[2021] 4 R.C.F. F-19
Citoyenneté et Immigration
Pratique en matière d’immigration
Requête visant le rejet de la demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) interrompant l’étude de la demande d’asile du demandeur en raison de l’accusation criminelle portée contre lui — Le demandeur est un citoyen de la Russie qui a présenté une demande d’asile dans un bureau intérieur en 2017 — La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tenu une audience et a accueilli la demande d’asile du demandeur fondée sur l’art. 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 — La veille de son audience devant la SPR, le demandeur a été accusé d’avoir conduit un moyen de transport avec une alcoolémie égale ou supérieure à quatre‑vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang, soit l’infraction prévue à l’art. 320 du Code criminel du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑46 — Cette accusation était liée à des événements survenus un an avant l’audience de la SPR — Le demandeur n’a pas révélé cette accusation à la SPR pendant ou après son audience — Il n’a pas été reconnu coupable de cette infraction ni d’aucun autre crime au Canada, et aucune autre accusation ne pesait contre lui — Après avoir été avisé de l’accusation portée contre le demandeur et de l’issue de la demande d’asile de celui‑ci, le défendeur a présenté une demande de réouverture de la demande d’asile, faisant valoir qu’en ne révélant pas l’accusation criminelle, le demandeur avait causé un manquement à la justice naturelle en le privant de la possibilité d’examiner la question de savoir s’il y avait lieu de surseoir à l’étude de sa demande d’asile, au titre de l’art. 103 de la Loi, en attendant l’issue des accusations — Au titre de la règle 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, la SPR a décidé de rouvrir la demande d’asile du demandeur au motif qu’un manquement à la justice naturelle avait privé le défendeur de la possibilité d’examiner la question de savoir s’il y avait lieu de surseoir à l’étude de la demande d’asile — Par la suite, l’ASFC a avisé le demandeur et la SPR que l’étude de la demande d’asile du demandeur était interrompue en raison des accusations criminelles portées contre lui — Dans le cadre de la requête, le défendeur a fait valoir que l’affaire était théorique et prématurée — Il s’agissait de savoir si la décision de la SPR de rouvrir la demande d’asile était une décision interlocutoire et s’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant le contrôle de la décision — La décision de la SPR de rouvrir la demande d’asile n’était pas de nature définitive, mais interlocutoire, et elle ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire — La décision a fait en sorte que l’étude de la demande d’asile du demandeur demeure suspendue jusqu’à l’issue de l’accusation criminelle portée contre lui et elle ne visait pas à rejeter la demande d’asile du demandeur — Une décision finale concernant la demande d’asile du demandeur sera rendue si une déclaration de culpabilité criminelle empêche celui‑ci de mener à bien sa demande ou si celle‑ci est accueillie ou rejetée sur le fond — Le législateur a établi un cadre législatif dans le cadre duquel l’instance du demandeur devant la SPR peut être suspendue en application de l’art. 103(1) de la Loi, sur avis d’un agent de l’ASFC, en attendant l’issue de l’accusation criminelle portée contre lui — Si l’issue de l’accusation criminelle est favorable au demandeur, le défendeur peut recommander la reprise de l’instance devant la SPR et une décision favorable peut être rendue — Si, en revanche, le demandeur est reconnu coupable et que sa demande d’asile est déclarée irrecevable ou qu’il est exclu de la possibilité de présenter une demande d’asile, d’autres options s’offriront alors à lui, y compris la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire de toute décision que la SPR pourrait rendre — En l’espèce, la réouverture de la demande d’asile signifiait que la demande d’asile a repris avec la suspension de l’ASFC — C’est en raison de cette reprise que la décision relative à la réouverture était interlocutoire, et pas définitive, et qu’elle ne pouvait donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire — En conclusion, la suspension de l’instance devant la SPR ne signifiait pas la fin de la demande d’asile du demandeur — Le sort de la demande d’asile du demandeur dépendra d’un certain nombre de facteurs, l’un de ces facteurs étant l’issue de l’accusation criminelle portée contre lui — En ce qui concerne la deuxième question, le demandeur a fait valoir, plus particulièrement, que même si la décision faisant l’objet du contrôle était considérée comme étant interlocutoire, les faits de la présente affaire constituaient des circonstances particulières justifiant que la Cour entende la demande de contrôle judiciaire sur le fond — Toutefois, selon la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale, même les questions de compétence ne justifient pas le contrôle judiciaire de décisions interlocutoires, mais seulement de décisions dont les conséquences sont à ce point « immédiates et radicales » qu’elles mettent en question la primauté du droit — La Cour a conclu également qu’aucune exception ne devrait être faite, même dans les cas où les conséquences pratiques occasionnées par le fait qu’une décision interlocutoire soit soustraite au contrôle causeraient des difficultés — Il n’existait aucune circonstance « immédiate » ou « radicale » qui justifierait une exception en l’espèce — L’événement déclencheur qui a entraîné le retard dans la présente affaire n’était autre que l’accusation criminelle portée contre le demandeur — Le fait que le défendeur ait d’autres recours que de chercher à faire rouvrir la demande d’asile du demandeur ne signifiait pas que la présente affaire a satisfait au critère rigoureux à respecter pour donner suite à la demande de contrôle judiciaire — Malgré l’incertitude qui planait sur l’avenir du demandeur au Canada, ce dernier aurait tout de même été exposé à une telle incertitude si l’accusation criminelle avait été déclarée lors de l’audience de la SPR et il y aurait tout de même eu un retard dans l’instance de la SPR — Requête accueillie.
Anoshin c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (IMM-3023-21, 2022 CF 707, juge Go, motifs du jugement en date du 12 mai 2022, 10 p.)