[2000] 4 C.F. 407
A-587-99
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)
c.
Nima Haghighi (intimé)
Répertorié : Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)
Cour d’appel, juges Stone, Evans et Malone J.C.A.— Toronto, 1er mai; Ottawa, 12 juin 2000.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Raisons d’ordre humanitaire — Depuis la décision de la C.S.C. dans Baker, le contenu de l’obligation d’équité procédurale incombant aux agents d’immigration se prononçant sur les demandes présentées au Canada et fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est plus minimal et exige que le demandeur soit informé de l’ensemble du contenu du rapport d’évaluation des risques de l’ARRR et qu’il lui soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par lui ou qui lui sont raisonnablement accessibles.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans les cas où il est statué sur une demande de permission de rester au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’art. 114(2) de la Loi sur l’immigration n’est plus minimal à la lumière de la décision rendue par la C.S.C. dans Baker.
Le demandeur, un citoyen iranien, a fait une revendication du statut de réfugié lors de son arrivée au Canada en septembre 1993, mais sa revendication a été rejetée. Sa demande a ensuite été évaluée dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, et elle a été rejetée en septembre 1997. Il a alors présenté une demande aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration pour que sa demande de permission de rester au Canada en tant que résident permanent soit traitée au Canada. Il a dit à l’agente d’immigration (l’AI) qu’il craignait d’être persécuté s’il retournait en Iran car il s’était converti de l’islam au christianisme, et il a déposé à l’appui des documents portant sur la situation en Iran. L’AI a sollicité une évaluation des risques de la part d’un agent de révision des revendications refusées (l’ARRR). Le rapport de l’ARRR, fondé en grande partie sur un rapport de 1997 du Secrétariat d’État américain sur la situation en matière de droits de la personne en Iran (qui ne faisait pas partie de la documentation du demandeur mais auquel il avait accès), était défavorable. Ce rapport a conclu que si le demandeur retournait en Iran, il ne ferait pas face à un risque grave de subir la torture ou d’autres formes de persécution en raison de sa conversion religieuse. Le rapport de l’ARRR ne mentionnait pas le document d’information du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur l’Iran pour 1995, qui faisait référence à l’existence continue de menaces et de torture de convertis connus au christianisme. En juillet 1998, l’AI a rejeté la demande sollicitant la permission de rester au Canada, disant qu’elle partageait l’opinion de l’ARRR de révision que le demandeur ne serait pas en danger s’il était renvoyé en Iran.
Il s’agissait d’un appel interjeté contre la décision du juge de la Section de première instance qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire et annulé la décision de l’AI. La question était la suivante : Lorsqu’une revendication fondée sur des raisons d’ordre humanitaire repose, au moins en partie, sur une crainte de persécution dans le pays d’origine du demandeur, l’AI chargé de rendre la décision discrétionnaire est-il tenu de révéler au demandeur l’existence d’un rapport d’évaluation des risques défavorable reçu d’un autre agent et de donner au demandeur la possibilité d’y répondre avant que la décision finale ne soit rendue?
Arrêt : l’appel est rejeté.
La question à trancher dans le présent appel était de savoir si le juge de la Section de première instance a eu raison de conclure que l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, avait modifié le droit applicable à la présente affaire. Il a conclu que l’obligation d’équité comportait maintenant la communication d’un rapport d’évaluation des risques fait par un ARRR, de sorte que le demandeur puisse tenter de corriger des erreurs ou de relever des omissions du rapport même lorsque le rapport reposait sur des documents qu’il avait présentés dans le cadre de sa demande faite pour des raisons d’ordre humanitaire ainsi que sur d’autres renseignements publics qui lui étaient raisonnablement accessibles.
Avant la décision Baker, le contenu de l’obligation d’équité incombant aux agents se prononçant sur les demandes présentées au Canada et fondées sur des raisons d’ordre humanitaire était considéré comme minimal et n’exigeait pas que le décideur communique les rapports d’évaluation des risques à moins que ceux-ci ne soient fondés sur des documents non raisonnablement accessibles au demandeur.
Les considérations contextuelles pertinentes quant à la question de savoir si l’AI était tenue, en vertu de l’obligation d’équité, de communiquer le rapport de l’ARRR à l’intimé à des fins de commentaires sont notamment les suivantes : la mesure dans laquelle le droit procédural invoqué est susceptible d’éviter le risque d’erreur dans la prise de la décision ou dans la résolution de la question particulière en litige; la gravité des effets d’une décision erronée sur ceux qu’elle touche; les retards dans le processus de prise de décision et l’utilisation de ressources supplémentaires que peut comporter l’ajout d’un autre niveau procédural; les caractéristiques du décideur; la place de la décision dans l’ensemble du régime législatif; la pratique procédurale de l’organisme.
Même si on n’a produit aucune décision, rendue après l’arrêt Baker, dans laquelle l’obligation de l’AI de communiquer le rapport de l’ARRR aurait été examinée, l’arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.), était utile en raison notamment de ses similitudes intéressantes.
L’obligation d’équité exige maintenant que ceux qui présentent de l’intérieur du pays une demande de droit d’établissement fondée sur des raisons d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) soient informés de l’ensemble du contenu du rapport d’évaluation des risques de l’ARRR et qu’il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles. Compte tenu du volume, des nuances et des incompatibilités des renseignements disponibles à partir de différentes sources sur la situation dans le pays, donner au demandeur la possibilité de faire des observations sur les erreurs, les omissions et les autres lacunes que pouvait contenir l’analyse de l’ARRR pourrait bien permettre d’éviter des décisions erronées de la part des AI dans les dossiers où des raisons d’ordre humanitaire sont invoquées, d’autant plus que ces rapports sont susceptibles de jouer un rôle vital dans la décision finale.
Vu les conséquences potentiellement graves pour une personne qui est renvoyée dans un pays où, contrairement au rapport de l’ARRR, il y a un risque sérieux de torture, la correction accrue de la décision qui est susceptible de résulter du fait d’accorder à l’intimé le droit procédural recherché en l’espèce justifie tout retard administratif que cela pourrait occasionner.
Il est vrai que les tribunaux n’exigent pas toujours que les organismes administratifs qui tiennent des audiences relativement formelles communiquent les rapports faits par le personnel, surtout lorsque ces rapports ne contiennent aucun nouveau renseignement, mais résument simplement la preuve et les arguments des parties ou définissent les questions à trancher. Toutefois, une audition complète fournit aux participants une plus grande possibilité d’influencer l’issue que ce qui est disponible aux demandeurs en vertu du paragraphe 114(2). Et dans d’autres contextes de prise de décisions, il se peut que les résumés faits par le personnel n’aient pas l’importance vitale qu’a le rapport de l’ARRR dans les affaires où le paragraphe 114(2) est invoqué. En outre, en cas d’erreur, peu de décisions administratives sont aussi susceptibles d’infliger un préjudice aussi catastrophique aux personnes que la décision administrative en cause dans la présente affaire.
Avant de rendre sa décision, l’AI a contrevenu à l’obligation d’équité en n’informant pas l’intimé du contenu de l’évaluation des risques de l’ARRR, avec laquelle elle était d’accord, et en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable de tenter de relever des erreurs ou des omissions dans cette évaluation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 114(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.).
DÉCISION ÉCARTÉE :
Cojocar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 162 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.).
DÉCISION NON SUIVIE :
Shah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82; 170 N.R. 238 (C.A.); conf. (1992), 55 F.T.R. 87 (C.F. 1re inst.).
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (1998), 161 D.L.R. (4th) 488; 226 N.R. 134 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE :
Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (1986), 18 Admin. L.R. 243; 66 N.R. 8 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
Toshiba Corp. c. Tribunal antidumping; Sharp Corp. c. Tribunal antidumping; Sanyo Corp. c. Tribunal antidumping (1984), 8 Admin. L.R. 173; 6 C.E.R. 258 (C.A.F.); Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1998] 2 C.F. 666 (1998), 156 D.L.R. (4th) 670; 222 N.R. 375 (C.A.).
APPEL d’une décision de la Section de première instance (Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 F.T.R. 123) accueillant une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration qu’il n’y avait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour permettre au demandeur de présenter de l’intérieur du pays une demande de droit d’établissement en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Niveditha Logsetty et James Brender pour l’appelant.
Barbara L. Jackman pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.
Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1] Le présent appel soulève une question importante au sujet du contenu de l’obligation d’équité procédurale lorsqu’il est statué sur des demandes de permission de rester au Canada fondées sur des raisons d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
[2] La question est la suivante : Lorsqu’une revendication fondée sur des raisons d’ordre humanitaire repose, au moins en partie, sur une crainte de persécution dans le pays d’origine du demandeur, l’agent d’immigration chargé de rendre la décision discrétionnaire est-il tenu de révéler au demandeur l’existence d’un rapport d’évaluation des risques défavorable reçu d’un autre agent et de donner au demandeur la possibilité d’y répondre avant que la décision finale ne soit rendue?
[3] Avant la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le contenu de l’obligation d’équité incombant aux agents se prononçant sur les demandes présentées au Canada et fondées sur des raisons d’ordre humanitaire était considéré comme minimal et n’exigeait pas que le décideur communique les rapports d’évaluation des risques à moins que ceux-ci ne soient fondés sur des documents non raisonnablement accessibles au demandeur.
[4] La question à trancher dans le présent appel est de savoir si le juge Gibson, de la Section de première instance [(1999), 174 F.T.R. 123], a eu raison de conclure que l’arrêt Baker, précité, avait modifié le droit applicable à la présente affaire. Il a conclu que l’obligation d’équité comportait maintenant la communication d’un rapport d’évaluation des risques fait par un agent de révision des revendications refusées (l’agent de révision), de sorte que le demandeur puisse tenter de corriger des erreurs ou de relever des omissions du rapport même lorsque le rapport reposait sur des documents qu’il avait présentés dans le cadre de sa demande faite pour des raisons d’ordre humanitaire ainsi que sur d’autres renseignements publics qui lui étaient raisonnablement accessibles.
B. LES FAITS
[5] Nima Haghighi est un citoyen iranien qui a fait une revendication du statut de réfugié lors de son arrivée au Canada en septembre 1993, alors qu’il était âgé de 17 ans. Dans une décision datée du 29 août 1995, la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication de M. Haghighi au motif du manque de crédibilité. Sa demande a ensuite été évaluée dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, et elle a été rejetée en septembre 1997.
[6] Le mois suivant, il a présenté une demande aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration pour que sa demande de permission de rester au Canada en tant que résident permanent soit traitée au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire compte tenu de la durée de son séjour au pays et de ses succès dans ses études ici. Il a été reçu en entrevue avec une agente d’immigration en avril 1998, date à laquelle il a, pour la première fois, déclaré craindre d’être persécuté s’il retournait en Iran car il s’était converti de l’islam au christianisme. L’avocat qui le représentait à ce moment-là a repris cette prétention dans une lettre envoyée à l’agente d’immigration, et il a déposé des documents portant sur la situation en Iran qui décrivaient notamment les difficultés éprouvées par les musulmans convertis au christianisme en Iran.
[7] L’agente d’immigration qui a reçu en entrevue M. Haghighi relativement à sa demande fondée sur le paragraphe 114(2) a sollicité une évaluation des risques de la part d’un agent de révision, à qui elle a envoyé le dossier, dont les documents présentés au nom de M. Haghighi par son avocate.
[8] Le rapport de l’agent de révision était défavorable. Se fondant en grande partie sur un rapport de 1997 du Secrétariat d’État américain sur la situation en matière de droits de la personne en Iran (qui ne faisait pas partie de la documentation du demandeur), l’agent de révision a conclu que malgré les sanctions draconiennes dont les apostats faisaient théoriquement l’objet en Iran en vertu du droit islamique, les seuls convertis à risques étaient les ministres du culte évangéliques et les autres personnes faisant du prosélytisme, catégories de personnes auxquelles M. Haghighi ne prétend pas appartenir. Bien que le rapport ait également reconnu que toutes les personnes converties au christianisme étaient susceptibles de faire l’objet de discrimination dans l’emploi, l’éducation et le logement ouverts au public, l’agent de révision a conclu que si M. Haghighi retournait en Iran, il ne ferait pas face à un risque grave de subir la torture ou d’autres formes de persécution en raison de sa conversion religieuse.
[9] Le rapport de l’agent de révision ne mentionnait pas le document d’information du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur l’Iran pour 1995 que M. Haghighi avait inclus dans ses prétentions (dossier d’appel, à la page 283). Ce document contient une évaluation différente de la situation et conclut (dossier d’appel, à la page 313) que les convertis :
[traduction] […] qui pratiquent leur nouvelle religion ouvertement souffriraient de harcèlement sous diverses formes, qu’il s’agisse de la confiscation du passeport, du refus d’en délivrer un, du chantage, de la détention ou de l’agression verbale ou physique.
Ce même document mentionne également l’existence continue de [traduction] « menaces et de torture de convertis connus » au christianisme (dossier d’appel, à la page 315).
[10] Dans une lettre datée du 24 juillet 1998, l’agente d’immigration a rejeté la demande de M. Haghighi sollicitant la permission de rester au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire. Dans la partie « décision et motifs » de son rapport, l’agente a dit qu’elle partageait l’opinion de l’agent de révision que M. Haghighi ne ferait pas face à des risques s’il était renvoyé en Iran.
[11] Le demandeur a reçu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire contre le refus et, après avoir entendu la demande au fond, le juge Gibson l’a accueillie, a annulé la décision et a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit tranchée par un autre agent.
C. LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
[12] Le juge Gibson a souligné que, dans une affaire dont les faits étaient à toutes fins pratiques semblables à ceux de l’espèce, j’avais conclu dans Cojocar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 162 F.T.R. 151 (C.F. 1re inst.), que l’obligation d’équité envers un demandeur du droit d’établissement s’appuyant sur des raisons d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l’immigration n’exigeait pas la communication du rapport d’évaluation des risques de l’agent de révision.
[13] J’avais fondé en grande partie ma conclusion sur la déclaration faite dans l’arrêt Shah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82 (C.A.F.), aux pages 82 et 83, selon laquelle en raison de la nature discrétionnaire et résiduelle du pouvoir conféré par le paragraphe 114(2), la teneur de l’obligation d’équité était « minimale » et que le demandeur n’avait le droit de répondre qu’aux « éléments de preuve extrinsèques qui ne […] sont pas fournis par le requérant » et sur lesquels l’agent s’était fondé. Étant donné que le rapport de l’agent de révision ne contenait pas ni ne constituait un « élément de preuve extrinsèque » au sens de l’arrêt Shah, précité, j’ai conclu que l’obligation d’équité n’en exigeait pas la communication.
[14] Toutefois, comme le juge Gibson l’a souligné, la décision Cojocar, précitée, a été rendue avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), précité, dans lequel (à la page 843) la Cour suprême a conclu que, en grande partie en raison des répercussions profondes qu’une décision défavorable en matière de raisons d’ordre humanitaire aurait vraisemblablement sur la vie des demandeurs et de leurs enfants, la Cour fédérale avait eu tort, dans Shah, précité, de fixer le contenu de l’obligation d’équité dans ce contexte au niveau le plus bas.
[15] Par conséquent, réexaminant la portée de l’obligation d’équité à la lumière de l’arrêt Baker, précité, et citant des extraits des motifs prononcés par le juge L’Heureux-Dubé, le juge Gibson a conclu que la question de savoir si les documents étaient « extrinsèques » n’était plus le critère servant à déterminer si l’équité exigeait leur communication. La question était plutôt de savoir si [au paragraphe 15, page 128] :
[…] en omettant de divulguer un document comme la recommandation d’un agent de révision et ses motifs, et plus tard en se fondant sur celui-ci, [l’agent d’immigration] a privé la personne ou les personnes dont les intérêts étaient en jeu, […] « […] d’une occasion valable de présenter [sa] position pleinement et équitablement » ou a privé le demandeur « d’une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à [son] affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable ».
[16] Il a conclu (au paragraphe 16 [page 129]) que le demandeur avait été privé de cette possibilité parce que l’agent de révision s’était fondé davantage sur certains documents, notamment le document du Secrétariat d’État, que sur ceux qui avaient été présentés par le demandeur :
Si l’occasion lui en avait été donnée, l’avocate du demandeur aurait certainement proposé une autre interprétation des pièces dont disposait l’agent de révision et aurait vivement conseillé à l’agente d’immigration de rejeter la recommandation de l’agent de révision et de conclure en faveur du demandeur.
[17] Le juge Gibson a également examiné brièvement, et rejeté, les autres motifs de contrôle avancés au nom du demandeur. Il a donc conclu que l’agente d’immigration n’avait pas entravé de façon illicite l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne faisant qu’approuver automatiquement le rapport d’évaluation des risques de l’agent de révision, qu’elle n’avait pas adopté un critère d’évaluation des risques trop sévère et qu’elle n’avait pas omis de tenir compte des documents dont elle était saisie.
[18] Le juge Gibson a certifié la question suivante [au paragraphe 28, page 130] :
L’agent d’immigration qui examine une demande de droit d’établissement au Canada pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’art. 114(2) de la Loi sur l’immigration viole-t-il l’obligation d’équité qui est due à un demandeur, lorsqu’il se fonde sur un document préparé à sa demande, tel que les recommandations et les motifs d’un agent de révision des revendications refusées, lorsqu’un tel document n’est pas communiqué au demandeur et qu’il ne lui est pas donné l’occasion d’y répondre?
Le ministre a interjeté appel.
D. ANALYSE
La question : L’agente d’immigration a-t-elle contrevenu à l’obligation d’équité en ne communiquant pas le rapport de l’agent de révision alors que cette communication aurait permis à l’intimé d’y répondre avant que l’agente ne se prononce sur la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?
(i) le cadre analytique
[19] Mon analyse de cette question repose sur les éléments suivants. Premièrement, même si l’agent de révision s’est fondé en grande partie sur un rapport du Secrétariat d’État américain relatif à l’Iran qui ne faisait pas partie des documents présentés à l’agente d’immigration au nom de M. Haghighi par son avocate, on n’a pas prétendu que l’agent de révision aurait dû communiquer ce document à l’intimé. On peut présumer que cela était dû au fait que le rapport était accessible au public au Centre de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et qu’il était raisonnablement accessible à M. Haghighi ou à son avocate.
[20] En d’autres termes, le rapport de l’agent de révision ne contenait aucun fait, ni d’allégation de faits, qui ne relevait pas de la connaissance de M. Haghighi. Cela n’est donc pas comme la situation examinée dans l’affaire Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.), où l’agent de révision avait consulté des articles qui n’existaient pas lorsque le demandeur avait présenté sa demande d’être membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada.
[21] Deuxièmement, je partage l’avis exprimé par le juge Gibson, selon lequel la décision Cojocar, précitée, doit être réexaminée à la lumière de l’arrêt Baker, précité, parce que la Cour suprême du Canada a désapprouvé de façon non équivoque une partie importante du raisonnement sur lequel cette décision avait été fondée, à savoir que le contenu de l’obligation d’équité incombant aux décideurs visés par le paragraphe 114(2) ne s’élevait pas au-dessus du niveau minimal auquel il avait été fixé dans l’arrêt Shah, écité.
[22] Troisièmement, l’avocate du ministre a prétendu que l’arrêt Baker, précité, ne devait pas être considéré comme exigeant la communication du rapport en l’espèce puisque la décision en matière de raisons d’ordre humanitaire en cause dans l’arrêt Baker, précité, reposait également sur les notes et les motifs d’un agent autre que le décideur et que la Cour suprême n’avait pourtant pas dit qu’il était inéquitable sur le plan procédural de ne pas les communiquer avant que la décision fondée sur le paragraphe 114(2) ne soit rendue.
[23] Je ne considère pas cet argument convaincant. Les parties n’ont tout simplement pas présenté d’arguments sur la question de savoir si l’équité exigeait la communication des notes, de la recommandation et des motifs de l’agent d’entrevue avant que l’agent d’immigration ne rende sa décision quant à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par Mme Baker. En outre, étant donné l’expertise que les agents de révision ont en matière d’évaluation des risques, leurs rapports ont vraisemblablement plus d’influence auprès des agents d’immigration qui les demandent que, comme c’était le cas dans l’affaire Baker, une recommandation faite par un subalterne, l’agent principal, sur la question de savoir si la demande devrait être accordée. Pour ces deux motifs, il serait risqué de déduire du silence de la Cour suprême dans l’arrêt Baker, précité, sur la question de la communication, qu’elle confirmait ainsi implicitement la légalité de la pratique générale du Ministère de ne pas communiquer les rapports des agents de révision à des fins de commentaires de la part de ceux qui font une demande aux termes du paragraphe 114(2).
[24] Quatrièmement, même si l’examen que la Cour suprême a fait dans l’arrêt Baker, précité, relativement aux facteurs pertinents pour la détermination du degré d’équité requis l’a menée à la conclusion que celui-ci était plus que minimal, elle n’a pas non plus imposé l’ensemble des obligations liées à l’équité procédurale.
[25] La Cour suprême n’a donc pas exigé des agents d’immigration qu’ils reçoivent en entrevue tous ceux qui font de l’intérieur du Canada une demande de droit d’établissement aux termes du paragraphe 114(2) ou qu’ils donnent un avis distinct de l’existence d’une décision à venir à tout enfant qui subirait des conséquences négatives du refus et de l’expulsion du demandeur. La nature discrétionnaire de la décision en matière de raisons d’ordre humanitaire ainsi que le forum non contradictoire et institutionnel dans lequel elle est prise abaissent le niveau du contenu de l’équité procédurale en-dessous de celui qui est applicable à un tribunal indépendant se prononçant sur les droits d’individus.
[26] Cinquièmement, en plus de l’avertissement que les agents d’immigration ont plus qu’une obligation d’équité minimale lorsqu’ils se prononcent sur des demandes fondées sur le paragraphe 114(2), l’arrêt Baker, précité, a remis au cœur de l’analyse relative à l’équité procédurale la tâche de déterminer le contenu de l’obligation d’équité incombant aux agents d’immigration lorsqu’ils rendent des décisions sur des demandes d’établissement présentées de l’intérieur du Canada invoquant des raisons d’ordre humanitaire. La question est de savoir si la communication du rapport était requise pour que soit fournie à M. Haghighi une possibilité raisonnable, vu l’ensemble des circonstances, de participer de manière significative au processus de prise de décision.
[27] Ainsi, pour déterminer si la communication du rapport de l’agent de révision est requise, la Cour doit notamment examiner les facteurs énumérés par le juge L’Heureux-Dubé pour situer sur l’échelle de l’équité les obligations incombant à l’agent d’immigration dans une affaire relative au paragraphe 114(2). L’analyse de ce qui est requis pour satisfaire à l’obligation d’équité doit être contextualisée : se demander, comme l’exigeait l’arrêt Shah, précité, si le rapport peut être qualifié d’« élément de preuve extrinsèque » ne constitue plus une méthode analytique adéquate.
[28] Les considérations contextuelles pertinentes quant à la question de savoir si l’agent d’immigration était tenu, en vertu de l’obligation d’équité, de communiquer le rapport de l’agent de révision à l’intimé à des fins de commentaires sont notamment les suivantes :
a) Étant donné qu’une fonction importante de l’obligation d’équité est de minimiser le risque de décisions incorrectes ou mal fondées, l’un des éléments de l’évaluation visant à déterminer le contenu procédural de l’obligation d’équité dans une affaire donnée est la mesure dans laquelle le droit procédural invoqué est susceptible d’éviter le risque d’erreur dans la prise de la décision ou dans la résolution de la question particulière en litige. Un autre élément consiste en la gravité des effets d’une décision erronée sur ceux qu’elle touche.
b) Il faut évaluer ces considérations à la lumière des coûts vraisemblablement liés à la reconnaissance du droit procédural invoqué, comme les retards dans le processus de prise de décision et l’utilisation de ressources supplémentaires que peut comporter l’ajout d’un autre niveau procédural.
c) Les caractéristiques du décideur peuvent également fournir un indice des obligations procédurales qui peuvent être imposées de façon opportune au titre de l’équité. On peut s’attendre plus facilement à ce qu’un décideur possédant les caractéristiques d’un organisme décisionnel suive une procédure qui ressemble à celle des tribunaux. D’autre part, lorsque, comme en l’espèce, le législateur a conféré un pouvoir de décision à un agent d’un ministère, il y a lieu de formuler le contenu de l’obligation d’équité applicable en tenant compte du modèle bureaucratique de prise de décision, qui est caractérisé par l’expertise, le travail d’équipe et la division du travail.
d) La place de la décision dans l’ensemble du régime législatif est également pertinente. En l’espèce, le paragraphe 114(2) confère un important élément de pouvoir discrétionnaire permettant aux agents d’immigration de tenir compte de la situation individuelle des personnes qui ne sont pas admissibles au droit d’établissement dans d’autres catégories d’immigrants pour lesquelles des exigences plus objectives s’appliquent. Bien qu’elles fassent partie intégrante d’un régime d’immigration guidé par des règles, les décisions prises dans le contexte d’allégations de raisons d’ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et résiduelle, de sorte qu’elles ne donnent pas droit au même degré de protection procédurale que les décisions comportant la détermination des droits d’une personne.
e) Dans la mesure où la pratique de l’organisme prescrit la régularité de la procédure, il est pertinent de souligner que même si les agents d’immigration ne communiquent pas de façon habituelle les rapports d’évaluation des risques des agents de révision de manière à ce que ceux qui présentent une demande aux termes du paragraphe 114(2) puissent y répondre, cette communication a parfois lieu.
(ii) la jurisprudence
[29] Les avocats n’ont pu produire aucune décision rendue après l’arrêt Baker, précité, dans laquelle l’obligation des agents d’immigration de communiquer les rapports des agents de révision aurait été examinée. Toutefois, l’obligation d’équité imposée aux agents d’immigration n’étant maintenant plus considérée comme minimale, l’avocate de l’intimé s’est fondée principalement sur l’arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.). Dans cette affaire, on avait refusé au demandeur un visa d’admission au Canada en tant que résident permanent à titre d’immigrant indépendant dans la catégorie entrepreneur en raison d’une évaluation défavorable de son projet d’entreprise qui avait été fournie par la Small Business Operations Division du ministère provincial de l’Industrie de l’Ontario à la demande de l’agent des visas.
[30] Même si dans l’affaire Muliadi, précitée, le demandeur avait fourni des renseignements à l’agent des visas, notamment les noms et adresses des personnes participant à la nouvelle entreprise, il semble que les autorités provinciales n’aient fait aucune enquête avant de conclure que l’entreprise n’était pas viable. La Cour a conclu que le rapport aurait dû être communiqué pour donner au demandeur la possibilité de tenter de corriger des erreurs et d’attirer l’attention de l’agent des visas sur le fait qu’aucune enquête relative à l’entreprise n’avait été faite.
[31] L’arrêt Muliadi, précité, n’est pas directement pertinent parce qu’il portait sur une demande d’admission au Canada en tant qu’immigrant indépendant dans la catégorie entrepreneur, les décisions en cette matière étant prises suivant des critères plus objectifs que les décisions prises aux termes du paragraphe 114(2) et étant donc susceptibles de donner droit à une plus grande protection procédurale. En outre, l’évaluation négative relative à la viabilité de l’entreprise du demandeur était nécessairement déterminante quant à la demande de visa d’admission à titre d’entrepreneur tandis que la revendication fondée sur des raisons d’ordre humanitaire de M. Haghighi ne reposait pas entièrement sur le risque auquel il serait exposé en Iran.
[32] Par contre, le rejet d’une revendication fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qui repose sur une évaluation des risques erronée voulant que la personne ne serait pas en danger grave de persécution si elle était renvoyée du Canada risque vraisemblablement d’avoir des répercussions plus graves sur la personne que le refus d’une demande de visa d’admission à titre d’entrepreneur qui est présentée à l’extérieur du pays.
[33] De plus, les affaires sont semblables en ce que l’un des motifs pour lesquels la Cour a exigé la communication dans l’arrêt Muliadi, précité, était que si le demandeur avait eu la possibilité de faire des observations sur le rapport des fonctionnaires du gouvernement de l’Ontario, il aurait pu en souligner les lacunes, méthodologiques ou autres. En grande partie de la même façon, M. Haghighi aurait pu faire remarquer l’omission de l’agent de révision de renvoyer à la preuve contenue dans le rapport de la situation du pays du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (une source documentaire qui est généralement tenue en haute estime), selon laquelle les personnes converties de l’islam au christianisme sont susceptibles de subir des sanctions plus graves de la part des autorités en Iran que ce qu’indiquent les autres documents sur lesquels l’agent s’est fondé lorsqu’il a fait l’évaluation des risques.
[34] Enfin, je dois souligner une autre similitude. Dans l’arrêt Muliadi, précité, la Cour a conclu qu’en disant au demandeur que l’évaluation avait été faite par une autre autorité et qu’il ne pouvait rien y faire, l’agent des visas avait entravé ou délégué de façon inappropriée l’exercice du pouvoir de décision qui lui est conféré par la loi.
[35] En l’espèce, l’avocate a également soulevé l’entrave au pouvoir discrétionnaire ou la renonciation à celui-ci comme source de préoccupations parce que l’agente d’immigration avait dit dans ses motifs de rejet de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par l’intimé qu’elle [traduction] « [est] d’accord avec la décision de l’agent de révision ». Le juge Gibson a estimé qu’il était « dommage que l’agente d’immigration fasse mention de la recommandation de l’agent de révision en tant que “décision” ». Il n’était toutefois pas prêt à déduire de cette déclaration qu’elle avait renoncé sans droit à son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’agent de révision sur cet aspect de la demande de M. Haghighi.
[36] Néanmoins, le poids déterminant que les agents d’immigration donneront vraisemblablement souvent aux rapports d’évaluation des risques des agents de révision constitue une raison pour « uniformiser les règles du jeu » en permettant à ceux qui présentent une demande aux termes du paragraphe 114(2) de répondre à ces rapports. Autrement, l’influence sur le décideur des arguments présentés à l’appui d’une demande sera vraisemblablement grandement diminuée par le rapport.
(iii) l’application de l’analyse
[37] J’estime que l’obligation d’équité exige que ceux qui présentent de l’intérieur du pays une demande de droit d’établissement fondée sur des raisons d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) soient informés de l’ensemble du contenu du rapport d’évaluation des risques de l’agent de révision et qu’il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles. Compte tenu du volume, des nuances et des incompatibilités des renseignements disponibles à partir de différentes sources sur la situation dans le pays, donner au demandeur la possibilité de faire des observations sur les erreurs, les omissions et les autres lacunes que pouvait contenir l’analyse de l’agent de révision pourrait bien permettre d’éviter des décisions erronées de la part des agents d’immigration dans les dossiers où des raisons d’ordre humanitaire sont invouées, d’autant plus que ces rapports sont susceptibles de jouer un rôle vital dans la décision finale. J’ajouterais seulement que la possibilité d’attirer l’attention sur les erreurs ou les omissions qui seraient contenues dans le rapport de l’agent de révision ne constitue pas une invitation aux demandeurs pour qu’ils présentent de nouveau leurs arguments à l’agent d’immigration.
[38] Vu les conséquences potentiellement graves pour une personne qui est renvoyée dans un pays où, contrairement au rapport de l’agent de révision, il y a un risque sérieux de torture, la correction accrue de la décision qui est susceptible de résulter du fait d’accorder à l’intimé le droit procédural recherché en l’espèce justifie tout retard administratif que cela pourrait occasionner. Afin de minimiser les retards, il serait opportun que les agents d’immigration donnent aux demandeurs un délai relativement court pour présenter leurs observations écrites au sujet du rapport.
[39] Cette conclusion est compatible avec l’arrêt Muliadi, précité, même si les différences de fait existant entre les deux affaires font en sorte que l’arrêt Muliadi, précité, ne constitue pas un précédent qui lie la Cour. D’autre part, je reconnais également que les tribunaux n’exigent pas toujours que les organismes administratifs qui tiennent des audiences relativement formelles communiquent les rapports faits par le personnel, surtout lorsque ces rapports ne contiennent aucun nouveau renseignement, mais résument simplement la preuve et les arguments des parties ou définissent les questions à trancher : voir, par exemple, Toshiba Corp. c. Tribunal antidumping; Sharp Corp. c. Tribunal antidumping; Sanyo Corp. c. Tribunal antidumping (1984), 8 Admin. L.R. 173 (C.A.F.); Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1998] 2 C.F. 666 (C.A.).
[40] Toutefois, une audition complète fournit également aux participants une plus grande possibilité d’influencer l’issue que ce qui est disponible aux demandeurs en vertu du paragraphe 114(2). Et dans d’autres contextes de prise de décisions, il se peut que les résumés faits par le personnel n’aient pas l’importance vitale qu’a le rapport de l’agent de révision dans les affaires où le paragraphe 114(2) est invoqué. En outre, en cas d’erreur, peu de décisions administratives sont aussi susceptibles d’infliger un préjudice aussi catastrophique aux personnes que la décision administrative en cause dans la présente affaire.
[41] L’affaire Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.) se rapproche beaucoup plus du contexte de la présente affaire. Dans cette affaire, le juge Gibson a conclu que constituait une violation de l’obligation d’équité le fait de ne pas communiquer à une personne expulsée le résumé d’un dossier préparé pour aider le représentant du ministre à déterminer s’il devait émettre un avis de danger aux termes du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l’immigration.
[42] Je souligne particulièrement le fait qu’en établissant le contenu de l’obligation d’équité applicable dans ce contexte, le juge Gibson s’est fondé en grande partie sur l’analyse faite par le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, précité, sur le poids spécial devant être accordé à la gravité des répercussions d’une décision défavorable sur la personne ainsi que sur l’importance du document quant à son influence sur la décision finale.
E. CONCLUSION
[43] Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel. Je suis d’avis de répondre ainsi à la question certifiée : L’agente d’immigration a, avant de rendre sa décision, contrevenu à l’obligation d’équité en n’informant pas l’intimé du contenu de l’évaluation des risques de l’agent de révision, avec laquelle elle était d’accord, et en ne lui donnant pas une possibilité raisonnable de tenter de relever des erreurs ou des omissions dans cette évaluation.
[44] En conséquence, il n’est pas nécessaire que je commente les arguments avancés par l’intimé qui visaient à démontrer que si l’appelant avait raison relativement à la question de l’équité procédurale, le juge Gibson avait commis une erreur en rejetant les autres motifs de contrôle que l’avocate de M. Haghighi avait invoqués devant lui.
Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.