrave : Les demandeurs ont intenté une action par laquelle ils sollicitent la limitation de la responsabilité qui leur incombe en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada [L.R.C. (1985), ch. S-9] et de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes [étant l’annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9 (édicté par L.C. 1998, ch. 6, art. 26)], que j’appellerai la Convention de 1976, adoptée par le Canada au moyen d’une loi qui a été sanctionnée le 12 mai 1998 [L.C. 1998, ch. 6, art. 2].
[2] Les demandeurs auraient censément causé des dommages s’élevant à environ 5 000 000 $ au pont du CP, à Mission (Colombie-Britannique), lorsque le chaland à copeaux Rivtow 901, un chaland non propulsé qui était remorqué par le Sheena M appartenant à Bayside Towing Ltd. a heurté le pont, le 2 juin 1999.
[3] Les demandeurs ont intenté cette action au mois de septembre 1999; ils ont subséquemment constitué un fonds, un fonds provisoire, le CP ayant exprimé certaines réserves au sujet de la question de savoir si le montant du fonds devait être de 500 000 $, calculé à partir de la jauge du remorqueur seulement, conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 2 novembre 1999.
[4] De nombreux auteurs et de fait certains juges dans d’autres ressorts ont fait remarquer que, selon l’esprit de la Convention de 1976, puisque les créanciers lésés bénéficient de limites de responsabilité beaucoup plus élevées, le compromis pour les propriétaires de navire et pour les membres d’équipage fautifs est une limitation de la responsabilité qui, à toutes fins utiles, ne peut pas être modifiée.
[5] Le CP avait le choix d’accepter, avec les autres créanciers, une partie du fonds au prorata. Il a plutôt choisi de contester, entre autres choses, le droit des demandeurs de limiter leur responsabilité, ce droit pouvant être perdu conformément à l’article 4 de la Convention de 1976 :
Article 4
Conduite supprimant la limitation
Une personne responsable n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.
ainsi que le montant du fonds de limitations. Le CP soutient que, contrairement à ce qui a été décidé dans l’affaire Rhône (Le) c. Peter A.B. Widener (Le), [1993] 1 R.C.S. 497 sur la base de la législation antérieure en matière de limitation, le fonds de limitation devrait être établi sur le principe de limitation dit « de la flottille », c’est-à-dire sur la jauge totale du remorqueur en service et du chaland non propulsé.
[6] Les demandeurs sollicitent maintenant la radiation de diverses parties de la défense pour le motif qu’elles ne révèlent aucun moyen raisonnable de défense, mais qu’elles constituent plutôt des actes de procédure qui doivent clairement et de toute évidence être rejetés.
[7] Les présents motifs confirment les décisions que j’ai rendues à l’audition de cette affaire, le 28 janvier 2000, au sujet de certaines parties de la requête que les demandeurs avaient présentée en vue de faire radier des parties de la défense du Canadien Pacifique (le CP), et constituent mes motifs de décision au sujet des parties de la requête sur lesquelles j’ai reporté ma décision.
ANALYSE
[8] Pour décider si diverses parties de la défense doivent être radiées, j’ai tenu compte du fait que le critère énoncé dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980, à savoir qu’il doit être évident et manifeste qu’un acte de procédure ne révèle aucune cause raisonnable d’action ou aucun moyen raisonnable de défense, impose un lourd fardeau à la partie qui demande la radiation d’un acte de procédure. Ce critère est difficile à respecter. D’autres décisions renferment des commentaires au sujet de l’expression « évident et manifeste »; il a notamment été dit que pareille acte de procédure doit être indubitablement désespéré ou futile ou qu’il doit s’agir d’un acte de procédure n’aboutissant à aucun résultat, mais ces caractéristiques sont suffisamment explicites. De fait, dans l’arrêt Hunt, Mme le juge Wilson emploie également des expressions telles que « vice fondamental » et examine un acte de procédure en vue de déterminer s’il est « susceptible d’instruction ». Ces explications n’ajoutent rien au critère. Elles n’ont pas non plus un effet cumulatif. Le critère relatif à la question de savoir si l’issue de l’affaire est évidente et manifeste est celui qui s’applique. J’ai également tenu compte du fait qu’une approche nouvelle, ou un argument qu’il est difficile de faire valoir avec succès, ne justifient pas la radiation, d’autant plus lorsque la procédure en cause est une action en limitation, un concept bien connu en soi, mais qui est ici l’une des premières procédures de ce genre à être engagées en vertu de la nouvelle législation canadienne sur la limitation de la responsabilité. Partant, cette procédure peut comporter de sérieuses questions de droit, ou des points de droit incertains, qui ne devraient pas être tranchés dans le cadre d’une requête interlocutoire visant à la radiation d’un acte de procédure.
[9] Au paragraphe 7 de la défense, dans une allégation qui, selon ce qu’espère le CP, pourrait entraîner la suppression de la limitation, le CP qualifie d’omissions volontaires les actes des demandeurs, de l’équipage et des propriétaires du remorqueur. Or, dans la Convention de 1976, il n’est pas fait mention de l’omission volontaire en tant que conduite supprimant la limitation. La Convention de 1976 parle plutôt d’actes ou d’omissions commis avec l’intention de provoquer un dommage, et d’actions commises témérairement et avec conscience du résultat probable. Toutefois, le CP peut signaler le paragraphe 564(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada en vertu duquel, dans certaines circonstances, une violation des règlements sur les abordages est censée constituer une omission volontaire[1]. Le mot « volontaire » est défini de bien des façons dans les dictionnaires et s’entend notamment de quelque chose qui est fait d’une façon imprudente, à dessein, par exprès, dans l’intention d’en arriver au résultat qui s’est de fait produit. Le mot « volontaire » connote également un acte positif, par opposition à une abstention menant à une négligence qui découle simplement de l’inattention ou d’une omission. Ces notions, en ce qui concerne le caractère volontaire, se rapprochent peut-être du critère prévu à l’article 4 de la Convention de 1976 qui, comme je l’ai dit, parle d’actes « commis avec l’intention de provoquer un dommage, ou commis témérairement et avec conscience du résultat probable.
[10] En ce qui concerne le sens du mot « volontaire », je reconnais en outre que le libellé de l’article 4 de la Convention de 1976 est différent de celui du paragraphe 564(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada , qui se lit comme suit :
564. […]
(3) Lorsqu’une personne est blessée ou que des biens subissent quelque dommage par suite de l’inobservation, par un bâtiment ou par un radeau, de l’un quelconque des règlements sur les abordages, la blessure ou le dommage sont censés avoir été causés par l’omission volontaire de la personne qui avait la direction du radeau ou par celle qui était de service sur le pont du bâtiment à ce moment-là, à moins qu’il ne soit prouvé, à la satisfaction du tribunal, que les circonstances nécessitaient une dérogation au règlement. [Non souligné dans l’original.]
L’avocat des demandeurs soutient qu’en vertu d’une règle fondamentale d’interprétation, lorsque des mots différents sont employés dans un texte de loi, le législateur doit clairement avoir voulu qu’un sens différent ou un critère différent s’applique dans chaque cas : voir par exemple, R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124, à la page 1135 et Driedger on the Construction of Statutes, Butterworths, 3e édition 1994, aux pages 164 et 165. Pour rendre justice au CP, le paragraphe 564(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada, portant sur l’omission volontaire réputée, est une disposition légale canadienne. La Convention de 1976 est une convention internationale, découlant d’une conférence qui a eu lieu à Londres en 1976 et dont le libellé ne peut faire l’objet d’aucun compromis en ce qui concerne la plupart des dispositions, dont l’article 4.
[11] Il peut être difficile pour le CP de convaincre un juge qu’une violation des règlements sur les abordages et l’application du paragraphe 564(3) de la Loi sur la marine marchande du Canada, menant à une présomption d’acte positif volontaire, ce qui peut également signifier un acte que l’on a commis d’une façon imprudente dans l’intention d’aboutir au résultat obtenu, supprimant la limitation prévue par l’article 4. Cependant, il est opportun pour la Cour d’analyser l’article 4 au complet, avec l’aide d’éminents avocats, de façon à établir un précédent important. Ceci dit, le paragraphe 7 de la défense doit manifestement et de toute évidence être en partie rejeté.
[12] L’inclusion d’allégations relatives à une omission volontaire de la part de la défenderesse, Rivtow Marine Ltd. (Rivtow), doit manifestement et de toute évidence être rejetée. À coup sûr, je dois considérer les faits énoncés dans la défense comme vrais, mais les allégations fondées sur les faits, ou les allégations fondées sur des présomptions de droit, ne jouissent pas de la même présomption de véracité : voir par exemple Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 455, et Lawrence c. R., [1978] 2 C.F. 782 (1re inst.), à la page 784 :
En règle générale, la Cour est tenue, dans un cas comme celui-ci, d’accepter la véracité des faits allégués dans la déclaration. Cette règle ne s’applique pas lorsque le fait allégué est en réalité un point de droit. Il n’appartient pas au plaideur, mais à la Cour, de dire le droit.
[13] Pour revenir à Rivtow, il s’agit en l’espèce d’une défenderesse. Les demandeurs n’allèguent pas que Rivtow a contribué à l’accident. Les actions de Rivtow n’ont rien à voir avec la question qui se pose dans une action en limitation, c’est-à-dire en l’espèce la question de savoir si la conduite des demandeurs supprime la limitation de leur responsabilité. À coup sûr, Rivtow, dont le chaland non propulsé a également été endommagé par les demandeurs, dispose peut-être d’une réclamation à l’encontre de ces derniers, mais cela ne permet pas pour autant au CP d’alléguer, dans l’action en limitation des demandeurs, que Rivtow ne peut pas limiter sa responsabilité à cause de sa conduite. Rivtow, dont le chaland non propulsé était tiré par un remorqueur appartenant à quelqu’un d’autre, pourrait peut-être dans l’avenir intenter sa propre action en limitation si une responsabilité lui était imputée. Toutefois, il est prématuré, dans l’action en limitation intentée par Bayside Towing ainsi que par le capitaine et le capitaine en second du remorqueur, d’essayer de modifier la limitation dont bénéficie Rivtow.
[14] Comme je l’ai fait remarquer, le paragraphe 7 est en partie justifié, mais les allégations d’omissions volontaires qui sont faites contre Rivtow ne peuvent aboutir à rien. Dans cette instance, elles seront manifestement et de toute évidence rejetées. Par conséquent, le paragraphe 7 est radié, le CP ayant la faculté de le modifier.
[15] Au paragraphe 8 de la défense, le CP allègue que le Rivtow 901 a heurté et endommagé le pont à cause de la façon imprudente et négligente dont la navigation, la conduite ou l’exploitation étaient assurées par la défenderesse Rivtow ainsi que par la demanderesse Bayside. Ce paragraphe comporte deux erreurs fatales. En premier lieu, il se rapporte principalement aux actions de Rivtow qui, comme je l’ai signalé, ne sont pas pertinentes. En second lieu, le CP allègue uniquement que la navigation était assurée d’une façon imprudente et négligente. Or, le critère énoncé à l’article 4 de la Convention de 1976 n’a rien à voir avec la négligence, son libellé étant plutôt axé sur les notions d’imprudence et de connaissance. Le paragraphe 8 est radié, l’autorisation de le modifier étant accordée au CP s’il croit être en mesure de démontrer l’imprudence et la connaissance, ou un acte intentionnel de la part de Bayside et des membres d’équipage.
[16] Au paragraphe 10 de sa défense, le CP donne des précisions au sujet de la conduite des demandeurs, cette conduite supprimant selon lui la limitation de la responsabilité. En général, le libellé, dans lequel 37 précisions sont données, est tiré de l’article 4 de la Convention de 1976. Toutefois, au paragraphe 10 figure une allégation de négligence qui, à mon avis, n’est qu’une déclaration faite en trop n’entraînant aucun préjudice : voir par exemple, le jugement Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison (1995), 99 F.T.R. 305 (1re inst.), à la page 311, dans lequel il est fait mention de la décision Copperhead Brewing Co. c. John Labatt Ltd. (1995), 61 C.P.R. (3d) 317 (C.F. 1re inst.).
[17] Sans être exhaustives au point de vue de la catégorisation, les précisions sont dans une large mesure tirées du Règlements sur les abordages [C.R.C., ch. 1416], notamment les bons usages maritimes mentionnés dans les règlements, alors que d’autres se rapportent à la dotation en équipage, à la maintenance et à la supervision. Les demandeurs disent que la violation de l’une ou l’autre des normes mentionnées dans les précisions équivaut uniquement à une négligence et que pareilles plaidoiries doivent donc être manifestement et de toute évidence rejetées; à cet égard, ils mentionnent les motifs que le protonotaire Preston a prononcés dans l’affaire West Hill Redevelopment Co. c. La Reine, [1987] 1 C.T.C. 310 (C.F. 1re inst.). De son côté, le CP soutient que si les précisions sont prouvées, elles établiront l’imprudence et la connaissance.
[18] À coup sûr, il est raisonnable de considérer que l’on savait que les violations particulières mentionnées par le CP causeraient peut-être des dommages au pont du CP. Cependant, la question de savoir si ces violations équivalent à de l’imprudence pose plus de problèmes.
[19] Le juge Devlin (tel était alors son titre) a examiné la notion d’imprudence dans l’arrêt Reed & Co. Ltd. v. London & Rochester Trading Company, Ltd., [1954] 2 Lloyd’s Rep. 463 (Q.B.); dans cette affaire, on avait fourni d’une façon imprudente un chaland inapte à prendre la mer conformément au London Lighterage Clause, ce chaland, qui s’appelait le Niagara, étant décrit par le juge Devlin [à la page 467] comme étant [traduction] « ancien, sans être antique (si je puis m’exprimer ainsi) ». Le juge Devlin signale que l’imprudence est plus qu’une simple négligence ou une simple inadvertance et que même si elle n’a peut-être rien de criminel ou même de moralement mauvais, l’imprudence signifie bel et bien que l’on a délibérément couru un risque injustifié (aux pages 475 et 476) :
[traduction] À mon avis, l’expression « d’une façon imprudente » ne pose pas réellement de problème. Ce n’est pas une simple négligence ou une simple inadvertance. Je crois que cela veut dire que l’on court délibérément un risque injustifiable, ce qui n’est pas nécessairement criminel ou même moralement mauvais; cela dépend du risque en cause; cela peut avoir une grande importance ou cela peut avoir une importance minime. Si je sors quand il fait froid et si j’oublie d’apporter mon manteau, il s’agit peut-être d’une simple inadvertance sans être pour autant de l’imprudence; je fais peut-être preuve d’insouciance plutôt que d’imprudence. Si je décide de ne pas apporter mon manteau alors que je sais fort bien que j’attraperai peut-être le rhume si je ne le fais pas, je cours le risque d’attraper le rhume, et ce, délibérément, même si cela n’est pas très grave. Je crois qu’il s’agit du genre d’imprudence dont il faut tenir compte en l’espèce. Eu égard aux circonstances de l’affaire, cela ne dénote pas que l’on manque de respect, par imprudence, pour la vie des gens, ou quelque chose de ce genre, mais il suffit, en ce qui concerne la cargaison que le chaland doit transporter, que la société ou qu’un employé de la société qui est responsable à cet égard, courre délibérément un risque injustifiable ayant pour effet de causer des dommages à ce genre de cargaison.
Dans les exemples donnés par le juge Devlin, il y a un élément de connaissance. La notion d’imprudence a également été examinée par la Chambre des lords dans les décisions Comr. of Police of the Metropolis v. Caldwell, [1982] A.C. 341 et Reg. v. Lawrence (Stephen), [1982] A.C. 510. Il s’agissait de deux affaires criminelles. Toutefois, dans la dernière affaire, il était allégué que l’imprudence comportait deux éléments : en premier lieu, le fait d’agir de façon à créer un risque évident et sérieux et, en second lieu, le fait d’agir ainsi sans songer à la possibilité de l’existence de pareil risque, ou si le risque était reconnu, le fait de décider néanmoins de le courir. Ces définitions ne sont pas incompatibles avec l’avis que le juge Devlin a exprimé au sujet de la notion d’imprudence.
[20] Compte tenu des précisions données au paragraphe 10, je ne puis dire que l’allégation du CP, en ce qui concerne la question de l’imprudence, sera clairement et de toute évidence rejetée. Il est peut-être difficile de faire valoir cet argument. Toutefois, il ne s’agit pas d’un argument désespéré. Le paragraphe 10 sera maintenu, sauf en ce qui concerne la mention précédant les précisions qui sont données, faite [traduction] « aux exploitants, au capitaine, aux officiers ou à l’équipage du Rivtow 901 », laquelle sera supprimée puisque ni l’omission volontaire ni l’imprudence de Rivtow ne sont pertinentes dans la présente action en limitation.
[21] Au paragraphe 11, sont énoncées les mêmes précisions que celles qui figurent au paragraphe 10, mais le paragraphe 11 traite du rapport qui existe entre l’omission volontaire et l’imprudence d’une part et Rivtow d’autre part. Comme je l’ai déjà dit, la mention de Rivtow n’est pas pertinente en l’espèce. Il s’agit d’une allégation qui ne mènera à rien. Il s’agit d’une allégation qui, manifestement et de toute évidence, ne révèle aucun moyen raisonnable permettant de modifier la limitation de responsabilité qui s’applique aux demandeurs. Le paragraphe 11 est radié.
[22] Le paragraphe 12 de la défense est fondé sur la maxime res ipsa loquitur en tant que preuve prima facie et, en tant que preuve entre autres choses, d’une omission volontaire et d’une imprudence visant à causer une perte, ou du fait que l’on savait que pareille perte serait probablement subie.
[23] La maxime res ipsa loquitur, telle qu’elle s’appliquait à un moment donné, donnait simplement lieu à une preuve prima facie de négligence. Cela étant, puisque la simple négligence n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de modifier la limitation de responsabilité prévue par la Convention de 1976, il en va de même pour l’allégation fondée sur cette maxime. En outre, la maxime res ipsa loquitur ne s’applique plus au Canada, même en matière de négligence : voir par exemple Fontaine c. Colombie-Britannique (Official Administrator), [1998] 1 R.C.S. 424, à la page 435 :
Quelle que soit la valeur que la maxime res ipsa loquitur a pu avoir dans le passé, elle ne l’a plus maintenant. Diverses tentatives d’appliquer cette prétendue règle ont été plus déroutantes qu’utiles. Son utilisation a été limitée aux cas où les faits permettaient de déduire la négligence et où on ne disposait d’aucune autre explication raisonnable de l’accident. Vu cet usage restreint, il est quelque peu exagéré de le qualifier de règle de droit.
Il semblerait que le droit s’en porterait mieux si la maxime était tenue pour périmée et n’était plus utilisée comme une notion distincte dans les actions pour négligence. Après tout, elle ne représentait rien de plus qu’une tentative de traiter de la preuve circonstancielle. Il est plus logique que le juge des faits traite de cette preuve en la soupesant en fonction de la preuve directe, s’il en est, pour décider si le demandeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de la négligence du défendeur. Une fois que le demandeur a fait cela, le défendeur doit produire une preuve réfutant celle du demandeur, sans quoi ce dernier aura nécessairement gain de cause.
[24] Le paragraphe 12 traite également du manquement à une obligation légale. Cela n’aide pas le CP non plus; je mentionnerai ici l’arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, à la page 225, dans lequel le juge Dickson (plus tard juge en chef) n’a pas reconnu le délit civil spécial de manquement à une obligation légale et a signalé que la violation d’une loi doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence :
Pour tous ces motifs, je serais opposé à ce qu’on reconnaisse au Canada l’existence d’un délit civil spécial de manquement à une obligation légale. La violation d’une loi, lorsqu’elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence. La notion de négligence et celle d’obligation de diligence qui s’y rattache en common law sont assez fortes pour servir aux fins invoquées à l’appui de l’existence de l’action fondée sur l’infraction à une loi.
[25] Subsidiairement, le CP a offert de modifier le paragraphe 12 de façon que la maxime res ipsa loquitur ne soit plus mentionnée à titre de preuve de l’omission volontaire ou de l’imprudence. La modification envisagée ne nous aide pas.
[26] Si la maxime res ipsa loquitur et la notion de manquement à une obligation légale sont supprimées, je ne suis pas convaincu que le paragraphe 12 puisse être modifié sans en enlever toute substance. Toutefois, je laisse ici le bénéfice du doute au CP; le paragraphe 12 est radié, mais le CP peut essayer de le modifier.
[27] Au paragraphe 13, il est énoncé que, par suite de l’omission volontaire, de l’imprudence et de plusieurs autres actes (qui sont des déclarations faites en trop) que l’on a commis intentionnellement ou en sachant qu’il en résulterait une perte, le CP a subi une perte et des dommages et a engagé des frais qui sont évalués à plus de 5 000 000 $. Ce paragraphe semblerait se rapporter au paragraphe 10 et, partant, dans la mesure du moins où le paragraphe 10 peut subsister, il s’agit d’une plaidoirie appropriée. Ce paragraphe sera maintenu.
[28] Au paragraphe 14, le CP affirme que, cela étant, les demandeurs et la défenderesse Rivtow ne peuvent pas limiter leur responsabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada ou de la Convention de 1976. Comme je l’ai signalé, la capacité de Rivtow de limiter sa responsabilité n’est pas pertinente en l’espèce. Le paragraphe 14 sera modifié de façon qu’il n’y soit pas fait mention de Rivtow.
[29] Au paragraphe 15, le CP conteste l’idée que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l’arrêt Le Rhône, précité, à savoir que la jauge pertinente aux fins de la limitation est celle du remorqueur seulement plutôt que la jauge totale du remorqueur et du bâtiment remorqué. L’arrêt Le Rhône a entraîné la disparition du principe de la flottille au Canada et a ainsi aligné le droit canadien et le droit anglais.
[30] La Cour suprême du Canada est arrivée à sa décision en se fondant sur le jugement Bramley Moore, The, [1964] P. 200 (C.A.), dans lequel lord Denning, M.R., a exprimé l’avis selon lequel, lorsque les personnes qui étaient à bord du remorqueur ont été négligentes et que celles qui étaient à bord du bâtiment remorqué ne l’ont pas été (ou lorsque comme dans ce cas-ci le bâtiment remorqué est un chaland non propulsé) le dommage est attribuable à la mauvaise navigation du remorqueur plutôt que du bâtiment remorqué. Lord Denning a ajouté qu’il concluait que rien ne permettait logiquement d’apprécier la responsabilité compte tenu de la jauge totale du remorqueur et du bâtiment remorqué, même si les deux bâtiments appartenaient au même propriétaire. Cette approche a été suivie par M. le juge Kerr dans la décision Sir Joseph Rawlinson, The, [1972] 2 Lloyd’s Rep. 437 (Adm. Ct.). Cette décision ainsi que les autres affaires dont le juge Iacobucci a parlé dans l’arrêt Le Rhône ont servi de fondement aux conclusions finales que le juge a énoncées, à savoir que dans la jurisprudence portant sur la question de savoir de quelle jauge il convenait de tenir compte aux fins de la limitation dans le contexte du remorquage, il n’a jamais été tenu compte de la jauge de tous les bâtiments de la flottille lorsqu’il s’est agi de déterminer la limitation de responsabilité.
[31] L’arrêt Le Rhône était fondé, du moins dans une certaine mesure, sur le libellé de l’article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada qui, à ce moment-là, était comparable à la législation anglaise qui a donné lieu aux décisions The Bramley Moore et The Sir Joseph Rawlinson.
[32] Le jugement Le Rhône a été rendu compte tenu de ce qui était alors le paragraphe 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada [S.R.C. 1970, ch. S-9], selon lequel la limite de responsabilité était fonction de la jauge du navire ou des navires qui avaient causé les dommages. Comme je l’ai déjà fait remarquer, le juge Iacobucci, qui a rendu jugement au nom de la majorité, a souligné que la jurisprudence portant sur la question de la limitation de responsabilité applicable aux remorqueurs et aux bâtiments remorqués n’étaient jamais allés jusqu’à exiger que tous les navires de la flottille appartenant au propriétaire du bâtiment en cause entrent en ligne de compte aux fins du calcul de la jauge. Il fallait plutôt tenir uniquement compte de la jauge des bâtiments qui avaient causé les dommages allégués; à part le bâtiment qui était responsable de la navigation de la flottille, seuls les bâtiments appartenant au même propriétaire qui avaient matériellement causé les dommages ou qui y avaient matériellement contribué formaient l’unité à l’égard de laquelle la responsabilité était limitée : voir la page 541.
[33] L’article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada n’existe plus. Cependant, en ce qui concerne les bâtiments de moins de 300 tonneaux, comme c’est le cas du Sheena M, l’article 577 [mod. par L.C. 1998, ch. 6, art. 2] de la Loi sur la marine marchande du Canada est comparable à l’ancien article 647 de cette Loi, même s’il ne correspond pas complètement à cette disposition.
[34] L’approche adoptée par le CP, à savoir que le principe de la flottille devrait maintenant s’appliquer, est pour le moins peu convaincante. Pourtant, l’avocat du CP cite un passage de Richard Davidson et Anthony Snelson dans The Law of Towage, Lloyd’s of London Press, 1990, à l’appui de la thèse selon laquelle, en vertu de la Convention de 1976, il est moins justifié de restreindre le fonds constitué à la jauge du remorqueur seulement [à la page 87] :
[traduction] Le fait que l’on est passé d’un régime restreignant le droit de limiter la responsabilité aux dommages causés par des actes ou des omissions dans la navigation ou dans la conduite du navire à un régime dans lequel le droit de limiter pareille responsabilité existe, et ce, « quel que soit le fondement de la responsabilité » peut avoir influé sur cette question. Le principe énoncé par lord Denning dans la décision The Bramley Moore, à savoir que la limitation est un droit fondé sur l’intérêt public et non sur la justice, est indubitablement valable, mais la décision examinée ci-dessus est fondée sur la notion de négligence causale « dans la navigation ou dans la conduite » d’un navire. Maintenant que la partie qui veut limiter sa responsabilité doit uniquement démontrer que la responsabilité est « directement liée à l’exploitation du navire », il est peut-être moins justifié de restreindre le fonds à la jauge du remorqueur seulement. De fait, la Cour d’appel dans l’arrêt The Bramley Moore et le juge Kerr dans la décision The Sir Joseph Rawlinson ont dans un certain sens été contraints à adopter une approche restrictive compte tenu du dilemme résultant du fait que, si l’équipage du remorqueur conduit tant le remorqueur que le bâtiment remorqué et si la négligence causale est une négligence commise dans la navigation des deux bâtiments, il s’ensuit nécessairement qu’en ce qui concerne la navigation du bâtiment remorqué, la responsabilité serait illimitée à moins que le remorqueur et le bâtiment remorqué n’appartiennent au même propriétaire. Le libellé beaucoup plus explicite de la Convention de 1976 fait disparaître ce dilemme.
[35] Indépendamment de la question de savoir si Davidson et Snelson ont raison de soutenir que le principe de la flottille pourrait fort bien s’appliquer encore dans le cadre de la Convention de 1976, il reste que l’avocat du CP ne se mettrait pas dans une situation embarrasante en préconisant que le fonds de limitation devrait être fonction de la jauge totale, à savoir la jauge du Sheena M et du Rivtow 901. Par conséquent, l’allégation relative au fonds de limitation calculé en fonction de la jauge totale n’est pas une allégation qui doit manifestement et de toute évidence être rejetée. Le paragraphe 15 sera maintenu.
[36] Puisque personne n’a eu complètement gain de cause, les dépens suivront l’issue de la cause. Je remercie les avocats, qui ont présenté d’excellents et de solides arguments.
[1] Cette disposition de la Loi sur la marine marchande du Canada et la disposition qui la précédait, dans la Merchant Shipping Act, ont posé des problèmes aux tribunaux étant donné que, si elles étaient appliquées à la lettre, elles pouvaient avoir pour effet de retirer le pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux en matière de partage de la responsabilité. Heureusement, dans le cas d’une collision entre deux navires, cette disposition déterminative a cessé de s’appliquer par suite de la Convention de 1910 de Bruxelles sur les abordages, qui a été en partie adoptée par le Canada au moyen de la Loi des conventions maritimes, 1914, S.C. 1914, ch. 13. Toutefois, la Loi des conventions maritimes ne s’applique pas dans le cas d’une collision entre des navires. La présomption de faute que la loi crée peut encore s’appliquer dans le cas d’une collision entre un navire et un autre objet lorsque les règlements sur les abordages s’appliquent et qu’ils ne sont pas observés.