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[2000] 4 C.F. 629

T-1529-98

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Nancy Green et la Commission canadienne des droits de la personne (défenderesses)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Green (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux—Toronto, 28 juin 1999; Ottawa, 2 juin 2000.

Droits de la personne — On a refusé à la défenderesse une nomination à un poste bilingue à nomination non impérative, de niveau PM-6, au motif qu’elle n’avait pas les compétences linguistiques requises — Refuser d’admettre la défenderesse au programme de cours de français à temps plein de la CFP sur la base du pronostic défavorable qu’elle a obtenu à la suite de tests et d’évaluations administrés par la CFP constitue une discrimination fondée sur la déficience (dyslexie dans le traitement des informations auditives) — Fardeau de la preuve — Discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable — Obligation d’accommodement — Mesures correctives systémiques — Sommes accordées personnellement à la défenderesse.

Fonction publique — Procédure de sélection — Principe du mérite — Discrimination fondée sur un motif illicite — On a refusé à la défenderesse une nomination à un poste bilingue à nomination non impérative, de niveau PM-6, au motif qu’elle n’avait pas les compétences linguistiques requises — Refuser d’admettre la défenderesse au programme de cours de français à temps plein de la CFP sur la base du pronostic défavorable qu’elle a obtenu à la suite de tests et d’évaluations administrés par la CFP constitue une discrimination fondée sur la déficience (dyslexie dans le traitement des informations auditives) — Fardeau de la preuve — Discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable — Obligation d’accommodement — Mesures correctives systémiques — Sommes accordées personnellement à la défenderesse.

Langues officielles — Fonction publique — On a refusé à la défenderesse une nomination à un poste bilingue à nomination non impérative, de niveau PM-6, au motif qu’elle n’avait pas les compétences linguistiques requises — Refuser d’admettre la défenderesse au programme de cours de français à temps plein de la CFP sur la base du pronostic défavorable qu’elle a obtenu à la suite de tests et d’évaluations administrés par la CFP constitue une discrimination fondée sur la déficience (dyslexie dans le traitement des informations auditives) — Fardeau de la preuve — Discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable — Obligation d’accommodement — Mesures correctives systémiques — Sommes accordées personnellement à la défenderesse.

En août 1987, la défenderesse, Nancy Green, s’est classée première à un concours interne dans la fonction publique pour un poste de PM-6, un poste bilingue à nomination non impérative, mais elle n’a pas été nommée à ce poste parce que les tests ont révélé qu’elle n’était pas apte à apprendre le français dans le cadre de la formation à temps plein prévue par le Conseil du Trésor et dans les délais prescrits par ce dernier.

On lui a refusé la participation au programme vu son pronostic défavorable à la suite de tests et d’évaluations (processus de sélection) administrés par la CFP, notamment au moyen d’un test d’aptitudes, composé du Test d’aptitude aux langues vivantes (TALV) et de deux subtests Pimsleur, qui permet d’établir le degré probable de succès d’une personne dans l’apprentissage d’une langue seconde. Ces tests servent à mesurer les aptitudes d’une personne à apprendre une langue seconde dans un délai rentable. Ces tests sont fondés sur des prédicteurs de l’aptitude du candidat à apprendre une langue seconde, savoir la discrimination phonèmes-symboles, la mémorisation mécanique des sons vocaux et la structure grammaticale. Les résultats obtenus par la défenderesse dans la partie discrimination auditive des tests d’évaluation l’ont classée bien au-dessous de la limite lui permettant d’accéder au programme d’enseignement des langues secondes fixée par le Programme de cours de français (PFL).

Des tests subséquents ont déterminé que la défenderesse était très intelligente, qu’elle présentait bien et qu’elle jouissait d’un potentiel intellectuel dans la moyenne élevée; elle avait toutefois de la difficulté à réaliser son potentiel à cause d’un trouble d’apprentissage particulier, la dyslexie dans le traitement des informations auditives. Cela signifie qu’elle ne peut apprendre le français de la façon habituelle et explique les résultats qu’elle a obtenus au test d’évaluation.

La défenderesse a ensuite saisi la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de deux plaintes, l’une visant le Conseil du Trésor et l’autre visant la Commission de la fonction publique pour cause de discrimination fondée sur la déficience (dyslexie dans le traitement des informations auditives).

Le tribunal des droits de la personne a conclu à la discrimination fondée sur la déficience et au fait que l’obligation d’accommodement n’avait pas été remplie. Il a ordonné, à l’intention du Conseil du Trésor et de la CFP, une série importante de mesures correctives visant la discrimination systémique pour que ceux-ci mettent en oeuvre des mesures d’accommodement en matière d’emploi et d’accès à la formation linguistique pour les personnes atteintes de troubles de l’apprentissage. Le tribunal a également ordonné que la défenderesse soit nommée immédiatement à un poste de niveau PM-6, ou qu’elle reçoive au moins le salaire d’un poste de niveau PM-6; une somme globale de 69 895 25 $, à titre de compensation pour le salaire perdu en raison de l’acte discriminatoire allant jusqu’au 31 décembre 1997; un montant calculé comme étant la somme totale des paiements, versés mensuellement, au montant de 825 66 $ chacun, pour la période du 1er janvier 1998 à la date de la présente décision; une majoration l’indemnisant des effets fiscaux négatifs; un rajustement de sa pension; l’admission au programme de cours de français à temps plein financé par le gouvernement; le retrait de tout « pronostic négatif » obtenu par la défenderesse, relativement aux tests d’aptitude linguistique, de tout dossier tenu par son employeur; un cours de gestion approprié suivi d’une nomination à un poste de niveau EX-1; conformément au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, une indemnité spéciale de 5 000 $; un intérêt composé au taux des obligations d’épargne du Canada calculé à compter de la date où l’acte discriminatoire a été commis, soit le 5 janvier 1987, sur toutes les sommes dues à la défenderesse; la somme de 4 057 22 $ pour les frais liés aux conseils juridiques.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

Jugement : la demande est accueillie en partie pour modifier le montant de certaines sommes accordées personnellement à la défenderesse.

Les questions principales portent sur le rôle du tribunal en tant que juge des faits ou sur des questions à la fois de fait et de droit. À cet égard, il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers la conclusion relative à l’existence d’une discrimination, vu l’expertise du tribunal en cette matière.

L’approche adoptée par le tribunal pour arriver à cette conclusion respecte les principes juridiques pertinents quant à la question. Le tribunal a utilisé la bonne définition de la discrimination; il a eu recours, à bon droit, à une interprétation fondée sur l’objet visé pour interpréter la législation sur les droits de la personne; il a correctement déterminé que l’affaire qui lui était soumise portait sur une discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable, où la règle n’est pas nécessairement annulée mais où ce qui compte, ce sont les efforts consentis pour accommoder; il a à bon droit tenu compte du contexte particulier qui doit être examiné lorsqu’il est question de déficience : Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624.

Le tribunal n’a pas conclu que les tests de la CFP utilisés comme prédicteurs de réussite dans le PFL visaient directement les personnes souffrant d’un trouble d’apprentissage, notamment d’une déficience de la mémoire auditive séquentielle. Le tribunal a cependant conclu que ces tests non discriminatoires auxquels tous les membres de la fonction publique sont soumis avaient des effets préjudiciables sur les personnes souffrant d’une déficience de la mémoire auditive séquentielle. S’agissant de ces tests, le tribunal a déclaré qu’ils avaient des effets préjudiciables en ce qu’ils insistaient sur la faiblesse de la défenderesse sur le plan de la mémoire auditive séquentielle dans un contexte qui ne tenait pas compte des points forts de la défenderesse que celle-ci pouvait compenser pour apprendre le français dans le délai imparti, à condition que la formation linguistique qui lui serait offerte soit adaptée de manière à tenir compte de ses points forts plutôt que des faiblesses liées à sa déficience. Le témoignage des experts justifiait la conclusion de discrimination à laquelle le tribunal est parvenu.

Le procureur général a fait valoir que les personnes qui souffrent d’une déficience dans le traitement des informations auditives ne se voient pas refuser l’occasion de démontrer leurs aptitudes et qu’elles ne sont pas traitées différemment par rapport aux autres personnes qui ont de la difficulté à apprendre une langue seconde. Même en supposant que le procureur général avait raison de dire que le TALV n’est pas discriminatoire puisqu’il mesure réellement la capacité d’une personne donnée à apprendre une langue étrangère, on ne saurait retenir son argument parce qu’il peut y avoir discrimination lorsque la déficience n’est pas prise en compte et que la personne en cause est forcée de se tirer d’affaires toute seule dans l’environnement de l’ensemble de la société; et pour arriver à une conclusion de discrimination découlant d’un effet préjudiciable, il n’est pas nécessaire qu’une personne se voie imposer un fardeau que n’a pas à supporter la population en général, mais plutôt qu’il y a lieu d’assurer qu’elle bénéficie d’une manière générale d’un service : Eldridge et Eaton. Dès que le trouble d’apprentissage de la défenderesse eut été diagnostiqué, il s’ensuivait une obligation d’accommoder étant donné qu’il n’était pas approprié de la placer dans le cadre général du PFL.

Les recommandations présentées par la conseillère en orientation de la CFP et le programme mis sur pied par le Ministère de la défenderesse pour l’aider à améliorer ses connaissances du français, notamment par des cours privés pendant les heures de travail, ne satisfaisaient pas à l’obligation d’accommoder sans s’imposer de contrainte excessive. Le tribunal s’est fondé sur certains éléments de preuve pour conclure que le Conseil du Trésor et la CFP n’avaient pas du tout rempli leur obligation d’accommodement.

Les mesures correctives systémiques ordonnées par le tribunal ne sont pas inappropriées. Les arguments du demandeur à l’effet contraire sont une contestation du rôle du tribunal comme juge des faits et doivent être rejetés pour les mêmes motifs qui ont fondé le rejet de l’argument sur la question de savoir si le TALV était discriminatoire. En outre, le tribunal a essentiellement conclu que le Conseil du Trésor et la CFP doivent apprendre à appliquer efficacement leurs propres directives en matière de non-discrimination. L’ordonnance du tribunal qui exige que la CFP crée une autre méthode pour vérifier l’aptitude des personnes atteintes de troubles d’apprentissage à suivre le programme de formation linguistique dans le délai alloué n’invalide pas le TALV et les tests Pimsleur en tant que prédicteurs principaux de l’aptitude à apprendre une langue; ce que l’ordonnance prévoit, c’est que lorsqu’il s’agit d’une personne ayant un trouble d’apprentissage, la CFP doit ajuster le processus de manière à éliminer ce qui ne ressort pas du TALV, savoir la nature de la déficience et des stratégies compensatoires utilisées par les personnes qui ont des troubles d’apprentissage. Cette ordonnance découle des conclusions du tribunal tirées de la preuve, constitue une mesure corrective raisonnable et est en accord avec l’approche énoncée par la C.S.C. dans les arrêts Eaton et Eldridge, affaires portant sur des déficiences, et dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.

Bien que le demandeur ait fait valoir que toutes les mesures correctives ordonnées par le tribunal en vertu de l’article 53 de la Loi doivent avoir un lien rationnel avec l’utilisation d’un test portant sur la distinction des informations auditives pour déterminer l’aptitude à apprendre une langue, l’approche que le tribunal a adoptée pour déterminer les mesures correctives à octroyer à Nancy Green reflète le fait qu’elle n’a pu être admise au programme de formation en langue française par suite de l’effet préjudiciable des tests et ce que le tribunal voulait corriger était ce qui s’en était suivi, savoir le fait qu’elle n’a pas été promue. Il y a donc un lien rationnel global entre les mesures correctives accordées à la défenderesse et les effets de la discrimination qui ont fait qu’elle n’a pas obtenu le poste de niveau PM-6.

Sur le caractère indirect et la limitation des dommages, ces questions de droit portent sur les principes établis dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401(C.A.), ainsi que dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Uzoaba,[1995] 2 C.F. 569(C.A.). Le demandeur soutient que la défenderesse n’a pas limité les dommages-intérêts en n’ayant pas lancé une recherche d’emploi active à la première occasion; continué sa recherche d’emploi; continué sa formation compensatoire en français; accepté de suivre une formation en français à plein temps lorsqu’on lui en a fait l’offre. Quant à la promotion à un poste de niveau PM-6, il ne peut être question d’un quelconque caractère indirect, si l’on se fonde sur le critère de possibilité sérieuse de l’arrêt Morgan, le principe de primauté enchâssé dans l’article 82 de la Loi sur les langues officielles, le critère de la promotion raisonnablement prévisible, et son application à la preuve, telle que formulée dans Uzoaba. Le tribunal a accordé cette mesure corrective sur le fondement de la preuve qui lui était présentée. De plus, au vu de la prépondérance des probabilités, quoique la défenderesse ait pu faire ou ne pas faire après sa nomination à un poste de niveau PM-5 en février 1989, elle n’a pas perdu son droit d’obtenir des mesures correctives en vertu de la Loi.

L’ordonnance du tribunal relative à la perte de salaire, portant sur une somme de 69 895 25 $, est fondée sur la preuve et comme Nancy Green a recommencé à toucher son salaire de PM-5 en février 1989, c’est cette date qu’il convient d’utiliser pour déterminer à quel moment doit commencer l’indemnisation.

Le demandeur soutient que le paragraphe 62(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit à tout tribunal de traiter de toute question relative à un régime de retraite constitué avant le 1er mars 1978. Cependant, rien dans l’ordonnance du tribunal ne vient modifier ou affecter de quelque façon que ce soit la structure du régime de retraite auquel la défenderesse participe. Il est clair que le tribunal a la compétence pour prendre cette mesure corrective, au vu du principe de restitutio in integrum (ordonner que la pension soit rajustée pour tenir compte du salaire découlant de son emploi au niveau PM-6, du 21 février 1989 à ce jour).

Le demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en ordonnant que la défenderesse soit nommée au poste bilingue qu’elle cherchait à obtenir, et il fait valoir qu’elle ne s’est pas portée candidate par la suite à des postes bilingues à nomination non impérative. Le demandeur soutient que cette dépense n’est généralement autorisée que par suite d’une exigence opérationnelle. L’ordonnance voulant que la défenderesse soit admise au programme de cours de français doit être maintenue. La preuve démontre clairement qu’on lui a refusé l’accès au PFL à cause de son trouble d’apprentissage et que cette décision a fait qu’elle ne pouvait plus présenter sa candidature à des postes bilingues.

Le demandeur plaide que l’ordonnance portant que le pronostic défavorable obtenu par la défenderesse soit détruit contrevient au paragraphe 5(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada. En effet, le tribunal n’a pas compétence pour ordonner la destruction du pronostic défavorable. Son ordonnance est modifiée pour imposer à la CFP l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la confidentialité du pronostic défavorable original et le retrait de toutes les copies de ce pronostic qui ont pu être faites et qui sont en circulation.

Le demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur en concluant que la défenderesse n’avait pas reçu une formation en gestion par suite des actes discriminatoires de son employeur. Cependant, l’ordonnance du tribunal portant que la défenderesse devait recevoir une formation en gestion est un corollaire nécessaire à sa conclusion principale qu’elle devait être nommée à un poste de PM-6, conclusion qui doit être maintenue. Si elle avait été promue au poste de PM-6, elle aurait reçu une formation en gestion.

Le tribunal disposait suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa conclusion que si ce n’avait été des actes discriminatoires commis par son employeur, il est tout probable que la carrière de la défenderesse aurait connu un plus grand épanouissement et que des promotions l’auraient fait avancer bien au delà du niveau PM-6 dans son cheminement. Le tribunal avait raison d’ordonner qu’à la première occasion raisonnable et une fois qu’elle aura terminé le cours de gestion approprié, la défenderesse soit nommée à un poste au niveau EX-1.

Aucun motif ne justifie que l’indemnité spéciale de 5 000 $ soit modifiée, compte tenu de la frustration et du préjudice moral que, selon ce que la preuve révèle clairement, les dix dernières années de discrimination systémique ont causés à la défenderesse.

Le demandeur conteste l’octroi d’un intérêt composé sur toutes les sommes dues à la défenderesse au motif que l’octroi de l’intérêt composé, plutôt que de l’intérêt simple, sur le salaire perdu est contraire à l’arrêt Morgan, et que l’intérêt sur l’indemnité spéciale n’est pas autorisé par la loi, étant donné que la compensation maximale ne peut dépasser 5 000 $. Aucun élément de preuve ou circonstance n’a démontré que les intérêts composés étaient nécessaires ou justifiés en l’espèce. L’ordonnance est modifiée pour remplacer l’intérêt composé par l’intérêt simple sur les sommes dues à Nancy Green et pour exclure l’intérêt sur l’indemnité spéciale (comme la compensation maximale ne peut dépasser 5 000 $, il ne reste donc aucune marge pour accorder l’intérêt).

L’ordonnance du tribunal quant à l’indemnité pour frais de justice est annulée. Le demandeur a correctement soutenu que comme aucune mention n’est faite de frais juridiques dans la Loi, cela indique que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder au tribunal le droit d’ordonner le paiement de tels frais.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15, 16(1), 20(1)a),b).

Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique, DORS/81-787.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 3 (mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 2), 7, 10, 15(1) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 10), (2) (mod., idem), 25, 53(1) (mod., idem, art. 27), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem), 62(1).

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 10(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10), (2) (mod., idem), 12 (mod., idem, art. 11).

Loi sur les Archives nationales du Canada, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1, art. 5(1).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 21, 22, 32, 34, 35(1),(2), 46(1),(2), 82(1),(2), 91.

Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs de jugement modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; (1996), 133 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (2d) 131; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1997), 142 D.L.R. (4th) 385; 41 C.R.R. (2d) 240; 207 N.R. 171; 97 O.A.C. 161; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; [1998] 1 W.W.R. 50; 38 B.C.L.R. (3d) 1; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (1991), 85 D.L.R. (4th) 473; 92 CLLC 17,002; 135 N.R. 27 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (1990), 34 C.C.E.L. 179; 91 CLLC 17,011 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Lambie (1996), 124 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (1995), 94 F.T.R. 192 (1re inst.); Foreman c. Via Rail Canada Inc. (1980), 1 C.H.R.R. D/233; Canada (Procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530 (1989), 99 N.R. 221 (C.A.); Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199; (1981), 120 D.L.R. (3d) 1; 35 N.R. 19; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 45 C.R.R. 115; 94 N.R. 373; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 16 C.H.R.R. D/425; 141 N.R. 185; 24 W.A.C. 245; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; (1999), 176 D.L.R. (4th) 1; [1999] 10 W.W.R. 1; 66 B.C.L.R. (3d) 253; 127 B.C.A.C. 161; 46 C.C.E.L. (2d) 206; 244 N.R. 145.

DÉCISIONS CITÉES :

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665; (2000), 185 D.L.R. (4th) 385; 50 C.C.E.L. (2d) 247; 253 N.R. 107; Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social c. Chandler et al. (1997), 29 C.H.R.R. D/300; Canada (Procureur général) c. Magee, [1998] 4 C.F. 546 (1998), 159 F.T.R. 198 (1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne ([1998] D.C.D.P. no 5 (QL)) a conclu que le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique ont commis des actes discriminatoires pour cause de déficience (une forme de dyslexie) à l’égard de Nancy Green, cette dernière s’étant vu refuser l’accès au programme de cours de français à temps plein sur la base d’un pronostic défavorable qu’elle a obtenu à la suite de tests et d’évaluations administrés par la Commission. Demande accueillie en partie.

ONT COMPARU :

S. Ronald Stevenson et Lysanne K. Lafond pour le demandeur.

Nancy Green en son propre nom.

Margaret Rose Jamieson pour la défenderesse la C.C.D.P.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Commission canadienne des droits de la personne pour la défenderesse la C.C.D.P.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Lemieux :

A.        INTRODUCTION

[1]        La présente instance de contrôle judiciaire, qui a été initiée par le procureur général du Canada (Pg), vise une décision d’un tribunal canadien des droits de la personne [[1998] D.C.D.P. no 5 (QL)] (le tribunal). La question-clé est celle de savoir si le Conseil du Trésor (CT) ou Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) et la Commission de la fonction publique (CFP) ont exercé une discrimination contre Nancy Green, un membre de la fonction publique du Canada, par suite d’une déficience, un motif illicite, en contravention des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6] (la Loi), lorsqu’on ne l’a pas inscrite au Programme de cours de français (PFL) à temps plein, étant donné qu’elle avait obtenu un pronostic défavorable suite à des tests et à une évaluation administrés par la CFP.

[2]        Comme elle n’a pas été admise au PFL, Nancy Green n’a pas été nommée au poste de gestionnaire du Service de counselling, Équité en matière d’emploi (région de l’Ontario), un poste de PM-6 désigné bilingue à nomination non impérative. Selon son Ministère, la Commission de l’emploi et de l’immigration (CEI) (maintenant Développement des ressources humaines Canada (DRHC)), le profil linguistique du poste exigeait des connaissances au niveau BB/C (le niveau B pour la lecture et la rédaction et le niveau C, le plus élevé, pour la communication verbale). Nancy Green s’était classée au premier rang dans un concours interne pour ce poste.

[3]        Lorsqu’un poste est désigné bilingue à nomination non impérative, le candidat choisi n’a pas à satisfaire cette exigence au départ, mais il doit atteindre le niveau de connaissance linguistique attribué au poste au cours de la période prévue par la Politique sur la formation linguistique (PSFL) du Conseil du Trésor en suivant des cours de langue à temps plein pendant les heures ouvrables, aux frais du gouvernement.

[4]        Les candidats reçus à un concours n’ont pas automatiquement droit aux cours de langue à temps plein offert par le gouvernement fédéral. Seuls sont admis les candidats qui reçoivent un pronostic favorable, ce qui correspond à l’évaluation faite par la CFP qu’un candidat atteindra vraisemblablement le niveau de connaissances requis dans la langue seconde dans les délais impartis par la PSFL du Conseil du Trésor.

[5]        La CFP arrive à son pronostic (favorable ou défavorable) en utilisant le processus d’orientation suivant :

a) un test de connaissances linguistiques, qui permet d’évaluer les aptitudes du candidat pour la lecture, la rédaction et l’interaction verbale;

b) un test d’aptitudes composé du Test d’aptitude aux langues vivantes, (TALV) et de deux subtests Pimsleur (Pimsleur), qui permet d’établir le degré probable de succès d’une personne dans l’apprentissage d’une langue seconde; et

c) une entrevue avec un conseiller pour examiner les résultats des tests et les éléments susceptibles d’avoir eu une incidence sur eux. C’est le conseiller de la CFP qui décide si le pronostic est favorable ou défavorable. Cette décision, prise après l’entrevue, est réexaminée à l’interne avant d’être communiquée au candidat.

[6]        Les tests TALV et Pimsleur servent à mesurer précisément les aptitudes (capacités ou potentiel) d’une personne à apprendre une langue seconde dans un délai rentable (décision du tribunal, aux pages 3 et 4 [paragraphes 14 à 17]). Leur objectif est d’assurer une mesure de contrôle des dépenses de formation, qui sont absorbées par le gouvernement lorsque le candidat suit les cours à temps plein. Ces tests sont fondés sur des prédicteurs de l’aptitude du candidat à apprendre une langue seconde, savoir la discrimination phonèmes-symboles, la mémorisation mécanique des sons vocaux et la structure grammaticale.

[7]        Le TALV a été créé aux États-Unis par John B. Carrol, Ph. D., qui s’est fondé sur sept éléments pour évaluer la capacité d’une personne d’apprendre une langue étrangère :

1) l’aptitude à la communication verbale

2) l’intérêt pour la langue

3) la mémoire associative

4) l’association phonèmes-symboles

5) la capacité d’apprentissage inductif

6) la sensibilité grammaticale

7) la vitesse d’association

B.        LES FAITS AU COEUR DU LITIGE

[8]        La plupart des faits au coeur de la présente demande de contrôle judiciaire ne sont pas contestés.

[9]        En 1975, Nancy Green a rejoint les rangs de la fonction publique fédérale à titre de conseillère en main-d’œuvre au niveau PM-2. En 1973, elle avait obtenu un baccalauréat ès sciences, avec spécialisation en kinésiologie de l’Université de Waterloo. Sa carrière se déroulait très bien et, en février 1987, elle devenait directrice intérimaire du Programme Intégration professionnelle à la CEI, un poste de niveau PM-5.

[10]      En août 1987, elle a présenté sa candidature à un concours interne pour le poste susmentionné de PM-6, un poste bilingue à nomination non impérative dont le profil linguistique était BB/C. Le jury de sélection l’ayant classée au premier rang sur le plan des connaissances, des capacités et des qualités personnelles, elle a participé à la séance d’orientation de la CFP fin décembre 1987—début janvier 1988. Il s’agissait pour la CFP d’établir un pronostic quant à la probabilité qu’elle puisse porter ses connaissances en français au niveau requis au cours de la période de formation à temps plein prévue par le Conseil du Trésor dans la PSFL. La période en cause était alors fixée à 1 560 heures.

[11]      Le 31 décembre 1987, Nancy Green s’est soumise aux tests TALV et Pimsleur dans un laboratoire de langue et avec un casque d’écoute. Les réponses devaient être formulées verbalement et par écrit. Elle a eu de mauvais résultats dans certains tests, ceux sur la partie du test de discrimination auditive la classant parmi les candidats du dernier cinquième des rangs-centiles, bien au-dessous de la limite lui permettant d’accéder au programme d’enseignement des langues secondes fixée par le PFL (décision du tribunal, page 12 [paragraphe 56(5)]).

[12]      Nancy Green a aussi subi un test pour vérifier sa connaissance du français (lecture, rédaction et interaction orale). Ses connaissances étant fort limitées, elle aurait dû commencer ses cours à la première leçon.

[13]      Le 5 janvier 1988, Nancy Green a été reçue en entrevue pendant plus de deux heures par Françoise Thexton, une conseillère en orientation de la CFP. Celle-ci a témoigné devant le tribunal que l’objectif de cette entrevue était d’interpréter les résultats des tests, d’explorer les stratégies d’apprentissage du candidat, et de déterminer si le candidat pouvait ou non atteindre le niveau de connaissances linguistiques requises dans le délai imparti et, le cas échéant, de recommander la meilleure approche à adopter.

[14]      À la fin de l’entrevue, elle a informé Nancy Green qu’elle lui décernerait un pronostic défavorable, étant donné qu’il ne lui semblait pas que celle-ci pouvait atteindre le niveau BB/C dans le délai imparti. Comme Nancy Green lui avait dit qu’il était très important qu’elle apprenne le français pour son cheminement de carrière, elle lui a conseillé de prendre des cours du soir et de revenir plus tard pour essayer d’obtenir un pronostic favorable. Elle lui a aussi conseillé d’essayer d’obtenir un profil BB/B au lieu du BB/C, qui représentait une grande difficulté. Elle lui a recommandé de s’inscrire dans un cours bien structuré et à rythme lent, avec un maximum d’appuis visuels.

[15]      Se fondant sur les réponses apportées aux tests, Mme Thexton a mentionné à Nancy Green, au cours de l’entrevue, qu’elle souffrait peut-être d’un trouble d’apprentissage.

[16]      Le 13 janvier 1988, le pronostic défavorable de Mme Thexton a été examiné par Noël Joyal, gestionnaire régional de la formation linguistique à la CFP. Après avoir examiné tout le dossier, il a confirmé le pronostic défavorable de Mme Thexton. Il était d’avis que Mme Green avait un sérieux problème à décoder, c.-à-d. à aller du phonème au symbole ou vice versa, pour arriver au sens; que ses résultats globaux étaient faibles, et qu’on n’y trouvait aucun facteur compensatoire. Il a déclaré que son apprentissage serait très lent parce qu’elle ne connaissait pas du tout le français et qu’elle devrait commencer ses cours à la première leçon.

[17]      En dépit du pronostic défavorable, la CEI a nommé Nancy Green gestionnaire intérimaire (PM-6) de l’Équité en matière d’emploi le 8 janvier 1988.

[18]      Nancy Green et la CEI ont procédé à l’examen de la possibilité qu’elle souffre d’un trouble d’apprentissage. Des mesures ont été prises pour la faire examiner, les 7 et 10 mars 1988, par le Dr Berenice Mandelcorn, une psychologue agréée pratiquant à Toronto. Celle-ci a présenté son évaluation psychopédagogique le 24 mars 1988. Dans son rapport, elle souligne que Nancy Green lui avait été référée à sa demande, car elle avait besoin de connaître son potentiel pour apprendre le français en vue d’une promotion.

[19]      Le Dr Mandelcorn a constaté que Nancy Green était très intelligente et présentait bien, et qu’elle jouissait d’un potentiel intellectuel dans la moyenne élevée. Elle avait toutefois de la difficulté à réaliser son potentiel à cause d’un trouble d’apprentissage particulier, la dyslexie dans le traitement des informations auditives, c.-à-d. les aptitudes concernant la discrimination auditive, la mémorisation auditive mécanique et la mémorisation auditive séquentielle. Le Dr Mandelcorn a constaté qu’elle s’était remarquablement débrouillée malgré ce trouble d’apprentissage et qu’elle avait créé des stratégies compensatoires en utilisant ses capacités linguistiques et ses facultés visuelles. Elle a ajouté que la persévérance et la détermination remarquables de Nancy Green l’avaient bien servie.

[20]      Selon le Dr Mandelcorn, Nancy Green était douée pour les études. Étant donné son potentiel élevé, ses compétences linguistiques et son style d’apprentissage, elle a conclu que tout indiquait qu’elle pouvait apprendre le français avec succès. Toutefois, elle avait besoin de certaines adaptations pour atteindre son potentiel, c.-à-d. des cours particuliers sans délai fixe, beaucoup de contexte et la possibilité d’utiliser ses points forts et ses stratégies bien structurées. Le Dr Mandelcorn a fait remarquer que comme elle avait un excellent potentiel et qu’elle était très déterminée, elle pouvait réussir dans presque tous les domaines.

[21]      Voici la recommandation du Dr Mandelcorn :

[traduction] Comme Mme Green souffre de dyslexie, elle ne peut apprendre le français de la façon habituelle. Elle requiert donc certaines adaptations pour atteindre son but. Ces adaptations consistent en une direction individualisée, beaucoup de contexte, l’absence de délai fixe, et l’occasion d’utiliser ses points forts sur le plan linguistique et sur le plan du décodage visuel. [Dossier des défenderesses, vol. II, aux p. 266 et 267; non souligné dans l’original.]

[22]      Le 18 avril 1988, le directeur du personnel de la CEI à Toronto a transmis le rapport du Dr Mandelcorn à Mme Vera McLay, directrice du Secrétariat des langues officielles de la Direction générale des programmes de dotation de la CFP à Ottawa. Sous l’intitulé « Demande de traitement spécial », Norm Button écrivait ceci :

[traduction] Je crois que cette situation est fort inhabituelle, notamment dans le contexte de l’engagement très sérieux de la CEI en matière d’équité dans l’emploi et de la nature du poste pour lequel Mme Green s’est qualifiée, sauf sous l’aspect linguistique. Il est clair qu’il n’est pas approprié en l’instance de dispenser la candidate des exigences linguistiques du poste. De plus, il ne semble pas être nécessaire de prolonger la période de dispense aux fins de la formation linguistique. Pourtant, il s’agit des seules options qui sont offertes aux ministères, du moins dans le Manuel de gestion du personnel, volume 6, chapitre 8-4.

Il m’apparaît clairement qu’il faut trouver un moyen de permettre à Mme Green de recevoir la formation linguistique dont elle a besoin. Il pourrait s’agir d’une méthode de formation différente et, selon la méthode, de la période de temps requise pour les cours.

Compte tenu de ce que nous savons maintenant de ses capacités, je suis convaincu que vous serez d’accord avec nous que cette affaire nous offre une excellente occasion à tous deux de réaffirmer notre engagement face aux membres des groupes cibles. [Dossier des défenderesses, vol. I, onglet 2; non souligné dans l’original.]

[23]      La réponse de Vera McLay à Norm Button se trouve au dossier des défenderesses, volume I, onglet 3. Dans sa réponse du 29 juin 1988, Mme McLay a indiqué qu’elle avait tardé à répondre parce qu’elle avait exploré toutes les possibilités permises par le Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique, DORS/81-787 (le Décret d’exclusion), l’instrument juridique autorisant la nomination de personnes unilingues à des postes bilingues. Elle a fait remarquer que le Décret d’exclusion avait été modifié en 1981, lorsque les politiques du gouvernement en matière de langues officielles avaient été modifiées pour restreindre l’accès à la formation linguistique, et donc aux postes bilingues à nomination non impérative, pour ne retenir que les candidats ayant démontré le potentiel nécessaire pour apprendre la deuxième langue officielle dans la période maximum de formation allouée par le Conseil du Trésor. Mme McLay a fait état de deux exceptions permettant de nommer certaines personnes en dépit d’un pronostic défavorable, savoir une disposition d’exemption portant sur le pronostic défavorable ou une exemption préalable à la nomination (par opposition à une exemption postérieure) pour des raisons humanitaires. Elle déclarait aussi ceci :

[traduction] La possibilité d’accorder un temps de formation linguistique illimité à un candidat dont les aptitudes sont peu élevées a été rejetée, puisque cette pratique est contraire à l’objectif principal des politiques d’accès révisées du gouvernement, savoir de rendre la formation linguistique plus rentable. [Non souligné dans l’original.]

[24]      Dans cette lettre, Mme McLay a d’abord discuté des critères permettant d’utiliser les deux exemptions, pour conclure que Nancy Green ne pouvait malheureusement y satisfaire. Elle indiquait toutefois que l’exemption pour raisons humanitaires avait semblé de prime abord plus envisageable. Mme McLay a ajouté que l’exemption pour des raisons humanitaires avant la nomination permet de s’assurer que l’obligation de faire preuve de l’aptitude ne créera pas un obstacle systémique à la nomination de personnes souffrant d’un handicap physique (ou, moins fréquemment, d’une déficience mentale). À ce sujet, elle a déclaré que le rôle de la CFP est de déterminer si la déficience du candidat l’empêche de démontrer qu’il possède une aptitude suffisante (par exemple, les cas de surdité, de cécité et autres).

[25]      Mme McLay a tenu à rappeler à M. Button que les programmes établis en 1981 par le gouvernement concernant les langues officielles et le Décret d’exclusion concernant les langues officielles n’avaient jamais eu pour objet de dispenser un candidat en raison d’un faible degré d’aptitude. Elle a insisté sur ce point parce que certaines personnes sont d’avis que, parce qu’un faible degré d’aptitude peut être considéré comme un genre de trouble d’apprentissage, il faudrait l’ajouter à la liste des déficiences justifiant une exemption. Elle a déclaré que le SCT et la CFP ne sont ni l’un ni l’autre de cet avis, ajoutant que le fait que certains définissent un faible degré d’aptitude comme un trouble d’apprentissage n’est pas pertinent, car la question est l’intention des programmes gouvernementaux. Elle a déclaré que l’examen détaillé du cas de Mme Green par la CFP ne révèle aucune déficience qui justifierait une exemption, ajoutant que le rapport de la psychologue confirme tout simplement les résultats du processus d’orientation, savoir que Mme Green a un faible degré d’aptitude à l’apprentissage d’une langue seconde (ou, dans les termes de la psychologue, un trouble d’apprentissage des langues).

[26]      Après avoir exprimé ce point de vue, Vera McLay a déclaré que la faible aptitude à la discrimination auditive de Nancy Green pourrait peut-être répondre aux critères fixés par la Commission pour justifier une exemption. Elle conclut toutefois que :

[traduction] Une mauvaise discrimination auditive n’est pas en soi un motif d’exemption, mais elle peut parfois indiquer un handicap plus grave susceptible de constituer un motif suffisant. Les résultats du test d’audition subi par Mme Green indiquent toutefois qu’elle ne souffre pas d’un tel handicap.

[27]      Le résultat de la lettre de Vera McLay était que le Ministère n’était pas autorisé à maintenir Nancy Green sur la liste d’admissibilité pour la nomination. Elle ajoutait en terminant qu’un pronostic défavorable indique tout simplement que la personne a besoin d’une plus longue période de formation linguistique que la période maximale autorisée aux frais du gouvernement pour l’atteinte du niveau cible, et que Nancy Green obtiendrait peut-être un pronostic favorable pour un niveau cible inférieur, ou qu’elle pourrait suivre, dans ses temps libres, suffisamment de cours de langue pour obtenir un pronostic favorable dans le processus d’orientation la prochaine fois qu’elle postulerait un poste bilingue.

[28]      Malgré cette réponse négative, Nancy Green et son Ministère ne se sont pas avoués vaincus.

[29]      Le directeur régional de la région de l’Ontario à la CEI a écrit au directeur exécutif le 20 juillet 1988, contestant l’interprétation donnée à un « trouble d’apprentissage » par Vera McLay, étant donné qu’elle ne tenait pas compte du fait que l’utilisation du test diagnostique normal dans un tel cas pouvait ne pas atteindre son objectif, qui est de déterminer l’aptitude d’un candidat. De la même façon qu’un test enregistré ne peut permettre une évaluation équitable et correcte des compétences d’une personne qui a une déficience auditive, le test diagnostique normal pouvait ne pas permettre l’évaluation correcte des compétences d’une personne ayant un trouble d’apprentissage. (Dossier des défenderesses, vol. I, onglet 4.)

[30]      Le directeur général de la région de l’Ontario ajoutait que dans le cas de Nancy Green, il semblait y avoir diverses options pour accommoder sa déficience, notamment la modification du format du test diagnostique afin qu’il tienne compte de sa déficience; ne pas lui imposer l’exigence de réussir le test; et/ou modifier les méthodes d’enseignement de la langue et/ou les délais pour assurer un niveau de formation efficace et adéquat. Il ajoutait que selon le Dr Mandelcorn, des méthodes de formation différentes lui permettraient probablement d’apprendre une seconde langue, étant donné qu’elle avait démontré sa capacité d’adapter ses compétences d’apprentissage dans d’autres domaines.

[31]      Dans sa réponse du 4 août 1988, le directeur exécutif a souligné essentiellement que la question des limites imposées à l’accès à la formation linguistique était de la compétence exclusive du CT. Or, lorsque ce dernier a révisé ses politiques gouvernant l’accès en octobre 1981 pour les rendre plus rentables, il a affirmé que tous les candidats retenus ayant besoin de formation linguistique devaient avoir démontré leur potentiel d’apprendre la deuxième langue officielle dans le délai imparti. Il a fait remarquer que Nancy Green n’était pas un cas unique et que, chaque année depuis 1981, il y avait eu en moyenne 280 candidats « compétents par ailleurs » qui n’avaient pu être nommés pour la même raison. Il a déclaré qu’au fil des ans, on avait essayé, tant à la Direction générale qu’à la Commission, de sensibiliser le SCT à l’incidence négative et à la perception d’inégalité que suscitaient ces politiques gouvernant l’accès. Il a déclaré qu’au fil des ans, les plaintes avaient diminué, étant donné que les ministères [traduction] « avaient soit accepté la politique, soit trouvé des moyens pratiques de s’adapter aux règles d’accès (je crois savoir que Vera a discuté de certains de ces moyens avec vous) ». En conclusion, il a déclaré que ces moyens n’étaient plus disponibles dans le cas de Nancy Green.

[32]      La correspondance consignée au dossier des défenderesses indique que la CEI a continué à chercher une solution au problème de Nancy Green, y compris la décision en octobre 1988 de retenir les services du Dr Ford.

[33]      La CEI a alloué des ressources pour permettre à Nancy Green de suivre des cours de langue en dehors des heures de travail. Nancy Green a suivi deux programmes d’enseignement du français, savoir des cours privés de septembre à décembre 1988, et les cours du soir de la CFP pendant à peu près quatre mois au début de 1989.

[34]      En décembre 1988, Nancy Green a reçu confirmation de la cessation de ses fonctions de gestionnaire intérimaire de l’Équité en matière d’emploi et du fait que sa candidature n’était pas retenue parce qu’elle ne pouvait satisfaire aux exigences linguistiques. Malgré la recommandation d’un comité d’appel de la CFP en février 1988 qu’un nouveau concours soit lancé pour le poste, celui-ci a été comblé par la nomination d’un employé excédentaire.

[35]      En février 1989, Nancy Green a été nommée conseillère industrielle (PM-5) dans le Service d’adaptation de DRHC. Elle est toujours au même niveau.

[36]      Les choses n’en sont pas restées là. À l’été 1989, le Dr W. G. Ford a examiné Nancy Green à la demande de la CEI. Le 18 septembre 1989, le Dr Ford a présenté un rapport d’évaluation linguistique (dossier des défenderesses, vol. II, onglet 48), suite à l’objectif qu’on lui avait fixé de [traduction] « fournir une évaluation indépendante quant à savoir si elle possède la capacité et le potentiel requis pour apprendre le français comme langue seconde. On lui demandait aussi son avis quant à la nature et à la quantité de formation en français dont Mme Green avait besoin ». (Non souligné dans l’original.)

[37]      Dans son rapport, le Dr Ford a fait remarquer qu’elle avait pris des cours privés et suivi les cours du soir de la CFP, et que ses professeurs [traduction] « avaient constaté que sa capacité d’apprendre le français était supérieure à la normale et qu’elle était accompagnée d’une « grande motivation et d’un travail acharné » ». Le Dr Ford a aussi souligné que Nancy Green n’avait eu aucune formation structurée en français depuis qu’elle avait suivi les cours de base de français à l’école secondaire, il y avait plus de vingt ans.

[38]      Le Dr Ford avait accès à l’évaluation faite en mars 1988 par le Dr Mandelcorn. Il a évalué les capacités d’apprentissage des langues de Nancy Green principalement en français et évalué ses compétences en matière de communication orale, de lecture et de rédaction. S’agissant du niveau de connaissance et de compétence de Nancy Green en français, le Dr Ford a conclu qu’elle se situait au niveau d’un débutant avancé. Il a également souligné qu’il y avait des points forts dans sa capacité à comprendre ce qu’on lui disait et à lire.

[39]      Le Dr Ford a constaté que Nancy Green souffrait d’une forme de « dyslexie », une [traduction] « manifestation assez classique d’un trouble d’apprentissage fondé sur la mémoire, qui affecte au départ la mémorisation auditive mécanique, notamment la relation entre le phonème et le symbole, et la mémorisation auditive séquentielle ». (Non souligné dans l’original.) Il a souligné que la mémoire auditive séquentielle facilite l’apprentissage du décodage phonétique et de la prononciation. Il a fait remarquer que la recherche linguistique et pédagogique en matière d’enseignement d’une langue seconde démontre que les apprenants souffrant de ce trouble d’apprentissage ont des difficultés à traiter les composantes auditives lorsqu’ils apprennent leur langue maternelle ou une langue seconde. Il a ajouté que la recherche actuelle démontre que la capacité d’une personne souffrant de ce trouble d’apprentissage à maîtriser une langue seconde, au niveau de la conversation et de la grammaire, n’est pas diminuée et que le choix des instruments visant à déterminer le potentiel d’une personne à apprendre une langue seconde est un facteur critique lorsqu’il s’agit d’examiner une personne souffrant de dyslexie. En effet, comme il est évident que la personne en cause aura de la difficulté à distinguer les éléments et les séquences auditives et à s’en souvenir lorsqu’elles seront présentées isolément et sans un contexte valable, on ne peut prédire correctement sa capacité et son potentiel face à l’apprentissage d’une langue seconde. Il concluait :

[traduction] […] les tests actuellement utilisés par la Direction générale des programmes de formation de la Commission de la fonction publique pour déterminer le potentiel d’apprentissage d’une langue seconde sont discriminatoires à l’égard de personnes ayant des troubles d’apprentissage (comme Mme Green) et ils ne permettent pas de déterminer de façon valable leur vrai potentiel d’apprendre une langue seconde. [Dossier des défenderesses, vol. II, onglet 48, p. 282.]

[40]      En 1995, le Dr Ford a examiné et évalué Nancy Green de nouveau. C’est le SCT qui avait demandé au Dr Ford de réévaluer Nancy Green, afin d’identifier la façon la plus efficace de lui offrir la formation et d’exprimer une opinion quant à ses chances de réussite dans ce contexte. Selon les constatations du Dr Ford, il y avait lieu de considérer que Nancy Green était une apprenante exceptionnelle, dont le profil cognitif était caractérisé par un très bon raisonnement abstrait et par des compétences linguistiques mises en échec par un trouble d’apprentissage lié à la mémorisation auditive mécanique. Elle avait toutefois développé un arsenal de stratégies compensatoires efficaces pour faciliter sa compréhension de nouvelles matières et lui permettre de se souvenir des renseignements communiqués. Selon le Dr Ford, il y avait lieu de considérer que Nancy Green était candidate à un apprentissage de la langue française qui utilisait une approche globale, dynamique et de conversation, vu sa déficience, qui était incompatible avec une approche pédagogique où l’apprentissage est surtout lié à l’utilisation de la mémorisation auditive mécanique. Le Dr Ford a présenté des recommandations précises quant aux meilleures stratégies de formation pour Nancy Green.

[41]      Le 4 septembre 1989, Nancy Green a saisi la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) de deux plaintes. La première, qui vise le Conseil du Trésor, allègue que ce dernier a commis ou commet des actes discriminatoires, « à peu près à partir du mois d’octobre 1981 », par suite d’une déficience, ce qui est contraire à la Loi. Nancy Green ajoute les détails suivants (voir le dossier des défenderesses, vol. I, onglet 18) :

[traduction] Le Conseil du Trésor a exercé une discrimination contre moi et les personnes de la même catégorie que moi en fixant une ligne de conduite susceptible d’annihiler nos chances d’emploi et d’avancement à cause d’une déficience (la dyslexie dans le traitement des informations auditives) et ce, en contravention de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le défendeur a adopté une ligne de conduite qui restreint l’accès à la formation linguistique et en vertu de laquelle tous les candidats retenus qui ont besoin de cours de langue doivent démontrer qu’ils ont le potentiel requis pour apprendre la langue seconde dans le délai imparti.

À cause de mon trouble d’apprentissage, je n’ai pu satisfaire aux exigences applicables pour obtenir la formation en français.

Par suite de cette décision, je n’ai pu être nommée à un poste (PM-6) bilingue à nomination non impérative pour lequel j’étais par ailleurs compétente.

Le défendeur n’a pas tenu compte des besoins de ses employés lorsqu’il a rédigé cette politique. [Non souligné dans l’original.]

[42]      La deuxième plainte de Nancy Green, qui vise la CFP, allègue que celle-ci a commis des actes discriminatoires le 30 décembre 1987 et le 5 janvier 1988, ou vers ces dates, par suite d’une déficience, ce qui est contraire à la Loi. Les détails fournis portent que :

[traduction] La Commission de la fonction publique du Canada a exercé une discrimination à mon égard en me défavorisant dans la fourniture de services à cause d’une déficience (la dyslexie dans le traitement des informations auditives), en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[43]      Le 30 novembre 1989, certains détails de la plainte visant la CFP ont été modifiés :

[traduction] La Commission de la fonction publique du Canada a exercé une discrimination à mon égard en me défavorisant dans la fourniture de services à cause d’une déficience (la dyslexie dans le traitement des informations auditives), en contravention de l’article 7 de la LCDP.

Je suis devenue une employée du gouvernement du Canada le 2 novembre 1975 et j’occupe présentement un poste de PM-5 à la Commission de l’emploi et de l’immigration.

Le 1er janvier 1987, j’ai posé ma candidature à un poste de PM-6—gestionnaire du Service de counselling, Équité en matière d’emploi au gouvernement fédéral. J’ai dû me soumettre à un certain nombre de tests et d’entrevues, suite à quoi j’ai été un des candidats retenus. Toutefois, je devais, à l’instar de deux autres candidats, soit répondre aux exigences linguistiques de base, savoir la connaissance de l’anglais et du français, soit être visée par le Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique, étant donné que le poste à combler était désigné comme bilingue à nomination non impérative.

Le 5 janvier 1988, la défenderesse m’a informée qu’elle était arrivée à un pronostic négatif au sujet de ma capacité à apprendre le français. Étant donné ce pronostic négatif, mon nom n’a pas été placé sur la liste d’admissibilité pour le poste de PM-6.

Cette situation est attribuable à une dyslexie qui restreint ma capacité à traiter une langue que je ne connais pas.

Le 10 février 1989, j’ai formé un appel devant un comité d’appel de la Commission de la fonction publique. Le comité d’appel a accueilli mon appel le 21 février 1989.

[…]

Je soutiens que les résultats du test d’aptitude ne reflètent pas mon potentiel de façon équitable. De plus, la défenderesse ne tient pas compte des besoins individuels de ses clients en matière de tests linguistiques. [Dossier des défenderesses, p. 206; non souligné dans l’original.]

C.        LA LÉGISLATION APPLICABLE

a)         La Loi canadienne sur les droits de la personne

[44]      Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne portent sur son objet (article 2 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9]), les motifs de distinction illicites (article 3 [mod. par L.C. 1996, ch. 14, art. 2]), ce qui constitue un acte ou une ligne de conduite discriminatoire (articles 7 et 10), les exceptions aux actes discriminatoires (article 15 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 10]), la définition de la déficience (article 25), de même que les pouvoirs du tribunal (article 53 [mod., idem, art. 27]). Certaines de ces dispositions ont été modifiées depuis que le tribunal a rendu sa décision. Voici leur libellé actuel :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[…]

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[…]

25. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

«déficience » Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

[…]

53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

b)         La Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]

[45]      L’article 16 constate l’existence des langues officielles du Canada et l’article 20 traite de la communication entre les membres du public et les institutions fédérales :

16. (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

[…]

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

c)         La Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] (LLO)

[46]      La partie IV de la LLO s’intitule « Communications avec le public et prestation des services », la partie V porte sur la langue de travail, la partie XIII impose au Conseil du Trésor des obligations en matière de langues officielles, et la partie XI contient des dispositions générales comme celle établissant la primauté de la LLO sur les autres lois (article 82) et celle sur la dotation en personnel (article 91). Voici le libellé des articles pertinents de la partie IV (articles 21 et 22), de la partie V (articles 34 et 35), de la partie VIII (article 46), ainsi que des articles 82 et 91 de la LLO :

21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services conformément à la présente partie.

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux—auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services—situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

[…]

34. Le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d’utiliser, conformément à la présente partie, l’une ou l’autre.

35. (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que :

a) dans la région de la capitale nationale et dans les régions ou secteurs du Canada ou lieux à l’étranger désignés, leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre;

b) ailleurs au Canada, la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine.

(2) Les régions du Canada énumérées dans la circulaire no 1977-46 du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique du 30 septembre 1977, à l’annexe B de la partie intitulée « Les langues officielles dans la Fonction publique du Canada : Déclaration de politiques », sont des régions désignées aux fins de l’alinéa (1)a).

[…]

46. (1) Le Conseil du Trésor est chargé de l’élaboration et de la coordination générales des principes et programmes fédéraux d’application des parties IV, V et VI dans les institutions fédérales, à l’exception du Sénat, de la Chambre des communes et de la bibliothèque du Parlement.

(2) Le Conseil du Trésor peut, dans le cadre de cette mission :

a) établir des principes d’application des parties IV, V et VI ou en recommander au gouverneur en conseil;

b) recommander au gouverneur en conseil des mesures réglementaires d’application des parties IV, V et VI;

c) donner des instructions pour l’application des parties IV, V et VI;

d) surveiller et vérifier l’observation par les institutions fédérales des principes, instructions et règlements — émanant tant de lui-même que du gouverneur en conseil — en matière de langues officielles;

e) évaluer l’efficacité des principes et programmes des institutions fédérales en matière de langues officielles;

f) informer le public et le personnel des institutions fédérales sur les principes et programmes d’application des parties IV, V et VI;

g) déléguer telle de ses attributions aux administrateurs généraux ou autres responsables administratifs d’autres institutions fédérales.

[…]

82. (1) Les dispositions des parties qui suivent l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux :

a) partie I (Débats et travaux parlementaires);

b) partie II (Actes législatifs et autres);

c) partie III (Administration de la justice);

d) partie IV (Communications avec le public et prestation des services);

e) partie V (Langue de travail).

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la Loi canadienne sur les droits de la personne ni à ses règlements.

[…]

91. Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.

d)         Le Règlement sur les langues officielles— communications avec le public et prestation des services [DORS/92-48]

[47]      Ce règlement du gouverneur général en conseil, pris en vertu de l’article 32 de la LLO, date de 1991. Il définit les concepts de population de minorité francophone ou anglophone et celui de demande importante. Il contient aussi d’autres dispositions qu’il n’est pas nécessaire de mentionner ici.

e)         La Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33] (LEFP)

[48]      L’article 10 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10] de la LEFP prévoit que les nominations à des postes de la fonction publique du Canada se font au mérite, et l’article 12 [mod., idem, art. 11] autorise la Commission de la fonction publique à fixer des normes non discriminatoires :

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

[…]

12. (1) Pour déterminer, conformément à l’article 10, les principes de la sélection au mérite, la Commission peut fixer des normes de sélection et d’évaluation touchant à l’instruction, aux connaissances, à l’expérience, à la langue, au lieu de résidence ou à tout autre titre ou qualité nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature des fonctions à exécuter et des besoins, actuels et futurs, de la fonction publique.

(2) Ces normes ne peuvent être incompatibles avec les normes de classification fixées sous le régime de la Loi sur la gestion des finances publiques.

(3) Dans la formulation ou l’application de telles normes, la Commission ne peut faire intervenir de distinctions fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(4) Le paragraphe (3) ne s’applique pas à la formulation ou à l’application de normes dont les exigences sont justifiées par la nature des fonctions d’un poste.

(5) Sur demande ou lorsqu’elle le juge utile, la Commission consulte les représentants du Conseil du Trésor ou de toute organisation syndicale accréditée comme agent négociateur au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour fixer, conformément au paragraphe (1), les normes ou les principes régissant les promotions, la mise en disponibilité ou les nominations prioritaires.

D.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[49]      Le tribunal a conclu à la discrimination fondée sur la déficience et au fait que l’obligation d’accommodement n’a pas été remplie, et il a ordonné une série importante de réparations. Voici les conclusions et déductions auxquelles le tribunal est arrivé.

[50]      Le tribunal a conclu que la conseillère en orientation de la CFP, Françoise Thexton, avait dit à Nancy Green à l’entrevue qu’elle croyait qu’elle pouvait souffrir d’un trouble d’apprentissage. C’était la première fois qu’on signalait à Mme Green qu’elle pouvait avoir un tel problème.

[51]      Le tribunal a conclu que le Dr Mandelcorn a diagnostiqué Nancy Green comme « souffrant d’un trouble d’apprentissage particulier—“la dyslexie dans le traitement des informations auditives, c’est-à-dire les aptitudes concernant la discrimination auditive, la mémorisation auditive mécanique et la mémorisation auditive séquentielle” ». (Décision du tribunal, page 5 [paragraphe 24].)

[52]      Le tribunal a conclu que presque tout de suite après avoir reçu le rapport du Dr Mandelcorn et le diagnostic précisant le trouble d’apprentissage dont souffrait Nancy Green, son Ministère a commencé à prendre des mesures pour faciliter son inscription au programme d’apprentissage d’une langue seconde malgré le pronostic défavorable. Toutes ces démarches étaient fondées sur l’acceptation du diagnostic du Dr Mandelcorn concernant le trouble d’apprentissage dont souffrait Nancy Green.

[53]      Le tribunal a conclu que le Ministère n’avait pas réussi à communiquer cette acceptation au personnel de la CFP, qui était d’avis que le processus d’orientation et les tests d’aptitude linguistique en particulier indiquaient tout simplement un faible degré d’aptitude à l’apprentissage d’une langue seconde, ce qui expliquait le pronostic défavorable. Il a conclu que la CFP n’avait tenu compte ni du rapport du Dr Mandelcorn, ni du diagnostic de trouble d’apprentissage, les considérant simplement comme une autre façon de dire que Nancy Green avait un faible degré d’aptitude à l’apprentissage d’une langue seconde. (Décision du tribunal, pages 4 à 6 [paragraphes 22 à 29].)

[54]      Le tribunal a renvoyé au diagnostic du Dr Ford de septembre 1989, attirant l’attention sur son témoignage portant « qu’en peu de temps, Nancy Green a acquis une compétence d’un niveau correspondant à celui d’un élève de 5e à la 7e année sur le plan de la lecture, de l’écriture et de la communication verbale en français ». Le tribunal a conclu que, grâce à sa capacité d’apprendre le français, Nancy Green était passée de l’ignorance totale du français au niveau d’un élève de 5e à la 7e année pendant la période de ses cours à temps partiel de français en 1988 et 1989. (Décision du tribunal, page 6 [paragraphe 28].)

[55]      Le tribunal a constaté que l’exigence de bilinguisme faisait partie des compétences liées au poste de PM-6 pour lequel Nancy Green s’était classée première, mais auquel elle ne pouvait être nommée si le pronostic défavorable la rendait non admissible à une participation aux cours à temps plein lui permettant de devenir bilingue.

[56]      Le tribunal a ensuite analysé le droit et présenté son analyse. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, il a conclu que la Loi et ses dispositions interdisant la discrimination fondée sur une déficience devaient être interprétées au vu de leur objectif et de façon juste, large et libérale, la plus propre à assurer la réalisation de ses objets. Le tribunal a cité l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, pour réitérer que la législation sur les droits de la personne était spéciale, bien que non constitutionnelle.

[57]      Le tribunal a adopté la définition de la discrimination contenue dans l’arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, aux pages 1234 et 1235 :

[…] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. [Non souligné dans l’original.]

[58]      À la page 10 [paragraphe 47] de sa décision, le tribunal a distingué la discrimination directe de la discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable. Citant l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 505, il a déclaré qu’il y a discrimination directe « lorsqu’un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé ». La discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable « se produit lorsqu’un employeur adopte, pour des raisons d’affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s’applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d’employés en ce qu’elle leur impose, en raison d’une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d’employés, des obligations et des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés ».

[59]      Renvoyant aux motifs du juge Wilson dans l’arrêt Alberta Dairy Pool, précité [aux pages 506 et 507], le tribunal indique qu’elle a ajouté la précision suivante : « [u]ne condition d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer », ajoutant que la règle de travail à laquelle s’applique l’obligation d’accommodement n’a pas besoin d’être « raisonnablement nécessaire », c’est-à-dire qu’elle soit une EPN, mais qu’il importe seulement qu’elle soit « une condition ou […] une règle qui est raisonnablement liée à l’exécution des fonctions ».

[60]      Le tribunal a ensuite abordé la question de la norme et du fardeau de la preuve. Il a déclaré que les parties ont convenu que, dans un cas de cette nature, il incombe au plaignant de faire la preuve suffisante [à la page 10, paragraphe 51] « jusqu’à preuve contraire de l’existence de discrimination selon toute probabilité ». Dans le cas de la discrimination indirecte, une fois que le plaignant a établi l’existence de discrimination jusqu’à preuve contraire, c’est au défendeur qu’incombe le fardeau de prouver l’accommodement.

[61]      Le tribunal a accepté la définition d’une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire donnée dans l’arrêt O’Malley, précité, savoir [à la page 558] :

[…] la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

[62]      Dans son analyse, le tribunal a constaté qu’avant de commencer les cours à temps plein, les candidats doivent faire l’objet d’une évaluation de leur aptitude linguistique visant à déterminer leur capacité de suivre avec succès le programme d’apprentissage de la langue seconde. Il a ajouté que, dans ce contexte, il devait examiner avec soin les tests d’aptitude linguistique utilisés au cours du processus d’orientation. Citant le témoignage de Mme Thexton, voici comment le tribunal a décrit ces tests en détail aux pages 13 et 14 [paragraphes 62 et 63] de sa décision :

TALV

i)               Apprentissage des nombres

- phonèmes de la langue kurde

- vérifie la mémoire à court terme des phonèmes entendus

- très rapidement

- exige la capacité d’établir des séries grâce à ses aptitudes auditives

ii)    Transcription phonétique

- phonèmes entendus dans une langue phonétique conçue expressément pour le test

- mesure la capacité d’associer des phonèmes et des symboles

- exige la capacité de se souvenir de phonèmes n’ayant pas de sens connu

iii)   Indices orthographiques

- mesure l’association de phonèmes et de symboles auxquels un sens est ajouté

- test à très grande vitesse

iv)   Mots dans des phrases

- mesure la sensibilité à la structure grammaticale

- exige une compréhension intuitive de la grammaire

v)   Association de couples

- phonèmes de la langue kurde

- mesure la mémoire à court terme et la mémoire sélective

- exercice à fondement visuel comportant l’association de phonèmes du kurde au sens   qu’ils ont dans la langue anglaise.

Ces tests font l’objet d’une pondération aux fins de l’établissement du score final; les troisième et quatrième parties ont une valeur supérieure dans la notation.

TEST PIMSLEUR (subtests 5 et 6 seulement)

5)   - test de discrimination des phonèmes (plus précisément du ton,

- se fait au moyen d’une langue africaine.

6)   - test de codage et d’association de phonèmes et de symboles,

- on utilise des mots qui ne veulent rien dire.

[63]      Après cette description, le tribunal a conclu (aux pages 14 et 15 [paragraphes 64 à 67]) :

Comme nous l’avons signalé ci-dessus, les tests semblent être centrés principalement sur la mémoire auditive séquentielle et l’association de phonèmes et de symboles. Le Dr Ford, le psychologue qui a administré la première, ainsi que la deuxième série de tests en 1995 à Mme Green, et qui a présenté un témoignage d’expert au sujet des troubles d’apprentissage et plus précisément de celui dont souffre la plaignante, a trouvé à redire aux tests d’aptitude linguistique qui donnent une définition très étroite de l’aptitude relativement à la mémoire auditive séquentielle. La définition de l’aptitude, je crois, est très limitée, donc restreinte et discriminatoire envers les personnes souffrant d’une déficience dans le traitement des informations auditives. (Transcription, à la page 686.) Il mentionne dans son témoignage que les personnes atteintes d’un trouble d’apprentissage se créent souvent des stratégies compensatoires, qui les ralentissent en situation de test ou d’apprentissage de nouvelles connaissances. (Transcription, à la page 680.) Il ajoute qu’une personne atteinte d’un trouble d’apprentissage peut même ignorer qu’elle utilise une stratégie compensatoire.

Dans ses évaluations de Mme Green, le Dr Ford laisse entendre que les stratégies compensatoires que celle-ci a créées à son insu comprennent l’éclaircissement des connaissances qui lui sont communiquées, la répétition et l’application de beaucoup de soin à l’exécution de son travail.

Le Dr Ford mentionne dans son témoignage que ces stratégies se révèlent très efficaces dans les cas où le temps n’est pas un élément essentiel […] il peut s’agir d’acquérir de nouvelles connaissances ou d’appliquer ses connaissances existantes au règlement de problèmes (sic). Il précise que dans les situations d’acquisition de nouvelles connaissances, il faut plus de temps pour appliquer des stratégies compensatoires, que lorsqu’il s’agit de coordonner ou d’appliquer des informations acquises, il ne faut pas une somme excessive ou supérieure de temps additionnel et que, pour acquérir de nouvelles connaissances, la personne qui peut utiliser une stratégie peut aussi réduire le temps nécessaire. (Transcription, pages 680 et 681.)

Selon le témoignage du Dr Ford, Mme Green aurait créé des stratégies lui permettant d’apprendre jusqu’à un certain point, si bien qu’elle ignorait l’existence de sa déficience ou de ces stratégies avant son évaluation de 1988. [Non souligné dans l’original.]

[64]      Le tribunal a ensuite cité une partie du témoignage de M. Denis Petit, un témoin cité à comparaître par la CFP, dans lequel il décrit les tests d’aptitude linguistique de la façon suivante [à la page 16, paragraphe 73] : « ce n’est pas un test linguistique comme tel. C’est un test d’aptitude, un test qui évalue les capacités ou les aptitudes des clients à atteindre ». Le tribunal a dit que M. Petit avait aussi signalé que le TALV, de même que les parties du test Pimsleur qui ont été utilisées [à la page 16, paragraphe 74] :

… étudie les sons, la perception des sons, la compréhension des sons, distinction lorsqu’on parle des langues comme ça … de discrimination des sons … de vérifier l’acuité auditive des candidats, la discrimination auditive qu’on appelle, possibilité de reconnaître divers sons … capacités des candidats à l’encodage, décodage … la capacité, la réaction à la grammaire … d’identifier les fonctions d’une phrase … vise à évaluer la mémoire photographique, mémoire à court terme.

[65]      Le tribunal a ensuite décrit le témoignage du Dr Georges Sarrazin, un psychologue agréé en Ontario et au Québec qui est professeur titulaire de psychologie à l’Université d’Ottawa et qui a été cité à comparaître par le gouvernement à titre d’expert dans le domaine de la construction, l’élaboration et la notation des tests, et de la mesure et l’évaluation des résultats des tests. Dans son témoignage, il a donné son opinion et abordé tous les aspects des tests utilisés par la CFP pour choisir les candidats à l’apprentissage d’une langue seconde. À la page 17 [paragraphe 78] de sa décision, le tribunal a cité le Dr Sarrazin, qui déclare que le TALV a été conçu principalement « pour indiquer le degré probable de réussite d’une personne dans l’apprentissage d’une langue étrangère, selon ce qui figure dans l’introduction du guide concernant ce test ». Il cite ensuite l’avis du Dr Sarrazin que le test est aussi utile « pour déterminer les difficultés et que chacun des subtests permet de définir les déficiences ». Le tribunal a mentionné que le Dr Sarrazin conclut que non seulement ce test permet-il d’établir un pronostic de succès, mais il peut aussi servir, en tant qu’instrument de diagnostic, à signaler aux enseignants les besoins particuliers d’un élève, le cas échéant.

[66]      Le tribunal a renvoyé à une série d’articles, rassemblés par le Dr Sarrazin et présentés en preuve, dans le but de faire un survol de l’histoire du TALV, notamment de sa validité et son évolution. À la page 17 [paragraphe 79] de sa décision, le tribunal conclut :

Même s’il est d’avis que le TALV est le meilleur prédicteur du succès qu’obtiendra une personne lorsqu’il s’agit d’apprendre une langue seconde dans un délai restreint, certains des auteurs des articles cités dans sa preuve ne semblent pas partager son opinion.

[67]      Après avoir cité de longs extraits des divers articles, le tribunal a ajouté que le créateur du TALV « a inscrit la capacité de codage phonétique, la sensibilité à la structure grammaticale et la capacité inductive parmi les variables prédictives de la réussite dans l’apprentissage d’une langue étrangère à l’intérieur d’un délai. Le TALV est fondé sur ces mêmes capacités ». (Décision du tribunal, à la page 18 [paragraphe 85].)

[68]      Ayant conclu que le processus d’orientation a été créé par la CFP, à qui l’application de la politique du Conseil du Trésor sur l’apprentissage d’une langue seconde a été confiée, le tribunal a conclu à la page 18 [paragraphe 86], que : « La partie des tests d’aptitude linguistique semble toutefois la plus pertinente pour les candidats éventuels au programme de formation linguistique. Les résultats qu’obtient le candidat dans son test est un élément décisif de l’autorisation de suivre le cours ».

[69]      À la page 18 [paragraphe 87], le tribunal conclut : « À première vue, les tests sont construits de manière à ne pas favoriser un candidat. L’utilisation du kurde et de mots qui ne signifient rien vise à mettre les candidats sur le même pied ». Il a ensuite énoncé de la façon suivante ce qu’il fallait déterminer [à la page 18, paragraphe 88] :

Il faut donc déterminer si le fait d’utiliser presque exclusivement les tests de discrimination auditive pour vérifier l’aptitude à l’apprentissage d’une autre langue n’a pas créé de la discrimination à l’endroit des personnes atteintes d’un trouble d’apprentissage et ce, particulièrement dans le domaine de la discrimination auditive. [Non souligné dans l’original.]

[70]      Le tribunal a répondu à cette question à la page 19 [paragraphes 90 à 93] :

La réponse est définitivement oui. La plaignante a présenté une preuve montrant que les tests d’aptitude linguistique servant à choisir, au cours du processus d’orientation, les personnes aptes à apprendre une langue seconde dans un délai alloué (les personnes obtenant un pronostic positif) au lieu des personnes ayant un faible degré d’aptitude à l’apprentissage de cette nature (les personnes obtenant un pronostic négatif) portent précisément sur les aptitudes que les personnes atteintes du trouble d’apprentissage connu plus particulièrement sous le nom de dyslexie dans le traitement des informations auditives ne possèdent pas.

La plaignante a-t-elle, par conséquent, fait une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire? Oui, Mme Green, qui a fait l’objet d’un diagnostic la déclarant atteinte du trouble d’apprentissage connu sous le nom de dyslexie dans le traitement des informations auditives a été victime de discrimination en milieu de travail parce qu’elle a été défavorisée à cause du trouble d’apprentissage dont elle est atteinte.

La politique sur laquelle repose cet acte discriminatoire a été établie par son employeur, le Conseil du Trésor, et a nui à ses chances d’avancement du fait qu’elle a été privée de la possibilité de suivre le programme à temps plein d’apprentissage d’une langue seconde. C’est le trouble d’apprentissage dont elle est atteinte qui l’a empêchée de présenter son aptitude à apprendre une langue seconde d’une manière correspondant à celle qui est utilisée par les autres fonctionnaires.

Le tribunal est donc d’avis que la preuve présentée est suffisante pour confirmer les prétentions de la plaignante, savoir l’existence de discrimination indirecte suivant les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. [Soulignements ajoutés.]

[71]      Après avoir tiré cette conclusion, le tribunal a entamé son analyse de l’obligation d’accommodement du gouvernement. Il a posé la question suivante [à la page 24, paragraphe 94] : « Ayant appris l’existence selon toute probabilité de discrimination indirecte, quelles mesures l’employeur a-t-il pris pour tenir compte du trouble d’apprentissage dont Mme Green était atteinte? ». Citant l’arrêt Alberta Dairy Pool, précité, aux pages 514 et 515, le tribunal fait remarquer que lorsqu’il s’agit de discrimination indirecte « le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l’emploi n’a besoin d’aucune justification; ce qui est requis est une certaine mesure d’accommodement ». Il s’est appuyé sur le même arrêt pour indiquer que c’est à l’employeur « qu’incombe le fardeau de prouver qu’il s’est efforcé de tenir compte (de la déficience, dans le cas qui nous occupe) du plaignant, sans s’imposer de contrainte excessive ». (Décision du tribunal, à la page 19 [paragraphe 95].)

[72]      Le tribunal s’est de nouveau appuyé sur l’arrêt Alberta Dairy Pool, précité, ainsi que sur l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, pour statuer que le concept de « contrainte excessive » peut comprendre la prise en considération d’éléments tels que le coût financier, la rupture d’une convention collective, les problèmes liés au moral des employés, ainsi que l’interchangeabilité du personnel et des installations. Il a ensuite longuement cité les motifs du juge Sopinka dans l’arrêt Renaud, précité, au sujet de la pondération des facteurs concernant l’employeur au regard du droit de l’employé de ne pas faire l’objet d’une discrimination. Il a ajouté qu’en l’instance, Nancy Green a appris qu’elle souffrait d’un trouble d’apprentissage après avoir subi les tests de langue.

[73]      Le tribunal a accepté le témoignage de Corrine Palmer, alors directrice intérimaire d’Équité en matière d’emploi à DRHC, qui a dit que « les responsables du Ministère étaient tenus de prendre des mesures pour vérifier les indications de Mme Green, à savoir qu’elle était atteinte d’un trouble d’apprentissage, et si elle souffrait effectivement d’une déficience susceptible d’influer sur son test diagnostique, ses tests linguistiques et, le cas échéant, d’essayer de trouver un moyen de répondre à ses besoins, selon ce qui était exigé du Ministère, en tant que ministère et employeur, par la politique sur l’Équité en matière d’emploi » (Décision du tribunal, à la page 21 [paragraphe 102].)

[74]      Le tribunal a ensuite cité de longs extraits de la correspondance que Norm Button et Vera McLay se sont échangée et il a conclu, à la page 23 [paragraphe 111] de sa décision, que « Mme McLay indique clairement dans sa lettre que la Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor sont tous deux d’avis que les troubles d’apprentissage caractérisés par un faible degré d’aptitude manifesté au cours de l’étape des tests du processus d’orientation ne devrait pas être ajouté à la liste des déficiences à prendre en considération dans l’étude d’une demande d’exemption pour des raisons humanitaires ». Il a cité M. Ricciardi, qui a précisé dans son témoignage la position officielle du Secrétariat du Conseil du Trésor portant que le Conseil du Trésor [à la page 24, paragraphe 112] « reconnaissait que la définition de la déficience comprenait les troubles d’apprentissage. Il n’a pas fourni plus d’explications sur les genres de troubles d’apprentissage à ne pas y inclure ».

[75]      Le tribunal a ensuite cité d’autres échanges de correspondance et tenu compte du fait que beaucoup d’éléments de preuve ont été présentés au sujet du coût de la formation fournie à Nancy Green par suite des recommandations du Dr Mandelcorn et de la deuxième évaluation faite par le Dr Ford, concluant toutefois que [à la page 25, paragraphe 120] « ces considérations ne se sont présentées que plusieurs années après que Nancy Green eut cessé d’exercer les fonctions de gestionnaire intérimaire dans le cadre du poste de niveau 6 de la catégorie PM [et qu’elles] sont survenues une fois que la Commission des droits de la personne a été saisie de la plainte et a entrepris des démarches en vue de comprendre la position des parties ».

[76]      Le tribunal a conclu que la preuve établissait que la question des dépenses nécessaires pour répondre aux besoins de Nancy Green n’a été envisagée ni au moment où l’on a appris qu’elle était atteinte d’un trouble d’apprentissage, ni à la suite des demandes d’accommodement présentées par le Ministère responsable. Le tribunal termine son analyse de cette question en mentionnant, à la page 25 [paragraphe 121] de sa décision, que « [l]a preuve indique clairement que les intimés, le Conseil du trésor et la Commission de la fonction publique, n’ont à peu près pas tenu compte de la situation de Mme Green ». (Non souligné dans l’original.)

[77]      Le tribunal a alors abordé la question de la discrimination systémique, pour conclure que « [l]a preuve semble indiquer un défaut de compréhension de la nature des troubles d’apprentissage et des mesures efficaces à prendre pour en tenir compte. Ce défaut de compréhension pourrait expliquer l’incapacité générale d’adapter les belles théories concernant les droits de la personne aux méthodes pratiques instaurées à tous les paliers pour les réaliser ». (Non souligné dans l’original.) (Décision du tribunal, page 30 [paragraphe 152].)

[78]      Le reste de la décision du tribunal traite des mesures correctives. Le tribunal a ordonné deux genres de mesures correctives : les mesures correctives visant la discrimination systémique et les mesures offertes à Nancy Green personnellement.

a)      Les mesures correctives visant la discrimination systémique

[79]      Le tribunal a renvoyé de nouveau aux lignes de conduite du gouvernement fédéral en matière de pratiques antidiscriminatoires. À la page 32 [paragraphe 163] de sa décision, le tribunal dit :

Si les pratiques et procédures avaient été fondées sur ces lignes de conduite, dont la plupart se présentent sous forme écrite, la plaignante n’aurait jamais porté plainte. Elles auraient permis de s’assurer que le trouble d’apprentissage dont Mme Green est atteinte était pris en considération et que celle-ci était, par conséquent, une candidate pleinement qualifiée pour occuper le poste PM-6 auquel elle a présenté sa candidature à l’automne de 1987. Cela ne s’est pas produit parce que, selon les témoignages, le personnel chargé d’interpréter la politique semblait pris dans des attitudes institutionnelles à l’égard des personnes souffrant de troubles d’apprentissage et exaspéré par un système de fonctions intersectées. [Non souligné dans l’original.]

[80]      Le tribunal a conclu que chacune des trois parties intimées devaient apprendre à « appliquer effectivement ses propres directives » et ordonné à cette fin [aux pages 32 et 33, paragraphe 164] :

1.   que le Conseil du Trésor, en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, crée à l’intention de tout son personnel, dans les six mois suivant la date de la présente décision, un programme de formation sur les mécanismes permettant de tenir compte des besoins des personnes atteintes de troubles d’apprentissage au travail.

2.   que le Conseil du Trésor, à l’aide du programme d’enseignement et de formation professionnelle mentionné ci-dessus, fournisse, dans les dix-huit mois suivant la date de la présente décision, la formation nécessaire au personnel du Conseil du Trésor, de la Commission de la fonction publique et de Développement des ressources humaines Canada.

3.   qu’une méthode sur laquelle s’entendent les intimés, savoir le Conseil du Trésor, la Commission de la fonction publique du Canada et DRHC, soit mise en oeuvre aux fins de la révision des cas de personne déficiente qui s’écartent des paramètres relativement à toute politique ou procédure déjà établie.

4.   que le Conseil du Trésor examine ses politiques concernant l’accès à la formation linguistique pour s’assurer qu’elles énoncent clairement et communiquent les mécanismes prévus pour tenir compte des besoins des candidats atteints de troubles d’apprentissage dans le processus d’orientation et les cours de formation linguistique, que ces candidats se déclarent avant ou suite au processus d’orientation, ET que ces directives soient intégrées au programme de formation établi suivant le point 1 énoncé ci-dessus.

5.   que la Commission de la fonction publique crée une autre méthode pour vérifier l’aptitude des personnes atteintes de troubles d’apprentissage à suivre le programme de formation linguistique dans le délai alloué, une méthode prenant en considération la nature de la déficience ET la nature des stratégies compensatoires utilisées par les personnes atteintes de troubles d’apprentissage.

b)         Les mesures correctives offertes à Nancy Green personnellement

[81]      À la page 33 [paragraphes 168 et 169] de sa décision, le tribunal fait précéder les mesures correctives accordées à Nancy Green de la déclaration suivante :

À la lumière de la preuve dont le tribunal a été saisi, si ce n’était de l’effet discriminatoire de la partie des tests du processus d’orientation, Nancy Green aurait reçu, selon toute probabilité, un pronostic favorable de son aptitude à apprendre une langue seconde au niveau désigné dans le délai alloué par la politique du Conseil du Trésor. D’après ce qu’indique la preuve de sa capacité d’apprendre grâce au cours personnalisé fourni par le ministère pour lequel elle travaille et le fait qu’elle ait suivi des cours de français le soir, elle est manifestement apte à apprendre le français. Elle a appris suffisamment de français pendant le cours personnalisé pour passer avec succès au deuxième semestre des cours du soir. Elle a acquis suffisamment de connaissances au cours de ces deux étapes pour être en mesure de participer à l’évaluation de l’aptitude aux deux langues officielles faite par le docteur Ford, test qui s’est déroulé en français. Le tribunal convient, après audition de la preuve et compte tenu de l’opinion d’expert du docteur Ford, que Mme Green aurait réussi à apprendre la langue seconde si elle avait suivi le cours à temps plein financé par le gouvernement et ce, dans le délai prévu par la politique du Conseil du Trésor et sans autre méthode d’enseignement spécialisé que ce qui est offert aux autres élèves inscrits.

Si ce n’était de la nature discriminatoire de la partie des tests du processus d’orientation, Mme Green aurait été nommée, selon toute probabilité, au poste PM-6, savoir le poste de gestionnaire du Service de counselling, Équité en matière d’emploi, en janvier 1988. Selon la preuve, pendant qu’elle aurait occupé ce poste, elle aurait participé non seulement au cours de langue seconde, et serait devenue bilingue au niveau BB/C, mais aussi au cours de gestion. Ces deux occasions de même que le poste effectif de niveau PM-6 lui ont été refusées en raison de l’acte discriminatoire commis par les parties mises en cause. [Non souligné dans l’original.]

[82]      En conséquence, le tribunal a ordonné les mesures correctives suivantes [aux pages 34 et 36, paragraphe 170] :

1.   que Nancy Green soit nommée immédiatement à un poste de niveau PM-6 pour une durée indéterminée, et sans concours. Si aucun poste de cette nature n’est libre dans l’immédiat, le salaire de Mme Green se situera au niveau de celui d’un poste PM-6 à compter de la date de la présente ordonnance.

2.   que Nancy Green reçoive de son employeur une somme globale de 69 895 25 $, à titre de compensation pour le salaire perdu en raison de l’acte discriminatoire allant jusqu’au 31 décembre 1997. De plus, Nancy Green recevra un montant calculé comme étant la somme totale des paiements, versés mensuellement, au montant de 825 66 $ chacun, pour la période du 1er janvier 1998 à la date de la présente décision.

3.   que Nancy Green reçoive de son employeur une majoration l’indemnisant des effets fiscaux négatifs attribuables à la non-réception d’un revenu annuel au niveau d’un poste PM-6 à compter de la date où l’acte discriminatoire a été commis et de la réception de la somme globale payée conformément à l’item 2 de cette ordonnance, à titre de compensation de cet acte. Cette majoration pourra être calculée par le service chargé de la rémunération à la Commission de la fonction publique. Le tribunal conservera sa compétence à cet égard. S’il est impossible d’arriver à un chiffre avec lequel Mme Green et le Ministère sont d’accord, le tribunal entendra les arguments à ce sujet.

4.   que la pension prévue par l’employeur dans le cas de Nancy Green soit rajustée pour tenir compte du salaire découlant de son emploi au niveau PM-6 du 11 février 1988 à ce jour.

5.   que Nancy Green soit admise, le plus rapidement possible et au moment qui lui convient le mieux, au programme de cours de français à temps plein financé par le gouvernement permettant d’atteindre le niveau de compétence linguistique BB/C, que sa formation se déroule à l’intérieur du programme normal et que toute mesure exigée pour tenir compte de son trouble d’apprentissage soit prise dans le contexte de ce programme.

6.   que le pronostic négatif obtenu par Nancy Green relativement aux tests d’aptitude linguistique soit retiré de tout dossier tenu par son employeur et détruit […]

7.   que Nancy Green suive le cours de gestion adapté à son poste de PM-6 et en prévision d’un avancement ultérieur à des niveaux de cadre dans la fonction publique fédérale.

[…]

8.   qu’à la première occasion raisonnable et une fois qu’elle aura terminé le cours de gestion approprié […] Nancy Green soit nommée à un poste au niveau EX-1 pour une durée indéterminée, et sans concours.

[…]

9.   que, conformément à l’article 53 (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Nancy Green reçoive une indemnité spéciale de 5 000 $ de la part des parties intimés

[…]

10. qu’un intérêt composé au taux des obligations d’épargne du Canada soit calculé à compter de la date où l’acte discriminatoire a été commis, soit le 5 janvier 1987, sur toutes les sommes dues à Mme Green, y compris l’indemnité spéciale […]

11. que les parties mises en cause versent à Nancy Green la somme de 4 057 22 $ pour acquitter les frais liés aux conseils juridiques.

E. ANALYSE

1)         Les principes juridiques

a)         La norme de contrôle

[83]      Comme on le voit dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, le tribunal n’a pas le bénéfice de la retenue judiciaire lorsqu’il interprète les lois sur les droits de la personne—la norme est la justesse de la décision.

[84]      Toutefois, les questions principales à trancher en l’instance ne portent pas sur des questions de droit, mais plutôt sur le rôle du tribunal en tant que juge des faits ou sur des questions à la fois de fait et de droit.

[85]      Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 45 [pages 1016 et 1017], le juge Bastarache dit que « [n]otre Cour a conclu à la majorité dans plusieurs arrêts que les cours de justice ne devraient pas faire preuve de retenue envers les tribunaux des droits de la personne relativement aux « questions générales de droit » […] ni même relativement à des règles de droit incontestablement au coeur du processus décisionnel en matière de droits de la personne ». Il fait toutefois remarquer que « [d]es observations faites dans d’autres arrêts ont cependant atténué » cette règle et il cite le juge La Forest dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au paragraphe 29 [page 849] :

Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’interpréter restrictivement l’expertise des tribunaux des droits de la personne en matière d’appréciation des faits, et qu’il faille l’apprécier en fonction des décisions qu’ils sont appelés à rendre […] Une conclusion à l’existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d’enquête est la mieux placée pour évaluer […] Étant donné la complexité des déductions probatoires découlant des faits présentés à la commission d’enquête, il convient de faire preuve d’une certaine retenue envers la conclusion à l’existence de discrimination, vu l’expertise supérieure de la commission d’enquête en matière d’appréciation des faits, laquelle conclusion est étayée par la présence de mots qui confèrent à la loi constituante un effet privatif limité. [Non souligné dans l’original.]

[86]      Il me revient aussi à l’esprit ce que Mme le juge L’Heureux-Dubé a dit dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 85 [page 844] :

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d’un tribunal administratif exige une extrême retenue : [citant Ross] […] Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable. par exemple, en l’espèce, l’allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve […] La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier […] [Non souligné dans l’original.]

[87]      Le juge La Forest a fait une analyse de la notion de discrimination dans l’arrêt Ross, précité, aux pages 852 à 863 (paragraphes 33 à 55). Il a commencé par déclarer qu’il importe de faire preuve de retenue en abordant les conclusions de fait auxquelles est parvenue la commission d’enquête en cherchant à établir s’il y avait eu de la discrimination de la part du Conseil scolaire. Son analyse de la notion de discrimination souligne l’importance de la fonction de juge des faits d’un tribunal des droits de la personne, ainsi que des déductions que ce dernier tire des faits bruts pour arriver à la conclusion qu’il y a eu discrimination. Je veux reprendre ses commentaires, qu’on trouve au paragraphe 38 [pages 854 et 855] :

La commission a tiré une conclusion de fait concernant sa notoriété dans la collectivité de Moncton et a statué que la couverture médiatique suivie dont ont bénéficié ses déclarations et ses écrits pendant une longue période avait contribué à répandre ses idées au-delà de cette collectivité. Vu que ces conclusions sont des conclusions de fait étayées par la preuve, elles méritent que notre Cour, au moment de les examiner, fasse preuve de retenue à leur égard compte tenu de l’expertise relative de la commission d’enquête en ce qui touche l’art d’apprécier les faits en matière de droits de la personne, et je les accepte. [Non souligné dans l’original.]

[88]      Par ailleurs, le juge La Forest dit, au paragraphe 40 [pages 855 et 856] de l’arrêt Ross, précité, que pour déterminer si la conduite de l’intimé a effectivement eu un effet négatif sur le milieu scolaire, il faut examiner le climat qui, selon la preuve, régnait en fait à l’école. Il a terminé son analyse sur cette question en disant que « [c]ette conclusion à l’existence de discrimination de la part du conseil scolaire est étayée par la preuve et je ne vois donc aucune erreur de la part de la commission d’enquête » (page 863, paragraphe 54).

b)         La discrimination—le cadre juridique

i)          La définition de la discrimination

[89]      J’ai déjà repris de façon détaillée le cadre juridique et le raisonnement que le tribunal a adoptés pour arriver à ses conclusions et je suis convaincu que son approche respecte les principes juridiques pertinents en l’instance.

[90]      Le tribunal a notamment utilisé la bonne définition de la discrimination. Cette définition est bien connue et elle a été citée plusieurs fois par la Cour suprême du Canada, y compris tout récemment, il y a quelques semaines, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, le juge L’Heureux-Dubé au nom de la Cour, au paragraphe 35).

ii)         Les autres principes

[91]      L’utilisation par le tribunal de l’interprétation fondée sur l’objet visé est bien appuyée sur la jurisprudence traitant de la législation sur les droits de la personne.

[92]      Le tribunal a déterminé que l’affaire qui lui était soumise portait sur une discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable. Selon ma lecture de ses motifs de décision, le tribunal a correctement identifié et appliqué les décisions de la Cour suprême du Canada dans ce domaine, notamment en décrivant le fardeau de preuve, qui incombait à Nancy Green, d’établir jusqu’à preuve du contraire l’obligation d’accommodement de l’employeur sans imposer de contrainte excessive, et les facteurs qui permettent de définir une contrainte excessive.

[93]      De plus, le tribunal avait raison de dire que dans un cas de discrimination indirecte ou découlant d’un effet préjudiciable, un argument juridique fondé sur une condition d’emploi adoptée honnêtement n’a pas de poids puisque bien que la règle contestée soit neutre, elle a des effets discriminatoires sur un seul employé ou sur un groupe d’employés. Dans un tel cas, la règle n’est pas nécessairement annulée; ce qui compte alors, ce sont les efforts consentis pour accommoder.

[94]      Sur ce point, il est utile de renvoyer à l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 de la Cour suprême du Canada, une affaire qui a été tranchée après la fin des plaidoiries en l’instance. Le juge McLachlin, alors juge puîné, a utilisé cet arrêt pour énoncer un nouveau cadre d’analyse qui évite la distinction utilisée jusqu’ici entre la discrimination directe et la discrimination découlant d’un effet préjudiciable. Comme la présente demande de contrôle judiciaire a été entendue avant le prononcé de cette décision, je ne pouvais utiliser cette analyse. Je la cite toutefois puisque l’un des motifs exposés par la Cour suprême pour revoir son analyse de toute la question est qu’on ne peut attaquer une norme neutre dans le cas d’une discrimination découlant d’un effet préjudiciable.

[95]      Le procureur général a fait valoir que le tribunal aurait commis une erreur en déterminant la norme de preuve qu’il convient d’appliquer, se fondant pour ce faire sur Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social c. Chandler et al. (1997), 29 C.H.R.R. D/300. Les prétentions du procureur général sur ce point sont rejetées. Le tribunal a adopté la norme de la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire en se fondant sur les motifs que le juge McIntyre a exposés dans l’arrêt O’Malley, précité. Le procureur général ne donne aucun motif sérieux qui permettrait de dire que ce critère n’est plus valable dans notre droit. Tel que je le comprends, le critère avancé par le procureur général ne s’applique pas dans une situation comme celle de Nancy Green, qui était à l’emploi du gouvernement fédéral depuis douze ans, et où la question portait sur l’accès au PFL. De plus, le critère avancé par le procureur général aurait pour effet d’alourdir le fardeau qui incombe au demandeur d’établir la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire, une démarche qui ne correspond pas aux décisions en Cour suprême du Canada.

iii)        La déficience—un contexte particulier

[96]      Dans les arrêts Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241 et Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, la Cour suprême du Canada a été saisie d’affaires portant sur une déficience dans lesquelles on invoquait la Charte. Elle a souligné le contexte particulier qui s’imposait lorsqu’une déficience était en cause. Dans l’arrêt Brant, précité, la question était de savoir si le Tribunal de l’enfance en difficulté de l’Ontario avait eu raison de confirmer qu’une enfant handicapée devait être placée dans une classe pour enfants en difficulté, en dépit de l’opposition de ses parents.

[97]      Dans l’arrêt Eldridge, précité, la question était de savoir si la province de la Colombie-Britannique avait exercé une discrimination contre les appelants, qui étaient sourds de naissance et dont le moyen de communication préféré était le langage gestuel. Les appelants prétendaient que l’absence d’interprète diminuait leur capacité de communiquer avec les médecins et autres professionnels de la santé, ce qui augmentait le risque de mauvais diagnostics et de traitements inefficaces.

[98]      Ces deux arrêts portaient sur l’article 15 de la Charte, qui n’est pas en cause dans la présente affaire. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada a décidé que dans les affaires mettant en cause les droits de la personne, il y avait un lien entre l’article 15 de la Charte et l’application des dispositions législatives en matière des droits de la personne, je considère que les principes qu’elle a énoncés dans les affaires mettant en cause l’article 15 peuvent nous éclairer en l’instance.

[99]      Dans l’arrêt Eaton, précité, le juge Sopinka énonce les principes de base applicables à la question soumise à la Cour. Je vais résumer les paragraphes 64 à 70 [pages 271 à 274] de ses motifs :

1) Au paragraphe 66 [page 272], il a conclu « que toute distinction fondée sur un motif illicite ne constitue pas une discrimination et que les distinctions fondées sur des caractéristiques plutôt présumées que réelles soient en général les signes révélateurs de la discrimination ont une importance particulière lorsqu’ils sont appliqués à une déficience physique ou à une déficience mentale. » Il a ajouté que « [p]our éviter la discrimination fondée sur ce motif, il faudra souvent établir des distinctions en fonction des caractéristiques personnelles de chaque personne handicapée » (non souligné dans l’original), citant le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 169, où ce dernier dit que le « respect des différences […] est l’essence d’une véritable égalité ». Le juge Sopinka ajoute que l’un des objectifs de la Charte vise à « améliorer la position de groupes qui, dans la société canadienne, ont subi un désavantage en étant exclus de l’ensemble de la société ordinaire comme ce fut le cas pour les personnes handicapées ».

2) Au paragraphe 67 [pages 272 et 273], il déclare, en parlant de la déficience, que l’objectif de l’article 15 de la Charte vise à « éliminer la discrimination par l’attribution de caractéristiques fausses fondées sur des attitudes stéréotypées se rapportant à des conditions immuables comme la race ou le sexe ». Il ajoute toutefois que « [l]’autre objectif, tout aussi important, vise à tenir compte des véritables caractéristiques de ce groupe qui l’empêchent de jouir des avantages de la société, et à les accommoder en conséquence. L’exclusion de l’ensemble de la société découle d’une interprétation de la société fondée seulement sur les attributs « de l’ensemble » auxquels les personnes handicapées ne pourront jamais avoir accès » (Non souligné dans l’original.) Il ajoute ensuite :

Qu’il s’agisse de l’impossibilité pour une personne aveugle de réussir un examen écrit ou du besoin d’une rampe pour avoir accès à une bibliothèque, la discrimination ne consiste pas dans l’attribution de caractéristiques fausses à la personne handicapée. La personne aveugle ne peut pas voir et la personne en fauteuil roulant a besoin d’une rampe d’accès. C’est plutôt l’omission de fournir des moyens raisonnables et d’apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n’entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées qui engendre une discrimination à leur égard. L’enquête sur la discrimination qui recourt au raisonnement fondé sur « l’attribution de caractéristiques stéréotypées », dans son acception courante, est tout simplement inappropriée dans le cas présent. Elle peut être considérée plutôt comme un cas d’inversion d’un stéréotype qui, en ne tenant pas compte de la condition d’une personne handicapée, fait abstraction de sa déficience et la force à se tirer d’affaire toute seule dans l’environnement de l’ensemble de la société. C’est la reconnaissance des caractéristiques réelles, et l’adaptation raisonnable à celles-ci, qui constitue l’objectif principal du par. 15(1) en ce qui a trait à la déficience. [Non souligné dans l’original.]

3) Au paragraphe 68 [page 273], le juge Sopinka fait remarquer qu’en Ontario, la politique antérieure dans l’enseignement était l’exclusion et que cette politique était influencée en grande partie par une attitude stéréotypée envers les personnes handicapées selon laquelle elles ne pouvaient pas fonctionner dans un système conçu pour la population en général. « Il n’a pas été tenu compte des caractéristiques véritables des personnes faisant partie de la population handicapée et aucun effort n’a été fait pour composer avec ces caractéristiques ». [Non souligné dans l’original.] Il ajoute toutefois qu’il y a eu un changement en Ontario et qu’on en est venu à adopter une politique qui évalue les caractéristiques véritables des personnes handicapées dans le but de répondre à leurs besoins.

4) Au paragraphe 69 [page 273], le juge Sopinka déclare qu’il « s’ensuit que la déficience, en tant que motif illicite, diffère des autres motifs énumérés tels que la race ou le sexe parce que ces motifs ne comportent aucune différence sur le plan individuel. Par contre, quand il s’agit de déficience, il existe des différences énormes selon l’individu et le contexte. Cela engendre, entre autres, [traduction] « le dilemme de la différence ». [Non souligné dans l’original.]

[100]   Dans l’arrêt Eldridge, précité, au paragraphe 56 [page 668], le juge La Forest fait remarquer qu’il « est malheureusement vrai que l’histoire des personnes handicapées au Canada a été largement marquée par l’exclusion et la marginalisation. Trop souvent, elles ont été exclues de la population active, elles se sont vues refuser l’accès aux possibilités d’interaction et d’épanouissement sociales et elles ont été exposées à des stéréotypes injustes en plus d’être reléguées dans des établissements ». Le juge La Forest a décrit la situation comme représentant un « désavantage historique […] créé et perpétué par l’idée que la déficience est une anomalie ou un défaut ».

[101]   Il dit ceci, au paragraphe 60 [page 670] de cet arrêt :

À première vue, le régime d’assurance-maladie de la Colombie-Britannique s’applique d’une manière égale aux entendants et aux personnes atteintes de surdité. Il ne fait pas de « distinction » explicite fondée sur la déficience en accordant un traitement différent aux personnes atteintes de surdité. Tant ces dernières que les entendants ont le droit de recevoir certains services médicaux gratuitement. Les appelants prétendent néanmoins que l’absence de financement pour les services d’interprètes gestuels les empêche de bénéficier du régime établi par la loi dans la même mesure que les entendants. Autrement dit, ils invoquent la discrimination découlant d’«effets préjudiciables ».

[102]   Le juge La Forest cite ensuite les arrêts O’Malley et Central Alberta Dairy Pool, précités, pour établir la notion de la discrimination découlant d’un effet préjudiciable. Au paragraphe 64 [pages 672 et 673], il souligne qu’une telle discrimination est particulièrement pertinente dans le cas des déficiences puisque « le gouvernement va rarement prendre des mesures discriminatoires à l’endroit des personnes handicapées ». Il ajoute :

Il est plus fréquent que des lois d’application générale aient un effet différent sur ces personnes.

[103]   Dans l’arrêt Eldridge, précité, le juge La Forest conclut son analyse au paragraphe 66 [page 675] en déclarant que « contrairement aux affaires Simpson-Sears et Rodriguez, l’effet préjudiciable subi par les personnes atteintes de surdité découle non pas du fait qu’on leur impose un fardeau que n’a pas à supporter la population en général, mais plutôt du fait qu’on ne fait pas en sorte qu’elles bénéficient d’une manière égale d’un service offert à tous ». (Non souligné dans l’original.)

[104]   Il ajoute, au paragraphe 77 [page 680], que la Cour suprême a statué de façon constante que la discrimination peut être créée autant par l’effet préjudiciable de règles d’application générale que par les distinctions expresses découlant de la distribution des avantages et que, « [c]ompte tenu de cet état de choses, je ne peux voir aucun principe qui empêcherait de prouver l’existence de discrimination fondée sur les effets préjudiciables d’un régime de prestations apparemment neutre ».

2)         La contestation des conclusions du tribunal par le procureur général

a)         Question no 1—Le TALV est-il discriminatoire?

[105]   Selon le procureur général, la question qui est au coeur du présent contrôle judiciaire est de savoir si l’utilisation du TALV et des subtests Pimsleur (les tests) constitue une discrimination contre les personnes souffrant de dyslexie dans le traitement des informations auditives. Le procureur général ajoute que si l’on conclut que le test est de par sa nature même non discriminatoire, il n’existe pas d’obligation d’accommodement.

[106]   Le procureur général concède le fait que Nancy Green souffre d’une forme de déficience dans le traitement des informations auditives, mais il ne convient pas que les tests linguistiques ont créé une discrimination à son égard.

[107]   En d’autres termes, le procureur général soutient que la question essentielle est celle de savoir si les tests exercent une discrimination contre les personnes qui ont un trouble d’apprentissage en ne mesurant pas correctement leur potentiel d’apprentissage d’une langue seconde. Le procureur général concède que les tests créent une distinction, puisque les personnes souffrant de troubles d’apprentissages peuvent fort bien ne pas les réussir et, de ce fait, ne pas se voir octroyer un pronostic favorable face à l’apprentissage d’une langue.

[108]   Le procureur général fait valoir que les conclusions du tribunal qu’il y a eu une discrimination fondée sur une déficience s’appuient essentiellement sur son point de vue que si l’on n’utilisait pas un outil d’évaluation inapproprié, on pourrait déterminer la vraie capacité d’apprendre une langue d’une personne souffrant de dyslexie. Le procureur général soutient que l’erreur fondamentale dans l’analyse du tribunal est que ce dernier présume que c’est l’outil d’évaluation qui est une barrière plutôt que la déficience elle-même, et que c’est une erreur de droit que d’imposer à la CFP des obligations qui ne sont pas fondées sur une approche scientifique correcte, ou sur des considérations valables d’intérêt public. Le procureur général soutient que le dossier démontre amplement que les personnes qui souffrent de dyslexie, ou d’autres formes de troubles dans le traitement de l’information, ont de la difficulté à apprendre une langue seconde. Il conclut donc qu’une appréciation équilibrée de la preuve présentée au tribunal étaye la conclusion que les personnes qui souffrent d’une déficience dans le traitement des informations auditives ne se voient pas refuser l’occasion de démontrer leurs aptitudes et qu’elles ne sont pas traitées différemment par rapport aux autres personnes qui ont de la difficulté à apprendre une langue seconde.

[109]   L’examen des témoignages des Drs Sarrazin, Ford et Mandelcorn n’appuie pas la prétention du procureur général que les experts se contredisent, compte tenu du fait que le seul but du processus d’orientation vise l’accès à la formation linguistique et qu’il doit donc évaluer l’aptitude d’une personne à apprendre une langue seconde dans le délai imparti.

[110]   Il ne fait pas de doute que Nancy Green a un trouble d’apprentissage; même le procureur général l’a reconnu. Selon le Dr Ford, cette déficience consiste en un trouble spécifique de la mémoire auditive séquentielle (mémoire à court terme) qui diminue sa capacité de décoder les phonèmes et la prononciation dans la première phase de l’apprentissage linguistique.

[111]   Le Dr Mandelcorn a aussi déclaré que Nancy Green souffrait d’un trouble d’apprentissage. Au tribunal, elle a défini un trouble d’apprentissage en termes neurophysiologiques, savoir une déficience qui cause un décalage significatif entre le potentiel intellectuel d’une personne et ses résultats dans certains domaines. Le Dr Mandelcorn les a identifiés comme des déficits dans le traitement des informations visuelles ou auditives. Tout au long de son témoignage, le Dr Mandelcorn a parlé de la difficulté de Nancy Green comme d’une difficulté portant sur la mémoire auditive séquentielle, notamment la mémorisation auditive mécanique en l’absence de contexte. Elle a fait remarquer que la plupart du temps, la distinction entre les phonèmes n’a pas lieu hors contexte—dans un cadre où les mots n’ont pas de sens (dossier du demandeur, vol. 1, aux pages 186 à 197).

[112]   Le Dr Mandelcorn a témoigné que Nancy Green avait des atouts importants, notamment une excellente capacité de comprendre, réfléchir et conceptualiser, domaines où elle se situait dans le premier cinquième des rangs centiles. Elle a insisté sur sa grande capacité de traiter des informations visuelles mémorisées. Le Dr Mandelcorn a déclaré que comme les tests administrés à Nancy Green ne lui permettaient pas de faire ressortir ses points forts pouvant compenser ses faiblesses, ils n’indiquaient pas ses vraies aptitudes (dossier du demandeur, vol. II), étant donné qu’ils étaient fondés justement sur l’aspect où Nancy Green avait une difficulté, soit la mesure du décodage phonèmes-symboles.

[113]   Dans son témoignage, le Dr Ford a déclaré que la question était de savoir si les tests de la CFP évaluaient sa capacité d’apprendre une langue, ou simplement sa déficience relative à la mémoire auditive séquentielle. Comme les tests ne faisaient aucune place au contexte ni aux stratégies compensatoires, il a conclu qu’ils évaluaient surtout sa déficience.

[114]   Le témoignage du Dr Sarrazin a porté notamment sur la question de la discrimination. Voici ce qu’il a soutenu dans sa présentation, qui était très claire :

1) Bien qu’il fût d’accord avec le diagnostic des Drs Ford et Mandelcorn au sujet de Nancy Green, il a déclaré que les tests qu’ils avaient administrés (qui ne comprenaient pas le TALV et les tests Pimsleur) ne portaient pas sur la même question que celle qui intéressait la CFP, puisque leur évaluation, ne tenait pas compte du contexte de l’organisation, qui voulait déterminer si la personne pouvait, dans le délai imparti, atteindre le niveau de connaissance linguistique nécessaire pour faire le travail (dossier du demandeur, vol. VI, aux pages 2010 à 2012).

2) Françoise Thexton a analysé les données fournies par les tests et déterminé que Nancy Green ne pouvait atteindre le niveau requis, savoir BB/C, ce qui ne veut pas dire que Nancy Green ne pouvait pas apprendre le français (dossier du demandeur, vol. VI, à la page 2016). C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer les tests utilisés. Ce ne sont que des prédicteurs de la réussite ou de l’échec (dans un temps spécifié), ce qui est l’objet même du test (dossier du demandeur, vol. VI, à la page 2017).

3) Aux pages 2150 et 2158 à 2176 du même dossier, le Dr Sarrazin critique les Drs Ford et Mandelcorn puisqu’ils n’ont pas tenu compte du fait que dans le cadre d’une évaluation, il faut garder à l’esprit l’objectif visé et choisir le test en conséquence. Il a déclaré que les Drs Mandelcorn et Ford avaient des objectifs différents à l’esprit et que c’est pour cela qu’ils avaient choisi des tests différents. La seule question que le TALV vise à déterminer est celle de savoir qui a droit à la formation offerte par le gouvernement et, à cette fin, il a témoigné que le TALV est un bon prédicteur.

4) Le Dr Mandelcorn et Mme Thexton devaient répondre à des questions différentes. Le Dr Mandelcorn n’était pas limitée par le contexte de l’organisation, alors que Mme Thexton devait décider si Nancy Green pouvait atteindre le niveau requis dans le délai imparti (dossier du demandeur, vol. VI, à la page 2164).

5) Dans le dossier du demandeur, vol. VI, page 2182, le Dr Sarrazin déclare que le test n’a pas pour but de mesurer un trouble d’apprentissage, tout en y étant sensible.

6) Le Dr Sarrazin est catégorique lorsqu’il exprime l’avis que le TALV n’exerce aucune discrimination, ayant admis qu’il ne contestait pas le fait qu’il pouvait y avoir un problème de dyslexie et donc une méthode plus appropriée d’enseignement.

7) Dans le dossier du demandeur, vol. VI, aux pages 2181 et 2182, le Dr Sarrazin déclare que le TALV répond à son objectif, savoir indiquer le degré probable de la réussite d’une personne dans l’apprentissage d’une langue seconde. Il a ajouté que le TALV n’est pas un test permettant de mesurer un trouble d’apprentissage et qu’il ne serait pas utilisé par un professionnel ayant à évaluer quelqu’un qui souffre d’un trouble d’apprentissage.

8) Au sujet du pronostic défavorable en vue de l’admission au PFL, le Dr Sarrazin déclare, dans le dossier du demandeur, vol. VI, aux pages 2183 et 2184, que plusieurs motifs mènent à ce résultat, notamment le peu d’aptitude et un trouble d’apprentissage. Voici les remarques qu’il a faites au sujet des rapports des Drs Ford et Mandelcorn, à la page 2184 :

[traduction] En fait, les Drs Ford et Mandelcorn disent que « oui, elle a des difficultés. Elle va probablement réussir, mais il lui faudra une méthode particulière d’enseignement et plus de temps ». En un mot, ils disent la même chose.

Ceci est d’autant plus vrai qu’étant donné la période prévue à l’époque de la première évaluation, si l’on tient compte de ce délai, Françoise Thexton n’avait pas d’autre choix que de présenter la recommandation qu’elle a présentée. Elle a toutefois été fort positive et déclaré qu’elle aurait besoin de plus de temps, « alors pourquoi ne pas prendre des cours pour vous permettre d’y arriver dans le délai imparti? »

Elle a pris des cours. Lorsque j’ai lu l’un des rapports du Dr Ford, il déclare à la dernière page que « oui, elle pourra y arriver dans le délai imparti ». Ceci est tout à fait compatible avec la recommandation à l’origine. C’est pourquoi j’ai répondu que je ne peux conclure à la discrimination.

9) Au dossier du demandeur, vol. VI, à la page 2195, le Dr Sarrazin déclare que le TALV est très efficace et qu’il a été établi qu’il mesure les aptitudes de base essentielles à l’apprentissage d’une langue étrangère. Il ajoute que les personnes qui obtiennent de très faibles notes ne pourront réussir. Encore une fois, il affirme que le TALV n’est pas un prédicteur permettant de déterminer si une personne peut apprendre une langue étrangère si on lui donne toutes les occasions et le temps voulus (à la page 2199); ce que le TALV prédit, c’est jusqu’à quel point une personne peut apprendre une langue étrangère dans le délai habituellement imparti. Il reconnaît, aux pages 2200 et 2203, que la prémisse fondamentale est que seuls les étudiants ayant un potentiel d’apprentissage rapide et de succès à un niveau élevé de compétence peuvent réussir dans le cadre du PFL. Aux pages 2201 à 2203 et 2210, le Dr Sarrazin déclare que le TALV permet d’identifier les personnes qui ont un trouble d’apprentissage. Si elles obtiennent un résultat peu élevé dans la partie II, elles auront de la difficulté dans l’apprentissage phonétique.

10) Aux pages 2213 et 2214, il reconnaît que l’objectif du TALV ne vise pas à déterminer quel programme permettrait à Nancy Green de profiter au maximum de ses stratégies compensatoires. À la page 2216, il déclare qu’il n’utiliserait pas le TALV s’il devait faire l’évaluation clinique des forces et faiblesses d’une personne, puisque les personnes ayant des troubles d’apprentissage auraient de mauvaises notes. L’objectif des tests est d’identifier ces personnes. Le test est une forme de balance, et lorsqu’une balance indique le poids d’une personne obèse, on ne peut dire qu’elle a un « parti pris ». Elle ne fait qu’illustrer la réalité.

11) À la page 2236 du dossier du demandeur, vol. VII, le Dr Sarrazin convient que les personnes souffrant d’un trouble d’apprentissage doivent se voir accorder plus de temps, à défaut de quoi il y aurait de la discrimination.

12) Au dossier du demandeur, vol. VI, à la page 2222, le Dr Sarrazin déclare que Mme Thexton, ainsi que les Drs Ford et Mandelcorn, ont tous affirmé que Nancy Green pouvait apprendre le français, la seule différence étant celle de savoir si elle pouvait atteindre le niveau requis dans le délai imparti. Il a ajouté que la seule personne qui a apporté une réponse à cette question était Mme Thexton, étant donné que le contexte dans lequel le Dr Ford a rencontré Nancy Green était différent puisqu’elle avait déjà eu une formation en français.

13) Le Dr Sarrazin a critiqué le Dr Ford pour avoir dit que le TALV mesurait sa déficience (dossier du demandeur, vol. VII, aux pages 2249 et 2250). Il a déclaré que le TALV n’est pas seulement un test de mémoire auditive, bien qu’il vérifie aussi cet aspect. Il s’est dit d’accord que le TALV est axé sur les phonèmes et les symboles et, à la page 2251, il dit que certaines parties du TALV permettent d’identifier son type de déficience.

14) À la page 2253 du même volume, le Dr Sarrazin soutient que le fait d’identifier une déficience ne veut pas dire que vous exercez une discrimination. Le fait de dire à certaines personnes qu’elles ont une difficulté et un pronostic limité ne constitue pas de la discrimination (à la page 2254) et, toujours selon le Dr Sarrazin, Nancy Green n’a pas fait l’objet d’une discrimination parce que le test a identifié qu’elle avait un problème. C’est justement là son objectif.

[115]   Selon moi, la façon dont le procureur général formule la question (le TALV est-il discriminatoire?) ne reflète pas fidèlement la conclusion du tribunal qu’il y a eu discrimination. Cette conclusion, qui s’appuie sur l’existence d’une discrimination découlant d’un effet préjudiciable fondée sur le motif de la déficience, se situe dans le contexte particulier défini dans les arrêts Eaton et Eldridge, précités.

[116]   Une lecture du témoignage du Dr Sarrazin et un examen de l’argument du procureur général sur ce point suggèrent fortement qu’ils considèrent que le tribunal a eu tort d’examiner la preuve au sujet des tests dans le contexte d’une discrimination directe pouvant être justifiée par une EPN. Selon moi, le procureur général a mal compris le tribunal.

[117]   Le tribunal n’a pas conclu que les tests de la CFP utilisés comme prédicteurs de réussite dans le PFL visaient directement les personnes souffrant d’un trouble d’apprentissage, notamment d’une déficience de la mémoire auditive séquentielle. Sur cette question, on peut dire que le tribunal a accepté le témoignage du Dr Sarrazin. Le tribunal a cependant conclu que ces tests non discriminatoires auxquels tous les membres de la fonction publique sont soumis avaient des effets préjudiciables sur les personnes souffrant d’une déficience de la mémoire auditive séquentielle.

[118]   S’agissant de ces tests, le tribunal a déclaré qu’ils avaient des effets préjudiciables en ce qu’ils insistaient sur la faiblesse de Nancy Green sur le plan de la mémoire auditive séquentielle dans un contexte qui ne tenait aucun compte de ses points forts pouvant compenser. C’est ce que les Drs Ford et Mandelcorn ont fait, les deux venant à la conclusion que Nancy Green pouvait apprendre le français dans le délai imparti à condition que la formation linguistique qui lui était offerte soit adaptée de manière à tenir compte de ses points forts plutôt que des faiblesses liées à sa déficience.

[119]   Comme je l’ai mentionné, même le Dr Sarrazin a admis que les personnes qui souffrent d’une déficience de la mémoire auditive séquentielle auraient de mauvaises notes aux tests. Il y a aussi l’expérience de Françoise Thexton, qui lui a permis, après son examen des résultats défavorables, de dire à Nancy Green qu’elle avait peut-être un trouble d’apprentissage.

[120]   Le témoignage de tous les experts justifiait la conclusion de discrimination à laquelle le tribunal est parvenu. Dans les circonstances, cette conclusion doit être maintenue.

[121]   Par ailleurs, un autre motif justifie le fait que la Cour n’intervienne pas. Même en supposant que le procureur général avait raison de dire que le TALV n’est pas discriminatoire puisqu’il mesure réellement la capacité d’une personne donnée à apprendre une langue étrangère, on ne saurait retenir son argument.

[122]   Les arrêts Eldridge et Eaton, précités, nous démontrent qu’il peut y avoir discrimination lorsque :

1) La déficience n’est pas prise en compte et la personne en cause est forcée de se tirer d’affaires toute seule dans l’environnement de l’ensemble de la société; et

2) Pour arriver à une conclusion de discrimination découlant d’un effet préjudiciable, il n’est pas nécessaire qu’une personne se voie imposer un fardeau que n’a pas à supporter la population en général, mais plutôt qu’il y a lieu d’assurer qu’elle bénéficie d’une manière égale d’un service.

[123]   L’admission au PFL était essentielle pour que Nancy Green obtienne sa promotion à un poste de niveau PM-6. Le gouvernement fédéral a découvert en 1988 qu’elle avait un trouble d’apprentissage qui avait joué un rôle important dans l’établissement de son pronostic défavorable. Dès que le trouble d’apprentissage de Nancy Green eût été diagnostiqué par le Dr Mandelcorn, il s’ensuivait une obligation d’accommoder étant donné qu’il n’était pas approprié de la placer dans le cadre général du PFL. Ceci est particulièrement vrai si on examine l’objectif qui fonde le PFL, savoir permettre aux fonctionnaires d’obtenir la formation linguistique nécessaire pour satisfaire aux exigences d’un poste ayant une désignation bilingue. L’accès au PFL en l’instance ne devrait pas être interdit à une personne qui a un trouble d’apprentissage, comme Nancy Green, surtout si l’on tient compte du fait qu’elle pouvait apprendre une langue seconde dans la mesure où on lui offrait une formation adaptée à ses besoins.

b)         Question no 2—L’accommodement

[124]   Le procureur général soutient que la conclusion du tribunal que l’employeur n’avait pas reconnu ou accommodé le trouble d’apprentissage en cause était abusive et arbitraire. Le procureur général fait porter l’obligation d’accommoder sur deux périodes distinctes. Premièrement, Nancy Green a-t-elle été accommodée au moment du concours pour le poste de PM-6? Deuxièmement, la plaignante a-t-elle été accommodée après que le poste a été comblé?

[125]   Le procureur général soutient que dans le cadre du processus d’orientation, l’étape de l’entrevue est le moment idéal qui permet d’accommoder un trouble d’apprentissage. Le procureur général soutient que le test a clairement indiqué que Mme Green éprouvait une difficulté sérieuse relativement à certains aspects du traitement des informations auditives. C’est pourquoi Françoise Thexton avait évalué les résultats probables de stratégies compensatoires et personnellement administré à Nancy Green certaines parties du test auxquelles elle n’avait pas été soumise afin de vérifier les résultats. Elle a présenté des recommandations pratiques quant aux stratégies de formation qui seraient les plus efficaces pour permettre l’obtention d’un éventuel pronostic favorable et recommandé à Nancy Green de s’inscrire à une formation individualisée à temps partiel afin d’améliorer son niveau de connaissance de la langue française. Son Ministère lui a préparé un programme pour l’aider à améliorer ses connaissances du français, ce qui allait dans le sens de la recommandation de Françoise Thexton. Ce programme comprenait des cours privés pendant les heures de travail, sa charge de travail pouvant être adaptée pour l’aider dans son apprentissage du français.

[126]   Selon moi, cet argument ne peut être retenu. Comme je l’ai mentionné, le tribunal a analysé la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur l’obligation d’accommoder sans s’imposer de contrainte excessive.

[127]   Le tribunal a ensuite examiné la preuve, et notamment cité de longs extraits de la correspondance entre Norm Button et Vera McLay, que j’ai aussi longuement citée dans les présents motifs. Le tribunal a tenu compte des tentatives du Ministère pour accommoder Nancy Green, mais ce sont les agences centrales que sont la CFP et le CT qui ont érigé l’obstacle. Le tribunal a fait état d’autres éléments de preuve avant de conclure que les intimés, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique, n’avaient pas rempli leur obligation d’accommodement.

[128]   Cette conclusion du tribunal était-elle manifestement déraisonnable? Il est clair que non, si l’on renvoie à ce que le juge L’Heureux-Dubé a dit dans l’arrêt Ville de Montréal, précité [à la page 844, paragraphe 85] :

Ce n’est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu’une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable […]

[129]   La contestation par le procureur général du Canada des conclusions du tribunal au sujet de l’accommodement et de la contrainte excessive ne répond pas au critère énoncé dans l’arrêt Ville de Montréal, précité.

c)         Question no 3—Les mesures correctives systémiques

[130]   Le procureur général soutient que les mesures correctives systémiques ordonnées par le tribunal ne sont pas appropriées. Selon ma compréhension de cet argument, il est fondé encore une fois sur une contestation du rôle du tribunal comme juge des faits.

[131]   Le procureur général conteste la conclusion du tribunal que Nancy Green n’a pas obtenu le poste de niveau PM-6 en raison d’une discrimination systémique contre les personnes souffrant de troubles d’apprentissage, et notamment d’une mauvaise compréhension de la nature des troubles d’apprentissage. Le procureur général réaffirme son point de vue, qu’il dit fondé sur une preuve scientifique, que c’est en raison de sa déficience que Nancy Green ne pouvait compléter sa formation en langue française dans le délai imparti, mais que le tribunal a conclu, sur des témoignages d’opinion, que ce n’est pas la déficience mais bien le test qui causait la difficulté.

[132]   Le procureur général soutient que le dossier n’étaye pas la conclusion qu’il doit y avoir un changement d’attitude et fait valoir qu’en l’instance, le tribunal n’a pas soupesé avec assez de soin la preuve scientifique ni découvert un « parti pris » systémique dans l’administration des tests visant les personnes souffrant de dyslexie dans le traitement des informations auditives. Le procureur général soutient que l’ordonnance du tribunal portant sur les mesures correctives systémiques ne tient pas compte de la possibilité que son expert ait pu se tromper en déclarant que c’était le test qui était discriminatoire et qu’on pouvait en préparer un autre. Il conclut en avançant que la décision du tribunal est fondée sur l’opinion d’un seul expert et qu’il ne s’agit pas là d’un fondement approprié pour une ordonnance d’application aussi large.

[133]   Les arguments du demandeur sur ce point sont rejetés pour deux motifs :

1) Cette prétention est en partie le jumeau des arguments présentés sur la question de savoir si le TALV était discriminatoire, arguments que j’ai rejetés.

2) Cette prétention se fonde sur une mauvaise interprétation du fondement de l’ordonnance du tribunal.

[134]   Ce qui a troublé le tribunal, c’est le gouffre qui existe au gouvernement fédéral entre la théorie et la pratique lorsqu’il s’agit de la mise en oeuvre de ses procédures contre la discrimination. Je veux répéter ici la conclusion à laquelle le tribunal est parvenu, à la page 32 [paragraphe 163] de sa décision :

Si les pratiques et procédures avaient été fondées sur ces lignes de conduite, dont la plupart se présentent sous forme écrite, la plaignante n’aurait jamais porté plainte. Elles auraient permis de s’assurer que le trouble d’apprentissage dont Mme Green est atteinte était pris en considération et que celle-ci était, par conséquent, une candidate pleinement qualifiée pour occuper le poste PM-6 […] Cela ne s’est pas produit parce que, selon les témoignages, le personnel chargé d’interpréter la politique semblait pris dans des attitudes institutionnelles à l’égard des personnes souffrant de troubles d’apprentissage et exaspéré par un système de fonctions intersectées.

[135]   Le tribunal a essentiellement conclu que les intimés devant lui, les demandeurs dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, qui sont représentés par le procureur général, doivent apprendre à appliquer efficacement leurs propres directives.

[136]   Encore une fois, ce que le procureur général demande à la Cour, c’est de réexaminer la preuve soumise au tribunal et de substituer son point de vue à celui de ce dernier. À cet égard, le procureur général n’a démontré l’existence d’aucune erreur qui justifierait notre intervention. Il ressort du dossier, comme je l’indique dans les présents motifs, que les éléments de preuve dont le tribunal était saisi lui permettait raisonnablement de conclure que les mesures correctives accordées étaient nécessaires. Il suffit simplement de se rapporter au point de vue exprimé voulant que Nancy Green était peu douée et qu’elle ne souffrait pas d’un trouble d’apprentissage.

[137]   Au départ, j’avais des réserves quant à l’étendue de la mesure corrective systémique no 5, qui exige que la CFP « crée une autre méthode pour vérifier l’aptitude des personnes atteintes de troubles d’apprentissage à suivre le programme de formation linguistique dans le délai alloué. » Cette réserve provenait du fait qu’en matière de discrimination découlant d’un effet préjudiciable, on n’annule pas la règle; il s’agit plutôt d’accommoder les effets préjudiciables. L’ordonnance n’invalide pas le TALV et les tests Pimsleur en tant que prédicteurs principaux de l’aptitude à apprendre une langue. Ce que l’ordonnance prévoit, c’est que lorsqu’il s’agit d’une personne ayant un trouble d’apprentissage, la CFP doit ajuster le processus de manière à éliminer ce qui ne ressort pas du TALV, savoir la nature de la déficience et des stratégies compensatoires utilisées par les personnes qui ont des troubles d’apprentissage. Sur cette base, je conclus que la mesure corrective systémique no 5 découle des conclusions tirées de la preuve et qu’elle constitue une mesure corrective raisonnable. Elle est aussi en accord avec l’approche énoncée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Eaton et Eldridge, précités, dans les affaires portant sur des déficiences, et dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.

d)         Question no 4—Les mesures correctives octroyées à Nancy Green personnellement

i)          Le lien rationnel avec la conclusion de discrimination

[138]   Le procureur général conteste les mesures accordées à Nancy Green pour plusieurs motifs, qui s’appuient encore une fois sur sa conception très particulière de l’interprétation à donner à la décision du tribunal. Le procureur général soutient que le tribunal a conclu que c’est l’usage quasi exclusif de tests portant sur la distinction des informations auditives comme base de la vérification de l’aptitude à apprendre une autre langue qui était une mesure discriminatoire. Le procureur général fait valoir que toutes les mesures correctives ordonnées par le tribunal en vertu de l’article 53 de la Loi doivent avoir un lien rationnel avec l’utilisation d’un test portant sur la distinction des informations auditives pour déterminer l’aptitude à apprendre une langue. Le procureur général s’attarde ensuite sur ce que le tribunal a déclaré être le principe déterminant l’exercice de ses pouvoirs en vertu de l’article 53 de la Loi, savoir [à la page 33, paragraphe 167] « la réparation intégrale « restitutio in integrum » […] visant à « guérir » la victime, à lui créer l’existence qu’elle avait envisagé d’avoir si l’acte discriminatoire n’avait pas été commis » (non souligné dans l’original). Il déclare que cette approche est erronée puisqu’elle introduit un élément subjectif dans les pouvoirs qui sont conférés par la loi. Selon le procureur général, le critère permettant de déterminer si une mesure corrective est liée à un acte discriminatoire et ses conséquences est un critère objectif.

[139]   Les arguments du procureur général au sujet des mesures correctives accordées à Nancy Green personnellement sont rejetés. Premièrement, ces arguments ne reflètent ni le sens réel de la décision du tribunal, ni l’incidence des effets préjudiciables identifiés. Le fait est que Nancy Green n’a pas été admise au PFL et qu’en conséquence, elle n’a pas été nommée au poste de niveau PM-6 pour lequel le jury de sélection l’avait jugée la plus compétente. Deuxièmement, les effets préjudiciables du test qu’on lui a administré ont contribué de façon significative au pronostic défavorable qui lui a été attribué. Troisièmement, le tribunal a constaté qu’il n’y avait pas eu d’accommodement sans s’imposer de contrainte excessive.

[140]   Selon mon interprétation, l’approche que le tribunal a adoptée pour déterminer les mesures correctives à octroyer à Nancy Green reflète le fait qu’elle n’a pu être admise au programme de formation en langue française par suite de l’effet préjudiciable des tests et, en conséquence, que ce qu’il voulait corriger était ce qui s’en était suivi, savoir le fait qu’elle n’a pas été promue. Il y a donc un lien rationnel global entre les mesures correctives accordées à Nancy Green et les effets de la discrimination qui ont fait qu’elle n’a pas obtenu le poste de niveau PM-6.

ii)         Le caractère indirect et la limitation des dommages

a)         La promotion—le caractère indirect

[141]   Le procureur général a soulevé certaines questions de compétence liées aux mesures correctives octroyées à Nancy Green. Ces questions de droit portent sur les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 ainsi que dans le jugement que le juge Rothstein a rendu, à l’époque où il faisait partie de la Section de première instance, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Uzoaba,[1995] 2 C.F. 569

[142]   L’arrêt Morgan, précité, portait sur un certain nombre de questions liées aux réparations accordées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je tire de cet arrêt, rendu dans une affaire où M. Morgan a été rejeté lorsqu’il cherchait à s’engager dans les Forces armées et où le tribunal avait ordonné sa réintégration, les principes suivants :

1) Pour démontrer l’existence du préjudice donnant droit à l’indemnité, soit la perte d’un emploi et non simplement d’une simple possibilité d’emploi, il n’est pas nécessaire de démontrer que, n’eût été l’acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. Pour établir le préjudice, soit la perte d’un emploi ou d’une promotion, il n’est pas nécessaire de démontrer la probabilité—il suffit de faire la preuve d’une possibilité, pourvu qu’elle soit sérieuse (le juge Marceau, J.C.A., à la page 412).

Par contre, pour connaître l’ampleur du préjudice et les dommages-intérêts qu’il entraîne, on ne peut rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé.

Le juge Marceau, J.C.A., énonce sa conclusion à ce sujet à la page 413 :

Si je comprends bien la décision du tribunal de première instance, le président en est arrivé à la conclusion, malgré certaines remarques équivoques, que Morgan aurait pu certainement s’engager même si, théoriquement, il n’avait pas encore franchi toutes les étapes du processus de recrutement. Bien entendu, il s’agit d’une conclusion de fait fondée sur certains éléments de preuve. Ayant conclu que le tribunal antérieur n’avait pas commis, à cet égard, une erreur manifeste et dominante, le tribunal d’appel n’a pas compétence pour intervenir. Pour ce motif, nous n’avons pas non plus compétence dans ce cas. [Non souligné dans l’original.]

2) Dans l’arrêt Morgan, précité, la Cour d’appel fédérale a traité d’une deuxième question, savoir celle du calcul de l’indemnité pour perte de salaire. À la page 415, le juge Marceau, J.C.A., a fait sienne la déclaration du tribunal d’appel dans Foreman c. Via Rail Canada Inc. (1980), 1 C.H.R.R. D/233, au sujet des principes qui devraient guider le tribunal dans son appréciation et son évaluation de la perte financière :

À notre avis, le mot « indemnité » (à titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doivent appliquer les principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil, dont le principe essentiel repose, dans l’octroi de dommages-intérêts, sur celui de la « restitutio in integrum » : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s’était pas produit, dans la mesure où l’argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure où celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes.

3) L’arrêt Morgan, précité, a confirmé la déclaration que l’on trouve dans Canada (Procureur général) c. MacAlpine, [1989] 3 C.F. 530(C.A.), savoir qu’il y a lieu de tenir compte du caractère indirect ou de la prévisibilité dans l’évaluation des dommages-intérêts. Dans l’arrêt Morgan, précité, le juge Marceau, J.C.A., s’exprime de la façon suivante, à la page 416 :

Le but visé demeure le même : écarter les conséquences de l’acte qui sont trop lointaines compte tenu de tous les événements qui ont eu lieu entre les deux. Quelle que soit la source de responsabilité, le bon sens s’applique.

4) La troisième question traitée dans l’arrêt Morgan, précité, porte sur la limitation du préjudice, question que le juge Marceau, J.C.A., n’a pas trouvé compliquée puisqu’elle ne soulève aucune question de droit. Les deux tribunaux en cause avaient conclu que l’évaluation des dommages-intérêts devait tenir compte de l’obligation bien établie en common law de limiter le préjudice. Sur cette question, le juge Marceau, J.C.A., parvient à la conclusion suivante, à la page 417 :

À mon avis, cette intervention du tribunal d’appel n’est pas justifiée. Alors que la question de limitation du préjudice est une question mixte de droit et de fait, les opinions divergentes du tribunal d’appel reposaient entièrement sur l’appréciation des éléments de preuve. Le président du tribunal de première instance n’a certes pas été guidé par une connaissance imparfaite de la loi ou une fausse appréciation des éléments de preuve en rendant sa décision. Ses conclusions étaient les bonnes—Je pense qu’il faut les rétablir. [Non souligné dans l’original.]

5) Un autre principe énoncé dans l’arrêt Morgan, précité, porte sur la question des intérêts accordés, tant sur l’indemnité principale pour perte de salaire que sur l’indemnité spéciale pour préjudice moral. Quant à l’indemnité pour perte de salaire, le premier tribunal avait accordé les intérêts composés calculés tous les six mois au taux que la Banque canadienne impériale de commerce accorde à ses clients de premier ordre. Le tribunal d’appel y a substitué un taux différent, soit celui des obligations d’épargne du Canada. À la page 420, le juge Marceau, J.C.A., a conclu que les intérêts composés ne sont justifiés que si, au vu des éléments de preuve et des circonstances de l’affaire, ils sont nécessaires pour indemniser les pertes subies.

6) Le juge Marceau, J.C.A., a conclu que la loi permet d’accorder les intérêts sur l’indemnité pour préjudice moral.

[143]   La question dont était saisi le juge Rothstein dans Uzoaba, précité, porte sur la partie de la décision d’un tribunal ordonnant à l’employeur d’offrir à M. Uzoaba, à la première occasion raisonnable, un poste de niveau WP-5, ce qui constituerait une promotion par rapport au poste de niveau WP-3 qu’il occupait au moment où ses droits ont été violés. L’argument présenté au juge Rothstein par l’avocat du procureur général était le suivant : la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoit un régime de promotions au mérite et un tribunal des droits de la personne ne peut y passer outre.

[144]   Le juge Rothstein a rejeté l’argument du procureur général et conclu que, même si le pouvoir d’un tribunal des droits de la personne d’ordonner qu’une promotion soit accordée à un fonctionnaire entre en conflit avec la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, il était convaincu que les dispositions de la Loi doivent avoir préséance. Il a fondé cette conclusion sur le principe de la préséance des dispositions législatives en matière de droits de la personne par rapport aux dispositions législatives ordinaires, de sorte qu’un tribunal ait les pouvoirs nécessaires pour corriger les effets de l’acte discriminatoire. Je constate que le juge Rothstein s’est aussi appuyé sur l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199, une affaire qui se trouvait justement à porter sur les droits de la personne et les langues officielles. À la page 207, il est clairement dit que le droit du gouvernement de répartir ses ressources ne peut l’emporter sur la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, ch. 33]. Dans l’arrêt Kelso, précité, le juge Dickson, alors juge puîné, déclare à la page 210 :

Certes, il est tout à fait juste de dire que la Cour ne peut pas nommer M. Kelso à un poste de la Fonction publique. L’acte administratif de nomination est du ressort de la Commission. Mais la Cour a le droit de « déclarer » quels sont juridiquement les droits respectifs de l’appelant et de l’intimée.

La Commission de la Fonction publique n’est pas au-dessus des lois du pays. Si elle rompt un contrat ou contrevient à la loi, les tribunaux ont le droit de le déclarer.

[145]   Dans Uzoaba, précité, le tribunal avait conclu que l’évaluation du rendement du Dr Uzoaba confirmait qu’il était en droit de s’attendre à une promotion d’ici une année ou deux, s’il pouvait corriger les faiblesses indiquées dans l’évaluation. Le tribunal s’est dit d’avis que si le Dr Uzoaba avait continué au SCC, il aurait pu raisonnablement s’attendre à être promu à un poste de niveau WP-4 dans un délai d’environ trois ans. Le tribunal a ajouté que le Dr Uzoaba se serait probablement bien acquitté de ses fonctions de WP-4 et qu’il aurait obtenu une autre promotion plus tard. Le tribunal a donc conclu qu’il convenait de réintégrer le Dr Uzoaba à un poste de niveau WP-5.

[146]   Renvoyant à ces conclusions, le juge Rothstein a conclu que la question portait sur la suffisance de la preuve et il a déclaré que si le Dr Uzoaba avait été réintégré à un poste de niveau supérieur en l’absence d’éléments de preuve indiquant que sa promotion était raisonnablement prévisible, le tribunal aurait alors commis une erreur. Il a constaté la présence d’éléments de preuve, selon le critère de possibilité sérieuse énoncé dans l’arrêt Morgan, précité établissant que le Dr Uzoaba aurait atteint le niveau WP-5 au moment de la décision du tribunal. Le juge Rothstein a ensuite fait état d’éléments de preuve, dont le tribunal avait été saisi, établissant que certains collègues de M. Uzoaba avaient obtenu une promotion, et conclu que certains éléments permettaient au tribunal de conclure que le Dr Uzoaba devait être réintégré à un poste de niveau WP-5. Il a conclu que ceci justifiait « pourquoi notre Cour ne peut intervenir en l’espèce ».

b)         La limitation des dommages

[147]   Le procureur général soutient que Nancy Green, n’ayant pas

1) lancé une recherche d’emploi active à la première occasion;

2) continué sa recherche d’emploi;

3) continué sa formation compensatoire en français;

4) accepté de suivre une formation en français à plein temps lorsqu’on lui en a fait l’offre;

n’a pas limité les dommages-intérêts qui, selon elle, résultent des actes discriminatoires. Ce défaut est d’une telle importance qu’il est venu rompre tout lien rationnel qui aurait pu exister entre la discrimination exercée par les tests de langue et ce que le tribunal veut corriger, savoir le fait qu’elle n’a pas été promue.

[148]   Selon cette formulation, le procureur général ne présente pas la demande habituelle de limitation des dommages-intérêts qu’on trouve souvent dans les litiges civils, mais souhaite qu’on déclare qu’il n’y a pas lieu d’appliquer de mesures correctives étant donné que Nancy Green n’a pas pris de mesures dans les quatre domaines précités.

iii)        Les questions subsidiaires

[149]   Le procureur général soutient que l’ordonnance du tribunal était entachée d’autres erreurs :

a) la mesure corrective en matière de pension ne peut avoir de suite puisqu’elle enfreint le paragraphe 62(1) de la Loi;

b) la destruction de documents contrevient à la Loi sur les Archives nationales du Canada [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 1];

c) le tribunal n’a pas donné de date pour le début de son calcul de la perte de salaire;

d) le tribunal a commis une erreur dans la date portant sur la majoration; et

e) il a commis une erreur en accordant une indemnité pour frais de justice.

iv)        Conclusions relatives à ces questions

[150]   Pour faciliter le suivi, je vais traiter des arguments du procureur général en les replaçant dans le contexte des mesures correctives accordées à Nancy Green.

1)         La promotion à un poste de niveau PM-6—mesure corrective no 1

[151]   Cette mesure corrective est maintenue. Il ne peut être question d’un quelconque caractère indirect, si l’on se fonde sur le critère de possibilité sérieuse de l’arrêt Morgan, précité, le principe de primauté que je considère enchâssé dans l’article 82 de la LLO, du moins pour cette Loi, le critère de la promotion raisonnablement prévisible, et son application à la preuve, telle que formulée par le juge Rothstein dans Uzoaba, précité. Aux pages 31 et 32 [paragraphes 160 à 163] de sa décision, le tribunal s’est exprimé très clairement à ce sujet, et il a accordé cette mesure corrective sur le fondement de la preuve qui lui était présentée.

[152]   Il convient de traiter ici de l’argument portant sur la limitation des dommages présenté par le procureur général, argument qui se fonde, comme je l’ai fait remarquer, sur le fait qu’il n’y avait pas de droit à une promotion au niveau PM-6. En d’autres termes, le procureur général soutient que Nancy Green n’a pas droit à cette mesure corrective puisqu’elle aurait pu être promue au niveau PM-6 dans un autre poste et qu’elle aurait pu continuer sa formation linguistique en français.

[153]   Au vu de la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que quoique Nancy Green ait pu faire ou ne pas faire après sa nomination comme conseillère industrielle à un poste de niveau PM-5 en février 1989, elle n’a pas perdu son droit d’obtenir des mesures correctives en vertu de la Loi. Parmi les éléments de preuve cités, on trouve :

1) l’apprentissage de ses nouvelles fonctions;

2) le fait qu’elle a pris deux ans de congé de maternité, de septembre 1991 à septembre 1993;

3) le fait qu’il y avait des négociations qui se poursuivaient en vue d’obtenir un règlement de sa plainte;

4) le fait que beaucoup des occasions d’emploi étaient à l’extérieur de Toronto;

5) le fait que plusieurs, sinon la majorité des postes de niveau PM-6, étaient désignés bilingues et qu’elle ne pouvait satisfaire à cette exigence.

[154]   Au sujet de l’abandon de la formation en français, l’allégation du procureur général que Nancy Green aurait refusé de suivre une telle formation à temps plein en 1990 m’a préoccupé. Il semble que ceci impliquait de prendre son poste de PM-5 unilingue et de le désigner bilingue, afin qu’elle puisse obtenir la formation en français à temps plein à partir du mois de septembre 1991. Nancy Green a témoigné à ce sujet (dossier des défenderesses, vol. 3, pages 436 et suivantes). Je ne suis pas convaincu que Nancy Green ait reçu une offre aussi claire. À la page 439, elle déclare que [traduction] « tout cela était très nébuleux ». Je suis aussi convaincu que Nancy Green a continué d’examiner la possibilité d’obtenir de la formation en langue française, comme on le voit, par exemple, à la page 440.

[155]   Pour ces motifs, l’argument du procureur général est rejeté.

2) Le salaire perdu—mesure corrective no 2

[156]   Le procureur général soutient que le tribunal ne donne pas la date du début de son calcul et, subsidiairement, qu’il n’a pas limité la perte de salaire. J’ai déjà rejeté l’argument portant sur la limitation.

[157]   Je partage l’avis de l’avocate de la Commission que l’ordonnance du tribunal relative à la perte de salaire, portant sur une somme de 69 895 25 $, est fondée sur la preuve et que, comme Nancy Green a recommencé à toucher son salaire de PM-5 en février 1989, c’est cette date qu’il convient d’utiliser pour déterminer à quel moment doit commencer l’indemnisation.

3)         La majoration—mesure corrective no 3

[158]   Le tribunal a accordé à Nancy Green une majoration à titre d’indemnisation pour les effets fiscaux négatifs attribuables à la non-réception d’un revenu annuel au niveau PM-6 à compter de la date où l’acte discriminatoire a été commis.

[159]   Le procureur général soutient que la date où la majoration doit commencer à s’appliquer est celle de février 1989 et la Commission accepte ce point de vue. L’ordonnance du tribunal est modifiée en conséquence.

4) La rajustement de la pension—mesure corrective no 4

[160]   Le tribunal a ordonné que la pension prévue pour Nancy Green soir rajustée pour tenir compte du salaire découlant de son emploi au niveau PM-6, du 21 février 1989 à ce jour.

[161]   Le procureur général s’appuie sur le paragraphe 62(1) de la partie III de la Loi, qui constituerait une fin de non-recevoir à ce sujet. Le procureur général cite aussi Canada (Procureur général) c. Maggee, [1998] 4 C.F. 546(1re inst.). Le paragraphe 62(1) porte que la partie III et les parties I et II ne s’appliquent, ni directement ni indirectement, aux régimes ou caisses de retraite constituées par une loi fédérale antérieure au 1er mars 1978.

[162]   Le procureur général soutient que ce paragraphe ne s’applique pas seulement au dépôt des plaintes, mais qu’il interdit également à tout tribunal de traiter de toute question relative à un régime de retraite constitué avant le 1er mars 1978.

[163]   Je ne peux accepter l’argument du procureur général. Rien dans l’ordonnance du tribunal ne vient modifier ou affecter de quelque façon que ce soit la structure du régime de retraite auquel Nancy Green participe. Tout ce que l’ordonnance prévoit, c’est qu’à l’intérieur du régime lui-même, Nancy Green soit traitée comme si elle avait été PM-6. Il est clair que le tribunal a la compétence pour prendre cette mesure corrective, au vu du principe de restitutio in integrum.

5)         L’admission au programme de cours de français—mesure corrective no 5

[164]   Le procureur général soutient que le tribunal n’a pas ordonné qu’on nomme Nancy Green au poste bilingue qu’elle cherchait à obtenir, et il fait valoir qu’elle ne s’est pas portée candidate par la suite à des postes bilingues à nomination non impérative. Le procureur général soutient que cette dépense n’est généralement autorisée que par suite d’une exigence opérationnelle.

[165]   Je partage l’avis de la Commission et de Nancy Green que la preuve démontre clairement qu’on lui a refusé l’accès au PFL à cause de son trouble d’apprentissage et que cette décision a fait qu’elle ne pouvait plus présenter sa candidature à des postes bilingues. Cette mesure corrective est maintenue.

6)         Le retrait et la destruction des dossiers— mesure corrective no 6

[166]   Le tribunal a ordonné que le pronostic défavorable obtenu par Nancy Green relativement aux tests d’aptitudes linguistiques soit retiré de tout dossier tenu par son employeur et détruit. Le tribunal a déclaré tout simplement que vu que [à la page 34, paragraphe 170(6)] « selon la preuve présentée par les intimés, il y a eu un certain manque de communication entre les ministères au sujet des dossiers établis aux fins de l’appel et de la plainte formulés par Mme Green, ou tout simplement au sujet de ses antécédents professionnels, un rapport concernant le retrait de ce pronostic négatif de tous les dossiers doit être remis à Mme Green avant le 15 septembre ».

[167]   Le procureur général s’appuie sur le paragraphe 5(1) de la Loi sur les Archives nationales du Canada, qui porte que l’élimination ou l’aliénation des documents des institutions fédérales et des documents ministériels, qu’il s’agisse ou non de biens de surplus, est subordonnée à l’autorisation de l’archiviste.

[168]   Au contraire, la Commission et Nancy Green soutiennent que même si un pronostic défavorable est censé être un document hautement confidentiel, une copie de ce pronostic défavorable se trouvait à son dossier de rémunération plus de dix ans après qu’on l’a envoyé au Ministère. Elles soutiennent que le pronostic défavorable n’est pas bien protégé et qu’il peut continuer à porter préjudice à Nancy Green dans sa carrière et ses possibilités d’avancement.

[169]   Je ne crois pas que le tribunal ait compétence pour ordonner la destruction du pronostic défavorable, mais je partage l’avis de la Commission et de Nancy Green qu’il doit être totalement protégé. L’ordonnance du tribunal est modifiée pour imposer à la CFP l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la confidentialité du pronostic défavorable original et le retrait de toutes les copies de ce pronostic qui ont pu être faites et qui sont en circulation.

7)         Le cours de gestion—mesure corrective no 7

[170]   Le tribunal a ordonné que Nancy Green suive le cours de gestion adapté à son poste de PM-6, en prévision d’un avancement ultérieur à des niveaux de cadre dans la fonction publique fédérale. Le tribunal constate qu’au moment où les actes discriminatoires ont été commis, Nancy Green était une employée modèle, dont les appréciations annuelles du rendement la classaient bien au-dessus de la moyenne. Elle était une employée susceptible d’être promue. Le tribunal ajoute que la plupart de ses employeurs étaient d’accord avec cette évaluation et la décrivaient comme une employée susceptible d’être promue qui devrait suivre un cours de gestion favorisant sa mobilité ascendante.

[171]   Le procureur général soutient que le tribunal a commis une erreur en concluant que Nancy Green n’avait pas reçu une formation en gestion par suite des actes discriminatoires de son employeur.

[172]   Je partage l’avis de Nancy Green et de la Commission que si elle avait été promue au poste de PM-6, elle aurait reçu une formation en gestion. Selon moi, l’ordonnance du tribunal est un corollaire nécessaire à sa conclusion principale qu’elle devait être nommée à un poste de PM-6, conclusion que j’ai maintenue.

8)         La nomination au niveau EX-1—mesure corrective no 8

[173]   L’analyse sur le fond de cette question est la même que celle que j’ai utilisée à la mesure corrective no 1. Pour les mêmes motifs, cette mesure corrective est maintenue.

[174]   L’exposé du tribunal qui est pertinent ici se trouve aux pages 35 et 36 [paragraphe 170] de sa décision. Je cite la conclusion du tribunal à ce sujet, à la page 36 [paragraphe 170(7)] :

Elle a toutefois continué à mettre sa fierté à faire son travail. Si ce n’avait été des actes discriminatoires commis par son employeur, il est tout probable que sa carrière aurait connu un plus grand épanouissement et que des promotions l’auraient fait avancer bien au delà du niveau PM-6 dans son cheminement.

[175]   À mon avis, le tribunal était saisi de toute la preuve nécessaire pour arriver à sa conclusion.

9)         L’indemnité spéciale de 5 000 $—mesure corrective no 9

[176]   En vertu du paragraphe 53(3) de la Loi, la Commission a ordonné que Nancy Green reçoive une indemnité spéciale de 5 000 $. À la page 36 [paragraphe 170(8)] de sa décision, le tribunal a pris en considération la frustration et le préjudice moral que, selon ce que la preuve révèle clairement, les dix dernières années de discrimination systémique ont causés à Nancy Green. Le tribunal a ajouté que le refus de l’employeur à la plupart des paliers d’admettre le trouble d’apprentissage dont elle souffrait et d’en tenir compte avait été exacerbé par l’attitude et les pratiques de ce dernier.

[177]   Cette mesure corrective est maintenue. Le procureur général n’a pas débattu cette question très longuement et il ne pouvait s’appuyer sur une quelconque absence de preuve au dossier du tribunal.

10)      L’intérêt—mesure corrective no 10

[178]   À la page 36 [paragraphes 170(9), (10)] de sa décision, le tribunal dit ceci : « [p]our que Mme Green soit fermement rétablie dans une situation dans laquelle elle se serait trouvée en 1987, le tribunal ORDONNE […] qu’un intérêt composé au taux des obligations d’épargne du Canada soit calculé à compter de la date où l’acte discriminatoire a été commis, soit le 5 janvier 1987, sur toutes les sommes dues à Mme Green, y compris l’indemnité spéciale prévue à l’article 53(3) ».

[179]   Le procureur général conteste cette mesure corrective pour deux motifs :

a) l’octroi de l’intérêt composé plutôt que de l’intérêt simple sur le salaire perdu est contraire à l’arrêt Morgan, précité;

b) l’intérêt sur l’indemnité spéciale n’est pas autorisé par la loi, étant donné que la compensation maximale ne peut dépasser 5 000 $ (disposition législative qui a été modifiée depuis).

[180]   Dans l’arrêt Morgan, précité, le juge MacGuigan, J.C.A., qui s’est rangé à l’avis des juges majoritaires sur ce point, a déclaré à la page 439 que ce sont les intérêts simples qui doivent être accordés le plus souvent, sauf dans des circonstances spéciales décrites et motivées par le tribunal. À la page 420, le juge d’appel Marceau a déclaré que le tribunal peut accorder des intérêts composés si, et seulement si, en vertu des éléments de preuve et des circonstances de l’affaire, ces intérêts sont nécessaires pour indemniser les pertes subies.

[181]   De plus, au sujet de l’indemnité spéciale, le juge MacGuigan a déclaré que l’arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391de la Cour d’appel fédérale a réglé la question du pouvoir d’accorder des intérêts sur l’indemnité pour préjudice moral. Il dit, à la page 437, que « ces intérêts peuvent être accordés pourvu que l’indemnité (y compris les intérêts) ne dépasse pas la somme de 5 000 $ ».

[182]   Je me range à l’avis du procureur général sur ce point. Au sujet de l’intérêt sur le salaire perdu, ni la Commission ni Nancy Green n’ont apporté des éléments de preuve ou fait état de circonstances démontrant que les intérêts composés étaient nécessaires pour indemniser la perte subie. Le tribunal n’avait pas non plus indiqué ou justifié de circonstances particulières. De plus, l’indemnité spéciale, qui était alors de 5 000 $, ne pouvait dépasser ce montant. Or, comme la mesure corrective accorde 5 000 $, il ne reste aucune marge pour accorder l’intérêt.

[183]   En conséquence, l’ordonnance du tribunal est modifiée pour remplacer l’intérêt composé par l’intérêt simple sur les sommes dues à Nancy Green, et exclure l’intérêt sur l’indemnité spéciale.

11)      Les frais de justice—mesure corrective no 11

[184]   Le tribunal a ordonné le paiement de la somme de 4 057 22 $ pour acquitter les frais de justice. Le dossier comprend des éléments de preuve qui indiquent que Nancy Green avait retenu les services d’un avocat d’octobre 1995 à juin 1996 pour l’aider à préparer sa présentation dans le cadre des délibérations et du processus décisionnel de la Commission.

[185]   Le procureur général soutient que la Loi ne parle pas de l’octroi des frais de justice et que la seule référence à un pouvoir le moindrement analogue à celui d’accorder les frais de justice est la mention des dépenses à l’alinéa 53(2)c). Le procureur général cite Canada (Procureur général) c. Lambie (1996), 124 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), où mon collègue le juge Nadon dit à la page 315 que la Loi n’accorde pas le pouvoir d’adjuger des frais, bien que le législateur aurait pu facilement l’accorder.

[186]   Je partage l’avis de mon collègue que si le législateur avait voulu que le tribunal ait le pouvoir d’octroyer des frais de justice, il l’aurait précisé. On peut citer ici l’alinéa 53(2)d), qui parle d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement. Aucune mention n’est faite de frais juridiques, ce qui indique que le législateur n’avait pas l’intention d’accorder au tribunal le droit d’ordonner le paiement de tels frais.

[187]   J’accepte le point de vue du procureur général. Cette partie de l’ordonnance du tribunal est annulée.

F.         DISPOSITIF

[188]   Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie, mais uniquement dans le but de modifier, conformément aux motifs de l’ordonnance, les mesures correctives nos 3, 6 et 10 ainsi que d’annuler la mesure corrective no 11, parmi les mesures correctives accordées à Nancy Green personnellement. La Commission a demandé les dépens et, comme elle a eu gain de cause en grande partie, je lui accorde. La Commission a demandé des directives de mise en oeuvre. Les mesures correctives accordées à Nancy Green doivent être mises en oeuvre dès que possible. Je demeure disponible si des problèmes se posent.

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