Citoyenneté et Immigration
Statut au Canada
Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) qui a conclu que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité et était donc visé par l’exclusion prévue par l’art. 1F(a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (Convention), et par l’art. 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) — La SPR a, de plus, appliqué de manière rétroactive le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, [2002] R.T. Can. no 13, 2187 R.T.N.U. 3 (Statut de Rome) — Le demandeur, un citoyen haïtien, s’est volontairement enrôlé dans l’armée et a exercé les fonctions de garde aux Casernes Dessalines de 1984 à 1989, une prison politique — Il avait spécifiquement demandé son affectation aux Casernes Dessalines — Il a été promu de simple soldat à soldat première classe alors qu’il y était en poste — Il a témoigné à une audience de l’Agence des services frontaliers du Canada qu’il n’était pas au courant des actes de torture qui se déroulaient dans la prison pendant la durée de son service — Il a allégué craindre d’être persécuté en raison de ses opinions politiques — La SPR a conclu, entre autres, que la contribution du demandeur à la torture était volontaire, consciente et importante — Elle a aussi conclu que le témoignage du demandeur manquait de crédibilité et qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur était complice aux crimes de torture — Elle a affirmé que « la torture constitue un crime contre l’humanité » conformément au Statut de Rome et à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24 — Le demandeur a soutenu qu’il ne pouvait être considéré comme complice quant à la torture généralisée et systémique commise aux Casernes Dessalines entre 1984 and 1989 parce qu’à cette époque, la torture n’était pas reconnue comme crime international selon le Statut de Rome — Il s’agissait de déterminer si la SPR a tiré une conclusion déraisonnable en estimant que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité et donc qu'il était exclu de l’application de la Convention aux termes de son art. 1Fa) et de l’art. 98 de la Loi, et si la SPR a commis une erreur en concluant qu’au moment des atrocités commises aux Casernes Dessalines, la torture constituait un crime contre l’humanité — La SPR a clairement indiqué qu’il n’avait été produit aucune preuve tendant à établir que le demandeur lui-même avait directement participé aux actes de torture — Par conséquent, la question pour la SPR était de savoir si ce dernier était complice des tortures commises aux Casernes Dessalines — La conclusion de la SPR portant que la contribution du demandeur aux actes de torture en cause était volontaire était raisonnable — L’affaire Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 662, [2011] 3 R.C.F. 377 concerne la connaissance présumée d’une personne qui occupait un poste assez élevé — Ce principe pourrait s’appliquer à des fonctionnaires moins élevés dans la hiérarchie qui remplissent le critère de complicité fondé sur la contribution — Dans ce cas, le lien requis avec les actes de torture peut être établi par présomption — Lorsque le demandeur a soutenu qu’il n’était pas au courant des atrocités commises, cela était contraire à la simple logique — Le poste du demandeur lui permettait d’aider, d’encourager, et de dissimuler les crimes en question — Il n’y avait rien de déraisonnable dans la conclusion de la SPR sur cette question — La SPR n’a pas véritablement fait une application rétroactive du Statut de Rome — Elle a plutôt constaté que la torture est reconnue internationalement, y compris au Canada, comme crime contre l’humanité — La torture a été reconnue comme crime contre l’humanité depuis au moins 1945 — Plusieurs sources juridiques vont dans le sens de l’argument selon lequel la torture a été reconnue comme crime contre l’humanité avant la mise en œuvre du Statut de Rome — Il n’était pas nécessaire en l’espèce de se prononcer sur cette question puisque la SPR ne s’est pas véritablement livrée à l’application rétroactive du Statut de Rome — La SPR a assorti de nouvelles conséquences des actes qui ont été commis avant la mise en œuvre de la Loi sur les crimes contre l’humanité et le Statut de Rome — Il y avait donc application rétrospective de la loi et non pas rétroactive — L’interprétation retenue par la SPR n’était pas déraisonnable — Demande rejetée.
Elve c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (IMM-3363-19, 2020 CF 454, juge Pamel, motifs du jugement en date du 30 mars 2020, 41 p.)