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[1995] 2 C.F. 331

IMM-7073-93

Henry Halm (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Halm c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 6, 7, 8, 9 février; Ottawa, 24 février 1995.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Requérant déclaré coupable de sodomie aux États-Unis — Aucune infraction équivalente au Canada car l’art. 159 du Code criminel (interdisant les relations sexuelles anales avec des personnes de moins de 18 ans) contrevient aux art. 7 et 15 de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — L’art. 159 du Code criminel (interdisant les relations sexuelles anales avec des personnes de moins de 18 ans) viole l’art. 7 de la Charte parce qu’il n’a pas d’objet constitutionnel, qu’il n’a pas de lien rationnel avec son prétendu objet et que son effet est disproportionné par rapport à son objet — La peine de dix ans d’emprisonnement (peine prévue par l’art. 159) donne lieu à l’application de l’art. 7 de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Discrimination fondée sur l’âge, contre les homosexuels — L’art. 159 du Code criminel (interdisant les relations sexuelles anales avec des personnes de moins de 18 ans) viole l’art. 15 de la Charte parce qu’il n’a pas d’objet constitutionnel, qu’il n’a pas de lien rationnel avec son prétendu objet et que son effet est disproportionné par rapport à son objet.

Contrôle judiciaire — La décision d’un arbitre de l’immigration de procéder à l’enquête sur l’inadmissibilité en vertu de l’art. 19 de la Loi sur l’immigration en l’absence d’un avocat ne viole pas les principes de justice naturelle dans le cas où l’arbitre a ajourné l’enquête à cinq reprises pour permettre au requérant de retenir les services d’un avocat.

Il y avait des motifs raisonnables de croire que le requérant, qui n’était ni un citoyen canadien ni un résident permanent, avait été déclaré coupable à l’étranger d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Il avait notamment été déclaré coupable aux États-Unis de cinq chefs d’accusation de sodomie au troisième degré. La demande visait l’annulation de la mesure d’expulsion conditionnelle prise contre le requérant.

Le principal argument du requérant portait qu’il n’existait pas d’infraction comparable au Canada parce que l’article 159 du Code criminel (qui interdit les relations sexuelles anales avec les personnes de moins de 18 ans) était inconstitutionnel du fait qu’il violait les articles 7 et 15 de la Charte.

Jugement : la mesure d’expulsion conditionnelle doit être annulée.

L’argument selon lequel il a été porté atteinte au droit du requérant d’être représenté par un avocat n’était pas bien fondé. L’arbitre a décidé de procéder à l’enquête pour déterminer si le requérant appartenait à une catégorie non admissible décrite au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l’immigration seulement après avoir ajourné l’enquête à cinq reprises pour permettre au requérant de donner un mandat et des directives à un avocat.

Il y avait des motifs raisonnables de croire que le requérant avait été déclaré coupable à l’étranger d’une infraction équivalente.

S’il n’existait pas d’infraction prévue au Code criminel parce que l’article 159 était inconstitutionnel, la décision de l’arbitre aurait été fondée sur une erreur de droit qui entacherait cette décision en vertu des principes de justice naturelle habituels reconnus en common law. De plus, la décision de l’arbitre entraînerait l’application de l’article 7 de la Charte car une mesure d’expulsion touche, à tout le moins, la sécurité de la personne qu’elle vise.

Il n’était pas contesté que le requérant était autorisé à contester la validité de l’article 159, bien qu’il l’ait fait indirectement dans le contexte d’une procédure d’expulsion, plutôt qu’après avoir été accusé ou déclaré coupable en vertu de cet article.

Bien que certaines remarques formulées dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général) (portant que la sécurité de la personne englobe l’autonomie personnelle, la maîtrise de l’intégrité physique et psychologique et la dignité humaine fondamentale) puissent être interprétées comme élargissant la portée de la protection au-delà de la simple sécurité physique, il n’était pas nécessaire de trancher cette question, étant donné qu’une condamnation pour l’infraction prévue à l’article 159 peut entraîner une peine d’emprisonnement de dix ans, de sorte que la « liberté et la sécurité de la personne » sont clairement en jeu.

L’article 159 du Code criminel établit une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, un motif analogue à ceux énumérés expressément à l’article 15 de la Charte, et il établit une discrimination fondée sur l’âge parce que d’autres dispositions comparables du Code criminel concernant les activités sexuelles fixent l’âge du consentement à 14 ans.

Une fois son existence établie, la discrimination visée par l’article 15 doit être appréciée en regard de l’article premier de la Charte afin de déterminer si elle répond au critère voulant que sa « justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

Aux fins des articles 7 et 15, il faut déterminer : (1) s’il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi et les moyens retenus pour y parvenir; (2) si l’atteinte aux droits causée par ces moyens est minimale; (3) si l’effet de ces moyens est proportionnel à l’objet de la loi.

L’objet de la loi doit être évalué par rapport au moment de son adoption (en l’occurrence, le moment de la modification apportée à l’article 159 en 1988) et il n’est pas possible de justifier une disposition en se fondant sur le but qu’elle peut servir à une date ultérieure (en l’espèce, protéger les jeunes du risque de la transmission du V.I.H. par coït anal). Dans une société libre et démocratique, la criminalisation d’une activité ne peut se justifier uniquement du fait qu’une partie ou peut-être même la majorité des citoyens la considèrent immorale. Renforcer les préceptes moraux et empêcher les jeunes homosexuels de reconnaître leur orientation sexuelle dès leur jeunesse ne constituent pas des objets pouvant justifier que l’activité en cause soit une infraction sous le régime du Code criminel. La preuve n’a pas établi que la prévention de la transmission du V.I.H. était l’un des buts de l’article 159.

L’article 159 n’a pas d’objet constitutionnel. Il ne peut y avoir de lien rationnel entre la disposition contestée et son prétendu objet, et ses effets ne sont pas proportionnels à son objet.

La preuve n’a pas démontré que le choix d’entamer une procédure d’expulsion, plutôt qu’une procédure d’extradition, était inéquitable bien que cette dernière offre des garanties qui ne s’appliquent pas à la procédure d’expulsion. Il n’y a rien de fondamentalement inéquitable dans le fait qu’un État étranger retarde la procédure d’extradition lorsqu’il sait que la personne en cause est susceptible d’être expulsée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 15.

Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 253 (abrogé par L.C. 1985, ch. 19, art. 42).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 153 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 1), 159 (mod., idem, art. 3).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi de 1985 modifiant le droit pénal, S.C. 1985, ch. 19, art. 42.

Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, ch. 38.

Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, L.C. 1987, ch. 24.

Loi sur la Cour fédérale, R.S.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.1) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 83(1) (mod., idem, art. 73).

Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/89-26.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Espinoza c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 142 N.R. 158 (C.A.F.); Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 581 (1991), 85 D.L.R. (4th) 166 (C.A.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (1987), 41 D.L.R. (4th) 78; 26 Admin. L.R. (2d) 186; 3 Imm. L.R. (2d) 38; 80 N.R. 388 (C.A.); Shepherd v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 70 O.R. (2d) 766; 52 C.C.C. (3d) 388 (H.C.); conf. par (1989), 70 O.R. (2d) 765; 52 C.C.C. (3d) 386 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; 158 N.R. 1; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R. 481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77 C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; (1991), 84 D.L.R. (4th) 438; 67 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 1; 129 N.R. 81.

DÉCISIONS CITÉES :

Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.); Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; (1972), 28 D.L.R. (3d) 129; 7 C.C.C. (2d) 474; 18 C.R.N.S. 302; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; (1987), 68 Nfld. & P.E.I.R. 281; 47 D.L.R. (4th) 399; 209 A.P.R. 281; 39 C.C.C. (3d) 118; 60 C.R. (3d) 289; 32 C.R.R. 18; 81 N.R. 115; 10 Q.A.C. 161; R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633; (1990), 109 A.R. 321; [1990] 6 W.W.R. 97; 76 Alta. L.R. (2d) 1; 58 C.C.C. (3d) 353; 79 C.R. (3d) 129; 50 C.R.R. 110; 112 N.R. 83; R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; (1991), 7 C.R. (4th) 117; 128 N.R. 81; Moore v. Minister of Manpower and Immigration, [1968] R.C.S. 839.

DOCTRINE

Brown, Desmond H. The Genesis of the Canadian Criminal Code of 1892. Toronto : Univ. of Toronto Press, 1989.

Canada. Chambre des Communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi de la preuve du Canada, 2e sess., 33e Lég., 1986-1987.

Canada. Chambre des Communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-150, 1re sess., 28e Lég., 4 mars 1969.

Canada. Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution. La pornographie et la prostitution au Canada. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1985 (Président : Paul Fraser).

Canada. Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes. Infractions sexuelles à l’égard des enfants. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1984 (Président : Robin F. Badgley).

Débats de la Chambre des Communes, vols. V et VI, 1re sess., 28e Lég., 1969.

Débats de la Chambre des Communes, vols. VII et VIII, 1re sess., 28e Lég., 1969.

Débats de la Chambre des Communes, vol. I, 2e sess., 33e Lég., 1986.

Débats de la Chambre des Communes, vol. VI, 2e sess., 33e Lég., 1987.

De Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. by J. M. Evans. London : Stevens & Sons, 1980.

Goodich, M. « Sodomy in Medieval Secular Law » (1976), 1 J. Homosexuality 295.

Great Britain. Report of the Committee on Homosexual Offences and Prostitution, Cmnd. 247. London : H.M.S.O., 1957 (Chair : Sir John Wolfenden).

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 3rd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1992.

Parker, G. « The Origins of the Criminal Code », in D. H. Flaherty (ed.), Essays in the History of Canadian Law, vol. 1. Toronto : Univ. of Toronto Press, 1981.

DEMANDE d’annulation d’une mesure d’expulsion conditionnelle en raison de l’inexistence, au Canada, d’une infraction comparable à celles dont le requérant a été déclaré coupable aux États-Unis parce que l’article 159 du Code criminel est inconstitutionnel. Demande accueillie.

AVOCATS :

Paul Slansky pour le requérant.

Donald MacIntosh et Anne Marie Waters pour l’intimé.

PROCUREURS :

Paul Slansky, Toronto, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Il s’agit d’une demande d’annulation d’une mesure d’expulsion conditionnelle. L’expulsion du requérant a été ordonnée au motif qu’il n’est ni un citoyen canadien, ni un résident permanent, et qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il a été déclaré coupable à l’étranger d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Le requérant a été déclaré coupable, dans l’État de New York, aux États-Unis, de cinq chefs d’accusation de sodomie au troisième degré et de trois chefs d’accusation de mise en péril du bien-être d’un enfant. Il n’existe, au Canada, aucune infraction comparable à cette dernière qui est punissable de dix ans d’emprisonnement. Ce sont quatre des condamnations pour sodomie qui fondent la mesure d’expulsion.

Le principal argument du requérant porte qu’il n’existe pas, au Canada, d’infraction comparable à celles dont il a été déclaré coupable aux États-Unis parce que l’article 159 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 3)] est inconstitutionnel. L’article 159 dispose que les relations sexuelles anales constituent une infraction dans certaines circonstances. Le requérant soutient que cette infraction contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], parce qu’elle fixe à 18 ans l’âge en-deçà duquel une personne ne peut consentir à ce type d’acte. L’âge du consentement aux autres activités sexuelles, et notamment aux relations sexuelles vaginales, est fixé à 14 ans. Il fait valoir qu’il en résulte une distinction discriminatoire et arbitraire visant à décourager les homosexuels de reconnaître leur homosexualité dès leur jeunesse. L’objet de cette disposition législative serait donc illégal et contraire à la fois à l’article 7 et à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je dois souligner que les contacts sexuels avec des personnes de 14 à 18 ans par une personne en situation d’autorité sont régis par une disposition distincte du Code, soit l’article 153 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 1], et qu’ils ne sont pas en cause en l’espèce.

Le requérant conteste la mesure d’expulsion en se fondant également sur un certain nombre d’autres moyens. Je traiterai les arguments du requérant dans l’ordre suivant : (1) y a-t-il eu atteinte au droit du requérant d’être représenté par un avocat? (2) l’arbitre a-t-il fondé sa décision sur des motifs irréguliers parce que la preuve dont il disposait n’était pas suffisante pour lui permettre de conclure que les infractions dont le requérant a été déclaré coupable équivalaient à des infractions qui existent au Canada? (3) l’article 159 du Code criminel est-il inconstitutionnel, au motif qu’il contrevient à la Charte? (4) la mesure d’expulsion constitue-t-elle en fait une extradition déguisée?

Le droit d’être représenté par un avocat

Le requérant soutient que le droit d’être représenté par un avocat doit comprendre le droit à un délai raisonnable pour confier un mandat à un avocat, y compris le temps nécessaire pour prendre des arrangements financiers afin de le rémunérer. Cet argument vaut plus particulièrement dans une situation comme celle dont la Cour est saisie : le requérant encourt des conséquences très lourdes; les arguments à faire valoir en son nom sont de nature technique et juridique (et non factuelle); il n’était pas nécessaire que le statut du requérant soit tranché de façon hâtive.

Je reconnais que le droit d’être représenté par un avocat comprend celui d’obtenir un délai raisonnable pour donner un mandat et des instructions à un avocat et, notamment, celui de disposer du temps nécessaire pour prendre des arrangements financiers. Ce qu’on entend par une occasion raisonnable de donner un mandat et des instructions à un avocat varie cependant en fonction des circonstances de chaque espèce. La jurisprudence a établi que le droit de consulter un avocat ne comprend pas le droit à un avocat rémunéré aux frais des contribuables.

En l’espèce, le requérant ne savait pas s’il serait ou non représenté par un avocat parce qu’il ne savait pas s’il bénéficierait ou non de l’aide juridique. L’arbitre a accordé au requérant cinq ajournements qui, bien que brefs, devaient lui permettre de retenir les services d’un avocat. L’arbitre a ensuite décidé de procéder à l’enquête en l’absence d’un avocat. Voici comment se sont déroulés les événements.

Le requérant a été arrêté le 16 avril 1993. Dix jours plus tard, le 26 avril 1993, une enquête a débuté afin de déterminer si on pouvait refuser de l’admettre au Canada parce qu’il appartenait à une catégorie non admissible décrite au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11)][1]. Le 26 avril 1993, l’arbitre a demandé au requérant s’il avait été avisé qu’il avait le droit d’être représenté par un avocat et il lui a dit que l’enquête serait ajournée pour lui permettre de prendre des mesures à cet égard s’il le désirait. Le requérant a manifesté son intention de prendre de telles mesures et de communiquer avec Me Sappiano pour vérifier quand il serait disponible. L’arbitre a donné les instructions suivantes au requérant :

[traduction] … ce que j’attends de vous … c’est que vous communiquiez avec Me Sappiano, ou un autre avocat par qui vous désirez être représenté. Dites-leur que votre enquête aura lieu ce jour-là [le 30 avril 1993]. Faites en sorte soit qu’ils soient présents à votre enquête, soit qu’ils vous donnent des renseignements ou une lettre m’indiquant à quel moment ils peuvent se présenter devant moi à une date rapprochée.

Le 30 avril 1993, l’enquête a repris. Le requérant n’était pas représenté par avocat et n’avait aucune lettre précisant le moment auquel un avocat serait disponible. Le requérant a déclaré avoir communiqué avec le cabinet Quinter, Lockyer et Penovski (le nom exact du cabinet est Pinkofsky, Lockyer, Kwinter).

À cette audience, l’agent chargé de présenter les cas a déclaré que Me Slansky était entré en contact avec lui en lui disant qu’il représenterait M. Halm. Il a ajouté que Me Slansky avait demandé à être avisé de la date de la prochaine audience. L’agent chargé de présenter les cas a affirmé ne pas se rappeler très bien cette conversation et avoir perdu le numéro de téléphone de Me Slansky. Il espérait que M. Halm pourrait le lui fournir. Le requérant a déclaré que Me Slansky ne le représentait pas, qu’un autre cabinet le représentait et qu’il avait rendez-vous avec cet autre cabinet deux jours plus tard, le dimanche.

L’arbitre a dit au requérant d’aviser son avocat que deux séances avaient déjà eu lieu et que le jour fixé pour la reprise de l’enquête, le 4 mai 1993, [traduction] « s’ils ne sont pas ici avec vous, je m’attends à ce que vous ayez une lettre de l’avocat qui vous représente, quel qu’il soit, qui m’indique à quel moment il peut se présenter devant moi à une date rapprochée. »

Le 4 mai 1993, l’enquête a repris. Aucun avocat n’était présent. Le requérant a informé l’arbitre qu’il avait rencontré Me Ragonetti et que celui-ci lui avait dit qu’il transmettrait les renseignements concernant sa disponibilité par télécopieur, comme l’avait demandé l’arbitre le 30 avril 1993. Ni l’arbitre, ni l’agent chargé de présenter les cas n’a reçu ces renseignements, que ce soit avant ou après le 4 mai 1993.

L’arbitre s’est assuré que le requérant avait informé son avocat que la reprise de l’audience était prévue pour le 4 mai 1993. L’arbitre a de nouveau ajourné l’enquête en prononçant la mise en garde suivante : [traduction] « à la prochaine séance … ce que je vais faire, si je n’ai pas eu de nouvelles de votre avocat dans l’intervalle, c’est que je vais procéder à votre enquête, que vous soyez représenté par avocat ou non ». Il a ajouté [traduction] « si je reçois un message par télécopieur d’ici là et si je peux déplacer la reprise de l’audience, si c’est nécessaire, je le ferai. Mais si personne ne communique avec moi … alors … je serai forcé de procéder à l’enquête sans avocat ». L’enquête a été ajournée au 12 mai 1993.

Le 12 mai 1993, l’agent chargé de présenter les cas a reçu un message par télécopieur qui a été versé au dossier. Ce message indiquait que Me Slansky avait été pressenti pour représenter M. Halm, mais qu’il n’avait pas encore obtenu de mandat. Cette lettre indiquait qu’il faudrait de deux à trois semaines pour qu’il obtienne un mandat et que M. Halm contesterait la procédure en soutenant qu’il s’agissait d’une extradition déguisée. Cette lettre précisait que Me Slansky communiquerait avec l’agent chargé de présenter les cas dès qu’il obtiendrait un mandat. L’arbitre a dit au requérant que cette lettre n’était pas acceptable, qu’il n’était pas prêt à ajourner l’enquête sur ce fondement :

[traduction] … Je vous ai dit très clairement que j’allais procéder à votre enquête aujourd’hui, à moins que vous ne vous présentiez devant moi et que vous me donniez des dates auxquelles votre avocat serait disponible. Si vous arrivez et si vous me dites que vous avez effectivement parlé à un avocat qui va vous représenter s’il réussit à se faire payer d’une façon ou d’une autre … mais qui ne sait pas s’il réussira … quant à moi, cela ne fait que retarder l’enquête. Ce n’est pas satisfaisant.

Et sa promesse de communiquer avec M. Lambert lorsqu’il aura obtenu un mandat … Si je faisais ce qu’il me demande, il m’enlèverait pratiquement le contrôle de l’enquête pour l’exercer à ma place. Et je dois attendre qu’un avocat, qui ne vous représentera peut-être même pas, téléphone à M. Lambert et nous dise qu’il est enfin prêt à ce que votre cause soit entendue, ce n’est tout simplement pas satisfaisant …

Le requérant a indiqué que c’est à l’aide juridique qu’il fallait imputer ce retard. L’arbitre a déclaré que l’aide juridique n’avait rien à y voir, mais qu’il était prêt à ajourner l’enquête une fois de plus :

[traduction] Vous avez certes le droit d’être représenté par un avocat, mais vous n’avez pas le droit de me faire attendre indéfiniment en attendant que vous en trouviez un.

Bon, compte tenu de ce que vous avez dit et du contenu de cette lettre signée par un avocat, je vais ajourner l’enquête encore une fois.

Mais je ne l’ajourne pas aux conditions qu’il stipule. Vous êtes mieux de communiquer avec lui et de le lui dire. Je n’ai pas l’intention de le faire.

Il n’affirme même pas officiellement qu’il vous représente. Il dit simplement : Attendez donc un peu, le temps que je décide si je vais représenter cet homme.

Très bien, je vais ajourner pour une autre semaine, grosso modo. Nous allons choisir une date la semaine prochaine. Et ce que je vais exiger de vous lorsque vous allez revenir ce jour-là, c’est un message de Me Slansky qui m’indique quand l’aide juridique prendra une décision, si ce n’est déjà fait. Ou encore, à quel moment il peut se présenter devant moi. Et il se peut que je procède à la prochaine séance. Si j’apprends que l’aide juridique ne prendra pas une décision avant longtemps, je n’attendrai pas sa décision.

L’enquête a été ajournée au 20 mai 1993.

Le 20 mai 1993, le requérant n’était pas représenté par un avocat. Monsieur Halm a informé l’arbitre que Me Slansky souffrait d’une grippe, mais que l’aide juridique l’avait informé que sa demande avait été approuvée, [traduction] « mais ils veulent une opinion ou un document quelconque concernant le bien-fondé de la cause ». La discussion qui a suivi révèle clairement que ce que le requérant a déclaré a jeté la confusion dans l’esprit de l’arbitre :

[traduction] L’ARBITRE : Vous avez parlé à une personne de l’aide juridique qui vous a dit qu’un certificat avait été approuvé?

L’INTÉRESSÉ : Oui. Ils sont venus à la prison jeudi dernier. Mercredi ou jeudi. Ils avaient un certificat dans une enveloppe et m’ont dit qu’il avait été approuvé. Il m’ont demandé si je le voulais ou si je voulais qu’ils l’envoient à mon avocat. Je leur ai dit, vous savez, envoyez-le à mon avocat. Et puis, il m’appelle et il me dit qu’ils l’ont approuvé, mais qu’ils veulent certains renseignements sur ma cause. J’ignore de quoi il s’agit.

L’ARBITRE : C’est très étrange. Cela ne me paraît pas très logique. Toutefois, ce que je vais faire, étant donné que vous avez peut-être un certificat maintenant, je ne peux pas vraiment l’affirmer à partir de ce que vous avez dit, et puisque vous me dites que votre avocat était assez malade lorsque vous lui avez parlé, ce que je vais faire c’est ajourner une fois de plus.

Je n’aime pas procéder ainsi, tout simplement parce que je ne sais pas si cela va nous mener quelque part ou si je n’attends pas vainement.—Je ne peux être sûr de rien, parce que ce que vous m’avez dit ne … me semble simplement un peu étrange.

S’il existe un certificat, et s’il a été approuvé, et si quelqu’un de l’aide juridique est allé jusqu’à vous rencontrer pour vous dire cela, j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi votre avocat n’a pas donné de nouvelles pour confirmer s’il allait ou non vous représenter, compte tenu de la mise en garde que je vous ai servie la dernière fois.

L’arbitre a expliqué très clairement que l’enquête serait ajournée encore une fois, jusqu’au 28 mai 1993, et qu’il procéderait péremptoirement à l’enquête à cette date si l’avocat ne communiquait pas avec lui ou s’il ne recevait pas une lettre lui indiquant à quel moment il serait disponible. L’arbitre a expliqué en langue populaire ce qu’il entendait par péremptoirement.

Le 28 mai 1993, l’enquête a repris mais l’avocat n’était pas présent et ni l’arbitre, ni l’agent chargé de présenter les cas, n’avaient reçu de lettre, ni de message par télécopieur. L’arbitre a demandé au requérant s’il avait informé son avocat des instructions qu’il lui avait données le 20 mai 1993. Le requérant a affirmé l’avoir fait et déclaré que son avocat lui avait dit qu’il allait soit lui donner quelque chose à présenter à l’arbitre, soit envoyer quelque chose par télécopieur à l’arbitre. L’arbitre a suspendu l’enquête pour vérifier si une communication avait été reçue à son bureau. Aucune ne l’avait été. Il a conclu qu’un délai raisonnable avait été fourni au requérant pour donner un mandat et des instructions à un avocat et qu’il allait procéder à l’enquête.

L’avocat du requérant soutient qu’il s’agit d’une affaire très grave, que les questions de droit en cause touchent le fond et la forme, que le requérant ne pouvait faire valoir ces arguments efficacement seul, qu’aucun motif ne justifiait qu’on hâte la procédure, et que l’arbitre aurait dû accorder une période suffisante pour que la demande d’aide juridique du requérant soit traitée. En fait, l’aide juridique n’a jamais été accordée—Me Slansky agit pro bono.

Je reconnais que le fait de hâter indûment une enquête peut porter atteinte au droit du requérant à une audience équitable. Toutefois, en l’espèce, l’arbitre a accordé cinq ajournements pour permettre au requérant d’obtenir, sous une forme quelconque, un engagement ferme à le représenter de la part d’un avocat. La remarque de l’arbitre portant qu’il abandonnerait pratiquement le contrôle du déroulement de la procédure au requérant, à son avocat et au responsable de l’aide juridique, s’il continuait d’accorder des ajournements pour ce motif, est juste.

Les remarques formulées par le juge Mahoney, J.C.A., dans un contexte différent, dans l’affaire Espinoza c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 142 N.R. 158 (C.A.F.), sont pertinentes. Il a refusé un ajournement aux fins d’attendre qu’une demande d’aide juridique soit tranchée. Il a indiqué que le principe intégré à la Loi sur l’immigration et aux Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration [DORS/89-26], selon lequel les instances doivent être réglées rapidement, avait préséance.

Après avoir lu la transcription des audiences, je suis surprise de constater à quel point l’arbitre a été juste et patient. Si on lui avait fourni des renseignements et des explications plus complètes, il aurait peut-être ajourné l’enquête une fois de plus. Il a accordé au requérant les deux ou trois semaines demandées par son avocat dans la lettre datée du 12 mai. Au cours de l’audience tenue le 12 mai, il a indiqué qu’il tiendrait compte du délai dans lequel l’aide juridique prendrait une décision, mais en précisant qu’il n’était pas disposé à attendre indéfiniment. Le requérant doit assumer la responsabilité de la confusion et de l’incompréhension qui ont régné. Dans la mesure où le délai raisonnable nécessaire pour donner un mandat et des instructions à un avocat peut dépendre de la situation particulière d’une personne, celle-ci a la responsabilité de la porter à la connaissance du responsable de la décision. La décision de l’arbitre concernant le délai raisonnable en l’espèce était fondée sur les renseignements que lui a fournis le requérant. Sa décision était équitable et raisonnable. L’audience tenue en l’absence d’un avocat le 28 mai 1993 ne contrevenait pas aux règles de justice naturelle.

L’avocat de l’intimé soutient que les règles de justice naturelle et les règles de justice fondamentale ne coïncident pas parfaitement, mais qu’elles sont différentes et qu’elles se chevauchent. Ainsi, il prétend qu’une partie des règles de justice naturelle reconnues en common law va au-delà des règles de justice fondamentale dont le respect est garanti dans la Constitution. Il soutient que la partie de ces règles qui n’est pas protégée constitutionnellement peut être abrogée par voie législative, comme c’était le cas de tous les principes de justice naturelle reconnus en common law avant l’adoption de la Charte. Je n’ai pas à trancher cet argument aux fins de la présente instance, mais je ne veux pas qu’on tienne pour acquis que j’y souscris.

L’équivalence

Le requérant a été accusé de dix infractions dans l’État de New York. Ces infractions sont décrites sommairement dans le dossier de requête :

1) Sodomie au premier degré (relations sexuelles orales sans consentement);

2) Sodomie au troisième degré (relations sexuelles orales avec une personne âgée de moins de 17 ans);

3) Mise en péril du bien-être d’un enfant; (présentation d’un film pornographique à un garçon de moins de 16 ans et masturbation devant cet « enfant »);

4) Sodomie au troisième degré (relations sexuelles orales et anales avec une personne âgée de moins de 17 ans);

5) Sodomie au troisième degré (relations sexuelles orales et anales avec une personne âgée de moins de 17 ans);

6) Sodomie au troisième degré (relations sexuelles orales avec une personne âgée de moins de 17 ans);

7) Sodomie au troisième degré (relations sexuelles orales et anales avec une personne âgée de moins de 17 ans);

8) Agression sexuelle au troisième degré (attouchement au pénis d’un garçon âgé de 15 ans);

9) Mise en péril du bien-être d’un enfant (présentation de films pornographiques à un garçon âgé de moins de 16 ans et masturbation devant cet « enfant »);

10) Mise en péril du bien-être d’un enfant (présentation d’un film pornographique à un garçon âgé de moins de 16 ans).

Il a été acquitté du premier chef d’accusation parce que le jury a conclu que les parties plaignantes avaient consenti à ces actes. Il a été acquitté du huitième chef d’accusation.

L’infraction du Code criminel du Canada à laquelle les infractions 4, 5, 6 et 7 ont été jugées équivalentes est prévue à l’article 159 :

159. (1) Quiconque a des relations sexuelles anales avec une autre personne est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux actes commis, avec leur consentement respectif, dans l’intimité par les époux ou par deux personnes âgées d’au moins dix-huit ans.

(3) Les règles suivantes s’appliquent au paragraphe (2) :

a) un acte est réputé ne pas avoir été commis dans l’intimité s’il est commis dans un endroit public ou si plus de deux personnes y prennent part ou y assistent;

Au Canada, les relations sexuelles orales ne constituent pas une infraction. Le texte de la loi de l’État de New York en vertu duquel le requérant a été déclaré coupable (sodomie au troisième degré) dispose que les [traduction] « relations sexuelles déviantes » constituent une infraction. D’après ce que je comprends de l’argument de l’avocat, bien que la description des infractions dont le requérant a été accusé (numéros 4 à 7) mentionne à la fois des relations sexuelles anales et orales, une déclaration de culpabilité aurait été possible par application de la loi de l’État de New York, même si le jury avait conclu que les actes commis ne comprenaient pas de relations sexuelles anales. Il soutient donc que la preuve présentée à l’arbitre était insuffisante pour lui permettre de conclure que les infractions dont M. Halm a été déclaré coupable dans l’État de New York équivalaient à une infraction prévue au Code criminel du Canada.

Cet argument n’est pas convaincant. Premièrement, M. Halm a soulevé, au cours de l’audience tenue devant l’arbitre, l’argument selon lequel il « aurait pu être déclaré coupable » de relations sexuelles orales, et « pas nécessairement de relations sexuelles anales ». L’agent chargé de la présentation des cas a révélé posséder des éléments de preuve établissant qu’il y avait eu relations sexuelles anales, mais qu’il ne pensait pas que M. Halm contesterait ce fait. Monsieur Halm a admis ne pas [traduction] « vouloir aller aussi loin ». Il a aussi révélé qu’il n’avait aucune idée des arguments juridiques qu’il essayait de faire valoir. Il est clair que M. Halm comprenait que les relations sexuelles orales ne constituaient pas un crime au Canada. Il a eu l’occasion d’affirmer qu’il n’avait pas été établi qu’il avait eu des relations sexuelles anales, si cela avait été le cas. Il aurait pu déclarer directement qu’il n’avait pas été déclaré coupable de relations sexuelles anales. Il ne l’a pas fait. Il est raisonnable de conclure, à partir de ses remarques, qu’il ne contestait pas ce fait.

L’arbitre est tenu, en vertu de l’article 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de la Loi sur l’immigration, de déterminer si le requérant est une personne dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été déclarée coupable à l’étranger d’une infraction équivalente. Il n’est pas nécessaire d’établir cette équivalence au-delà de tout doute raisonnable. Il suffit qu’il existe « des motifs raisonnables de croire »[2]. L’arbitre disposait certainement d’une preuve suffisante pour étayer sa conclusion à cet égard.

La constitutionnalité de l’article 159 du Code criminel

L’avocat du requérant soutient que l’article 159 est inconstitutionnel parce qu’il contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte. J’examinerai les arguments fondés sur la Charte en décrivant premièrement le contexte dans lequel ils sont soulevés—soit celui d’une enquête menant à une mesure d’expulsion —puis, en examinant les prétentions formulées concernant les articles 7 et 15.

(1)       Le contexte—la procédure d’expulsion

Le requérant conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision de l’arbitre qui a mené à la prise d’une mesure d’expulsion contre lui. Dans ce contexte, les principes habituels du droit administratif s’appliquent. Un de ces principes veut qu’une décision rendue par une autorité quasi judiciaire (en l’occurrence, l’arbitre) soit annulée si elle est entachée d’une erreur de droit manifeste au vu du dossier ou d’une erreur de droit touchant la compétence de l’auteur de la décision. En fait, par application de l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)], il n’est même pas nécessaire que l’erreur de droit soit manifeste au vu du dossier[3]. L’arbitre a conclu en l’espèce qu’une infraction reconnue dans l’État de New York équivalait à une infraction prévue dans le Code criminel du Canada. Cette conclusion est au cœur même de la décision qui a mené à la mesure d’expulsion. S’il n’existe pas effectivement d’infraction prévue au Code criminel parce que l’article 159 est inconstitutionnel, la décision de l’arbitre est fondée sur une erreur de droit qui entacherait cette décision en vertu des principes de justice naturelle habituels reconnus en common law.

De plus, la décision de l’arbitre donnera lieu à l’application de l’article 7 de la Charte si elle porte atteinte au droit du requérant « à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». L’avocat de l’intimé fait valoir qu’il n’est pas certain qu’une mesure d’expulsion porte atteinte à la liberté d’une personne. Dans l’affaire Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 299 la Cour d’appel fédérale a statué qu’une mesure d’expulsion touchait la liberté d’une personne. Bien que la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans cette affaire ait été confirmée par la Cour suprême[4], celle-ci n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur ce point. Par contre, dans l’arrêt Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35, la Cour d’appel fédérale avait déjà statué que l’expulsion (pour un crime grave) ne touchait pas la liberté d’une personne. Par conséquent, la jurisprudence à cet égard n’est pas unanime.

Peu importe que la liberté d’une personne soit touchée ou non, je constate que les deux avocats sont d’accord pour reconnaître qu’une mesure d’expulsion touche, à tout le moins, la sécurité de la personne qu’elle vise. Voir Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] R.C.S. 177, et les remarques du juge Linden dans Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 581(C.A.), aux pages 587 et 588. En effet, il est difficile de voir comment il pourrait en être autrement. Le requérant en l’espèce est détenu. On ne lui permettra pas de demeurer au pays en qualité de visiteur. On l’obligera à retourner de force dans un pays où il ne veut pas aller, plutôt que de lui permettre de se rendre volontairement dans le pays de son choix.

Par conséquent, qu’on invoque uniquement les principes de justice naturelle reconnus en common law ou qu’on s’appuie, en outre, sur l’article 7 de la Charte, le résultat me paraît identique. Si le requérant peut établir que la décision de l’arbitre est fondée sur une erreur de droit, parce qu’il n’existe pas d’infraction équivalente au Canada, cette décision doit être annulée.

Je note également qu’il n’est pas contesté que le requérant est autorisé à contester la validité de l’article 159, bien qu’il le fasse indirectement dans le contexte d’une procédure d’expulsion, plutôt qu’après avoir été accusé ou déclaré coupable en vertu de cet article. Il en est ainsi par application de la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 312 à 314. Dans cette cause, le juge en chef a statué qu’une personne morale, qui ne pouvait se prévaloir de la liberté de religion garantie par la Constitution, pouvait néanmoins contester la validité d’une loi au motif qu’elle violait cette garantie. Il a mis l’accent sur le fait que c’était la nature de la loi et non le statut de l’accusé qui était en cause. Lorsqu’une disposition législative est inconstitutionnelle, elle demeure inconstitutionnelle peu importe la fin poursuivie.

(2)       L’article 7

J’examinerai maintenant l’argument selon lequel l’article 159 du Code criminel est inconstitutionnel parce qu’il contrevient à l’article 7 de la Charte. L’article 7 dispose :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Deux questions doivent être tranchées : (1) quel droit auquel l’article 159 porterait atteinte peut être qualifié de droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne? (2) en supposant qu’un tel droit existe, quel est le principe de justice fondamentale qui n’est pas respecté lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction prévue à l’article 159?

La qualification par les avocats du requérant et de l’intimé du droit abrogé par l’article 159 relève de niveaux d’abstraction différents. Selon l’avocat du requérant, il s’agit du droit d’une personne de contrôler son corps sans ingérence de l’État. En termes moins généraux, on pourrait dire qu’il s’agit du droit d’avoir des relations sexuelles consensuelles. L’avocat de l’intimé le définit toutefois comme le droit de pratiquer le coït anal.

La prétention de l’avocat du requérant selon laquelle l’article 7 englobe le droit d’une personne de contrôler son corps sans ingérence de l’État se fonde sur les arrêts rendus par la Cour suprême dans les affaires R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30 et Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519. Dans cette dernière cause, le juge Sopinka a mentionné la décision rendue dans l’affaire Morgentaler ainsi que celle prononcée dans la cause Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123. Il a conclu que l’article 7 englobait des notions d’autonomie personnelle qui comprend, à tout le moins, la maîtrise de l’intégrité de la personne sans aucune intervention de l’État et l’absence de toute tension émotionnelle et psychologique imposée par l’État. Il a déclaré :

Il n’y a donc aucun doute que la notion de sécurité de la personne comprend l’autonomie personnelle, du moins en ce qui concerne le droit de faire des choix concernant sa propre personne, le contrôle sur sa propre intégrité physique et mentale, et la dignité humaine fondamentale, tout au moins l’absence de prohibitions pénales qui y fassent obstacle[5].

L’avocat de l’intimé fait valoir que les remarques formulées dans Morgentaler et Rodriguez doivent être liées aux faits particuliers de ces espèces. Il soutient que le droit d’une personne de disposer de son corps, dans le sens le plus large, ne peut avoir la portée qu’on lui a imputée. Il souligne que ces causes concernaient l’intégrité physique de la personne (liée à des concepts comme la santé et la vie). Bien que la sexualité puissent constituer un aspect important de la vie humaine, il soutient qu’elle n’est pas aussi importante que la sécurité et l’intégrité physique. J’interpréterais les remarques formulées dans Rodriguez comme élargissant la portée de la protection garantie au-delà de la simple sécurité physique. Il n’est pas nécessaire de trancher cette question, toutefois, car j’aurais de la difficulté à conclure, quoi qu’il en soit, que l’article 159 ne touche pas la « liberté » ou la « sécurité de la personne ». Une condamnation pour l’infraction qui y est prévue peut entraîner une peine d’emprisonnement de dix ans. Ce simple fait semble, selon moi, donner lieu à l’application de l’article 7 de la Charte.

Qu’en est-il maintenant du concept des « principes de justice fondamentale »? Il est clair, depuis la décision prononcée dans Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486 (ci-après, B.C. Motor Vehicles], que la justice fondamentale a une portée plus étendue que la simple justice naturelle ou que le concept désigné aux États-Unis par l’expression « procedural due process ». Il en est ainsi malgré que certains auteurs respectés aient établi une correspondance entre ces deux notions; voir, par exemple, De Smith’s Judicial Review of Administrative Action , 4e édition, 1980, à la page 157, la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, alinéa 2e) et l’arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, à la page 923. La Cour suprême a statué que si seules des garanties procédurales avaient été en jeu, l’expression plus commune « justice naturelle » aurait été utilisée par les rédacteurs de la Charte. Le concept des « principes de justice fondamentale » a été considéré comme englobant « les préceptes fondamentaux non seulement de notre processus judiciaire, mais aussi des autres composantes de notre système juridique »[6]. Ce concept ne s’est pas révélé facile à définir parce qu’il n’existe pas d’ensemble législatif facilement identifiable qui en précise la teneur. Les arguments des avocats en l’espèce témoignent de cette difficulté.

L’avocat du requérant soutient que la Cour doit, pour tirer une conclusion quant à l’atteinte qu’une loi donnée porte aux principes de justice fondamentale, pondérer les intérêts de l’individu et ceux de l’État dans la disposition législative visée. Dans l’arrêt Rodriguez, M. le juge Sopinka a déclaré : « Lorsque la restriction du droit en cause ne fait que peu ou rien pour promouvoir l’intérêt de l’État (quel qu’il puisse être), il me semble qu’une violation de la justice fondamentale sera établie puisque la restriction du droit du particulier n’aura servi aucune fin valable »[7]. L’affaire Morgentaler a été invoquée. Il existe donc un principe de justice fondamentale portant qu’une loi ne peut porter atteinte à un droit énuméré à l’article 7, à moins d’être adaptée (proportionnelle) au problème auquel le législateur fédéral ou provincial entend remédier.

En ce qui a trait à la disposition législative en cause en l’espèce, l’avocat du requérant soutient qu’elle ne satisfait pas au critère de proportionnalité parce qu’elle fixe un âge différent pour consentir aux relations sexuelles anales par rapport aux autres formes d’activités sexuelles. Il soutient que l’objectif visé consiste à décourager les jeunes homosexuels de reconnaître leur orientation sexuelle. Il prétend que cette disposition, en plus de les exposer à une peine d’emprisonnement de dix ans, leur impose une tension psychologique et émotionnelle injustifiée et que son objet est par conséquent illégal.

L’avocat de l’intimé fait valoir que toutes les dispositions fondées sur l’âge sont arbitraires et que la différence d’âge en l’espèce n’est pas arbitraire au point de porter atteinte au principe constitutionnel de proportionnalité applicable à l’article 7. Il admet que, dans la mesure où cette disposition vise à décourager la reconnaissance par les jeunes de leur orientation homosexuelle, son objet est illégal. Toutefois, il n’admet pas qu’il s’agit là du seul objet de l’article 159. Il n’admet pas non plus que la nécessité de pondérer les intérêts de l’État et les intérêts privés correspond, comme l’a affirmé l’avocat du requérant, à un principe de justice fondamentale.

L’avocat de l’intimé soutient que les principes de justice fondamentale se trouvent dans « l’analyse de la nature, des sources, de la raison d’être et du rôle essentiel de ce [prétendu] principe dans le processus judiciaire et dans notre système juridique à l’époque en cause »[8]. L’avocat de l’intimé prétend que, pour déterminer si un prétendu principe est fondamental dans notre système juridique, il faut se reporter à « la common law et à l’historique législatif de l’infraction en cause » et examiner la législation d’autres ressorts et « la raison d’être de cette pratique et les principes qui la sous-tendent »[9]. Il identifie le « précepte » dont on cherche la justification en l’espèce comme le droit d’avoir des relations sexuelles anales. Il examine l’historique législatif de ce type d’activités comme constituant une infraction en common law et l’existence d’infractions similaires prévues par le droit criminel d’autres pays. L’historique législatif de cette disposition et le rôle qu’elle a joué par le passé ne peuvent évidemment mener à une conclusion selon laquelle le droit d’avoir des relations sexuelles anales est un précepte fondamental de notre système juridique.

Il est clair que cette méthode d’analyse est tautologique. L’avocat de l’intimé a défini le droit protégé par l’article 7 en faisant appel à un degré trop peu élevé d’abstraction, et il l’a décrit dans les mêmes termes que le précepte fondamental de notre système juridique qu’on cherche à justifier. Je m’attendrais à ce que ce type d’analyse mène généralement au rejet des droits revendiqués dans la plupart des cas, du moins, lorsque ce droit correspond à ce qu’on peut appeler une « relique du passé ». Le juge Sopinka a rejeté ce type de raisonnement tautologique dans l’affaire Rodriguez[10].

Si l’examen des antécédents législatifs de l’article 159 mènent à la conclusion susmentionnée, il demeure qu’il ressort clairement de l’étude comparative des sources internationales que la majorité des États démocratiques modernes n’établissent pas une distinction fondée sur l’âge comme celle qui se trouve à l’article 159. Par ailleurs, l’examen de ces dispositions démontre que l’âge fixé pour des relations sexuelles consensuelles varie à l’intérieur de certaines limites et n’est pas uniforme.

Je reviens à l’argument de l’avocat du requérant selon lequel les « préceptes fondamentaux de notre système judiciaire » exigent, dans chaque cas, qu’on pondère les intérêts de l’État et ceux de l’individu afin de déterminer si la restriction imposée au droit à la liberté ou à la sécurité de la personne est justifiée. Cette analyse semble identique à celle effectuée dans tous les cas où l’on apprécie une atteinte à un droit garanti par la Charte pour déterminer si elle se justifie conformément à l’article premier. Elle semble aussi étendre la portée de l’article 7, de sorte qu’il devienne une disposition fourre-tout éclipsant beaucoup d’autres dispositions de la Charte. Par ailleurs, dans la mesure où un principe de justice fondamentale finit par correspondre à l’acceptation sociale de certaines valeurs, les valeurs qu’il protège peuvent s’atténuer. Après tout, le législateur est présumé agir en accord avec les valeurs sociales de la majorité. Pourtant, la Charte a été conçue comme un rempart contre de telles opinions—c’est-à-dire, pour protéger les droits individuels face aux points de vue de la majorité.

En ma qualité de juge de première instance, je reconnais que l’évolution de la common law résulte de mouvements d’expansion et de contraction qui surviennent en alternance. Tout d’abord, des principes généraux sont énoncés par les tribunaux judiciaires. Puis, avec le temps, ils sont formulés en termes plus précis, souvent, jusqu’à l’élaboration d’un système assez rigide de règles jurisprudentielles. Ce système demeure en place jusqu’à ce que les tribunaux judiciaires les fassent « sauter » en termes généraux. Lorsqu’une partie du droit « saute » ainsi par suite d’une décision d’un tribunal d’instance supérieure, il est très difficile, du moins au début, pour une cour d’instance inférieure de déterminer exactement comment elle doit rendre ses décisions. C’est le cas, selon moi, de la mise en garde voulant qu’on doive, pour appliquer l’article 7, identifier les « préceptes fondamentaux non seulement de notre processus judiciaire, mais aussi des autres composantes de notre système juridique ».

Si la définition large susmentionnée n’avait pas été énoncée dans B.C. Motor Vehicles, j’aurais interprété l’article 7 comme étant de nature analogue aux principes compris dans les règles de justice naturelle. Je ne le considérerais pas comme exigeant que la Cour évalue dans chaque cas la politique substantielle de chaque loi et décide si l’intérêt de l’État fait contrepoids à l’atteinte portée aux droits individuels. En premier lieu, la structure grammaticale du libellé de l’article 7 indique que les termes « principes de justice fondamentale » sont des déterminants—les droits (à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne) ne peuvent être niés qu’en conformité avec ces principes. Par conséquent, ces principes limitent la façon dont ces droits peuvent être niés, et ne tranchent pas la question de principe quant à savoir s’ils devraient l’être ou non.

De plus, tout l’historique législatif de l’article 7 indique que le législateur n’avait pas l’intention d’en faire l’équivalent du concept substantiel du due process aux États-Unis—il n’avait pas l’intention que les juges exercent un large contrôle des politiques concernant toutes les lois. Il est clair que les rédacteurs de la Charte ne désiraient pas importer le pouvoir d’agir comme la Cour suprême des États-Unis a agi en annulant la loi donnant effet au New Deal.

En examinant les causes dans lesquelles on a jugé qu’un principe de justice fondamentale avait été violé, je trouve des situations dont on pourrait dire qu’elles sont analogues aux règles de justice naturelle, mais qu’elles ne s’y limitent pas. Dans la décision Morgentaler, la loi a été jugée invalide en raison de son imprécision. Dans d’autres causes, des dispositions ont été invalidées parce qu’elles n’exigeaient pas l’existence d’une mens rea[11], ou parce que la personne en cause ne connaissait pas la sanction qui lui était imposée[12]. D’autres concernent la nature des éléments de preuve recevables[13]. Ces considérations s’apparentent aux principes de justice naturelle qui exigent, par exemple, qu’une personne sache ce qu’on lui reproche avant de faire l’objet d’une décision défavorable, et qu’on lui donne une occasion suffisante de répondre à ces allégations.

Quoi qu’il en soit, la plupart des arguments invoqués relativement à l’article 7 sont également invoqués en ce qui a trait à l’article 15. Je préfère les traiter en rapport avec ce dernier article.

(3)       L’article 15

Cet article dispose :

15. (1) La Loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et aux mêmes bénéfices de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge, ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Le requérant soutient que l’article 159 du Code criminel enfreint cet article pour deux raisons : (1) il établit une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, un motif analogue à ceux énumérés expressément à l’article 15, et (2) il établit une discrimination fondée sur l’âge parce que d’autres dispositions comparables du Code criminel concernant les activités sexuelles fixent l’âge du consentement à 14 ans.

D’après ce que j’ai compris, l’intimé n’a pas suggéré que l’orientation sexuelle ne constitue pas un motif analogue. Toutefois, il fait valoir les prétentions suivantes : (1) l’article 159 n’interdit pas les relations sexuelles anales uniquement entre les personnes de sexe masculin, il s’applique autant aux relations hétérosexuelles qu’aux relations homosexuelles; (2) ce ne sont pas tous les couples d’homosexuels qui pratiquent ce type d’activité sexuelle; (3) enfin, bien que les homosexuels constituent un groupe analogue pour l’application de l’article 15, l’article 159 ne vise pas directement l’orientation sexuelle. L’avocat du requérant soutient, par contre, que cet article a un effet différent sur les homosexuels de sexe masculin et qu’il établit donc une discrimination contre eux. Je constate que, dans les débats de la Chambre des communes, on fait allusion aux dispositions que l’article 159 a remplacées et à l’article 159 proprement dit en les désignant comme les « dispositions sur l’homosexualité ». Je suis convaincue, à partir de la preuve statistique qui a été produite, que l’argument de l’avocat du requérant est juste.

En outre, d’après ce que je comprends de l’argument de l’intimé, il admet que l’article 159 contrevient à l’article 15 en créant une discrimination fondée sur l’âge. Dans son mémoire, l’intimé reconnaît que l’article 159 établit une distinction fondée sur l’âge, qui est l’un des motifs énumérés, et que cette distinction est discriminatoire : elle impose un fardeau aux personnes de moins de 18 ans (qui ne sont pas mari et femme) et, plus particulièrement, le risque d’une poursuite criminelle dans des circonstances dans lesquelles un tel fardeau n’est pas imposé aux personnes de 18 ans et plus[14].

La jurisprudence établit clairement que la discrimination visée par l’article 15, une fois prouvée, doit être appréciée en regard de l’article premier de la Charte[15]. L’article premier se lit comme suit :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Il s’agit alors de se demander si la discrimination dont l’existence a été concédée satisfait au critère voulant que sa « justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». C’est l’intimé qui a le fardeau de la preuve. Il doit prouver que la disposition législative en cause a un objet suffisamment important pour justifier la suppression du droit constitutionnel de ne pas subir de discrimination et que les moyens retenus pour réaliser cet objet sont raisonnables et ont une justification qui puisse se démontrer[16]. Dans le cadre de cette deuxième analyse, il faut examiner la question de savoir : (1) s’il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi et les moyens retenus pour y parvenir; (2) si l’atteinte aux droits causée par ces moyens est minimale; enfin, (3) si l’effet de ces moyens est proportionnel à l’objet de la loi.

La première étape consiste donc à établir l’objet ou les objets de la disposition en cause. Tel que je l’ai déjà précisé, l’avocat du requérant affirme qu’elle a pour objet de décourager les jeunes homosexuels de reconnaître leur orientation sexuelle. L’avocat de l’intimé prétend, par contre, que cette disposition vise à protéger les jeunes du risque accru de transmission du VIH que présentent les relations sexuelles anales. Les avocats s’entendent pour dire que l’objet et l’effet de la loi sont tous les deux pertinents. L’un et l’autre peuvent la rendre invalide. Ce principe ressort de l’arrêt Big M Drug Mart de la Cour suprême, dans lequel elle a affirmé : « les effets ne peuvent jamais être invoqués pour sauver une loi dont l’objet n’est pas valable »[17]. Bien que l’arrêt Big M Drug Mart concerne la détermination de l’objet de dispositions législatives en regard de l’alinéa 2a) de la Charte (liberté de religion), je ne vois pas en quoi le processus à suivre serait différent lorsqu’on en analyse l’objet en regard de l’article premier.

Les deux avocats s’entendent également sur le fait que l’objet de la loi doit être évalué par rapport au moment de son adoption et qu’il n’est pas possible de justifier une disposition en se fondant sur le but que cette disposition peut servir à une date ultérieure[18] : une loi inconstitutionnelle ne peut être validée par un facteur changeant. En l’espèce, le litige entre les parties touche aussi la date à laquelle l’examen de l’objet de la disposition contestée doit être effectué.

Il est assez clair que l’article 159 du Code criminel tire ses origines des lois sur la sodomie remontant au Moyen Âge et même plus loin[19]. Ces lois ont été reprises dans la première codification du droit criminel canadien en 1892 [Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29][20], et elles y sont demeurées très longtemps par la suite. Des réformes importantes du Code criminel ont été entreprises en 1969 [Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, ch. 38]. À cette occasion, de nombreux types d’activités sexuelles qui pouvaient auparavant donner lieu à des poursuites criminelles ont été rayées du Code[21]. Selon l’aphorisme le plus étroitement associé à ces réformes, « ce qui se passe dans la chambre à coucher des citoyens ne regarde pas l’État ». Les modifications au Code qui sont pertinentes en l’espèce ont été nettement influencées par le Wolfenden Report[22]. Le ministre de la Justice alors en place, M. Turner, a déclaré en Chambre, relativement aux modifications proposées :

Ces modifications enlèvent de l’empire de la loi certains actes sexuels commis dans l’intimité par des adultes consentants. Il y a un point sur lequel je ne puis trop appuyer à cet égard : le Parlement, en adoptant ces modifications, n’excusera pas ces mœurs. Ce n’est pas parce que le Parlement n’applique pas le Code criminel pour la fornication et l’adultère qu’il excuse la fornication et l’adultère. Ce n’est pas parce que le Parlement a élargi la législation sur le divorce qu’il a favorisé, excusé ou entériné la destruction des liens légitimes par le divorce comme une institution digne d’émulation. Les individus continueront à être responsables envers eux-mêmes de leur conduite morale.

Je voudrais consigner au compte rendu un passage tiré du rapport Wolfenden traitant de cette question au Royaume-Uni :

À moins que la société ne s’efforce délibérément, par l’intermédiaire de la loi, d’établir un parallèle entre le crime et le péché, il restera le domaine de la moralité ou de l’immoralité privée qui, disons-le, crûment, ne regarde pas la loi[23]. [Soulignement ajouté.]

La lecture des débats et de l’historique de la loi, y compris le rapport Wolfenden, fait nettement ressortir qu’une distinction a été faite entre l’âge du consentement fixé à l’article qui porte maintenant le numéro 159 et l’âge du consentement aux fins d’autres types d’activités sexuelles consensuelles parce que (1) les pratiques homosexuelles étaient considérées comme immorales et (2) on craignait que l’homosexualité soit un comportement appris ou une maladie, de sorte que la décriminalisation de cette activité pourrait mener à la corruption de la jeunesse. Les dispositions du Code ont été à nouveau modifiées en 1988 [Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, L.C. 1987, ch. 24 (maintenant L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19)] et l’article 159, tel qu’il se lit aujourd’hui, a été édicté à cette époque, lorsque l’âge du consentement a été abaissé de 21 à 18 ans.

Je retiens l’argument de l’avocat de l’intimé selon lequel peu importe l’objet qu’ont pu avoir ces dispositions autrefois, si cet objet a changé lors des modifications de 1988, ou si un nouvel objet valable l’a remplacé comme fondement de cet article, il est possible d’invoquer ce nouvel objet à l’appui de la validité de cet article. Il ne s’agirait pas d’un facteur changeant prohibé par l’arrêt Big M Drug Mart. Toutefois, la question à trancher est celle de savoir si un nouvel objet est effectivement devenu le fondement de cet article.

L’avocat de l’intimé décrit l’objectif de l’article 159 comme comportant trois volets : (1) renforcer les préceptes moraux; (2) empêcher les jeunes homosexuels de reconnaître leur orientation sexuelle dès leur jeunesse[24]; (3) protéger les jeunes du risque accru de transmission du VIH. Je ne suis pas disposée à conclure que le premier volet énoncé constitue en soi un objet pouvant appuyer la criminalisation de cette activité dans le Code criminel. Je reconnais qu’un lien étroit a toujours existé entre le Code criminel et les valeurs morales. Cela ne signifie toutefois pas que, dans la société pluraliste dans laquelle nous vivons aujourd’hui, les valeurs morales puissent, à elles seules, justifier la criminalisation d’une activité. Si c’était le cas, il faudrait se demander immédiatement quelles valeurs morales devraient guider l’État. Je ne suis pas convaincue que, dans une société libre et démocratique, la criminalisation d’une activité puisse se justifier uniquement parce qu’une partie ou peut-être même la majorité des citoyens la considèrent immorale.

L’avocat de l’intimé admet que le deuxième volet énoncé est inconstitutionnel. Il reste donc à déterminer si l’objectif de protéger les jeunes du risque accru de transmission du VIH sous-tend l’article 159. L’avocat du requérant convient que, le cas échéant, cet objet est sans aucun doute devenu beaucoup plus urgent et important qu’en 1988. Il nie toutefois que tel ait été ou que tel soit l’objet de cette disposition.

La prétention selon laquelle l’article 159 a notamment pour objet de prévenir la transmission du VIH ne tient tout simplement pas, selon moi, si l’on examine la preuve. J’admets qu’il faut chercher l’objet d’une disposition dans l’historique de la loi, y compris dans les rapports sur lesquels elle est fondée. Ces éléments comprennent, en l’espèce, le rapport Fraser[25] et le rapport Badgley[26]. L’objet d’une disposition peut être apprécié par l’examen de dispositions connexes, c’est-à-dire, en interprétant la disposition contestée dans son contexte législatif, ainsi qu’en examinant les débats et les délibérations du comité législatif qui s’y rapportent.

Pour des raisons évidentes, on n’a jamais mentionné la prévention de la transmission du VIH, avant 1986, comme un objet des dispositions que l’article 159 a remplacées. Lorsque les modifications de 1988 au Code criminel ont été présentées pour la première fois à la Chambre des communes, en novembre 1986, le ministre responsable du projet de loi ne l’a pas mentionnée comme l’un des objets de ces modifications. Par la suite, lors des débats de la Chambre des communes, M. Svend Robinson a souligné qu’il était étrange que l’âge du consentement dans la disposition qui porte maintenant le numéro 159 soit abaissé de 21 à 18 ans, alors que le Comité spécial sur l’égalité des droits avait recommandé « qu’on adopte un âge de consentement uniforme pour les activités homosexuelles et hétérosexuelles[27] » Il a soutenu : « [s]’il veut justifier cette distinction, le gouvernement devra d’abord prouver au comité que cette activité est plus nuisible que l’activité hétérosexuelle ou que d’autres activités homosexuelles pratiquées entre gens du même âge[28] ». Madame Margaret Mitchell, députée de Vancouver-Est (NPD), a soulevé la même question : « Ce projet de loi établit une distinction injuste fondée sur l’orientation sexuelle. L’âge du consentement devrait être le même pour les hommes et les femmes[29] ».

La première occasion à laquelle on a fait mention de la transmission du VIH est survenue après que le projet de loi C-15 [Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada, 2e sess., 33e Lég.] a quitté la Chambre des communes pour être étudié par le comité dont il relevait. Lorsque le ministre de la Justice d’alors, M. Hnatyshyn, a comparu en qualité de témoin devant le comité, M. Robinson a de nouveau soulevé la question du fondement de cette différentiation fondée sur l’âge. Monsieur Hnatyshyn a répondu en déclarant que la preuve médicale indiquait que différents types de préjudices psychologiques ou physiques causés à des jeunes pouvaient être liés à différents types de relations sexuelles, que les experts médicaux ne pouvaient établir avec certitude à quel âge la préférence sexuelle était établie et qu’il était question du danger accru de contracter le syndrome d’immunodéficience acquise ou une autre maladie vénérienne par coït anal[30].

Monsieur Robinson a poursuivi ses questions avec d’autres témoins qui ont comparu devant ce comité. Il a demandé au Dr Bala, un témoin qui représentait le Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse, si cette disposition pouvait avoir un objet lié à la santé. Le Dr Bala a répondu que si la transmission du SIDA était effectivement une préoccupation à l’origine de la disposition qui porte maintenant le numéro 159, il serait sûrement justifié d’augmenter l’âge du consentement, plutôt que de l’abaisser à 18 ans[31]. Il a en outre souligné que si cet article était fondé sur la protection de la santé, il faudrait, logiquement, que cette interdiction s’applique à tous, sans égard à l’âge. En ce qui a trait à l’exploitation des jeunes, il a précisé que d’autres dispositions de la loi proposée régissaient cette question et qu’une disposition distincte applicable à ce type particulier d’activités était superflue[32].

Monsieur Robinson a posé des questions au Dr Mian, directrice, Programme SCAN (Suspected Child Abuse and Neglect), Toronto Hospital for Sick Children. Sa réponse était semblable à celle du Dr Bala :

Du point de vue psychologique, je ne vois pas beaucoup de différence entre les relations sexuelles anales et vaginales. La seule différence tient peut-être au risque que représente le SIDA mais puisqu’on n’a pas rapporté de cas de jeunes ayant contracté le SIDA à la suite d’activités sexuelles, je ne veux pas discuter de ce point[33].

La preuve offerte par Madame Grant, la directrice exécutive du Metropolitan Toronto Special Committee on Child Abuse, est semblable[34] :

… il n’y a fondamentalement pas de différence quant à la position de sanctions criminelles, que ce soit pour les rapports sexuels vaginaux ou anaux.

Des propos très révélateurs ont été échangés entre M. Robinson et M. Thacker, président suppléant du Comité. Le Comité, comme la Chambre, est évidemment contrôlé par des membres du gouvernement, dont M. Thacker faisait partie. Monsieur Robinson a demandé quel objectif cet article pouvait éventuellement servir :

Quel avantage social, M. le président, y aurait-il à assujettir un jeune de 17 ou de 16 ans à une peine d’emprisonnement de dix ans pour avoir consenti librement à un tel acte sexuel[35]?

Monsieur Thacker a donné la réponse suivante :

Tout simplement que notre société n’est pas disposée à tolérer ou à promouvoir de tels actes, même s’il y a consentement. Nous essayons de les décourager. Rien de plus[36].

La preuve ne me permet pas de conclure qu’une fin visée par l’adoption de l’article 159 en 1987-1988 était de protéger les jeunes du risque accru de contracter le SIDA. Cet article a longtemps visé d’autres fins. Aucun rapport contextuel indépendant, tels les rapports Fraser ou Badgley, ne suggère qu’une disposition comme l’article 159 devait être adoptée pour protéger les jeunes contre le risque du SIDA. Le ministre responsable du projet de loi C-15 n’en a pas fait mention à la Chambre des communes lorsqu’il l’a présenté. Il n’en a pas non plus été fait mention lorsque le Comité a renvoyé le projet de loi en troisième lecture[37]. Ce n’est qu’après que M. Robinson a soulevé la nature discriminatoire de cette disposition que le ministre de la Justice, au moment où il a témoigné devant le comité, a mentionné la transmission du SIDA comme une justification possible. Aucun des témoins indépendants qui ont comparu devant le comité législatif n’ont pu appuyer la prétention selon laquelle la protection contre la propagation du SIDA était un objectif valable visé par cette disposition. Le seul témoin à appuyer ce prétendu objet était un représentant du ministère du ministre[38] (et non un témoin indépendant objectif). Je dois conclure que le ministre a fait mention de la transmission du SIDA en essayant de concocter une pseudo raison l’autorisant à ne pas faire de changement après que M. Robinson a fait ressortir la nature éventuellement discriminatoire de cette disposition. Il faut, sans aucun doute, un fondement plus solide pour établir la création d’un nouvel objet suffisant pour rendre une disposition législative constitutionnelle. C’est particulièrement le cas lorsque la disposition en cause est depuis très longtemps fondée sur un objectif contraire à la Constitution.

Qui plus est, si l’on se pose la question de savoir si cette disposition a ou non un lien rationnel avec l’objet qu’on prétend viser ou celle de savoir si son effet est proportionnel à cet objet, on ne peut que tirer une conclusion négative à ces deux égards. Toute la preuve indique que le SIDA se propage par de nombreuses activités (le partage de seringues par les toxicomanes, les transfusions sanguines, les relations sexuelles à la fois vaginales et anales). En nombres absolus, il semblerait que le coït anal est la méthode la moins fréquente de transmission. Il n’est pas rationnel de criminaliser cette activité et non les autres. De plus, bien que le coït anal non protégé comporte des risques accrus par rapport aux relations sexuelles vaginales quant à la possibilité que le VIH pénètre dans l’organisme, dans les deux cas, ce sont les relations sexuelles sans protection qui posent un problème et non l’activité sexuelle comme telle. Fait très révélateur, le législateur a récemment abrogé l’article du Code en vertu duquel la transmission des maladies vénériennes constituait une infraction criminelle[39], immédiatement avant l’adoption de l’article 159 en 1988. Cette modification a été faite à la suite des rapports Badgley et Fraser qui avaient recommandé son abrogation parce qu’il était inefficace et, en fait, contre-productif[40]. Il avait pour effet de marginaliser les personnes qui pratiquaient les activités visées par la loi. Il était plus difficile d’obtenir des rapports exacts du nombre de personnes touchées par la maladie. Une meilleure éducation s’avérait une solution beaucoup plus efficace à ce problème. En conséquence, tel qu’il l’a déjà été mentionné, la disposition du Code qui criminalisait le fait de transmettre une maladie vénérienne a été abrogée au moment précis où l’intimé soutient maintenant que l’article 159 a été édicté en vue de protéger les jeunes de la propagation du SIDA.

Je ne peux conclure que l’objet de l’article 159 est constitutionnel ni, de toute façon, que son prétendu objet a un lien rationnel avec la disposition contestée ou que l’effet de cette disposition est proportionné par rapport à son objet.

Le moyen de contourner la procédure d’extradition

L’argument de l’avocat se fonde sur les remarques formulées par le juge La Forest dans l’affaire Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, à la page 835 :

Il est sans doute vrai que l’extradition et l’expulsion n’ont pas toujours le même but car il peut y avoir des cas où elles servent à des fins différentes et l’équité peut exiger qu’une procédure soit utilisée plutôt que l’autre. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce et je m’inquiéterais de favoriser le recours à l’expulsion plutôt qu’à l’extradition qui contient des mesures de protection relatives au processus criminel. [Soulignement ajouté.]

L’affaire Kindler traitait de l’extradition aux États-Unis d’une personne qui devait faire face à la peine de mort dans ce pays à la suite d’une condamnation pour meurtre. Avant le début de la procédure d’extradition, Kindler a fait l’objet d’une enquête visant son expulsion (voir [Kindler c. MacDonald] [1987] 3 C.F. 34(C.A.)).

L’avocat du requérant prétend que la jurisprudence antérieure en la matière, par exemple, Moore v. Minister of Manpower and Immigration, [1968] R.C.S. 839, doit maintenant être interprétée à la lumière de l’arrêt Kindler de la Cour suprême et de la Charte. Avant l’entrée en vigueur de la Charte, la jurisprudence exigeait que l’on démontre que la procédure d’expulsion ne constituait qu’une mise en scène—c’est-à-dire, que le ministre n’estimait pas vraiment que l’expulsion de la personne servait l’intérêt public—pour contester avec succès une mesure d’expulsion. On prétend que ce critère exigeant n’est plus applicable et qu’il suffit désormais de prouver qu’il est inéquitable d’utiliser la procédure d’expulsion plutôt que la procédure d’extradition.

L’avocat souligne que des éléments de preuve démontraient que l’arrestation du requérant au Canada avait été tramée par les responsables des cautionnements aux États-Unis, qui souhaitaient que le requérant soit retourné dans ce pays. Il ajoute qu’il semble que les agents chargés du respect de la loi aux États-Unis et le préposé à l’extradition du ministère de la Justice, Section des poursuites criminelles à Toronto, ont communiqué entre eux. Les agents chargés du respect de la loi aux États-Unis ont indiqué qu’une procédure d’extradition n’avait pas été entamée parce qu’ils avaient décidé d’attendre le résultat de la procédure canadienne d’expulsion. En outre, un mandat d’arrêt conditionnel à des fins d’extradition a effectivement été déposé au cas où le requérant n’obtiendrait pas gain de cause en l’espèce. L’avocat soutient que ces faits établissent l’intention de procéder par voie d’expulsion plutôt que par voie d’extradition—de façon à contourner le processus d’extradition.

L’avocat fait valoir que le choix d’entamer une procédure d’expulsion, plutôt qu’une procédure d’extradition, est inéquitable parce que cette dernière offre des garanties qui ne s’appliquent pas à la procédure d’expulsion. Dans le cadre d’une demande d’extradition, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de refuser de remettre une personne aux autorités étrangères. La personne extradée ne peut être poursuivie et punie que pour les infractions qui ont fondé son extradition (règle de la spécialité). En outre, l’avocat soutient que le critère applicable à une infraction donnant lieu à l’extradition (la double criminalité)[41] est plus favorable au requérant que le critère de l’équivalence appliqué en matière d’expulsion.

Il est clair que l’extradition et l’expulsion n’ont pas le même but. C’est l’État étranger qui prend l’initiative de l’extradition. En l’absence d’une demande d’extradition, aucune procédure ne peut être entamée. Par contre, l’expulsion est amorcée par l’État expulseur qui ne veut pas que l’étranger qui se trouve dans l’illégalité demeure à l’intérieur de ses frontières. Selon moi, il n’y a rien de fondamentalement inéquitable dans le fait qu’un État étranger retarde la procédure d’extradition lorsqu’elle sait que la personne en cause est susceptible d’être expulsée de toute façon.

Les commentaires formulés par le juge La Forest dans Kindler visaient directement la décision de la Cour d’appel fédérale dans Kindler c. Mac-Donald, [1987] 3 C.F. 34et le jugement Shepherd v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1989), 70 O.R. (2d) 766 (H.C.); conf. par (1989), 70 O.R. (2d) 765 (C.A.). Rien n’indique que le juge La Forest ait conclu que l’une ou l’autre de ces décisions était erronée. Peu importe ce qu’il a voulu dire [à la page 835] en affirmant qu’ « il peut y avoir des cas où … l’équité peut exiger qu’une procédure soit utilisée plutôt qu’une autre », je ne pense pas que cette affirmation s’applique en l’espèce. Tous les arguments de l’avocat sont axés sur des caractéristiques générales des procédures d’expulsion et d’extradition. Aucune preuve n’établit qu’une conséquence inéquitable particulière risque de se produire. Dans les affaires Kindler (C.A.F.) et Shepherd, la validité de la procédure d’expulsion a été reconnue. Dans ces deux causes, une preuve substantielle démontrait que les autorités américaines attendaient l’issue de la procédure d’expulsion, plutôt que d’introduire une demande d’extradition. Les personnes en cause ont été expulsées à la suite d’une condamnation pour meurtre, dans un cas, et d’une accusation de meurtre, dans l’autre. Les aspects de la procédure d’extradition invoqués en l’espèce (le pouvoir discrétionnaire, la règle de la spécialité et le principe de la double criminalité) s’appliquaient également dans ces cas. Il s’agit de caractéristiques générales de la procédure d’extradition. Je n’ai pas été convaincue que les faits de la présente espèce se distinguent de façon qu’elle échappe à la portée de ces décisions. Je ne suis pas convaincue que la procédure d’expulsion, plutôt que d’extradition, soit inéquitable envers le requérant.

Conclusion et certification d’une question

Pour les motifs énoncés ci-dessus, la mesure d’expulsion conditionnelle prise contre le requérant le 28 mai 1993 est annulée.

Au moment de l’audition de la demande, aucune prétention n’a été présentée quant à la certification d’une question en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration. Je présume, néanmoins, qu’il s’agit d’une cause relativement à laquelle les avocats voudraient pouvoir exercer des droits d’appel. Le jugement officiel ne sera donc pas inscrit avant l’expiration d’un délai de deux semaines à compter du prononcé des présents motifs, afin que des observations puissent être faites à cet égard. Ces observations pourront être présentées par écrit ou, si les avocats le préfèrent, par voie de conférence téléphonique. Si les avocats ne s’entendent pas sur la question de savoir si une question devrait être certifiée et comment elle devrait être formulée, et s’ils choisissent de présenter leurs observations par écrit, l’avocat de l’intimé devra les déposer dans le délai de deux semaines susmentionné. L’avocat du requérant aura par la suite une semaine pour y répondre et l’inscription du jugement officiel sera retardée en conséquence d’une semaine additionnelle.



[1] 19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles ont, à l’étranger :

(i) soit été déclarées coupables d’une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d’une loi fédérale, d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans … [Soulignement ajouté.]

[2] L’arrêt Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), aux p. 225 à 229, contient une analyse du concept des « motifs raisonnables de croire ». Voir également Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306(C.A.).

[3] 18.1

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

[4] [1992] 1 R.C.S. 711.

[5] Rodriguez, supra, à la p. 588.

[6] B.C. Motor Vehicles, supra, à la p. 512.

[7] Rodriguez, supra, à la p. 594.

[8] Rodriguez, supra, à la p. 591, avec mention de B.C. Motor Vehicles.

[9] Rodriguez, supra, aux p. 591 et 592.

[10] On ne conteste pas que le respect de la dignité humaine est l’un des principes fondamentaux de notre société. J’ai toutefois de la difficulté à le qualifier en soi de principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7. Si le respect de la dignité est à la source de plusieurs principes de justice fondamentale, les lois qui ne traduisent pas un tel respect ne vont pas toutes à l’encontre de ces principes. Affirmer que le « respect de la dignité et de l’autonomie de la personne » est un principe de justice fondamentale revient donc essentiellement à affirmer que priver l’appelante de la sécurité de sa personne est contraire aux principes de justice fondamentale parce qu’elle est privée de la sécurité de sa personne. Cette interprétation assimilerait la sécurité de la personne à un principe de justice fondamentale et rendrait ce dernier redondant. [Rodriguez, supra, à la p. 592.]

[11] R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633.

[12] B.C. Motor Vehicles, supra.

[13] R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577.

[14] Para. 198 du mémoire de l’intimé.

[15] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 181 et 182. Voir également Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 3e édition, 1992, aux p. 1165 et 1166.

[16] La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux p. 138 à 140; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713.

[17] R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, supra, à la p. 334.

[18] Ibid.

[19] M. Goodich, « Sodomy in Medieval Secular Law » (1976), 1 J. Homosexuality 295.

[20] D. H. Brown, The Genesis of the Canadian Criminal Code of 1892, Toronto, Univ. of Toronto Press, 1989; G. Parker, « The Origins of the Criminal Code », dans D. H. Flaherty (éd.), Essays in the History of Canadian Law , vol. 1, Toronto, Univ. of Toronto Press, 1981.

[21] Débats de la Chambre des communes, 28e Lég. 1re sess. (2e lecture du projet de loi C-150), aux p. 4723, 4746 et 4747, 4759, 4777 à 4792, 4861 à 4866, 5376 à 5391, 5410 à 5414, 5467 à 5508, 5916, 5944 à 5952 (les 23, 24 et 27 janvier, et les 11, 13 et 25 février 1969); Canada. Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-150, à la p. 171 (4 mars 1969); Débats de la Chambre des communes, 28e Lég. 1re sess. (3e lecture du projet de loi C-150), aux p. 7605 à 7619, 7630 à 7648, 7658 à 7675, 7690 à 7708, 7750 à 7773, 8606 à 8610, 8669 (les 16, 17, 18 et 21 avril et les 12 et 13 mai 1969).

[22] Report of the Committee on Homosexual Offences and Prostitution, Londres, 1957.

[23] Débats de la Chambre des communes, 28e Lég., 1re sess., à la p. 4723, le 23 janvier 1969.

[24] Le véritable libellé du mémoire de l’intimé est le suivant : [traduction] « pour protéger les jeunes afin qu’ils ne participent pas à des activités sexuelles inhabituelles ».

[25] Canada. Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution. La pornographie et la prostitution au Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1985 (Président : P. Fraser) (ci-après appelé le « rapport Fraser »).

[26] Canada. Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants et des jeunes. Infractions sexuelles à l’égard des enfants, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1984 (Président : R. F. Badgley) (ci-après appelé le « rapport Badgley »).

[27] Voir Débats de la chambre des communes, 33e Lég., 2e sess., à la p. 1046, le 4 novembre 1986.

[28] Ibid. Voir aussi ibid., à la p. 1063—où une réponse timide et quelque peu incohérente a été donnée à sa question : « On ne peut pas traiter tous les enfants de moins de 18 ans sur le même pied. Il y a un gros changement, une grosse distinction à faire entre les enfants qui ont, par exemple, 13, 15 ou 18 ans ».

[29] Ibid., à la p. 1067.

[30] Canada, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi de la preuve du Canada, à la p. 1 :30, le 27 novembre 1986.

[31] Ibid., à la p. 3 :17, le 11 décembre 1986.

[32] Encore faut-il fixer les limites d’âge. En d’autres termes, cette pratique sexuelle ne devrait pas être assortie de limite d’âge autre que celle prévue pour d’autres pratiques sexuelles. Nous sommes en effet d’avis que le coït anal n’est pas une infraction plus grave que d’autres pratiques sexuelles jugées indésirables par la société.

La société tend maintenant à admettre que même si la majorité n’approuve pas l’homosexualité et si les parents sont en droit d’espérer que leurs enfants ne deviendront pas homosexuels, cela ne veut pas dire pour autant que nous devons criminaliser l’homosexualité, sauf dans des cas bien particuliers. D’après le rapport Badgley, l’homosexualité est essentiellement préoccupante dans le contexte de l’épidémie de SIDA. Mais je ne pense pas qu’on parviendra à vaincre le SIDA en criminalisant ce comportement. [Ibid., aux p. 3 :36 et 3 :37, le 11 décembre 1986.]

[33] Ibid., à la p. 5 :9, le 17 décembre 1986.

[34] Ibid., à la p. 7 :77, le 20 janvier 1987.

[35] Ibid., à la p. 9 :54, le 17 février 1987.

[36] Ibid., à la p. 9 :55, le 17 février 1987.

[37] Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 33e Lég., à la p. 7504, le 23 juin 1987.

[38] Ce témoin est M. Avison, premier coordinateur de la politique en matière de justice pénale, Direction de la politique, des programmes et de la recherche, du ministère de la Justice. Voir les Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-15, supra, à la p. 10 :25, le 17 mars 1987.

[39] L’art. 253 du Code criminel [S.R.C. 1970, c. C-34] a été abrogé par la Loi de 1985 modifiant le droit pénal, S.C. 1985, ch. 19, art. 42. Selon cet article, quiconque était atteint d’une maladie vénérienne et la communiquait à une autre personne commettait une infraction.

[40] Rapport Badgley et rapport Fraser, supra.

[41] Les faits reprochés ne doivent pas seulement constituer une infraction dans l’État qui demande l’extradition, mais doivent être tels que si la situation factuelle était inversée, ils constitueraient un crime au Canada.

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