[2000] 3 C.F. 482
T-1168-96
Allison G. Abbott, Margaret Abbott et Margaret Elizabeth McIntosh (demanderesses)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
Répertorié : Abbott c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 16 et 29 mars 2000.
Pratique — Parties — Intervention — Requête en intervention de la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP) dans un recours collectif portant sur des baux dans un parc national au Manitoba — La Couronne allègue que les clauses de renouvellement perpétuel dans les baux sont nulles et de nul effet — CP exploite des hôtels dans des parcs nationaux en Alberta en vertu de baux renfermant des clauses de renouvellement perpétuel — Application du critère en trois volets en matière d’intervention — La planification à long terme, les investissements futurs et les décisions en matière de développement seront gravement remis en cause sans la garantie à long terme des baux renouvelables à perpétuité — Même si les baux de CP dépendront de l’issue de l’action, son intérêt n’est pas simplement jurisprudentiel — Garde d’une partie du patrimoine de l’Ouest canadien — La règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) exige des intervenants éventuels qu’ils démontrent en quoi leur participation aidera à la prise d’une décision par la Cour sur les questions en litige — Cette aide doit apporter un point de vue différent, à savoir un point de vue pertinent et distinct de celui des parties — CP, comme utilisatrice commercial à long terme, a un point de vue différent de celui des particuliers qui louent des biens à des fins récréatives et de villégiature dans des chalets particuliers — La contribution éventuelle de CP à titre d’intervenante compense pour tout inconvénient que peut occasionner l’intervention.
Il s’agit d’une requête en intervention de la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP) dans le cadre du présent recours collectif portant sur des baux au parc national du Mont-Riding au Manitoba. La question en litige consiste à savoir si les baux des demanderesses renferment ou devraient renfermer une clause de renouvellement perpétuel. L’argumentation de la Couronne voulant que les clauses de renouvellement perpétuel contenues dans les baux de parcs soient nulles et de nul effet a inquiété Canadien Pacifique, laquelle exploite des hôtels à Banff et au Lake Louise construits sur des terrains se trouvant dans un parc national en vertu de baux renfermant des clauses de renouvellement perpétuel.
Jugement : la requête doit être accueillie.
Trois conditions de fond doivent être réunies pour qu’une intervention soit accueillie : le requérant de l’intervention doit posséder un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès; l’issue du procès portera gravement atteinte aux droits du requérant; et le requérant, en sa qualité d’intervenant, apportera un point de vue différent à l’instance. Il faut apprécier les avantages possibles de l’intervention en tenant compte des inconvénients que cela peut occasionner. La prudence dont il convient de faire preuve dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’ajouter des parties peut être moins rigoureuse lorsqu’un intérêt plus général est en cause. Enfin, un intérêt purement jurisprudentiel ne constitue pas un intérêt suffisant pour justifier l’intervention. L’intervenant qui représente un intérêt général ou qui agit en quelque sorte à titre de représentant au nom de ceux qui possèdent un intérêt important détient plus qu’un simple intérêt jurisprudentiel.
S’agissant des deux premières conditions, sans la garantie à long terme des baux actuels renouvelables à perpétuité, la planification à long terme de CP, ses investissements futurs et ses décisions en matière de développement seront gravement remis en cause.
Dans la présente instance, CP n’a pas de litige qui lui soit propre où débattre sa cause, et une telle possibilité ne pourra peut-être pas se reproduire après qu’une décision aurait été rendue. La Couronne semble dire à CP que ses baux dépendront de l’issue de la présente action, la forçant ainsi à s’intéresser à l’affaire puisque ses baux renferment des clauses de renouvellement semblables, sont conclus avec le même propriétaire et dans le même contexte, soit un parc national. D’une certaine façon, CP assure la garde d’une partie du patrimoine de l’Ouest canadien, garde qui bénéficie tant aux usagers du parc qu’aux gens soucieux de leur patrimoine. Cela témoigne d’un intérêt plus général qu’un simple intérêt jurisprudentiel. C’est là un intérêt plus général qu’un simple intérêt jurisprudentiel. Bien que CP ne demande pas le statut d’intervenant en qualité de représentante, l’effet est le même car ses installations sont destinées au grand public.
La règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) énonce le contenu d’une requête en intervention, dont l’obligation pour les intervenants éventuels de démontrer en quoi leur participation aidera à la prise d’une décision par la Cour sur les questions en litige. Cette aide ne doit pas être une simple reprise de la position prise par une partie, mais plutôt un point de vue différent. Ce point de vue différent n’a pas besoin d’être particulier, mais un point de vue pertinent et utile que les parties initiales ne seront pas susceptibles de présenter, un point de vue sans lequel la décision éventuelle de la Cour pourrait fort bien être appauvrie. Les demandesses et CP ont des points de vue divergents. Dans le cas des demanderesses, le point central est que ce sont des particuliers qui louent des biens dans le parc à des fins récréatives et de villégiature dans des chalets particuliers. Par contraste, le point de vue de CP est celui d’un utilisateur commercial, mais il aborde également le long terme, que ce soit sur une base rétrospective ou prospective. En outre, à titre de détenteur de plusieurs baux, CP sera en mesure d’apporter à la Cour une expérience plus approfondie dans la négociation et le renouvellement des baux avec la Couronne que celle des demanderesses.
La contribution éventuelle de CP à titre d’intervenante compensera pour tout inconvénient que pourrait occasionner l’intervention. Les demanderesses, qui pourraient être les parties les plus touchées, ne s’opposent pas à l’intervention. CP a dit qu’elle était en mesure de travailler avec les contraintes de temps, tant en ce qui concerne la décision pendante sur les questions de droit qu’en ce qui a trait au temps alloué pour l’audience. En ce qui concerne la Couronne, elle devra peut-être s’occuper de questions plus complexes et certainement de points de vue différents. Si cela constitue pour elle un simple défi et entraîne un peu plus de dépenses, ce n’est ni un préjudice ni une injustice. En ce qui concerne la Cour, l’éventuelle audience sera peut être plus soutenue et complexe, mais globalement la participation de CP devrait l’aider à rendre une décision. Il convient donc d’ajouter CP à titre d’intervenante habilitée à déposer des affidavits, à présenter des observations écrites et orales et à interjeter appel.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 109.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
M. v. H. (1994), 20 O.R. (3d) 70 (Div. gén.); Tioxide Canada Inc. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 285; (1994), 94 DTC 6366; 174 N.R. 212 (C.A.F.); Maurice c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2000] A.C.F. no 208 (C.F. 1re inst.) (QL); Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. Memorial University of Newfoundland (1997), 75 C.P.R. (3d) 291; 135 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); La Reine c. Boulton, [1976] 1 C.F. 252 (C.A.); Schofield and Minister of Consumer and Commercial Relations, Re (1980), 112 D.L.R. (3d) 132; 19 C.P.C. 245 (C.A. Ont.).
DÉCISION CITÉE :
Bande indienne Yale c. Bande indienne Aitchelitz et al. (1998), 151 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.).
REQÛETE en intervention présentée par la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP) dans le cadre du présent recours collectif portant sur des baux de terrains situés dans un parc national renfermant des clauses de renouvellement perpétuel semblables aux baux en vertu desquels le CP exploite des hôtels. Requête accueillie.
ONT COMPARU :
Arthur J. Stacey pour les demanderesses.
Paul D. Edwards pour la défenderesse.
Judson E. Virtue pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg, pour les demanderesses.
Duboff, Edwards, Haight & Schachter, Winnipeg, pour la défenderesse.
Macleod Dixon, Calgary, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le protonotaire Hargrave : Les présents motifs se rapportent à une requête en intervention de la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique, appelée ci-après Canadien Pacifique.
[2] En ce qui concerne la nature de l’action elle-même, il s’agit d’un recours collectif portant sur des baux au parc national du Mont-Riding au Manitoba. La question en litige consiste à savoir si les baux des demanderesses renferment ou devraient renfermer une clause de renouvellement perpétuel.
[3] La Couronne a fait valoir un certain nombre de moyens de défense particuliers concernant les baux, certains moyens de défense généraux et l’absence de compétence légale pour conclure des baux qui renferment des clauses de renouvellement perpétuel, d’où la conclusion que ces clauses ont toujours été nulles et de nul effet.
[4] L’argumentation voulant que les clauses de renouvellement perpétuel contenues dans les baux de parcs soient nulles et de nul effet, certes un motif de préoccupation pour les demanderesses, a inquiété Canadien Pacifique lorsqu’elle a appris récemment l’existence du présent litige. Bien avant la création du parc national Banff, Canadien Pacifique avait ouvert dans les Rocheuses des hôtels--que nous appelons maintenant des stations-destinations--et que devait desservir CP Rail. Canadien Pacifique exploite maintenant ses installations de Banff et de Lake Louise sur des terrains loués se trouvant dans le parc national Banff. Les baux de Canadien Pacifique renferment des clauses de renouvellement perpétuel qui, selon les vues traditionnellement reçues et que j’accepte, fournissent la certitude nécessaire à l’exploitation des installations du Banff Springs Hotel et du Chateau Lake Louise. Canadien Pacifique affirme que l’issue de la présente action, qu’on espère voir instruire en tant que question de droit en mai de cette année, est primordial pour son exploitation. Canadien Pacifique présente donc la présente requête en intervention.
EXAMEN
Les règles de droit fondamentales en matière d’intervention
[5] Le critère applicable en matière d’intervention n’est pas en litige. Trois conditions de fond doivent lues en conjonction :
1. Le requérant de l’intervention doit posséder un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès;
2. L’issue du procès portera gravement atteinte aux droits du requérant;
3. Le requérant, en sa qualité d’intervenant, apportera un point de vue différent à l’instance.
Ce critère, ses origines et ses applications sont résumés dans la décision Bande indienne Yale c. Bande indienne Aitchelitz et al. (1998), 151 F.T.R. 36 (C.F 1re inst.), aux pages 43 et 44. Toutefois, je suis d’avis également que le droit sur la question de l’intervention n’est pas demeuré statique. Par exemple, il a été modifié par la notion d’appréciation des conditions et je renvoie à cet effet à la décision M. c. H. (1994), 20 O.R. (3d) 70, à la page 78, de la Cour de l’Ontario (Division générale). Dans cette décision le juge Epstein a évoqué [traduction] « la nécessité pour le tribunal d’examiner et d’essayer de soupeser les avantages possibles de l’intervention en tenant compte des inconvénients que cela peut occasionner, […] et […] la préoccupation centrale du tribunal devant être de décider si la contribution qui pourrait être apportée par les intervenants est suffisante pour compenser les inconvénients occasionnés par l’accroissement de l’ampleur, du calendrier, de la complexité et des frais de l’action initiale ». Le juge Epstein a pris soin de souligner que le pouvoir discrétionnaire d’ajouter des parties devait s’exercer avec prudence, car accorder trop facilement la qualité d’intervenant à la première personne qui en fait la demande pourrait créer un précédent de sorte qu’il n’y aurait plus de principe guidant l’exclusion d’autres intervenants, et ce au détriment de tout le système de la common law. Je voudrais également souligner, comme l’a fait le juge Epstein, que l’approche prudente en matière d’intervention s’est faite moins rigoureuse dans les affaires constitutionnelles en raison souvent de l’intérêt plus général soulevé par la question en cause. Cette notion d’intérêt plus général est pertinente.
[6] On retrouve également la notion voulant qu’un intérêt purement jurisprudentiel, telle qu’examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tioxide Canada Inc. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 285, ne constitue pas un intérêt suffisant. Je voudrais encore souligner ici que l’intervenant qui représente un intérêt général ou qui agit en quelque sorte à titre de représentant au nom de ceux qui possèdent un intérêt important détient plus qu’un simple intérêt jurisprudentiel. Voir à ce sujet : M. c. H., précité, et, par exemple, Maurice c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2000] A.C.F. no 208 (C.F. 1re inst.) (QL). Mme le juge Reed y a dit ce qui suit au paragraphe 8 :
Bien que le demandeur n’ait pas lui-même un intérêt direct dans l’issue du présent litige, les personnes qu’il représente en ont un qui, selon toute vraisemblance, est substantiel. L’intérêt du demandeur est plus solide qu’un simple intérêt jurisprudentiel, même si le demandeur possède également un tel intérêt. L’intérêt des personnes que le demandeur cherche à protéger s’appuie sur la même situation de fait que celle sur laquelle se fonde l’intérêt des demandeurs. Ce seul fait permet, à mon avis, de remplir les deux premières parties du critère de la décision du Conseil canadien des ingénieurs.
La décision Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. Memorial University of Newfoundland (1997), 75 C.P.R. (3d) 291 (C.F. 1re inst.), à la page 293, énonce le critère type en trois parties auquel renvoie le juge Reed. J’aborde maintenant les deux premiers éléments du critère, soit un intérêt en ce qui concerne l’issue du litige et l’éventualité d’une atteinte grave à cet intérêt.
Intérêts dans l’issue du litige et atteinte aux droits
[7] Les deux premiers éléments du critère type, soit un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès et la possibilité d’atteinte grave aux droits, sont, en l’espèce, comme c’est souvent le cas, à peu près semblables et reposent sur les mêmes faits.
[8] Canadien Pacifique prétend qu’à titre de locataire en vertu de plusieurs baux de longue durée dans le parc national Banff, lesquels sont semblables ou comportent les mêmes modalités que ceux détenus par les demanderesses, et tout particulièrement des baux renfermant des clauses de renouvellement perpétuel, elle a beaucoup à perdre si les clauses de renouvellement sont annulées. Les installations de Canadien Pacifique, dont le Banff Springs Hotel et le Chateau Lake Louise, sont situées sur des terrains loués. Ces installations sont de classe internationale. Sans la garantie à long terme des baux actuels renouvelables à perpétuité, la planification à long terme, les investissements futurs et les décisions en matière de développement seront gravement remis en cause.
[9] Comme je l’ai dit, un simple intérêt jurisprudentiel ne sera pas suffisant pour donner à un intervenant éventuel un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès. À titre d’exemple, je mentionnerai encore l’arrêt Tioxide Canada Inc., précité, qui portait sur un appel en matière d’impôt où les intervenants éventuels possédaient un intérêt uniquement dans la mesure où les précédents qui auraient pu en découler auraient eu des répercussions sur leurs propres litiges en matière d’impôt. Le juge Hugessen a souligné que non seulement les requérantes n’avaient aucun intérêt direct, pécuniaire ou patrimonial, dans l’issue de l’appel, mais qu’elles pourraient le moment venu plaider leurs propres causes devant les tribunaux : « Ce genre d’intérêt ne justifiera jamais à lui seul une demande d’intervention » (page 286).
[10] L’arrêt Tioxide, renvoie lui-même à l’arrêt La Reine c. Bolton, [1976] 1 C.F. 252 à la page 253, où le juge en chef Jackett, au nom de la Cour d’appel, dit ce qui suit :
À mon avis, même l’interprétation la plus large de ce pouvoir de la Cour ne permet pas d’y inclure le pouvoir d’autoriser l’audition d’une personne simplement parce qu’elle est intéressée dans un autre litige où il est possible que soit soulevé le même point de droit que celui susceptible d’être plaidé en l’espèce.
[11] Dans la présente instance, Canadien Pacifique n’a pas de litige qui lui soit propre où débattre sa cause. De plus, les baux étant identiques ou semblables à ceux détenus par les demanderesses, avec des clauses de renouvellement perpétuel, une telle possibilité ne pourra peut-être pas se reproduire après qu’une décision aurait été rendue dans l’affaire des Abbotts et de Mme McIntosh.
[12] Cette question a également été soulevée dans l’affaire Schofield and Minister of Consumer and Commercial Relations, Re (1980), 112 D.L.R. (3d) 132 (C.A. Ont.), mettant en cause deux intervenants éventuels, l’un qui avait intenté une action semblable et l’autre pour qui un règlement reposait sur l’issue du procès. La qualité d’intervenant leur a été refusée parce qu’ils n’avaient pas d’intérêt dans un litige véritable entre les parties à l’action. Dans la présente instance, la Couronne semble dire à Canadien Pacifique que ses baux dépendront de l’issue du procès dans l’affaire Abbott, litige dont Canadien Pacifique n’a appris l’existence que très récemment. Canadien Pacifique est devenu intéressée à l’affaire puisque ses baux renferment des clauses de renouvellement semblables, sont conclus avec le même propriétaire et dans le même contexte, soit un parc national.
[13] L’intérêt de Canadien Pacifique dépasse la simple question jurisprudentielle. D’une certaine façon, Canadien Pacifique assure la garde d’une partie du patrimoine de l’Ouest canadien, garde qui ne bénéficie pas seulement aux usagers du parc national. Cela témoigne d’un intérêt plus général qu’un simple intérêt jurisprudentiel. On pourrait affirmer que Canadien Pacifique est une entité commerciale intéressée. Pourtant, à plusieurs égards, il peut être difficile de trouver une entité plus digne de confiance ou un meilleur défenseur de certaines couches de la population, tant les usagers du parc que les gens soucieux de leur patrimoine, que Canadien Pacifique qui est une entreprise commerciale intéressée veillant à conserver sa clientèle en préservant sa capacité de maintenir sur une longue période ses installations de classe internationale. À cet égard, je renverrais à nouveau à la notion de demandeur qui a plus qu’un simple intérêt jurisprudentiel dont parle le juge Reed dans la décision Maurice c. Canada, précité. J’admets que Canadien Pacifique ne cherche pas à obtenir le statut d’intervenante en qualité de représentante, bien que l’effet soit le même, car Canadien Pacifique souligne, dans les documents déposés, que ses installations sur les biens loués sont destinées au grand public et à son personnel, dont le gîte, l’hébergement du personnel et les installations générales. C’est là un intérêt plus général qu’un simple intérêt jurisprudentiel. Le deux premiers éléments du critère--un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès et des droits auxquels il risque d’être gravement porté atteinte--étant réunis, j’examinerai maintenant la question de savoir si Canadien Pacifique apporte un point de vue différent dans le cadre de la présente instance.
Un point de vue différent utile à la Cour
[14] La règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] énonce le contenu d’une requête en intervention, y compris l’obligation pour les intervenants éventuels de démontrer en quoi leur participation aidera à la prise d’une décision par la Cour sur les questions en litige. Cette aide ne doit pas être une simple reprise de la position prise par une partie, mais plutôt un point de vue différent. Ce point de vue différent n’a pas besoin d’être particulier, comme le prétend la défenderesse, étant entendu qu’un critère exigeant un point de vue unique, sans équivalent ni parallèle est presque impossible à respecter. Ce que la Cour recherche c’est un point de vue pertinent et utile que les parties initiales ne seront pas susceptibles de présenter, un point de vue sans lequel la décision éventuelle de la Cour pourrait fort bien être appauvrie.
[15] Dans la présente action, tant les demanderesses que Canadien Pacifique, cette dernière à titre d’intervenante proposée, s’intéressent à un produit semblable, un terrain loué dans un parc, et à un bail semblable renfermant des clauses semblables de renouvellement perpétuel, bien que leurs points de vue et leurs intérêts divergent.
[16] Dans le cas des demanderesses, le point central est que ce sont des particuliers qui louent des biens dans le parc à des fins récréatives et de villégiature dans des chalets particuliers. Chacune de ces personnes peut raconter sa propre histoire sur la clause de renouvellement perpétuelle et la conduite de la Couronne en ce qui concerne son propre bail.
[17] Par contraste, l’avis de Canadien Pacifique ne se limite pas uniquement au point de vue d’un utilisateur commercial, mais aborde également le long terme que ce soit sur une base rétrospective ou prospective, à titre d’entreprise établie et permanente. En outre, à titre de détenteur de plusieurs baux, Canadien Pacifique sera en mesure d’apporter à la Cour une expérience plus approfondie dans la négociation et le renouvellement des baux avec la Couronne que celle des demanderesses. En effet, il serait étonnant que le point de vue de Canadien Pacifique ne diffère pas notablement de celui des usagers privés.
Soupeser les avantages et les inconvénients d’une intervention
[18] Canadien Pacifique a le fardeau de me convaincre qu’il répond au critère en trois parties eu égard au statut d’intervenant. Après que j’aurai soupesé le bien-fondé de cette preuve, l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire portera sur la question de savoir si la contribution éventuelle de Canadien Pacifique à titre d’intervenante compense au moins pour tout inconvénient que peut occasionner l’intervention, notamment l’augmentation des frais, le prolongement ou la complexité accrue de l’instance et, particulièrement en l’espèce où des questions de droit, qui peuvent être déterminantes, doivent être tranchées sous peu, si une telle intervention peut entraîner des retards.
[19] Les parties les plus touchées pourraient bien être les demanderesses qui, je crois deviner, considèrent comme un luxe nécessaire le présent litige qui a été prolongé. Ils ne s’opposent pas à l’intervention. Ils ne sont pas plaints que Canadien Pacifique va compliquer les choses.
[20] Canadien Pacifique a dit qu’elle était en mesure de travailler avec les contraintes de temps, tant en ce qui concerne la décision pendante sur les questions de droit qu’en ce qui a trait au temps alloué pour l’audience : cela est heureux car l’intervenant ne doit se substituer aux parties initiales. Cependant, afin de faire en sorte que ne soit causé aucun préjudice, Canadien Pacifique devra s’assurer que les personnes qui ont souscrit des affidavits pourront être contre-interrogées sans délai.
[21] En ce qui concerne la Couronne, elle devra peut-être s’occuper de questions plus complexes et certainement de points de vue différents. Si cela constitue pour elle un simple défi et entraîne un peu plus de dépenses, ce n’est ni un préjudice ni une injustice.
[22] En ce qui concerne la Cour, l’éventuelle audience sera peut être plus soutenue et complexe, mais globalement la participation de Canadien Pacifique devrait l’aider à rendre une décision.
[23] Canadien Pacifique est ajoutée à titre d’intervenante et, en cette qualité, est habilitée, dans le cadre de la présente instance, à déposer des affidavits, à présenter des observations écrites et orales et à interjeter appel.
[24] Je remercie les avocats pour leurs excellentes présentations détaillées.