Canada ( Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ) c. Kisluk
T-300-97
juge Lutfy
4-8-98
12 p.
Demande visant à faire admettre comme preuve par ouï-dire les dépositions signées de deux citoyens ukrainiens décédés-Dépositions obtenues en 1994 par un caporal de la GRC dans le cadre de l'enquête menée sur les activités de l'intimé pendant la Seconde Guerre mondiale-C'est par le truchement du témoignage du caporal et de deux interprètes que le demandeur cherche à présenter ces dépositions comme preuve-L'admissibilité d'une preuve par ouï-dire est décidée en conformité avec les enseignements de la Cour suprême du Canada sur les critères de la nécessité et de la fiabilité lorsque les exceptions traditionnelles peuvent ne pas être directement applicables-Les dépositions ont été recueillies cinquante ans après les événements-Les personnes interrogées ne parlaient ni ne comprenaient la langue du policier et vice-versa-Les interrogatoires ne ressemblaient pas à une instance judiciaire-Il n'existe aucun enregistrement des interrogatoires sur bande audio ou vidéo-Il n'existe aucun compte rendu textuel des questions et des réponses-Les dépositions signées n'ont pas été faites sous serment, mais une «mise en garde» renvoyant au Code de procédure criminelle et au Code criminel de l'Ukraine a été signée au début des interrogatoires-La mise en garde impliquait une obligation de témoigner sans mentir; le refus de témoigner était sujet à une peine de rééducation ou une amende-Il existe une contradiction importante entre la partie de la mise en garde qui fait état des conséquences d'un refus de témoigner et la participation volontaire évoquée par le caporal-Étant donné cette confusion, il est impossible de savoir ce que le témoin a réellement compris en signant la mise en garde-La mise en garde n'a pratiquement aucune valeur comme moyen de rehausser la fiabilité des dépositions-Les deux interprètes et le caporal ne se souvenaient guère des interrogatoires-La comparaison de la traduction anglaise officielle des dépositions signées avec les notes personnelles du caporal révèle des omissions qui rendent les dépositions signées moins complètes et moins fiables que les notes prises par le caporal-La preuve par ouï-dire ne possède aucun des indices de fiabilité mentionnés dans de récentes décisions-Le fait que les témoins n'ont pas prêté serment est aggravé par la confusion dans la mise en garde-L'absence d'enregistrement mécanique fait en sorte qu'il est impossible d'évaluer les différences entre les notes du policier et celles de l'interprète-Si les divergences entre les notes ne peuvent pas être vérifiées, on ne peut pas décider si les déclarations constituant du ouï-dire ont été faites dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait commis une erreur: R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915-L'influence que les responsables de la sécurité de l'État ukrainien peuvent avoir eue, et ce très peu de temps après l'effondrement de l'Union soviétique, sur la personne interrogée ne pourra jamais être vérifiée au moyen d'un contre-interrogatoire-Pour évaluer la fiabilité d'une preuve par ouï-dire, un juge a le droit d'examiner la déposition mais peut décider de ne pas le faire-Le processus entourant l'obtention des dépositions satisfait si peu au critère de la fiabilité que le juge Lutfy a décidé de ne pas examiner les dépositions en dehors des parties qui ont été produites comme preuve-Il n'était pas convaincu que les personnes interrogées avaient des «moyens de connaissance particuliers» (R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531), expression qui désigne quelque chose d'autre qu'une personne censée avoir une connaissance personnelle d'un événement-Il n'était pas convaincu qu'un examen des dépositions intégrales pourrait le faire changer d'avis sur leur fiabilité-Le processus en deux étapes était approprié dans les circonstances particulières de l'espèce, mais peut ne pas l'être dans d'autres situations.