[2000] 4 C.F. 20
IMM-4491-99
Maria Eva Rivera Aguilar, Carlos Ernesto Hernandez Rivera et Reynaldo Joselito Hernandez Rivera (requérants)
c.
Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)
Répertorié : Aguilar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux— Montréal, 20 décembre 1999; Ottawa, 29 mars 2000.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Sursis légal à l’exécution d’une mesure de renvoi — Inapplicable dans le cas de personnes qui résident, séjournent aux É.-U. — Les requérants, une mère et ses deux fils, sont originaires du Salvador — Ils sont arrivés au Canada séparément, en provenance des É.-U. — Ils ont revendiqué le statut de réfugié au motif qu’ils possédaient une crainte bien-fondée de persécution — Revendication rejetée — Un agent d’immigration a alors pris une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle contre eux — Ils cherchent à obtenir un sursis à l’exécution des mesures de renvoi en application de l’art. 49(1) de la Loi sur l’immigration — Ont-ils « séjourné » aux É.-U. au sens de l’art. 49(1.1) de la Loi? — Il convient d’interpréter le terme « séjourner » — La définition la plus appropriée de ce terme est celle correspondant à son sens ordinaire, tel que défini par le dictionnaire — Le sens de « séjourner » est fondé sur la présence physique des demandeurs sur le territoire américain — La requérante peut bénéficier du sursis automatique à l’exécution de la mesure de renvoi vu qu’elle n’a que transité aux É.-U., sans y avoir séjourné — Aucune preuve n’a établi que les demandeurs n’ont pas séjourné aux É.-U. — Le sursis judiciaire ne s’applique pas dans leur cas.
Il s’agissait d’une requête, fondée sur le paragraphe 49(1) de la Loi sur l’immigration, visant à obtenir un sursis à l’exécution de mesures de renvoi prises contre les demandeurs. Ceux-ci, une mère et ses deux fils, originaires du Salvador, sont arrivés au Canada séparément, en provenance des États-Unis, aux mois de novembre et décembre 1998 et ont revendiqué le statut de réfugié au motif qu’ils possédaient une crainte bien-fondée de persécution. Comme on a conclu à la recevabilité de la revendication du statut de réfugié faite par chacun des requérants, une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été prise contre eux, mesure qui deviendrait exécutoire dans les circonstances où la section du statut de réfugié refuserait leur revendication. La section du statut ayant refusé de reconnaître aux requérants le statut de réfugié, la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle (mesure de renvoi) est devenue exécutoire contre chacun d’eux. Les requérants ont demandé à la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi. L’intimé a répondu que, suivant le paragraphe 49(1.1) de la Loi, le sursis automatique qui opère dans le cas du dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne trouve pas application dans le cas où un revendicateur a résidé ou séjourné aux États-Unis avant son arrivée au Canada. La question soulevée par la présente demande est de savoir si les requérants ont « séjourné » aux États-Unis avant de traverser la frontière canadienne pour y réclamer le statut de réfugié.
Jugement : la requête est accueillie en partie.
L’examen du terme « séjourner » est essentiel pour trancher la présente affaire. Fort peu de décisions de la Cour fédérale ont porté sur l’interprétation des termes « séjourner » et « résider » au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi. L’interprétation que la Cour doit donner à ce paragraphe découle de l’application des principes d’interprétation des lois. Le principe d’interprétation des lois le plus important est qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. La définition la plus appropriée du terme « séjourner » est celle correspondant à son sens ordinaire, tel que défini par le dictionnaire. L’intention du législateur s’exprime non pas seulement par le sens ordinaire des termes utilisés mais également par l’appréciation de ces termes dans leur contexte. Le sens de « séjourner » est fondé sur la présence physique des demandeurs sur le territoire américain et sur les circonstances se rattachant à cette présence. « Séjourner » signifie demeurer à un endroit précis pendant une certaine période de temps; or, c’est en déterminant la longueur de cette période de temps en question que l’on va parvenir à préciser de façon plus concrète la notion de « séjourner ». Dans le spectre des mouvements effectués par un revendicateur du statut de réfugié, s’il passe en territoire américain, on pourrait théoriquement établir trois stades importants, soit le fait d’être physiquement fixe dans un endroit déterminé pendant une longue période, c’est-à-dire « résider »; le fait d’être physiquement fixe dans un endroit déterminé pendant un certain moment pour ensuite quitter, c’est-à-dire « séjourner » et finalement, le fait d’être physiquement fixe, d’une façon provisoire, pendant une courte période de temps ou pour des raisons hors de son contrôle, c’est-à-dire « transiter ».
La requérante, qui n’a été présente qu’une seule journée en territoire américain, n’a que transité aux États-Unis, sans y avoir séjourné au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi. Elle peut donc ainsi bénéficier du sursis automatique prévu au paragraphe 49(1) de la Loi. Pour ce qui est des deux requérants, la situation semble plus obscure, vu qu’ils ont été deux semaines en territoire américain avant d’arriver au Canada. La preuve que les requérants ont produite était insuffisante. Ils auraient dû décrire et expliquer leurs déplacements à travers les États-Unis. Le fardeau de la preuve reposait sur eux qui étaient les seuls à pouvoir raconter les étapes de leur périple. Les requérants n’ont pas satisfait au fardeau de la preuve en ce qu’ils n’ont pas démontré l’existence d’une question sérieuse et la présence d’un préjudice irréparable. Le sursis judiciaire ne trouve pas application en l’espèce. Étant donné l’absence de preuve factuelle, la présente requête de sursis d’exécution a dû être rejetée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 9 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), 20(1)a), 28 (mod., idem, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6), 48, 49(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41), (1.1) (édicté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; El Jechi c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 25, F.T.R. 196; 8 Imm. L.R. (2d) 64 (C.F. 1re inst.).
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
Albuja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (1re inst.).
DÉCISION EXAMINÉE :
Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES :
Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 C.F. 535 (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.); RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 164 N.R. 1; Blaha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1971] C.F. 521 (1re inst.).
DOCTRINE
New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford : Clarendon Press, 1993. « sojourn ».
Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 1995, « demeurer », « passer », « rester », « transit », « transiter », « traverser ».
Petit Robert 1 : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Montréal : Les Dictionnnaires Robert-Canada S.C.C., 1989, « demeurer », « passer », « rester », « séjour », « séjourner », « transit », « transiter », « traverser ».
REQUÊTE, fondée sur le paragraphe 49(1) de la Loi sur l’immigration, visant à obtenir un sursis à l’exécution de mesures de renvoi prises contre les requérants. Requête accueillie en partie.
ONT COMPARU :
Jorge Colasurdo pour les requérants.
François Joyal pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jorge Colasurdo, Montréal, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Voici les motifs de l’ordonnance rendus en français par
Le juge Lemieux :
INTRODUCTION
[1] La question centrale soulevée par cette requête est à savoir si les requérants ont « séjourné » aux États-Unis avant de traverser la frontière canadienne pour y réclamer le statut de réfugié. Si je devais en arriver à la conclusion que ces derniers ont effectivement « séjourné » aux États-Unis, les requérants ne pourront alors bénéficier du sursis automatique à une mesure de renvoi prévue au paragraphe 49(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 41] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) et ce, en vertu de l’exclusion prévue au paragraphe 49(1.1) [édicté, idem] de la Loi.
[2] Les requérants, une mère et ses deux fils, originaires du Salvador, sont arrivés au Canada séparément, en provenance des États-Unis, aux mois de novembre et décembre 1998 et ont revendiqué le statut de réfugié au motif qu’ils possèdent une crainte bien-fondée de persécution s’ils devaient retourner dans leur pays.
[3] À la frontière, un agent d’immigration a fait, pour chacun des requérants, un rapport à un agent principal en vertu de l’alinéa 20(1)a) de la Loi puisqu’aucun d’entre-eux ne possédait de visa requis par l’article 9 [mod., idem, art. 4]. L’agent principal, concluant à la recevabilité de la revendication du statut de réfugié faite par chacun des requérants, prit alors contre eux une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui deviendra exécutoire dans les circonstances où la section du statut de réfugié refuserait leur revendication au statut et ce, tel que le prévoit l’article 28 [mod., idem, art. 17; 1995, ch. 15, art. 6] de la Loi. La mesure d’interdiction conditionnelle contre Mme Aguilar est en date du 28 décembre 1998 et celle contre chacun de ses deux fils date du 30 novembre 1998.
[4] Le 6 août 1999, la section du statut de réfugié refusa de reconnaître aux requérants le statut de réfugié. Ainsi, tel que le prévoit le paragraphe 28(2) de la Loi, la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle devint alors exécutoire contre chacun des requérants (mesure de renvoi).
[5] Suite à cette décision, les requérants ont déposé devant cette Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Toutefois, les requérants reçurent une lettre en date du 24 novembre 1999 exigeant de ces derniers qu’ils quittent le Canada, en direction des États-Unis, au plus tard le 21 décembre 1999. Les requérants demandent à cette Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.
[6] À l’audition de cette requête, j’ai émis un sursis intérimaire jusqu’à ce que la décision de cette Cour soit rendue.
FAITS
[7] La requérante, Maria Eva Rivera Aguilar, obtint un visa de touriste pour les États-Unis le ou vers le 1er octobre 1998. Suite à l’obtention de ce visa, la requérante quitta le Salvador, par avion, le 26 décembre 1998 pour une brève escale aux États-Unis et arriva au Canada le 28 décembre 1998, date où elle revendiqua le statut de réfugié au Canada.
[8] Pour ce qui est de ses fils, les autres requérants, ces derniers ont quitté le Salvador le 1er novembre 1998, franchi la frontière mexicaine le 17 novembre 1998, traversé les États-Unis sans aucun statut et sont arrivés au Canada par autobus, le 30 novembre 1998, date à laquelle ils ont revendiqué le statut de réfugié au Canada.
[9] Essentiellement, le motif ayant justifié l’exécution de la mesure de renvoi de séjour réside dans le fait que suivant le paragraphe 49(1.1) de la Loi, le sursis automatique qui opère dans le cas du dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (incluant toutes les étapes subséquentes y compris les appels prévus selon la Loi) ne trouve pas application dans le cas où un revendicateur a résidé ou séjourné aux États-Unis avant son arrivée au Canada. Or, l’intimé prétend que les requérants ont séjourné aux États-Unis avant de revendiquer le statut de réfugié au Canada.
DISPOSITION APPLICABLE
[10] L’article 49 de la Loi se lit comme suit :
49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi :
a) à la demande de l’intéressé—s’il a un droit d’appel devant la section d’appel—jusqu’à l’expiration du délai de présentation de l’appel;
b) en cas d’appel, jusqu’à ce que la section d’appel ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel;
c) sous réserve des alinéas d) et f), dans le cas d’une personne qui s’est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l’appel a été rejeté par la section d’appel :
(i) si l’intéressé présente une demande d’autorisation relative à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d’immigration son intention de le faire, jusqu’au prononcé du jugement sur la demande d’autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l’expiration du délai normal de demande d’autorisation, selon le cas,
(ii) si l’intéressé interjette un appel à la Cour d’appel fédérale du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans le cas où celle-ci a certifié conformément au paragraphe 83(1) que l’affaire soulève une question grave de portée générale et a énoncé celle-ci, ou notifie par écrit à un agent d’immigration son intention de le faire, jusqu’au prononcé du jugement sur l’appel ou l’expiration du délai normal d’appel, selon le cas,
(iii) si l’intéressé dépose une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada du jugement de la Cour d’appel fédérale sur l’appel visé au sous-alinéa (ii), ou notifie par écrit à un agent d’immigration son intention de le faire, jusqu’au jugement de la Cour suprême sur la demande d’autorisation ou l’appel ou l’expiration du délai normal de demande d’autorisation ou d’appel, selon le cas;
d) dans le cas d’une personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention ou dont l’appel a été rejeté par la section d’appel et qui, selon la décision de l’arbitre, est visée à l’un des alinéas 19(1)c), c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l), 19(2)a), a.1) ou b), 27(1)a), a.1), a.2), a.3), d), g) ou h) ou 27(2)d), pendant sept jours à compter du moment où la mesure de renvoi a été prise ou est devenue exécutoire, selon le dernier de ces moments, à moins que l’intéressé ne consente à l’exécution avant l’expiration de cette période;
e) en cas d’irrecevabilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de l’intéressé, pendant sept jours à compter du moment où la mesure de renvoi a été prise ou est devenue exécutoire, selon le dernier de ces moments, à moins que l’intéressé ne consente à l’exécution avant l’expiration de cette période;
f) dans le cas où la section du statut a décidé conformément au paragraphe 69.1(9.1) que la revendication n’a pas un minimum de fondement, pendant sept jours à compter du moment où la mesure est devenue exécutoire, à moins que l’intéressé ne consente à l’exécution avant l’expiration de cette période.
(1.1) Le sursis d’exécution ne s’applique pas dans les cas suivants :
a) l’intéressé fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à SaintPierre-et-Miquelon;
b) la revendication a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 46.01(1)b) et l’intéressé doit être renvoyé dans un pays avec lequel le ministre a conclu un accord en vertu de l’article 108.1 en vue du partage de la responsabilité de l’examen des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.
(2) [Abrogé, 1999, ch. 31, art. 133] [C’est moi qui souligne.]
LES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les requérants
[11] Les requérants prétendent que l’agent d’immigration a excédé ses pouvoirs prévus par la Loi en exécutant la mesure de renvoi. En effet, il est soumis que les requérants n’ont jamais eu l’intention de séjourner aux États-Unis et que leur seul objectif était de traverser le territoire américain afin de revendiquer le statut de réfugié au Canada. En outre, les requérants soumettent que leur absence de statut aux États-Unis démontre la véracité dudit objectif susmentionné.
[12] Les requérants rappellent également à cette Cour qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est présentement pendante devant elle et qu’aucune décision n’a été rendue à ce jour. Compte tenu du fait qu’il n’est pas question ici d’un cas où il y aurait une absence minimale de fondement entraînant ainsi l’application d’une autre exception au sursis automatique, prévue à l’alinéa 49(1)f) de la Loi, les requérants soumettent qu’ils subiraient un préjudice irréparable s’ils devaient quitter le Canada avant que ne soit entendue leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. En effet, il est soumis qu’une telle décision contreviendrait à leurs droits d’avoir accès au contrôle judiciaire et que les autorités américaines pourraient exiger leur déportation vers le Salvador.
L’intimé
[13] Il est soumis que les requérants ont bel et bien séjourné aux États-Unis avant de traverser la frontière canadienne et ce, selon le sens ordinaire du terme « séjourner » ou « sojourn » en langue anglaise. En effet, l’intimé soutient que tous et chacun des requérants sont demeurés au moins à un endroit lors de leur passage aux États-Unis, bien que cet arrêt n’ait été que temporaire.
[14] Au surplus, l’intimé soumet que l’intention des requérants dans le cadre de l’application de ce paragraphe n’a aucune pertinence. Somme toute, l’intimé soumet que les requérants ne rencontrent pas les conditions afin de jouir du sursis automatique prévu au sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi.
[15] L’intimé soutient que les requérants n’ont pas démontré avoir satisfait aux critères jurisprudentiels élaborés par la Cour d’appel fédérale dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 C.F. 535 Ainsi, il a été plaidé qu’aucune question sérieuse n’a été portée à l’attention de la Cour, que les requérants n’ont pas démontré l’existence d’un préjudice irréparable s’ils devaient être renvoyés aux États-Unis et que la balance des inconvénients joue en faveur de l’intimé puisque ce dernier, en vertu de l’article 48 de la Loi, se doit d’exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent.
[16] De plus, dans le présent dossier, il appert qu’aucune demande d’autorisation n’a été accordée et qu’en ces circonstances, l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], autorisant cette Cour à prendre des mesures provisoires, ne peut trouver application.
LA QUESTION EN LITIGE
[17] Après analyse du dossier, il appert que le présent litige se résume à une seule question, à savoir :
L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur révisable lors de l’application du paragraphe 49(1.1) de la Loi sur l’immigration?
[18] Néanmoins, dans l’hypothèse où cette question devait se répondre par la négative, cette Cour devra alors déterminer s’il y a lieu d’accorder un sursis judiciaire et ce, tel que ce dernier fut établi par la Cour fédérale d’appel dans l’arrêt Toth, précité et réitéré dans l’arrêt RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 de la Cour suprême du Canada.
[19] Tel que noté, la réponse à la question en litige exige une interprétation du mot « séjourner » au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi. Par ailleurs, l’intimé reconnaît que les requérants n’ont pas résidé aux États-Unis.
ANALYSE
Interprétation du paragraphe 49(1.1) de la Loi
[20] Fort peu de décisions de cette Cour ont porté sur l’interprétation des termes « séjourner » et « résider » au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi. Toutefois, j’ai eu récemment l’occasion de m’attarder à l’application de l’exception contenue au paragraphe 49(1.1) de la Loi dans l’affaire Albuja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2. C.F. 592 (1re inst.).
[21] Tel que je l’ai mentionné dans Albuja, précité, l’interprétation que cette Cour doit donner à ce paragraphe découle de l’application des principes d’interprétation des lois tels que ces derniers ont été récemment réitérés par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 par l’honorable juge Iacobucci aux pages 40 et 41 :
Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes »); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.
Je m’appuie également sur l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables ».
[22] La présente cause diffère de l’affaire Albuja, précité; dans l’affaire Albuja, il n’était pas nécessaire d’approfondir le sens des termes « séjourner » et « résider ». En l’espèce, l’élaboration du terme séjourner est essentielle pour résoudre ce débat. L’objectif est toujours le même—la recherche de l’intention du législateur.
i) Sens ordinaire de « séjourner »
[23] Un seul jugement de la Cour fédérale, division de première instance, a interprété le sens du terme « séjourner » selon la Loi. Dans El Jechi c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 25 F.T.R. 196, mon collègue le juge Teitelbaum détermina [à la page 198] :
Si aucune autre façon d’interpréter un terme dans une loi n’est prévue, je suis convaincu qu’il faut donner à ce terme son sens habituel à condition que la définition soit conforme au but visé par l’article dans lequel ce terme figure.
[…]
Les requérants ont été admis aux États-Unis avec le droit d’y « séjourner » jusqu’à concurrence de six mois. Cela ne signifie pas qu’en restant aux États-Unis une seule nuit, ils y « séjournaient » vraiment.
À mon avis, la meilleure définition du terme séjourner se trouve dans le dictionnaire Black’s Law Dictionary, (5e éd.) :
[traduction] «Séjourner. Ce terme signifie plus que le fait de « voyager », il s’applique à une résidence temporaire, par opposition à une résidence permanente.»
[…]
Le fait de séjourner quelque part signifie bien plus que passer par un territoire. Les requérants « passaient par » les États-Unis afin d’atteindre la frontière canadienne. [Mes soulignés.]
[24] Je conviens avec le juge Teitelbaum que la définition la plus appropriée du terme « séjourner » est celle correspondant à son sens ordinaire, tel que défini par le dictionnaire.
[25] Je note que le Petit Robert 1 : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française définit les termes « séjour » et « séjourner » de la façon suivante :
Séjour : 1 Le fait de séjourner, de demeurer un certain temps en un lieu
Séjourner : 1 Rester assez longtemps dans un lieu pour y avoir sa demeure sans toutefois y être fixé […] 2 Rester longtemps à la même place. [Mes soulignés.]
[26] Quant au dictionnaire de langue anglaise, New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, il définit « sojourn » comme suit :
[traduction]
1- Séjour au bon endroit
2- Séjourner; résider pendant un certain temps. [Mes soulignés.]
ii) Caractère objectif de la définition de « séjourner » au sens de la Loi
[27] Les requérants m’invitent à ajouter à la définition de « séjourner » une dimension subjective nécessitant que cette Cour apprécie l’intention qu’ils avaient lors de leur traversée des États-Unis. Ils plaident également leur manque de statut aux États-Unis.
[28] L’intention du législateur s’exprime non pas seulement par le sens ordinaire des termes utilisés mais également par l’appréciation de ces termes dans leur contexte. Le Parlement lors de la rédaction du paragraphe 49(1.1), a utilisé les termes « résider » et « séjourner » afin de définir l’exclusion au sursis automatique. À mon avis, la cohérence interne de ce paragraphe exige que l’on applique à ces termes des dimensions semblables.
[29] Dans l’affaire Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge Thurlow établit les principes en matière de la détermination de la résidence en matière de citoyenneté, en se référant à la décision du juge Pratte dans Blaha v. Minister of Citizenship & Immigration, [1971] C.F. 521 (1re inst.), en y apportant toutefois certaines nuances. Je constate que le sens de « résider » s’observe surtout en fonction de la présence physique. Ainsi, je conclus que la qualité de « séjourner » doit se déterminer de la même manière : d’après la présence physique des requérants sur le territoire américain et selon les circonstances se rattachant à cette présence.
[30] Cette façon de voir exclut l’intention des requérants lorsqu’ils étaient présents aux États-Unis et leur présence illégale dans ce pays comme facteurs à être considérés afin de déterminer s’ils ont séjourné là-bas.
(iii) Les critères comportant à la fois une dimension de stabilité et de mouvement
[31] Néanmoins, je me dois de pousser davantage l’analyse puisque la notion de « séjourner » comporte un élément de déplacement, de mobilité, entrecoupé de périodes de stabilité par opposition à la notion de « résider » qui fait référence à un élément de stabilité. En effet, tel que je l’ai déterminé auparavant, « séjourner » signifie demeurer à un endroit précis pour une certaine période de temps; or, c’est en déterminant la longueur de cette période de temps en question que l’on va parvenir à préciser de façon plus concrète la notion de « séjourner ».
[32] Pour ce faire, je vais analyser la définition de termes se rapprochant de la notion de « séjourner » mais se distinguant particulièrement par la longueur de la stabilité, formant ainsi un spectre des mouvements probablement effectués par un revendicateur au statut de réfugié lors de son passage par les États-Unis qui nous permettra de déterminer son état au cas par cas. Les termes les plus pertinents sont les suivants : demeurer, rester, transiter, traverser et passer.
[33] Le Petit Robert 1 défini ces différents termes de la façon suivante :
Demeurer […] 1 […] S’arrêter, rester en quelque endroit.
Rester […] 1 Continuer d’être dans un lieu.
Transiter […] 1 Faire passer en transit.
2 Passer, voyager en transit.
Transit […] 1 […] Situation de voyageurs à une escale […], lorsqu’ils ne franchissent pas les contrôles de police.
Traverser […] 1 Passer, pénétrer de part en part […] 2 Se frayer un passage à travers […] […] Parcourir (un espace) d’une extrémité, d’un bord à l’autre. (V. Franchir, parcourir.
Passer […] I. […] Se déplacer d’un mouvement continu (par rapport à un lieu fixe, à un observateur […]
II. […] Traverser (un lieu, un obstacle). (V. Franchir, traverser.
[34] Le Petit Larousse illustré les définit comme suit :
Demeurer […] 1. Habiter, avoir son domicile […] 2. Rester un certain moment à l’endroit où l’on est.
Rester […] 2. Continuer à séjourner dans un lieu ou auprès de quelqu’un […] Habiter, résider quelque part […] 4. Se maintenir, continuer à être dans la même position, le même état.
Transiter […] Être en transit dans un lieu.
Transit […] 2. Situation d’un voyageur qui, lors d’une escale aérienne, demeure dans l’enceinte de l’aéroport.
Traverser […] 1. Passer d’un côté à l’autre […] 2. Pénétrer de part en part.
Passer […] 1. Aller, se déplacer en un mouvement continu […] 2. Faire aller d’un lieu dans un autre; faire traverser; faire aller.
[35] En version anglaise, ces termes se rapprochent de : « to stay, to remain, to cross, to go through, to pass, to transit ».
[36] En fait, dans le spectre des mouvements effectués par un revendicateur au statut de réfugié, s’il passe en territoire américain, on pourrait théoriquement établir trois stades importants, soit le fait d’être physiquement fixe dans un endroit déterminé pour une longue période—résider—il y a peu de mouvement physique; le fait d’être physiquement fixe dans un endroit déterminé pour un certain moment pour ensuite quitter—séjourner—et finalement, le fait d’être physiquement fixe, d’une façon provisoire, pour une courte période de temps ou pour des raisons hors de son contrôle—transiter.
[37] Comme on peut le constater, ces termes (en langue française), presque synonymes, peuvent toutefois être séparés en deux groupes et être reliés à deux des trois états physiques décrits ci-haut et formant le spectre des mouvements : les termes « demeurer » et « rester » sont nettement reliés à la situation de « séjourner » et les termes « traverser » et « passer » sont clairement reliés à la situation de transiter entre deux endroits.
Application au cas en l’espèce
[38] Tel que je l’ai mentionné précédemment la requérante, Maria Eva Rivera Aguilar, n’était présente qu’une seule journée en territoire américain. Ainsi, compte tenu de ses mouvements physiques effectués aux États-Unis, il semble tout à fait approprié de conclure que cette dernière n’a que transité, ou fait escale, sans y avoir séjourné au sens du paragraphe 49(1.1) de la Loi. Je conclus donc que cette dernière peut ainsi bénéficier du sursis automatique prévu au paragraphe 49(1) de la Loi. De fait, les circonstances entourant le passage de Mme Aguilar sont semblables à celles relatées dans le jugement El Jechi, précité, où le refoulement vers les États-Unis n’a pas été permis.
[39] Toutefois, pour ce qui est des deux fils de la requérante, la situation semble plus obscure. Ayant été deux semaines en territoire américain avant d’arriver au Canada, il y a possibilité que ces derniers aient séjourné au sens de la Loi.
[40] Le procureur de l’intimé m’invite à inférer de la période de temps qui fut nécessaire aux requérants pour se rendre au Canada, que ces derniers n’ont pu que « séjourner » au sens de la Loi et ce, sans toutefois apporter la preuve devant moi que les requérants sont bel et bien demeurés ou restés temporairement aux États-Unis.
[41] Je ne peux toutefois souscrire à cette inférence sur la simple foi de l’écoulement d’une certaine période de temps avant l’arrivée des requérants au Canada. En fait, il me serait également loisible d’inférer des affidavits des requérants que ces derniers n’ont pu avoir accès à un moyen de locomotion efficace et rapide pour rejoindre le Canada. Si je devais en arriver à une telle conclusion, je devrais alors reconnaître que ces derniers n’ont que transité par les États-Unis.
[42] En les circonstances, je peux difficilement adopter l’une ou l’autre des ces prétentions. En effet, il existe une insuffisance de preuve dans un cas comme dans l’autre. La preuve qui aurait dû être produite par les requérants devait détailler leur passage, jour après jour, aux États-Unis : par où sont-ils passés et pourquoi dans un endroit plutôt que dans un autre. En autres mots, les requérants auraient dû décrire et expliquer leurs déplacements à travers les États-Unis.
[43] Toutefois, je n’ai d’autre choix que de trancher le litige qui m’est soumis. En l’instance, je me dois également d’interpréter la Loi selon les principes susmentionnés afin de déterminer sur qui repose le fardeau d’établir les faits pertinents.
[44] Considérant la situation prévalant en matière d’immigration au Canada ainsi que les principes élémentaires en matière de preuve, il est absolument logique de conclure que le fardeau des faits repose sur les requérants qui sont les seuls à pouvoir raconter les étapes de leur périple. Une fois lesdits faits établis par affidavit, il appartiendra alors à l’intimé d’interroger les requérants ou de faire une contre-preuve.
[45] Le jour de l’audition du présent dossier, les requérants ont tenté de déposer un affidavit circonstancié pour expliquer leur temps aux États-Unis, ce à quoi le procureur de l’intimé s’est opposé pour des motifs tout à fait valables. J’ai donc refusé le dépôt de cet affidavit tardif.
[46] Je conclus donc qu’il appartenait aux requérants de mettre en preuve les faits pertinents afin de convaincre la Cour qu’ils n’ont effectivement pas séjourné aux États-Unis. Ayant failli à cette exigence de la Loi, je me vois donc dans l’obligation de rejeter la requête des deux fils de Mme Aguilar.
Application du sursis judiciaire
[47] Les requérants ont soulevé dans leur dossier de requête l’application du sursis judiciaire à leur situation dans la mesure où cette Cour en arriverait à la conclusion que le sursis automatique ne s’applique pas ce qui est le cas pour les fils de Mme Aguilar. Cet argument n’ayant été plaidé que très brièvement à l’audition, je n’en ferai qu’une brève analyse.
[48] Je constate que les requérants n’ont pas rencontré le fardeau de la preuve en ce qu’ils n’ont pas démontré l’existence d’une question sérieuse et la présence d’un préjudice irréparable. L’affidavit à l’appui de la présente requête n’établit aucunement les faits nécessaires. Le sursis judiciaire ne trouve donc pas application dans le cadre du présent dossier.
[49] Étant donné l’absence de preuve factuelle, je rejette donc la présente requête dans le cas des requérants Carlos Ernesto Rivera Aguilar et Reynaldo Joselito Hernandez Rivera sans préjudice du dépôt d’une nouvelle requête en sursis avec un affidavit précis et détaillé sur les circonstances de leur présence aux États-Unis avant de venir au Canada.
CONCLUSION
[50] La présente requête est accueillie en partie.
[51] J’autorise la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi rendue contre la requérante Maria Eva Rivera Aguilar en application du sursis automatique tel que prévu au sous-alinéa 49(1)c)(i) de la Loi.
[52] Je rejette la demande en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi rendue contre les requérants Carlos Ernesto Hernandez Rivera et Reynaldo Joselito Hernandez Rivera par l’agent d’immigration Michel Blouin en date du 24 novembre 1998.
[53] J’ordonne la levée du sursis intérimaire émis à Montréal le 21 décembre 1998.