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1020 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19661 Montréal 1966 LA CITÉ DE JACQUES-CARTIER REQUÉRANTE le 8 mars ET Ottawa le 16 mars SA MAJESTÉ LA REINE INTIMÉE. Couronne--Pétition de droitFaculté spéciale d'annulation du bail par locateurLa nature d'une fin publiqueL'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent, chap. 242, S.R.C. 1952, articles 3(2), 9, 10, 12AgentMandataire de Sa Majesté, du chef du Canada, de la Compagnie de l'Exposition universelle canadienne, Loi 11-12 Élisabeth II, chap. 12, S.C. 1962-63, art. 7(1)—Motif qui peut constituer une fin d'utilité publiqueTerrains loués requis pour fins publiques. En vertu d'un bail daté du 21 novembre 1960, l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent a loué à la Cité de Jacques-Cartier, requérante, pour un terme de 40 ans, un terrain d'une contenance de 22 4 acres affecté à l'installation d'un pare municipal. Selon la clause 14 de ce bail, l'intimée s'est réservé une faculté spéciale d'annulation se lisant comme suit: 14. If the said land, or any portion thereof, should be required by Lessor, at any time during the currency of this lease, for any public purpose, the Lessor may terminate this lease by giving to the Lessee one month's notice in writing to that effect signed by the Legal Adviser of the St. Lawrence Seaway Authority, and mailed addressed to the Lessee. Le 6 avril 1965, l'Administration, par le ministère de son conseiller juridique, a avisé, par écrit, la Cité de Jacques-Cartier qu'elle avait décidé de résilier ledit bail, se prévalant des dispositions attachées à la clause 14.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1021 Conformément à l'art. 9, l'Administration, comme mandataire de Sa 1966 Majesté du chef du Canada, peut exercer les pouvoirs dont la présente LnCrr~nE loi l'investit. JACQUES- A l'article 12, il est dit que: CARTIER v. 12. L'Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en LA REINE conseil, louer à toute personne des terrains, des biens ou de l'énergie hydraulique, détenus au nom de Sa Majesté sous le contrôle de l'Administration. Jugé: L'Administration a donc le droit, en vertu de la clause 14 dudit bail, de le résilier après avis de 30 jours, vu que la cause de résiliation invo-quée a pour objet l'usage de terrains requis pour des fins publiques, à savoir: celles de la Compagnie de l'Exposition universelle canadienne, une compagnie mandataire de Sa Majesté. 2. Ce caractère d'utilité publique lui est conféré explicitement par la Loi 11-12 Élisabeth II, chap. 12, art. 7(1), S.C. 1962-63. 3. Il convient de remarquer le sens extensif de l'adjectif «any» comme aussi celui de l'expression «public purpose» que nul qualificatif n'ap-plique limitativement aux seuls objets et besoins de l'Administration de la Voie maritime du St-Laurent. 4. Selon la clause 4 du bail, la Cité de Jacques-Cartier ne peut disposer, par sous-location ou autrement, des terrains à elle loués, sans l'assenti-ment écrit de l'Administration qui, selon l'art. 12 du chap. 242, peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, inclure dans un bail la faculté d'éventuelle résiliation: «If the said land, or any portion thereof, should be required by the Lessor, at any time during the currency of this lease, for any public purpose, the Lessor may terminate this lease by giving to the Lessee one month's notice in writing ...». 5. Par ces motifs, la Cour déboute la Cité de Jacques-Cartier de ses conclusions, accueille la défense de l'intimée et rejette la pétition de droit avec dépens. PÉTITION DE DROIT demandant que jugement inter-vienne déclarant arbitraire, illégale, nulle et de nul effet «l'annulation unilatérale qu'a faite l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent du bail consenti à la requérante le 21 novembre 1960 et d'interdire à l'Administration «de donner suite et effet à telle prétendue annulation». Émilien Brais, c.r. pour la requérante. Gaspard Côté pour l'intimée. DUMOULIN J. :—Les incidents qui ont déterminé ce litige ne sont guère compliqués; en voici l'exposé. Aux termes d'un bail daté le 21 novembre 1960, l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent louait à la Cité de Jacques-Cartier, près Montréal, pour un terme de
1022 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 quarante ans, soit du premier septembre 1960 au trente et LA CITÉ DE un août de l'an 2000, à raison de $25 par année, un terrain C ARIER d'une contenance de 22.4 acres affecté à l'installation d'un LA R v E I NE parc municipal. Ce bail, dont une expédition authentiquée est produite Dumoulin J. sous la cote R-1, contient, toutefois, dans l'avant-dernière clause (14) une faculté spéciale d'annu'lation par la partie de première part, que je désignerai par l'abréviation de «l'Administration», advenant l'éventualité ci-dessous: 14. If the said land, or any portion thereof should be required by the Lessor, at any time during the currency of this lease, for any public purpose (l'italique est de moi) the Lessor may terminate this lease by giving to the Lessee one month's notice in writing to that effect signed by the Legal Adviser of the St. Lawrence Seaway Authority, and mailed addressed to the Lessee... Or, le 6 avril 1965, l'Administration, par le ministère de son conseiller juridique, M° J. A. Belisle, selon la clause abrogatoire précitée, expédiait à l'actuelle requérante, ce préavis, pièce R-2: Corporation de la Cité de Jacques-Cartier; Cité de Jacques-Cartier, P.Q. Messieurs, Prenez avis que l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Lau-rent a décidé de canceller le bail (que ne «cancellait»-elle, du même coup, les barbarismes?) portant le numéro 61-47 (pièce R-2, à cause de certains besoins imminents d'ordre public et en conséquence vous donne l'avis de trente (30) jours aux fins de cancellation (re-sic) du dit bail... La proposition de droit, soumise par le savant procureur de la Cité de Jacques-Cartier, M° Emilien Brais, c.r., est formulée à l'article 12 ci-après reproduit de la pétition: 12. La faculté d'annulation résultant de la clause 14 (du bail) ...ne vise que les fins publiques qui sont les fins publiques propres de l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent. Ces fins d'utilité publique, la requérante prétend les res-treindre à celles de la Voie maritime, et notamment aux objectifs spécifiés à l'article 10 de la Loi 242 des Statuts revisés du Canada, 1952, l'acte constitutif de cette grande entreprise. Je noterai, tout d'abord, que l'article 3, alinéa (2) du chapitre 242 fait de l'Administration à toutes fins, sauf les dispositions de l'article 9 (relatif au statut des employés), «un mandataire de Sa Majesté, du chef du Canada, et elle
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1023 ne peut exercer qu'à titre de mandataire de Sa Majesté les 1966 pouvoirs dont la présente loi l'investit ». LA CITA DE JACQUES- Puis, à l'article 12, il est dit que: CARTIER 12. L'Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en con- LA REINE seil, louer à toute personne des terrains, des biens ou de l'énergie hydrau- ligue, détenus au nom de l'Administration ou détenus au nom de Sa Ma- Dumoulin J. jesté sous le contrôle de l'Administration. Renouons maintenant le fil de la pétition. Il y est allégué que cet avis de cessation du bail n'était pas donné «pour des fins publiques propres à l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent, mais bien et exclusivement dans l'intention de louer temporairement ces terrains à la Compagnie Canadienne de l'Exposition Universelle de 1967, afin que cette dernière y aménage un parc de stationnement», (article 11) . Or, continue la requérante (article 15) : «L'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent n'a aucun pouvoir de par sa Loi ou autre-ment pour agir comme mandataire ou agent de la Com-pagnie de l'Exposition Universelle de 1967, laquelle pouvait et devait si nécessaire traiter directement avec la requérante». En conclusion de ces prémisses, la Cité de Jacques-Cartier demande que jugement intervienne déclarant ar-bitraire, illégale, nulle et de nul effet «l'annulation unila-térale que prétend avoir faite l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent du bail. . .consenti à (la) requérante le 21 novembre 1960...» et d'interdire à l'Administration «de donner suite et effet à telle prétendue annulation». Après négation des allégués de droit de la pétition, l'in-timée soumet en défense, aux paragraphes 14 et 15, qu'il appartenait à elle seule de définir ce qui pouvait constituer une fin d'utilité publique, excluant toute intervention judi-ciaire, puis, et surtout, que «les terrains faisant l'objet du-dit bail étaient requis pour des fins publiques, à savoir, celles de la Compagnie de l'Exposition universelle cana-dienne, compagnie mandataire de Sa Majesté, ayant été constituée pour les fins mentionnées au paragraphe 3 de la Loi sur la Compagnie de l'Exposition universelle cana-dienne, chapitre 12 des Statuts du Canada, 1962-63». Pour ce double motif, l'intimée conclut au renvoi de la pétition de droit.
1024 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 Afin de circonscrire le débat dans ses limites pertinentes, LA Gail DE j'en élaguerai tout de suite, comme peu convaincant, C âau$ l'avancé de la requérante qu'il incombait à la Compagnie de v l'Exposition universelle de traiter, directement, si besoin LA REINE éta i t, avec l'autorité municipale de la Cité de Jacques-Dumoulin J. Cartier. Prétendre cela est mettre en oubli, semble-t-il, la clause 4 du bail à l'effet que : Assignment. 4. The Lessee shall not make any assignment of these Presents, nor any transfer or sub-lease of any of the lands, rights or privileges demised or leased hereunder, without obtaining the consent m writing of The St. Lawrence Seaway Authority to such assignment, transfer or sub-lease. L'on voit donc que la Cité de Jacques-Cartier ne pouvait disposer, par sous-location ou autrement, des terrains à elle loués, sans l'assentiment écrit de l'Administration à laquelle ressortissait la décision finale. Je repousserai aussi sommairement la prétention de l'in-timée de disposer arbitrairement, sans recours ni appel, de toute controverse sur la nature d'une fin d'utilité publique. Supposé que la cause de résiliation invoquée comme objec-tif d'utilité publique eut été l'affectation de ce terrain à une piste de courses, ou sa' location à des commerçants, je n'irais certes pas jusqu'à tenir que la Cour dût perdre pour autant son droit de regard sur tout cela. Mais telle n'est pas la question qui se pose présentement. La ligne d'argumentation du savant procureur de la péti-tionnaire suit une orientation différente, comme nous l'a-vons vu précédemment. Selon la requérante, répétons-le, la faculté de résiliation à l'article 14 du bail, «for any public purpose», devrait s'entendre, restrictivement d'une utilité publique propre aux seules fins de la Voie maritime du Saint-Laurent, définies à l'article 10 de la loi organique de l'Administration comme étant: lo.... a) ... d'acquérir des terrains pour des ouvrages qui peuvent être indispensables à l'établissement et à l'entretien, soit entièrement au Canada, soit conjointement avec des travaux entrepris par une autorité compétente aux État-Unis, d'une voie en eau profonde entre le port de Montréal et le lac Erié, et aux fins de construire, entretenir et mettre en service lesdits ouvrages; et b) ... de construire, entretenir et mettre en service tels ouvrages relatifs à cette voie en eau profonde que le gouverneur en conseil peut juger nécessaire pour remplir toute obligation assumée ou qui doit être assumée par le Canada aux termes d'un accord présent ou futur.
Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 1025 Tout objectif autre que ceux-ci, soutient la requérante, 1966 toute nécessité publique d'un ordre différent, demeurent LA CITÉ DE radicalement étrangers aux buts assignés à l'Administration CnxTrEs et ne sauraient, par exemple, autoriser la faculté de résilie-v LA REINE ment portée au bail, pièce R-1. Dumoulin J. En outre, il n'existerait aucune interdépendance ou, plus précisément, nulle connexité entre les divers ministères ou autres organismes de l'État, à telle enseigne qu'un intérêt public relatif aux besoins du ministère des Transports, n'en serait pas un auprès du département des Postes. Un cloisonnement aussi étanche isolerait entre elles les nom-breuses compagnies de la Couronne; un objectif d'utilité publique à la Société des Chemins de Fer nationaux per-drait cette qualité auprès de la Voie maritime du Saint-Laurent, et ainsi de suite. C'est une thèse qui, assurément, ne manque pas d'inédit, mais est-ce bien celle qu'il me faudra approuver? Semblable fractionnement de la souveraineté, tutélaire gardienne de l'intérêt de l'État, qu'il se trouve et d' qu'il provienne, paralyserait l'exercice de cette vigilance supérieure. Émietté de la sorte entre tous les services du gouvernement et ses émanations directes, les compagnies de la Couronne, l'intérêt collectif aurait tôt fait d'entrer en conflit avec lui-même. Par son essence même, l'intérêt public est une indivisible réalité, dont la sauvegarde incombe à Sa Majesté, sans que rien, sinon un intégral accomplissement, puisse limiter ce devoir. Ce passage résume assez fidèlement, je crois, trois propositions développées en réponse par le savant procu-reur de l'intimée, M° Gaspard Côté, qui appuie ces moyens, inter alia, sur l'article 3, quatrième alinéa, de la Loi de la Voie maritime du Saint-Laurent, investissant Sa Majesté, autrement dit l'État canadien, de la propriété des biens acquis par cette société (l'Administration). Le caractère public, comme l'atteste sa désignation officielle, de la Compagnie de l'Exposition universelle cana-dienne, lui est conféré explicitement à l'alinéa (1) de l'article 7 de la Loi 11-12 Élisabeth II, chapitre 12 (S.C. 1962-63), ci-après relaté: 7. (1) ...la Compagnie est, à toutes les fins de la présente loi, mandataire de Sa Majesté et n'exerce qu'à ce titre les pouvoirs que lui attribue la présente loi.
1026 R C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1966 Du reste, la requérante, à aucune phase de l'instance, ni LA CITÉ DE oralement ni dans ses pièces litérales, n'a essayé de révo- J R quer en doute l'envergure nationale de l'Exposition cana- v dienne; elle s'efforce tout simplement d'établir une LA REINE d i scontinuité absolue entre les divers organismes de l'État, Dumoulin J. afin de prévenir toute compénétration entre eux d'un fac-teur transcendant d'intérêt public. Ce débat, dont je pense n'avoir rien omis, pour rendre justice à la remarquable compétence des savants procureurs ci-haut nommés, est susceptible, à mon sens, d'une très simple solution. Puisque «l'Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil (condition dûment remplie) louer à toute personne des terrains, etc (vide l'article 12 du chapitre 242), quel principe de droit lui pourrait interdire d'inclure dans un bail la faculté, ainsi conçue, d'éventuelle résiliation: «If the said land, or any portion thereof, should be required by the Lessor, at any time during the currency of this lease, for any public purpose, the Lessor may terminate this lease by giving to the Lessee one month's notice in writing... ». Il convient de remarquer le sens extensif de l'adjectif «any», comme, aussi, celui de l'expression «public purpose», que nul qualificatif n'applique limitativement aux seuls ob-jets et besoins de l'Administration. Un raisonnement con-traire n'équivaudrait-il pas à diminuer singulièrement le devoir de vigilance de l'État? Enfin, si pareille stipulation ne convenait point à la requérante, partie de seconde part au bail, il lui était parfaitement loisible de ne pas conclure. PAR TOUS CES MOTIFS, la Cour, déboutant la Cité de Jacques-Cartier de ses conclusions, accueille la défense de l'intimée, et rejette la pétition de droit avec tous dépens à être taxés contre la requérante.
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