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     DES-3-03

    2003 CF 882

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la Loi;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention en vertu des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la Loi;

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT M. Adil Charkaoui.

Répertorié: Charkaoui (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël--Montréal, 2 et 3 juillet 2003; Ottawa, 15 juillet 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Raisons de sécurité -- Les ministres ont déposé le certificat à la Cour fédérale -- Contrôle des motifs de détention -- Les ministres croient que l'intimé est membre du réseau terroriste d'Oussama ben Laden -- L'intimé constitue un danger pour la sécurité canadienne -- La Cour tient compte des dispositions de la loi et de l'interprétation du rôle du juge désigné énoncée dans l'arrêt Ahani c. Canada -- Résumé de la preuve présentée à l'audience -- Norme de preuve énoncée par le juge Thurlow dans l'arrêt Le Procureur général du Canada c. Jolly -- Le juge désigné doit être curieux, concerné, être d'un scepticisme ayant comme objectif de faire un examen critique des faits et tester sérieusement l'information protégée -- Le maintien de la détention est justifié -- Les ministres croient que l'intimé a reçu de l'entraînement en matière de sabotage et d'assassinat -- L'intimé est un adepte des arts martiaux, comme l'était un des pirates de l'air responsables des attentats du 11 septembre -- Apparemment associé au réseau d'agents dormants de ben Laden -- Un témoin des ministres définit l'expression «agent dormant» -- Fait important: une période de la vie de l'intimé, de 1992 à la fin de cette décennie, est en grande partie inexpliquée -- Voyage suspect au Pakistan en 1998 -- Explications insuffisantes quant aux contacts de l'intimé avec les cinq personnes identifiées -- Refus de libération conditionnelle sur caution parce que le danger demeure -- L'intimé représente toujours un danger en dépit de la publicité découlant de l'arrestation et des procédures -- Aucun recours en vertu de la Charte.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Procédures criminelles et pénales -- Inapplicabilité de l'art. 11e) de la Charte au contrôle judiciaire d'une décision en matière de détention rendue conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce qu'il s'agit de droit de l'immigration et non de droit criminel.

Il s'agit du contrôle des motifs d'une détention en vertu des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Un des objectifs de la Loi est de garantir (dans la version anglaise «to maintain») la sécurité des Canadiens et, à cette fin, le législateur a octroyé au solliciteur général et au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration un pouvoir d'interdiction de territoire à un résident permanent ou à un étranger pour raison de sécurité en déposant un certificat à la Cour fédérale. En l'espèce, un tel certificat a été déposé étant donné que les ministres étaient d'avis que l'intimé, M. Charkaoui, est ou a été membre du réseau terroriste d'Oussama ben Laden et qu'il constitue donc un danger pour la sécurité du Canada. Les ministres ont également signé un mandat d'arrestation de l'intimé au motif qu'il était un danger pour la sécurité nationale ou qu'il se soustrairait vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Le mandat d'arrestation fut exécuté et M. Charkaoui est en détention depuis.

Aux fins du présent contrôle des motifs de détention, la Cour s'est acquittée de sa lourde obligation en tenant compte à la fois des paramètres imposés par le législateur et de l'interprétation du rôle du juge désigné donnée par cette Cour dans l'arrêt Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669, et confirmée par la Cour d'appel. À l'audience, les ministres ne firent entendre qu'un témoin; l'intimé déposa 14 affidavits, sur lesquels sept affiants furent interrogés. Suite à l'audience, certains représentants des ministres ont été interrogés en l'absence de l'intimé et de son avocate, tel qu'autorisé par l'article 78 de la Loi. Cela a permis de clarifier certains renseignements additionnels protégés fournis par les ministres. Cette information ne pouvait pas être divulguée à l'intimé.

La question à déterminer est de savoir si, en vertu des articles 7, 11 et 15 de la Charte et des paragraphes 83(1), (3) de la Loi, la détention de l'intimé doit être maintenue.

Un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a témoigné au sujet du réseau terroriste Al-Qaïda que dirige Oussama ben Laden. Jusqu'à 100 000 personnes auraient reçu de l'entraînement de cette organisation. Selon une déclaration faite par Oussama ben Laden en novembre 2002, le Canada était spécifiquement visé. En contre- interrogatoire, l'agent a reconnu ne pas savoir si l'intimé faisait partie du réseau Al-Qaïda.

Des témoins en faveur de l'intimé ont dit avoir constaté son indignation quant aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. Ils ont affirmé qu'il n'a jamais manifesté un comportement violent ou prôné l'usage de la violence et qu'il semblait être un homme en faveur de la paix et du respect des droits de la personne.

Dans le cadre du contrôle de l'action ministérielle, il ne s'agit pas pour le juge désigné de chercher la preuve de l'existence des faits mais plutôt d'analyser l'ensemble de la preuve tout en se demandant si elle permet à une personne d'avoir une croyance raisonnable qu'il y a un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou que l'intimé évitera la procédure ou le renvoi. Bien qu'elle ne soit pas au niveau de la prépondérance des probabilités, cette norme doit tendre vers une possibilité sérieuse de l'existence de faits tenant compte de preuves fiables et fondées. La Cour ne pouvait accepter l'argument de l'intimé selon lequel la preuve des ministres devait établir une probabilité marquée pour la personne de commettre les actes terroristes.

Le juge désigné doit tout de même être curieux, préoccupé par ce qui est avancé et être d'un scepticisme ayant comme objectif de faire un examen critique des faits. Il doit vérifier les sources tant humaines, techniques que documentaires, leur fiabilité et la véracité de ce qu'elles peuvent rapporter. Il doit tester sérieusement la documentation et l'information protégées. De plus, il doit analyser la preuve en tenant compte du danger à la sécurité nationale.

Jugement: la détention de l'intimé demeure justifiée.

Une analyse de la preuve a soulevé certaines préoccupations et inquiétudes qui sont au coeur même du présent dossier. Les ministres ont précisé que «ben Laden a conseillé à ses partisans de se fondre dans la société occidentale et de préparer des attentats terroristes». De l'avis des ministres, l'intimé est membre du réseau de ben Laden et on lui aurait appris le maniement des fusils lance-grenades propulsés par fusées, les opérations de sabotage, le combat en zone urbaine et la perpétration d'assassinats. De plus, l'intimé est un adepte du karaté et des arts martiaux. Il est à noter qu'un des pirates de l'air qui ont participé au détournement du vol 93 de la compagnie American Airlines s'était entraîné aux arts martiaux en préparation du 11 septembre. De plus, les ministres associent l'intimé à un agent dormant du réseau de ben Laden. Selon le témoin du SCRS, le terme «agent dormant» s'applique tant au terrorisme qu'à l'espionnage. L'agent reçoit une formation et on le revoie dans son pays d'origine, puis on lui dit «Retourne à ta vie habituelle, fais comme si de rien était [. . .] puis un de ces jours [. . .] tu vas recevoir un message [. . .] et c'est le temps de faire ce qu'on veut que tu fasses». L'agent dormant pourrait être activé pour monter un acte au pays où il se trouve ou pourrait avoir à voyager dans un pays étranger pour monter un attentat.

Les conclusions des ministres selon lesquelles l'intimé représente un danger pour la sécurité nationale sont très sérieuses et elles font en sorte que l'intimé doit à son tour présenter une preuve qui remet en question les conclusions des ministres. Il était important de signaler que l'examen du témoignage des témoins de l'intimé a permis de cerner une période de sa vie--de 1992 à la fin de cette décennie--qui est en partie inexpliquée. Même un des témoins de l'intimé, M. Ouazzani, a admis qu'il était préoccupé par le fait, qu'il trouvait suspect, que l'intimé avait voyagé au Pakistan en 1998 (apparemment pour étudier la religion musulmane dans l'optique de rédiger un livre). Contrairement à ce témoin de l'intimé, la Cour n'était pas satisfaite des explications fournies par l'intimé. La preuve de l'intimé n'a pas non plus permis de neutraliser les préoccupations de la Cour quant à ses contacts avec les cinq personnes identifiées. La preuve de l'intimé n'a pas réussi à dissiper ces doutes.

L'avocate de l'intimé a demandé la libération de son client sous condition et caution mais, puisque la Cour a conclu que le danger demeure, cette possibilité n'a pas été envisagée. La Cour ne s'est pas prononcée non plus sur l'applicabilité de l'alinéa 11e) de la Charte à ce type de dossier. Cette disposition s'applique au droit criminel alors que le présent dossier concerne le droit de l'immigration. Finalement, la Cour ne pouvait faire droit à un recours fondé sur les articles 7 et 15 de la Charte. La Cour a fait remarquer que l'approche suivie dans le présent dossier, telle que prescrite par la Loi, semble conforme aux principes de justice naturelle énoncés à l'article 7 de la Charte. La question de l'applicabilité de l'article 15 de la Charte a à peine été abordée.

Finalement, à la question de savoir si la publicité découlant de l'arrestation et des procédures neutraliserait le danger, un des avocats des ministres a répondu qu'à titre d'agent dormant, l'intimé pourrait toujours passer à l'acte si on le lui demandait.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11, 15.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 18.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h), 34(1)c),d),f), 58(3), 74d), 77(1), 78, 80(1), 82, 83, 84, 85.

jurisprudence

décisions appliquées:

Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297; (2000), 195 D.L.R. (4th) 422; 265 N.R. 121 (C.A.); Yao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 741; [2003] A.C.F. no 948 (1re inst.) (QL); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 281 N.R. 1; Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] 3 W.L.R. 877 (H.L.).

décision examinée:

Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189.

décisions citées:

Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669; (1995), 32 C.P.R. (2d) 95; 100 F.T.R. 261 (1re inst.); conf. par (1996), 37 C.R.R. (2d) 181; 201 N.R. 233 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1996] C.S.C.R. no 496; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

CONTRÔLE DES MOTIFS DE DÉTENTION, en vertu des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La détention continue d'être justifiée.

ont comparu:

Johanne Doyon pour Adil Charkaoui.

J. Daniel Roussy pour le solliciteur général du Canada.

J. C. Luc Cadieux et Daniel Latulippe pour le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

avocats inscrits au dossier:

Doyon & Montbriand, Montréal, pour Adil Charkaoui.

Le sous-procureur général du Canada pour le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Voici les motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus en français par

Le juge Noël:

INTRODUCTION

[1]Suite à un mandat pour l'arrestation et la mise en détention de M. Adil Charkaoui (l'intimé) signé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada (les ministres), dûment exécuté le 21 mai 2003, le juge désigné a l'obligation d'entreprendre le contrôle des motifs justifiant le maintien de la détention. Ayant étudié le dossier et ayant tenu une audition où l'intimé fut entendu par l'entremise de témoins et de son avocate, j'explique dans les paragraphes à suivre les résultats du contrôle des motifs de la détention, le tout conformément aux paragraphes 83(1) et 83(3) de la Loi [Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27].

MISE EN CONTEXTE

[2]L'un des objectifs de la Loi est de garantir (version anglaise: to maintain) la sécurité des Canadiens (voir l'alinéa 3(1)h) de la Loi). Étant donné cet objectif supérieur, le législateur a prévu des outils afin d'en assurer le résultat. Un tel outil est l'octroi aux ministres mentionnés ci-haut d'un pouvoir d'interdiction de territoire à un résident permanent ou à un étranger pour raison de sécurité en déposant à la Section de première instance de la Cour fédérale un certificat dûment signé à cet effet (voir le paragraphe 77(1) de la Loi).

[3]En l'espèce, un tel certificat fut signé le 16 mai 2003 et déposé à la Cour fédérale du Canada par la suite. Les ministres ont conclu que l'intimé doit être interdit du territoire canadien car ils sont d'opinion qu'il a été et est membre du réseau d'Oussama ben Laden, une organisation qui est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme et qu'à ce titre, l'intimé s'est livré, se livre ou se livrera au terrorisme et qu'en conséquence l'intimé a constitué, constitue ou constituera un danger pour la sécurité du Canada (voir les alinéas 34(1) c), d) et f) de la Loi).

[4]Le caractère de raisonnabilité du certificat sera donc évalué par le juge désigné (voir l'article 78 et le paragraphe 80(1) de la Loi). Cependant, l'avocate de l'intimé a déjà informé qu'elle soulèvera la validité constitutionnelle de toute la procédure entourant le certificat et la vérification de son caractère raisonnable, ainsi que le maintien de la détention.

[5]Par ailleurs, dans le cadre des pouvoirs octroyés par le législateur et dans le but de garantir la sécurité des Canadiens, les ministres ont également signé, le 16 mai 2003, un mandat d'arrestation de l'intimé, étant d'opinion qu'ils avaient des motifs raisonnables de croire qu'il est un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi (voir le paragraphe 82(1) de la Loi). Le mandat d'arrestation fut exécuté le 21 mai 2003 et l'intimé est en détention depuis.

[6]À titre de juge désigné et ce, dans les 48 heures de la détention, j'ai débuté l'étude des motifs justifiant la mise en arrestation et le maintien en détention de l'intimé et je lui ai donné à l'intimé, la possibilité d'être entendu le 30 mai 2003 à ce sujet (voir l'alinéa 78i) et le paragraphe 83(1) de la Loi). À l'occasion du début de l'audience, par l'entremise de son avocate, l'intimé a demandé une remise au 2 juillet 2003 pour une durée de deux jours dans le but de préparer l'audience, ce qui fut accordé.

[7]Pour bien comprendre la position des ministres tant à l'égard du certificat qu'au maintien de la détention, j'ai étudié les documents à la base du certificat et du mandat d'arrestation et j'ai tenu une audience en l'absence de l'intimé et de son avocate (voir les alinéas 78d) et e) de la Loi). J'ai identifié l'information dont la divulgation ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, gardant à l'esprit l'importance d'informer suffisamment l'intimé des circonstances à la base du certificat et du maintien de la détention. De plus, j'ai demandé à ce que l'information soit transmise dans les plus brefs délais, ce qui fut fait le 26 mai 2003 (voir les alinéas 78 g) et h) de la Loi). Je suis satisfait d'avoir assumé cette lourde obligation tout en tenant compte des paramètres imposés par le législateur et de l'interprétation du rôle du juge désigné développée par la Cour fédérale (voir Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.), à la page 681; confirmé par la Cour d'appel (1996), 37 C.R.R. (2d) 181 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1996] S.C.C.A. no 496). Par ailleurs, je demeure vigilant quant à la possibilité de remettre à l'intimé de l'information supplémentaire selon les circonstances.

[8]L'audience concernant le maintien de la détention eut lieu à Montréal les 2 et 3 juillet 2003. Les ministres, tout en tenant compte des limites imposées par le législateur concernant la sécurité nationale, firent entendre un témoin. En contrepartie, l'intimé déposa sept affidavits de consentement avec les avocats des ministres et fit entendre sept témoins. Un résumé de la preuve de l'audition suit. L'avocate de l'intimé informa qu'elle considérait sa preuve incomplète car le dossier de l'immigration concernant l'intimé lui avait été remis avec plusieurs exclusions. Au nom de l'intimé, elle a déposé une plainte auprès du commissaire à la vie privée concernant lesdites exclusions et elle est en attente des résultats. De plus, elle a indiqué qu'elle aurait aimé faire entendre les enquêteurs du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) concernant certaines entrevues avec l'intimé mais qu'elle n'en connaissait pas les noms. Il est notoire que les noms des employés du SCRS peuvent être protégés par l'article 18 et le serment de secret de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi sur le SCRS), à moins que ces noms deviennent public ou que d'autres circonstances le justifient. J'ai suggéré à l'avocate de l'intimé que si ce dernier pouvait identifier les noms desdits individus par affidavit, par la suite je verrais à faire le nécessaire s'il y a lieu, le tout sujet à l'argumentation des ministres. L'avocate de l'intimé déclina l'offre et me demanda de décider quant au maintien de la détention selon la preuve telle que présentée.

[9]Suite à l'audience, j'ai interrogé des représentants des ministres lors d'une audition en l'absence de l'intimé et de son avocate, comme il est de mon pouvoir général en vertu de l'article 78 de la Loi. Également, j'ai profité de cette occasion pour clarifier certains points concernant de l'information additionnelle protégée fournie à la Cour par les ministres. Lors de l'audition tenue à Montréal, j'ai informé l'intimé de la tenue de cette audition ex parte à Ottawa et de la réception de l'information additionnelle. L'avocate de l'intimé a réitéré son objection à l'égard de cette procédure. Néanmoins, cette information additionnelle doit demeurer non accessible à l'intimé et à son avocate pour motifs de sécurité nationale. Toutefois, je suis à réviser certains éléments de cette preuve.

LA QUESTION EN LITIGE

[10]La seule question à déterminer à ce stade-ci est la suivante: «Est-ce que l'intimé doit être maintenu en détention en vertu des articles 7, 11 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) et des paragraphes 83(1) et (3) de la Loi, compte tenu des éléments de preuve et d'information disponible?»

LE RÉSUMÉ DE LA PREUVE ENTENDUE LORS DE L'AUDIENCE

[11]La preuve testimoniale à l'audience a débuté par l'interrogatoire d'un agent du SCRS, qui, pour des raisons de sécurité et d'anonymat, est identifié seulement par son prénom, Jean-Paul. Ce dernier travaille au SCRS depuis 13 ans. Présentement, il est chef adjoint au niveau des enquêtes sur le terrorisme islamique et sunnite.

[12]Jean-Paul a principalement témoigné sur le réseau terroriste Al-Qaïda, dirigé par Oussama ben Laden. Il a expliqué l'origine du réseau ainsi que le recrutement et l'entraînement des membres. Entre autres, il a mentionné qu'entre 50 000 à 100 000 personnes ont circulé dans les camps d'entraînement depuis 1980. De plus, il a fait remarquer à la Cour que dans une déclaration faite par Oussama ben Laden en novembre 2002, le Canada avait spécifiquement été visé et directement menacé. Jean-Paul a aussi relaté, de façon générale, les efforts du Canada à se protéger contre le terrorisme. Toutefois, il ne pouvait divulguer les pratiques d'enquêtes du SCRS.

[13]En contre-interrogatoire, le témoin a reconnu qu'il n'est pas personnellement responsable du dossier de l'intimé, et qu'il ne pouvait affirmer, de par sa connaissance du dossier, que l'intimé est un membre du réseau terroriste Al-Qaïda.

[14]La preuve présentée par l'avocate de l'intimé consiste en 14 affidavits, sur lesquels 7 affiants furent contre-interrogés. Les sept autres déclarations ont été déposées de consentement, sans contre-interrogatoire. Je me propose d'aborder les témoins qui ont été contre-interrogés en premier pour ensuite résumer les autres affidavits.

[15]La première personne venue témoigner en faveur de l'intimé est M. Larbi Ouazzani. Celui-ci est né au Maroc en 1953 et est citoyen canadien depuis 1999. Il travaille actuellement à temps plein comme assembleur de composantes d'avion chez Bombardier Aéronautique. M. Ouazzani connaît l'intimé depuis environ trois ans et demi, puisque l'épouse de l'intimé est la cousine germaine de l'épouse de M. Ouazzani.

[16]Bien que M. Ouazzani ait admis ne pas avoir une relation très intime avec l'intimé, il a néanmoins offert de se porter caution pour une somme allant jusqu'à 15 000 $. Dans son témoignage, il a pu relater une discussion qu'ils ont eu au sujet des attentats terroristes du 11 septembre 2001, non longtemps après l'incident. Il dit avoir constaté l'outrance et le désaccord manifeste de l'intimé quant à l'occurrence de cette atrocité.

[17]Afin de démontrer à l'intimé son soutien, M. Ouazzani est allé le visiter à la prison de Rivières-des-Prairies. Ils ont discuté, entre autres, du fait que l'intimé a été interrogé à maintes reprises par des agents du SCRS et du fait qu'il a été intercepté par des agents du FBI lors d'une escale à New York.

[18]Ce qui a toutefois attiré mon attention sur ce témoignage, comme j'en fais part dans mon analyse, est le fait que M. Ouazzani ait demandé à l'intimé le but de son voyage au Pakistan. Il m'apparaît que M. Ouazzani était préoccupé par le fait qu'il ignorait que l'intimé avait fait un voyage au Pakistan et s'interrogeait sur la raison d'un tel voyage.

[19]Les deux autres témoins ont enseigné à l'intimé dans le cadre de sa maîtrise en éducation (DESS Didactique). La première, Mme Marie McAndrew, citoyenne canadienne, est professeur titulaire à l'Université de Montréal à la faculté des Sciences de l'éducation depuis 1991, titulaire de la chaire en relations ethniques depuis juin 2003, directrice du groupe de recherche sur l'ethnicité et l'adaptation au pluralisme en éducation depuis 1993, et enseigne à différents niveaux à l'Université, incluant aux études supérieures.

[20]Pendant la session d'hiver 2003, Mme McAndrew était responsable d'un séminaire pluridisciplinaire portant sur «L'éducation et construction des rapports ethniques». L'intimé était l'un des 15 étudiants inscrits à ce séminaire de 45 heures. Mme McAndrew le connaît aussi puisqu' elle l'a rencontré à deux reprises alors qu'il envisageait de réaliser un travail dirigé sous sa supervision. Le sujet contemplé était le traitement du monde arabe et musulman dans le matériel didactique au Québec. Toutefois, ce sujet restait à confirmer. Mme McAndrew a constaté que l'intimé était préoccupé et critique à l'égard de l'intégration des immigrants, particulièrement des jeunes arabo-musulmans au Québec. Elle affirme qu'il avait des opinions tranchées mais qu'il pouvait nuancer ses idées lors de discussions. Étant donné ses connaissances, Mme McAndrew a tenu à faire une distinction entre une personne radicale ou terroriste et une personne possédant des opinions militantes et des préoccupations sur l'intégration. Selon elle, un terroriste n'aurait pas l'ouverture d'esprit de l'intimé. Également, plutôt que de prendre les cours d'université choisis par ce dernier, il aurait plutôt opté pour des cours plus low profile.

[21]Mme Patricia Lamarre, citoyenne canadienne, est professeure adjointe à l'Université de Montréal. Elle connaît l'intimé depuis avril 2002, alors qu'il était un de ses étudiants dans le cadre du cours «De la didactique à une pédagogie du plurilinguisme». Dans ce cours, les thèmes abordés étaient notamment ceux relatifs au rôle des écoles dans la promotion de l'ouverture sociétale afin de contrer les stéréotypes et la discrimination. Mme Lamarre a, comme l'avait fait Mme McAndrew, témoigné que l'intimé participait activement aux discussions et que ses opinions étaient empreintes d'espoir quant à la possibilité pour les musulmans de cohabiter pacifiquement avec les autres groupes de Montréal. Elle a de plus affirmé que l'intimé exprimait l'espoir et la confiance dans l'éducation et l'école comme moyen de promouvoir des changements dans l'intégration d'immigrants. Mme Lamarre le voit comme un homme cultivé et respecté dans sa communauté. Les deux enseignantes soutiennent que l'intimé n'a jamais manifesté, de quelque manière que ce soit, un comportement violent, non plus prôné l'usage de la violence ou du terrorisme comme moyen de changement.

[22]Le quatrième témoin de l'intimé, M. Kamal Benkirane, originaire du Maroc et résident permanent au Canada depuis le 1er avril 2001, est un collègue d'université de l'intimé. Les deux étaient étudiants au cours "L'éducation dans le monde d'aujourd'hui" à l'Université de Montréal et se connaissent depuis le mois de septembre 2002. Quoique leurs relations se soient surtout limitées à la salle de cours et aux discussions reliées aux thèmes du cours, les deux hommes ont, à une occasion, discuté au téléphone des attentats terroristes ayant eu lieu à Casablanca en mai 2003. De surcroît, M. Benkirane a témoigné que l'intimé a vécu ces attentats comme une atteinte à la dignité des musulmans et des marocains, s'était exprimé contre le terrorisme et avait condamné l'attentat. M. Benkirane a aussi indiqué à la Cour que l'intimé lui a téléphoné de prison afin de lui demander de faire signer des pétitions aux étudiants de l'université soulignant leur désaccord à son arrestation. Sans s'interroger d'avantage sur la portée et la véracité des allégations portées contre l'intimé, M. Benkirane a accepté de l'aider et de faire circuler les pétitions.

[23]Comme cinquième témoin, l'avocate de l'intimé a fait témoigner une autre collègue de classe de l'intimé. Mme Ligia Beatriz Nino, originaire de la Colombie, demeure au Canada depuis 1988 et a obtenu sa citoyenneté canadienne en mai 1997. Elle ne connaît l'intimé que depuis le mois de mars 2003 alors qu'ils étaient tous deux inscrits aux cours «Compétence d'éducateur d'adultes» et «Didactiques des langues». Celle-ci ne connaît pas la vie privée, i.e. à l'extérieur du cadre universitaire, de l'intimé. Elle dit lui avoir parlé au téléphone après son arrestation simplement pour le saluer et lui fournir du support moral. Mme Nino a également témoigné qu'elle le voyait comme un homme en faveur de la paix et du respect des droits de la personne, affirmation qu'elle base sur les discussions de groupe lors des classes.

[24]M. Samir Benshaib, un ami de longue date de l'intimé a ensuite été appelé à témoigner. M. Benshaib et l'intimé demeuraient dans le même quartier de Casablanca lorsqu'ils étaient enfants au Maroc. Ils jouaient ensemble, étaient inscrits au même lycée, et fréquentaient le même club de Tae kwon do. Toutefois, en 1992, ils ont perdu contact lorsqu'ils ont débuté l'université. Il ne se sont revus qu'en 2001, la première fois au Maroc alors que l'intimé était en voyage et la fois suivante au Canada, lorsque M. Benshaib a déménagé à Montréal. Depuis, ils sont devenus de bons amis, et M. Benshaib considère l'intimé comme un frère. Alors que l'intimé a aidé M. Benshaib à s'établir à Montréal et à se trouver une voiture, ce dernier lui a donné un coup de main à la pizzeria lorsqu'il avait des problèmes.

[25]L'intimé a téléphoné M. Benshaib de la prison à une occasion. Ce dernier affirme avoir parlé des allégations au téléphone. Sans trop de détails, ils auraient simplement discuté du pourquoi de son arrestation, croyant qu'il était impensable que de telles allégations soient portées contre l'intimé. M. Benshaib qualifie ces allégués de ridicules tout en soulignant que l'intimé est une bonne personne, qui aime aider tout le monde.

[26]Le dernier témoin est M. Samir Ezzine, originaire du Maroc et citoyen canadien depuis 1993. Lui et l'intimé se connaissent depuis l'été 2001. L'intimé voulait s'acheter une pizzeria et M. Ezzine, ayant déjà été propriétaire d'une pizzeria, pouvait l'aider dans ses recherches. C'est un ami de l'intimé qui l'a contacté. M. Ezzine a initié l'intimé à l'opération de son commerce et l'a surtout aidé avec le travail de cuisinier. Ils se sont par la suite rencontrés à maintes reprises à la mosquée.

[27]M. Ezzine a été interrogé par le SCRS à trois occasions. En 1997, on l'a questionné sur son commerce, sur le Maroc, et à l'égard de M. Saïd Atmani. Les deux autres interrogatoires ont eu lieu après les attentats du 11 septembre 2001. On lui a d'abord demandé s'il avait entendu parler de gens qui avaient traversé la frontière canado-américaine. Lors d'une troisième entrevue, les agents du SCRS lui ont proposé de travailler pour eux, proposition qui fut refusée.

[28]Dans son affidavit, M. Ezzine affirme connaître M. Abousfiane Abdelrazik et M. Raouf Hannachi. Il affirme que ces deux hommes ont quitté le Canada, en toute légalité, parce qu'ils étaient harcelés incessamment par les agents du SCRS. Lors de l'audition, il a ajouté que la femme de M. Abdelrazik est morte et que celui-ci a laissé ses enfants au Canada pour repartir au Soudan. Quant à M. Hannachi, qu'il connaît depuis quatre ans, M. Ezzine affirme qu'il a quitté le Canada en octobre 2001 pour retourner en Tunisie, où il aurait été torturé. M. Ezzine a affirmé ne pas avoir vu M. Abdellah Ouzghar depuis cinq ans. Finalement M. Ezzine a indiqué que l'intimé connaît M. Abdelrazik et M. Raouf Hannachi, assez pour se serrer la main lorsqu'ils croisent chemin.

[29]Un autre fait important sur lequel M. Ezzine a témoigné, est le voyage en Bosnie qu'il a fait en 1996. Il prétend être parti pendant environ trois mois pour aller aider les victimes de la guerre. Il dit avoir payé son voyage de ses propres moyens, que son vol d'avion lui aurait coûté 600 $ et qu'il aurait dépensé environ 1000 $ pour acheter de la nourriture et des vêtements afin de faire des dons aux victimes. À cette période, M. Ezzine travaillait dans un restaurant à Montréal et gagnait un salaire minimum de 7 $ de l'heure. Enfin, durant son voyage, il ne se serait pas fait d'amis et n'aurait gardé aucun contact.

[30]Les affidavits qui ont été déposés sans contre-interrogatoire sont celui du père, de l'épouse, de la professeure d'université Mme Paret, du professeur d'art martiaux, d'un ancien employé de la pizzeria, ainsi que d'un autre ami de l'intimé. Dans son affidavit, le père de l'intimé, M. Mohamed Charkaoui, indique qu'il a élevé son fils conformément aux préceptes de leur religion, en lui inculquant les valeurs de respect, du travail, de la tolérance et de la foi. Il décrit l'intimé comme ayant toujours été curieux, avide de connaissances et amoureux des voyages et de la littérature. Il indique que son fils est sportif et pratique les arts martiaux depuis son adolescence. Il souligne que depuis sa naissance jusqu'à l'arrivée de son épouse au Canada en février 2000, son fils a toujours vécu sous le même toit. De plus, il mentionne qu'il n'a «jamais [. . .] entendu de la bouche de [son] fils Adil des propos d'intolérance et, encore moins, des propos haineux ou des propos tendant à soutenir la violence ou le terrorisme comme fins pour faire avancer une quelconque cause» et qu'il n'a «jamais constaté chez [son] fils de comportements étranges et ses activités quotidiennes constituent à étudier, s'entraîner, travailler et s'occuper de sa famille».

[31]L'épouse de l'intimé, Mme Fouzia Ouahid, a rencontré le demandeur il y a «plusieurs années» car elle était sa professeure de français au Maroc. En 1997, ils se sont fiancés et en août 1998 ils se sont mariés. Dans son affidavit, elle relate le voyage au Maroc qu'elle a fait avec l'intimé et explique les événements entourant les fouilles et les interrogatoires aux aéroports de Dorval et de New York ainsi que les réponses qu'elle a données aux agents du FBI. Elle précise que son mari se plaignait du fait qu'on l'interrogeait sur d'autres personnes et qu'on lui demandait de travailler pour le SCRS. De façon plus générale, elle affirme avoir besoin de son mari pour l'aider à la maison puisqu'elle est sur le point d'accoucher de leur deuxième enfant et qu'en plus, elle est blessée suite à un accident de voiture.

[32]Mme Christine Paret, professeure à la faculté d'éducation de l'Université de Montréal, affirme connaître l'intimé depuis Septembre 2002 alors qu'il était inscrit à son cours de didactique de la grammaire textuelle. Elle indique avoir remarqué la participation active de l'intimé qui lui a semblé très intelligent et ouvert aux différences culturelles.

[33]Le professeur d'art martiaux de l'intimé, M. Philippe Gélinas, atteste connaître l'intimé depuis qu'il s'est inscrit à l'Académie d'Arts Martiaux Culturels Gélinas, il y a environ deux ans. Il affirme que l'intimé n'était pas un novice lorsqu'il s'est inscrit, mais qu'il désirait se perfectionner afin de pouvoir donner des cours. L'intimé venait prendre des cours et pratiquer deux à trois fois par semaine pour une durée d'une heure et demi à chaque fois. Il souligne que M. Charkaoui n'était pas un élève agressif et que leurs sujets de conversations portaient normalement sur les arts martiaux et la vie de l'intimé à Montréal. Cependant, il rapporte que l'intimé lui a déjà raconté qu'il avait été arrêté dans un avion par les agents du FBI et qu'il y a environ un an, les agents du SCRS étaient allés le voir, qu'ils lui auraient dit qu'il était un terroriste et voulaient qu'il travaille pour eux. M. Gélinas affirme que l'intimé lui a dit qu'il ne pouvait pas travailler avec le SCRS parce qu'il n'est pas un terroriste.

[34]L'avocate de l'intimé a déposé en preuve les affidavits de M. Abderrahmane Kherour et M. Aziz Zahaoui. M. Kherour, citoyen canadien, originaire d'Algérie, est un ancien employé de la pizzeria de l'intimé. Ils se connaissent depuis juillet 2001, lorsqu'il a commencé à travailler pour l'intimé. M. Kherour affirme dans son affidavit qu'en janvier 2002 il a été interrogé par un agent du SCRS qui lui a présenté une photo d'un individu identifié comme étant M. Samir Ezzine.

[35]Quant à M. Zahaoui, citoyen canadien depuis 2001 et originaire du Maroc, il connaît l'intimé depuis le milieu de 1998 et le considère comme son ami. Dans son affidavit, il explique avoir été contacté à quelques reprises par des agents du SCRS qui voulaient obtenir des informations sur l'intimé ainsi que sur M. Abdallah Ouzghar et d'autres personnes de Montréal, qu'il connaissait. Il affirme avoir dit aux agents que l'intimé était étudiant, qu'il faisait du sport, qu'il s'occupait de son commerce et de sa famille. Il dit n'avoir jamais déclaré que les personnes qu'il a dû identifier étaient des terroristes. M. Zahaoui déclare avoir refusé de travailler comme informateur mais a indiqué aux agent du SCRS qu'il était disposé à dénoncer toute personne qui ferait du mal au Canada.

LE RÔLE DU JUGE DÉSIGNÉ LORS DE L'ÉTUDE DU CONTRÔLE DES MOTIFS DU MAINTIEN DE LA DÉTENTION

[36]Le juge désigné, à l'étape de l'étude du contrôle des motifs du mandat d'arrestation et du maintien de la détention, doit se demander s'il y a de la preuve à l'appui de la position des ministres à l'effet que l'intimé, depuis le début de sa détention, demeure un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou encore qu'il évitera la procédure ou le renvoi (voir le paragraphe 83(3) de la Loi). Je note que le législateur a utilisé le mot «ou», ce qui crée une alternative entre l'un des motifs invoqués. Par ailleurs, le juge désigné, ayant donné la possibilité à l'intimé d'être entendu, doit se demander si la preuve présentée par celui-ci remet en question celle à l'appui du maintien de la détention, si preuve il y a. Il doit pour ce faire prendre en considération toute la preuve des parties (y incluant celle présentée en l'absence de l'intimé). Le fardeau initial repose donc sur les ministres, pouvant toutefois être transféré à l'intimé si la preuve des ministres est suffisante. Le cas échéant, l'intimé doit à son tour satisfaire le juge désigné que la détention continue n'est pas justifiée.

[37]Les ministres, lors de la signature du mandat d'arrestation, ont évalué le danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou la possibilité pour l'intimé de se soustraire à la procédure ou au renvoi selon la norme du motif raisonnable. Ceci est la norme de preuve désignée par le législateur. Il va de soi que le contrôle de l'action ministérielle doit se faire selon cette même norme.

[38]Cette norme de preuve a été définie en matière d'immigration par la Cour fédérale d'appel dans l'arrêt Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), sous la plume de l'ancien juge en chef Thurlow, lorsqu'il écrivait [aux pages 225 et 226]:

[. . .] lorsque la preuve a pour but d'établir s'il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d'établir l'existence du fait lui-même, il me semble qu'exiger la preuve du fait lui-même et en arriver à déterminer s'il a été établi, revient à demander la preuve d'un fait différent de celui qu'il faut établir. Il me semble aussi que l'emploi dans la loi de l'expression «il y a raisonnablement lieu de croire» implique que le fait lui-même n'a pas besoin d'être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l'organisation sera suffisante si elle démontre qu'il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc. Dans une affaire dont la solution est incertaine, l'omission de faire cette distinction et de trancher la question précise dictée par le libellé de la loi peut expliquer la différence dans les résultats d'une enquête ou d'un appel.

[39]Il ne s'agit donc pas pour le juge désigné de rechercher la preuve de l'existence des faits mais plutôt d'analyser l'ensemble de la preuve tout en se demandant si elle permet à une personne d'avoir une croyance raisonnable qu'il y a un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou que l'intimé évitera la procédure ou le renvoi. Bien qu'elle ne soit pas au niveau de la prépondérance des probabilités, cette norme doit tendre vers une possibilité sérieuse de l'existence de faits tenant compte de preuves fiables et fondées. À cet effet, le juge Evans de la Cour d'appel dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), écrivait au paragraphe 60:

Quant à savoir s'il existait des «motifs raisonnables» étayant la croyance de l'agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l'expression «motifs raisonnables» (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s'agit d'une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins «la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi». Voir Le procureur général du Canada c. Jolly [1975] C.F. 216 (C.A.).

[40]Cette approche fût suivie tout récemment par ma collègue Mme le juge Dawson dans l'affaire Yao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 741; [2003] A.C.F. no 948 (1re inst.) (QL), au paragraphe 28:

La norme de preuve à satisfaire pour montrer qu'il existe des motifs raisonnables de croire quelque chose est définie comme «la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi». Voir l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), au paragraphe 60. Il est donc inutile pour le ministre d'établir que la personne appartient réellement à un organisme d'espionnage ou que des actes d'espionnage ont réellement été commis.

[41]L'avocate de l'intimé a tenté de me convaincre que la preuve des ministres devait établir une probabilité marquée pour l'intimé de commettre les activités appréhendées étant donné que selon les principes de justice fondamentale, la libération de l'individu doit être la norme et la détention l'exception. Tout en tenant compte des extraits de jugement mentionnés ci-haut et de la sécurité nationale, je crois que l'interprétation de la norme que proposait le juge Evans dans l'arrêt Chiau, supra, est la plus appropriée dans les circonstances.

[42]Cette façon de percevoir la norme de motif raisonnable de croire est essentielle pour assurer la sécurité nationale. À cet effet, la Cour suprême du Canada citait avec approbation dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 87, Lord Slynn de la Chambre des lords de Grande-Bretagne lorsqu'il écrivait (Secretary of State for the Home Department v. Rehman, [2001] 3 W.L.R. 877 (H.L.), au paragraphe 16):

[traduction] À mon avis, dans le contexte mondial actuel, les mesures prises à l'encontre d'un État étranger sont susceptibles d'avoir une incidence indirecte sur la sécurité du Royaume-Uni. Les moyens auxquels peuvent recourir les terroristes pour attaquer un autre État et pour s'en prendre aux activités déployées par la communauté internationale à l'échelle internationale ou mondiale, quels que soient les objectifs que ces terroristes cherchent à réaliser, peuvent avoir des répercussions sur la sécurité et le bien-être du Royaume-Uni ou des ses citoyens. Le degré de complexité des moyens qui peuvent être utilisés, la rapidité de la circulation des personnes et des marchandises et celle des moyens de communication modernes constituent tous de facteurs dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de décider s'il existe une possibilité réelle que des actes commis par d'autres personnes puissent être préjudiciables, dans l'immédiat ou dans l'avenir, à la sécurité du Royaume-Uni. En exigeant que les actes en question puissent constituer une menace «immédiate» à la sécurité nationale, on limite indûment le pouvoir discrétionnaire de l'autorité exécutive relatif à la prise de décisions sur la façon dont il convient de protéger les intérêts de l'État, qui ne se réduisent pas à la défense mais comprennent aussi la démocratie, et les systèmes judiciaire et constitutionnel de celui-ci.

[43]Le juge désigné doit aussi examiner la preuve et se demander s'il y a possibilité sérieuse de l'existence de faits pouvant amener quelqu'un à croire raisonnablement que d'autres que l'intimé ont été, sont ou pourraient être en danger à cause de situations pouvant être créées par ce dernier ou encore, s'il y a possibilité sérieuse de l'existence de faits pouvant permettre à une personne de croire raisonnablement que l'intimé éviterait la procédure et/ou le renvoi.

[44]À la lumière de ce qui précède, le juge désigné, lors de son étude des documents protégés et de l'audience en l'absence de l'intimé, doit tout de même être curieux, préoccupé par ce qui est avancé et être d'un scepticisme ayant comme objectif de faire un examen critique des faits. Il doit vérifier les sources tant humaines, techniques que documentaires, leur fiabilité et la véracité de ce qu'elles peuvent rapporter. Dans la mesure du possible, l'information doit provenir de plus d'une source et ne doit pas être sujette à une interprétation imprécise. De plus, le juge désigné peut interroger les témoins pouvant apporter un éclairage sur l'information et les documents protégés. Il peut, le cas échéant, questionner leur interprétation des faits et vérifier s'il n'y a pas d'autres possibilités d'interprétation pouvant jouer en faveur de l'intimé. En un mot, le juge désigné doit tester sérieusement la documentation et l'information protégées. C'est un rôle exigeant qui doit être assumé pleinement étant donné les enjeux.

[45]De plus, le juge désigné doit analyser la preuve en tenant compte du danger à la sécurité nationale. Il doit se demander ce que peut constituer un tel danger. À cet effet, la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, supra, au paragraphe 90, définissait ce qu'est un danger pour la sécurité du Canada de la façon suivante:

Ces considérations nous amènent à conclure qu'une personne constitue un «danger pour la sécurité du Canada» si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d'un pays est tributaire de la sécurité d'autres pays. La menace doit être «grave», en ce sens qu'elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

[46]Ayant expliqué ce qu'est le rôle du juge désigné lors de l'étude du contrôle des motifs du maintien de la détention, je procède maintenant à l'analyse de la preuve des parties, du droit et des plaidoiries. Il va de soi que je ne peux pas référer à la documentation et à l'information protégées. Toutefois, je tenterai, à partir de la preuve présentée publiquement, de soulever certaines préoccupations et inquiétudes qui sont au coeur même du présent dossier.

L'ANALYSE DE LA PREUVE CONCERNANT LE MAINTIEN OU NON DE LA DÉTENTION DE L'INTIMÉ

[47]Tel que le relate le contenu du document intitulé «Résumé des informations remises au ministre pour l'arrestation et la détention conformément à l'alinéa 82(1) de la Loi» (pièce R-3), les ministres ont des motifs raisonnables de croire que l'intimé constitue 1) un danger pour la sécurité nationale, 2) ou un danger pour la sécurité d'autrui et 3) ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

[48]Pour démontrer le danger pour la sécurité nationale et la sécurité d'autrui, les ministres décrivent ce qu'est le réseau de ben Laden, sa mission, certains de ses membres et certaines activités. Il précisent à la page 4 que:

ben Laden a conseillé à ses partisans de se fondre dans la société occidentale et de préparer des attentats terroristes

[49]De plus, dans le même objectif de démonstration de danger pour la sécurité nationale et la sécurité d'autrui, les ministres réfèrent le lecteur à l'entraînement aux camps d'Al-Qaïda en utilisant à titre d'exemple l'expérience vécue par Ahmed Ressam. Celui-ci a reçu un entraînement militaire tel que le maniement des armes de poing, de mitrailleuses et des fusils lance-grenades propulsés par fusées. On lui aurait enseigné la fabrication des bombes à partir de TNT et d'explosif plastique ainsi que des opérations de sabotage, de combat en zone urbaine et des assassinats. Pour les ministres, l'intimé est un membre du réseau de ben Laden, et a suivi un entraînement semblable à Ahmed Ressam.

[50]Pour ajouter à la démonstration de danger pour la sécurité nationale et à autrui, les ministres associent l'intimé à la violence et précisent qu'il est un adepte de karaté, d'arts martiaux et ajoutent que (voir page 5, pièce R-3):

Dans le passé, il fut observé que des individus impliqués avec Al Qaïda s'adonnaient à la pratique de karaté et/ou des arts martiaux. Notamment Ziard Jarrah qui faisait partie du groupe qui a détourné le vol 93 de «American Airline» s'est entraîné aux arts martiaux en préparation de l'opération du 11 septembre 2001.

[51]De façon expresse et sans équivoque, les ministres associent l'intimé à un agent dormant du réseau de ben Laden et utilisent l'histoire de Ressam à titre d'exemple type.

[52]À cet effet, le témoin Jean-Paul qui a témoigné à l'appui de la thèse des ministres définissait la notion d'agent dormant de la façon suivante:

Un agent dormant est un individu qui a reçu une certaine formation. C'est un terme qui s'applique tant au terrorisme qu'à l'espionnage. Alors on parle d'un individu qui a reçu une formation qui lui permettrait d'opérer dans un pays selon les besoins de l'organisation qui le dirige.

Donc, si c'est un espion, alors c'est une personne qui serait capable de collecter de l'information, de transmettre des messages et de se livrer à des actes de sabotage, par exemple. Dans le cas d'un terroriste, ça serait un individu qui a reçu, qui aurait reçu une certaine formation lui permettant d'opérer selon les besoins du groupe.

Donc, si le groupe a besoin d'un ingénieur, une personne qui est capable de monter, une espèce d'artificier en fin de compte, quelqu'un qui pourrait monter des engins explosifs pour le compte de l'organisation, alors il aurait cette formation-là. On lui donne les cours nécessaires et puis ensuite on le renvoie dans son pays d'origine puis on lui dit: «Bon. Retourne à ta vie habituelle, fais comme si de rien était. Tu ne dis pas à personne que tu as suivi ces cours-là. Et puis un de ces jours quelqu'un va venir te voir, tu vas peut-être recevoir un message, une lettre, un courriel, un coup de téléphone et puis c'est le temps de faire ce qu'on veut que tu fasses tout simplement.»

Alors cette personne retourne à son existence quotidienne et puis il se passe rien jusqu'au où on en ait besoin. Alors cette personne-là pourrait être activée pour monter un acte au pays où il se trouve ou bien pourrait avoir à voyager dans un pays étranger pour monter un attentat.

[53]En ce qui concerne la preuve publique des ministres concernant la possibilité pour l'intimé de se soustraire vraisemblablement à la procédure ou au renvoi, elle se limite à constater que celui-ci a de la famille au Canada mais qu'en réalité il a peu d'attaches et pourrait s'esquiver facilement car ni lui ni son épouse sont citoyens canadiens.

[54]Selon moi, les conclusions et les constatations de danger pour la sécurité nationale et à autrui des ministres à l'égard de l'intimé sont très sérieuses et font en sorte que l'intimé doit à son tour, présenter une preuve qui remet en question celle des ministres. C'est la tâche qu'il doit assumer s'il espère récupérer sa liberté.

[55]L'intimé a présenté de la preuve à l'effet qu'il n'est pas un terroriste membre du réseau Al-Qaïda , qu'il est un bon père de famille, père d'une fille de 2 ans et d'un enfant à naître à la fin de l'été et qu'il a une vie paisible avec son épouse et ses parents, qu'il est un bon étudiant au deuxième cycle à l'Université de Montréal et qu'il n'a jamais appuyé les actes terroristes revendiqués par le réseau Al-Qaïda.

[56]Pour sa preuve, l'intimé a eu recours aux témoignages de son père, de son épouse, de certains professeurs, collègues de classe, ami d'enfance, connaissance familiale et d'un ami. L'un des témoins, M. Ouazzani, a offert un cautionnement de 15,000 $ et de maintenir contact pour assurer les conditions qui pourraient être exigées dans l'hypothèse d'une libération sur caution. Son père, M. Mohamed Charkaoui, dans son affidavit a aussi offert une caution non déterminée ainsi qu'un contact avec son fils pour assurer les conditions, s'il y a lieu.

[57]À l'exception du père, de l'épouse et de l'ami d'enfance, les témoins ont connu l'intimé de la fin des années 1990 à nos jours. Bien qu'ils sont restés en contact par téléphone ou par courrier, l'épouse n'était pas avec l'intimé de 1995 au mois de février 2000, moment où elle est venue s'établir au Canada suite à l'émission d'un visa (sauf pour une période en août 1998, moment de leur mariage). L'ami d'enfance a perdu contact avec l'intimé en 1992 et ne l'a revu qu'en janvier 2001. Je note que sur 13 affiants, 10 le connaissent depuis la fin des années 1990 ou le début de l'année 2000, ou même moins longtemps.

[58]Il y a donc une période de vie d'environ 1992 à la fin des années quatre-vingt-dix qui est en partie inexpliquée.

[59]Il y a aussi un voyage au Pakistan de février à juillet 1998 qui est expliqué par son père et son épouse comme étant un voyage pour étudier la religion musulmane dans l'optique d'un projet de rédaction d'un livre sur la religion musulmane en langue française. Suite à la couverture médiatique de la présente affaire, ce voyage souleva des préoccupations pour M. Ouazzani, témoin de l'intimé:

Ça vous préoccupait ce voyage-là?

Oui, ça me préoccupait. Je voulais savoir, ça me préoccupait [. . .] En d'autres circonstances, ce ne serait pas aussi suspect de voyager au Pakistan qu'aux États-Unis. Mais quand on met toute cette histoire dans son cadre, on ne peut pas s'empêcher de suspecter. Et quand on met également la chose dans ce que je viens de vous expliquer, ça devient compréhensible. Comprenez-vous, Votre Honneur?

[60]Bien que le témoin s'est déclaré satisfait des explications de l'intimé, je ne le suis pas. L'intimé aurait tout à gagner d'expliquer en détail ce voyage. Lors d'une entrevue de SCRS du 27 février 2001 avec l'intimé, il a été noté que (voir onglet 4, vol. B, dossier de documentation concernant Adil Charkaoui):

Charkaoui a dit qu'il avait été parrainé afin d'aller suivre un cours de religions d'une durée de cinq mois en 1998. D'après le sujet, ce cours de religion est divisé en plusieurs volets: cours sur le Coran; cours sur la culture islamique; cours sur les coutumes du Coran. Charkaoui a dit que ce cours de cinq mois lui a été très bénéfique et cet approfondissement de la religion musulmane lui a permis de répondre à plusieurs questions existentielles. Par contre, Charkaoui a indiqué de lui même qu'il a vécu quelques mauvaises expériences durant ce séjour au Pakistan en 1998. Le sujet a indiqué qu'une fois que son cours de religion a été terminé, il a été arrêté à deux reprises à l'intérieur des limites du territoire du Pakistan; [. . .]

À l'occasion d'une autre rencontre le 26 juillet 2002, les enquêteurs du SCRS ont pris note que (voir onglet 3, vol. B Dossier de documentation concernant Adil Charkaoui):

[. . .] Charkaoui a nié avoir été en Afghanistan et y avoir fait le Jihad. Il a confirmé avoir été au Pakistan faire des études en religion islamique dans plusieurs villes pakistanaises, principalement à Karachi. Il a souligné avoir fréquenté des madrassas dans ce pays.

[61]Dans le but de clarifier ce séjour de près de six mois au Pakistan, il m'apparaît possible pour l'intimé d'avoir recours à son passeport, ses professeurs, l'Université ou l'institution où il a étudié la religion musulmane, etc. Rien n'a été fait à cet égard.

[62]Une autre préoccupation m'apparaît être ce que les ministres prétendent être les contacts de l'intimé avec certains individus («Résumé des informations conformément à l'alinéa 78 h) de la Loi», onglet B, pièce R-3). Sauf pour le témoin M. Ezzine, la preuve telle que présentée par l'intimé est en grande partie silencieuse à cet égard. À nouveau, je crois que l'intimé faciliterait sa demande de libération s'il adressait cette préoccupation.

[63]Tenant compte des limites qui s'imposent à moi, j'identifie donc, entre autres, trois préoccupations d'importance qui n'ont pas été abordées de façon satisfaisante dans la preuve de l'intimé:

- la vie de l'intimé de 1992 à 1995 (au Maroc) et de 1995 à 2000 (au Canada) y incluant les voyages;

- le voyage de l'intimé au Pakistan de février à juillet 1998;

- les contacts de l'intimé avec entre autres, M. Abousfiane Abdelrazik, M. Samir Ait Mohamed, M. Karim Saïd Atmani, M. Raouf Hannachi, M. Abdellah Ouzghar;

[64]Ayant clairement identifié trois préoccupations, je dois constater que la preuve de l'intimé ne m'a pas permise de les neutraliser ou encore, de les atténuer. La preuve telle que présentée est incomplète, insuffisante et ne répond pas à l'ensemble des constatations faites par les ministres pour conclure que l'intimé, au moment de la signature du mandat, était un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il tenterait d'éviter les procédures et/ou le renvoi.

[65]Ayant étudié attentivement la preuve de chaque partie et ayant constaté que lors de la signature du mandat d'arrestation, les ministres avaient des motifs raisonnables de croire que l'intimé était un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il tenterait d'éviter la procédure et/ou le renvoi, je considère qu'il demeure toujours un danger pour les raisons mentionnées ci-haut et que la détention demeure justifiée.

[66]Une libération avec la remise d'une garantie d'exécution est prévue au paragraphe 58(3) de la section 6 de la Loi (Détention et liberté). Cette section s'applique par le biais de l'article 85 de la Loi qui indique que les articles 82 à 84 l'emportent sur les dispositions incompatibles de la section 6. Donc, puisque les articles 82 à 84 ne couvrent pas les conditions pouvant se rattacher à une libération avant l'audition sur le certificat, a contrario, n'ayant pas d'incompatibilité sur ce point spécifique, le paragraphe 58(3) peut servir de référence de base sur la remise en liberté et ses conditions. L'intimé, par l'entremise de son avocate, m'a demandé de le libérer sous conditions et caution. Étant donné que j'en arrive à la conclusion que le danger demeure toujours, ce qui est en soi une juste cause, je n'ai pas à envisager cette possibilité à ce stade-ci de la procédure. Le danger demeure et ce n'est pas une libération sous conditions et caution qui éliminera ce danger à ce moment-ci. D'autant plus, pour le moment, je n'ai pas à décider de l'applicabilité de l'alinéa 11e) de la Charte à ce type de dossier. Toutefois, je me permets la remarque suivante, soit qu'il s'agit d'une disposition de la Charte s'appliquant au droit criminel alors que nous sommes en droit de l'immigration. À cet égard, la Cour suprême a déjà fait la mise en garde suivante (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 88):

Notre cour a souvent fait des mises en garde contre l'application directe en droit administratif des normes de justice criminelle. Nous devrions éviter de confondre des notions qui, suivant notre Charte, sont clairement distinctes.

[67]L'avocate de l'intimé m'a aussi demandé de prendre en considération les articles 7 et 15 de la Charte pour tenter de me convaincre de le libérer. À nouveau, je ne crois pas devoir, à ce stade-ci, me prononcer étant donné la conclusion à laquelle j'en arrive. Par ailleurs, j'ajoute que l'approche suivie dans le présent dossier, tel que prescrit par la Loi, semble conforme aux principes de justice naturelle enchâssés à l'article 7 de la Charte. Je note que l'intimé a reçu de l'information lui permettant d'être suffisamment informé des circonstances, a présenté 14 témoins et son point de vue a clairement été communiqué lors de la plaidoirie de son avocate (Voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711). En ce qui concerne l'argumentation basée sur l'article 15 de la Charte, elle ne fut que très peu abordée et je crois qu'elle aura sa raison d'être lors de l'audition concernant la validité constitutionnelle du certificat et de la procédure de vérification.

[68]Lors de la plaidoirie de l'un des avocats des ministres, je lui ai demandé si la publicité découlant de l'arrestation et des procédures ne neutralisaient pas le danger. On me répondait que l'intimé renouerait ses contacts et qu'à titre d'agent dormant il pourrait passer à l'acte étant donné sa mission et la situation dans laquelle il est.

[69]À cette étape-ci, je demeure préoccupé pour les raisons précédentes. Tenant compte de l'ensemble de la preuve, je ne me sens pas rassuré au point de conclure que le danger est neutralisé grâce à la publicité découlant de l'arrestation et des procédures. En vertu de la révision statutaire au paragraphe 83(2) de la Loi, je note que l'intimé aura l'occasion de soumettre de la nouvelle preuve.

[70]La Loi est silencieuse quant au droit d'appel de la présente décision interlocutoire et je constate qu'il y a une révision statutaire de maintien en détention prévue au paragraphe 83(3) de la Loi. N'étant pas certain de l'application de l'alinéa 74d) de la Loi, et dans le but de permettre aux parties d'évaluer la situation, s'il y a lieu, je vais permettre qu'on me soumette une ou des questions pour fin de certification dans les 15 jours du présent jugement, si ledit article s'applique au présent cas.

[71]Les ministres, par l'entremise de leurs avocats, n'ont pas demandé de frais, donc je n'ai pas à statuer à cet égard.

    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

L'intimé soit maintenu en détention le tout conformément au paragraphe 83(3) de la Loi jusqu'à ce que le juge désigné statue à nouveau à l'égard du maintien de la détention selon le paragraphe 83(2) de la Loi.

Sans frais.

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