Citoyenneté et Immigration
Statut au Canada
Résidents permanents
Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté les exigences relatives à la résidence permanente prévues à l’art. 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 — La SAI a aussi conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales au titre de l’art. 67(1)c) de la Loi — La demanderesse a soutenu que la décision de la SAI était déraisonnable parce que celle‑ci a mal interprété la preuve et n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents et importants — La demanderesse a allégué aussi que la SAI a violé son droit à l’équité procédurale — La demanderesse est une ressortissante des Fidji âgée de 34 ans — Elle occupe un poste d’aide‑soignante dans un établissement de soins de longue durée pour personnes âgées en Alberta — Elle est venue pour la première fois au Canada en 2007, en qualité d’étudiante étrangère; en mai 2008, elle a réussi le programme provincial des aide‑soignants, au terme duquel elle a obtenu un permis de travail postdiplôme (PTPD) et a travaillé comme infirmière auxiliaire — En juin 2009, elle est retournée aux Fidji avant l’expiration de son PTPD — En mars 2014, la demanderesse a obtenu le statut de résident permanent au Canada — Elle a visité son copain aux États‑Unis, puis l’y a épousé en 2016 — L’époux de la demanderesse est un résident permanent des États‑Unis — Il a parrainé la demanderesse — La demanderesse a engagé un avocat spécialisé en droit de l’immigration américain afin de présenter une demande en vue d’obtenir le statut de résident permanent légitime (RPL) aux États‑Unis — L’avocat américain lui aurait conseillé de ne pas quitter les États‑Unis pour retourner au Canada — La demande de statut de RPL de la demanderesse a par la suite été rejetée — Lorsque la demanderesse est revenue au Canada, un rapport a été établi à son égard au titre de l’art. 44(1) de la Loi, puisqu’il a été conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse était interdite de territoire au Canada parce qu’elle ne s’était pas conformée à l’obligation de résidence aux termes de l’art. 28 de la Loi, selon lequel elle devait être effectivement présente au Canada pour au moins 730 jours pendant chaque période quinquennale — Une mesure d’interdiction de séjour a ensuite été prise contre elle en raison de son interdiction de territoire découlant du non‑respect de l’obligation de résidence — Lors de l’audience de la SAI, la demanderesse a admis qu’elle ne s’était pas conformée à l’obligation de résidence qui s’appliquait pour qu’elle puisse conserver son statut de résident permanent au Canada, mais elle a demandé à la SAI une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, au motif que son défaut de revenir au Canada plus tôt était attribuable aux mauvais conseils juridiques qu’elle avait reçus, et qu’elle serait exposée à des difficultés si elle perdait son statut de résident permanent canadien — Dans la décision portée en appel, la SAI s’est penchée plus particulièrement sur le degré d’établissement initial et subséquent de la demanderesse au Canada, sur ses liens avec le Canada, sur les motifs de son départ du Canada, etc. — La SAI a également tenu compte du fait que la demanderesse croyait qu’elle ne pouvait pas revenir au Canada sans compromettre son processus d’immigration aux États‑Unis, et a examiné l’ampleur des difficultés auxquelles la demanderesse serait exposée aux Fidji — Enfin, la SAI a tenu compte des efforts de la demanderesse pour mettre à profit sa formation et son expérience professionnelle dans le domaine des soins de santé pendant la pandémie de COVID‑19, et a jugé qu’ils constituaient un facteur légèrement favorable — La SAI a souligné que, même si le nombre de jours pendant lesquels elle avait été présente au Canada durant la période en cause était incertain, il était bien en deçà du minimum de 730 jours de résidence — La SAI a donc conclu que la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée — Il s’agissait de savoir si l’analyse de la preuve effectuée par la SAI était raisonnable et si la SAI avait manqué à l’équité procédurale — Aux termes de l’art. 67(1)c) de la Loi, pour faire droit à l’appel d’une mesure de renvoi, la SAI doit être convaincue que les motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales; ce recours est discrétionnaire — En ce qui concerne le défaut de la demanderesse de revenir au Canada, la SAI n’a pas jugé que le motif de départ du Canada de la demanderesse constituait un facteur convaincant en faveur de son appel; elle a accordé un poids modérément favorable aux tentatives de la demanderesse pour revenir au Canada et aux raisons pour lesquelles elle est restée aux États‑Unis — Même si la demanderesse est ultimement responsable de ses demandes d’immigration, la preuve soumise à la SAI a démontré que la demanderesse croyait sincèrement qu’elle ne devait pas quitter les États‑Unis pendant que sa demande de RPL était en traitement — La demanderesse est revenue au Canada dès que sa demande de statut de RPL a été rejetée — Bien que la SAI ait considéré que le fait que la demanderesse est restée aux États‑Unis signifiait qu’elle préférait obtenir un statut aux États‑Unis plutôt qu’au Canada, la demanderesse ne disposait pas d’un tel choix, comme l’a démontré le fait qu’elle croyait qu’elle devait rester aux États‑Unis — En ce qui concerne l’existence de difficultés, bien que la SAI ait conclu que la demanderesse n’éprouverait pas de difficultés considérables si elle était séparée de sa famille au Canada, elle n’a pas tenu compte des difficultés que la demanderesse éprouverait si elle perdait son statut de résident permanent au Canada et qu’elle devait se séparer de son époux — La demanderesse et son époux ont travaillé pendant de nombreuses années pour s’établir en Amérique du Nord — Il serait, selon la Cour, excessivement difficile pour la demanderesse et son époux d’être contraints de retourner aux Fidji pour pouvoir vivre ensemble — Étant donné que la SAI a omis d’évaluer les répercussions de la séparation du couple, son évaluation des facteurs liés aux difficultés n’était pas justifiée — En ce qui concerne l’établissement de la demanderesse au Canada, la SAI a accordé un poids neutre à l’établissement de la demanderesse, concluant que, même si elle détenait la résidence permanente depuis près de sept ans, elle n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant son établissement au Canada — L’analyse de l’établissement de la demanderesse effectuée par la SAI manquait d’intelligibilité — Dans ses motifs, la SAI a reconnu que toute la famille immédiate de la demanderesse réside au Canada avec elle et que son établissement original au Canada avant son départ aux États‑Unis en juin 2016 militait en faveur de l’appel — Ces facteurs liés à l’établissement ont été jugés favorables — En ce qui concerne la contribution de la demanderesse pendant la pandémie de COVID‑19, bien que la SAI ait évalué les efforts déployés par la demanderesse pendant la pandémie de COVID‑19 sous la rubrique « Autres considérations », il s’agissait d’un autre élément favorable lié à l’établissement de l’appelante au Canada — Les motifs d’ordre humanitaire ont pour objet de fournir une dispense souple dans les cas appropriés afin de mitiger la sévérité de la loi — Globalement, à la lumière de la preuve présentée en l’espèce, la SAI n’a pas véritablement examiné tous les facteurs d’ordre humanitaire dans une optique de compassion, comme l’exige la jurisprudence — Le contexte entourant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse était unique et important; le travail de la demanderesse durant la pandémie de COVID‑19 méritait plus qu’une note de passage de la part de la SAI — Compte tenu de cette lacune dans le raisonnement de la SAI et des autres lacunes relevées, la décision de la SAI manquait d’intelligibilité et était déraisonnable — Étant donné que la décision a été jugée déraisonnable, il n’était pas nécessaire de se pencher sur les arguments relatifs à l’équité procédurale soulevés par la demanderesse — Demande accueillie.
Mohammed c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (IMM-3102-21, 2022 CF 1, juge Ahmed, motifs du jugement en date du 4 janvier 2022, 16 p.)