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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 261 BETWEEN : 1960 Jan. 19 HER MAJESTY THE QUEEN PLAINTIFF; Feb.9 AND POUDRIER AND BOULET LIMITED .. DEFENDANT. CrownSoldier injured in Quebec by alleged negligence of defendant Action by Crown to recover damages for loss of soldier's services and medical and hospital expensesLiability to be determined under provisions of Civil CodeCommon Law action per quod servitium amisit not applicableNational Defence Act, R.S.C. 1952, c. 184, s. 217(a)—Civil Code, arts. 1053, 1075, 1154. A soldier, a member of Her Majesty's Forces, while on leave and working for the defendant in a civilian capacity in the Province of Quebec, was injured. He was treated in a civilian hospital until his leave expired when he returned to his unit. In view of his condition the military authorities placed him in hospital where he received prolonged medical care interspersed by several periods of sick leave. The Crown seeks to recover from the defendant damages suffered by way of pay and allowances paid to, and hospital and medical expenses paid for the soldier resulting from the injury caused by the alleged negligence of the defendant. Held: That as the action had to do with the civil rights of the parties, it must be decided according to the law of the Province of Quebec. 2. That the liability of the Crown to provide care and treatment to an injured soldier arises solely under s. 217(a) of the National Defence Act, R.S.C. 1952, c. 184, a federal act which lies wholly outside the civil law of the Province. 3. That the Crown bases its claim on an action per quod servitium amisit, a proceeding peculiar to the English law, and acceptable in the sister provinces adhering to the common law but having no counterpart under the Quebec Civil Code. 4. That the Crown failed, as required by art. 1053 of the Code, to establish by a preponderance of evidence, negligence on the part of the defendant. INFORMATION exhibited by the Attorney-General of Canada to recover from the defendant damages suffered by the Crown due to the alleged negligence of defendant. The action was tried before the Honourable Mr. Justice Dumoulin, at Quebec. Robert Perron, Q.C. and Paul 011ivier for plaintiff. Antonio Laplante, Q.C. for defendant. 83918-3-1-a
262 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1960 DIIMOULIN J. now (February 9, 1960) delivered the fol- THE QUEEN lowing judgment: v: POMMER & Les faits en question dans cette action sont simples. Au BOULET Irrn. mois d'août de l'année 1954, le caporal Raymond Bérubé, alors membre des forces armées du Canada, avait com-mencé, depuis le 2 de ce même mois, la période de son congé réglementaire de 30 jours. Désireux de procurer à sa famille des revenus additionnels, il sollicita de l'ouvrage de la com-pagnie défenderesse, dont il connaissait l'un des contre-maîtres, M. Lemieux, pour qui il avait déjà travaillé. Sa demande fut accueillie et le lendemain, 3 août, ses patrons l'affectaient, avec d'autres journaliers, au creusage d'une tranchée, à Charlesbourg, près de Québec. Ce fossé devait recevoir un drain agricole de six pouces (6) de diamètre. Les dimensions de ce canal étaient, en longueur, 350 pieds; en largeur, au sommet, 4 pieds, à la base, 2 pieds, et une profondeur que Raymond Bérubé dira être de 6 à 8 pieds. Le 12 août, Bérubé, toujours à ce travail, fut soudaine-ment entraîné par un glissement de la paroi et recouvert jusqu'à hauteur d'épaules par un amas de terre éboulée. Par une malencontreuse complication, ce qui aurait pu être un simple incident devint un sérieux accident. Ray-mond Bérubé subit une fracture du tibia gauche qui, nous allons le voir, nécessita un long stage d'hospitalisation. Transporté d'urgence à l'hôpital St-François d'Assise, Bérubé demeura sous traitement dans cette institution, du 12 août 1954 au 2 septembre, même année, alors que, sa permission expirée, il regagna son régiment, le Royal 22e. A la date du 2 septembre, le coût du séjour à St-François d'Assise et les frais médicaux encourus à ce jour avaient été reportés au compte de la Commission des Accidents du Travail de la Province de Québec, qui en acquitta le mon-tant: $382.22. La compagnie défenderesse, une importante firme de contracteurs généraux, est soumise à la loi provinciale des Accidents du Travail 1941 R.S.Q. c. 160, aux obligations contributives exigées du patronat, et, le cas échéant, elle bénéficie, tout comme ses ouvriers, de la protection correspondante.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 263 La victime toucha personnellement une première 1 indemnité totale temporaire de $136.36 pour la période THE QU ere du 13 août au 9 septembre 1954, puis un second versement Poun xIEn & de $1,922.44, cette fois, pour incapacité partielle per- Bourr7rLrn. manente fixée à l'indice de sept par cent (7%) . Ces pré- Dumoulin J. cirions apparaissent à l'article 190, (a), (b), (c), de la défense. Dès le retour de l'accidenté à son poste militaire, au début de septembre, il fut constaté que la fracture du tibia gauche dont il souffrait n'était pas consolidée. La pièce documentaire P-1, produite par le capitaine Lucien Pichette, détaille la durée, premièrement, des cinq stages, 67 jours au total, que dut faire l'accidenté dans divers hôpitaux militaires de la région de Québec; deuxièmement, la répartition des trois congés d'invalidité ou "sick leave" de 30 jours chacun, accordés entre le 17 septembre et le 24 décembre 1954. La demanderesse réclame $924.55 pour interventions chirurgicales et frais d'hôpitaux; $1,765.40, solde répartie sur une période alléguée de 194 jours, en tout un montant de $2,689.95. Ce paragraphe résume les articles 3, 4 et 5 de l'information. Bérubé, retourné au régiment, le 2 septembre, n'avait pas informé la Commission des Accidents du Travail de ce changement d'état, et le Service des Réclamations dut entre-prendre les recherches requises pour le retracer. Le 10 novembre, la nouvelle adresse connue, M. Joseph Delâge, Directeur du Service des Réclamations à la Commission des Accidents, écrivit au lieutenant-colonel L.-F. Trudeau, commandant du Royal 22e Régiment, cantonné au camp de Valcartier (Pièce D-2), priant cet officier de lui laisser savoir si l'autorité militaire avait décidé d'assumer doré-navant "les frais médicaux, d'hospitalisation, de radio-graphies" de l'accidenté. Le 19 de ce même mois, le nouveau commandant, le lieutenant-colonel B.-J. Guimond, attestait réception de la lettre du 10 novembre, ajoutant ce qui suit: Vous serez avisés des dispositions prises dès que les résultats de la Commission d'enquête seront connus. Cette lettre est erronément cotée D-1, sa numérotation chronologique eut être D-2. 83918-3--lia
264 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1960 Malgré cette promesse d'informer, aucune autre com- THE QQN munication, écrite ou verbale, ne parvint â la Commission Po un a iEs & des Accidents, nous déclare le témoin Delâge, qui n'est pas BDIIzT1'LTD contredit. L'article 290 de la défense spécifie que: "Ni la Dumoulin J. Commission des Accidents du Travail, ni la défenderesse n'ont jamais reçu de réclamation supplémentaire." Ces faits, je puis le dire sans crainte d'erreur, sont admis de part et d'autre. C'est donc à ce point que la controverse commence. La demanderesse (article 6 de l'information) allègue que cet accident "... a été causé uniquement par le défaut de la défenderesse et plus particulièrement de son contremaître, Gérard Lemieux, de prendre les précautions voulues par la loi et par la prudence pour prévenir cet accident". L'article 7 souligne le danger inhérent au creusage d'une tranchée et que "... cette tâche était surtout dangereuse pour le soldat Bérubé que ne connaissait pas ce genre de travail et les dangers qu'il pouvait comporter". Et l'article 8 dit que: "... le caractère dangereux des travaux ..." imposait à l'employeur le devoir "de prendre les mesures voulues pour assurer la sécurité de ses employés et prévenir un accident", tel celui qui est survenu. La défenderesse n'aurait pas satisfait à cette obligation, soutient l'article 9 de l'action, et, omissions particulièrement fautives, elle se serait dispensée du soin d'établir des supports "pour retenir les parois de la tranchée en voie de construction", et de celui d'avertir les ouvriers "des dangers d'écroulement" et de leur indiquer la méthode de les prévenir et de s'en garer. A ces reproches, la défenderesse plaide (article 13 de la défense) que `Bérubé a été assigné à creuser une tranchée d'environ 5 pieds de profondeur pour poser un petit tuyau de drainage, qu'il s'agissait d'une opération ordinaire ne comportant de sa nature aucun danger"; qu'absolument rien ne laissait présager ce qui est arrivé", et que "pour une tranchée aussi peu profonde, il n'est pas d'usage de poser des supports sur les parois de la tranchée". Sept des neuf autres allégués, les articles 16 à 22 inclusive-ment, relatent l'intervention immédiate de la Commission des Accidents du Travail; les soins prodigués au blessé, les
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 265 montants payés pour les divers motifs ci-haut mentionnés, 1960 et encore que les moyens d'assistance de cet organisme THE QUEEN public eussent été continués à l'accidenté si celui-ci les avait pow & requis. BOULET LTD. Enfin, aux dernières lignes de l'article 23, la défenderesse Dumoulin J. plaide qu'elle "n'a commis aucune faute"; puis, à l'article 24, que "les dommages réclamés dans l'information ... sont trop éloignés ...", avec cette conclusion: "il n'y a aucun lien de droit entre la demanderesse et la défenderesse". La poursuite de la demanderesse procède de deux causes d'ordre distinct: Bien que l'on ait omis, prudemment, de spécifier, dans l'information (voir aux articles 3, 4 et 5), le titre à la réclamation de $942.55 pour frais médicaux et hospitalisation, il reste quand même qu'il provient de l'obligation con-tractée par la Couronne, selon les termes de l'article 217 de la loi sur la défense nationale (S.R.C. 1952, c. 184, art. 217. Le second motif se fonde, on le sait, sur la perte par le maître des services de son serviteur, découlant de l'acte fautif d'un tiers, l'allégué, per quod servitium amisit, cou-tumier dans les provinces de "common law", que l'on vou-drait ranger dans la catégorie des cas prévus à l'article 1053. Disposons de suite de la première demande, celle de $924.55 qui, depuis la décision de la Cour Suprême du Canada' confirmant à l'unanimité celle la Cour de l'Échiquier 2 dans l'affaire His Majesty the King and Cana-dian Pacific Railway, me semble, en droit, plutôt douteuse. Je citerai d'abord le résumé très succinct des faits de cette cause tel qu'il se lit au rapport de l'arrêtiste de la Cour de première instance. The Crown seeks recovery from the defendant of certain sums of money paid out by the Crown to and on account of one, Christian, an employee of the Crown within the meaning of the Government Employees Compensation Act R.S.C. 1927 c. 30 injured by the negligence of servants of defendant. C'est bien notre cas, sauf que l'engagement au même effet, pris par la Couronne envers le soldat Bérubé, résulte de l'article 217(a) de la loi sur la défense nationale. 1 [1947] S.C.R. 185, 193. 2 [1946] Ex. C.R. 375, 378.
266 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1960 Quant au recouvrement des sommes versées à l'accidenté, THE QUEEN Herbert W. Christian, par la Couronne, selon que prévu PoII va rEs & dans la loi sur l'indemnisation des employés de l'État, M. le BOAT LTD Juge Sidney Smith, de la Cour d'Appel de la Colombie-Dumoulin J. Britannique, séant alors en son autre qualité de juge adjoint de la Cour de l'Échiquier, décida que: What is here sought [c'est-à-dire les frais médicaux et d'hospitalisation] is the recovery of monies which by an act of the Dominion Parliament, the Crown is made liable to pay to its injured servant. This obligation does not arise under the common law of the province, but is created by a Parliament that is excluded by the British North America Act from legislating upon civil rights in the province. It seems plain that such an action will not lie. La compagnie défenderesse fait aussi valoir le manque de connexité légale entre ce poste de $924.55 et les faits relatés dans l'information;.. je réfère à l'article 24 du plaidoyer. M. le Juge Smith s'est déclaré, dans l'instance dont j'extrais ces citations, nettement d'avis que des dommages de cette nature n'avaient aucune relation causale avec le prétendu quasi-délit. Il écrivait ce qui suit: The compensation cannot be regarded as legal damages for it is not the proximate and direct result of the act complained of. Et le savant juge concluait en ces termes: The liability of the Crown (Dominion) to pay the compensation arises from an independent intervening cause, namely an act of the Dominion Parliament, which lies wholly outside the common law of the province. Cette décision, je le disais tantôt, reçut l'adhésion unanime de la Cour Suprême et M. le Juge Robert Taschereau écrivait que: As the Privy Council said in Workmen's Compensation Board v. C.P.R., 1920, A.C. p. 184 at 191, this right "arises, not out of tort, but out of the Workman's statutory contract". It is a benefit conferred on the employee as a result of his employment. Cette conclusion me paraît péremptoire. Les gages payés par le patron régulier à l'ouvrier blessé par le fait d'autrui, lui sont accordés d'après une stipulation de son contrat de travail, et nullement comme suite directe du délit ou quasi-délit dont il fut victime. L'Honorable juge Taschereau mentionne encore la décision de la Chambre des Lords dans l'affaire du sous-marin Amerika', perdu corps et biens après un abordage 1 [ 1917] A.C. 38, 42, 60, 61.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 267 en mer. Il cite longuement certains passages des notes de ,1960 jugement de Lord Parker of Waddington et de Lord Sumner. TxE QUEEN On pourra lire avec intérêt le compte rendu de cette cause. Pou B Dxua & OULET L TD. Mais je dois ajouter que, dès 1948, soit un an après la Dumoulin J précédente décision, la Cour Suprême, dans l'instance The King v. Richardson and Adams', porta un arrêt difficilement conciliable sur certains points avec le sentiment exprimé in re: The King v. C.P.R. Ce litige provenait d'un acte fautif commis dans la Province de l'Ontario le droit commun diffère de celui du Québec, et admettrait, le cas échéant, parmi les recours réguliers, celui du "servitium amisit". Le différend qui m'est soumis, ayant trait aux droits civils des parties, ne peut être vidé qu'à la lumière des lois provinciales, en l'espèce, celles de la Province de Québec (Acte de l'Amérique du Nord britannique, article 92 (13 et 14) ) . Or l'obligation de la demanderesse d'accorder les soins et traitements requis à un militaire accidenté provient uni-quement, comme ci-haut indiqué, de l'article 217(a) du chapitre 184 des Statuts Refondus du Canada, 1952, une législation fédérale et, comme le dit l'Honorable Juge Smith, étrangère à ce débat. Même s'il n'y avait que ce motif, il en est un autre, basique, nous le verrons, je devrais de ce chef rejeter la réclamation initiale de la demanderesse d'une somme de $924.55, qu'elle paya, à l'acquit du soldat Bérubé, pour frais d'hôpitaux et le coût d'opérations chirurgicales. Reste maintenant à juger la question de responsabilité directe, que l'article 1053 du code civil ferait peser sur la défenderesse, si la prépondérance de la preuve démontrait que la demanderesse "a perdu les services dudit Raymond Bérubé" ... par suite de l'imprudence ou de la négligence de ses employeurs. Entendons la preuve relative à l'accident même. Le principal témoin n'est évidemment nul autre que la victime de ce cruel contretemps, le caporal Raymond Bérubé qui, âgé de 40 ans, a quitté l'armée et exerce le métier d'entrepreneur en chauffage. ' [1948] S.C.R. 57.
268 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] J'ai pris de son témoignage des notes, non pas sténo-THE QQN graphiques, mais très attentives et qui, j'en ai la conviction, pouDan~e & relatent l'essentiel de chaque phrase probante. BOIILET'I.TD. Je reproduis ces notes, rédigées à la troisième personne, Dumoulin J. sans y apporter d'autres modifications que de rares rectifications de style ou de grammaire. Au mois d'août 1954, Bérubé bénéficiait d'un congé de 30 jours en sa qualité de caporal dans l'armée. Désireux de procurer à sa famille quelques revenus sup-plémentaires, il s'engagea en qualité de journalier chez MM. Poudrier et Boulet, à raison d'un salaire quotidien de $12.50. Dès le 2 août, Bérubé fut affecté au creusage d'une tranchée pour la pose d'un drain agricole; ce fossé devant avoir de six (6) à huit (8) pieds de profondeur, une largeur de quatre (4) pieds à la surface et de deux (2) à la base; course totale, trois cent cinquante (350) pieds. On procédait au creusage "à la petite pelle". Soudain, la paroi s'éboulant, Bérubé fut entraîné et res-serré entre une épaisseur de terre et l'extrémité inférieure alors atteinte. Le témoin, de stature médiocre, indique d'un geste de la main que la masse de terre atteignait à sa ligne d'épaules, une hauteur approximative de 4 pieds. Terre plutôt vaseuse; il avait plu ce matin-là, et il "brumassait" encore, vers midi, quand survint l'accident. Les jours précédant le 12 août, il était tombé de la pluie. Le témoin, continue: Le contremaître, Lemieux, avait donné instruction de prendre garde et de ne pas creuser trop grand à la fois, instructions qui furent respectées. M. Lemieux, déclare Bérubé, réitéra, le matin même de l'incident, ces avertissements de ne pas creuser au delà de ce qui était requis à la pose d'une feuille de tuyau (un élément de tuyautage mesurant 1 pied). Raymond Bérubé avait plusieurs fois travaillé, avant 1951, année de son enrôlement, à de semblables ouvrages. Il ajoute que les précautions prises "en général sur les travaux de Poudrier étaient très bien". Il précise que le contremaître Lemieux était "très consciencieux et possédait une longue expérience".
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 269 Bérubé n'a rien constaté de dangereux avant l'accident 1960 ni dans les conditions de travail ni dans l'ouvrage qu'il THE QUEEN effectuait. POIID v R ' I ES & Telle est la version de l'accidenté. BOULE&LTD. Assigné par la défense, Gérard Majella Lemieux, 59 ans, DumoulinJ. contremaître de la défenderesse, possède une expérience de 38 ans comme conducteur et surveillant de travaux. Il nous dit que, durant les huit (8) jours de son emploi, Bérubé fut affecté à cette tâche d'excavation. Le sol à creuser consistait en terre et en tuf ; il fallait utiliser la pioche en maints endroits. Quant aux instructions communiquées à ses ouvriers, dont Bérubé, voici comme il les résume: "Je leur ai dit à mes hommes que s'il se produisait des fissures de m'avertir et nous aurions boisé les bords [la paroi] ". Lors de l'accident, la tranchée avait été ouverte sur une longueur de 80 pieds. Le témoin suivant, Joseph Roland Garneau, était, en 1954, journalier à l'emploi de la défenderesse. Le 12 août, occupé au même ouvrage que Bérubé, il creusait à cinq ou six pieds de celui-ci. Selon Garneau, le fossé, à l'instant du glissement de terre, avait de quatre pieds et demi (42) à cinq (5) pieds de profondeur. Ce témoin, également entendu par la défenderesse, affirme que le contremaître Lemieux, avant le travail du matin, donnait aux ouvriers des directives de prudence, leur recom-mandant de lui signaler tout signe d'effritement du sol, ajoutant que du bois, empilé sur le terrain, servirait aussitôt à remblayer les parois du canal. Le président de la firme défenderesse, M. Marcel Boulet, témoigna que, la veille de l'accident, il avait dit au contre-maître Lemieux: "Passé quatre pieds, surveillez, et si ça devient dangereux, boisez". Ce même jour, 12 août, vers deux heures et demie de l'après-midi, M. Boulet se rendit mesurer la profondeur du canal au point d'effondrement, ce qui donna exactement quatre pieds et neuf pouces (4' 9"). J'ai préféré ne pas inclure dans le sommaire du témoi-gnage de M. Lemieux, même si l'on n'a point objecté à cette déclaration de ouï-dire, le renseignement, assez significatif,
270 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1960 dans les circonstances, que peu après le transport du caporal THE QUEEN Bérubé à hôpital, une religieuse de l'institution pour le pbun an.R & compte de qui on travaillait, la Soeur Sainte-Marie des BœuLET Lm. Anges, lui apprenait que "autrefois un fossé avait été Dumoulin J. creusé près de cet endroit". Si tel était le cas, il se pourrait que Bérubé se fut trouvé au point d'incidence du vieux canal et de la tranchée. La preuve matérielle que nous venons de lire permet-elle de retenir une faute délictuelle ou quasi-délictuelle contre la défenderesse? Le creusage, "à la petite pelle", c'est-à-dire avec un maximum de lenteur et un minimum d'ébranlement du sol, comparé aux coups de boutoir de l'outillage mécanisé, me semble une opération assez simple. La demanderesse partage quelque peu ce sentiment quand, dans les articles 7 et 9 de l'information, elle précise des reproches explicites. A l'article 7, elle insiste sur ce que "... cette tâche était surtout dangereuse pour le soldat Bérubé qui ne connaissait pas ce genre de travail et les dangers qu'il pouvait comporter". Or, Bérubé témoigne, qu'avant 1951, il avait plusieurs fois travaillé à des ouvrages de cette espèce. Si donc, au dire de la demanderesse, cette besogne recélait un risque particulier pour qui n'eut pas connu ce genre de travail et les dangers possibles, la proposition alternative ne vient-elle point à l'esprit qu'il était d'autant moins aléatoire au journalier qui, à l'instar de M. Bérubé, connaissait, par expérience, " ... les dangers qu'il pouvait comporter?" Puis, la victime rapporte n'avoir "rien constaté de dangereux avant l'accident ni dans les conditions de travail ni dans l'ouvrage même" qu'elle effectuait. Si l'ouvrier sur les lieux et à la tâche n'a rien observé d'insolite ou d'alar-mant, le patron serait-il blâmable de ne pas avoir vu l'invisible? L'information, article 9, fait grief à la défenderesse de n'avoir établi aucun support pour retenir les parois de la tranchée et de n'avoir donné aucune instruction "aux employés" au sujet "des dangers d'écroulement de même que sur la méthode de prévenir et de s'en garer".
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 271 Avant de poser des supports ou palplanches, encore faut-il 0 creuser suffisamment pour que la nécessité de ce faire THE QuaEN apparaisse, et pour assujettir ce revêtement avec solidité. Pounxn.R & Rappelons-nous les versions non contredites de Lemieux, Bo Ls Garneau et Poudrier; le bois empilé sur place à cet effet; Dumoulin J. l'ordre d'avertir de toute fissure qui se prodùirait "et nous aurions boisé la paroi", a dit le contremaître. Dans le cas actuel, aucun effritement antérieur ne s'était manifesté, car alors, Bérubé eut dérogé aux instructions reçues en omettant de le signaler. L'éboulis se produisit de façon soudaine, quand une profondeur de quatre pieds et neuf pouces eut été atteinte, ce que pourrait expliqùer l'hypothèse, suggérée par la religieuse, d'une intersection avec un ancien fossé. Quant aux directives de prudence imparties, avant l'ouvrage, aux journaliers, le caporal Bérubé, redit trois ou quatre fois que, le matin même, le contremaître, avait recommandé à l'équipe la plus attentive prudence. Joignons à ce témoignage ceux déjà rapportés de messieurs Lemieux, Garneau et Poudrier. Enfin, Bérubé relate que les jours précédant le 12 août, il avait plu et encore le matin du 12; qu'au moment de l'éboulis, il "brumassait". Cet élément du témoignage de l'accidenté a retenu davantage, si possible, mon attention. L'interrogatoire sur ce point est bref ; je citerai donc cet examen principal tex-tuellement, tel que rapporté à la page 8 de la transcription officielle: PAR M° PERRON [procureur de la demanderesse] Q. Quelle température faisait-il à ce moment-là? R. Il avait plu, puis il brumassait. Q. Est-ce que ça faisait plusieurs jours que vous travailliez à ce canal-? R. Ça faisait quelques jours, oui. Q. Dans les autres jours avant l'accident, quelle température avait-il fait? R. On était dans une période plutôt pluvieuse. Q. Est-ce qu'il avait mouillé la veille, l'avant-veille aussi? R. Oui, je pense. Q. Beaucoup? R. Oui, je crois."
272 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1960 A plusieurs reprises, Bérubé souligne que le passage de six THE QUEEN u. années a inévitablement estompé dans sa mémoire les par- POUDRIER & ticularités autres que le fait même de sa chute ou celles qu'il BOULET LTD. mentionne avec exactitude. Des expressions du genre de: Dumoulin J. "je crois, je pense", à six ans de l'époque, et au sujet de conditions climatiques sont loin d'avoir la valeur probante de rapports météorologiques, dont il n'eut pas été difficile d'obtenir la production. Tout bien pesé, il résulte que cette information demeure trop vague, insuffisamment précisée, pour que j'y puisse voir imprudence fautive de la part du maître des travaux. "Terre plutôt vaseuse", a rapporté Raymond Bérubé, qui, toutefois, par inférence, se charge d'établir qu'à la reprise du creusage, "à la petite pelle", du reste, le sol ne devait pas être détrempé puisqu'il n'a rien constaté de dangereux avant l'accident ni dans les conditions de travail ni dans l'ouvrage même ou, comme il l'affirme à la page 18: "Moi, je n'en voyais pas, je n'ai jamais vu aucun danger". Il incombait donc à la partie poursuivante d'établir, par une preuve prépondérante, au moins un élément tangible de faute chez la défenderesse pour que fut accueillie son action; je n'en puis apercevoir aucun. Que penser, maintenant, de la procédure usitée? La Couronne, citant le sujet en justice, agrée, sans dérogation ni privilège, d'être soumise aux lois du lieu, tout comme sa partie. L'action "per quod servitium amisit" est un recours propre au droit anglais, reçu dans les provinces soeurs qui adhèrent à la "common law". Je ne sache pas que le droit civil de la Province de Québec ni la jurisprudence corollaire aient encore accueilli sem-blable moyen. Quels en sont les éléments? Tout simplement la faculté reconnue au patron de recouvrer de l'auteur du délit ou quasi-délit, "tort feasor", le mon tant des gages dont il aura
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 273 continué le paiement à son serviteur temporairement 1960 invalide, que le maître ait déféré à un mobile de charité ou THE QUEEN v. respecté telle clause du contrat d'engagement. Fournira & BOULET LrD. Sous l'empire du code civil, cette action transposerait les Dumoulin J. situations respectives de l'employeur et de son employé quant à l'exercice du recours pour salaire. En effet, si le maître discontinuait le traitement non gagné, le serviteur en inclurait avec raison la demande dans sa réclamation en dommages-intérêts contre l'auteur du délit. Or, ici, c'est le maître qui, ayant payé, réclame personnellement ce salaire de la partie en faute, mais le code civil, à l'article 1075, ne voit point en de tels dommages "une suite immédiate et directe ..." du quasi-délit. Cette analyse n'établit-elle pas que l'action "servitium amisit" est en définitive une manière de subrogation tacite du commettant aux droits du serviteur? A tout événement, le code civil (article1154) autorisant deux formes seulement de subrogation: conventionnelle et légale, omet toute mention d'une troisième. Le titre de créance que la demanderesse prétend faire valoir pourrait être aisément régularisé au regard du code civil du Québec par le truchement fort simple de la subroga-tion conventionnelle, l'État obtenant du fonctionnaire, soldat ou commis, un transport en bonne et due forme de leurs droits et recours individuels contre le tiers délinquant. Cela fait, le libellé de la procédure: "per quod servitium amisit" ou action subrogatoire, importerait assez peu. Sur la forme, comme sur le fond, il me faut conclure contre les soumissions de la demanderesse. Par ces divers motifs, l'information de Sa Majesté la Reine est rejetée. La défenderesse aura droit de recouvrer ses frais taxables. Jugement en conséquence.
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