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Environnement

Contrôle judiciaire contestant une décision rendue par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) ayant pour effet de modifier certaines homologations d’un produit antiparasitaire à la suite d’une réévaluation réalisée aux termes de l’art. 16 de la Loi sur les produits antiparasitaires, L.C. 2002, ch. 28 — Plus particulièrement, les demandeurs ont contesté la partie de la décision qui prévoit une période de transition de 24 mois pour la mise en œuvre des mesures d’atténuation des risques prescrites par ces modifications — Les demandeurs ont demandé que soit rendue une ordonnance  : a) déclarant que l’ARLA n’a pas compétence pour prévoir une période de transition dans la décision; b) déclarant que la pratique de l’ARLA, consistant à accorder une période de transition pour la mise en œuvre des modifications en application de sa Politique sur la révocation de l’homologation et la modification de l’étiquette à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial, dépasse les pouvoirs conférés par la Loi; et c) annulant la période de transition prévue dans la décision — Les demandeurs étaient tous des organisations non gouvernementales vouées à la défense de l’environnement — Le défendeur, le ministre de la Santé, a délégué sa responsabilité de la Loi à l’ARLA; la défenderesse, Syngenta Canada Inc., est titulaire d’homologation du produit antiparasitaire de la classe des néonicotinoïdes – le principe actif de qualité technique thiaméthoxame (TMX) – et de 17 préparations commerciales connexes dont le principe actif est le TMX — Ces produits incluent des produits à pulvériser sur des plantes et le sol nu — La Loi régit la réglementation des produits antiparasitaires au Canada, y compris leur principe actif et les préparations commerciales qui en découlent — Sous réserve de certaines exceptions, l’art. 6(1) de la Loi interdit à quiconque de fabriquer, de posséder, de manipuler, de stocker, de transporter, d’importer, de distribuer ou d’utiliser un produit antiparasitaire non homologué aux termes de la Loi — Pour qu’un produit soit homologué, ou pour qu’une homologation existante soit modifiée, une demande doit être présentée au ministre, qui procède ensuite aux évaluations qu’il juge nécessaires relativement à la valeur du produit antiparasitaire ou aux risques sanitaires ou environnementaux qu’il présente (aux art. 7(1) et (3) de la Loi) — Avant les événements ayant mené à la présente demande de contrôle judiciaire, les produits contenant du TMX avaient été homologués au titre de la Loi par l’ARLA — En juin 2012, l’ARLA a donné avis qu’elle procédait à une réévaluation du thiaméthoxame à la lumière de nouvelles données scientifiques sur les néonicotinoïdes et leurs effets potentiels sur les insectes pollinisateurs — Au terme de cette réévaluation, l’ARLA a publié les résultats dans un projet de décision en 2017 — Le projet de décision a ensuite fait l’objet d’une période de consultation avec diverses catégories de parties intéressées — L’ARLA a ensuite publié la décision définitive qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire — La demande visait non seulement à obtenir réparation en regard de la décision, mais également en lien avec la partie de la Politique à laquelle la décision faisait renvoi — Il s’agissait principalement de savoir  : si l’ARLA était habilitée à accorder une période de transition pour la mise en œuvre de modifications apportées à la suite d’une réévaluation, lorsque les exigences de l’art. 21(3) de la Loi ne sont pas respectées; si l’ARLA avait qualité pour agir en ce sens, si elle a néanmoins commis une erreur susceptible de révision en prévoyant une période de transition dans la décision, que ce soit par l’adoption de cette mesure ou par la manière dont elle a appliqué le critère pour juger du caractère acceptable du risque — L’objectif premier de la Loi énoncé à l’art. 4(1), qui consiste à prévenir les risques inacceptables pour les individus et l’environnement découlant de l’utilisation de produits antiparasitaires, a été examiné — L’interprétation faite de la Loi par l’ARLA, à savoir que la Loi lui confère le pouvoir d’établir une période de transition pour la mise en œuvre d’une modification, n’allait pas à l’encontre de l’objet de la Loi, de telle sorte que les principes d’interprétation législative téléologique ne constituaient pas un « argument massue »[1] du type énoncé dans la décision Mason c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1251 — Dans la décision, l’ARLA a conclu que, dans l’ensemble, les risques pour les insectes pollinisateurs étaient acceptables durant la période nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’atténuation prévues par la modification et que, compte tenu des effets que la modification aurait sur les producteurs, cette période de transition permettrait une mise en œuvre harmonieuse et en toute sécurité de ces mesures — L’art. 21(2)a) de la Loi, la disposition en cause dans la présente affaire, a été évaluée — L’art. 21(2)a) de la Loi mentionne le concept de risques acceptables lequel, selon la définition présentée à l’art. 2(2) de la Loi, signifie que les risques pour la santé ou l’environnement sont acceptables s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées — Le terme « dommage » est utilisé dans certaines définitions à l’art. 2(2) de la Loi, mais il n’est pas défini en soi — Les défendeurs ont soutenu que la notion d’« aucun dommage » qui figure à l’art. 2(2) ne pouvait être interprétée comme signifiant l’absence de dommage pour tout organisme présent dans l’environnement — Ils ont également soutenu qu’il était loisible à l’ARLA d’interpréter la Loi comme signifiant que le risque de dommage doit toucher plus que des abeilles individuelles pour juger que le risque est inacceptable — Ces arguments ont été retenus — L’interprétation de la Loi par les défendeurs s’inscrivait dans l’éventail des issues possibles selon la norme de contrôle de la décision raisonnable — La conclusion de l’ARLA, selon laquelle les risques durant la période de transition sont acceptables, reposait sur cette interprétation — L’analyse de l’ARLA dans la décision montrait que l’ARLA a interprété le critère d’« aucun dommage » prescrit par la Loi comme s’appliquant à des populations d’insectes pollinisateurs, plutôt qu’à des membres individuels ou à des sous-ensembles de ces populations — Étant donné la logique de l’argument précité concernant l’interprétation de la Loi, le libellé de l’art. 21(2)a), examiné conjointement avec les autres dispositions s’appliquant directement à sa signification, ceci ne constituait pas un « argument massue » minant le caractère raisonnable de l’interprétation que l’ARLA a faite de ses pouvoirs — En concluant que les risques pour les insectes pollinisateurs seront acceptables durant la période requise pour mettre en œuvre les mesures d’atténuation prescrites par la décision, l’ARLA a clairement jugé que sa conclusion satisfaisait aux exigences de l’art. 21(2)a) de la Loi — Cette interprétation de l’ARLA constituait une interprétation acceptable de l’art. 21(2)a) de la Loi, étayée par l’art. 2(2), selon laquelle il peut y avoir ajout d’une composante temporelle à une condition d’homologation — L’argument relatif à la « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » a été examiné — Les arguments respectifs des parties concernant cette doctrine portaient principalement sur les exigences d’étiquetage résultant de la modification de l’homologation d’un produit antiparasitaire — Cette doctrine s’appliquait dans la présente affaire — Il ressortait clairement de la décision et de la Politique que l’ARLA a jugé qu’une période de transition était nécessaire pour s’acquitter de son mandat relativement à la modification d’une homologation — Les nécessités pratiques du processus de réévaluation de l’ARLA, examinées dans le contexte de la doctrine de la compétence par déduction nécessaire, constituaient un argument en faveur de l’interprétation que l’ARLA a faite de ses pouvoirs — Le contexte défini par l’art. 21(5)a) de la Loi, qui habilite expressément le ministre à introduire des mesures transitoires, mais uniquement à la suite d’une révocation, penchait fortement en faveur de la thèse des défendeurs sur l’application de la norme de la décision raisonnable pour examiner l’interprétation que faisait l’ARLA des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi — Après que plusieurs arguments eurent été examinés, il a été conclu que l’interprétation de l’ARLA était raisonnable et qu’elle ne devrait pas être modifiée lors d’un contrôle judiciaire — Cette conclusion s’appliquait au choix par l’ARLA de cette interprétation pour appuyer la décision et adopter la Politique — Enfin, l’ARLA n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en prévoyant une période de transition dans la décision, que ce soit par l’adoption de cette mesure ou par la manière dont elle a appliqué le critère pour juger du caractère acceptable du risque — La durée précise de la période de transition adoptée par l’ARLA ne représentait pas un fondement permettant de contester le caractère raisonnable d’une décision de réévaluation, en l’absence d’erreur dans l’évaluation par l’ARLA de l’acceptabilité des risques — L’ARLA a jugé, après avoir fait un emploi raisonnable du critère applicable et pris en compte la période de transition qu’elle avait fixée, que la modification rendrait le risque acceptable pour les insectes pollinisateurs — La Cour n’avait donc aucune raison de modifier cette conclusion — Demande rejetée.

Fondation David Suzuki c. Canada (Santé) (T-784-19, 2019 CF 1637, juge Southcott, motifs du jugement en date du 18 décembre 2019, 81 p.)



[1] Dans l’affaire Mason, le juge Grammond a utilisé le terme « argument massue » pour renvoyer à un argument sur l’interprétation législative qui est constant sur le plan interne, qui résiste à l’examen et qui n’est pas contesté par un argument de force similaire.

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