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[2000] 4 C.F. 616

A-703-98

Timothy R. Pedwell (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Pedwell c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Rothstein et Evans, J.C.A. —Toronto, 17 mai; Ottawa, 12 juin 2000.

Impôt sur le revenu — Nouvelle cotisation — La C.C.I. a conclu que le contribuable s’était approprié le produit net de la vente d’un lot et d’une maison de ferme situés sur une parcelle de 84 acres ainsi que le dépôt afférent à une promesse de vendre 16 autres lots situés sur la même parcelle — La parcelle appartenait à une société par actions contrôlée par le contribuable — L’appropriation du produit de la vente et celle du dépôt afférent à la promesse de vente n’ont pas fondé la nouvelle cotisation du ministre et n’ont pas été plaidées par le ministre devant la C.C.I. — Le ministre est lié par les motifs de sa propre cotisation — Il n’est pas loisible à la Cour d’élaborer elle-même des motifs de cotisation différents de la nouvelle cotisation — La C.C.I. a modifié le fondement de la cotisation sans que le contribuable ait la possibilité de se faire entendre à ce sujet — La Couronne et la Cour doivent s’en tenir à la cotisation faisant l’objet de l’appel, à moins qu’elle n’ait été modifiée ou qu’un avis adéquat de l’intention d’invoquer des motifs différents n’ait été donné avant l’expiration du délai prévu à cette fin — La C.C.I. a commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs différents de ceux indiqués dans l’avis de nouvelle cotisation émis par le ministre.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui a conclu que l’appelant s’était approprié le produit net de la vente d’un lot faisant partie d’une parcelle de 84 acres, ainsi que le dépôt afférent à une promesse de vendre 16 autres lots situés sur la même parcelle. En octobre 1988, une compagnie contrôlée par l’appelant a acquis 84 acres de terres au coût de 183 593 $. En juillet 1989, la maison de ferme originale située sur l’un des lots faisant partie de la parcelle de 84 acres a été vendue à M. et Mme David Euler pour une somme de 135 000 $, qui a été versée dans le compte en fiducie du cabinet d’avocats de l’appelant, Pedwell & Pedwell. Cette vente a engendré un produit net de 125 360 $. La même année, Landpark Homes Inc. a convenu d’acheter 16 lots de la parcelle de 84 acres en déposant 22 500 $ dans le compte en fiducie de Pedwell & Pedwell. Le ministre a cotisé de nouveau l’appelant en ajoutant à son revenu pour l’année d’imposition 1989 un montant de 183 593 $ pour l’appropriation du bien-fonds de la société par actions ainsi qu’un montant de 106 974 $ pour le profit net non déclaré sur la vente de la maison de ferme à D. Euler. Par avis de nouvelle cotisation daté du 4 avril 1996, le ministre a accueilli l’opposition de l’appelant à la nouvelle cotisation de 106 974 $, mais a confirmé la nouvelle cotisation de 183 593 $. Le juge de la Cour de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’appelant relativement à la cotisation du ministre qui était fondée sur l’appropriation des 84 acres, mais il a conclu par la suite que l’appelant s’était approprié le produit de la vente à Euler, soit 125 360 $, et le dépôt versé par Landpark, soit 22 500 $. La question en litige en appel était de savoir si le juge de la Cour de l’impôt avait commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs différents de ceux indiqués dans l’avis de nouvelle cotisation du ministre.

Arrêt : l’appel est accueilli.

Les contribuables doivent savoir pour quels motifs ils font l’objet d’une cotisation, de manière à ce qu’ils puissent présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. Le principe que le ministre est lié par les motifs de sa cotisation est applicable à une décision judiciaire rendue pour des motifs différents de ceux figurant dans l’avis de nouvelle cotisation. Comme la Couronne, la Cour de l’impôt ne peut pas modifier les motifs d’une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin. Il n’est pas loisible à la Cour d’élaborer elle-même des motifs de cotisation différents de ceux qui constituent le fondement de la nouvelle cotisation établie par le ministre relativement au contribuable. Lorsque le ministre ne modifie pas les motifs de la cotisation avant l’expiration du délai prévu à cette fin, le juge de la Cour de l’impôt doit s’en tenir à la cotisation en litige. Le juge de la Cour de l’impôt a pris l’initiative de modifier le fondement de cette cotisation sans que l’appelant ait la possibilité de se faire entendre à ce sujet. En renvoyant l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation fondée sur l’appropriation du produit de la vente à Euler et du dépôt versé par Landpark, il a permis au ministre d’interjeter appel de sa propre nouvelle cotisation. La Couronne et, par conséquent, la Cour doivent s’en tenir à la cotisation faisant l’objet de l’appel, à moins qu’elle n’ait été modifiée ou qu’un avis adéquat de l’intention d’invoquer des motifs différents à l’appui de cette cotisation n’ait été donné avant l’expiration du délai prévu à cette fin et avant que jugement soit rendu par la Cour de l’impôt, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Lorsque le fondement de la cotisation du ministre est une opération, la Cour ne peut pas après coup élargir la portée de la cotisation pour que celle-ci vise également d’autres opérations. Le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs différents de ceux indiqués dans l’avis de nouvelle cotisation qui a été émis le 4 avril 1996 par le ministre et qui faisait l’objet du litige dans l’appel en matière fiscale. Il a également commis une erreur en concluant que le dépôt fait par Landpark avait été versé à l’appelant, alors qu’il n’y avait aucune preuve en ce sens.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(9) (mod. par L.C. 1999, ch. 22, art. 63.1).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 6(1)a) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1), 15(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 8), 56(2) (mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 15), 163(2) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 142).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Banque Continentale du Canada c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 358; (1998), 163 D.L.R. (4th) 430; 98 DTC 6501; 229 N.R. 44.

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt ((1998), 99 DTC 63) qui a conclu que l’appelant s’était approprié le produit net de la vente d’un lot faisant partie d’une parcelle de 84 acres, ainsi que le dépôt afférent une promesse de vendre 16 autres lots situés sur la même parcelle. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Douglas H. Mathew pour l’appelant.

Judith Sheppard pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

LA QUESTION EN LITIGE

[1]        Il s’agit d’un appel de la décision rendue le 29 octobre 1998 par la Cour canadienne de l’impôt [(1998), 99 DTC 63] qui a conclu que l’appelant s’était approprié :

1) le produit net de la vente d’un lot faisant partie d’une parcelle de 84 acres appartenant à une compagnie qu’il contrôlait;

2) le dépôt afférent à une promesse de vente de 16 autres lots situés dans la même parcelle de 84 acres.

Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’appelant devait inclure les sommes ainsi appropriées (125 360 $ + 22 500 $ = 147 860 $) dans son revenu pour l’année d’imposition 1989[1]. Il a également conclu que l’appelant devait payer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 142] de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63].

[2]        L’appelant dit que l’appropriation du produit de la vente du bien-fonds et celle du dépôt afférent à la promesse de vente n’ont pas fondé la nouvelle cotisation du ministre et n’ont pas été plaidées par le ministre devant la Cour de l’impôt. Il prétend qu’il n’était pas loisible au juge de la Cour de l’impôt de conclure à son assujettissement pour des motifs ne fondant pas la nouvelle cotisation du ministre et n’ayant pas été plaidés par ce dernier.

LES FAITS

[3]        Les opérations ayant donné lieu à la présente affaire sont complexes, mais elles peuvent être simplifiées pour les fins du présent appel. L’appelant est avocat et il est actionnaire et l’âme dirigeante de 718615 Ontario Inc. Le 31 octobre 1988, la compagnie a acquis 84 acres de terres à Pelham (Ontario) au coût de 183 593 $, qui incluait les frais de clôture.

[4]        Vers le 4 juillet 1989, l’un des lots situés dans la parcelle de 84 acres a été vendu à M. et Mme David Euler pour un montant de 135 000 $. Cette somme a été déposée dans le compte en fiducie du cabinet d’avocats de l’appelant, Pedwell & Pedwell, et, du produit net de 125 360 $, un montant de 100 000 $ a été versé à une autre compagnie appartenant à l’appelant et un montant de 25 360 $ a été versé à l’appelant lui-même.

[5]        En 1989, Landpark Homes Inc. a convenu d’acheter 16 lots de la parcelle de 84 acres. Un dépôt de 22 500 $ a été effectué dans le compte en fiducie de Pedwell & Pedwell.

[6]        Par voie d’avis de nouvelle cotisation daté du 31 octobre 1994, le ministre a cotisé de nouveau l’appelant en ajoutant à son revenu pour l’année d’imposition 1989 :

[traduction]

Appropriation : Stock des lots reçus de votre

société par actions

183 593 $

Profit net non déclaré sur la vente d’une

maison de ferme à D. Euler

106 974 $

290 567 $

[7]        L’appelant a apparemment pu convaincre le ministre que le profit net non déclaré de 106 974 $ sur la vente de la maison de ferme à D. Euler constituait un double calcul, dans le sens que le profit net non déclaré qui aurait été réalisé était inclus dans la somme de 183 593 $, qui était le prix d’achat des 84 acres. On a dit à la Cour que la vente à Euler avait été faite à un moment suffisamment rapproché de l’acquisition des 84 acres pour qu’il n’y ait aucun gain attribué à la vente du lot Euler. Par conséquent, par voie d’avis de nouvelle cotisation daté du 4 avril 1996, le ministre a accueilli l’opposition de l’appelant à la nouvelle cotisation de 106 974 $.

[traduction]

RAJUSTEMENT DU REVENU D’ENTREPRISE :

Appropriation : Profit non déclaré sur

la vente de la maison de ferme et du

lot à Euler. Opposition accueillie                                (106 974 $)

La nouvelle cotisation au montant de 183 593 $ pour l’appropriation du bien-fonds de la société par actions est toutefois demeurée inchangée.

[8]        L’appel interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt porte sur l’avis de cotisation du 4 avril 1996.

[9]        Dans son avis d’appel, en faisant référence à l’autre opération ayant donné lieu à la nouvelle cotisation, l’appelant a indiqué que la question à trancher était de savoir :

[traduction] Si l’appelant s’est approprié le bien-fonds (84 acres) de la société par actions.

[10]      La réponse du ministre était fondée sur la présumée appropriation des 84 acres de la compagnie par l’appelant. Cela ressort du montant de la cotisation, soit 183 593 $, que constituaient le prix d’achat et les frais de clôture de l’acquisition de ces terres. On n’a toutefois pas entièrement omis de tenir compte des opérations subséquentes, soit la vente à Euler et la réception du dépôt de Landpark. Les hypothèses 8j) à m) portaient sur la vente du lot Euler :

[traduction]

j)    vers le 4 juillet 1989, le lot 21, sur lequel était située la maison de ferme originale, a été vendu à David et Sharon Euler (les Euler) pour 135 000 $; du produit net de 125 360 $ de la vente, 100 000 $ ont été versés à Turgovia, à titre de remboursement du prêt de l’appelant, et 25 360 $ ont été versés à l’appelant;

k)   aucune partie du produit de la vente du lot 21 n’a été versée à la société par actions et aucune modification n’a été faite au compte de prêt relativement au transfert à Peacock ou à la vente du lot 21 aux Euler;

l)    le profit tiré de la vente du lot 21 a été évalué à 106 974 $ par le comptable de l’appelant; ni l’appelant, ni les membres de sa famille, ni la société par actions n’ont déclaré ce profit dans leurs déclarations de revenus pour l’année d’imposition 1989;

m)  la vente du lot 21 ne constituait pas la vente de la résidence principale de l’appelant;

Les hypothèses 8o), p) et q) portaient sur la réception du dépôt de Landpark :

[traduction]

o)   le 23 octobre 1989, Keith Pedwell, Mary Pedwell et McLean ont conclu une convention par laquelle ils s’engageaient à vendre à Landpark Homes Inc. (Landpark) 16 de leurs lots pour 1 080 000 $ (la convention);

p)   à la conclusion de la convention, Landpark a versé un dépôt de 22 500 $ qui a été retenu par l’appelant; ce montant n’a pas été porté au bilan de la société par actions;

q)   les bénéficiaires du transfert ne détenaient pas les lots en fiducie au nom ou au bénéfice de la société par actions.

[11]      L’appelant dit que la nouvelle cotisation et les actes de procédure du ministre ainsi que la démarche que ce dernier a adoptée devant la Cour de l’impôt considéraient l’acquisition des 84 acres de terres en contrepartie de 183 590 $ comme l’appropriation. Il prétend toutefois que le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’y avait pas eu d’appropriation. En effet, le juge de la Cour de l’impôt a dit [au paragraphe 49] :

À mon sens, la société à dénomination numérique a continué à détenir la propriété bénéficiaire du bien-fonds avant la cession à Mme Peacock, après cette cession et après le décès de Mme Peacock, lorsque les lots ont été légués aux membres de la famille de Me Pedwell et à Mme McLean.

Le juge de la Cour de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’appelant relativement à la cotisation du ministre qui était fondée sur l’appropriation des 84 acres par l’appelant. Le juge de la Cour de l’impôt a toutefois conclu par la suite que l’appelant s’était approprié le produit de la vente à Euler, soit 125 360 $, et le dépôt versé par Landpark, soit 22 500 $. La partie pertinente du jugement de la Cour de l’impôt est rédigée comme suit :

Les appels interjetés à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1989, 1990, 1991 et 1992 sont admis avec dépens en faveur de l’intimée, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte des faits suivants :

a)   pour 1989,

(i)   la somme que s’est approprié l’appelant sur l’actif de 718615 Ontario Incorporated s’élevait à 147 860 $, soit le produit de la vente aux Euler, s’élevant à 125 360 $, et les arrhes de 22 500 $ versées par Landpark;

[12]      L’appelant dit que les opérations touchant les Euler et Landpark n’ont pas fondé la nouvelle cotisation du ministre, qu’elles n’ont pas fait l’objet des actes de procédure déposés à la Cour de l’impôt et que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs ne figurant pas dans la nouvelle cotisation ni dans les actes de procédure.

ANALYSE

[13]      Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les arguments invoqués par l’appelant relativement aux actes de procédure. À mon humble avis, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs différents de ceux indiqués dans l’avis de nouvelle cotisation du ministre.

[14]      Dans l’arrêt Banque Continentale du Canada c. Canada[2], le juge Bastarache a expliqué que les contribuables devaient savoir pour quels motifs ils font l’objet d’une cotisation, de manière à ce qu’ils puissent présenter les éléments de preuve appropriés pour la contester. Il a dit :

La Couronne n’est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin. La bonne façon d’aborder cette question a été énoncée dans la décision La Reine c. McLeod, 90 D.T.C. 6281 (C.F. 1re inst.), à la p. 6286. Dans cette affaire, la cour a rejeté la requête de la Couronne, qui sollicitait l’autorisation de modifier ses actes de procédure pour fonder sur une nouvelle base dans la Loi la cotisation établie par Revenu Canada. La cour a refusé l’autorisation pour le motif que le désir de la Couronne d’invoquer un nouvel article de la Loi était, en fait, une tentative en vue de changer le fondement de la cotisation faisant l’objet de l’appel, ce qui « reviendrait à permettre au ministre d’en appeler de sa propre cotisation, notion qui a été expressément rejetée par les tribunaux ». De même, la Cour d’appel fédérale a qualifié de telles tentatives de la part de la Couronne de « tentative[s] tardive[s] de donner un nouveau fondement à la cause de l’appelante » (British Columbia Telephone Co. c. Ministre du Revenu national (1994), 167 N.R. 112 (C.A.F.), à la p. 116).

Le juge McLachlin a dit [au paragraphe 18] :

Le ministre ne saurait être autorisé à avancer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin.

[15]      Quoique les parties aient fait référence à bon nombre de décisions sur la question, l’arrêt Banque Continentale établit maintenant clairement que le ministre est lié par les motifs de sa cotisation (sous réserve du paragraphe 152(9) [Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (mod. par L.C. 1999, ch. 22, art. 63.1)], qui s’applique aux appels pour lesquels une décision a été rendue après le 17 juin 1999 et qui n’est pas pertinent en l’espèce de toute manière). Même si, dans la présente affaire, le ministre n’a pas avancé de motifs différents au soutien de sa cotisation, j’estime que le principe énoncé dans l’arrêt Banque Continentale est applicable à une décision judiciaire rendue pour des motifs différents de ceux figurant dans l’avis de nouvelle cotisation.

[16]      Premièrement, si la Couronne ne peut pas modifier les motifs d’une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin, la Cour de l’impôt se trouve dans la même position. Le contribuable subit le même préjudice—la privation de l’avantage tiré de ce délai. Il n’est pas loisible à la Cour de l’impôt ni à la Cour fédérale d’élaborer elles-mêmes des motifs de cotisation alors que ces motifs ne constituent pas le fondement de la nouvelle cotisation établie par le ministre relativement au contribuable.

[17]      Deuxièmement, même s’il est loisible au ministre de modifier les motifs de la cotisation avant l’expiration du délai prévu à cette fin, j’estime que lorsqu’il ne le fait pas, le juge de la Cour de l’impôt doit s’en tenir à la cotisation en litige. L’équité exige que le contribuable ait une possibilité raisonnable de contester de nouveaux motifs de cotisation. Si le juge de la Cour de l’impôt se fonde sur des motifs de cotisation qui ne sont pas en cause dans l’instance, le contribuable est privé de cette possibilité.

[18]      Dans sa décision et après la présentation de la preuve et des arguments relatifs aux motifs de cotisation du ministre en l’espèce, le juge de la Cour de l’impôt a pris l’initiative de modifier le fondement de cette cotisation sans que l’appelant ait la possibilité de se faire entendre quant à cette modification. Cela ressort du fait que le jugement de la Cour de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’appelant, c’est-à-dire, qu’il a conclu qu’il n’y avait pas appropriation d’un bien-fonds, ce qui constituait le fondement de la cotisation du ministre, tout en renvoyant l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation fondée sur l’appropriation du produit de la vente à Euler et du dépôt versé par Landpark. Ce qui s’est produit équivaut à permettre au ministre d’interjeter appel de sa propre nouvelle cotisation.

[19]      Je ne dis pas que le ministre ne peut pas fonder sa cotisation sur des motifs subsidiaires. Cela n’a toutefois pas été fait en l’espèce.

[20]      Il est vrai que les hypothèses du ministre font référence à la vente à Euler et au dépôt versé par Landpark. Cela n’aide toutefois pas le ministre dans la présente situation. Ces hypothèses ont été avancées au soutien de la cotisation du ministre, qui était fondée sur l’appropriation par l’appelant des 84 acres de la compagnie. C’est dans cette optique que l’appelant les a considérées, et non pas en tant que fondement des cotisations elles-mêmes. Cela ressort de l’audience tenue devant le juge de la Cour de l’impôt. Le témoin du ministre, Keith Alexander Pullan, qui est vérificateur d’impôt, a confirmé que la cotisation portait sur l’appropriation des 84 acres, et non pas sur le produit de la vente à Euler :

[traduction]

M.  Mathew

Q.   Mais est-il exact de dire que les cotisations établies contre M. Pedwell concernent l’appropriation d’un bien-fonds? C’est exact?

R.   Exact.

Q.   Le bien-fonds seulement. Je ne parle pas du produit de la vente à Euler. Je parle de l’ensemble du bien-fonds pour lequel il a fait l’objet d’une cotisation.

R    Oui. C’est exact. Oui.

En outre, la nouvelle cotisation du 4 avril 1996 a supprimé explicitement la référence à la vente à Euler, ne laissant comme fondement de la cotisation que la présumée appropriation de la parcelle de 84 acres lors de son acquisition.

[21]      Le ministre avance deux arguments. Le premier est que la question en litige dans un appel en matière d’impôt est de savoir si l’impôt est trop élevé. Cet argument sous-entend que tout peut être débattu à la Cour de l’impôt et que le juge de la Cour de l’impôt n’est limité que par le montant de la cotisation. En d’autres mots, dans la mesure où le jugement n’excède pas le montant d’impôt cotisé par le ministre, le juge de la Cour de l’impôt peut conclure à l’assujettissement du contribuable pour tout motif, qu’il soit indiqué dans l’avis de nouvelle cotisation ou non, pourvu que le contribuable en soit informé et qu’il ait la possibilité d’y répondre.

[22]      J’estime que l’arrêt Banque Continentale règle cette question. La Couronne et, par conséquent, la Cour doivent s’en tenir à la cotisation faisant l’objet de l’appel, à moins qu’elle n’ait été modifiée ou qu’un avis adéquat de l’intention d’invoquer des motifs différents à l’appui de cette cotisation n’ait été donné avant l’expiration du délai prévu à cette fin et certainement avant que jugement soit rendu par la Cour de l’impôt. Cela n’a pas été le cas en l’espèce.

[23]      Le deuxième argument de la Couronne veut que les éléments qui ressortent font tous partie d’une seule transaction et que l’acquisition des 84 acres, la vente à Euler et le dépôt reçu de Landpark ne peuvent pas être séparés pour des fins fiscales. Ce sont toutefois trois opérations distinctes, auxquelles ont participé des parties différentes, qui ressortent :

1) l’acquisition des 84 acres;

2) la vente d’un lot aux Euler;

3) le dépôt reçu de Landpark pour 16 lots.

Cela apparaît dans l’avis de nouvelle cotisation du ministre. Dans la nouvelle cotisation du 1er octobre 1994, l’appropriation des 84 acres est indiquée, suivie par le profit non déclaré qui aurait été réalisé sur la vente à Euler. Dans l’avis de nouvelle cotisation du 4 avril 1996, l’opération avec Euler est éliminée. Cela indique nécessairement que l’appelant n’a plus besoin de craindre que le produit de la vente à Euler soit interprété comme constituant une appropriation de sa part et qu’il peut se concentrer sur l’acquisition des 84 acres. Cela a été confirmé devant le juge de la Cour de l’impôt, comme il ressort de l’extrait de la transcription cité précédemment. Enfin, le dépôt de 22 500 $ versé par Landpark n’est mentionné nulle part dans les nouvelles cotisations.

[24]      Je ne dis pas que le ministre ne pourrait pas fonder une cotisation sur une transaction consistant en plus d’une opération. L’imposition est cependant liée à l’opération (ou est peut-être réputée l’être), et si plus d’une opération doit former le fondement d’une cotisation, la cotisation doit refléter ce fait. Lorsque le fondement de la cotisation du ministre est une opération, la Cour ne peut pas après coup élargir la portée de la cotisation pour que celle-ci vise également d’autres opérations.

[25]      Il y a un autre motif pour accueillir le présent appel relativement au dépôt versé par Landpark. Un chèque au montant de 22 500 $ tiré par Landpark et payable à « Pedwell & Pedwell (In Trust) » a été déposé en preuve. L’endos du chèque indique que celui-ci a été déposé dans le compte en fiducie de Pedwell & Pedwell. L’appelant a témoigné que l’argent avait été déposé dans le compte en fiducie et qu’il avait été remboursé avec intérêts lorsque l’affaire avait avorté.

[traduction]

(Q) Y a-t-il eu un transfert d’argent relativement à cette affaire?

(R) Il y a eu des dépôts initiaux. Compte tenu de l’offre, je crois qu’elle s’élevait à environ 22 500 $.

(Q) Et qu’est-il advenu de ces fonds?

(R) Bien, ces dépôts ont été mis dans le compte en fiducie de notre cabinet d’avocats, Pedwell & Pedwell, et M. Breit Cruize, je ne peux pas vous donner la date exacte, mais vers 1993, 1994, a demandé le remboursement de son argent et son argent lui a été remboursé avec les intérêts accumulés.

[26]      L’appelant n’a pas été contre-interrogé quant à la question de savoir si le dépôt avait été retiré du compte en fiducie à l’exception du moment où il avait été remboursé à Landpark. Il n’y avait aucun autre élément de preuve relatif au dépôt. Le juge de la Cour de l’impôt a pourtant conclu que [au paragraphe 55] :

Il [l’appelant] a aussi fait en sorte que Pedwell et Pedwell lui verse les arrhes de 22 500 $ de Landpark.

Le juge de première instance peut naturellement faire des inférences. Ces inférences doivent toutefois reposer sur les faits démontrés. En l’espèce, l’intimée a été incapable d’indiquer quelque fait que ce soit à partir duquel il aurait pu être conclu que le dépôt avait été versé à l’appelant à partir du compte en fiducie.

[27]      Au contraire, la preuve indiquait que l’opération Landpark était assujettie à des conditions qui n’ont pas été respectées, ce qui a mené au remboursement du dépôt de 22 500 $. Il semble que si l’appelant avait retiré des fonds de son compte en fiducie pour son usage personnel alors qu’ils faisaient toujours l’objet d’une fiducie, il aurait eu des problèmes plus graves que ceux que lui cause la nouvelle cotisation du ministre. Il n’y avait pourtant aucune preuve de l’existence d’un manquement à l’obligation fiduciaire ni aucune autre indication qui appuierait l’énoncé du juge selon lequel le montant de 22 500 $ a été versé à l’appelant à partir du compte en fiducie. L’avocat de l’appelant a souligné que, s’il avait su que le dépôt versé par Landpark était en cause, il aurait produit les registres du compte en fiducie du cabinet d’avocats ainsi que le chèque de remboursement tiré du compte en fiducie à l’ordre de Landpark.

CONCLUSION

[28]      Je suis d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant à l’assujettissement de l’appelant pour des motifs différents de ceux indiqués dans l’avis de nouvelle cotisation qui a été émis le 4 avril 1996 par le ministre et qui faisait l’objet du litige dans l’appel en matière fiscale. Je suis également d’avis que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que le dépôt fait par Landpark avait été versé à l’appelant, alors qu’il n’y avait aucune preuve en ce sens.

[29]      L’appel doit être accueilli avec dépens et la nouvelle cotisation établie par le ministre doit être annulée.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.



[1]  Bien que dans ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt ne mentionne pas les dispositions précises de la Loi de l'impôt sur le revenu sur lesquelles il a fondé sa conclusion, le ministre a fait valoir l'application conjointe des art. 15(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 8] et 56(2) [mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 15] ou, subsidiairement, celle de l'art. 6(1)a) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 1] et de l'art. 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelant ne conteste pas qu'il s'agit des dispositions applicables.

[2]  [1998] 2 R.C.S. 358, au par. 10.

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